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Cinq questions sur les syndicats - Institut Coppet

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CINQ QUESTIONS<br />

SUR LES SYNDICATS


« LIBRE ~CHANGE»<br />

COLLECTION FOND~E PAR<br />

FLORIN AFTALION<br />

ET GEORGES GALLAIS-HAMON NO<br />

ET DIRIG~E PAR FLORIN AFTALION


CINQ QUESTIONS<br />

SUR LES SYNDICATS<br />

JACQUES GARELLO<br />

BERTRAND LEMENNICIER<br />

HENRI LEPAGE<br />

Presses Universitaires de France


IS BN 2 13 043292 1<br />

IS SN 0292 - 7 020<br />

Dépôt 1 égal -<br />

1 rc édition: 1990. juin<br />

© Presses Universitaires de France. 1990<br />

108. boulevard Saint-Germain. 75006 Paris


SOMMAIRE<br />

Introduction, 1<br />

1. Pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> 5<br />

L'argument de l'assym~trie de pouvoir, 6 - L'argument de l'ind~termination des salaires, 15<br />

- L'argument du pro~ social, 21 - L'argument du pouvoir d'achat, 24 - La vraie fonction<br />

des <strong>syndicats</strong>: des groupes de pression i vocation redistributive, 27 - La fécondit~ de<br />

l'hypoth~e &onomique, 42.<br />

2. Les <strong>syndicats</strong> sont-ils uti<strong>les</strong> 59<br />

Les arguments de Freeman et Medoff, 61 - Les déficiences de l'analyse de Freeman et<br />

Medoff,70.<br />

Annexe: Pourquoi le déclin du syndicalisme 90.<br />

3. Droit du travail ou droit au travail 93<br />

Le contrat de travail et le droit de propri~t~ <strong>sur</strong> soi, 95 - Le droit du travail contre le contrat<br />

de travail, 100 - Le droit du travail contre le marché du travail , 106.<br />

4. Les crises, le chômage et <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, 123<br />

Le principe de la loi de Say, 125 - La loi de Say et la monnaie, 143 - Le chômage et la greve,<br />

155.<br />

Annexe: Le travailleur « propriétaire » de son emploi 170.<br />

5. Les <strong>syndicats</strong> et la démocratie, 173<br />

La politisation syndicale, 174 -Faire pression pourquoi 176 - Faire pression comment<br />

180 - L'arme absolue du pouvoir politique syndical, 183 - La d~mocratie recule avec <strong>les</strong><br />

conquêtes syndica<strong>les</strong>, 185 - Le syndicat, firme managériale 188 - Les syndiqués sont-ils<br />

satisfaits 192 - Les syndiqués sont-ils complices 195 - Les <strong>syndicats</strong> au cœur de la crise<br />

de la démocratie, 197.<br />

Bibliographie, 201<br />

Table analytique, 211


Introduction<br />

Cet ouvrage n'est pas contre <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>. Il s'agit d'un livre <strong>sur</strong><br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>. Son objectif est de comprendre, d'interpréter, d'expliquer<br />

non seulement le comportement des <strong>syndicats</strong> et des syndiqués,<br />

mais également l'ensemble des traits institutionnels qui caractérisent<br />

le monde des <strong>syndicats</strong> et des rapports syndicaux.<br />

Que sont-ils Que font-ils Pourquoi le font-ils Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong><br />

conséquences pour <strong>les</strong> travailleurs, <strong>les</strong> consommateurs, la vie économique,<br />

le fonctionnement de la démocratie, etc., tel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong><br />

<strong>questions</strong> que ce livre projette d'aborder à la lumière de l'analyse<br />

économique.<br />

Il n'y a pas de sujet plus polémique et chargé d'émotions que le<br />

rôle des <strong>syndicats</strong>. Gare à celui qui ose remettre en cause <strong>les</strong> dogmes<br />

de l'idéologie syndicale et contester le caractère positif de leur<br />

apport. Il se retrouve immédiatement banni comme un infâme<br />

« réactionnaire». Les <strong>syndicats</strong> ont su utiliser l'émoi suscité par le<br />

souvenir des misères anciennes pour faire passer dans l'opinion<br />

publique l'image d'un syndicalisme dont l'action s'identifie prioritairement<br />

à la lutte pour plus de justice. Le résultat est que toute<br />

attaque à son encontre est aussitôt assimilée à un acte rétrograde dont<br />

la seule finalité ne peut être que de maintenir <strong>les</strong> privilèges des uns: et<br />

donc la misère des autres.


2 INTRODUCfION<br />

Pour échapper à cette langue de bois, nous avons choisi de passer<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> et l'action syndicale au crible du raisonnement<br />

économique. Nous pensons que l'analyse économique est une<br />

science et que sa rigueur permet d'éviter <strong>les</strong> écueils de la subjectivité<br />

humaine. Sa grande vertu est de contraindre à penser clairement.<br />

La fonction de l'analyse économique est de comprendre<br />

comment fonctionnent <strong>les</strong> marchés, y compris le marché du travail.<br />

Comment <strong>les</strong> salaires, mais aussi <strong>les</strong> heures et <strong>les</strong> conditions de<br />

travail, sont-ils déterminés Quels sont <strong>les</strong> effets de l'interférence des<br />

<strong>syndicats</strong> et du gouvernement dans le fonctionnement du marché du<br />

travail Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> conséquences de l'action syndicale <strong>sur</strong><br />

l'évolution du niveau de vie, la productivité, la bataille pour l'emploi,<br />

<strong>les</strong> grandes évolutions macroéconomiques Notre propos n'est pas<br />

d'approuver ou de condamner <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, de <strong>les</strong> encenser de nos<br />

louanges ou, au contraire, d'y voir automatiquement le diable; mais<br />

d'apporter à ces <strong>questions</strong> des réponses aussi dépourvues que possible<br />

de toute passion partisane. Notre règle sera autant que faire se peut<br />

celle de l'impartialité scientifique.<br />

Bien sûr nos conclusions seront contestées. Mais nous ne craignons<br />

pas <strong>les</strong> critiques. Au contraire, nous nous en réjouissons si le<br />

débat permet d'avancer dans une meilleure connaissance des faits et<br />

des théories. Notre livre est le résultat d'un effort d'analyse rationnelle<br />

aussi honnête et sincère qu'il est possible d'espérer. Nous attendons<br />

de ceux qui ne seront pas d'accord avec nos interprétations et<br />

nourriront la polémique d'en faire au moins autant.<br />

Beaucoup d'ouvrages ont déjà été écrits <strong>sur</strong> <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>. Le sujet<br />

a été abordé sous ses ang<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus divers. Les analyses économiques,<br />

sociologiques, historiques, psychologiques, politiques des <strong>syndicats</strong><br />

couvrent des rayons entiers de bibliothèques.<br />

Alors pourquoi encore un livre Pour la raison simple que, quels<br />

que soient son volume et sa qualité, le bilan de cette littérature n'est<br />

en réalité guère satisfaisant. Il s'agit le plus souvent de livres purement<br />

factuels, ou simplement des panégyriques. On n 'y trouve guère<br />

d'essai d'explication réellement objectif du fait syndical et de son rôle<br />

dans nos sociétés occidenta<strong>les</strong>. Que <strong>les</strong> auteurs soient de droite ou de<br />

gauche, aucun ne songe à remettre en cause l'idée que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> se<br />

justifient par le besoin de « rééquilibrer» <strong>les</strong> relations entre employés


INTRODUCI'ION 3<br />

et employeurs. Tous partent du postulat implicite que le syndicalisme<br />

est le nécessaire contrepoids aux «excès du capitalisme». La sympathie<br />

naturelle que chacun éprouve pour <strong>les</strong> plus malheureux conduit<br />

à la répétition automatique de dogmes que personne ne songe plus à<br />

discuter - même lorsqu'on peut, par le seul raisonnement logique,<br />

démontrer qu'ils sont par essence profondément discutab<strong>les</strong>.<br />

Nous pensons qu'il est nécessaire de remettre un peu d'ordre dans<br />

cette pensée. En quelque sorte de tout reprendre à zéro. C'est ainsi<br />

que nous n'hésiterons pas à reposer <strong>les</strong> <strong>questions</strong> <strong>les</strong> plus élémentaires<br />

quant à l'existence des <strong>syndicats</strong>. En revanche, notre livre n'est<br />

pas un commentaire <strong>sur</strong> l'actualité des <strong>syndicats</strong> en France, ou dans<br />

<strong>les</strong> autres pays. Les faits, <strong>les</strong> tendances n'apparaîtront qu'à l'occasion<br />

de développements théoriques dont ils confirment, ou infirment le<br />

contenu.<br />

La science économique a beaucoup progressé au cours des dix ou<br />

vingt dernières années. De nombreux concepts ont été introduits qui<br />

changent souvent radicalement la perception que l'on a de l'existence<br />

de certaines institutions. Ces nouvel<strong>les</strong> analyses ont été appliquées à<br />

la critique de l'État et des réglementations publiques. El<strong>les</strong> ont révolutionné<br />

la théorie des phénomènes de concurrence. El<strong>les</strong> conduisent à<br />

jeter un tout autre regard <strong>sur</strong> de nombreuses structures et pratiques<br />

industriel<strong>les</strong> généralement condamnées par <strong>les</strong> pouvoir publics. El<strong>les</strong><br />

conduisent enfin à reconsidérer un certain nombre de thèses sociologiques<br />

traditionnel<strong>les</strong>.<br />

Notre objectif est de démontrer que le modèle d'analyse économique<br />

des <strong>syndicats</strong> est aujourd'hui vraisemblablement le plus<br />

fécond de tous <strong>les</strong> schémas d'interprétation. C'est celui qui, à partir<br />

d'une théorie relativement simple et cohérente, permet de rendre<br />

compte du plus grand nombre de phénomènes observés. De tous <strong>les</strong><br />

paradigmes concurrents pour comprendre le monde syndical, c'est<br />

en quelque sorte le plus «enveloppant », le plus «englobant ». Cela<br />

ne suffit peut-être pas pour établir la preuve de sa « vérité». Mais c'est<br />

un pas sdentifique important qui a été ainsi accompli, et qui méritait,<br />

selon nous, d'être porté à la connaissance du public français.<br />

Ce livre est découpé en cinq chapitres, qui sont autant de <strong>questions</strong><br />

fondamenta<strong>les</strong> que tout homme honnête doit se poser pour se


4 INTRODUcrION<br />

faire une opinion personnelle <strong>sur</strong> <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> et leur influence dans<br />

le monde moderne.<br />

Première question: Pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> Si <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont<br />

là, ce n'est pas par hasard. Les institutions n'apparaissent jamais par<br />

hasard. El<strong>les</strong> répondent à un besoin. Lequel Qui donc a besoin des<br />

<strong>syndicats</strong> et pour quoi faire<br />

Deuxième question: Les <strong>syndicats</strong> sont-ils un bien ou un mal<br />

Que rapportent-ils réellement aux salariés Quel<strong>les</strong> conséquences<br />

entraînent-ils au niveau de la gestion et de la compétitivité des entreprises<br />

Ont-ils une influence positive <strong>sur</strong> l'emploi, <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires, la<br />

productivité ... <br />

Troisième question: Pourrait-on se passer des <strong>syndicats</strong> Le<br />

mouvement syndical a joué un rôle essentiel dans le développement<br />

des procédures de négociation collective, ainsi que dans l'élaboration<br />

d'un système complet de droit du travail. Qu'est-ce que <strong>les</strong><br />

citoyens en retirent Quels sont ceux qui en bénéficient<br />

Quatrième question: Quels effets l'action syndicale a-t-elle au<br />

niveau macroéconomique Les <strong>syndicats</strong> sont-ils facteurs de croissance<br />

Permettent-ils d'obtenir des niveaux de vie plus élevés<br />

Contribuent-ils à accroître l'emploi et à limiter le chômage La grève<br />

est-elle vraiment utile<br />

<strong>Cinq</strong>uième question: Peut-on contrôler l'action syndicale Si<br />

l'on doit recourir aux <strong>syndicats</strong>, cela leur donne-t-il un pouvoir<br />

absolu Qui va faire contrepoids aux leaders syndicaux: la base, ou<br />

le pouvoir politique<br />

La réponse à ces <strong>questions</strong>, c'est dans l'analyse économique que<br />

nous proposons de la trouver.<br />

Science des choix, science des comportements, science des<br />

intérêts, l'économie nous renseigne <strong>sur</strong> la façon dont <strong>les</strong> actions<br />

humaines conduisent à des résultats plus ou moins attendus par <strong>les</strong><br />

individus concernés. Elle nous oblige à aller au-delà des apparences<br />

pour comprendre ce qui se passe en profondeur. C'est ce que nous<br />

avons essayé de faire.


1<br />

Pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

Quel est le rôle, la fonction des <strong>syndicats</strong> La réponse paraît<br />

simple. Les <strong>syndicats</strong> sont là pour protéger <strong>les</strong> travailleurs contre <strong>les</strong><br />

«excès du capitalisme ». Il s'agit en quelque sorte de «rééquilibrer»<br />

le pouvoir des employeurs <strong>sur</strong> leurs employés. Grâce à cette action<br />

bénéfique des <strong>syndicats</strong>, <strong>les</strong> travailleurs bénéficient aujourd'hui d'un<br />

salaire et d'un niveau de vie plus élevés.<br />

Tel est le stéréotype que nous avons l'intention d'analyser.<br />

La vérité est plus prosaïque. Les <strong>syndicats</strong> ne sont pas autre chose<br />

que des « cartels» qui cherchent à obtenir le contrôle monopolistique<br />

du marché du travail pour avantager leurs membres.<br />

Cette hypothèse permet d'expliquer un grand nombre de traits<br />

caractéristiques de notre univers institutionnel contemporain.<br />

Dans un premier temps nous montrerons <strong>les</strong> limites des justifications<br />

habituellement données à l'existence et à l'action des <strong>syndicats</strong>.<br />

Nous décrirons ensuite la logique cartellisatrice des organisations<br />

syndica<strong>les</strong> et nous passerons en revue la liste des moyens dont el<strong>les</strong><br />

disposent pour réussir. Nous verrons alors comment celle-ci permet<br />

de mieux comprendre la nature cachée d'un certain nombre<br />

d'institutions et de comportements sociaux contemporains.<br />

Pour terminer, nous verrons comment l'approche économique<br />

moderne permet également de dire un certain nombre de choses <strong>sur</strong>


6 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

l'organisation et la structure des mouvements syndicaux qui recoupent<br />

d'assez près l'expérience présente et passée.<br />

Notre conclusion est que <strong>les</strong> justifications généralement invoquées<br />

par l'idéologie syndicale traditionnelle reposent <strong>sur</strong> d'énormes<br />

erreurs de raisonnement, ainsi que <strong>sur</strong> des artifices de langage dont la<br />

seule fonction est de nous empêcher de penser.<br />

Toute organisation a besoin d'un discours qui la légitimise, tant<br />

aux yeux de ses militants que pour l'opinion publique. De même<br />

qu'une personne ne fait pas toujours ce qu'elle dit, une organisation<br />

humaine ne remplit pas nécessairement le rôle qu'elle se donne et<br />

que <strong>les</strong> gens portent habituellement à son crédit. Le mérite de<br />

l'analyse économique est d'aider à faire le tri entre ce qui est vrai et ce<br />

qui relève seulement de la langue de bois. C'est ce que nous allons<br />

essayer d'appliquer.<br />

L'ARGUMENT DE L'ASSYMÉTRIE DE POUVOIR<br />

L'argument central généralement utilisé pour justifier l'existence<br />

des <strong>syndicats</strong> concerne la relation « assymétrique» qui caractériserait<br />

<strong>les</strong> rapports entre l'employé (seul, isolé, et donc impuissant) et son<br />

employeur (riche, donc puissant). Le syndicat, en permettant aux<br />

travailleurs de «faire bloc», renverserait <strong>les</strong> termes de cette assymétrie.<br />

Il éviterait ainsi que <strong>les</strong> patrons continuent d'« exploiter» leurs<br />

salariés.<br />

Cet argument est abondamment repris dans toute la littérature.<br />

On le trouvait déjà chez le père fondateur de l'économie politique,<br />

Adam Smith:<br />

Le prix habituel du travail dépend partout du contrat passé entre deux<br />

parties dont <strong>les</strong> intérêts ne sont pas <strong>les</strong> mêmes. L'employé désire obtenir<br />

le plus possible, l'employeur donner le moins possible. Le premier est<br />

prêt à créer une entente pour élever le salaire, le second est prêt à faire de<br />

même pour baisser le salaire ... Ce n'est pas difficile, en conséquence, de<br />

deviner laquelle des deux parties aura l'avantage dans ce conflit ... Les<br />

employeurs, peu nombreux, peuvent s'entendre aisément; et la loi<br />

n'interdit pas ces conspirations, alors qu'elle le fait pour <strong>les</strong> travailleurs ...<br />

le propriétaire terrien, l'agriculteur, un industriel, un commerçant, même


POURQUOI LES SYNDICATS 7<br />

s'il n'emploie pas qu'un seul ouvrier, peuvent vivre une année ou deux<br />

<strong>sur</strong> leurs stocks qu'ils ont déjà acquis. Beaucoup de travailleurs ne peuvent<br />

subsister une semaine, quelques-un un mois, et rarement une année<br />

sans emploi [1741" .<br />

L'un peut tout, l'autre ne peut rien<br />

Quelques années plus tard, l'économiste français Jean-Baptiste<br />

Say écrivait:<br />

Le maître et l'ouvrier ont bien également besoin l'un de l'autre puisque<br />

l'un ne peut faire aucun profit sans le secours de l'autre; mais le besoin<br />

du maître est moins immédiat, moins prenant. Il en est peu qui ne puissent<br />

vivre plusieurs mois, plusieurs années même, sans faire travailler un<br />

seul ouvrier; tandis qu'il est peu d'ouvriers qui puissent, sans être réduits<br />

aux dernières extrémités, passer plusieurs semaines sans ouvrage. Il est<br />

bien difficile que cette différence de position n'influe pas <strong>sur</strong> le règlement<br />

du salaire [168].<br />

On retrouve l'idée exprimée en toutes lettres dans de nombreux<br />

textes officiels ayant rapport à la législation du travail. Par exemple<br />

dans le Rapport du Sénat américain qui a précédé le vote du Noms La<br />

Guardia Act de 1932 :<br />

Un simple travailleur isolé, confronté à une telle concentration du pouvoir<br />

de l'employeur, et qui doit trouver du travail pour se nourrir lui et sa<br />

famille, est absolument sans secours pour négocier ou espérer influencer<br />

le salaire, le nombre d'heures de travail et <strong>les</strong> conditions d'emploi (161).<br />

Cette inégalité justifierait la légalisation des ententes entre travailleurs.<br />

En se regroupant en <strong>syndicats</strong>, <strong>les</strong> travailleurs limiteraient <strong>les</strong><br />

inconvénients de leur dispersion et de leur isolement. Au Big<br />

Business s'opposerait ainsi le Big Labour. En remplaçant la<br />

négociation individuelle des contrats par des accords collectifs,<br />

l'intervention des <strong>syndicats</strong> rétablirait un plus grand, et plus juste<br />

équilibre. Grâce au syndicat, acteur collectif, le travailleur ne ser~it<br />

• Les chiffres entre crochets reportent i la bibliographie en fm d'ouvrage.


8 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

plus un être sans défense; mais un homme ayant retrouvé sa pleine<br />

dignité.<br />

Ainsi exprimée, cette justification paraît aller de soi. Rares sont<br />

ceux qui songent à la contester, Nous paraissons tous convaincus que,<br />

sans la puissance des <strong>syndicats</strong>, bien des ouvriers en seraient encore<br />

aux salaires de misère de leurs grands parents. En modifiant la distribution<br />

des revenus, l'existence des <strong>syndicats</strong> aurait empêché que<br />

<strong>les</strong> «capitalistes» ne gardent pour eux tous <strong>les</strong> gains de la croissance.<br />

Tel est le dogme que notre langage véhicule quotidiennement en<br />

décrivant <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> comme «le moteur» du progrès sodai.<br />

Une étude attentive de sa structure interne révèle cependant que<br />

cet argument repose en réalité <strong>sur</strong> des bases conceptuel<strong>les</strong> fragi<strong>les</strong> et<br />

contestab<strong>les</strong>.<br />

Première affirmation: Le marché libre se traduirait par une sorte de<br />

« conspiration Il des employeurs pour maintenir <strong>les</strong> salaires d leurs<br />

niveaux <strong>les</strong> plus bas.<br />

Si c'était vrai, on ne voit pas très bien comment <strong>les</strong> salaires réels<br />

auraient progressé comme ils l'ont fait depuis la révolution industrielle.<br />

Les marxistes répondent que c'est prédsément parce qu'il y a des<br />

<strong>syndicats</strong> que <strong>les</strong> masses populaires ont arraché aux coalitions patrona<strong>les</strong><br />

<strong>les</strong> progrès de niveau de vie qui leur ont fait franchir le simple<br />

seuil de <strong>sur</strong>vie.<br />

Mais encore faudrait-il trouver <strong>les</strong> preuves effectives de<br />

l'existence de tels cartels. Or <strong>les</strong> historiens spédalistes de l'économie<br />

du XIxe siècle reconnaissent que jusqu'aux dernières années du siècle,<br />

lorsque l'intervention de l'État dans l'économie a commencé à se<br />

généraliser, <strong>les</strong> cartels étaient rarissimes. L'industriel de cette<br />

époque, conformément à l'image des manuels, était un individualiste<br />

forcené. Les seuls cas de cartellisation recensés s'expliquaient<br />

comme des réponses à des mouvements de grèves violentes. Et l'on a<br />

d'amp<strong>les</strong> preuves qu'à l'époque <strong>les</strong> premiers à se plaindre de<br />

l'insuffISante cartellisation de leurs employeurs étaient <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

ouvriers eux-mêmes (désireux de se défendre contre la concurrence<br />

des ouvriers non syndiqués et de tous ceux qui étaient prêts à accepter


POURQUOI LES SYNDICATS 9<br />

un salaire moindre pour obtenir leur ticket d'entrée <strong>sur</strong> le marché du<br />

travail) [88-89].<br />

Cette idée qu'un marché libre confère aux employeurs une sorte<br />

de super-pouvoir de négociation et de décision est le reflet d'une<br />

incapacité à comprendre que le libre jeu de la concurrence privée est<br />

encore le plus efficace des contrepoids à toute forme de pouvoir.<br />

L'hypothèse avait une certaine cohérence lorsque <strong>les</strong><br />

économistes du XIXe siècle croyaient encore à la vieille loi d'airain<br />

des salaires, dictée par la théorie classique du « salaire naturel»<br />

(Malthus, Ricardo). Elle avait sa place dans la théorie dite du « fonds<br />

de salaire», élaborée par Stuart Mill. Mais elle n'a plus aucune signification<br />

dès lors que ces théories ont été abandonnées, non seulement<br />

parce qu'el<strong>les</strong> ne s'appliquent plus à notre univers industriel<br />

moderne, mais aussi et <strong>sur</strong>tout parce que la « révolution marginaliste»<br />

a démontré qu'el<strong>les</strong> étaient tout simplement fausses.<br />

Le travatl n'est pas une« denrée» homogène<br />

Lorsque, à défaut d'incriminer l'action de véritab<strong>les</strong> cartels, on se<br />

rabat <strong>sur</strong> l'hypothèse qu'il y aurait une sorte de « coalition<br />

implicite », ce que l'on exprime n'est pas autre chose que la vérité<br />

d'évidence selon laquelle, dans une société qui reconnaît et garantit<br />

la liberté d'entreprendre, <strong>les</strong> employeurs ne paieront pas leurs<br />

employés plus que ce qu'ils croient nécessaires de leur offrir pour<br />

obtenir qu'ils viennent travailler dans leur entreprise plutôt que chez<br />

<strong>les</strong> concurrents.<br />

On retrouve la loi de la productivité marginale; en économie de<br />

marché le taux de salaire s'établit nécessairement entre deux limites:<br />

d'une part, la limite supérieure fixée par le prix que l'entreprise pense<br />

obtenir du supplément de biens vendab<strong>les</strong> qu'elle compte tirer de<br />

l'emploi du travailleur considéré; d'autre part, la limite inférieure<br />

posée par <strong>les</strong> offres des employeurs concurrents, eux-mêmes guidés<br />

par des considérations analogues, et en dessous de laquelle l'offre de<br />

travail décroîtrait au point de rendre impossible la production<br />

envisagée.<br />

Ce que certains interprètent comme la manifestation d'une<br />

« entente implicite» - à savoir: que dans toutes <strong>les</strong> entreprises


10 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

concurrentes <strong>les</strong> salaires offerts soient à peu près <strong>les</strong> mêmes - n'est<br />

que le produit de la contrainte naturelle qu'impose aux entrepreneurs<br />

le fait que le travail est une ressource rare et que <strong>les</strong> entreprises sont<br />

el<strong>les</strong>-mêmes en concurrence entre el<strong>les</strong> pour s'arracher le concours<br />

des travailleurs dont el<strong>les</strong> ont besoin.<br />

Cene contrainte est aujourd'hui d'autant plus lourde et sévère que<br />

le travail est lui-même loin d'être une ressource homogène et indifférenciée<br />

: il n'y a pas « un marché» du travail, mais une multiplicité de<br />

rnicro-marchés connectés <strong>les</strong> uns aux autres par la concurrence que<br />

se font <strong>les</strong> groupes professionnels pour recruter et former ceux qui<br />

arrivent dans la vie active.<br />

S'il existe quelque part une conspiration « implicite », c'est celle<br />

de la concurrence dont <strong>les</strong> effets s'exercent dans un sens exactement<br />

opposé à celui décrit par la doctrine de l'exploitation monopoliste<br />

des travailleurs; et cela parce que, ainsi que le souligne von Mises:<br />

« La rareté du travail est plus forte que la rareté de la plupart des facteurs<br />

primaires de production, ceux fournis par la nature» 11311.<br />

Deuxième affirmation : Le candidat tl un emploi est par déftnmon<br />

un Dire dAsarmé qui ne peut <strong>sur</strong>vivre que s '11 arrive tl vendre son<br />

travail tl n'importe quel prix, aussi bas soU-il, car 11 n'a pas d'autre<br />

moyen de subststance.<br />

L'image a un contenu émotionnel intense, et donc mobilisateur.<br />

Elle est directement héritée des théories économiques classiques du<br />

xrxe siècle, reconnues comme fausses depuis maintenant plus de cent<br />

ans.<br />

A cela plusieurs répliques.<br />

Si vraiment le travailleur était aussi dépourvu de réserves, si son<br />

sort était aussi misérable qu'il ne peut <strong>sur</strong>vivre sans s'employer à<br />

n'importe quel prix, le chômage ne devrait pas exister puisque tout<br />

chômeur serait contraint d'acccepter n'importe quel travail, à<br />

n'importe quel salaire, aussi bas soit-il. Paradoxalement, la présence<br />

de chômeurs même dans des sociétés sans protection sociale, est en<br />

soi une indication de ce que <strong>les</strong> choses ne se passent pas comme el<strong>les</strong><br />

sont décrites; un indice que le pouvoir de l'employeur n'est pas aussi<br />

illimité que la théorie le suppose.


POURQUOI LES SYNDICATS 11<br />

Un vol de concept<br />

Si l'hypothèse était vraie, la population ouvrière devrait être particulièrement<br />

immobile, tant professionnellement que géographiquement.<br />

Or <strong>les</strong> études historiques montrent que la mobilité ouvrière a<br />

toujours été loin d'être négligeable, même à l'époque où l'exploitation<br />

capitaliste est supposée avoir atteint son apogée.<br />

L'exploitation du travailleur, nous dit-on, vient de ce que rien ne<br />

le protégeant contre une menace de licenciement, il se trouve<br />

contraint d'accepter <strong>les</strong> offres de son employeur, même lorsqu'il lui<br />

propose un taux de rémunération inférieur à celui du marché - alors<br />

que le propriétaire d'une ressource tangible peut se défendre en retirant<br />

son offre, et attendre des jours meilleurs.<br />

Dans ces conditions, l'action syndicale, et notamment la grève<br />

(c'est-à-dire l'équivalent de la rétention d'offre), représenterait le<br />

moyen de rétablir l'équilibre et de remettre celui qui apporte son travail<br />

à égalité de condition avec <strong>les</strong> autres apporteurs de facteurs de<br />

production.<br />

Ce raisonnement a une certaine valeur au niveau « microéconomique<br />

». Bien que tous <strong>les</strong> travailleurs ne se trouvent pas nécessairement<br />

dans <strong>les</strong> situations identiques, il est possible d'imaginer<br />

l'existence de situations de ce genre. Les <strong>syndicats</strong> ont alors un rôle<br />

incontestablement positif à jouer dans l'entreprise pour attirer<br />

l'attention des employeurs <strong>sur</strong> <strong>les</strong> cas sociaux <strong>les</strong> plus significatifs, et<br />

as<strong>sur</strong>er leur défense. Le syndicat est une institution qui permet de<br />

compenser <strong>les</strong> handicaps personnels subis <strong>sur</strong> le marché du travail<br />

par ceux qui sont <strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong> et <strong>les</strong> plus démunis.<br />

Mais il ne faut pas en tirer tpso facto la conclusion que ce qui est<br />

vrai au niveau « micro» l'est nécessairement au niveau « macro» ;<br />

autrement dit, que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont l'institution qui permet de<br />

compenser <strong>les</strong> handicaps de l'ensemble des apporteurs de travail<br />

«en général », et donc leur permet de ne plus se faire exploiter collectivement.<br />

La raison est simple. La menace de licenciement ne joue que <strong>sur</strong><br />

des individus ou de petits groupes. Elle ne peut s'appliquer à<br />

l'ensemble de la classe ouvrière. Les employeurs ne peuvent pas


12 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

licencier tous leurs employés pour <strong>les</strong> contraindre à accepter des<br />

salaires plus bas. Il n'y aurait tout simplement plus de produit, et plus<br />

d'entreprise.<br />

Invoquer la défense et la protection que, dans l'entreprise, le<br />

syndicat apporte à certains, pour généraliser et prétendre que la présence<br />

des <strong>syndicats</strong> est ce qui, dans une économie de libre<br />

entreprise, empêche <strong>les</strong> patrons de réduire <strong>les</strong> salaires au plus bas, est<br />

donc rien moins qu'ab<strong>sur</strong>de.<br />

Il s'agit d'une proposition qui n'a aucun fondement. Elle résulte<br />

d'une manipulation logique bien connue : on prend une proposition<br />

qui est vraie dans un certain contexte, et on l'étend à un autre<br />

contexte, qui présente des similarités apparentes avec le premier,<br />

mais où la proposition avancée devient inapplicable. C'est ce qu'on<br />

appelle un «vol de concept».<br />

Toute l'astuce du syndicalisme est de prêter aux <strong>syndicats</strong> une<br />

fonction - la protection des travailleurs (en général) contre leur<br />

exploitation par <strong>les</strong> employeurs (en général) - qui, dans la réalité,<br />

est as<strong>sur</strong>ée par le système concurrentiel; c'est-à-dire la concurrence<br />

des employeurs entre eux pour acquérir <strong>les</strong> facteurs de production, et<br />

notamment le volume et la qualité de travail nécessaires à la réalisation<br />

de leurs projets.<br />

Troisième affirmation: <strong>les</strong> employeurs sont totalement maftres des<br />

condtttons tntroduUes dans le contrat de travatl.<br />

Notons par ailleurs le caractère contestable de concepts aussi<br />

vagues et confus que ceux d'« égalité» ou d'« inégalité », appliqués<br />

aux rapports contractuels entre employeurs et employés.<br />

Si <strong>les</strong> partenaires étaient vraiment «égaux », si l'idéal était d'obtenir<br />

que l'un et l'autre aient vraiment le même pouvoir de négociation,<br />

le produit des activités productives serait réparti «à égalité» entre <strong>les</strong><br />

deux partenaires. Ce qui est ab<strong>sur</strong>de. Un produit ne peut pas faire<br />

l'objet d'autant de partages à 50/50 qu'il y a de salariés.<br />

On retrouve un autre cas de «vol de concept» où une relation qui<br />

a un sens dans une situation donnée Ge face à face de deux individus<br />

dans une négociation) est généralisée, par un faux mouvement<br />

d'abstraction à un cas de figure qui n'a plus aucune signification: le<br />

passage du face à face entre un employeur X et un travailleur Y à la


POURQUOI LES SYNDICATS 13<br />

relation « abstraite» entre un employeur «en général» et un employé<br />

« en général ».<br />

Ainsi que le souligne le regretté professeur William Hutt, il s'agit<br />

d'artifices de langage «dont la seule fonction est de nous empêcher<br />

de penser» [88).<br />

Il est exact que le salarié, en tant qu'individu, n'a qu'une influence<br />

négligeable <strong>sur</strong> <strong>les</strong> clauses du contrat qui le lient à son employeur.<br />

Mais cela ne signifie pas que ce dernier a le pouvoir d'imposer à ses<br />

employés n'importe quelle clause, le salarié n'ayant le choix qu'entre<br />

obéir et mourir de faim.<br />

Ne pas confondre le général et le particulier<br />

Prenons le consommateur. Individuellement, il n'a pratiquement<br />

aucun pouvoir pour modifier <strong>les</strong> dédsions des fabricants <strong>sur</strong> le choix<br />

des produits, leur qualité, leur présentation commerciale, etc.<br />

Les producteurs, du fait de la concurrence, ne sont pas pour<br />

autant libres de fabriquer n'importe quoi, au prix qui leur plaisent.<br />

Pour vendre, ils doivent fabriquer ce qui plaît au plus grand nombre.<br />

Les caractéristiques des produits résultent ainsi d'un processus<br />

complexe où interviennent <strong>les</strong> décisions d'innombrab<strong>les</strong> personnes.<br />

El<strong>les</strong> sont le produit de « phénomènes de masse» qui ne sont que peu<br />

susceptib<strong>les</strong> d'être modifiés par un individu isolé. Si le consommateur<br />

individuel est apparemment « impuissant» face au fabricant, il<br />

n'est pas plus libre de ses décisions que le consommateur n'a le pouvoir<br />

de <strong>les</strong> modifier.<br />

Il en va exactement de même <strong>sur</strong> le marché du travail. Ce n'est<br />

pas le demandeur d'emploi individuel, mais la masse des<br />

demandeurs d'emplois dont <strong>les</strong> préférences déterminent <strong>les</strong> termes<br />

du contrat de travail.<br />

Les employeurs ne demandent pas du «travail en général », mais<br />

des hommes aptes à accomplir le genre de travail dont ils ont besoin.<br />

De même que l'entrepreneur doit choisir pour ses ateliers<br />

l'implantation, l'équipement et <strong>les</strong> matériaux <strong>les</strong> meilleurs, il lui faut<br />

embaucher <strong>les</strong> travailleurs <strong>les</strong> plus efficaces. Il doit aménager <strong>les</strong><br />

conditions de travail de façon à <strong>les</strong> rendre désirab<strong>les</strong> au genre de travailleur<br />

qu'il souhaite plus particulièrement attirer.


14 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Il est exact que celui-ci, individuellement, n'a pas grand-chose à<br />

dire à propos de ces dispositions. S'il est d'usage de déjeuner entre<br />

midi et une heure, l'ouvrier qui, personnellement, préfère s'arrêter<br />

entre deux et trois heures, a peu de chances de voir sa préférence<br />

satisfaite. Mais, à l'inverse, s'il veut trouver <strong>sur</strong> le marché la spécialité<br />

et la qualité de main-d'œuvre qu'il recherche, l'employeur n'est pas<br />

libre d'imposer arbitrairement n'importe quel règlement interne. La<br />

«pression sociale», à laquelle l'individu pris isolément est ainsi<br />

soumis, n'est pas le fait de son employeur mais de ses collègues de<br />

travail.<br />

Pour <strong>les</strong> travailleurs pris individuellement, <strong>les</strong> clauses du contrat<br />

de travail sont évidemment un donné inaltérable, comme l'horaire<br />

de chemin de fer l'est pour <strong>les</strong> voyageurs individuels. Mais personne<br />

ne soutiendrait qu'en arrêtant leurs horaires <strong>les</strong> compagnies ne se<br />

soucient pas des désirs de leurs clients potentiels.<br />

L'employeur ne peut pas imposer n'importe quoi<br />

Là encore l'erreur vient de ce qu'une relation qui est vraie au<br />

niveau de l'individu pris isolément, ne l'est plus dès lors que l'on<br />

passe à l'ensemble des personnes.<br />

On appelle cela un «effet de système». Il est paradoxal que ce soit<br />

précisément ceux qui, dans <strong>les</strong> milieux intellectuels, se réclament le<br />

plus de l'esprit systémique qui aient le plus de mal à comprendre ce<br />

genre de situation.<br />

Plus spécifiquement, le raisonnement économique permet de<br />

mieux comprendre pourquoi il n'est pas de l'intérêt de l'entrepreneur,<br />

en situation de marché concurrentiel, d'imposer à ses<br />

employés une relation de « maître à esclave».<br />

L'employeur n'est pas le «seigneur» de l'employé. Il n'a pas de<br />

« droit de propriété» <strong>sur</strong> lui. Il n'est qu'un acheteur de services. Il doit<br />

se <strong>les</strong> procurer au prix qui s'établit <strong>sur</strong> le marché.<br />

Certes, comme n'importe quel acheteur, il peut avoir ses<br />

humeurs. Mais s'il se permet d'être arbitraire dans sa façon de<br />

contrôler le travail de ses salariés, il devra en payer <strong>les</strong> conséquences<br />

car il compromettra la profitabilité de sa firme.


POURQUOI LES SYNDICATS 15<br />

Il n'est pas dans l'intérêt de l'employeur d'exercer un contrôle<br />

arbitraire <strong>sur</strong> l'embauche ou <strong>sur</strong> le temps et l'effort au travail, ou<br />

d'imposer des termes au contrat de travail qui aillent à l'encontre du<br />

libre arbitre de l'employé.<br />

En effet, l'entreprise, lorsqu'elle embauche de la main-d'œuvre,<br />

supporte deux séries de coûts: 1) un « coût fixe» qui correspond aux<br />

dépenses de prospection, d'embauche et de formation au savoirfaire<br />

spécifique de la firme ; 2) un « coût variable» qui résulte de<br />

l'intensité avec laquelle on utilise <strong>les</strong> services des salariés.<br />

Comme <strong>les</strong> coûts fixes diminuent avec la durée d'utilisation, il<br />

n'est pas de l'intérêt de la firme de prendre le risque d'inciter ses<br />

salariés à la quitter prématurément en leur imposant des contrô<strong>les</strong><br />

trop capricieux, ou en <strong>les</strong> faisant trop travailler par rapport à leurs<br />

préférences spontanées.<br />

Son intérêt est notamment de s'efforcer de conserver à tout prix<br />

<strong>les</strong> salariés <strong>les</strong> plus anciens, qui ont acquis au cours des années une<br />

aptitude et une connaissance spécifiques liées à l'entreprise.<br />

Pour ce faire, une stratégie de « coopération» fondée <strong>sur</strong> le renforcement<br />

du loyalisme des salariés est préférable à toute politique de<br />

confrontation ouverte.<br />

Par exemple, pour réduire <strong>les</strong> départs, l'employeur peut<br />

proposer à ses salariés de mettre de côté une part de salaire différé qui<br />

ne leur sera versée qu'en fin de contrat, mais dont ils perdront le<br />

bénéfice s'ils quittent la firme. C'est le système des « pensions de<br />

retraite ».<br />

L'ARGUMENT DE L'INDÉTERMINATION DES SALAIRES<br />

Le second grand argument est une variante modernisée et techniquement<br />

plus élaborée du précédent.<br />

Dans l'abstrait, nous disent <strong>les</strong> manuels, le taux de salaire se fixe<br />

là où la courbe de productivité marginale du travail coupe la courbe<br />

d'offre de travail (des travailleurs). Mais, ajoutent aussitôt leurs<br />

auteurs, la réalité est loin de se présenter sous cette forme ultra simple


16 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

où l'intersection de deux courbes uniques se fait en un point déterminé.<br />

En fait, on a une famille de courbes d'offre et une famille de<br />

courbes de demande dont <strong>les</strong> intersections entraînent la possibilité<br />

de plusieurs taux de salaires.<br />

Tout ce que l'économiste est capable de dire a priori est que le<br />

taux de salaire doit s'établir à l'intérieur de certaines limites qui définissent<br />

une zone « d'indétermination ». Tout échange portant <strong>sur</strong> des<br />

biens et des services rencontre de tels problèmes d'indétermination.<br />

Il n'est que d'évoquer <strong>les</strong> marchandages qui se pratiquent dans <strong>les</strong><br />

souks des pays d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Suivant <strong>les</strong><br />

individus, leur personnalité, leur résistance psychologique, leur<br />

situation financière, etc., <strong>les</strong> prix auxquels on arrive en fin de négociation<br />

sont différents, et cela d'un jour à l'autre. Il n'en reste pas<br />

moins que ces <strong>questions</strong> d'indétermination, noyées dans la masse des<br />

transactions, sont considérées par <strong>les</strong> économistes, et avec raison,<br />

comme margina<strong>les</strong> et sans intérêt pour <strong>les</strong> problèmes qui <strong>les</strong> préoccupent.<br />

En revanche, dès lors qu'on parle de travail et de salaire, tout<br />

change. Les problèmes d'indétermination semblent reprendre une<br />

importance centrale. Et cela, nous laisse-t-on entendre, parce que le<br />

travail n'est pas une «marchandise» comme <strong>les</strong> autres, et que le<br />

« salaire» n'est pas non plus un prix ordinaire: le travailleur a<br />

absolument besoin de vendre sa force de travail pour vivre ; il ne peut<br />

pas attendre; il est faible, sans défense, sans réserves ... Le jeu est<br />

inégal.<br />

Cons~quence: même s'il existe une limite en dessous de laquelle<br />

l'employeur ne peut pas descendre, le déséquilibre dans la négociation<br />

fera que le salaire aura tendance à s'aligner <strong>sur</strong> le seuil le plus bas<br />

de la zone d'indétermination.<br />

D'où le rôle des «<strong>syndicats</strong>»: leur tâche, en rééquilibrant la<br />

négociation, est de ramener le taux effectif de salaire vers la limite<br />

supérieure. Leur fonction est en quelque sorte de veiller à ce que <strong>les</strong><br />

employeurs versent bien à leurs employés un salaire égal à leur<br />

«productivité marginale».


POURQUOI LES SYNDICATS 17<br />

On retrouve l'argument classique de 1'« imperfection» des marchés<br />

réels. Il appartiendrait à des organisations humaines de veiller à<br />

ce que le libre jeu de la concurrence conduise bel et bien aux résultats<br />

que postule la théorie de la concurrence pure et parfaite.<br />

Cene vision - que l'on retrouve même chez de nombreux auteurs<br />

pas particulièrement favorab<strong>les</strong> aux <strong>syndicats</strong> - présente <strong>les</strong> mêmes<br />

défauts que la précédente, dont elle partage le point de départ. Mais<br />

s'y ajoute une seconde difficulté.<br />

L'analyse laisse entendre que le marché du travail serait un marché<br />

particulier pour lequel l'écart entre <strong>les</strong> bornes maxi et mini aurait<br />

toujours tendance à être relativement large, et où la convergence se<br />

ferait toujours vers le bas.<br />

Ne serait-ce pas plutôt l'inverse<br />

Plus un marché est étroit, restreint à un petit nombre de personnes,<br />

plus le degré d'indétermination est grand. C'est une évidence.<br />

A la limite, lorsqu'il n'y a que deux échangeurs face à face,<br />

l'indétermination est totale. On peut obtenir n'importe quel prix.<br />

C'est la situation bien connue du « monopole bilatéral» (que la propagande<br />

marxiste étend de façon erronée - et inadmissible - au<br />

dialogue entre l'employeur et son employé).<br />

A l'inverse, plus le nombre de vendeurs et le nombre d'acheteurs<br />

en concurrence est grand, plus la zone d'indétermination se réduit -<br />

du fait que le plus grand nombre de contrats permet de faire circuler<br />

une information plus complète <strong>sur</strong> <strong>les</strong> exigences des uns et la capacité<br />

à payer des autres.<br />

L'~largtssement des marchés r~dutt l'tn~termtnatton<br />

En conséquence, s'il est vrai qu'autrefois le degré d'indétermination<br />

des salaires - et donc <strong>les</strong> possibilités d'« exploiter» la maind'œuvre<br />

- était parfois très large (exemple des communautés rura<strong>les</strong><br />

dominées par la présence d'un seul employeur, à une époque où <strong>les</strong><br />

communications étaient plus diffici<strong>les</strong>), on est en droit de penser que<br />

ce n'est plus autant le cas dans la société contemporaine. L'extension<br />

des sphères marchandes et monétaires y réduit le niveau de<br />

discrétion dont disposent <strong>les</strong> employeurs dans l'embauche de leur


18 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

personnel, au fur et à me<strong>sur</strong>e que la croissance des marchés élargit<br />

nos possibilités de choix et le nombre de personnes y prenant part.<br />

Par ailleurs, la doctrine de la manipulation monopolistique des<br />

taux de salaire par <strong>les</strong> employeurs raisonne comme si le travail était<br />

un bien «homogène ». Elle traite du travail «en général» et de l'offre<br />

de travail « en général».<br />

Mais, ainsi que nous l'avons déjà évoqué, de tel<strong>les</strong> notions ne<br />

correspondent à rien dans la réalité. Ce qui est vendu et acheté n'est<br />

pas du travail «en général », mais du travail spécifiquement adapté à<br />

la production de certains services déterminés.<br />

Chaque entrepreneur cherche des travailleurs qui soient aptes à<br />

exécuter des tâches précises. Il doit soustraire ces spécialistes à des<br />

emplois où ils se trouvent déjà. Le seul moyen dont il dispose pour<br />

réussir est de leur proposer de meilleures paies et lou de meilleures<br />

conditions de travail qu'ailleurs.<br />

Résultat: <strong>les</strong> progrès de l'industrie moderne s'accompagnent<br />

d'une diversification et d'une spécialisation toujours plus poussées de<br />

la main-d'œuvre. Ils se traduisent par une rareté croissante. Le<br />

travail, celui dont l'entreprise a besoin, le travail de gens formés et<br />

compétents, devient bel et bien la plus rare de toutes nos ressources,<br />

le plus rare de nos facteurs de production, celui pour lequel la<br />

concurrence entre <strong>les</strong> producteurs est la plus vive (la preuve: la<br />

progression continue du pouvoir d'achat des salaires par rapport à<br />

toutes <strong>les</strong> autres grandes ressources de base).<br />

Admettons qu'il y ait bel et bien une zone d'indétermination. Plus<br />

la concurrence entre <strong>les</strong> entreprises acheteuses de travail sera forte,<br />

plus il y aura de chance pour que <strong>les</strong> salaires s'alignent <strong>sur</strong> la borne la<br />

plus haute de la zone. Et cela sans qu'il soit besoin de faire appel aux<br />

services d'un syndicat quelconque.<br />

Notre conclusion est ainsi que, si le «progrès social» n'est autre<br />

que l'élimination des facteurs d'« exploitation », c'est encore le progrès<br />

de la société marchande et concurrentielle qui en est le meilleur<br />

agent.<br />

Plus la civilisation industrielle et marchande progresse, plus <strong>les</strong><br />

risques de manipulation monopolistique des taux de salaires se<br />

réduisent.


POURQUOI LES SYNDICATS 19<br />

Peut-on exploIter <strong>les</strong> patrons <br />

Pour <strong>les</strong> marxistes, l'exploitation ne se réduit pas à un comportement<br />

monopolistique dont l'objectif serait de verser des salaires plus<br />

bas. A leurs yeux, c'est tout le capitalisme qui est « exploitation» -<br />

c'est-à-dire appropriation injuste par <strong>les</strong> capitalistes de la plus-value<br />

produite par le travail. Même le profit normal, acquis dans des<br />

conditions norma<strong>les</strong> de concurrence, est le produit d'une extorsion.<br />

D'où une autre conception du syndicat dont le rôle serait d'aider <strong>les</strong><br />

masses ouvrières à « récupérer» la propriété de cette plus-value qui<br />

leur est quotidiennement « volée » par <strong>les</strong> patrons.<br />

De l'influence du marxisme découle l'idée dérivée que, sans<br />

exproprier totalement la propriété capitaliste, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> auraient<br />

pour fonction de récupérer, sous forme de salaires plus élevés, une<br />

part des profits qui vont au patronat. Grâce aux pressions que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> exercent <strong>sur</strong> <strong>les</strong> entreprises <strong>les</strong> salariés d'aujourd'hui bénéficieraient<br />

d'un niveau de vie supérieur à celui qui aurait été le leur si le<br />

pouvoir syndical n'avait modifié le jeu spontané des forces du marché.<br />

C'est la thèse sociale-démocrate.<br />

Elle n'affirme pas que ce sont exclusivement <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> qui ont<br />

libéré <strong>les</strong> ouvriers de leur misère séculaire. Elle dit seulement que, s'il<br />

n'y avait pas eu <strong>les</strong> syndicalistes, <strong>les</strong> capitalistes auraient mis dans leur<br />

poche tous <strong>les</strong> gains de la croissance, et n'auraient rien laissé aux<br />

salariés pour améliorer leur pouvoir d'achat. Moyennant quoi, s'il<br />

n'y avait eu le pouvoir des <strong>syndicats</strong>, <strong>les</strong> salariés disposeraient encore<br />

aujourd'hui d'un pouvoir d'achat très inférieur à ce qu'il est devenu<br />

grâce aux « conquêtes historiques de la classe ouvrière ».<br />

Cette présentation n'est pas moins erronée que la thèse marxiste.<br />

Elle revient en effet à supposer que la caractéristique fondamentale du<br />

syndicalisme serait de créer une situation telle que <strong>les</strong> travailleurs<br />

auraient la capacité durable d'exploiter à leur tour l'autre facteur de<br />

production que représente le « capital ».<br />

Or une telle hypothèse résiste encore moins à l'analyse que<br />

l'inverse.<br />

Imaginons qu'une industrie ou un syndicat (ou une coalition de<br />

<strong>syndicats</strong>) réussisse à imposer au patronat le paiement de salaires plus<br />

élevés que la productivité. Les salariés « kidnappent» en quelque


20 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

sorte une part du produit de l'activité conjointe qui aurait<br />

normalement été distribuée aux propriétaires des capitaux investis<br />

dans l'entreprise.<br />

Cette exploitation peut-elle durer La réponse est non. A cause<br />

de la mobilité des capitaux.<br />

Elle varie selon <strong>les</strong> activités. Si elle n'est jamais infinie (instantanée),<br />

elle n'est jamais non plus égale à zéro. Une industrie où le taux<br />

de profit se révélerait durablement inférieur à ceux que <strong>les</strong> détenteurs<br />

de capitaux peuvent réaliser en plaçant leur argent ailleurs, est une<br />

industrie condamnée. Les propriétaires se dégageront peu à peu de<br />

leur investissement en cessant de réinvestir et de moderniser <strong>les</strong> équipements.<br />

Certes, cela prendra du temps (cf. la sidérurgie, <strong>les</strong> mines ... ).<br />

Mais, dans le long terme, aucun des facteurs de production associés<br />

ne peut indéfiniment « exploiter» l'autre. Il n'y a que dans une société<br />

socialiste, ou en voie de socialisation, qu'une telle chose est possible.<br />

Les nationalisations, en as<strong>sur</strong>ant l'élimination des actionnaires privés,<br />

permettent la continuation du processus d'exploitation du<br />

capital par <strong>les</strong> salariés, en se débarrassant des contraintes capitalistes<br />

de la rentabilité.<br />

Un exemple: l'Argentine<br />

Il en est de même au niveau macroéconomique. Le précédent<br />

argentin, mais aussi l'exemple anglais (d'avant Madame Thatcher),<br />

prouvent qu'un mouvement ouvrier puissant ne peut pas<br />

« exploiter» durablement ses capitalistes sans provoquer à terme la<br />

ruine économique du pays.<br />

Des capitaux, qu'on ne rémunère pas à leur «juste» prix, désertent.<br />

S'ils ne le peuvent pas (pour cause de contrôle des prix), ils font<br />

comme <strong>les</strong> travailleurs que l'on sous-paie injustement: ils se mettent<br />

en grève!<br />

Le processus est plus subtil qu'une grève ouvrière: on investit<br />

dans <strong>les</strong> services, on spécule <strong>sur</strong> le bâtiment, <strong>les</strong> demeures de luxe,<br />

<strong>les</strong> œuvres d'art ... Mais le résultat est le même : une perte d'efficience<br />

générale, la disparition de la croissance, stagnation, régression du<br />

pouvoir d'achat.


POURQUOI LES SYNDICATS 21<br />

Le cas argentin est le plus exemplaire. Au lendemain de la<br />

Première Guerre mondiale, l'Argentine avait l'un des niveaux de vie<br />

<strong>les</strong> plus élevés du monde. En cinquante ans, le pays a régressé au<br />

niveau des pays sous-développés. La raison: le Péronisme, c'est-àdire<br />

le pouvoir aux <strong>syndicats</strong>.<br />

L'ARGUMENT DU PROGRÈS SOCIAL<br />

Troisième alibi syndical classique: <strong>les</strong> conditions de travail.<br />

Même s'ils reconnaissent que le progrès économique est le fruit<br />

des mécanismes « capitalistes », <strong>les</strong> partisans des <strong>syndicats</strong> insistent<br />

<strong>sur</strong> le fait que, laissé à lui-même, le capitalisme négligerait <strong>les</strong> facteurs<br />

sociaux, notamment tout ce qui concerne <strong>les</strong> conditions de travail.<br />

Pour eux, la longue liste des législations socia<strong>les</strong> introduites depuis la<br />

fin du XI:xe siècle est la preuve de ce que, si <strong>les</strong> conditions de travail<br />

n'ont plus rien à voir avec cel<strong>les</strong> du siècle dernier, on le doit à<br />

l'intervention publique, ainsi qu'à la pression des <strong>syndicats</strong>.<br />

Là encore, il ne s'agit que d'un mythe. Même si, au niveau<br />

microéconomique de l'entreprise «en particulier », le syndicat joue<br />

souvent un rôle important dans la prise de conscience des problèmes<br />

qui se posent à la communauté de travail, et dans leur solution, on ne<br />

peut pas en déduire que cela est également vrai au plan macroéconomique.<br />

De nouvel<strong>les</strong> aspirations se développent. De plus en plus nombreux<br />

sont ceux qui ressentent négativement que l'entreprise ne traite<br />

pas ses salariés avec le même soin dont elle fait preuve pour choyer sa<br />

clientèle de consommateurs. A côté des traditionnel<strong>les</strong> revendications<br />

salaria<strong>les</strong> apparaissent de nouvel<strong>les</strong> exigences. L'accent est mis<br />

<strong>sur</strong> <strong>les</strong> aspects « qualitatifs» de l'environnement physique au travail,<br />

<strong>sur</strong> la mise en place de nouvel<strong>les</strong> formes de rapports de pouvoir et<br />

d'organisation plus humaines, plus décentralisées et plus individualisées.


22 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

L'essor du marketing social<br />

L'attitude des gens est généralement de considérer qu'il existe, de<br />

par la nature même de notre système de propriété, une liaison univoque<br />

entre l'économie de marché de type capitaliste et le développement<br />

d'une organisation du travail de type taylorienne, toujours<br />

plus parcellaire, toujours plus aliénante pour le travailleur. Ce qui<br />

conduit à conclure que la satisfaction de ces nouvel<strong>les</strong> aspirations est<br />

impossible tant que l'on reste en régime capitaliste - ou tout au<br />

moins tant qu'on ne donne pas aux organisations «représentatives»<br />

de la classe ouvrière la possibilité d'en amender le fonctionnement.<br />

Cette proposition n'est rien moins que fausse. Pour la simple raison<br />

que dans une économie de marché où la <strong>sur</strong>vie de l'entreprise<br />

passe par le profit, la concurrence est là encore, comme pour <strong>les</strong><br />

biens marchands traditionnels, une contrainte dynamique qui<br />

impose à l'entrepreneur d'affecter une part croissante de ses ressources<br />

à la prise en compte de ces nouvel<strong>les</strong> demandes.<br />

Que se passe-t-il en effet lorsque le personnel d'une entreprise est<br />

de plus en plus mal dans sa peau, qu'il est de plus en plus insatisfait de<br />

ses conditions de travail, ou de son insertion personnelle dans <strong>les</strong><br />

processus de décision Des choses que tous <strong>les</strong> chefs d'entreprise<br />

connaissent bien: la main-d'œuvre est de plus en plus instable, elle<br />

manifeste une tendance à l'absentéisme plus marquée, cependant<br />

que la qualité du travail se dégrade.<br />

Ces phénomènes se répercutent <strong>sur</strong> le compte d'exploitation. Qui<br />

dit absentéisme, ou rotation anormale de la main-d'œuvre, dit aussi<br />

coûts de production plus élevés. Or, dans un univers concurrentiel,<br />

l'entreprise ne peut <strong>sur</strong>vivre que pour autant qu'elle cherche à obtenir<br />

<strong>les</strong> coûts <strong>les</strong> plus bas possible, en faisant la chasse aux économies.<br />

Parmi <strong>les</strong> économies possib<strong>les</strong>, il y a tout ce qui concerne<br />

l'innovation technique ou commerciale. Mais il y a aussi tout ce que<br />

pourrait produire une politique sociale destinée à éliminer - ou tout<br />

au moins à réduire -<strong>les</strong> <strong>sur</strong>coûts associés à l'absentéisme et aux phénomènes<br />

de même nature.<br />

En donnant à leurs salariés des conditions de travail mieux adaptées<br />

à leurs aspirations, en faisant ce que Octave Gélinier appelle du


POURQUOI LES SYNDICATS 23<br />

«marketing sodal », <strong>les</strong> entreprises peuvent agir <strong>sur</strong> cette source de<br />

coûts indus. Si son personnel est effectivement de plus en plus sensible<br />

à l'aspect qualitatif du travail et à son contenu, l'entreprise a de<br />

plus en plus intérêt à investir dans le marketing sodaI.<br />

Ne pas prêter aux syndtcats ce qut revtent au capttaltsme<br />

Tout ce qui précède relève d'un mécanisme de marché tout à fait<br />

classique. Dans ce domaine, comme dans le domaine mieux exploré<br />

des biens marchands, la concurrence est la meilleure garantie de<br />

satisfaction du consommateur, même s'il s'agit de ce consommateur<br />

particulier qu'est le travailleur.<br />

Plus nous vivons dans un milieu concurrentiel, plus <strong>les</strong><br />

travailleurs ont de chances de trouver dans l'entreprise ce qu'ils<br />

attendent.<br />

On rejoint, actualisée aux problèmes de la société contemporaine,<br />

la conclusion que le professeur Ludwig von Mises formulait<br />

avec force dans Human Action, au sujet des grandes « conquêtes<br />

soda <strong>les</strong> » de la fm du xnce siècle :<br />

Ce ne sont pas la législation du travail ni la pression des <strong>syndicats</strong> qui ont<br />

raccourci le temps de travail et retiré des ateliers <strong>les</strong> femmes mariées et <strong>les</strong><br />

enfants. C'est le capitalisme, car il a rendu le salarié si prospère qu'il est<br />

en me<strong>sur</strong>e de s'offrir davantage de loisir, pour lui-même et pour <strong>les</strong> siens.<br />

La législation du travail au XIx«' siècle n'a guère fait davantage que<br />

d'apporter la ratification de la loi :l. des changements que l'interaction des<br />

facteurs du marché avait préalablement introduits.<br />

Les économistes, conclut ensuite Mises, nient catégoriquement que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> et la législation ouvriériste des gouvernements aient été susceptib<strong>les</strong><br />

et capab<strong>les</strong> d'avantager durablement la classe entière des salariés<br />

et d'élever leur niveau de vie. Ce sont <strong>les</strong> succès et <strong>les</strong> mécanismes du<br />

capitalisme, et pas autre chose, qui ont non seulement rendu possible,<br />

mais aussi motivé l'introduction de bien de ces initiatives socia<strong>les</strong> que<br />

nous portons aujourd'hui au seul crédit de l'intervention du législateur<br />

ou des <strong>syndicats</strong>.


24 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

L'ARGUMENT DU POUVOIR D'ACHAT<br />

Ultime argument: <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont au moins un avantage ; en<br />

contraignant <strong>les</strong> entreprises à payer des salaires plus élevés, même si<br />

ces salaires ne sont pas financés par un <strong>sur</strong>croît de productivité, mais<br />

par des avances monétaires, ils créent un pouvoir d'achat supplémentaire<br />

qui soutient l'emploi et la croissance.<br />

Plus précisément, cet argument revient à affirmer qu'une hausse<br />

des taux de salaire est une condition préalable de l'expansion de la<br />

production. Si <strong>les</strong> taux de salaire ne montent pas, suppose-t-il, il ne<br />

sert de rien pour <strong>les</strong> affaires d'accroître la quantité ou d'améliorer la<br />

qualité des biens produits, car le <strong>sur</strong>croît de produits ne trouverait pas<br />

d'acheteurs, ou ceux qu'il trouverait devraient réduire leurs achats<br />

d'autres biens.<br />

Conclusion: la première chose nécessaire pour as<strong>sur</strong>er le progrès<br />

économique est de faire monter continuellement le taux des salaires.<br />

Le gouvernement et la pression des <strong>syndicats</strong> pour obtenir des<br />

hausses de salaires sont donc le principal instrument du progrès<br />

économique.<br />

La chaîne causale est invers~e<br />

R~ponse: cette argumentation de nature keynésienne résulte<br />

d'une interprétation erronée des relations causa<strong>les</strong>; il y a inversion<br />

des facteurs.<br />

La dynamique de la concurrence est de contraindre <strong>les</strong> entrepreneurs<br />

à rechercher en permanence de nouvel<strong>les</strong> techniques pour<br />

produire mieux et moins cher. C'est leur seul moyen de <strong>sur</strong>vie. Ils ne<br />

peuvent rester <strong>sur</strong> le marché qu'en réinvestissant leurs bénéfices dans<br />

le développement ou le renouvellement de leurs capacités de<br />

production.<br />

Mais ce serait une erreur de raisonner comme si l'entrepreneur<br />

pouvait se réserver pour lui seul l'intégralité des progrès qu'il réalise.<br />

Dans une économie de libre concurrence, une partie de ces bénéfices<br />

supplémentaires sera nécessairement distribuée aux autres facteurs de<br />

production, notamment aux salariés, sous forme d'augmentations<br />

salaria<strong>les</strong>.


POURQUOI LES SYNDICATS 25<br />

Pourquoi Tout simplement parce que l'investissement rend le<br />

travail plus productif. La productivité marginale des salariés est relevée<br />

d'autant. Le même apport de travail conduit à une plus grande<br />

quantité ou qualité de produits. Comme l'entrepreneur n'est pas seul<br />

à faire de tels investissements, s'il n'aligne pas <strong>les</strong> salaires de son personnel<br />

<strong>sur</strong> leur nouvelle productivité plus élevée, il verra peu à peu ses<br />

ouvriers le quitter, en commençant par <strong>les</strong> meilleurs. C'est ainsi<br />

qu'un investissement qui, au départ, est conçu pour accroître ou<br />

simplement restaurer la marge de profit de l'entrepreneur, entraîne<br />

dans son sillage une augmentation des salaires.<br />

La hausse des prix des facteurs complémentaires de production,<br />

et parmi eux en premier lieu des taux de salaires, n'est pas une<br />

concession que <strong>les</strong> entrepreneurs doivent faire de bon ou mauvais gré<br />

à leurs employés j mais un phénomène inévitable et nécessaire, dans<br />

la chaîne des événements successifs que doivent forcément entraîner<br />

<strong>les</strong> efforts des entrepreneurs en vue de faire des profits en ajustant<br />

l'offre de biens de consommation à la situation nouvelle.<br />

Le même processus qui débouche <strong>sur</strong> un excédent des profits de<br />

l'entrepreneur <strong>sur</strong> <strong>les</strong> pertes, suscite d'abord - c'est-à-dire avant<br />

l'apparition de cet excédent - une tendance à la hausse des taux de<br />

salaires et des prix des principaux matériaux de construction.<br />

C'est encore le même phénomène qui, dans la suite des événements,<br />

ferait disparaître cet excédent des profits <strong>sur</strong> <strong>les</strong> pertes si ne<br />

<strong>sur</strong>venaient pas de nouvel<strong>les</strong> modifications accroissant la masse des<br />

capitaux investis.<br />

Les deux phénomènes - hausse des prix des facteurs de production<br />

et excédent des profits <strong>sur</strong> <strong>les</strong> pertes - sont l'un et l'autre des<br />

phases du processus d'ajustement de la production à l'accroissement<br />

de la quantité de capitaux investis et aux modifications technologiques<br />

que <strong>les</strong> entrepreneurs mettent en œuvre.<br />

L'erreur de base de l'argument du pouvoir d'achat consiste en une<br />

fausse interprétation de la relation causale. Il tourne <strong>les</strong> choses sens<br />

dessus dessous en considérant la hausse des salaires comme la force<br />

motrice de l'amélioration économique.


26 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Le faux effet Ricardo<br />

Une version modifiée du même argument, bien qu'historiquement<br />

antérieure, apparaît dans la thèse de 1'« effet Ricardo».<br />

Ricardo fut l'auteur d'une thèse selon laquelle une hausse des<br />

salaires incite <strong>les</strong> capitalistes ~ substituer des machines ~ la maind'œuvre<br />

j d'où il résulterait, selon <strong>les</strong> apologistes du syndicalisme,<br />

qu'une politique de hausse des salaires, indépendamment de ce qu'ils<br />

auraient été <strong>sur</strong> un marché non entravé, serait toujours économiquement<br />

bénéfique. En forçant <strong>les</strong> employeurs récalcitrant ~ hausser <strong>les</strong><br />

taux de salaires, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> seraient ainsi <strong>les</strong> véritab<strong>les</strong> fourriers du<br />

progrès et de la prospérité.<br />

Ce théorème, comme ce qui précède, est le produit d'une<br />

énorme erreur de raisonnement économique.<br />

On y raisonne en effet comme si la collectivité disposait d'une<br />

masse de capitaux disponib<strong>les</strong> dans laquelle <strong>les</strong> entreprises pourraient<br />

librement puiser sans rien changer de ce qui est. Ce qui, en<br />

temps normaux, est une hypothèse ab<strong>sur</strong>de. L'existence de tel<strong>les</strong><br />

réserves de biens capitaux non employés représenterait un<br />

fantastique gaspillage.<br />

Si la contrainte d'avoir ~ offrir des salaires plus élevés incite effectivement<br />

certains entrepreneurs ~ améliorer leurs techniques de production<br />

de manière ~ relever leur productivité au niveau des nouvel<strong>les</strong><br />

rémunérations versées, il faut se préoccuper de savoir d'où viendront<br />

<strong>les</strong> ressources utilisées ~ cet effet. L'augmentation des salaires<br />

n'entraîne pas nécessairement un accroissement de l'offre de capitaux.<br />

Les moyens nécessaires pour faire évoluer la technologie<br />

devront donc être pris ~ d'autres secteurs où leur disparition aura<br />

pour conséquence de réduire <strong>les</strong> progrès de la productivité et donc de<br />

freiner la capacité des employeurs ~ mieux satisfaire <strong>les</strong> exigences de<br />

leurs employés.<br />

R~sultat: ce que l'on obtient n'est pas une progression générale<br />

plus rapide de la productivité, et donc des salaires, mais un déplacement<br />

des ressources productives des secteurs où la pression syndicale<br />

est la plus faible, vers <strong>les</strong> industries où l'agressivité syndicale est la<br />

plus forte.


POURQUOI LES SYNDICATS 27<br />

Un tel transfert n'apporte rien <strong>sur</strong> le plan du progrès<br />

économique. Au contraire, il implique que la collectivité fera<br />

dorénavant un usage moins efficace de ses ressources que ce n'était le<br />

cas avant.<br />

Le nœud de l'affaire est que la hausse des salaires n'est pas la<br />

cause, mais l'effet des améliorations technologiques. Les taux de<br />

salaires réels ne peuvent s'élever que dans la me<strong>sur</strong>e où, toutes choses<br />

éga<strong>les</strong> d'ailleurs, on a une épargne et un capital plus abondant. Il n'y<br />

a pas de détours.<br />

lA VRAIE FONCTION DES SYNDICATS :<br />

DES GROUPES DE PRESSION À VOCATION REDISTRIBUTIVE<br />

Si tous <strong>les</strong> arguments macroéconomique et « macrosociaux » dont<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> se selVent pour justifier leur existence ne tiennent pas la<br />

route, quelle est donc leur véritable raison d'être<br />

La seule réponse est celle du cartel: le syndicat est un groupe de<br />

pression organisé ayant pour objet l'augmentation des rémunérations<br />

monétaires et non monétaires (conditions et rythmes de travail,<br />

congés, avantages sociaux ...) versés ~ ses membres; et cela par<br />

l'obtention d'un monopole de contrôle <strong>sur</strong> l'offre de travail.<br />

Le syndicat est un «groupe de pression ~ vocation redistributive<br />

» dont la préoccupation, ainsi que le souligne Hubert Landier:<br />

... est moins d'accroître l'efficacité de l'entreprise ou de la profession où<br />

se situe son action (afin d'accroître la taille du gâteau) que de modifier la<br />

répartition des revenus en faveur des salariés entrant dans son champ de<br />

recrutement (autrement dit, d'en obtenir la plus grosse part, fût-ce au<br />

détriment du gâteau) 11031.<br />

Le syndicat est une institution de nature et de vocation essentiellement<br />

microéconomiques.<br />

Il n'est pas facile de tester une telle hypothèse.<br />

La technique classique des économistes consiste ~ utiliser <strong>les</strong><br />

méthodes quantitatives et comparatives. On prend deux échantillons


28 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

d'entreprises, l'un où l'influen"ce syndicale est forte, l'autre où elle est<br />

négligeable, voire inexistante. A partir de la théorie des cartels et des<br />

monopo<strong>les</strong>, on fabrique un modèle pour étudier comment, théoriquement,<br />

la présence d'un syndicalisme fort est susceptible d'affecter<br />

le comportement de l'entreprise et de modifier <strong>les</strong> différents paramètres:<br />

niveau des salaires, leur progression, la productivité, <strong>les</strong><br />

indicateurs sociaux, la mobilité de la main-d'œuvre, sa structure, etc.<br />

On essaie ensuite d'étudier dans quelle me<strong>sur</strong>e la comparaison des<br />

données quantitatives des deux échantillons valide <strong>les</strong> corrélations de<br />

la théorie.<br />

Mais <strong>les</strong> difficultés méthodologiques sont tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> résultats<br />

obtenus ne sont guère probants, et qu'il y a peu d'espoir qu'ils le<br />

deviennent jamais.<br />

Une autre méthode consiste alors à démontrer la validité du<br />

concept en faisant la preuve de sa fécondité. C'est-à-dire, en l'occurrence,<br />

en montrant comment le paradigme économique du<br />

«syndicat cartel» permet de mieux comprendre l'origine d'un très<br />

grand nombre de traits et d'évolutions caractéristiques de notre environnement<br />

historique, institutionnel, économique et social contemporain.<br />

Les nouveUes données tnstttut10nnel<strong>les</strong><br />

Dans son manuel d'économie politique, Raymond Barre passe<br />

en revue <strong>les</strong> modifications de structures qui, depuis le début du siècle,<br />

affectent le fonctionnement du marché du travail [131 :<br />

-le développement des <strong>syndicats</strong> ouvriers, mais aussi le syndicalisme<br />

patronal;<br />

- la modification des relations juridiques entre patrons et<br />

ouvriers: alors qu'el<strong>les</strong> résultaient naguère d'un contrat individuel<br />

(contrat de louage de services auquel le Code civil de 1804 ne<br />

consacre que deux artic<strong>les</strong>), el<strong>les</strong> se définissent aujourd'hui dans une<br />

nigoctatlon coUect1ve qui se matérialise par la signature de conventions<br />

collectives;<br />

- l'extension de la réglementation du travail et de la législation<br />

sociale, avec deux grands axes: 1) l'État intervient pour déterminer<br />

<strong>les</strong> conditions d'exercice du travail (règ<strong>les</strong> restrictives concernant


POURQUOI LES SYNDICATS 29<br />

l'utilisation de la main-d'œuvre féminine ou enfantine, règ<strong>les</strong> fixant<br />

la durée hebdomadaire du travail, la durée des congés, le repos<br />

hebdomadaire ... , règ<strong>les</strong> définissant <strong>les</strong> conditions d'hygiène, de<br />

sécurité et de moralité nécessaires à l'accomplissement du travail;<br />

enfin, une série de règ<strong>les</strong> précisant <strong>les</strong> conditions d'exécution du<br />

contrat de travail, comme la protection du travailleur contre la rupture<br />

abusive du contrat, le contrôle administratif des licenciements,<br />

etc.); 2) l'État intervient <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions de rémunération du travailleur:<br />

respect d'un salaire minimal légal, instauration de procédures<br />

spécifiques de fixation des salaires dans certains secteurs de<br />

l'économie, fixation des divers éléments du « salaire social»<br />

(cotisations socia<strong>les</strong> obligatoires) ainsi que de certains éléments<br />

complémentaires obligatoires du salaire, comme <strong>les</strong> indemnités de<br />

transport, certaines primes hiérarchiques; détermination, enfin, des<br />

indemnités représentatives du travail (indemnités et rentes<br />

d'accident du travail);<br />

- l'intervention directe des pouvoirs politiques dans <strong>les</strong> relations<br />

socia<strong>les</strong> sous la forme de politiques nationa<strong>les</strong> des salaires plus ou<br />

moins autoritaires, avec des visées plus ou moins nettement redistributives,<br />

et dont l'efficacité est as<strong>sur</strong>ée par le développement de la<br />

puissance de l'État-patron;<br />

- enfin, produit de tout ce qui précède, l'émergence de structures<br />

de salaires ou d'ensemb<strong>les</strong> de salaires liés qui font que <strong>les</strong> rémunérations<br />

servies dans de nombreux secteurs (notamment <strong>les</strong> grandes<br />

entreprises) répondent moins aux fluctuations directes des<br />

conditions du marché qu'aux impulsions qui parviennent d'entreprises<br />

ou de secteurs pilotes. On assiste à la généralisation de<br />

barêmes reliant <strong>les</strong> taux de salaires pratiqués dans <strong>les</strong> firmes à des<br />

normes sectoriel<strong>les</strong>, régiona<strong>les</strong> ou nationa<strong>les</strong>, plus ou moins<br />

déterminées administrativement à la suite de consultations entre <strong>les</strong><br />

groupes patronaux, <strong>les</strong> groupes syndicaux et <strong>les</strong> pouvoirs publics.<br />

En conséquence, nous dit-on, nous vivons dans un univers où la<br />

fixation des rémunérations offertes résulte de procédures où, à côté<br />

de facteurs économiques, interviennent de plus en plus d'éléments de<br />

nature politique et sociologique - comme par exemple l'idée que<br />

l'on se fait de la place de chaque grand groupe d'activité ou de chaque<br />

catégorie socioprofessionnelle dans l'organisation et la hiérarchie


30 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

socia<strong>les</strong>; ou encore le souci des grandes catégories socioprofessionnel<strong>les</strong><br />

et des sous-groupes qui <strong>les</strong> composent, de défendre la relation<br />

qu'ils estiment «équitable» entre leur revenu et celui des catégories<br />

voisines (ou, à l'inverse, l'effort des autres pour atteindre la<br />

« parité»).<br />

Ainsi que le résume de manière représentative le professeur<br />

Lecaillon:<br />

... à l'exception de certains marchés agrico<strong>les</strong> (fruits et légumes notamment),<br />

de la Bourse et du marché des changes flottants qui sont restés<br />

conformes au modèle de l'économie concurrentielle, la vieille loi de<br />

l'offre et de la demande n'a plus que des applications limitées ... Dans<br />

l'économie moderne, <strong>les</strong> prix comme <strong>les</strong> salaires ne sont pas des prix<br />

d'équilibre dont <strong>les</strong> ajustements permettraient d'égaliser en permanence<br />

une offre et une demande <strong>sur</strong> un marché; ce sont des prix «sociaux,. ou<br />

« administrés,. qui expriment des coutumes ou des valeurs socia<strong>les</strong> [110].<br />

Les vieil<strong>les</strong> lots économiques ne jouent plus<br />

Dans un tel contexte, le mouvement des salaires et des revenus<br />

s'imposerait de plus en plus comme une donnée indépendante de la<br />

situation spécifique de la branche ou de l'entreprise en question, ou<br />

encore du métier considéré. De même, l'emploi n'obéirait plus aux<br />

règ<strong>les</strong> classiques du marché du travail.<br />

Lorsque la sphère non contrainte de la liberté des contrats se<br />

réduit comme peau de chagrin, et que l'essentiel des rémunérations<br />

se trouve fixé par <strong>les</strong> délibérations centralisées d'un petit nombre<br />

d'acteurs, il est inévitable que <strong>les</strong> facteurs sociologiques et politiques<br />

prennent le pas <strong>sur</strong> <strong>les</strong> données économiques. Plus le nombre de<br />

ceux qui interviennent dans la discussion des barêmes est grand, plus<br />

le degré d'indétermination augmente, jusqu'à devenir infini lorsqu'il<br />

n'y a plus que deux interlocuteurs en présence. Dans ce cas, c'est évidemment<br />

le rapport de force pur qui fait la loi.<br />

Par ailleurs, lorsqu'on se retrouve dans une telle situation, il est<br />

vrai que <strong>les</strong> mouvements de prix ne remplissent plus <strong>les</strong> mêmes fonctions<br />

que dans une économie « libre ». Il ne faut plus s'attendre à ce<br />

que le jeu spontané des prix ramène l'équilibre. L'emploi et le revenu


POURQUOI LES SYNDICATS 31<br />

de chacun, sa place dans la hiérarchie sodale, dépendent plus que<br />

jamais de l'efficacité des groupes de pression et des <strong>syndicats</strong> qui<br />

prennent en main notre défense contre <strong>les</strong> autres.<br />

Nul ne peut nier ces faits. Faut-il cependant en déduire qu'ils<br />

invalident définitivement tous <strong>les</strong> messages de la théorie économique<br />

De ce que la théorie aborde <strong>les</strong> problèmes d'emploi, de<br />

salaires et de travail en se référant à un environnement institutionnel<br />

différent de celui qui caractérise le fonctionnement actuel de nos<br />

économies mixtes, faut-il en déduire qu'elle n'a plus rien de pertinent<br />

à nous enseigner <strong>sur</strong> ces sujets Notre avis est que ceux qui dénoncent<br />

le caractère «utopique» des fondements de la théorie économique<br />

feraient mieux de commencer par se poser une question: comment<br />

en est-on arrivé là Par quels mécanismes est-on passé à la sodé té<br />

mixte « étato-corporatiste » d'aujourd'hui Quel<strong>les</strong> en sont <strong>les</strong> conséquences<br />

Ils découvriraient· alors que la théorie économique a<br />

encore bien des vérités à nous révéler.<br />

La théorie du syndicat-cartel<br />

Le syndicat, avons-nous dit, est un groupe de pression qui agit<br />

comme un cartel. Étudions plus avant <strong>les</strong> implications logiques de<br />

cette hypothèse.<br />

Le syndicat est une assodation qui se donne pour fin de maximiser<br />

le flux des revenus que <strong>les</strong> membres d'un groupe économique,<br />

sodal ou professionnel tirent de leur activité.<br />

Cette définition élargit et restreint à la fois le concept traditionnel<br />

de syndicat.<br />

Elle l'élargit en ce qu'elle inclut non seulement <strong>les</strong> groupes de<br />

pression des salariés, mais aussi ceux du monde patronaL Entrent<br />

dans le champ de la définition tous <strong>les</strong> types possib<strong>les</strong> de <strong>syndicats</strong> :<br />

<strong>syndicats</strong> de métier, <strong>syndicats</strong> professionnels, <strong>syndicats</strong><br />

d'entreprise, fédérations loca<strong>les</strong>, régiona<strong>les</strong>, nationa<strong>les</strong> (voire<br />

internationa<strong>les</strong> .. .). Du côté patronal: <strong>syndicats</strong> patronaux,<br />

fédérations professionnel<strong>les</strong>, unions patrona<strong>les</strong>, chambres de<br />

commerce, chambres de métiers, etc.<br />

Elle le restreint puisqu'elle résume toute l'activité du syndicat au<br />

seul objectif de « maximiser le flux des revenus» de ses membres.


32 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Il est incontestable que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent également se donner<br />

d'autres objectifs. Par exemple:<br />

... obtenir des adhésions plus nombreuses; <strong>sur</strong>veiller la répartition du<br />

travail disponible en luttant contre <strong>les</strong> heures supplémentaires, ou en<br />

écartant le recours à des travailleurs étrangers; contrôler l'introduction<br />

des inventions techniques; transformer <strong>les</strong> relations entre le capital et le<br />

travail au sein de l'entreprise capitaliste.<br />

L'action syndicale peut prendre des formes qui traduisent une<br />

volonté de défense de l'entreprise plus qu'un souci de revendication systématique:<br />

aider à développer la demande du produit en faisant sa<br />

publicité; agir <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions de l'offre; intervenir <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions<br />

de la concurrence (création d'une étiquette syndicale, d'un label);<br />

demande de droits de douane protecteurs en faveur de certains<br />

employeurs ... [13].<br />

Il n'est pas question de nier que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont d'autres préoccupations,<br />

ni qu'ils apportent d'autre services. Les organisations<br />

syndica<strong>les</strong> ont souvent joué un rôle essentiel d'information <strong>sur</strong><br />

l'emploi et le marché du travail Oes anciennes «bourses du travail»).<br />

Dans l'entreprise el<strong>les</strong> remplissent une responsabilité majeure<br />

d'intermédiation et de porte-parole des préoccupations et difficultés<br />

individuel<strong>les</strong> ou collectives du personnel. El<strong>les</strong> aident à résoudre des<br />

problèmes et conflits internes que la hiérarchie a parfois du mal à<br />

prendre en compte (sans compter <strong>les</strong> conflits avec la hiérarchie).<br />

Enfin, <strong>les</strong> grandes organisations contrôlent de vastes réseaux de coopératives,<br />

d'as<strong>sur</strong>ances, de mutuel<strong>les</strong>, d'agences de vacances et de<br />

voyages dont el<strong>les</strong> font profiter leurs membres (à des prix défiant<br />

toute concurrence).<br />

Ce que nous disons est simplement que ce ne sont pas ces fonctions<br />

commercia<strong>les</strong> ou ces fonctions d'ordre interne qui ont le plus<br />

grand pouvoir d'explication pour rendre compte du comportement<br />

économique et politique des <strong>syndicats</strong>, ainsi que de leurs structures,<br />

leur évolution, leurs stratégies, etc.<br />

La plupart de ces activités peuvent être interprétées comme des<br />

activités d'ordre « subsidiaire» dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ne<br />

s'aventurent qu'en raison du caractère collectif de leur vocation<br />

première. Leur rôle est d'attirer et de fidéliser la clientèle du syndicat<br />

en lui offrant des services « privatisab<strong>les</strong>» qui as<strong>sur</strong>ent le volume de


POURQUOI LES SYNDICATS 33<br />

moyens nécessaires pour continuer leur activité plus générale<br />

(paiement des permanents, investissements fixes, propagande, formation<br />

des cadres syndicaux, financement du fond de soutien aux<br />

grévistes, etc.).<br />

Priorité au court terme<br />

Admettons que l'objectif du syndicat se réduise d'abord et avant<br />

tout à maximiser le flux de revenus de ses membres.<br />

Une première remarque s'impose. A quelle échéance Quel est<br />

l'horizon de temps<br />

Une entreprise qui serait gérée par son personnel aurait tendance<br />

à avantager le court terme. Il en va de même avec la « firme<br />

syndicale ».<br />

Personne ne peut s'approprier <strong>les</strong> résultats de l'action du syndicat,<br />

ni <strong>les</strong> négocier <strong>sur</strong> un marché où s'échangeraient des parts de<br />

propriété représentatives de flux de revenus ou de flux d'avantages<br />

futurs. Il n'existe aucun marché qui donne aux responsab<strong>les</strong> la possibilité<br />

de capitaliser aujourd'hui la « valeur anticipée» des produits<br />

de leurs actions. Résultat: <strong>les</strong> dirigeants des <strong>syndicats</strong> ont par défmition<br />

une forte préférence pour le temps.<br />

C'est le salaire d'aujourd'hui et des mois qui viennent qui compte<br />

avant tout. Les conséquences à long terme - en admettant qu'ils<br />

acceptent d'en prendre connaissance : chômage accru, faible croissance,<br />

société « duale» - pèsent peu.<br />

Ils ne peuvent jouir des aménités personnel<strong>les</strong> liées à l'exercice de<br />

leurs fonctions Oeurs émoluments, mais <strong>sur</strong>tout <strong>les</strong> avantages en<br />

nature: l'exercice d'un certain pouvoir, la notoriété, l'accès aisé aux<br />

médias, le plaisir d'être un homme public, <strong>les</strong> perspectives de carrière<br />

politique qui s'ouvrent ensuite, <strong>les</strong> postes de president, de viceprésident,<br />

d'administrateur dans une quirielle de mutuel<strong>les</strong> ou<br />

d'organismes sociaux ...) que pour autant que leurs membres continuent<br />

de leur faire confiance. Mais ces membres, <strong>sur</strong>tout dans un<br />

pays comme la France où n'existe pas l'équivalent des techniques<br />

américaines de l'union shop et de la closed shop, ne sont guère<br />

fidè<strong>les</strong>; ce que confirment <strong>les</strong> fortes variations d'effectifs. Le turn<br />

over est élevé. D'où l'inévitable préférence pour le court terme, et


34 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

même souvent le très court terme. Plus <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont faib<strong>les</strong> (en<br />

effectifs et en recettes), plus ils joueront la démagogie du court terme.<br />

Maintenant, si tel est leur problème, comment <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent-ils<br />

obtenir des taux de salaires plus élevés pour leurs membres<br />

Il y a trois méthodes possib<strong>les</strong>.<br />

La premtère consiste à agir <strong>sur</strong> la demande qui s'adresse à<br />

l'entreprise. Le déplacement de la courbe de demande a pour effet<br />

qu'un plus grand nombre de travailleurs sera embauché à des taux de<br />

salaires supérieurs. (Exemple de l'offre d'un « label» syndical ou de<br />

la publicité faite par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> pour <strong>les</strong> produits des entreprises ou<br />

des secteurs industriels où ils sont implantés: souvenons-nous de<br />

Lip.)<br />

La seconde technique est d'agir <strong>sur</strong> l'offre de travail afin de<br />

réduire <strong>les</strong> entrées <strong>sur</strong> le marché. Le fait qu'il y ait, pour une raison ou<br />

une autre (on verra <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> plus loin), moins de travailleurs disponib<strong>les</strong><br />

pour <strong>les</strong> tâches offertes, conduit alors <strong>les</strong> employeurs à se faire<br />

concurrence en augmentant l'attrait des rémunérations. La réduction<br />

de l'offre fait augmenter le taux de salaire, mais suppose ensuite des<br />

ajustements dans la production des entreprises: pour amortir leurs<br />

frais de main-d'œuvre plus élevés, face à une demande, et donc des<br />

recettes qui sont toujours <strong>les</strong> mêmes par unité vendue, el<strong>les</strong> doivent<br />

réduire leur niveau de production - ce qui réduit ensuite <strong>les</strong> besoins<br />

de main-d'œuvre.<br />

La trotst~me et dernière méthode est tout simplement d'utiliser la<br />

grève, ou la menace de la grève, pour obtenir de l'employeur qu'il<br />

relève ses taux de salaires, sans contrepartie.<br />

Il n'y a cette fois-ci aucun changement de l'offre ni de la<br />

demande. Tout arrêt prolongé de la production impose un coût à<br />

l'employeur. La stratégie consiste à lui imposer la perspective d'un<br />

coût très élevé en cas de refus, pour l'amener à transiger et accepter le<br />

coût moindre que représentera pour lui l'acceptation de ce relèvement<br />

de salaire.<br />

Résultat: la hausse du taux de salaire incite l'entreprise, pour<br />

rétablir ses comptes, à réduire son embauche. Mais elle fait aussi que<br />

<strong>les</strong> emplois offerts par cette industrie deviennent plus attractifs. On a


POURQUOI LES SYNDICATS 35<br />

désormais un nombre plus grand de gens qui seraient prêts à<br />

travailler pour le salaire offert, ou même tout simplement à accepter<br />

un salaire moindre (mais supérieur à l'ancien taux) pour prendre la<br />

place de ceux que la firme emploie actuellement.<br />

Question: comment <strong>les</strong> empêcher de faire ainsi concurrence à<br />

ceux qui, par leur action, par leur grève, ont obtenu un salaire supérieur<br />

Comment éviter que leur concurrence ne fasse pression -<br />

cette fois-ci à la baisse - <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires qui viennent d'être relevés<br />

Objectif num~ 1 : rationner l'acc~ au métier<br />

Le problème du syndicat est un problème de rationnement.<br />

Il s'agit: - soit de fermer par avance la porte de l'entreprise, du<br />

métier ou de l'activité concernés à un certain nombre de gens qui<br />

normalement trouveraient à s'employer et accepteraient de le faire au<br />

taux du marché j c'est seulement une fois l'entrée fermée à certaines<br />

catégories de travailleurs Oes immigrés, ceux qui n'ont pas de diplômes,<br />

ou ceux qui ne respectent pas certaines règ<strong>les</strong> de certification j<br />

ceux aussi qui n'ont pas la carte du syndicat « obligatoire »...) que<br />

l'effet recherché est atteint j - soit de se protéger des conséquences<br />

qui résultent de la décision de relever <strong>les</strong> salaires sans justification<br />

économique préalable.<br />

Il s'agit dans ce dernier cas, pour le syndicat, d'éviter notamment<br />

que des entreprises ne recrutent ceux qui se trouvent licenciés à la<br />

suite des ajustements de production intervenus dans <strong>les</strong> fumes qui ont<br />

accepté <strong>les</strong> exigences du syndicat, à des salaires inférieurs Oes salaires<br />

anciens par exemple), et ne viennent ainsi faire concurrence à ceux<br />

qui profitent des salaires accordés. Si cela était possible, le nouveau<br />

taux de salaire imposé par le syndicat ne résisterait pas longtemps.<br />

Le problème est également d'élever une digue contre le flot accru<br />

de candidatures à l'emploi qui devrait résulter de la présence de<br />

salaires plus élevés (augmentation de l'offre). Comment éviter aux<br />

entreprises la tentation de puiser dans ce réservoir de main-d'œuvre<br />

disponible, prête à accepter des prix plus bas plutôt que de rester sans<br />

emploi<br />

Dans tous ces cas, la préoccupation est d'empêcher certains travailleurs<br />

de conclure avec <strong>les</strong> entreprises des secteurs concernés par


36 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

l'activité du syndicat, <strong>les</strong> contrats mutuellement avantageux que leur<br />

intérêt réciproque leur commanderait d'accepter.<br />

On retrouve la difficulté classique de tout cartel. Une entente de<br />

producteurs ne peut imposer des prix plus élevés que si elle a, soit le<br />

contrôle total de l'offre du produit, soit le contrôle total de l'offre<br />

d'au moins l'un des facteurs de production.<br />

Comment résoudre cette difficulté il existe de nombreuses<br />

techniques possib<strong>les</strong>. Tout dépend du niveau auquel se situe l'action<br />

du syndicat (ou de la fédération de <strong>syndicats</strong>) : l'entreprise, le groupe<br />

d'entreprises, le secteur d'industrie, le métier, la profession, le marché<br />

régional, le marché national, etc., avec toutes <strong>les</strong> combinaisons<br />

possib<strong>les</strong>. Mais, dès lors qu'un syndicat ou une coalition de <strong>syndicats</strong><br />

entend as<strong>sur</strong>er la permanence des avantages qu'il vient d'acquérir à<br />

un certain coût, il se trouve pris dans une escalade qui le contraint à<br />

passer successivement d'un niveau à l'autre - par exemple de la<br />

simple pression <strong>sur</strong> des entrepreneurs privés (agitation sociale,<br />

grève, boycott) à une action politique pour imposer par la loi<br />

certaines réglementations «restrictives ». C'est l'engrenage de<br />

l'économie enrégimentée.<br />

La logIque corporatIve<br />

De leur point de vue, l'idéal serait que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> soient purement<br />

et simplement maîtres de la gestion de la main-d'œuvre, à la<br />

place de l'entrepreneur.<br />

Citons pour mémoire la cogestion allemande où le directeur du<br />

personnel est désigné parmi des candidats présentés par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>.<br />

En France, <strong>les</strong> cas <strong>les</strong> plus connus sont ceux du livre et des dockers<br />

où <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont le monopole de l'embauche pour le compte des<br />

entreprises traitantes, Ce n'est pas un hasard si le livre est l'un des<br />

secteurs où <strong>les</strong> salaires ouvriers sont <strong>les</strong> plus élevés, et l'entrée la plus<br />

difficile (adhésion obligatoire à la CGT). Ce n'est pas non plus un<br />

hasard si <strong>les</strong> ports français supportent mal la concurrence des autres<br />

ports européens.<br />

Le livre et <strong>les</strong> dockers sont des exemp<strong>les</strong> d'abus de pouvoir syndical.<br />

Mais ceux qui s'indignent si aisément oublient souvent de


POURQUOI LES SYNDICATS 37<br />

s'interroger <strong>sur</strong> la signification des systèmes de régulation professionnelle<br />

que l'on trouve dans <strong>les</strong> professions libéra<strong>les</strong> comme <strong>les</strong> médecins,<br />

<strong>les</strong> avocats, le~, experts géomètres, <strong>les</strong> architectes, <strong>les</strong> pharmaciens,<br />

etc.<br />

Dans ces professions, chacun est en principe son propre<br />

employeur. Mais la liberté d'établissement est loin d'y être respectée.<br />

La possibilité d'exercer est généralement soumise à l'autorisation<br />

donnée par un collège de sages appartenant à la profession (<strong>les</strong><br />

« ordres»: ordre des médecins, ordre des pharmaciens, ordre des<br />

architectes, etc.).<br />

C'est la profession - c'est-à-dire ceux qui sont déjà installés -<br />

qui, directement ou indirectement, définit le niveau et la longueur<br />

des études, contrôle <strong>les</strong> examens, impose des périodes de stage plus<br />

ou moins longues (et faiblement rémunérées de manière à réduire le<br />

nombre des vocations), et s'arroge ainsi le pouvoir de restreindre <strong>les</strong><br />

entrées de nouveaux collègues, et de limiter la concurrence dans le<br />

métier.<br />

Ces professions sont par ailleurs soumises à des codes de déontologie<br />

rigoureux. La plupart de leurs clauses visent à empêcher la<br />

concurrence (interdiction de toute publicité par exemple).<br />

Les codes de déontologie et leurs pratiques anticoncurrentiel<strong>les</strong><br />

sont généralement scrupuleusement respectées. Pourquoi Parce que<br />

leur application est contrôlée par l'ordre qui dispose de la sanction<br />

suprême: le retrait de l'autorisation d'exercer.<br />

Le précédent des professions libéra<strong>les</strong><br />

Le système est ainsi parfaitement bouclé. Les professions libéra<strong>les</strong><br />

offrent l'exemple de métiers dont l'accès est entièrement sous le<br />

contrôle de ceux qui exercent. Maîtrisant l'offre, el<strong>les</strong> sont en me<strong>sur</strong>e<br />

de contrôler leurs prix.<br />

Résultat: la position particulièrement favorable des professions<br />

libéra<strong>les</strong> dans la hiérarchie des revenus.<br />

A bien des égards, ce que cherchent à réaliser <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

ouvriers, à l'échelle de leurs métiers ou de leurs industries, n'est pas<br />

différent de ce qu'ont déjà obtenu il y a longtemps <strong>les</strong> professions<br />

libéra<strong>les</strong>.


38 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Certains s'indigneront de voir <strong>les</strong> professions libéra<strong>les</strong> comparées<br />

à des «maffias» syndica<strong>les</strong>. On n'y trouve pas <strong>les</strong> mêmes violences,<br />

ni <strong>les</strong> mêmes abus. On s'y appuie <strong>sur</strong> un argument d'intérêt<br />

public admis par tous: la protection du public Oa protection de la<br />

santé contre <strong>les</strong> charlatans, la protection contre <strong>les</strong> vices de construction,<br />

etc.). Il n'empêche qu'analytiquement parlant il s'agit d'un<br />

calcul identique de contrôle monopolistique du marché du travail.<br />

Si tous <strong>les</strong> métiers de France, si toutes <strong>les</strong> professions étaient<br />

organisées comme le sont <strong>les</strong> médecins, <strong>les</strong> pharmaciens, <strong>les</strong> architectes,<br />

<strong>les</strong> experts-comptab<strong>les</strong>, nous atteindrions l'idéal recherché<br />

par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>: le contrôle du travail par <strong>les</strong> organisations<br />

« représentatives» des travailleurs. Nous aurions une société parfaitement<br />

« corporatiste », et parfaitement malthusienne.<br />

Tout le monde admet le monopole de l'ordre des médecins.<br />

Deux raisons l'expliquent: 1) l'institution est déjà fort ancienne j 2)<br />

le métier requiert des connaissances spécifiques d'un haut niveau, et<br />

l'enjeu - la santé des patients - est un bien hautement recherché.<br />

Les médecins n'ont aucun mal à faire admettre l'idée qu'une telle<br />

régulation professionnelle est dans l'intérêt des citoyens. Et <strong>les</strong> gens<br />

en sont d'autant plus aisément convaincus que personne ne leur a<br />

jamais expliqué qu'en dehors de l'alternative socialiste Oa nationalisation)<br />

il existe peut-être une autre forme de réponse authentiquement<br />

libérale où le marché susciterait l'apparition de solutions privées<br />

aux problèmes de risque et de garantie que posent de tel<strong>les</strong> professions.<br />

Il est plus difficile pour <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> de salariés de faire appel à de<br />

tels arguments. C'est pour cela qu'on y recourt plus facilement à la<br />

violence, que l'on rend alors légitime en invoquant la lutte des<br />

classes. Mais, <strong>sur</strong> le fond, la nature des problèmes n'est pas différente.<br />

Ne voit-on pas d'ailleurs un nombre croissant de <strong>syndicats</strong> -<br />

le syndicat des contrôleurs aériens par exemple, celui des pilotes de<br />

ligne, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> dans <strong>les</strong> services publics - invoquer eux-aussi la<br />

sécurité des usagers pour des grèves dont le caractère abusif est<br />

patent.


POURQUOI LES SYNDICATS 39<br />

Les mtlle manières de boucler un monopole<br />

Une autre forme de monopole est de réserver l'exercice de certains<br />

emplois à des personnes appartenant à un syndicat donné.<br />

C'était l'exemple souvent cité de la Grande-Bretagne. On ne pouvait<br />

demander à un électricien de faire un travail de plombier, ni à un<br />

plombier de faire un travail d'électricien, même s'ils en avaient <strong>les</strong><br />

capacités. La non-observance des frontières respectives y entraînait<br />

des grèves bouchons qui immobilisaient pour un oui ou pour un non,<br />

des industries entières. C'est <strong>sur</strong> ce genre de pratique que <strong>les</strong> monopo<strong>les</strong><br />

du livre et des dockers s'appuient notamment. C'est aussi le<br />

fondement du pouvoir des <strong>syndicats</strong> dans <strong>les</strong> sociétés de radio et de<br />

télévision.<br />

Les techniques de rationnement de l'offre <strong>les</strong> plus communes passent<br />

par le contrôle de la main-d'œuvre étrangère (obligations<br />

administratives, politique de visas), ou par la réglementation de<br />

l'accès aux métiers et aux professions (exigence d'une période<br />

d'apprentissage, accès aux emplois soumis à des règ<strong>les</strong> de qualification<br />

et de certification).<br />

Mais il y a d'autres formes plus subti<strong>les</strong>. Par exemple <strong>les</strong><br />

politiques de salaire minimal.<br />

Leur but est en théorie d'as<strong>sur</strong>er à toute personne qui travaille,<br />

quel que soit son âge, un minimum vital. Mais cette préoccupation<br />

humanitaire se marie à un autre motif, moins avouable: empêcher<br />

<strong>les</strong> jeunes qui arrivent <strong>sur</strong> le marché du travail d'entraîner, par leur<br />

concurrence, une pression <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires de leurs aînés.<br />

M~me le salaire minimal<br />

Résultat Le salaire minimal prive des milliers de jeunes sans<br />

formation de leur ticket d'entrée dans la vie professionnelle. Il<br />

condamne ceux qui n'ont pas eu la chance de passer par une filière<br />

d'apprentissage à un processus de marginalisation auquel ils auraient<br />

échappé si on leur permettait de compenser leur handicap de<br />

l'absence d'une formation adéquate par la liberté d'accepter un<br />

salaire temporairement plus bas (le temps d'acquérir des


40 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

compétences qui justifieront, par le simple jeu des pressions du<br />

marché, une revalorisation de leurs gains).<br />

Nombreux sont ceux qui refusent encore d'ouvrir <strong>les</strong> yeux <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

effets pervers de cette législation. Il s'agit pourtant d'un sujet <strong>sur</strong><br />

lequel, scientifiquement, il n'est plus permis d'avoir le moindre<br />

doute.<br />

Un autre exemple encore plus difficile à détecter est celui des<br />

politiques de lutte contre <strong>les</strong> « discrimi na tions ».<br />

L'apartheid sud-africain est une politique condamnable. On<br />

connaît moins son histoire. La première me<strong>sur</strong>e qui a lancé la politique<br />

d'apartheid en Union sud-africaine date de l'après Première<br />

Guerre mondiale. Elle a été prise par un gouvernement de gauche,<br />

sous la pression de grandes grèves provoquées par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>.<br />

Il s'agissait d'une loi visant à imposer le principe « à travail égal,<br />

salaire égal ». Apparemment rien de plus démocratique. Mais <strong>les</strong><br />

choses ne sont pas aussi simp<strong>les</strong>. Lorsqu'on a affaire à deux communautés<br />

de niveau culturel très différent, un tel principe se révèle la plus<br />

efficace de toutes <strong>les</strong> barrières racistes. Alors que l'Afrique du Sud<br />

était en plein boom économique, qu'elle attirait la main-d'œuvre des<br />

régions voisines, il s'agissait en réalité de protéger <strong>les</strong> petits Blancs<br />

contre la concurrence naissante d'une nouvelle génération de contremaîtres<br />

Noirs. En leur imposant de réclamer un salaire égal à celui de<br />

leurs collègues blancs, on <strong>les</strong> empêchait de compenser le handicap<br />

que représentait <strong>sur</strong> le marché du travaille fait d'être noir (113).<br />

Quelle que soit notre indignation devant <strong>les</strong> comportements<br />

racistes ou sexistes, on n'empêchera jamais que, dans certains pays,<br />

l'élévation professionnelle de certaines minorités soit considérée<br />

comme une menace au niveau de vie d'autres communautés; une<br />

menace contre laquelle <strong>les</strong> intéressés veulent se protéger, par<br />

exemple en s'entendant pour ne pas embaucher des gens de couleur<br />

là où ils peuvent employer un Blanc, même plus cher. De même,<br />

dans nos pays, on n'empêchera jamais un employeur de penser<br />

qu'une main-d'œuvre féminine «vaut» moins qu'une main-d'œuvre<br />

masculine, en raison de contraintes physiologiques, sociologiques<br />

ou fafiÙlia<strong>les</strong> qui lui sont propres (risques d'absentéisme plus élevés<br />

par exemple).


POURQUOI LES SYNDICATS 41<br />

Comme pour <strong>les</strong> jeunes, la meilleure façon pour ces populations<br />

de <strong>sur</strong>monter leur handicap est d'offrir leur travail moins cher afin,<br />

soit d'acquérir <strong>les</strong> qualifications et <strong>les</strong> compétences qui leur font<br />

défaut, soit de montrer à l'employeur que ses préjugés sont erronés.<br />

C'est le jeu de la libre concurrence entre <strong>les</strong> employeurs qui, peu à<br />

peu, au fur et à me<strong>sur</strong>e que cet apprentissage porte ses fruits, conduit à<br />

l'élimination des différences de rémunération non justifiées par des<br />

variations réel<strong>les</strong> de la productivité.<br />

Mais c'est précisément ce processus qu'entravent de nombreuses<br />

dispositions de notre législation moderne. Comment cela se<br />

peut-il <br />

Fausses Indignations et fausses vertus<br />

Le marché est un puissant mécanisme égalisateur. Mais l'élimination<br />

des comportements discriminatoires ne fait pas que des heureux.<br />

Que ceux qui subissent un handicap physiologique, sociologique<br />

ou économique, essaient d'en compenser <strong>les</strong> barrières par de<br />

moindres exigences est souvent vécu par <strong>les</strong> autres comme un acte de<br />

concurrence « déloyale» Ccf. l'attitude des industriels à l'égard de la<br />

concurrence des nouveaux pays riches d'Asie).<br />

A l'inverse, ceux qui sont ainsi moins payés ressentent ce fait<br />

comme une injustice. Et cela d'autant plus qu'ils sont assaillis par la<br />

propagande des idéologies « égalitaristes» modernes. Celle-ci leur<br />

rend leur condition encore plus insupportable.<br />

Quel est le résultat On casse le mécanisme qui, par le jeu de la<br />

concurrence, tend à réduire <strong>les</strong> écarts salariaux. On érige une<br />

barrière sexiste ou raciste plus élevée que jamais. Pour <strong>les</strong> quelques<br />

Noirs qui seront ainsi embauchés, ou <strong>les</strong> quelques femmes qui<br />

gagneront leur procès, combien d'autres n'auront plus jamais la<br />

chance de forcer <strong>les</strong> barrières du marché de l'emploi! Drôle de<br />

justice!<br />

Les perdants sont ceux qui supportent déjà <strong>les</strong> handicaps <strong>les</strong> plus<br />

lourds, et au nom de qui la législation a été votée. Les gagnants, ceux<br />

qui étaient déjà. du bon côté de la barrière, et se retrouvent ainsi<br />

mieux protégés contre la concurrence « sauvage» des autres.


42 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Le même raisonnement s'applique aux différences économiques<br />

de nature géographique. Éliminer par la contrainte réglementaire <strong>les</strong><br />

différences régiona<strong>les</strong> de salaires est le contraire d'un acte de justice.<br />

Comment une région pauvre, éloignée, sous-développée peut-elle<br />

<strong>sur</strong>monter ces handicaps En jouant du seul avantage comparatif<br />

dont elle dispose: la disponibilité d'une main-d'œuvre désireuse de<br />

s'employer même à des salaires inférieurs. Imposer <strong>les</strong> mêmes taux<br />

de salaires partout empêche <strong>les</strong> régions <strong>les</strong> moins favorisées de<br />

vaincre leur handicap. On protège <strong>les</strong> salariés des zones urbaines<br />

contre la concurrence jugée «déloyale}) que seraient susceptib<strong>les</strong> de<br />

leur faire <strong>les</strong> paysans en <strong>sur</strong>nombre des zones rura<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus pauvres,<br />

en attirant <strong>les</strong> usines.<br />

On comprend mieux pourquoi 1'« égalitarisme », sous toutes ses<br />

formes, est politiquement à la mode: parce qu'il profite aux groupes<br />

sociaux <strong>les</strong> mieux organisés. Grâce aux lois égalitaires et au contrôle<br />

du marché du travail qui en résulte, ces groupes se trouvent mieux à<br />

même de défendre et de maintenir <strong>les</strong> avantages dtjJérenttels qu'ils<br />

ont précédemment acquis.<br />

Ce qu'on nous présente comme un progrès social permet en réalité<br />

aux groupes de pression dominants de mieux contrôler <strong>les</strong> entrées<br />

et <strong>les</strong> sorties du marché du travail - dans l'intérêt non pas des jeunes,<br />

des Noirs ou des femmes, mais de ceux qui bénéficient déjà des<br />

salaires <strong>les</strong> plus élevés, des conditions d'emploi <strong>les</strong> plus avantageuses,<br />

et ne voudraient pour rien au monde <strong>les</strong> perdre.<br />

LA FÉCONDITÉ DE L'HYPOTIlÈSE ÉCONOMIQUE<br />

Lorsqu'au terme d'une longue lutte <strong>les</strong> travailleurs d'une entreprise<br />

arrachent une augmentation de salaire, trois cas de figure sont<br />

possib<strong>les</strong>: 1) il s'agit seulement d'un alignement des rémunérations<br />

<strong>sur</strong> <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> conditions de l'environnement économique du secteur<br />

(offre, demande, technologie ...) j 2) on est dans une entreprise<br />

où la productivité est plus élevée que la moyenne du secteur Oe nouveau<br />

salaire n'est qu'un alignement <strong>sur</strong> cette productivité plus élevée)<br />

j 3) <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> viennent réellement de remporter une


POURQUOI LES SYNDICATS 43<br />

« victoire» qui apporte aux employés des salaires plus élevés que ceux<br />

que justifieraient tant la simple conjoncture de leur industrie que <strong>les</strong><br />

conditions de productivité de leur entreprise.<br />

Dans <strong>les</strong> deux premiers cas, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> jouent un rôle parfaitement<br />

légitime: par leur intervention, ils hâtent le processus<br />

d'alignement des salaires <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions technologiques <strong>les</strong> plus<br />

efficaces dans leur secteur; ils agissent comme <strong>les</strong> «auxiliaires» des<br />

forces du marché; leur action ne fausse pas l'essentiel: le jeu des prix<br />

relatifs.<br />

Dans le troisième cas, une question: comment entendent-ils<br />

conserver l'avance acquise <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salariés des autres entreprises et des<br />

autres secteurs qui, eux, n'ont pas fait grève, et n'ont donc pas eu<br />

d'augmentation de leur salaire<br />

Les « autres », ce sont d'abord <strong>les</strong> autres salariés du même secteur<br />

d'activité. Ceux qui travaillent dans des entreprises concurrentes. Si<br />

l'on est <strong>sur</strong> un marché concurrentiel (produits banalisés, forte élasticité<br />

de la demande au prix), la «victoire» des salariés de<br />

l'entreprise X risque de déboucher <strong>sur</strong> des lendemains amers.<br />

Les salaires plus élevés entraînent des coûts de production unitaires<br />

plus lourds. L'entreprise va perdre des marchés, réduire sa<br />

production, et bientôt licencier. Les autres firmes, au contraire, ont à<br />

faire face à un supplément de demande. El<strong>les</strong> embauchent. Et peutêtre<br />

même, pour attirer <strong>les</strong> spécialistes qui leur font défaut - notamment<br />

<strong>les</strong> spécialistes qui viennent d'être licenciés chez X -, relèventel<strong>les</strong><br />

quelque peu leurs offres de rémunération.<br />

La « victoire» n'est pas celle de ceux qui ont mené le combat,<br />

mais celle de leurs collègues qui n'ont rien fait. Pourquoi lutter<br />

puisque ceux qui gagnent sont ceux qui ne se sont pas battus<br />

Comment mettre fin à une situation aussi ab<strong>sur</strong>de<br />

La vérité <strong>sur</strong> <strong>les</strong> contrats collecttfs<br />

Lorsque la conjoncture se retourne, que <strong>les</strong> commandes s'effondrent,<br />

l'entreprise a le choix entre deux stratégies: garder <strong>les</strong> mêmes<br />

salaires, mais licencier une partie de son personnel; réduire <strong>les</strong><br />

salaires et garder le maximum de gens. Le problème du syndicat est<br />

de l'empêcher de se livrer à une sorte de chantage: ou bien vous


44 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

renégociez un nouveau contrat à un taux de salaire inférieur, ou bien<br />

vous faites partie de la prochaine charrette ...<br />

Comment l'empêcher de jouer <strong>les</strong> salariés <strong>les</strong> uns contre <strong>les</strong><br />

autres, d'utiliser l'incertitude que chacun nourrit <strong>sur</strong> son propre sort<br />

(quel<strong>les</strong> probabilités ai-je de faire partie de ceux qui seront licenciés<br />

), et de ramener ainsi <strong>les</strong> taux de salaires à leurs anciens niveaux<br />

- ou même plus bas<br />

La solution est simple. C'est la technique des contrats collectifs et<br />

de la négociation collective.<br />

En raisonnant ainsi on explique: 1) pourquoi la structure syndicale<br />

de base est rarement le syndicat d'entreprise, mais le syndicat de<br />

métier ou de branche j 2) pourquoi <strong>les</strong> termes des conventions collectives<br />

conclues avec le patronat s'appliquent par définition à tous<br />

<strong>les</strong> salariés, syndiqués ou non j 3) pourquoi, enfin, <strong>les</strong> pouvoirs<br />

publics, par une procédure d'extension, ont le droit d'étendre le<br />

contenu des conventions collectives aux entreprises non signataires<br />

de la même branche.<br />

L'objectif recherché est de priver le salarié de toute liberté de<br />

«choisir» son salaire, et d'en faire la prérogative exclusive du syndicat.<br />

On se retrouve dans une situation où, à quelques accommodements<br />

près, le salaire est imposé unilatéralement tant au salarié qu'à<br />

l'employeur, par une série de gril<strong>les</strong> hiérarchiques et de taux pivots<br />

négociés au niveau de la branche ou de l'industrie par <strong>les</strong> représentants<br />

des organisations patrona<strong>les</strong> et ceux des fédérations syndica<strong>les</strong>.<br />

A la rigueur, on admet que <strong>les</strong> entreprises introduisent une dose de<br />

personnalisation dans <strong>les</strong> augmentations, comme facteur de motivation<br />

personnelle j mais cette possibilité de flexibilité joue exclusivement<br />

à la hausse, et pas à la baisse.<br />

Conséquence: le travailleur licencié n'est pas libre de dire s'il<br />

préfère garder son emploi même en étant moins payé, et le patron<br />

n'est pas libre de lui faire cette proposition pour que ceux qui, eux, ne<br />

sont pas licenciés, gardent leur ancien salaire, même en période de<br />

basse conjoncture.


POURQUOI LES SYNDICATS 45<br />

L'alibi du consensus<br />

Contrôle de l'offre, mais aussi contrôle des prix ... la reconnaissance<br />

du rôle prioritaire des conventions collectives <strong>sur</strong> tous <strong>les</strong><br />

autres contrats permet de boucler le monopole des <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> le<br />

marché du travail.<br />

Mais <strong>les</strong> «autres», ce sont aussi ceux des autres secteurs d'activité.<br />

Le contrôle du marché ne met pas à l'abri de toute <strong>sur</strong>prise. Même<br />

lorsque, cas extrême, tous <strong>les</strong> membres d'un métier sont obligés de<br />

faire partie du même syndicat, et que <strong>les</strong> entreprises ne peuvent<br />

embaucher que des membres de ce syndicat (par exemple le syndicat<br />

des monteurs de charpentes en bOis), si leurs prix sont trop élevés,<br />

<strong>les</strong> employeurs chercheront des produits de substitution (des<br />

charpentes en plastiques ...).<br />

Dans une société où existent de nombreuses possibilités de substitution,<br />

aucun monopole n'est jamais parfait. Le plus complet des<br />

monopo<strong>les</strong> syndicaux et professionnels n'est jamais à l'abri d'une<br />

érosion progressive de ce qu'il a acquis par l'usage de la force. Tant<br />

qu'on reste en économie capitaliste, il y a toujours un coin par lequel<br />

s'engouffre la concurrence.<br />

Comment faire face Comment limiter la portée de cette concurrence<br />

Comment faire en sorte de sauvegarder ses « privilèges» <br />

Réponse: en agissant comme précédemment; en « internalisant»<br />

cette concurrence au sein du système collectif de négociation<br />

salariale.<br />

L'intérêt des groupes leaders - ceux qui, par leur ancienneté et<br />

leur efficacité dans le combat syndical se sont as<strong>sur</strong>é, dans l'échelle<br />

des rémunérations et des revenus, <strong>les</strong> meilleurs avantages relatifs -<br />

est de bloquer tous <strong>les</strong> secteurs et intérêts plus ou moins concurrents<br />

dans une structure de représentation et de négociation unique où euxmêmes,<br />

en raison de leur plus grande expérience, continueraient,<br />

sans que cela se sache, à jouer le rôle dominant.<br />

D'où une centralisation accrue des mécanismes de la négociation<br />

collective. Les vraies conventions pivots sont cel<strong>les</strong> des fédérations<br />

d'industrie. On arrive au système décrit par le professeur Jacques<br />

Lecaillon où


46 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

la structure générale des revenus au niveau de l'économie nationale peut<br />

s'analyser comme un ensemble articulé de gril<strong>les</strong> particulières définissant<br />

la place de chaque grand groupe d'activités ou de chaque catégorie<br />

socioprofessionnelle dans l'organisation et la hiérarchie sociale [110].<br />

La distribution des revenus, pour reprendre l'expression du professeur<br />

Hayek, cesse d'être le produit d'une «catalaxie» (un ordre<br />

spontané) pour devenir l'expression «d'un tout organisé et hiérarchisé))<br />

(Lecaillon).<br />

Les salaires cessent d'être des prix indiquant aux travailleurs <strong>les</strong><br />

directions dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il est souhaitable d'investir ses efforts, ses<br />

compétences et ses capacités. Ils deviennent, nous dit-on, l'expression<br />

d'un «consensus collectif)) <strong>sur</strong> la façon dont doivent se distribuer<br />

<strong>les</strong> revenus.<br />

La grande stabilité que l'on note depuis trente ans dans la<br />

structure des revenus n'est pas la preuve, comme le croit et l'écrit le<br />

professeur Lecaillon, de ce qu'elle correspondrait à un véritable<br />

consensus national, de ce que notre société à travers ses institutions<br />

de négociation collective mises en place au lendemain de la guerre<br />

aurait atteint un certain «équilibre social )). Elle peut tout aussi bien<br />

être interprétée comme la preuve de l'efficacité des groupes<br />

professionnels dominants à as<strong>sur</strong>er la pérennité de leur position et de<br />

leurs avantages.<br />

Le demter recours: le contribuable<br />

Cependant, dès que l'on reste en économie ouverte, il n'y a<br />

jamais d'impunité définitive. Même le plus parfait des monopo<strong>les</strong><br />

nationaux ne peut indéfiniment maintenir des coûts de production<br />

hors de proportion avec <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> conditions de la conjoncture<br />

mondiale. C'est la mésaventure qu'ont connue des industries comme<br />

la sidérurgie et <strong>les</strong> chantiers navals.


POURQUOI LES SYNDICATS 47<br />

Alors il existe un remède de dernier recours: l'appel à la poche<br />

du contribuable, soit par la nationalisation, soit par <strong>les</strong> programmes<br />

de «contrats de modernisation» conclus entre le privé et l'État. C'est<br />

le grand air de la «politique industrielle» dont <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> aiment<br />

bien entonner périodiquement <strong>les</strong> grands refrains.<br />

Jusqu'au jour où <strong>les</strong> caisses de l'État sont vides et où la rigueur<br />

qu'exige le redressement ne permet plus de céder, même aux<br />

«amis ». Alors commence l'heure de la retraite organisée, à l'abri<br />

d'une comédie politique dont Hubert Landier a remarquablement<br />

décrit <strong>les</strong> mécanismes [103].<br />

Mais, entre-temps, que de gaspillages et de dégâts accumulés!<br />

La convention collective, écrit Raymond Barre (dans son manuel), est un<br />

accord conclu <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions de travail et le niveau des salaires entre<br />

un syndicat ouvrier et un employeur ou un groupe d'employeurs; elle<br />

constitue la charte des rapports collectifs dans une entreprise, une industrie<br />

ou une profession. Ses avantages sont multip<strong>les</strong>. Elle permet de<br />

compenser <strong>les</strong> inégalités entre travailleurs et employeurs, elle réalise aussi<br />

une stabilisation des conditions de travail pendant une certaine durée;<br />

elle engage <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ouvriers dans la voie de la collaboration; en<br />

permettant une émancipation sociale des travailleurs, elle favorise la pacification<br />

sociale; elle suscite enfin une rationalisation des conditions de<br />

travail et une organisation de la profession [33].<br />

L'analyse économique montre que c'est précisément la fonction<br />

même du marché que de conduire à 1'« organisation» des professions<br />

! C'est la fonction même du marché et du système des prix que<br />

de promouvoir la «collaboration pacifique» du plus grand nombre!<br />

Paradoxalement, le langage de l'ancien Premier ministre trahit la<br />

contamination de l'idéologie de la «lutte des classes ». Comme tant<br />

d'autres, lui-même est sans le savoir victime de la « langue de bois».<br />

Nulle part il n'évoque <strong>les</strong> inconvénients, l'autre côté de la médaille.<br />

Nulle part il ne voit que le système des conventions collectives est<br />

précisément ce qui permet aux intérêts acquis de verrouiller leur<br />

position contre la concurrence des autres ...


48 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Le syndtcaliste vu comme un entrepreneur<br />

Le syndicat est une association. Une assocIatIOn d'hommes<br />

organisés en trois cerc<strong>les</strong> concentriques : <strong>les</strong> dirigeants, <strong>les</strong> militants,<br />

<strong>les</strong> sympathisants.<br />

Un syndicat est d'abord, comme une entreprise, la création d'un<br />

homme ou d'une équipe. Des hommes que leur tempérament, mais<br />

aussi <strong>les</strong> circonstances, conduisent à l'action.<br />

Le syndicaliste est une sorte d'entrepreneur, ne craignons pas de<br />

le dire. C'est un peu la même race d'homme. L'un utilise ses dons<br />

d'organisateur pour réussir <strong>sur</strong> le marché libre. L'autre <strong>sur</strong> le marché<br />

politique. L'un joue la concurrence économique, l'autre la concurrence<br />

politique. Mais le premier accorde plus de poids à la séduction<br />

qu'à la contrainte (sans pour autant négliger celle-ci lorsque<br />

l'intervention contraignante de la puissance publique peut lui être<br />

utile); c'est l'inverse pour le second.<br />

Le syndicat résulte comme l'entreprise de la rencontre de deux<br />

éléments: 1) la présence d'un problème partagé par un certain<br />

nombre d'hommes, et qui donne lieu à l'émergence d'un intérêt<br />

commun; 2) l'action d'un homme (ou d'un groupe d'hommes) qui<br />

identifie la promotion de ses projets et ambitions personnels (que ces<br />

dernières soient totalement égoïstes ou parfaitement altruistes, sincères,<br />

désintéressées), à la prise en charge et à la promotion de cet<br />

«intérêt commun» (ici pris au sens large: l'intérêt de tous <strong>les</strong><br />

membres d'une même profession, mais aussi 1'« intérêt» de tous <strong>les</strong><br />

consommateurs d'un même bien).<br />

Le problème est celui de la négociation du panier d'éléments qui<br />

entre dans le contrat de travail. Ces éléments déterminent le «salaire<br />

réel» perçu entre contrepartie du travail fourni. L'intérêt de chacun<br />

est de conclure <strong>les</strong> « meilleurs» contrats possib<strong>les</strong> qui maximiseront<br />

le flux de ses revenus.<br />

L'idée est qu'en organisant une association de personnes exerçant<br />

<strong>les</strong> mêmes métiers, travaillant dans <strong>les</strong> mêmes entreprises ou dans <strong>les</strong><br />

mêmes secteurs, et en s'en remettant à des techniques d'actions<br />

éprouvées, il est possible d'obtenir de « meilleurs» contrats.


POURQUOI LES SYNDICATS 49<br />

Celui qui organise cette association ne partage peut-être pas le<br />

même objectif; mais quel que soit son « plan» personnel (faire par<br />

exemple une carrière d'homme public), sa réalisation dépend néanmoins<br />

(avec toutes <strong>les</strong> atténuations qu'introduit la théorie de la<br />

«firme managériale ») des succès qu'il rencontre dans la promotion<br />

de l'intérêt commun.<br />

Son action se heurte toutefois à un problème spécifique : la nature<br />

« collective» du bien qu'il produit.<br />

Sa préoccupation: <strong>les</strong>« passagers clandestins»<br />

Le produit de l'activité syndicale est un «bien collectif». Si un<br />

groupe d'employés se met en grève et fait ainsi fléchir la direction,<br />

tous <strong>les</strong> autres employés de la même firme, qu'ils soient membres du<br />

syndicat ou pas, qu'ils aient contribués à l'effort « collectif» ou non,<br />

bénéficieront des «concessions» arrachées à l'employeur: tout le<br />

monde bénéficiera indistinctement de la même augmentation de<br />

salaire, de la même amélioration des conditions de travail, du même<br />

aménagement des horaires, etc.<br />

En principe, <strong>les</strong> augmentations de salaires pourraient être réservées<br />

aux adhérents. Mais dans une même maison il est impossible de<br />

maintenir un système de rémunérations à deux vitesses: il suffirait<br />

que l'employeur se débarrasse ensuite des employés syndiqués pour<br />

que <strong>les</strong> salaires reviennent à leur niveau précédent. Le syndicat ne<br />

peut défendre ses conquêtes que s'il a le monopole de l'embauche<br />

(situation extrême où l'entreprise s'engage à ne pas faire appel à de la<br />

main-d'œuvre autre que <strong>les</strong> salariés de l'organisation), ou si le salaire<br />

ainsi «négocié» s'applique à tous (solution minimale). Quant aux<br />

autres produits (conditions de travail, horaires, environnement,<br />

sécurité, etc.) ils sont par essence même des «biens collectifs»,<br />

c'est-à-dire des prestations non individualisab<strong>les</strong>.<br />

Qui dit «bien collectif», dit inévitablement problème. En effet,<br />

si l'on peut bénéficier d'un avantage sans avoir à supporter <strong>les</strong> coûts et<br />

<strong>les</strong> désagréments de l'action qu'il est nécessaire d'entreprendre pour<br />

l'obtenir, pourquoi prendre le risque d'entrer en conflit avec son<br />

employeur, lui offrir un motif de licenciement, compromettre<br />

l'augmentation personnelle qu'il avait promise, et qui plus est se


50 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

priver de salaire pendant toute la période de grève Même si <strong>les</strong> dividendes<br />

de l'action collective sont importants, chacun a intérêt à laisser<br />

aux autres l'initiative de faire en sorte qu'ils en supportent <strong>les</strong><br />

coûts.<br />

C'est le problème dit du «passager clandestin». Dans de tel<strong>les</strong><br />

conditions, comment est-il possible de faire fonctionner un syndicat<br />

Comment peut-on encore recruter des membres et des cotisants,<br />

en dehors de quelques fanatiques ou éternels contestataires<br />

professionnels<br />

Ainsi posée, l'analyse économique permet de mieux comprendre<br />

certains traits historiques qui ont conditionné le développement du<br />

mouvement syndical dans <strong>les</strong> pays industrialisés.<br />

Par exemple, ce caractère de «bien collectif» permet de mieux<br />

comprendre pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ne sont pas nés dans la grande<br />

industrie (ou étaient concentrées <strong>les</strong> masses ouvrières <strong>les</strong> plus<br />

déshéritées), mais au contraire ont pris la suite du compagnonnage<br />

dans un certain nombre de métiers spécialisés faisant appel à une<br />

main-d'œuvre qualifiée.<br />

Plus une organisation est grande, plus elle concerne une clientèle<br />

vaste, hétérogène, éparpillée, plus il est difficile d'arriver à organiser<br />

une action collective efficace. En revanche, c'est plus facile si l'on<br />

s'adresse à des communautés humaines de dimension réduite, où <strong>les</strong><br />

intérêts réellement communs sont plus évidents et où existe un plus<br />

grand sentiment naturel de solidarité.<br />

Dans cette optique, <strong>les</strong> petits <strong>syndicats</strong> jouissent d'un avantage<br />

significatif par rapport aux grandes organisations. C'est ainsi qu'au<br />

xrxe siècle,<br />

... <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> n'ont pas <strong>sur</strong>gi dans <strong>les</strong> usines issues de la révolution<br />

industrielle, mais avant tout dans le bâtiment, l'imprimerie, la chaus<strong>sur</strong>e,<br />

et autres branches caractérisées par une production <strong>sur</strong> petite échelle, èt<br />

beaucoup plus tard seulement dans <strong>les</strong> grands complexes des aciéries,<br />

de l'automobile, etc.<br />

Cela dit, le même problème de «bien collectif» joue contre la<br />

<strong>sur</strong>vie des petites organisations, et explique la spécificité des


POURQUOI LES SYNDICATS 51<br />

techniques utilisées par <strong>les</strong> états-majors syndicaux pour atteindre la<br />

dimension de mouvements de masse.<br />

La logtque de la concentration syndtcale<br />

Les forces du marché travaillent contre toute organisation<br />

opérant dans un seul secteur:<br />

Souvent, rappelle Mancur Oison dans son célèbre livre <strong>sur</strong> l'action collective,<br />

<strong>les</strong> employeurs ne sont pas en me<strong>sur</strong>e de <strong>sur</strong>vivre s'ils pratiquent<br />

des salaires plus élevés que <strong>les</strong> entreprises concurrentes. Ainsi un syndicat<br />

a intérêt à veiller à ce que toutes <strong>les</strong> entreprises <strong>sur</strong> un marché donné<br />

soient contraintes d'aligner <strong>les</strong> salaires <strong>sur</strong> l'échelle syndicale. En outre,<br />

lorsqu'un syndicat ne couvre que partiellement une industrie,<br />

l'employeur dispose d'une arme redoutable: <strong>les</strong> briseurs de grève. Les<br />

travailleurs d'une spécialité donnée qui passent d'une localité à une autre<br />

ont intérêt à appartenir à un syndicat national qui leur donne accès à un<br />

emploi dans chaque nouvel endroit. En outre, le pouvoir politique d'un<br />

grand syndicat est évidemment supérieur à celui d'un petit. Les stimulations<br />

pour fédérer <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> locaux et s'implanter dans <strong>les</strong> entreprises<br />

inorganisées augmentent considérablement à me<strong>sur</strong>e que <strong>les</strong> progrès des<br />

transports et des moyens de communication élargissent le marché [142].<br />

Autrement dit, la dynamique de l'économie de marché, parce<br />

qu'elle remet en permanence en cause <strong>les</strong> avantages acquis, incite <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> à fusionner et à regrouper leurs moyens de manière à faire<br />

échec à cette concurrence dont la logique est de défaire le lendemain<br />

ce qu'ils ont précisément réussi la veille.<br />

On passe d'un univers de petites unités syndica<strong>les</strong> loca<strong>les</strong> et indépendantes<br />

à la présence d'un petit nombre de grandes centra<strong>les</strong>.<br />

L'essence de la fonction syndicale, le cœur de son pouvoir, se<br />

déplace vers <strong>les</strong> grandes fédérations nationa<strong>les</strong>.<br />

Mais, pour en arriver là, se pose à l'égard des petits <strong>syndicats</strong> locaux<br />

le même problème de «bien collectif» qu'à propos de la création<br />

des premiers <strong>syndicats</strong>.<br />

Chacun sait qu'il a intérêt à s'allier avec <strong>les</strong> autres. Mais chacun a<br />

également intérêt à tirer profit de l'action collective sans pour autant<br />

en partager <strong>les</strong> coûts. Ce qui est vrai du travailleur à l'égard de son<br />

syndicat s'applique aussi aux <strong>syndicats</strong> par rapport à leurs


52 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

fédérations. Comment tourner ce problème Comment contraindre<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> locaux à s'affilier aux <strong>syndicats</strong> nationaux <br />

A ce dilemme, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont trouvé quatre réponses.<br />

La premIère réponse est d'offrir aux adhérents un arsenal<br />

d'incitations et de récompenses sélectives sous la forme d'avantages<br />

non collectifs ouverts gratuitement à ceux qui adhèrent, et qui sont<br />

refusées aux autres. L'exemple type est celui de l'Almagamated<br />

Society of Engeneers, fondée en 1851, qui fut le premier grand syndicat<br />

national à se révéler viable en Grande-Bretagne: sa particularité<br />

était de reposer <strong>sur</strong> une étroite combinaison entre commerce et<br />

activités amica<strong>les</strong>. Elle fournissait à tous ses membres une large<br />

gamme d'avantages allant de l'assistance judiciaire et de l'allocation<br />

chômage à l'as<strong>sur</strong>ance maladie et la caisse de retraite.<br />

Si cette stratégie a joué un rôle important au XIxe siècle, alors que<br />

<strong>les</strong> mécanismes de couverture sociale étaient encore peu développés<br />

(dans ce domaine, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont joué un rôle pionnier),<br />

aujourd'hui il n'en est plus de même en raison du développement des<br />

systèmes étatiques de protection collective (sécurité sociale).<br />

La seconde réponse a consisté à apporter aux groupes membres<br />

de la fédération des avantages non collectifs que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> locaux<br />

ne pouvaient pas offrir à leurs adhérents en restant seuls.<br />

Par exemple, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> nationaux se sont équipés pour fournir<br />

un personnel d'experts que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> locaux peuvent mettre à<br />

contribution. Ils leur offrent la disponibilité d'un fond de grève qui<br />

joue le rôle d'une sorte d'as<strong>sur</strong>ance-salaires, gérée par une administration<br />

centrale. Le syndicat national peut aussi offrir des avantages<br />

non collectifs directement aux membres d'un syndicat local qui émigrent<br />

vers d'autres localités.<br />

La dynamtque de l'adhésIon oblIgatoIre<br />

TroIsIème recette: convaincre ceux qui persistent à rester en<br />

dehors du mouvement syndical que leurs problèmes et revendications<br />

seront <strong>les</strong> derniers à être pris en compte par la direction. Pour<br />

cela deux techniques ont été développées.


POURQUOI LES SYNDICATS 53<br />

- La première consiste pour le syndicat à revendiquer le monopole<br />

du dialogue interne dans l'entreprise. Si le syndicat a le monopole<br />

du dialogue avec la direction pour le transfert des doléances, si<br />

c'est lui qui intervient lorsqu'il s'agit de protéger <strong>les</strong> salariés contre<br />

des heures supplémentaires trop nombreuses, de protester contre<br />

une répartition inéquitable du travail le plus déplaisant, contre <strong>les</strong><br />

brimades d'un chef d'équipe, etc., sa capacité à faire pression <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

employés pour qu'ils apportent leur adhésion est bien évidemment<br />

plus grande [142].<br />

- La seconde consiste, de la même façon, à obtenir que le syndicat<br />

soit nécessairement consulté pour le choix des règ<strong>les</strong><br />

d'avancement. Dans Logique de l'Action collecttve, Mancur OIson<br />

cite l'exemple de la Fédération des cheminots des États-Unis qui, au<br />

début du siècle, avait négocié avec <strong>les</strong> compagnies de chemin de fer<br />

un accord qui garantissait des promotions à l'ancienneté pour <strong>les</strong><br />

membres du syndicat, alors que <strong>les</strong> travailleurs non syndiqués<br />

dépendaient uniquement du bon vouloir de leur employeur.<br />

Dernière technique, la plus radicale: l'affiliation obligatoire.<br />

elle peut être atteinte de deux façons: soit par le boycott - la<br />

constitution du syndicat interdit par exemple à ses membres de<br />

travailler pour quiconque emploie des ouvriers qui n'adhèrent pas au<br />

syndicat; soit par accord contractuel avec l'entreprise: c'est le cas<br />

du système anglo-saxon de la closed shop et de l'union shop.<br />

La closed shop signifie que seul <strong>les</strong> travailleurs adhérant déjà au<br />

syndicat peuvent postuler à un emploi offert dans l'entreprise.<br />

L'union shop pose seulement que toute personne prenant un<br />

emploi doit, dans un certain délai après son entrée dans l'entreprise,<br />

adhérer au syndicat qui y est implanté.<br />

Cependant l'adhésion obligatoire implique une organisation<br />

capable d'en contrôler la mise en œuvre. Notamment d'as<strong>sur</strong>er le<br />

respect de la règle qui interdit aux non-adhérents de travailler dans<br />

une entreprise ou une branche donnée. Ce qui, inévitablement, pose<br />

le problème du recours à la violence et de la façon dont <strong>les</strong> lois la<br />

sanctionnent ou non.<br />

Conformément au schéma ainsi reconstitué, l'histoire confirme<br />

que c'est précisément à l'époque de la constitution des grands


54 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

<strong>syndicats</strong> nationaux que <strong>les</strong> déchaînements de violence syndicale (ou<br />

antisyndicale) ont été <strong>les</strong> plus violents.<br />

France " le législateur supplée aux faib<strong>les</strong>ses du syndicalisme<br />

politique<br />

On ne trouve pas en France l'équivalent de la closed shop ni de<br />

l'union shop à l'américaine ou à l'anglaise. Cela n'invalide cependant<br />

pas le caractère général de l'analyse présentée jusqu'ici.<br />

Là encore, c'est l'économiste américain Mancur OIson qui donne<br />

l'explication du pourquoi.<br />

Quand, écrit-il, un syndicat s'engage dans une négociation collective<br />

avec un employeur donné, il peut souvent obliger l'employeur à faire de<br />

l'adhésion au syndicat une des conditions de l'embauche; <strong>les</strong> membres<br />

du syndicat peuvent purement et simplement refuser de travailler avec<br />

des non syndiqués. Une fois que le syndicat a reçu la reconnaissance<br />

désirée de la part du patronat, son avenir est as<strong>sur</strong>é. Mais un syndicat<br />

voué à ne fonctionner qu'à travers le système politique n'a pas une telle<br />

ressource. Il ne peut rendre l'adhésion obligatoire; il ne peut même pas<br />

traiter avec l'employeur, celui qui est le mieux placé pour contraindre <strong>les</strong><br />

travailleurs à se syndiquer. S'il réussit de quelque manière à obtenir une<br />

adhésion forcée, il se trouvera dans une situation embarrassante car, en<br />

tant qu'organisation politique, il n'a aucune excuse de rendre l'adhésion<br />

obligatoire; en somme, l'exercice de la contrainte à des fins purement<br />

politiques semblera anormale dans un régime démocratique [1421.<br />

Aux États-Unis, la première grande organisation syndicale nationale<br />

à s'implanter durablement fut l'American Federation of Labor,<br />

fondée en 1886 par Samuel Gombers. Pourquoi réussit-elle là où plusieurs<br />

entreprises précédentes avaient échoué Parce que la<br />

Fédération américaine du travail, dès sa création, tourna résolument<br />

le dos à l'orientation de ses précurseurs qui voulaient privilégier la<br />

dimension politique du combat syndical.<br />

La raison du succès de l'APL, note OIson, vient du fait qu'elle a renoncé à<br />

l'activité politique pour concentrer ses efforts <strong>sur</strong> le contrôle de l'emploi.


POURQUOI LES SYNDICATS 55<br />

A contrario, on peut déduire de ces remarques, d'abord que la<br />

faib<strong>les</strong>se traditionnelle du syndicalisme français s'expliquerait par son<br />

haut degré de politisation Oa présence des communistes, notamment,<br />

au sein de la CGT); ensuite, que c'est cette même politisation qui a<br />

empêché le développement des formu<strong>les</strong> de closed shop et d'union<br />

shop, à l'exception de quelques secteurs particuliers (comme le<br />

Livre).<br />

Comment <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> français ont-ils compensé cette faib<strong>les</strong>se<br />

Simple: par le recours à la loi et à l'aide du législateur. Ce que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> n'ont pas réussi à imposer aux entrepreneurs privés<br />

O'alimentation automatique de leurs caisses), ils l'ont obtenu de<br />

l'État. Non pas de façon directe, ce qui serait trop voyant. Mais de<br />

façon indirecte, notamment par la mise en place d'un système monopolistique<br />

de prévoyance sociale confié à des organismes de gestion<br />

paritaire, ou encore par la création de cette extraordinaire cassette<br />

que sont <strong>les</strong> comités d'entreprise.<br />

Prenons par exemple l'institution des « délégués du personnel».<br />

La loi en fait un monopole syndical. L'utilité de ce monopole<br />

s'explique aisément. Il s'agit de convaincre ceux qui persistent à rester<br />

en dehors du syndicat que leurs revendications seront <strong>les</strong> dernières à<br />

être prises en compte. Rappelons-nous <strong>les</strong> lois Auroux de 1982. Leurs<br />

dispositions <strong>sur</strong> l'expression des salariés étaient en fait spécifiquement<br />

conçues pour renforcer cet aspect du monopole. (Mais el<strong>les</strong> ont eu<br />

l'effet pervers que <strong>les</strong> conditions mêmes dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> el<strong>les</strong> ont été<br />

votées - par un pouvoir socialiste auquel <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> étaient étroitement<br />

liés - ont eu pour conséquence d'aggraver l'image de marque<br />

« politique» des militants syndicaux dans l'entreprise, et donc de<br />

détourner le personnel vers <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formes de dialogue interne<br />

mises en place par <strong>les</strong> entreprises avec l'aide de la hiérarchie: cerc<strong>les</strong><br />

de progrès, cerc<strong>les</strong> de qualité, etc.).<br />

Prenons enfin <strong>les</strong> comités d'entreprise. A eux <strong>les</strong> activités<br />

socia<strong>les</strong>, sportives et culturel<strong>les</strong> - et donc <strong>les</strong> subventions et taxes<br />

spécia<strong>les</strong> conçues pour <strong>les</strong> financer. Ces fonds sont utilisés pour alimenter<br />

une quirielle d'entreprises, des sociétés de prestations de services,<br />

de bureaux d'études, etc., émanation directe des grandes centra<strong>les</strong>.<br />

Cel<strong>les</strong>-ci accusent <strong>les</strong> multinationa<strong>les</strong> de transfert illicite de<br />

profits par le mécanisme des « prix de cession ». Mais lorsqu'ils


56 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

s'adressent aux imprimeries de la CGT, aux éditions qui dépendent du<br />

Parti communiste, aux agences de voyages de la CFDT, etc., ceux qui<br />

gèrent <strong>les</strong> fonds, souvent colossaux, détenus par <strong>les</strong> comités<br />

d'entreprise ne font pourtant pas autre chose. Par la voie de prix de<br />

faveur, par des adjudications tronquées, l'argent des contribuab<strong>les</strong> ou<br />

celui des entreprises se retrouve dans <strong>les</strong> caisses des <strong>syndicats</strong>. Et tout<br />

le monde l'admet sans broncher.<br />

Comment l'État as<strong>sur</strong>e leur financement obligatoire<br />

Même chose avec notre système de prévoyance sociale. Caisses<br />

de sécurité sociale, caisses de retraite, caisses d'allocations familia<strong>les</strong>,<br />

tout cela fait beaucoup de postes de président, vice-président, administrateurs,<br />

etc., pour récompenser de leurs bons et loyaux services<br />

<strong>les</strong> militants <strong>les</strong> plus anciens et <strong>les</strong> plus fidè<strong>les</strong>. Cela fait aussi beaucoup<br />

d'argent pour des subventions à des organisations dites «d'intérêt<br />

public» qui, parfois, ne sont que de simp<strong>les</strong> antennes-relais pour<br />

capter l'argent des cotisants au profit d'organisations corporatives.<br />

Pensons également aux crédits d'heures financés par l'employeur,<br />

et garantis à tout responsable syndical exerçant un mandat officiel<br />

dans l'entreprise. Ou encore à la réglementation des licenciements.<br />

La saisine automatique des comités d'entreprise, <strong>les</strong> pouvoirs<br />

d'expertise extérieure dont ils peuvent se faire assister, ainsi que le<br />

contrôle des licenciements par une Inspection du travail elle-même<br />

fortement noyautée par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, font que, souvent, ce sont en<br />

réalité <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> qui en supervisent <strong>les</strong> modalités d'exécution:<br />

encore une incitation certaine à ne pas être trop mal avec le syndicat<br />

et ses représentants locaux. Ce n'est pas encore le syndicat qui gère la<br />

main-d'œuvre, mais on s'en rapproche.<br />

Comme nous le verrons plus en détail au chapitre 3, ces exemp<strong>les</strong><br />

rapides nous font redécouvrir le Droit du travail sous un jour nouveau.<br />

En approfondissant l'analyse, on découvre que la plupart des artic<strong>les</strong><br />

du Code du travail, ainsi que notre législation sociale, servent en<br />

définitive à renforcer d'une manière ou d'une autre le pouvoir de<br />

contrôle monopolistique des <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> le marché du travail.


POURQUOI LES SYNDICATS 57<br />

C'est une belle preuve de leur efficacité politique. Mais aussi une<br />

illustration de la manière dont l'analyse économique, en tant que<br />

science des choix, des comportements et des intérêts, permet<br />

d'approfondir la connaissance de certaines de nos institutions.<br />

Les changements intervenus depuis un demi-siècle dans notre<br />

environnement institutionnel sont souvent utilisés comme argument<br />

pour expliquer que <strong>les</strong> lois de l'économie classique ne s'appliquent<br />

plus, et ne peuvent donc être utilisées pour étudier l'univers concret<br />

des relations du travail.<br />

Nous pensons au contraire que la puissance explicative du modèle<br />

économique confirme la valeur de l'hypothèse méthodologique qui<br />

sert de fondement à l'analyse libérale classique des <strong>syndicats</strong>:<br />

l'assimilation du syndicat à un cartel demeure l'instrument le plus efficace<br />

dont nous disposions pour comprendre le rôle qu'ils jouent dans<br />

nos sociétés et apprécier quel type de législation devrait leur être<br />

appliqué.


2<br />

Les <strong>syndicats</strong> sont -ils uti<strong>les</strong><br />

Depuis la guerre, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> n'étaient plus un sujet d'étude très<br />

prisé des économistes. Un professeur a calculé que 9 % des artic<strong>les</strong><br />

publiés dans <strong>les</strong> années 40 dans <strong>les</strong> revues économiques avaient pour<br />

sujet <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>. Dans <strong>les</strong> années 60, le pourcentage était descendu<br />

à 2. En 1975, il n'était plus que de 1,5.<br />

Les <strong>syndicats</strong> étaient devenus la province quasi exclusive des<br />

sociologues et spécialistes en «relations socia<strong>les</strong>». Tout se passait<br />

comme si <strong>les</strong> économistes avaient cessé de s'intéresser au sujet, malgré<br />

l'absence de recherche vraiment fondamentale <strong>sur</strong> la nature du<br />

phénomène syndical et ses effets <strong>sur</strong> l'environnement économique.<br />

Depuis quelques années on assiste cependant à un renouveau<br />

d'intérêt des économistes, largement dû à la controverse suscitée par<br />

le livre de deux chercheurs de Harvard, Richard B. Freeman et James<br />

L. Medoff [671.<br />

Traditionnellement, <strong>les</strong> économistes du travail sont plutôt des<br />

« institutionnalistes » qui délaissent <strong>les</strong> longues recherches chiffrées et<br />

ne s'intéressent guère aux subtilités de la théorie moderne de<br />

l'optimum. L'originalité de Freeman et de Medoff a été de rompre<br />

avec ce comportement et de traiter l'économie des <strong>syndicats</strong> avec<br />

toutes <strong>les</strong> ressources statistiques et économétriques dans la tradition<br />

des recherches du National Bureau of Economie Research.


60 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Le résultat est un travail extrêmement sophistiqué où <strong>les</strong> deux<br />

auteurs attaquent de façon persuasive la thèse de notre premier chapitre<br />

- :l savoir que le syndicat doit d'abord et avant tout être perçu<br />

comme un groupe de pression :l vocation redistributive.<br />

Leur argument est que se concentrer <strong>sur</strong> l'aspect monopolistique<br />

des <strong>syndicats</strong> empêche de voir le rôle positif qu'ils exercent dans la<br />

société en tant que véhicu<strong>les</strong> de protestation; et que, globalement,<br />

leur contribution :l l'économie est plutôt largement positive.<br />

La somme de recherches et de calculs empiriques introduite dans<br />

leur thèse a as<strong>sur</strong>é son succès. Nous vivons une époque où le caractère<br />

« scientifique» d'un travail dépend avant tout de la quantité de<br />

chiffres, de tableaux et de régressions qui y figurent. Par leurs publications,<br />

Freeman et Medoff ont apporté une légitimité «scientifique<br />

» aux arguments de ceux qui prétendent que la contribution des<br />

<strong>syndicats</strong> au bien-être des sociétés industriel<strong>les</strong> modernes est nécessairement<br />

positive.<br />

Nous pensons l'inverse. Mais, pour défendre la validité de notre<br />

thèse, Freeman et Medoff nous imposent maintenant de démontrer<br />

qu'on ne peut pas tirer de la quantité d'informations empiriques qu'ils<br />

ont rassemblée <strong>les</strong> conclusions qu'ils prétendent. Tel est l'objet de ce<br />

second chapitre.<br />

La plupart des faits nùs à jour par Freeman et Medoff sont certes<br />

incontestab<strong>les</strong>. Tout économiste a désormais une dette envers eux<br />

pour la patience que leur a demandée leur travail de recherche statistique.<br />

Mais il ne suffit pas de multiplier <strong>les</strong> données empiriques,<br />

encore faut-il savoir <strong>les</strong> interpréter correctement. C'est là où nous ne<br />

sommes plus d'accord.<br />

Nous croyons qu'en partant des mêmes constatations empiriques,<br />

il est possible de prétendre qu'el<strong>les</strong> valident en réalité davantage la<br />

thèse traditionnelle du syndicat-cartel que leurs propres conclusions.<br />

Dans un premier temps nous présenterons un résumé de la thèse<br />

de Freeman et Medoff. Nous discuterons ensuite la validité des<br />

preuves empiriques qu'ils prétendent apporter :l l'appui de leur<br />

argumentation.


LES SYNDICATS SONT-ILS UfILES 61<br />

LES ARGUMENTS DE FREEMAN ET MEDOFF<br />

Traditionnellement, quatre attitudes s'affrontent.<br />

L'analyse économique explique que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> servent <strong>sur</strong>tout à<br />

exercer un effet de monopole <strong>sur</strong> le marché du travail. Leur action a<br />

pour conséquence principale de relever le niveau relatif des salaires<br />

dont bénéficient <strong>les</strong> salariés syndiqués, au détriment de leurs collègues<br />

non syndiqués. Elle entraîne des effets négatifs <strong>sur</strong> l'évolution<br />

de la productivité et l'emploi.<br />

Les chefs d'entreprise se plaignent, eux, du caractère rigide des<br />

conventions collectives imposées par l'action syndicale, des entraves<br />

à la production qu'introduit le renouvellement des grèves, ainsi que<br />

du niveau plus élevé d'absentéisme qui résulterait des progrès de la<br />

protection syndicale.<br />

Les spécialistes des relations humaines insistent essentiellement<br />

<strong>sur</strong> <strong>les</strong> avantages que <strong>les</strong> entreprises retireraient, <strong>sur</strong> le plan de la gestion,<br />

des progrès de la négociation collective. Celle-ci faciliterait <strong>les</strong><br />

gains de productivité.<br />

Enfin, <strong>les</strong> cadres syndicalistes insistent pour rappeler que leurs<br />

organisations ne sont pas seulement là pour défendre <strong>les</strong> salaires;<br />

el<strong>les</strong> remplissent également une fonction essentielle de protection<br />

des syndiqués contre <strong>les</strong> décisions arbitraires de la direction.<br />

Toutes ces affirmations ne sauraient être vraies simultanément.<br />

Lesquel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> plus crédib<strong>les</strong> Jusqu'à présent, on ne disposait<br />

que de très peu de données empiriques permettant de départager <strong>les</strong><br />

points de vue. C'est cette insuffisance des données statistiques qui a<br />

motivé <strong>les</strong> travaux des deux chercheurs américains.<br />

Les deux armes du travailleur: le départ et la protestation<br />

Albert O. Hirschman, dans son célèbre livre Exit, Volee and<br />

loyalty, distingue deux mécanismes par <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> gens réagissent à<br />

un écart entre leurs aspirations et la réalité [861.<br />

Freernan et Medoff reprennent à leur compte cette typologie. Les<br />

travailleurs insatisfaits de leurs rémunérations ou de leurs conditions


62 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

de travail réagissent, et sanctionnent leur patron en quittant leur<br />

emploi pour un autre, qui leur semble meilleur, dans une autre firme.<br />

Mais il existe également une autre manière de faire part de son<br />

mécontentement: protester. Avant que de prendre la porte, on fait<br />

part à son patron, de manière plutôt vive, de ce qui ne va pas.<br />

Ces deux modes de sanction ne sont pas équivalents. Lorsqu'on<br />

discute avec son patron, mieux vaut être plusieurs que seul.<br />

Deux facteurs renforcent le caractère nécessairement collectif des<br />

actions de protestation.<br />

Leur objet, <strong>les</strong> conditions de travail, ont à bien des égards un<br />

caractère naturel de «biens publics ». Lorsqu'il s'agit de conditions<br />

de sécurité, d'éclairage, de cadences, de règ<strong>les</strong> de négociation des<br />

salaires, d'arbitrage en matière de licenciement. .. ce qui est accordé<br />

peut difficilement être limité à quelques bénéficiaires et interdit aux<br />

autres. Comme pour la défense nationale, l'hygiène et la santé publique,<br />

il s'agit de « biens» qui concernent l'ensemble d'une communauté,<br />

et qui, pour être produits en quantité optimale, requièrent des<br />

procédures de décision collective.<br />

En l'absence d'action collective, <strong>les</strong> individus ne tiendront pas<br />

compte dans leur comportement des conséquences de leurs faits et<br />

gestes <strong>sur</strong> le bien-être des autres. L'action individuelle pour obtenir<br />

l'amélioration des conditions de travail ou du niveau des salaires sera<br />

peu efficace car <strong>les</strong> « coûts» en seront concentrés <strong>sur</strong> la personne<br />

alors que tout le monde profitera des résultats acquis. C'est cette<br />

assymétrie entre <strong>les</strong> coûts et <strong>les</strong> avantages qui rend l'action individuel1e<br />

inadéquate, et donc improbable, pour traiter ce genre de<br />

problèmes.<br />

Par ailleurs, un ouvrier isolé, même s'il a de bons motifs, n'osera<br />

pas élever la voix de peur de prendre le risque de se faire renvoyer.<br />

Si le monde où évoluent <strong>les</strong> travailleurs était parfait, soulignent Freeman<br />

et Medolf, et s'ils avaient donc la possibilité garantie de retrouver aussitôt<br />

du travail au même salaire, la loi du marché suffirait à as<strong>sur</strong>er la<br />

protection de la liberté de parole: malheureusement ce n'est pas le cas.


LES SYNDICATS SONT-ILS lJfILES 63<br />

Lorsqu'il n'y a pas de <strong>syndicats</strong>, <strong>les</strong> entrées et <strong>les</strong> sorties représentent<br />

donc le principal mode d'ajustement par lequel <strong>les</strong> travailleurs<br />

peuvent exprimer leur mécontentement.<br />

Les employeurs, de leur côté, règlent leur comportement en<br />

fonction des préférences du travailleur marginal, celui qui sera prêt à<br />

partir au moindre changement dans <strong>les</strong> termes de l'échange.<br />

Ce travailleur marginal est celui pour lequel <strong>les</strong> «coûts de mobilité»<br />

sont <strong>les</strong> plus bas. C'est typiquement un homme jeune, qui n'a<br />

pas encore investi véritablement dans l'entreprise pour laquelle il travaille.<br />

Dans ce cas, l'entreprise tend à négliger <strong>les</strong> besoins de la maind'œuvre<br />

plus ancienne et plus âgée, qui, elle, est moins mobile pour<br />

des raisons de compétence technique et de qualifications spécifiques<br />

aux métiers de la firme où elle est employée, ou encore de « droits »<br />

non transférab<strong>les</strong> ailleurs (comme <strong>les</strong> pensions de retraite à la mode<br />

anglo-saxonne).<br />

Les syndtcats réduisent <strong>les</strong> « cot2ts de transactton» tnternes de la<br />

ftrme<br />

Si l'on est en présence d'entreprises fortement syndicalisées,<br />

expliquent <strong>les</strong> deux auteurs américains, la tendance sera au contraire<br />

de tenir compte des préférences de tous <strong>les</strong> travailleurs, de telle sorte<br />

que <strong>les</strong> besoins de ceux qui sont le moins à même de s'exprimer individuellement<br />

(parce que c'est pour eux que <strong>les</strong> coûts de prendre le<br />

risque de quitter l'entreprise sont <strong>les</strong> plus élevés), seront également<br />

pris en considération.<br />

De ce fait, concluent-ils, loin de nuire à la productivité, le mécanisme<br />

de protestation par l'action collective du personnel est au<br />

contraire un facteur d'amélioration des performances, et cela de<br />

quatre façons :<br />

1. La présence d'un syndicat permet de réduire <strong>les</strong> «coûts de<br />

transaction» de l'entreprise. Lorsqu'un employé formé par<br />

l'employeur le quitte avant que ce dernier n'ait récupéré la<br />

contrepartie de son coût d'investissement, c'est une perte sèche pour<br />

la firme. En offrant aux employés la possibilité de protester<br />

ouvertement, avec moins de risques personnels, le syndicat diminue


64 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

la mobilité des travailleurs ies plus insatisfaits, et donc <strong>les</strong> coûts que<br />

cela entraîne pour l'entreprise.<br />

2. Parce qu'il contrôle l'établissement et l'évolution des rémunérations<br />

et qu'il <strong>les</strong> déconnecte des performances individuel<strong>les</strong>, le<br />

syndicat réduit l'intensité des phénomènes de rivalité au sein du personnel.<br />

Sa présence améliore la coopération des gens au travail. Ce<br />

qui facilite le contrôle des performances individuel<strong>les</strong> par<br />

l'encadrement. L'entreprise supporte des « coûts de contrôle» moins<br />

importants.<br />

3. En favorisant la hausse des salaires en structurant <strong>les</strong> rémunérations<br />

autour d'un certain nombre de normes types, l'activité du<br />

syndicat facilite le travail de gestion du personnel. Elle permet à<br />

l'encadrement de faire son travail plus efficacement.<br />

4. La présence du syndicat améliore la communication entre <strong>les</strong><br />

employés et leur encadrement. En facilitant la circulation de l'information,<br />

en facilitant également l'introduction d'innovations loca<strong>les</strong><br />

dans le processus de production, elle entraîne des effets positifs <strong>sur</strong> la<br />

productivité.<br />

Entendons-nous bien. Freeman et Medoff ne nient pas la réalité<br />

de phénomènes monopolistiques classiques. Ils reconnaissent qu'ils<br />

existent, et qu'ils sont source d'effets nuisib<strong>les</strong>. Mais, prétendent-ils,<br />

il force d'insister <strong>sur</strong> <strong>les</strong> aspects négatifs de l'action syndicale, <strong>les</strong><br />

économistes traditionnels ont fini par oublier totalement que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> pouvaient également être il l'origine de certains effets bénéfiques.<br />

Ce sont ces effets qu'ils s'efforcent de présenter dans leur<br />

livre, avec force chiffres et données empiriques il l'appui.<br />

1. LES ~CARTS DE SALAIRES<br />

Comment <strong>les</strong> rémunérations dans <strong>les</strong> secteurs il forte implantation<br />

syndicale se comparent-el<strong>les</strong> aux secteurs il faible syndicalisation<br />

Avant Freernan et Medoff, <strong>les</strong> travaux <strong>les</strong> plus connus et influents<br />

étaient ceux du professeur G. Lewis [110]. Publiés en 1963 (et confirmés<br />

par une nouvelle étude rendue publique en 1983), ils suggéraient<br />

que <strong>les</strong> salaires des secteurs syndiqués seraient en moyenne<br />

supérieurs de 10 il 20 % il ceux des autres secteurs. A partir de leurs


LES SYNDICATS SONT-ILS UTILES 65<br />

régressions, Freeman et Medoff trouvent un écart sensiblement plus<br />

important. Compris entre 20 et 30 %.<br />

Le problème de ces estimations est qu'el<strong>les</strong> portent le plus<br />

souvent <strong>sur</strong> des données de nature transversale où ce sont des salaires<br />

gagnés par des gens différents qui sont comparés à un moment unique<br />

dans le temps. Ce genre d'analyse présente une faib<strong>les</strong>se j <strong>les</strong> écarts<br />

constatés peuvent avoir deux origines: ils peuvent s'expliquer par la<br />

différence de syndicalisation, mais ils peuvent aussi avoir pour cause<br />

des données propres aux deux populations étudiées - la technique<br />

utilisée ne permet pas de faire la part des choses entre <strong>les</strong> deux<br />

hypothèses.<br />

Pour obtenir des chiffres incontestab<strong>les</strong>, il faudrait par exemple<br />

éliminer l'influence de variab<strong>les</strong> tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> différences de formation<br />

et qualification. Il n'est en effet pas ab<strong>sur</strong>de de penser qu'en raison<br />

du caractère mieux protégé des emplois offerts, <strong>les</strong> entreprises<br />

des secteurs d'activité à fort taux de syndicalisation ont plutôt tendance<br />

à recruter des agents présentant, toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs,<br />

des qualifications professionnel<strong>les</strong> plus élevées.<br />

Pour pallier cet inconvénient, des études portant <strong>sur</strong> des données<br />

statistiques longitudina<strong>les</strong> ont été entreprises. El<strong>les</strong> observent<br />

comment le salaire d'un employé évolue quand il passe d'une activité<br />

à forte implantation syndicale à une activité où l'influence des <strong>syndicats</strong><br />

est beaucoup plus faible (voir nulle). Leurs résultats donnent un<br />

écart moyen compris entre 8 et 15 %. Ce qui confirmerait que<br />

l'avantage salarial apporté par la présence de <strong>syndicats</strong> forts serait<br />

loin d'être négligeable.<br />

Ces estimations proviennent des États-Unis. D'autres travaux ont<br />

été réalisés <strong>sur</strong> des données canadiennes. Ils donnent des estimations<br />

d'écart compris entre 20 et 30 %.<br />

En Grande-Bretagne, le différentiel a été estimé aux alentours de<br />

7%.<br />

En revanche, en France, aucun écart notable n'a pu être observé.<br />

Deux études y ont été réalisées. L'une par le tandem Frédéric Jenny et<br />

André Weber, deux économistes connus travaillant pour le Conseil<br />

de la concurrence. L'autre par François Hennart, de l'université<br />

d'Orléans. Les premiers n'ont pas réussi à séparer l'effet <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

salaires lié au taux de syndicalisation, du fait que ce sont <strong>les</strong> secteurs


66 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

<strong>les</strong> plus syndiqués qui sont aussi <strong>les</strong> plus concentrés. Le second, quant<br />

à lui, n'a trouvé aucune différence significative de salaire dès lors que<br />

l'on fait intervenir des données comme la structure des âges, le sexe,<br />

ou le niveau de qualification de la force de travail [92, 82).<br />

Les études des deux économistes américains font enfin apparaître<br />

une moins grande dispersion des rémunérations dans <strong>les</strong> secteurs<br />

fortement syndiqués. L'écart des salaires y serait réduit de 20 à 25 %.<br />

2. LES AVANTAGES EN NATURE<br />

Les avantages en nature sous forme de pensions complémentaires,<br />

de retraite, d'as<strong>sur</strong>ances médica<strong>les</strong>, de congés payés,<br />

d'indemnités de départ, de prêts bonifiés, etc., sont incontestablement<br />

le produit de la syndicalisation.<br />

Ils représentent souvent plus du tiers du coût du travail dans<br />

l'entreprise, allant même parfois au-delà de 50 %.<br />

Les travaux statistiques de Freeman et Medoff confirment<br />

l'existence d'une corrélation très significative avec le taux de syndicalisation.<br />

En moyenne, <strong>les</strong> secteurs fortement syndicalisés bénéficieraient<br />

d'avantages en nature dont le montant serait supérieur de plus<br />

de 60 % à ce qui est observé dans l'échantillon de firmes où le taux de<br />

syndicalisation est faible. A salaires constants, l'écart serait encore<br />

de plus de 30 %.<br />

3. LES DIFFÉRENCES DE MOBILITÉ<br />

Pour Freeman et Medoff, l'un des avantages économiques du<br />

syndicat est qu'en négociant des procédures de réclamation et<br />

d'arbitrage, ainsi que des règ<strong>les</strong> d'ancienneté plutôt plus favorab<strong>les</strong><br />

aux plus anciens dans l'entreprise, il favorise une réduction de la<br />

mobilité de la main-d'œuvre.<br />

Leurs chiffres confirment une plus grande stabilité de l'emploi<br />

dans l'échantillon d'entreprises à forte implantation syndicale. Selon<br />

<strong>les</strong> secteurs, le taux moyen des démissions y est entre 30 et 65 % inférieur<br />

à ce que l'on observe ailleurs. Le nombre moyen d'années passées<br />

par un salarié dans une entreprise y est de près d'un tiers plus<br />

long. Cette moindre mobilité, du fait des comportements spontanés<br />

de la main-d'œuvre se traduirait, pour l'entreprise, par une économie<br />

de coûts de l'ordre de 1 à 2 %. Pour obtenir dans <strong>les</strong> firmes des


LES SYNDICATS SONT-ILS unLES 67<br />

secteurs <strong>les</strong> moins protégés un taux de démission identique, il faudrait,<br />

selon Freeman et Medoff, y augmenter <strong>les</strong> salaires d'environ<br />

40%.<br />

". LES AJUSTEMENTS CONJONCTlJRELS<br />

Dans l'entreprise, une catégorie de décisions importantes<br />

concerne la façon dont il convient de réagir aux variations soudaines<br />

et imprévisib<strong>les</strong> de la demande. Faut-il en priorité faire porter<br />

l'ajustement <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires, <strong>les</strong> heures de travail ou le niveau de<br />

l'emploi<br />

Les recherches de Freeman et Medoff confirment que la présence<br />

d'une influence syndicale forte modifie le comportement des firmes<br />

face aux aléas inattendus de la conjoncture.<br />

Durant <strong>les</strong> périodes de récession, <strong>les</strong> entreprises fortement syndiquées<br />

recourent davantage au licenciement temporaire, et ont plutôt<br />

tendance 1 éviter toute incidence <strong>sur</strong> le nombre d'heures travaillées,<br />

ainsi que <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires. Lorsque la reprise apparait, el<strong>les</strong><br />

reprennent leurs anciens employés, cependant que <strong>les</strong> fumes non<br />

syndiquées embauchent plutôt de nouveaux salariés. Ce n'est que<br />

lorsque la crise se prolonge que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> se montrent davantage<br />

disposés 1 accepter des baisses de rémunération, ainsi que des aménagements<br />

aux conditions de travail.<br />

5. L'IMPORTANCE DE L'ANCENNE'Œ<br />

Freeman et Medoff mettent en évidence l'existence d'une corrélation<br />

étroite entre le taux de syndicalisation et la présence de dispositions<br />

contractuel<strong>les</strong> favorisant l'ancienneté dans l'entreprise. Ils<br />

montrent que, dans <strong>les</strong> firmes fortement syndiquées, la séOlrité de<br />

l'emploi et l'avancement y sont d'autant mieux as<strong>sur</strong>és que <strong>les</strong><br />

ouvriers concernés sont plus anciens. D'une manière générale, <strong>les</strong><br />

avantages en nature sont ainsi conçus qu'ils bénéficient davantage aux<br />

plus anciens qu'aux autres.<br />

6. LE TAUX DE SATISFACI10N DES SALARI2s<br />

L'un des résultats paradoxaux de l'enquête de Freeman et Medoff<br />

fait apparaitre que si <strong>les</strong> travailleurs des entreprises <strong>les</strong> plus fortement<br />

syndiquées sont en règle générale moins tentés de quitter


68 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

volontairement leur emploi, en revanche, c'est dans cette catégorie<br />

d'entreprises que <strong>les</strong> gens se plaignent le plus de leur situation. Leurs<br />

griefs portent principalement <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions de travail, ainsi que<br />

leurs rapports avec <strong>les</strong> contremaîtres.<br />

Pour <strong>les</strong> deux économistes, cette contradiction n'est qu'apparente.<br />

Pour obtenir des avantages, il faut exprimer son mécontentement.<br />

Il est donc normal que, même si <strong>les</strong> gens n'ont pas envie de<br />

quitter leur travail, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> y entretiennent un degré d'insatisfaction<br />

suffisant pour peser <strong>sur</strong> <strong>les</strong> décisions de l'employeur.<br />

7. LES EFFETS SUR LA PRODucrIVITÉ<br />

Selon Freeman et Medoff, c'est une erreur de croire que la présence<br />

d'un syndicalisme actif dans l'entreprise nuit à la productivité.<br />

Leurs observations, affirment-ils, montrent que dans de nombreux<br />

secteurs c'est l'inverse. Les établissements syndiqués afficheraient,<br />

dans l'ensemble, une productivité plus élevée. L'explication en serait<br />

simple. Le monopole syndical incite l'encadrement à embaucher une<br />

main-d'œuvre plus qualifiée pour ajuster la productivité aux salaires<br />

versés. La moindre mobilité et l'amélioration des méthodes de gestion<br />

as<strong>sur</strong>ent une coopération plus efficace au sein de l'entreprise:<br />

el<strong>les</strong> réduisent <strong>les</strong> occasions de conflit et donc <strong>les</strong> coûts internes.<br />

Certes, le syndicat a le moyen d'imposer des conditions restrictives<br />

de travail (cf. le fameux exemple du syndicat des pilotes exigeant la<br />

présence de trois personnes dans le cockpit de l'appareil, alors que<br />

celui-ci a été spécifiquement conçu pour être piloté par deux personnes<br />

seulement). Mais, expliquent Freeman et Medoff, <strong>les</strong> analyses<br />

empiriques démontrent que <strong>les</strong> deux premiers effets l'emportent largement<br />

<strong>sur</strong> le troisième. La productivité serait en gros supérieure de<br />

20 à 30 % dans <strong>les</strong> établissements <strong>les</strong> plus syndiqués.<br />

8. L'EFFET SUR LES PROFITS<br />

Les études de Freeman et Medoff confirment la présence d'une<br />

corrélation négative entre le pouvoir syndical et la rentabilité des<br />

capitaux investis. D'une manière générale, la syndicalisation<br />

diminue <strong>les</strong> profits de la firme. Cette réduction se situerait, selon eux,<br />

dans une fourchette de 10 à 30 %, selon <strong>les</strong> années et <strong>les</strong> secteurs<br />

d'activités. Leurs données confirment également que cet effet <strong>sur</strong> <strong>les</strong>


LES SYNDICATS SONT-ILS UfILES 69<br />

profits est le plus fort là où l'industrie est la plus concentrée; et le plus<br />

faible en revanche là où la concurrence est la plus forte. Lorsqu'une<br />

entreprise détient un véritable monopole industriel ou commercial,<br />

la présence d'un syndicat puissant entraîne une forte réduction des<br />

profits. Elle n'a que peu d'effets lorsque la firme appartient à une<br />

activité où la concentration est faible.<br />

9. LA PUISSANCE POLITIQUE<br />

Aux États-Unis, le lobbytng est une activité quasiment officielle.<br />

Les <strong>syndicats</strong> ne se privent pas d'utiliser leur pouvoir de pression <strong>sur</strong><br />

<strong>les</strong> hommes politiques. Les militants syndicaux interviennent activement<br />

dans le soutien à la campagne des candidats <strong>les</strong> plus favorab<strong>les</strong><br />

aux thèses et renvendications syndica<strong>les</strong>. Toutefois, selon <strong>les</strong> travaux<br />

de Freeman et Medoff, si <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> américains ont jusqu'à présent<br />

bénéficié d'un pouvoir politique suffisant pour éviter que ne soient<br />

remis en cause <strong>les</strong> grands textes législatifs qui fondent leur pouvoir<br />

monopolistique dans <strong>les</strong> secteurs où leur influence est depuis longtemps<br />

déjà as<strong>sur</strong>ée (le Noris La Guardia Act, par exemple), en<br />

revanche il ne s'est pas révélé suffisant pour leur permettre d'étendre<br />

leur influence dans de nouveaux secteurs à tradition syndicale faible.<br />

10. LE DÉCLIN DES ADHÉSIONS SYNDICALES<br />

Le pourcentage de la population active syndiquée, dans le secteur<br />

privé de l'économie américaine, a sérieusement régressé depuis <strong>les</strong><br />

années 50. Selon Freeman et Medoff, ce phénomène s'expliquerait<br />

principalement par la chute du recrutement dans <strong>les</strong> secteurs <strong>les</strong><br />

moins syndiqués. Ils incriminent également le comportement des<br />

entreprises américaines qui, depuis quelques années, auraient multiplié<br />

<strong>les</strong> me<strong>sur</strong>es léga<strong>les</strong>, mais aussi illéga<strong>les</strong>, pour enrayer <strong>les</strong> progrès<br />

de la syndicalisation.<br />

Tel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> thèses que Freeman et Medoff présentent<br />

dans leur ouvrage. Nombre de données qui y figurent sont incontestab<strong>les</strong>.<br />

Nous pensons cependant que <strong>les</strong> conclusions qu'ils en<br />

tirent, même s'ils n'ont pas tort <strong>sur</strong> tout, sont trompeuses, souvent<br />

fausses, et parfois fondées <strong>sur</strong> des preuves empiriques qui restent<br />

néanmoins douteuses. Nombre de faits rapportés par Freeman et


70 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Medoff restent compatib<strong>les</strong> avec l'interprétation classique du syndicat<br />

vu comme un cartel, et peuvent être resitués dans une approche<br />

contredisant le modèle d'exit and voice qu'ils proposent.<br />

LES DÉFICIENCES DE L'ANALYSE DE FREEMAN ET MEDOFF<br />

Au cœur de l'analyse des deux économistes américains, il y a la<br />

thèse que <strong>les</strong> services des <strong>syndicats</strong> constitueraient un ensemble de<br />

«biens collectifs », générateurs d'« externalités » positives.<br />

Les <strong>syndicats</strong> offriraient des services qui, dès lors qu'ils seraient<br />

disponib<strong>les</strong> pour un salarié, le seraient nécessairement pour tous du<br />

fait de la difficulté d'empêcher quiconque d'en bénéficier. Dans de<br />

tel<strong>les</strong> circonstances, il est difficile d'éviter qu'un grand nombre de<br />

gens se comportent en «passagers clandestins» : chacun attend que<br />

ce soit l'autre qui prenne l'initiative et en supporte <strong>les</strong> coûts de<br />

production. Une contrainte légale au profit des <strong>syndicats</strong> serait donc<br />

nécessaire pour que ces services soient produits. C'est la justification<br />

traditionnellement utilisée par <strong>les</strong> économistes pour légitimer l'intervention<br />

de l'État.<br />

Cet argument est contestable. Il n'est pas nécessairement vrai que<br />

<strong>les</strong> services rendus par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> soient « par nature» des biens<br />

collectifs,<br />

Ainsi que le rappelle John Burton [31), <strong>les</strong> services rendus par <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> peuvent être regroupés en quatre rubriques:<br />

1. La négociation des termes du contrat de travail. Le syndicat<br />

négocie en lieu et place de l'employé, son salaire, <strong>les</strong> avantages en<br />

nature, ainsi que <strong>les</strong> conditions de travail.<br />

2. La <strong>sur</strong>veillance de l'exécution des termes du contrat. Le syndicat<br />

veille à ce que <strong>les</strong> clauses contractuel<strong>les</strong> soient bien appliquées. Il<br />

protège <strong>les</strong> salariés contre des décisions de la direction qui auraient<br />

pour conséquence de remettre en cause certains termes de l'accord<br />

collectif.<br />

3. Une action de soutien politique. Les <strong>syndicats</strong> font pression <strong>sur</strong><br />

<strong>les</strong> parlementaires pour obtenir des législations favorab<strong>les</strong> aux


LES SYNDICATS SONT-ILS unLES 71<br />

intérêts de leurs adhérents. Ils interviennent dans le financement des<br />

partis politiques, contribuent à la diffusion de leurs idées, et aident<br />

leur propagande électorale.<br />

4. L'apport d'avantages privatifs. L'adhésion au syndicat permet<br />

de bénéficier d'un certain nombre de services réservés aux syndiqués:<br />

par exemple l'accès à certaines mutuel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> colonies de<br />

vacances gérées par <strong>les</strong> comités d'entreprise, des centra<strong>les</strong> d'achat<br />

avec des facilités de paiement, etc.<br />

Question: Tous ces services sont-ils vraiment des «biens<br />

collectifs» <br />

A l'évidence, <strong>les</strong> colonies de vacances, <strong>les</strong> bons d'achat, <strong>les</strong><br />

mutuel<strong>les</strong> ne sont pas des «biens publics ». Il en va de même pour<br />

l'activité politique des <strong>syndicats</strong>. Elle est un « bien public» pour <strong>les</strong><br />

gens qui partagent <strong>les</strong> mêmes idées que l'homme politique en faveur<br />

de qui le syndicat fait campagne. Mais pour <strong>les</strong> autres, il s'agit plutôt<br />

d'un « mal».<br />

Il s'agit de faux « btens collectifs»<br />

La négociation des contrats, ainsi que la <strong>sur</strong>veillance de leur<br />

application, ne sont pas davantage des services dont on peut<br />

considérer qu'ils ont par nature un caractère «public» ou<br />

«collectif ». Dans <strong>les</strong> deux cas, l'exclusion est possible. On pourrait<br />

imaginer que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> interviennent seulement pour négocier<br />

collectivement <strong>les</strong> contrats de leurs adhérents et laissent <strong>les</strong> autres se<br />

débrouiller.<br />

Freeman et Medoff évoquent également l'argument selon lequel<br />

le lieu de travail, et tout ce qui le caractérise Ga sécurité, l'éclairage,<br />

le chauffage, le confort des installations, etc.), constitueraient un<br />

«bien public ». L'analogie qui vient immédiatement à l'esprit est<br />

celle de la rue. Mais cette assimilation est abusive. A la différence de<br />

la rue, le lieu de travail est la propriété de quelqu'un. Si un salarié<br />

n'est pas content de l'éclairage qui règne dans son atelier, s'il<br />

conteste <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> de sécurité qui y sont imposées par le propriétaire<br />

(interdiction de boire de l'alcool <strong>sur</strong> le lieu de travail, obligation<br />

d'entretenir et de nettoyer <strong>les</strong> machines avant de s'en aller, etc.), ou<br />

encore s'il n'est pas content des prestations qu'il trouve à la cantine


72 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

de l'établissement, personne ne l'empêche de chercher un travail ailleurs.<br />

Freeman et Medoff raisonnent comme si <strong>les</strong> ouvriers étaient<br />

« copropriétaires» de leur atelier; ou encore comme si ces lieux<br />

n'appartenaient à personne. Or ce n'est pas le cas.<br />

Autre faib<strong>les</strong>se de leur raisonnement. Admettons qu'il y ait une<br />

liaison positive entre taux de syndicalisation et efficacité productive,<br />

et que celle-ci résulte bien de ce que la présence d'un syndicat actif<br />

améliore la coopération. Si tel est le cas, on ne voit pas pourquoi <strong>les</strong><br />

entreprises auraient encore besoin de recourir aux services de<br />

contremaîtres et de tout un personnel d'encadrement. N'est-ce pas<br />

précisément leur métier que d'as<strong>sur</strong>er une meilleure organisation et<br />

coopération des salariés dans le cadre de leurs tâches quotidiennes<br />

Pourquoi l'entreprise ne se dessaisit-elle pas de ces problèmes pour<br />

en confier l'administration aux <strong>syndicats</strong> eux-mêmes, puisque, si l'on<br />

écoute Freeman et Medoff, ils sont supposés être plus efficaces De la<br />

même façon, si cette hypothèse était vraie, comment se fait-il que<br />

tant de firmes continuent encore de lutter contre la présence des<br />

<strong>syndicats</strong> Faut-il supposer que <strong>les</strong> chefs d'entreprise sont tous des<br />

masochistes Tout ceci est incohérent.<br />

Reste l'argument que l'employé est, par rapport à son employeur<br />

dans une situation d'infériorité car la seule sanction dont il dispose -<br />

le quitter pour une autre firme, implique un ensemble de coûts personnels<br />

qui freinent sa mobilité.<br />

Creusons cette notion. Si la mobilité a un coût, c'est notamment<br />

parce que l'occupation d'un travail implique de la part de l'employé<br />

un certain investissement dans des savoir-faire, des connaissances ou<br />

des tours de main spécifiques à l'entreprise, et qui ne lui seront plus<br />

d'aucune utilité s'il passe dans une autre firme. Si l'on suit Freeman et<br />

Medoff, cette situation justifierait que l'on protège ces travailleurs<br />

contre la concurrence de salariés marginaux qui, eux, n'ayant pas<br />

investi autant, ou ne cherchant pas à investir, accepteraient <strong>les</strong><br />

emplois qu'ils convoitent pour un salaire moindre. Il s'agirait, en<br />

d'autres termes, de protéger <strong>les</strong> salariés contre <strong>les</strong> phénomènes de<br />

dévalorisation de leur capital de savoirs spécifiques qui se produit à<br />

l'occasion de chaque changement d'emploi.


LES SYNDICATS SONT-ILS urILES 73<br />

Un handicap qui n'existe pas<br />

Mais au nom de quoi devrait-on leur accorder cette protection<br />

La réalité d'un tel coût est en fait fort problématique. Si un travailleur<br />

s'attend à rentrer dans une entreprise où il sait qu'il n'a aucune<br />

chance de récupérer, en cas de départ, la moindre partie de ses<br />

investissements en capital humain, dès le début il exigera un salaire<br />

plus élevé. Freeman et Medoff raisonnent sans tenir compte que <strong>sur</strong><br />

un marché du travail où la concurrence, pour attirer et fidéliser une<br />

main-d'œuvre aux savoirs de plus en plus spécialisés est forte, le<br />

marché capitalise dès le départ, dans <strong>les</strong> rémunérations, ce genre<br />

d'aléa.<br />

Par ailleurs, une façon pour <strong>les</strong> entreprises d'attirer la maind'œuvre<br />

est d'offrir aux salariés embauchés la garantie qu'ils<br />

retrouveront lors de leur départ la contrepartie des efforts spécifiques<br />

d'investissement consentis pendant leur présence dans l'entreprise.<br />

Comment En leur offrant des contrats qui prévoient le versement<br />

d'indemnités de départ. Cel<strong>les</strong>-ci représentent dès l'embauche une<br />

sorte de reconnaissance des droits de propriété de l'employé <strong>sur</strong> le<br />

capital spécifique qu'il aura accumulé dans son travail. El<strong>les</strong> sont un<br />

facteur de plus grande productivité puisque l'employé n'hésitera plus<br />

à investir dans des savoirs ou des compétences dont il n'a pas la<br />

garantie qu'il pourra demain en monnayer la valeur dans un autre<br />

emploi.<br />

A la différence de Freeman et Medoff, ce raisonnement laisse<br />

entendre que la présence d'un marché libre et concurrentiel est, là<br />

encore, la meilleure garantie de réduire <strong>les</strong> « coûts de mobilité )) de la<br />

main-d'œuvre. La protection des droits des uns <strong>sur</strong> leur accumulation<br />

de capital humain spécifique n'est pas acquise au prix du sacrifice du<br />

droit des autres de venir leur faire librement concurrence <strong>sur</strong> le marché<br />

du travail. La solution qui émergeait du fonctionnement d'un<br />

marché libre et concurrentiel est plus juste que l'intervention restrictive<br />

du syndicat.<br />

En réalité, le modèle traditionnel du monopole, combiné avec<br />

un modèle de représentation des processus d'action collective mettant<br />

l'accent <strong>sur</strong> le rôle central des préférences de 1'« employé


74 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

médian », suffit largement à rendre compte de la plupart des faits statistiques<br />

observés par Freeman et Medoff, sans qu'il soit besoin de<br />

faire appel à leurs explications [132]. Pour le démontrer, nous prendrons<br />

quatre exemp<strong>les</strong> .<br />

Les écarts de rémunbat10n peuvent être expliqués par d'autres<br />

éléments du marché du travatl<br />

Admettons qu'il soit démontré sans l'ombre d'un doute que <strong>les</strong><br />

salaires des secteurs d'activité <strong>les</strong> plus syndicalisés sont nettement<br />

plus élevés, cela ne suffit pas pour autant à démontrer qu'il y a un lien<br />

de causalité nécessaire et durable entre syndicalisation et taux de<br />

salaires. On peut expliquer le même résultat en faisant intervenir<br />

d'autres facteurs et mécanismes.<br />

Prenons un modèle simple à deux secteurs. L'un bénéficie de la<br />

« protection» d'un syndicat puissant. Les <strong>syndicats</strong> sont totalement<br />

absents de l'autre. Grâce à l'action de leur syndicat, <strong>les</strong> ouvriers du<br />

premier arrachent à leurs entreprises le versement de meilleurs<br />

salaires.<br />

Ce taux de salaires plus élevé y réduit l'embauche. Un certain<br />

nombre d'ouvriers qui y auraient trouvé un emploi sont contraints de<br />

rechercher un travail dans le secteur non syndicalisé. Cet affiux de<br />

demandes y entraîne une baisse du taux des salaires jusqu'à ce que <strong>les</strong><br />

conditions du plein emploi y soient retrouvées. Résultat: on a deux<br />

secteurs, avec deux taux de salaires différents, mais un taux de chômage<br />

finalement inchangé.<br />

Cependant, cet écart de salaires crée une opportunité de profit.<br />

Des travailleurs du secteur protégé sont attirés par <strong>les</strong> hauts salaires<br />

pratiqués dans l'autre. Ils préfèrent y rester plus longtemps au chômage<br />

plutÔt que de prendre un emploi dans le secteur moins bien<br />

rémunéré, parce qu'ils attendent qu'un emploi éventuel s'y libère. De<br />

même des gens qui ne se manifestaient pas encore <strong>sur</strong> le marché du<br />

travail parce qu'ils n'étaient pas satisfaits des rémunérations proposées,<br />

sortent de leur réserve et gonflent la file d'attente de ceux qui<br />

viennent s'inscrire au chÔmage dans l'espoir de trouver un jour un<br />

emploi dans le secteur où <strong>les</strong> salaires sont <strong>les</strong> plus élevés. En résultat,<br />

on a bien deux niveaux de salaires différents. Mais, en contrepartie,


LES SYNDICATS SONT-ILS UTILES 75<br />

on a aussi la formation de fi<strong>les</strong> d'attente, avec des probabilités différentes<br />

de trouver l'emploi recherché.<br />

Le secteur syndicalisé étant selon toute vraisemblance celui où <strong>les</strong><br />

barrières :l l'entrée sont <strong>les</strong> plus importantes, donc aussi celui où le<br />

taux de rotation des emplois est sans doute le plus faible, il se peut que<br />

l'écart apparent des rémunérations offertes ne corresponde pas :l une<br />

différence significative des revenus réellement attendus par des<br />

agents économiques. Dans ce cas, la présence d'un écart de salaire<br />

important et durable peut être interprétée non pas comme le produit<br />

de deux rapports de force différents liés :l la présence ou non d'un<br />

pouvoir syndical fort, mais comme la contrepartie au niveau des<br />

salaires de la coexistence de deux marchés du travail caractérisés par<br />

des variab<strong>les</strong> institutionnel<strong>les</strong> différentes: <strong>sur</strong> l'un, <strong>les</strong> rémunérations<br />

sont peut-être plus basses, mais cela est compensé par une rotation<br />

plus rapide des emplois et une probabilité plus grande pour chaque<br />

demandeur d'emploi d'accéder au travail qu'il convoite; <strong>sur</strong> l'autre,<br />

<strong>les</strong> salaires sont plus élevés, mais cet avantage se trouve réduit par la<br />

probabilité plus faible pour chaque demandeur d'obtenir l'emploi<br />

qu'il recherche.<br />

Les données fournies par Freeman et Medoff ne tiennent malheureusement<br />

pas compte de cette hypothèse.<br />

Le coat économtque du monopole syndical est beaucoup plus élevé<br />

qu'Ils le disent<br />

Freeman et Medoff estiment :l 0,24 % du Produit national brut la<br />

perte sociale totale liée :l la présence de monopo<strong>les</strong> syndicaux. Ce<br />

chiffre paraît bien faible.<br />

La figure (p. 77) fait apparaître, <strong>sur</strong> l'axe vertical, le salaire<br />

maximal que <strong>les</strong> employeurs 1, 2, 3 ... sont prêts :l offrir, ainsi que le<br />

salaire minimal que <strong>les</strong> travailleurs a, b, c ... exigent pour abandonner<br />

leurs autres activités et prendre <strong>les</strong> emplois salariés qui leur sont ainsi<br />

offerts. L'axe horizontal représente <strong>les</strong> embauches. Les particuliers<br />

classent par ordre décroissant <strong>les</strong> rémunérations maxima<strong>les</strong> offertes<br />

par <strong>les</strong> différentes firmes, cependant que <strong>les</strong> employeurs font<br />

l'inverse: ils y classent par ordre croissant <strong>les</strong> rémunérations minima<strong>les</strong><br />

exigées par ceux qui postulent aux emplois qu'ils offrent.


76 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Le salaire maximal qu'une firme est prête à payer est déterminé<br />

par la valeur de la productivité marginale d'une embauche. Celle-ci<br />

dépend, d'une part de la productivité de la firme (c'est-à-dire sa<br />

capacité à combiner <strong>les</strong> facteurs de production de façon à obtenir un<br />

produit le plus élevé possible pour le coût le plus faible); d'autre part<br />

du prix du produit <strong>sur</strong> le marché. La firme peut payer des salaires élevés<br />

soit parce qu'elle est très efficace <strong>sur</strong> un marché très compétitif;<br />

soit parce que, même si elle n'est pas très efficiente, elle bénéficie <strong>sur</strong><br />

le marché d'une position de monopole.<br />

De la même manière, le salaire minimal exigé par <strong>les</strong> employés<br />

est déterminé par <strong>les</strong> préférences des individus et le revenu alternatif<br />

qu'ils sont susceptib<strong>les</strong> d'obtenir dans une activité non salariée.<br />

L'intérêt de chaque firme est d'embaucher l'individu qui, pour<br />

des qualités identiques, présente <strong>les</strong> exigences <strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong>. En<br />

agissant ainsi, elle pourra capter le maximum de «gains à<br />

l'échange ». (Le «gain à l'échange» est la différence entre le prix que<br />

l'on est prêt à payer et le prix que le marché vous impose effectivement<br />

de débourser.) Selon le même principe, celui qui cherche un<br />

emploi a intérêt à se faire embaucher par l'entreprise qui offre le<br />

salaire le plus élevé. Par exemple, <strong>les</strong> individus e, J, et g pourraient se<br />

faire embaucher par <strong>les</strong> firmes 1, 2 et 3 (qui sont prêtes à offrir des<br />

rémunérations plus élevées que <strong>les</strong> sommes qu'eux-mêmes réclament<br />

au minimum). Mais ils sont en concurrence avec a, b, c, et d qui se<br />

montrent a priori moins exigeants. Si el<strong>les</strong> en ont la possibilité, <strong>les</strong><br />

firmes 1, 2 et 3 leur préféreront leurs concurrents. Les firmes 5, 6 et 7<br />

pourraient réaliser d'importants bénéfices en embauchant <strong>les</strong> individus<br />

a, bet c; mais el<strong>les</strong> sont en concurrence avec <strong>les</strong> firmes 1, 2, 3 et 4<br />

qui, el<strong>les</strong>, sont prêtes à offrir davantage pour attirer à el<strong>les</strong> ces<br />

salariés.<br />

Lorsqu'il y a concurrence, <strong>les</strong> entreprises sont dans l'incapacité<br />

de s'approprier la totalité des « gains à l'échange» disponib<strong>les</strong>. La<br />

firme 1 voudrait embaucher l'individu a. C'est avec lui qu'elle réaliserait<br />

le gain à l'échange le plus élevé. Mais cet individu apprend que la<br />

firme 4 a accepté d'embaucher d pour un salaire quatre fois plus<br />

élevé. Il exige la même chose. La firme 1, plutôt que de se voir privée<br />

de ses services accepte, et réalise néanmoins encore un «gain à<br />

l'échange» substantiel. Même chose avec <strong>les</strong> travailleurs b et c, ainsi


LES SYNDICATS SONT-ILS UfILES 77<br />

que <strong>les</strong> firmes 2 et 3. Finalement, <strong>les</strong> firmes 1, 2, 3 et 4 embaucheront<br />

<strong>les</strong> ouvriers a, b, cet d au même salaire qui correspond, d'une part, à<br />

la rémunération maximale que la firme 4 était prête à payer; d'autre<br />

part, au salaire minimal que le travailleur d exigeait pour accepter de<br />

quitter son activité présente pour un emploi salarié. C'est l'offre de la<br />

firme « marginale» qui, en définitive, impose son prix au marché, et<br />

interdit aux employeurs de capter pour leur compte exclusif<br />

l'intégralité des «gains à l'échange ». La concurrence conduit à ce<br />

que <strong>les</strong> «gains à l'échange» disponib<strong>les</strong> seront partagés entre <strong>les</strong> employeurs<br />

et <strong>les</strong> salariés embauchés.<br />

Salaire s<br />

1<br />

max. 1<br />

-<br />

A<br />

Vc 4<br />

min. 7<br />

6 ~-<br />

2<br />

B 1 G<br />

~-+<br />

c<br />

1 H<br />

D 1 1<br />

--+-<br />

E 1 J<br />

F<br />

a<br />

:<br />

b<br />

o a b<br />

.-<br />

"1-,<br />

f<br />

-i<br />

+--i<br />

MIN 1 0 1<br />

3<br />

e<br />

K 1 1<br />

4<br />

d<br />

L 1 1<br />

5<br />

-i<br />

c<br />

+-+-<br />

1 1 1<br />

Demande<br />

--+-+-+--<br />

1 1 1<br />

6<br />

r--- OH.e<br />

9<br />

: 1 1 1<br />

c d e 9 Embauches<br />

Le marché du travail<br />

Sachant que c'est le salaire 4 qui, sous <strong>les</strong> effets de la concurrence<br />

s'impose au marché, la part des «gains à l'échange» captée par <strong>les</strong><br />

salariés est égale à sa somme D + E + F + 1 + J + L O'écart entre le<br />

salaire effectivement versé également à tous et le salaire minimal<br />

exigé au départ par chacun). La part des employeurs, elle, est représentée<br />

par la somme A + B + C + H + G + K (l'écart entre le salaire<br />

effectivement versé par <strong>les</strong> entreprises à tous <strong>les</strong> travailleurs et le<br />

salaire maximal que chacune était a priori disposée à offrir). Ce


78 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

salaire 4 est celui qui maximise la somme des gains à l'échange, tant<br />

pour <strong>les</strong> salariés que pour l'ensemble des entreprises.<br />

Résultat: l'embauche des entreprises se limitera aux travailleurs<br />

a, b, c et d. En revanche, e, Jet g ne trouveront pas d'emploi (aux<br />

conditions minima<strong>les</strong> qu'ils demandent). Parce qu'el<strong>les</strong> ne peuvent<br />

offrir au maximum que des salaires inférieurs au prix imposé par le<br />

marché, <strong>les</strong> firmes S, 6 et 7 seront contraintes de se retirer.<br />

Imaginons maintenant qu'intervienne un syndicat qui fait pression<br />

<strong>sur</strong> <strong>les</strong> pouvoirs publics pour que soit imposé aux entreprises un<br />

salaire minimal égal au salaire 2 de l'échelle verticale. Ce salaire<br />

dépasse ce que <strong>les</strong> firmes 3 et 4 étaient en me<strong>sur</strong>e d'offrir à leurs salariés.<br />

El<strong>les</strong> aussi doivent se retirer du marché. Mais, en agissant ainsi,<br />

el<strong>les</strong> suppriment <strong>les</strong> emplois c et d.<br />

A ce nouveau salaire, la part des «gains à l'échange» captée par<br />

le secteur des entreprises Oeurs profits) diminue d'une somme égale à<br />

la somme B + C + G + H + K. La part des «gains à l'échange» captée<br />

par <strong>les</strong> salariés (dans leur ensemble) augmente de la somme<br />

B + C + G + H. On constate que ce que perd le secteur des entreprises<br />

n'est pas intégralement récupéré par <strong>les</strong> salariés. Le total des «gains à<br />

l'échange» partagés entre <strong>les</strong> deux parties est diminué de la somme<br />

K + L. Celle-ci est perdue pour tout le monde. Elle représente le<br />

«coût social» qui résulte de l'activité corporative du syndicat. Les<br />

travailleurs a et b bénéficient tous deux d'un revenu plus élevé. Mais<br />

l'élimination des firmes 3 et 4, et le non-emploi des ouvriers c et d, se<br />

traduisent au niveau de la collectivité par une «perte sociale» que<br />

Freeman et Medoff estiment, pour l'économie américaine, à<br />

0,24 % du PNB.<br />

Cette façon de comptabiliser le «coût social» des <strong>syndicats</strong> est<br />

cependant erronée. Elle suppose que le syndicat atteint son objectif<br />

«sans coûts». Ce qui est une ab<strong>sur</strong>dité.<br />

La rente apportée par l'entente syndtcale est gasptllée en tnvesttssements<br />

vtsant a la protéger<br />

Au salaire de niveau 2, <strong>les</strong> travailleurs c, d et e seraient eux aussi<br />

preneurs d'un emploi dans <strong>les</strong> firmes 1 et 2. Pour y prendre la place<br />

de a et b, ils seraient même prêts à se contenter d'un salaire minimal


LES SYNDICATS SONT-ILS unLES 79<br />

de niveau 3. Le fait que le syndicat obtienne des pouvoirs publics le<br />

vote d'un salaire minimal de niveau 2 représente pour eux un coût en<br />

termes d'opportunités de gains dont ils se trouvent ainsi privés. Le<br />

syndicat court le risque qu'un homme politique en mal de clientèle ne<br />

s'intéresse à leur problème et ne <strong>les</strong> aide à obtenir une législation qui<br />

leur serait plus favorable qu'aux intérêts visés par a et b. Comment<br />

ces derniers peuvent-ils s'en préserver<br />

La réponse consiste pour a et b à « acheter» le consentement de<br />

C, d et e en obtenant de la collectivité qu'elle <strong>les</strong> « indemnise» pour<br />

un montant égal aux sommes perdues. Le coût de leur exclusion<br />

comme conséquence des activités du syndicat est représenté par la<br />

somme M + K + L + N + P + O. Elle est inférieure au total des «gains à<br />

l'échange» encaissés par a et b à la suite des actions corporatives de<br />

leur entente (B + C + D + E + F + G + H + 1 + D. Ces derniers peuvent<br />

donc accepter de consacrer une somme au maximum équivalente à<br />

M + K + L + N + P + 0 (soit la <strong>sur</strong>face B + C + D +G + H + D pour obtenir<br />

des pouvoirs publics une opération de transfert au profit de C, d et<br />

e au moins égale à ce montant. Une fois cette opération de redistribution<br />

réalisée, ils ont en contrepartie l'as<strong>sur</strong>ance que C, d et e ne<br />

gagneraient rien à contrer l'action de leur syndicat; et ils conservent<br />

tout de même un «bonus» représenté par E + F + J.<br />

Faisons maintenant le bilan de la séquence d'événements consécutive<br />

à l'intervention du syndicat organisé par a et b. Au lieu que a,<br />

b, cet d occupent un emploi- salarié, seuls a et b sont employés. Leur<br />

revenu apparent est plus élevé que ce qu'aurait été le niveau d'un marché<br />

libre. Mais leur revenu net (des efforts déployés pour « acheter»<br />

le consentement des salariés exclus du marché par leur entente)<br />

s'avère en définitive inférieur. D'après Gordon Tullock, ce sont ces<br />

sommes investies dans l'action syndicale et politique pour n'obtenir<br />

qu'un transfert finander équivalent au bénéfice de c, d et e, qui forment<br />

le véritable « coût sodal » de l'action syndicale [188, 101, 155J.<br />

Si l'on reprend <strong>les</strong> chiffres cités par Freeman et Medoff (un écart<br />

de salaires entre secteurs syndicalisés et non syndicalisés de l'ordre<br />

de 20 %; une réduction du volume des effectifs employés de l'ordre<br />

de 13 %; un taux de syndicalisation moyen de 25 %; une masse salariale<br />

égale aux trois quarts du PNB; enfin un produit national brut de<br />

3069 milliards de dollars en 1982), on obtient un «coût social»


80 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

estimé à 4 % du PNB -<br />

<strong>les</strong> deux auteurs.<br />

ce qui est très supérieur aux 0,24 % calculés par<br />

Dans ce qui précède, nous avons supposé que <strong>les</strong> travailleurs<br />

étaient parfaitement identiques et substituab<strong>les</strong> entre eux. C'est le fait<br />

qu'une firme peut indifféremment embaucher l'un ou l'autre qui<br />

contraint le syndicat formé par a et b à « acheter» la coopération des<br />

autres travailleurs dont le comportement pourrait empêcher leur<br />

entente d'atteindre ses objectifs. Une autre stratégie ouverte à a et b<br />

serait de convaincre leurs employeurs qu'ils sont tellement différents<br />

de C, d et e que leur intérêt est de ne <strong>les</strong> remplacer qu'en cas de départ<br />

à la retraite ou de démission volontaire. Mais là encore, cette stratégie<br />

n'est pas « gratuite». Le syndicat investira dans tout ce qui augmente<br />

la différence observable entre a et b d'une part, et <strong>les</strong> autres<br />

salariés (dépenses de formation, procédures d'apprentissage, exigence<br />

de diplômes délivrés par <strong>les</strong> professionnels du métier, accroissement<br />

de la part d'investissements spécifiques en capital humain liés<br />

à la firme, etc.). A la limite, le syndicat y investira l'équivalent de ce<br />

qui est nécessaire pour obtenir le consentement des autres à la <strong>sur</strong>vie<br />

de son entente ((B + C + D + H + 1 + J).<br />

Cependant, <strong>les</strong> seuls ouvriers a et b présents dans <strong>les</strong> entreprises 1<br />

et 2 au moment de la formation de l'entente syndicale bénéficieront<br />

pleinement de ses avantages. Lorsqu'ils prendront leur retraite, leurs<br />

successeurs devront à nouveau «racheter» le silence de leurs concurrents.<br />

Mais auparavant, comme le nombre de candidats à la succession<br />

est plus grand que le nombre d'élus, la concurrence imposera à<br />

chacun de faire l'effort de certains investissements susceptib<strong>les</strong><br />

d'orienter le choix des employeurs. Chacun y consacrera l'équivalent<br />

de la «rente» économique résiduelle qu'il peut espérer de la protection<br />

du syndicat. A la limite, la concurrence pour entrer sous le<br />

parapluie du cartel syndical ramènera la rémunération finale des<br />

salariés a et b au niveau d'un salaire 6, ne leur laissant comme «gains<br />

à l'échange» réels que le seul espace F. Leur situation sera plus mauvaise<br />

qu'elle n'aurait été si on avait librement laissé jouer le jeu du<br />

marché.<br />

Toutes ces dépenses non productives investies par <strong>les</strong> salariés<br />

dans l'espoir de capter la «rente» économique attendue de la


LES SYNDICATS SONT-ILS UTILES 81<br />

présence d'un syndicat, représentent un formidable gaspillage<br />

collectif, beaucoup plus élevé que le chiffre modeste avancé par <strong>les</strong><br />

deux auteurs américains. Et cela en définitive pour des gains corporatifs<br />

illusoires, car impossib<strong>les</strong> à maintenir dans le long terme.<br />

L'escroquerie de l'effet-productlvIM<br />

Lorsque le salaire augmente, la firme, pour maximiser son profit<br />

(ou minimiser ses coûts), cherche à égaliser la valeur de la productivité<br />

marginale du travail par franc dépensé, à celle des autres facteurs<br />

de production. En conséquence, si la productivité marginale des<br />

autres facteurs est inchangée, il lui faut, après une augmentation de<br />

salaire, obtenir une élévation de la productivité marginale du travail.<br />

Elle cherchera à obtenir le même supplément de production avec<br />

moins de travailleurs, l'opération se traduit par une réallocation de<br />

ressources entre différents facteurs de production, sans que<br />

l'augmentation de la productivité du travail se traduise par une augmentation<br />

de la production totale, ni même une réduction des coûts.<br />

n y a seulement un effet de substitution qui soit à l'œuvre.<br />

Cette remarque donne la clé de l'erreur que Freeman et Medoff<br />

commettent lorsqu'il déduisent de la présence d'une corrélation<br />

positive entre le taux de syndicalisation et la productivité du travail, la<br />

conclusion que l'activité corporative des <strong>syndicats</strong> favoriserait le progrès<br />

technique. Ils supposent que <strong>les</strong> gains de productivité ainsi<br />

observés correspondent à un déplacement de la courbe de demande<br />

de travail, alors qu'en réalité il s'agit d'un simple «effet de substitution»<br />

(c'est-à-dire un déplacement le long de la courbe de demande<br />

de travail).<br />

Si, en effet, il suffisait d'augmenter le prix d'un de ses facteurs<br />

pour que l'entreprise augmente sa productivité globale, on aurait<br />

alors le secret de la croissance : il suffirait d'imposer aux entreprises<br />

des charges toujours plus élevées pour obtenir le résultat désiré. C'est<br />

clairement ab<strong>sur</strong>de. Le fait que la firme réorganise l'affectation de ses<br />

ressources en procédant, dans sa fonction de production, à la substitution<br />

d'un facteur à un autre, n'est pas un signe de progrès. Obtenir<br />

le même supplément de production avec moins de salariés n'a pas la


82 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

même signification économique que le fait d'obtenir un produit plus<br />

élevé avec le même nombre d'employés.<br />

Une autre version du même argument est celle dite de 1'« effet de<br />

choc <strong>sur</strong> l'encadrement». Le syndicat aurait un effet positif <strong>sur</strong> la productivité<br />

du fait des conséquences stimulatrices que sa présence<br />

entraînerait au niveau de l'encadrement. Pour reprendre la terminologie<br />

si spéciale de Harvey Liebenstein, l'irruption d'un syndicat dans<br />

la vie d'une entreprise aurait pour conséquence d'y provoquer une<br />

diminution de 1'« inefficience X» (111).<br />

Cette vision est clairement incompatible avec <strong>les</strong> faits observés.<br />

L'idée que la présence d'un syndicat stimulerait l'activité de<br />

l'encadrement et contribuerait ainsi ~ améliorer <strong>les</strong> relations de<br />

coopération au sein du personnel est incompatible avec<br />

l'observation de nombreuses pratiques syndica<strong>les</strong> (tel<strong>les</strong> que, par<br />

exemple, l'opposition des <strong>syndicats</strong> au contrôle des performances,<br />

ou encore leur attitude restrictive dès lors qu'il s'agit d'introduire de<br />

nouvel<strong>les</strong> innovations techniques). Il ne semble guère que leur<br />

présence soit conçue aux fins d'aider l'encadrement ~ mieux faire son<br />

travail.<br />

Un élément statistique, relevé par Freeman et Medoff euxmêmes,<br />

rend apparent le caractère scientifiquement fantaisiste de<br />

cette hypothèse. Il s'agit de la corrélation négative entre<br />

syndicalisation et taux de profit. Si l'effet du syndicat est d'améliorer<br />

la productivité de l'entreprise comme le ferait le progrès technique,<br />

<strong>les</strong> profits ne devraient pas diminuer, mais au contraire augmenter.<br />

Non seulement la rentabilité moyenne devrait s'améliorer, mais cela<br />

devrait également s'accompagner d'une augmentation de l'emploi<br />

pour le niveau de salaire négocié par le syndicat. S'il était efficace, le<br />

syndicat contribuerait ~ déplacer la courbe de productivité marginale<br />

vers la droite. Les travailleurs syndiqués associés ~ la même quantité<br />

de biens d'équipement seraient plus productifs que le même nombre<br />

de travailleurs non syndiqués associés ~ la même quantité de capital.<br />

Les profits seraient alors nécessairement plus élevés. Or c'est précisément<br />

la relation inverse que font apparaître <strong>les</strong> recherches empiriques<br />

de Freeman et Medoff.<br />

Le raisonnement théorique, ainsi qu'on l'a vu dans <strong>les</strong> pages précédentes,<br />

montre clairement qu'une des conséquences norma<strong>les</strong> de


LES SYNDICATS SONf-ILS lITILES 83<br />

l'entente syndicale doit être la baisse de la rentabilité du capital<br />

investi par <strong>les</strong> actionnaires de la firme. Les preuves empiriques sont,<br />

<strong>sur</strong> ce point, dépourvues d'ambiguité. El<strong>les</strong> sont confirmées non<br />

seulement par <strong>les</strong> travaux de Freeman et Medoff, mais aussi par ceux<br />

de Clark, ou encore de Ruback et Zimmerman [39, 1671. Toutes <strong>les</strong><br />

études révèlent une chute significative des profits consécutive à la<br />

progression de l'influence des <strong>syndicats</strong> dans une industrie.<br />

Si Freeman et Medoff avaient raison, la courbe de demande de<br />

travail des firmes syndiquées devrait se déplacer vers la droite. Pour<br />

un même nombre de salariés, la productivité marginale devrait être<br />

plus élevée dans le secteur syndicalisé que dans l'autre. De même<br />

pour <strong>les</strong> profits. Pour un plus grand nombre d'embauches au salaire<br />

désiré par l'entente, <strong>les</strong> profits devraient être aussi élevés qu'en situation<br />

de concurrence. Or tout cela est visiblement incompatible avec<br />

<strong>les</strong> observations empiriques rassemblées à ce jour.<br />

C'est donc que Freeman et Medoff se trompent. Ils méprennent<br />

un déplacement de la courbe de travail pour un déplacement le long<br />

de la courbe.<br />

Des faIts statistiques compattb<strong>les</strong> avec une autre Interprétatton du<br />

rôle des syndIcats<br />

Freeman et Medoff présentent toute une série de faits statistiques<br />

dont beaucoup sont incontestab<strong>les</strong>. Ils en tirent une série de conclusions<br />

corroborant, pensent-ils, leur modèle d'exit and volee. Mais la<br />

plupart de ces données empiriques ne sont pas décisives car el<strong>les</strong><br />

peuvent facilement être réintégrées dans un modèle classique analysant<br />

le syndicat comme un « cartel».<br />

Prenons, par exemple, la moindre rotation de la main-d'œuvre<br />

dans <strong>les</strong> firmes syndicalisées. Freeman et Medoff l'interprètent,<br />

comme l'indice d'un meilleur climat social, la preuve de ce que le<br />

syndicalisme améliorerait <strong>les</strong> conditions du dialogue entre la maîtrise<br />

et le personnel. Mais il est tout aussi possible de soutenir que cette<br />

moindre mobilité est en réalité quelque chose qui est recherché par le<br />

syndicat, dans l'intérêt même de sa <strong>sur</strong>vie et des intérêts personnels<br />

qu'il sert.


84 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Lorsqu'un salarié syndiqué s'en va, pour cause de mise à la<br />

retraite ou par décision personnelle, l'entreprise cherche à le<br />

remplacer. Or, une conséquence de l'action restrictive du syndicat<br />

est qu'à chaque fois que <strong>les</strong> entreprises du secteur syndicalisé<br />

recrutent, el<strong>les</strong> trouvent en face d'el<strong>les</strong> toujours davantage de<br />

candidats qu'il y a de places disponib<strong>les</strong>. La préoccupation du<br />

syndicat est donc de faire en sorte que <strong>les</strong> employeurs ne profitent pas<br />

de cette position pour réviser leurs conditions de salaires. En général<br />

il y réussit fort bien. Mais plus la rotation de la main-d'œuvre est<br />

forte, plus c'est difficile et coûteux. Toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs, le<br />

syndicat maintiendra d'autant plus aisément sa cohésion face aux<br />

pressions du marché, que la mobilité de la main-d'œuvre dans <strong>les</strong><br />

firmes soumises à son influence est faible. Autrement dit, le syndicat<br />

a tout intérêt à faire ce qu'il peut pour abaisser le taux moyen de<br />

rotation du personnel dans <strong>les</strong> entreprises qu'il contrôle.<br />

Nous avons signalé que <strong>les</strong> recherches de Freeman et Medoff<br />

confirmaient que l'influence du syndicalisme allait généralement de<br />

pair avec des clauses contractuel<strong>les</strong> avantageant davantage <strong>les</strong> plus<br />

anciens dans l'entreprise. Cette observation est parfaitement cohérente<br />

avec le souci des <strong>syndicats</strong> de réduire la mobilité. Une manière<br />

d'y arriver est de privilégier <strong>les</strong> travailleurs <strong>les</strong> moins mobi<strong>les</strong>, c'està-dire<br />

<strong>les</strong> anciens. Par exemple en favorisant le principe de<br />

l'ancienneté dans la détermination des hiérarchies salaria<strong>les</strong>.<br />

De la même façon, nous avons vu que c'est dans <strong>les</strong> secteurs syndicalisés<br />

que <strong>les</strong> avantages en nature sont proportionnellement <strong>les</strong><br />

plus élevés. C'est logique. Un avantage en nature est spécifique à la<br />

firme. Il représente souvent un investissement que l'employé a peu de<br />

chance de retrouver de manière identique dans une autre firme. Si<br />

l'objectif du syndicat est de freiner la mobilité naturelle des travailleurs,<br />

son souci sera d'obtenir une part d'avantages en nature la plus<br />

élevée possible.<br />

Selon le même principe, il faut s'attendre à ce que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

s'opposent aux horaires flexib<strong>les</strong> ou « à la carte», à la multiplication<br />

des contrats « à temps partiel», ou encore aux cumuls d'emplois<br />

individuels; et donc que leur fréquence soit moins répandue dans <strong>les</strong><br />

secteurs syndicalisés. Cette attitude s'explique aisément. Des horaires<br />

libres compliquent le travail de contrôle et de prise en main du


LES SYNDICATS SONT-ILS UTILES 85<br />

personnel par <strong>les</strong> militants syndicaux. La multiplication des contrats<br />

«à temps partiel» crée une population peu concernée par <strong>les</strong><br />

« conquêtes» du syndicat.<br />

Ces préférences syndica<strong>les</strong> rejoignent l'intérêt des entreprises.<br />

Pour des raisons fisca<strong>les</strong>, cel<strong>les</strong>-ci préfèrent, si el<strong>les</strong> le peuvent, et si<br />

cela ne gêne pas leur politique de recrutement, augmenter la part des<br />

avantages collectifs en nature au détriment des rémunérations monétaires.<br />

C'est autant de moins qu'el<strong>les</strong> paient en impôts. De la même<br />

façon, il est souvent de l'intérêt de l'entreprise de réduire le taux de<br />

rotation de son personnel. Toute embauche d'un nouveau travailleur<br />

en remplacement d'un ancien se traduit en effet par une série de coûts<br />

fixes qui pourraient être évités. Pour cela elle aussi cherche à<br />

s'attacher <strong>les</strong> anciens en leur offrant des avantages dont le personnel<br />

ne peut jouir qu'en restant fidèle à leur entreprise (par exemple la<br />

possibilité de prendre sa retraite dans un établissement spécialisé<br />

financé par l'employeur).<br />

L'hypothèse du « syndicat-cartel» laisse cependant penser que<br />

c'est dans <strong>les</strong> secteurs où l'influence des <strong>syndicats</strong> est la plus forte que<br />

ces comportements de l'employeur seront <strong>les</strong> plus marqués, Or, c'est<br />

précisément ce que confirment <strong>les</strong> données empiriques de Freeman<br />

et Medoff.<br />

Reprenons leur thèse selon laquelle la moindre fréquence des<br />

démissions d'employés dans <strong>les</strong> secteurs syndicalisés serait la preuve<br />

de ce que la présence des <strong>syndicats</strong> y est un facteur favorable à la productivité.<br />

Ayant noté que c'est dans <strong>les</strong> entreprises <strong>les</strong> mieux syndiquées<br />

que <strong>les</strong> travailleurs expriment verbalement le taux d'insatisfaction<br />

le plus élevé, ils interprètent ce paradoxe en supposant que<br />

l'indice de satisfaction véritable des employés dans l'entreprise<br />

s'exprime prioritairement par leur attitude vis-à-vis de la mobilité,<br />

alors que leurs réponses verba<strong>les</strong> ne sont qu'un instrument de<br />

<strong>sur</strong>enchère servant à faire pression <strong>sur</strong> la direction pour en obtenir<br />

des avantages matériels accrus.<br />

En fait, il n'est nul besoin de tel<strong>les</strong> contorsions intellectuel<strong>les</strong><br />

pour rendre compte de l'observation simultanée de ces deux résultats.<br />

Le taux de démission n'est pas un indicateur de satisfaction, mais<br />

un comportement. On peut très bien être fort insatisfait de son<br />

emploi, et malgré tout y rester. Démissionner présente en effet un


86 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

«coût d'opportunité». Ce coût est d'autant plus fort que le salaire<br />

associé à l'emploi présent est plus élevé par rapport à celui que l'on<br />

sait pouvoir obtenir ailleurs. Comme <strong>les</strong> rémunérations réel<strong>les</strong> du<br />

secteur syndicalisé Cy compris <strong>les</strong> avantages collectifs en nature) sont<br />

en principe plus élevées que cel<strong>les</strong> des secteurs où <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont<br />

moins implantés, il en résulte que c'est dans ces secteurs que le coût<br />

de quitter l'entreprise est lui-même le plus important, quel que soit le<br />

degré de satisfaction réelle que le salarié éprouve dans son emploi.<br />

Les deux observations enregistrées par Freeman et Medoff ne sont pas<br />

incompatib<strong>les</strong>. Le paradoxe n'existe que dans leur tête. Cette contreinterprétation<br />

se trouve confortée par le fait que c'est bel et bien dans<br />

<strong>les</strong> secteurs <strong>les</strong> plus syndiqués que, comme on pourrait logiquement<br />

s'y attendre, le taux d'absentéisme est le plus fort. Si l'absentéisme<br />

n'a jamais été un signe de grande productivité, il n'a jamais non plus<br />

été un signe particulier d'épanouissement dans le travail. C'est bien la<br />

preuve que l'interprétation donnée par Freeman et Medoff est contestable.<br />

Aucune preuve de la supériorité de leur modèle, au contratre<br />

Si l'on assimile le syndicat à un cartel, il est clair que son intérêt<br />

est de rendre l'offre comme la demande de travail <strong>les</strong> moins élastiques<br />

possib<strong>les</strong>, Une technique pour atteindre cet objectif consiste à<br />

obtenir des employeurs qu'ils pratiquent le moins possible une politique<br />

de salaires fondée <strong>sur</strong> la promotion individuelle.<br />

L'évaluation individuelle permet en effet à l'entreprise de désolidariser<br />

<strong>les</strong> individus et, en quelque sorte, de <strong>les</strong> « acheter» par une<br />

politique astucieuse de salaires «au mérite». L'employeur favorisera<br />

davantage <strong>les</strong> salaires de ceux qui n'appartiennent pas au syndicat.<br />

Même si ces promotions sont justifiées par des différences personnel<strong>les</strong><br />

de productivité, cel<strong>les</strong>-ci étant difficilement me<strong>sur</strong>ab<strong>les</strong>, le<br />

syndicat <strong>les</strong> dénoncera comme l'expression d'une politique de favoritisme,<br />

éthiquement condamnable. Pour maintenir son pouvoir <strong>sur</strong><br />

le personnel, le syndicat a intérêt à imposer à l'employeur un mode<br />

de rémunération lié à la nature du poste de travail, et non à la productivité<br />

individuelle de chaque salarié.


LES SYNDICATS SONT-ILS urILES 87<br />

Dans cette politique, le syndicat recevra l'appui des salariés <strong>les</strong><br />

moins productifs. Ce mode de rémunération présente en effet<br />

l'avantage de rendre l'origine des différences de salaires, et donc leur<br />

justification, plus transparente. La tendance de l'évolution sera de<br />

ramener la dispersion des salaires au sein d'un même établissement,<br />

ou d'une même firme, vers la médiane des rémunérations. Ce que<br />

confirment <strong>les</strong> recherches de Freeman et Medoff dont <strong>les</strong> données<br />

statistiques établissent que la présence des <strong>syndicats</strong> est positivement<br />

corrélée avec une moindre dispersion des salaires.<br />

Pour <strong>les</strong> deux économistes américains, c'est la conséquence de ce<br />

que le syndicalisme renforce la cohésion sociale de l'entreprise. Une<br />

autre manière de voir <strong>les</strong> choses est de considérer qu'il s'agit là d'un<br />

dispositif dont l'avantage est d'améliorer <strong>les</strong> moyens de contrôle et<br />

de discipline du syndicat, notamment en renforçant au sein du personnel<br />

la solidarité des groupes <strong>les</strong> moins efficaces contre <strong>les</strong> plus<br />

productifs.<br />

Dernier exemple, le comportement conjoncturel des firmes<br />

américaines. Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, <strong>les</strong> travaux de<br />

Freeman et Medoff montrent que la syndicalisation conduit<br />

l'entreprise à préférer l'ajustement par la mise au chômage de ses<br />

éléments <strong>les</strong> plus jeunes, plutôt que par le partage par tous d'un<br />

nombre réduit d'heures de travail. Ce choix est bien dans la logique<br />

d'un comportement de cartel qui conduit à sacrifier <strong>les</strong> salariés <strong>les</strong><br />

plus jeunes, <strong>les</strong> plus récents et <strong>les</strong> plus mobi<strong>les</strong>, aux intérêts des plus<br />

anciens.<br />

Au total, l'ouvrage de Freeman et Medoff relève de deux lectures.<br />

D'un côté, il y a l'ensemble de faits et de données statistiques qui<br />

résume de manière remarquablement documentée tout ce que la<br />

recherche économique a accumulé concernant l'effet des <strong>syndicats</strong><br />

<strong>sur</strong> la gestion des entreprises. De l'autre, il y a un modèle<br />

d'interprétation dont la structure logique est contestable.<br />

A la différence du modèle classique qui assimile le syndicat à une<br />

entente, Freeman et Medoff présentent une thèse qui n'élimine pas<br />

d'emblée la possibilité pour le syndicalisme de rendre des services<br />

positifs à la collectivité. C'est leur droit. Mais, pour être entièrement<br />

convaincants, il leur aurait fallu répondre à deux exigences. La première<br />

: présenter un modèle dont toutes <strong>les</strong> conclusions correspon-


88 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

dent aux données empiriques rassemblées; or, ainsi que nous l'avons<br />

vu, ils n'y réussissent qu'au prix de quelques grossières erreurs<br />

d'analyse théorique (comme à propos de la relation productivité/profit,<br />

ou encore la confusion entre déplacement d'une courbe<br />

de demande et déplacement <strong>sur</strong> la courbe). La seconde: compléter<br />

par une réfutation de la théorie adverse du « syndicat-cartel» en en<br />

recherchant des conclusions qui seraient incompatib<strong>les</strong> avec leur<br />

propre analyse, et en contradiction avec <strong>les</strong> faits rassemblés; or toute<br />

cette partie est absente.<br />

Voilà pourquoi, entre autres raisons, leur ouvrage est à prendre<br />

avec de sérieuses réserves. Il ne contient rien de décisif qui impose de<br />

rejeter définitivement l'hypothèse classique que le syndicat est<br />

d'abord et avant tout une organisation corporative entraînant des<br />

effets négatifs <strong>sur</strong> l'efficience du système économique. Correctement<br />

analysé, il semble même que son contenu empirique en renforce<br />

plutôt la solidité.<br />

n y a ententes et ententes<br />

L'insistance de l'approche économique traditionnelle à ne voir<br />

dans le syndicat qu'un «mal public» (au lieu du «bien public» que<br />

croient y déceler Freeman et MedofO se heurte à l'objection que <strong>les</strong><br />

ententes et <strong>les</strong> cartels d'entreprises sont parfois de bonnes choses.<br />

Bien que ce ne soit pas le cas de la législation, de plus en plus<br />

d'économistes admettent que, si <strong>les</strong> ententes et cartels existent de<br />

manière aussi fréquente, c'est qu'ils doivent avoir une fonction économique<br />

positive, et servir le consommateur. Il existe aujourd'hui<br />

tout un pan de l'économie industrielle qui, à propos de l'analyse des<br />

phénomènes d'intégration ou de semi-intégration verticale (franchises,<br />

concessions, fusions, joint-ventures, etc.), réhabilite le rôle<br />

des ententes. L'entente, le cartel, la joint-venture seraient des procédés<br />

par <strong>les</strong>quels deux ou plusieurs entreprises cherchent à identifier<br />

<strong>les</strong> économies d'échelle, <strong>les</strong> complémentarités ou <strong>les</strong> synergies<br />

diverses qui pourraient <strong>les</strong> rapprocher (et éventuellement justifier<br />

ultérieurement une fusion). Dans cette optique, <strong>les</strong> ententes s'inscrivent<br />

dans la double démarche de concurrence et de coopération<br />

qui caractérise le fonctionnement d'un marché libre.


LES SYNDICATS SONT-ILS t.mLES 89<br />

L'idée de cette approche est qu'il n'y a pas de différence de nature<br />

fondamentale entre une entente, un mariage d'entreprises (fusion),<br />

et la création d'une seule firme. Ce ne sont que l'expression de degrés<br />

différents dans une même démarche. Dans <strong>les</strong> trois cas, il s'agit de<br />

formes d'organisations qui sont toutes le résultat d'accords contractuels<br />

volontaires, et dont la finalité ne peut donc être que d'exploiter<br />

des «gains il l'échange» non encore réalisés.<br />

Il est alors tentant de considérer que ce qui s'applique aux firmes<br />

industriel<strong>les</strong> et commercia<strong>les</strong> doit aussi être valable pour <strong>les</strong> « ententes»<br />

de travailleurs. Pourquoi n'y aurait-il pas aussi des ententes syndica<strong>les</strong><br />

qui soient économiquement «efficientes» C'est dans cette<br />

optique que se situe la démarche de Freeman et Medoff.<br />

Raisonner ainsi revient cependant il négliger une différence de<br />

nature essentielle entre <strong>les</strong> deux institutions. Dans l'entente entre<br />

deux firmes, l'objectif recherché est toujours de découvrir une meilleure<br />

combinaison des ressources qui permette d'obtenir un résultat<br />

plus rentable, donc plus efficient. Dans l'entente entre travailleurs,<br />

rien de cela. Le but du syndicat n'est pas d'assortir <strong>les</strong> travailleurs de<br />

manière que leur coopération avec la direction de la firme permette<br />

de produire plus ensemble que séparément. Cette fonction est celle<br />

qui revient normalement il l'encadrement (ou au management, pour<br />

utiliser un terme plus moderne). Si vraiment <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> remplissaient<br />

ce rôle, <strong>les</strong> entreprises n'auraient pas besoin de recourir il<br />

l'embauche de personnels d'encadrement. Il leur suffirait de contracter<br />

avec la « firme-syndicat ». Qu'el<strong>les</strong> ne le fassent pas, et qu'el<strong>les</strong><br />

ressentent quand même la nécessité de rechercher des services<br />

d'encadrement, indique que tel n'est certainement pas le but de<br />

l'entente syndicale. Celle-ci poursuit d'autres fins. C'est cette simple<br />

constatation de bon sens qui rend suspecte une théorie qui veut<br />

absolument démontrer le contraire.


90 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Annexe au chapitre 2<br />

pourquot le décltn du syndtcaltsme<br />

Qui adhère au syndicat Le profil de ceux qui appartiennent A une<br />

entente peut nous en révéler infiniment plus <strong>sur</strong> <strong>les</strong> attentes des travailleurs A<br />

l'égard des <strong>syndicats</strong> que n'importe quel autre fait.<br />

Pour mieux comprendre <strong>les</strong> raisons pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> individus se<br />

syndiquent, ainsi que <strong>les</strong> raisons de la baisse progressive depuis <strong>les</strong> années<br />

60, puis brutale au moment de la crise économique des années 70, du taux<br />

de syndicalisation dans la plupart des pays occidentaux, nous utiliserons un<br />

modèle simple d'offre et de demande d'adhésion syndicale.<br />

Du côté de la demande, <strong>les</strong> employés sont motivés A se syndiquer si le<br />

prix de leur activité syndicale est bas - c'est-A-dire si le montant des<br />

cotisations, ainsi que le coût du temps consacré A des actions militantes,<br />

restent suffISamment faib<strong>les</strong>. Toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs, plus ce prix est<br />

élevé, moins <strong>les</strong> individus seront tentés d'adhérer au syndicat.<br />

Si, pour un même cOût global, <strong>les</strong> avantages attendus de l'adhésion sont<br />

importants, ou si on note dans la population une modification des attitudes<br />

plus favorable A l'action syndicale, le résultat sera un déplacement vers la<br />

droite de la courbe de demande, et donc un accroissement, toutes choses<br />

éga<strong>les</strong> d'ailleurs, de la demande d'adhésions.<br />

Du côté de l'offre, il faut remarquer que la révélation des préférences des<br />

salariés ne vas pas sans coûts. De même il est coûteux d'organiser une<br />

entente, de négocier des contrats, de faire la grève, etc. Le militantisme n'est<br />

jamais gratuit (même si <strong>les</strong> gens ne sont pas rémunérés). Il existe donc<br />

comme partout ailleurs une «courbe d'offre» qui traduit le dynamisme avec<br />

lequel leaders syndicaux et militants vont travailler pour accroître le<br />

recrutement de leur syndicat, et améliorer leur offre de services aux<br />

adhérents; Plus la loi élève <strong>les</strong> barrières institutionnel<strong>les</strong> A la création et au<br />

fonctionnement d'ententes syndica<strong>les</strong>, plus la courbe d'offre se déplacera<br />

vers la gauche, entraînant, toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs, une baisse du<br />

nombre de travailleurs syndiqués. Même résultat, si <strong>les</strong> conditions<br />

industriel<strong>les</strong> sont tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> coûts d'organisation de l'action syndicale<br />

dans un secteur donné sont naturellement élevés (industrie caractérisée par<br />

exemple par un grand nombre de fU'mes dispersées).


LES SYNDICATS SONT-ILS UTILES 91<br />

Celui qui montre naturellement une forte aversion pour le risque, qui ne<br />

s'attend pas à voir son profil de carrière s'améliorer dans un avenir<br />

prévisible, qui préfère être rémunéré par des prestations non imposab<strong>les</strong>,<br />

dont le revenu est plutôt dans la partie de la distribution des revenus qui se<br />

situe à gauche de la médiane, ou qui ne pense pas pouvoir retrouver<br />

aisément un nouvel emploi en dehors de son travail actuel, est un candidat<br />

idéal dont il est relativement facile d'obtenir l'adhésion. En effet, pour un<br />

coût donné de l'adhésion et de l'action syndicale, l'avantage personnel<br />

attendu de la syndicalisation est relativement élevé. Pour ce profil d'individu,<br />

la courbe de demande se déplace vers la droite. C'est le cas, par exemple, du<br />

travailleur manuel, qui n'est plus tout jeune, qui a déjà atteint le maximum de<br />

ses espérances de salaires, et qui appartient à une catégorie professionnelle<br />

dont la distribution des revenus est relativement peu dispersée. Ces<br />

caractéristiques se retrouvent également dans le cas des minorités ethniques<br />

immigrées, où l'expérience prouve que le taux de syndicalisation est<br />

traditionnellement élevé.<br />

En revanche, <strong>les</strong> femmes et <strong>les</strong> jeunes font un calcul différent. Les jeunes<br />

ont par définition l'avenir devant eux. Leur profil de carrière et de revenu<br />

n'est pas encore déterminé. Les femmes mariées, ou qui espèrent bientôt<br />

l'être, cumulent au moins deux emplois - celui du marché du travail et celui<br />

du marché du mariage. Les revenus en nature qu'el<strong>les</strong> retirent de leur mariage<br />

ne sont pas imposab<strong>les</strong>. Pour ces deux catégories de population, le gain<br />

apporté par la syndicalisation est plus faible. La courbe de demande se<br />

déplace vers la gauche.<br />

Un changement de population salariée<br />

En poursuivant ce type de raisonnement on fait apparaître qu'il est<br />

normal que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> soient plutôt plus puissants et mieux implantés<br />

dans <strong>les</strong> zones où dominent <strong>les</strong> industries concentrées, avec des<br />

établissements à effectifs salariés importants. C'est dans ce cas de figure que<br />

<strong>les</strong> coûts d'organisation et de fonctionnement de l'entente ont en effet toutes<br />

chances d'être <strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong>.<br />

Ce schéma relativement simple et standard peut être utilisé pour<br />

expliquer <strong>les</strong> variations du taux de syndicalisation dans des pays comme la<br />

France, <strong>les</strong> États-Unis ou la Grande-Bretagne.<br />

Depuis vingt ans la plupart des pays industrialisés connaissent de<br />

profonds changements dans la structure de leurs populations salariées. On y<br />

note une plus grande proportion de jeunes, davantage de femmes marl€es,<br />

de moins en moins d'ouvriers, mais de plus en plus de gens ayant fait des<br />

études. Or il s'agit de catégories socia<strong>les</strong> pour qui <strong>les</strong> avantages de la<br />

syndicalisation, toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs, sont plutôt moindres.


92 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Par ailleurs, la crise économique des années 70 a elle aussi réduit <strong>les</strong><br />

avantages attendus d'un syndicalisme militant.<br />

Enfin, la structure industrielle a changé. La part des industries<br />

concentrées dans la production industrielle a sensiblement diminué. Les<br />

entreprises des secteurs en développement sont plus dispersées, leurs<br />

établissements sont généralement plus petits, et el<strong>les</strong> exercent leurs talents<br />

<strong>sur</strong> des marchés plus concurrentiels que la moyenne. L'élasticité de la<br />

demande de travail y étant plus forte, <strong>les</strong> coûts d'organisation pour <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> y sont plus élevés qu'ailleurs.<br />

Il faudrait également mentionner l'évolution de la législation. Par<br />

exemple, en Grande-Bretagne où le gouvernement a supprimé le système de<br />

la closed shop, ainsi que tous <strong>les</strong> règlements publics dont l'effet était,<br />

directement ou indirectement, de «subventionner» l'activité des <strong>syndicats</strong><br />

en en réduisant le coût d'établissement et d'adhésion.<br />

Globalement, tous ces changements ont déplacé la courbe d'offre vers la<br />

gauche. Le résultat est une chute importante du nombre de syndiqués dans<br />

<strong>les</strong> économies occidenta<strong>les</strong>.<br />

Tout cela est évidemment très schématique et demanderait à être plus<br />

approfondi. Mais ces quelques éléments permettent déjà de répondre à<br />

Freeman et Medoff qui, à partir de l'expérience américaine, attribuent <strong>les</strong><br />

déboires du syndicalisme occidental à l'aggravation artificielle des obstac<strong>les</strong><br />

à l'extension du mouvement syndical dans <strong>les</strong> entreprises. En réalité,<br />

l'essentiel du déclin s'explique vraisemblablement davantage par des<br />

changements profonds intervenus du côté de la «demande de syndicat,.<br />

plutôt qu'au niveau de l'offre.<br />

Dans la me<strong>sur</strong>e où elle a aggravé l'insécurité de l'emploi, la crise<br />

économique des années 70 a sans doute ajouté beaucoup à la perte d'attrait<br />

des <strong>syndicats</strong>.<br />

Paradoxalement, la baisse des adhésions syndica<strong>les</strong> peut également<br />

s'interpréter comme une rançon du succès des <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> le «marché<br />

politique", Dans la me<strong>sur</strong>e où aujourd'hui la législation contraignante de<br />

l'État se substitue de plus en plus à la protection du syndicat, il est inévitable<br />

que moins de gens se sentent motivés pour mettre leur écot et leur temps à la<br />

disposition des centra<strong>les</strong> ouvrières. Pourquoi payer des cotisations, ou<br />

sacrifier du temps à l'activité syndicale si la plupart des objectifs qui<br />

guidaient l'action des <strong>syndicats</strong> sont désormais inscrits dans la loi


3<br />

Droit du travail<br />

ou droit au travail<br />

La Constitution du 4 octobre 1958 proclame solennellement son<br />

attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté<br />

nationale tels qu'ils ont été définis par la déclaration de 1789,<br />

confirmée et complét~e par le préambule de la Constitution de 1946.<br />

Ce préambule précise trois choses:<br />

1. Chacun a le devoirde travailler et le droit d'obtenir un emploi. ..<br />

2. Tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la<br />

détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion<br />

des entreprises ...<br />

3. La nation as<strong>sur</strong>e à l'individu et à la famille <strong>les</strong> conditions nécessaires à<br />

leur développement ...<br />

Que signifient des formu<strong>les</strong> comme «Chacun a le droit d'obtenir<br />

un emploi» 00 «le devoir de travailler »<br />

En Union soviétique, la Constitution de 1977 stipule en son article<br />

60 : «Un travail dans une activité sociale utile est une obligation et<br />

une affaire d'honneur pour tout citoyen apte au travail. »<br />

Tout Soviétique en âge de travailler, ne justifiant pas d'une incapacité<br />

totale ou temporaire doit travailler. Le manquement à cette


94 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

obligation est sanctionné par le Code pénal. Toute personne apte au<br />

travail qui ne peut justifier d'un travail socialement utile pendant plus<br />

de quatre mois par an tombe sous le coup des lois dites «antiparasites<br />

», et peut être internée dans un camp de travail.<br />

La législation soviétique a au moins le mérite de la cohérence. Si<br />

travailler est un devoir, il en découle ipso facto qu'en corollaire la<br />

collectivité doit garantir à chacun un droit à l'emploi. Mais la seule<br />

façon de conférer une expression concrète à ce droit est d'imposer<br />

l'obligation légale à toutes <strong>les</strong> entreprises d'embaucher tout travailleur<br />

qui se présente à leur porte. Ce faisant, deux libertés fondamenta<strong>les</strong><br />

sont nécessairement compromises: celle de l'individu de ne pas travailler<br />

au salaire qu'on lui propose: celle de l'employeur de ne pas<br />

embaucher celui dont il ne veut pas.<br />

Nous ne sommes pas en Union soviétique. Mais une analyse<br />

attentive des dispositions du Droit du travail montre qu'en réalité nous<br />

n'y sommes pas dans une logique tellement différente. C'est plus une<br />

question de degré, que de nature. Mais c'est fondamentalement la<br />

même démarche d'esprit.<br />

Le Code du travail édité par Dalloz cite un arrêt où la Cour de<br />

cassation affirme: « La seule volonté des parties est impuissante à<br />

soustraire un travailleur au statut social qui découle de l'accomplissement<br />

de son travail. »<br />

Ainsi donc, le statut du travailleur serait, en droit français,<br />

prioritaire par rapport au contrat. Il s'agit d'une rupture radicale avec<br />

toute la tradition classique du droit. Elle révèle un fait dont trop peu de<br />

gens ont encore pris conscience. A savoir que le Code du travail et <strong>les</strong><br />

affirmations de la Constitution représentent non pas l'expression<br />

d'une grande conquête sociale, mais au contraire un immense pas en<br />

arrière vers une conception prérévolutionnaire du droit où l'individu<br />

n'était même pas encore reconnu comme propriétaire de lui-même.<br />

Il s'agit d'une véritable régression juridique et philosophique, d'une<br />

authentique réaction intellectuelle (au sens fort du terme) qui ramène<br />

aux statuts des compagnonnages ou des corporations du Moyen Age.<br />

Comment une telle régression juridique a-t-elle été possible Par<br />

quels mécanismes a-t-elle réussi à s'insérer au cœur de nos dispositifs<br />

juridiques Telle est la question que nous nous posons.


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 95<br />

La thèse que nous défendons est que ce n'est pas un hasard, ni le<br />

produit accidentel de l'histoire des idées. Le Droit du travail n'est pas<br />

du droit, au sens occidental classique du terme, parce qu'il n'a jamais<br />

été conçu à cette fin. Le Code du travail n'est qu'une législation ad<br />

hoc, conçue peu à peu au gré des contingences politiques, pour aider<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> et <strong>les</strong> ententes corporatives<br />

à préserver et renforcer leur pouvoir <strong>sur</strong> leurs membres afin d'empêcher<br />

<strong>les</strong> coalitions de travailleurs d'éclater sous la pression des intérêts<br />

individuels.<br />

Traditionnellement, le droit a pour objet d'as<strong>sur</strong>er la protection<br />

des droits de propriété des individus, et de garantir à chacun la liberté<br />

des contrats. Dans le droit du travail, il ne s'agit de rien de tout cela.<br />

L'étude de ses dispositions révèle au contraire que sa véritable nature<br />

est antinomique avec le respect de ces droits fondamentaux. S'il en est<br />

ainsi c'est parce que le droit du travail est d'abord et avant tout un<br />

droit partisan, un droit construit et conçu pour affirmer la<br />

prééminence des intérêts d'organisations collectives ayant acquis un<br />

certain pouvoir politique <strong>sur</strong> <strong>les</strong> droits des individus.<br />

LE CONTRAT DE TRAVAIL<br />

ET LE DROIT DE PROPRIttÉ SUR SOI<br />

Dans la conception classique du droit, <strong>les</strong> droits qui naissent du<br />

contrat de travail procèdent des droits individuels que chacun<br />

possède naturellement - à commencer par le premier de tous <strong>les</strong><br />

droits, la première de toutes <strong>les</strong> libertés: le droit de propriété <strong>sur</strong> soi.<br />

Même si l'expression est rarement utilisée et déplaît à certains<br />

puristes, la liberté n'est pas autre chose qu'un droit de propriété <strong>sur</strong><br />

soi: <strong>sur</strong> son corps, ses membres, son esprit, ses idées, ses actes,<br />

etc.; il en découle que tout homme est naturellement propriétaire de<br />

ce qui constitue son «capital humain» - c'est-à-dire l'ensemble de<br />

ses capacités. Compétences, dons, talents, connaissances et savoirfaire<br />

accumulés au cours de sa vie, qui le rendent capable d'action<br />

(notamment d'actes de production), et définissent sa personnalité.


96 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Ce n'est pas aussi évident.<br />

Des philosophes - comme l'Américain John Rawls - prétendent<br />

au contraire que l'individu n'est pas «propriétaire» de ses talents,<br />

mais que ceux-ci appartiennent à la collectivité; ce qui lui sert à<br />

justifier <strong>les</strong> politiques modernes de redistribution [157].<br />

Dans un État de droit (au sens classique du terme), chacun est libre<br />

de décider d'exploiter ses dons et ses talents comme il le veut.<br />

Certains choisissent de s'adresser directement au marché, comme le<br />

font, par exemple, <strong>les</strong> artisans ou commerçants indépendants, ou<br />

encore <strong>les</strong> membres des professions libéra<strong>les</strong>. D'autres, au contraire,<br />

préfèrent concéder à quelqu'un d'autre, pour une durée déterminée,<br />

la gestion de la mise en œuvre de leur propre capital humain, en<br />

échange d'une rémunération fixe déterminée à l'avance. C'est le<br />

principe du contrat de salarié.<br />

Dans ce cas, l'individu reste «propriétaire» de son capital<br />

humain. A l'expiration du contrat, il récupère l'intégralité de ses<br />

droits. Mais, entre-temps, il reconnaît à son employeur le droit de<br />

gérer l'utilisation de ses capacités selon <strong>les</strong> modalités qu'il juge <strong>les</strong><br />

mieux appropriées, et sans que lui-même ne puisse lui opposer ses<br />

propres préférences. Si l'employeur prouve qu'il a <strong>les</strong> capacités de<br />

tirer de la gestion coordonnée du capital humain de plusieurs<br />

employés un revenu de marché qui excède celui que ses employés<br />

seraient par eux-mêmes capab<strong>les</strong> de produire, il est de leur intérêt de<br />

souscrire à ce type de contrat en échange de la perspective d'y obtenir<br />

un revenu plus élevé.<br />

Dans le contrat de travail, chacun est à la fois le débiteur et le<br />

créancier de l'autre. L'employeur s'oblige à verser à son employé un<br />

salaire fixe en contrepartie de l'attribution d'un droit de gestion prioritaire<br />

<strong>sur</strong> l'utilisation de son temps. A l'inverse, l'employé s'oblige à<br />

fournir à son employeur un certain service en contrepartie d'un<br />

salaire. Dans cette optique, le contrat de travail est un accord qui<br />

organise l'exercice des droits de propriété en codifiant <strong>les</strong> rapports<br />

des hommes entre eux non pas quant aux choses (ce qui est le<br />

domaine du droit des obligations), mais des services qu'ils se<br />

rendent.<br />

Ce type de contrat se heurte toutefois à certaines difficultés liées à<br />

la nature même de cette machine biologique qu'est le corps humain.


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 97<br />

Le problème des tnvesttssements « tncorporés il aux êtres humatns<br />

Le premier tient au caractère spécifique des services rendus par <strong>les</strong><br />

êtres humains: ils sont par définition tncorporés à l'individu.<br />

Les connaissances, <strong>les</strong> savoirs, <strong>les</strong> talents qui font le capital<br />

humain de l'individu ont le plus souvent été acquis avant qu'il ne loue<br />

ses services à un employeur. Mais ce «stock» n'est pas gelé une fois<br />

pour toutes. Il ne cesse de s'enrichir des expériences quotidiennes.<br />

L'employeur lui-même a intérêt à l'enrichir. Ses employés seront<br />

d'autant plus productifs qu'il concourt à améliorer leur formation et à<br />

faire progresser leur savoir-faire.<br />

Les sommes dépensées par l'employeur à cet effet ont le caractère<br />

d'un tnvesttssement. Il s'agit de dépenses faites dans l'espérance d'un<br />

accroissement de ses gains futurs. Mais cet investissement présente un<br />

trait particulier. Il est « incorporé» à la personne même de l'employé.<br />

Si demain il décide de rompre son contrat et d'offrir ses services à une<br />

autre entreprise, parce qu'on lui a par exemple demandé de réaliser<br />

une tâche qui lui déplaît, son employeur se trouvera privé des<br />

rendements dont il anticipait le bénéfice en retour des investissements<br />

précédemment consentis pour enrichir la formation de son personnel.<br />

Investir dans l'enrichissement du capital humain de ses employés<br />

est le plus souvent une nécessité, dictée par la concurrence. Mais, en<br />

même temps, c'est une dépense «risquée ». Si rien ne permet d'atténuer<br />

ce risque, ou de le compenser, <strong>les</strong> entreprises consacreront à la<br />

formation et à l'enrichissement des connaissances ou des savoir-faire<br />

de leur personnel moins que ce qui serait, du point de vue de la collectivité,<br />

économiquement «optimal ». Cela se traduira par un «sousinvestissement<br />

», et un manque à gagner pour tous.<br />

A l'inverse, l'entreprise est un lieu où <strong>les</strong> individus coopèrent à la<br />

production d'un volume de biens supérieur à la simple addition de ce<br />

qu'ils seraient capab<strong>les</strong> de produire individuellement. Ce phénomène<br />

résulte de l'apparition d'économies d'échelle, de gains liés à .la<br />

spécialisation ou encore aux effets de complémentarité qu'apporte la<br />

diversité des talents réunis. Mais ce n'est pas tout. Cette coopération<br />

d'un grand nombre d'individus à un travail commun s'enrichit de la


98 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

production d'un capttal spécifique lié notamment aux habitudes et<br />

aux efforts de travail qui unissent <strong>les</strong> membres du personnel.<br />

Ce «capital spécifique» est un produit du travail en commun de<br />

l'équipe, de la connaissance que chacun a des autres, de la façon dont<br />

il s'intègre aux autres, et des efforts personnels qu'il consent pour partager<br />

leur formation, s'associer à leurs objectifs, parler le même<br />

langage, ressentir <strong>les</strong> mêmes priorités, etc. C'est aussi un investissement,<br />

mais un investissement indivisible. Tout le personnel y contribue,<br />

mais personne ne peut définir avec précision quelle part il y<br />

apporte.<br />

La rémunération de chacun ayant été fixée à l'avance, sa caractéristique<br />

est que <strong>les</strong> dividendes de cet investissement seront directement<br />

appropriés par l'employeur. Mais s'il en est ainsi, quelle<br />

motivation chacun a-t-il à fournir cet effort Quel intérêt chacun a-t-il<br />

a «s'investir» personnellement dans l'entreprise et dans l'amélioration<br />

de son image de marque<br />

Le problème des investissements spécifiques à l'entreprise<br />

La nature du problème est la même que dans l'exemple précédent.<br />

Faute d'un dispositif permettant de garantir à chacun un «droit de<br />

propriété» <strong>sur</strong> <strong>les</strong> retombées futures de ses «investissements»<br />

personnels, moins d'efforts seront consacrés par chaque employé à la<br />

construction de ce capital commun qu'il n'en serait socialement<br />

efficient.<br />

Prenons, par exemple, un vendeur dans une <strong>sur</strong>face de vente<br />

spécialisée. Il est prêt à consacrer chaque soir quelques heures à<br />

améliorer sa formation initiale. Quel choix va-t-il faire L'intérêt de<br />

tous serait que ces quelques heures soient de préférence consacrées à<br />

l'acquisition d'un savoir directement utilisable dans l'exercice de ses<br />

responsabilités professionnel<strong>les</strong>. Mais s'il quitte son poste pour aller<br />

ailleurs, cet investissement risque de ne pas lui rapporter grand-chose<br />

dans la me<strong>sur</strong>e où il s'agit peut-être de connaissances si spécifiquement<br />

liées aux caractéristiques propres de son métier actuel qu'el<strong>les</strong><br />

n'améliorent en rien la valeur marchande de ses qualifications <strong>sur</strong> le<br />

marché du travail. Dans ce cas, l'individu a plutôt intérêt à utiliser ces<br />

quelques heures à l'acquisition d'une formation générale, indépen-


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 99<br />

dante des besoins de son entreprise, sans aucun avantage pour<br />

l'équipe où il travaille, mais qui est susceptible d'améliorer sa valeur<br />

concurrentielle <strong>sur</strong> le marché de l'embauche. Si tous <strong>les</strong> employés<br />

font le même raisonnement, la valeur productive de leur équipe sera<br />

très inférieure à ce qu'elle serait si une solution institutionnelle était<br />

apportée à ce problème.<br />

Ce « capital spécifique» dont <strong>les</strong> rendements sont captés par<br />

l'employeur, alors qu'il résulte de choix d'investissement personnels<br />

de la part des employés, donne naissance à ce que <strong>les</strong> deux<br />

économistes américains Alchian et Demsetz ont appelé une quastrente;<br />

un avantage monétaire qui n'est pas la contrepartie d'un effort<br />

productif fourni par celui qui en bénéficie, mais la simple conséquence<br />

d'une absence de droits de propriété <strong>sur</strong> <strong>les</strong> rendements<br />

d'investissements consentis par d'autres. La recherche de l'efficacité<br />

maximale implique que l'importance de ces quasi-rentes soit réduite<br />

autant que faire se peut.<br />

U ne réponse consiste à proposer aux salariés un système à double<br />

rémunération: d'une part, un salaire fixe et régulier; d'autre part, une<br />

dotation en capital versée une fois pour toutes au moment de la<br />

rupture du contrat, et dont l'évaluation est fondée <strong>sur</strong> l'estimation de<br />

l'ensemble des revenus ou profits résultant de l'échange mutuel de<br />

services et incorporés soit dans la personne de l'employé, soit dans<br />

l'image de marque de la firme. Ce genre d'arrangement contractuel a<br />

pour effet de créer un droit de propriété de l'employé <strong>sur</strong> une part du<br />

capital spécifique de la firme; et réciproquement, un droit de<br />

propriété de l'entreprise <strong>sur</strong> une part du capital humain de ses<br />

employés.<br />

L'apport de la tMorie ~conomtque<br />

C'est le modèle même du contrat qui lie par exemple le jeune<br />

joueur de football à son club; ou encore celui que signe avec l'État<br />

l'étudiant qui entre à Polytechnique. Les grands joueurs de football<br />

doivent leur réussite à leur talent personnel, mais aussi au savoir-faire<br />

qui leur a été inculqué dans le club qui a pris en charge leurs débuts,<br />

puis as<strong>sur</strong>é leur promotion professionnelle. D'où le contrat type, courant<br />

dans ce milieu, où le joueur s'engage pour le cas où il s'en irait


100 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

rejoindre un autre club, à indemniser son club d'origine en lui<br />

« rachetant» en quelque sorte <strong>les</strong> rendements qu'il entendait légitimement<br />

retirer de 1'« investissement» fait dans sa personne. C'est la<br />

même logique qui explique que l'État exige des élèves de Polytechnique<br />

qu'ils s'engagent à passer une période de temps minimale à son<br />

service, en contrepartie de l'effort financier qu'il consent pour <strong>les</strong><br />

former; mais aussi qu'ils puissent s'en dégager en « rachetant» leur<br />

dette à l'École, généralement en la faisant prendre en charge par la<br />

firme qui <strong>les</strong> embauche. Replacé dans cette perspective, le contrat du<br />

club de football, souvent dénoncé dans la presse comme une forme<br />

moderne d'« esclavage», n'a rien de plus scandaleux que le contrat du<br />

Polytechnicien.<br />

On pourrait montrer que bien des contrats, condamnés parfois<br />

par <strong>les</strong> tribunaux pour leur soi-disant caractère léonin, répondaient<br />

en réalité à ce genre de préoccupation. Personne ne s'offusque de voir<br />

<strong>les</strong> tribunaux accorder aux salariés une indemnité de licenciement<br />

pour réparer le tort que leur cause le fait de ne plus pouvoir récupérer<br />

ce qu'ils ont « investi» dans l'entreprise. De même, personne ne se<br />

scandalise de ce qu'un divorce s'accompagne du versement de prestations<br />

compensatoires au bénéfice de l'époux pour lequel le mariage<br />

a entraîné le plus grand sacrifice (en termes de revenus alternatifs).<br />

Pourquoi l'inverse ne serait-il pas légitime lorsque le départ d'un<br />

salarié prive son employeur d'un capital qu'il avait investi dans sa<br />

personne<br />

Le droit des contrats n'est pas seulement une affaire de juristes,<br />

c'est un domaine qui relève aussi de l'expertise des économistes.<br />

L'analyse économique permet de mieux comprendre la raison d'être<br />

de certaines pratiques contractuel<strong>les</strong>. Utilisée à bon escient, elle<br />

devrait éviter au législateur ou au juriste de commettre des erreurs et<br />

des injustices. Mais, comme dans bien d'autres domaines, le droit du<br />

travail s'entête à en ignorer <strong>les</strong> apports.<br />

LE DROIT DU TRAVAIL CONfRE LE CONTRAT DE TRAVAIL<br />

Dans la tradition juridique actuellement en vigueur, la propriété<br />

est un droit positif Malgré des traces du droit naturel ancien, encore


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 101<br />

apparentes dans la Déclaration des droits de l'homme, c'est à cette<br />

tradition que se rattachent <strong>les</strong> textes de la Constitution. Il y a confusion<br />

totale entre la loi et le droit. Il suffit qu'une norme juridique économique<br />

ou sociale soit édictée par un texte qui a fait l'objet d'une<br />

approbation par le Parlement dans <strong>les</strong> formes institutionnel<strong>les</strong><br />

prévues par la Constitution pour qu'elle devienne du droit.<br />

L'élargissement des pouvoirs du Conseil constitutionnel, l'apparition<br />

du droit européen, avec notamment la saisine de la Cour de<br />

justice de Luxembourg, l'adhésion sans réserve enfin de la France au<br />

protocole de la Convention européenne des Droits de l'homme ont<br />

quelque peu modifié la situation. Il n'en reste pas moins que dans<br />

l'esprit de la majorité de nos contemporains c'est dans le pouvoir<br />

politique que réside par défmition la source du droit.<br />

La fonction du droit étant de définir <strong>les</strong> droits de propriété et de<br />

permettre une solution pacifique des conflits qui naissent à leur sujet,<br />

il en résulte que, dans cette philosophie du droit, c'est le pouvoir<br />

politique qui, de façon souveraine, fonde le droit de propriété. C'est à<br />

lui qu'il appartient d'en définir <strong>les</strong> frontières, de <strong>les</strong> rectifier, d'en<br />

réglementer l'usage et, le cas échéant, d'en retirer <strong>les</strong> attributs. C'est<br />

ainsi que, à travers la réglementation de la liberté des contrats, et <strong>les</strong><br />

entraves législatives croissantes qui y sont opposées, le droit du travail<br />

réglemente et limite l'exercice des droits de propriété des travailleurs<br />

<strong>sur</strong> eux-mêmes; et cela sans que personne ne songe véritablement à<br />

s'en indigner.<br />

Cette vision de la propriété s'oppose à celle du droit naturel où le<br />

droit, selon la belle formule du professeur Hayek, «est un produit des<br />

activités humaines, mais non de leurs desseins» (81). Dans cette<br />

perspective, l'origine des droits de propriété ne se situe pas dans<br />

l'exercice de la souveraineté politique, mais dans la considération<br />

séculaire de règ<strong>les</strong> de conduite abstraites et impersonnel<strong>les</strong> que <strong>les</strong><br />

populations ont appris à respecter bien avant qu'el<strong>les</strong> ne puissent<br />

jamais être explicitement formulées, tout simplement parce que<br />

l'expérience leur avait révélé qu'el<strong>les</strong> étaient un meilleur gage de<br />

<strong>sur</strong>vie.<br />

Dans la tradition juridique classique, le droit naturel s'impose au<br />

pouvoir politique et il ses législateurs. Il leur est antérieur. Le droit de<br />

propriété <strong>sur</strong> soi, fondement moral de la liberté contractuelle, y est un


102 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

droit inaliénable que nul ne peut entraver, ni limiter, sans commettre<br />

une injustice puisque, imposé par l'ordre naturel de la cohérence<br />

logique du réel, il s'agit d'un droit qui n'a jamais été concédé ni<br />

délégué par aucune autorité humaine souveraine d'un ordre<br />

quelconque.<br />

Retour à l'ordre juridique prérévolutionnaire<br />

Le premier à avoir véritablement placé la liberté des contrats au<br />

sommet de la hiérarchie morale et juridique est le Flamand Hugo<br />

Grotius au XVIe siècle, dans son célèbre traité <strong>sur</strong> le droit de la guerre et<br />

de la paix.<br />

La liberté contractuelle recouvre deux choses: d'abord le droit<br />

d'abandonner ou de déléguer partie de ses droits <strong>sur</strong> son propre<br />

capital humain, selon des clauses convenues à l'avance et décidées en<br />

commun, pour acquérir d'autres droits concédés en échange par<br />

l'autre cocontractant; ensuite la garantie judiciaire de l'exécution des<br />

clauses ainsi convenues. Fait essentiel de l'ordre juridique classique,<br />

et traduction de l'inaliénabilité du droit de propriété <strong>sur</strong> soi, <strong>les</strong><br />

clauses du contrat s'imposent non seulement aux parties prenantes,<br />

mais aussi au juge qui est éventuellement appelé à intervenir en cas de<br />

conflit.<br />

La liberté contractuelle impose une absence de vice du consentement.<br />

Elle exclut l'adhésion forcée, et suppose la liberté de ne pas<br />

contracter. Le contrat est dit «authentique» lorsqu'il est conclu<br />

devant un officier public, ou «simple» (il suffit que <strong>les</strong> volontés se<br />

soient exprimées de façon saisissable). Les motifs ou <strong>les</strong> mobi<strong>les</strong> des<br />

contractants sont indifférents au juge. Enfin, le contrat a force<br />

obligatoire: il s'impose aussi bien aux parties, au juge qu'au législateur<br />

(qui ne peut appliquer rétroactivement <strong>les</strong> effets d'une loi à des<br />

contrats conclus antérieurement). Il n'entraîne pas d'effet <strong>sur</strong> <strong>les</strong> tiers<br />

non-contractants.<br />

Tels sont <strong>les</strong> principes mis en place au moment de la codification<br />

par <strong>les</strong> révolutionnaires des grands principes du droit individualiste<br />

moderne. Auparavant, sous l'Ancien Régime, un juge pouvait encore<br />

délier un contractant du devoir de respecter ses engagements si <strong>les</strong><br />

termes du contrat ne lui paraissaient pas présenter <strong>les</strong> garanties d'un


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 103<br />

échange «juste». La mission du juge ne se limitait pas à garantir<br />

l'inviolabilité des contrats (la justice commutative). Son rôle était<br />

également d'as<strong>sur</strong>er le maintien d'une certaine justice distributive,<br />

considérée comme le fondement de l'ordre social de l'époque.<br />

De ce point de vue, le droit du travail actuel traduit l'expression<br />

d'un spectaculaire retour aux traditions juridiques de l'époque<br />

prérévolutionnaire.<br />

Aujourd'hui, il n'est pas excessif d'affirmer que plus aucun des<br />

grands principes fondateurs de la liberté contractuelle n'est intégralement<br />

respecté. Par exemple, un principe aussi élémentaire que la<br />

« liberté du travail» n'as<strong>sur</strong>e plus véritablement la liberté de contracter<br />

avec un employeur puisque, si vous avez moins de 16 ans, la loi<br />

vous prive du droit de vous faire embaucher; si vous avez en revanche<br />

plus de 65 ans, vous ne pouvez plus librement cumuler une retraite et<br />

un travail salarié (exception faite des militaires qui conservent ce droit<br />

- devenu un « privilège» ).<br />

Les clauses du contrat ne sont plus librement fixées par <strong>les</strong> parties.<br />

Si vous désirez constituer votre propre épargne pour vous protéger des<br />

vieux jours, vous pouvez le faire; mais cela ne vous relève pas de<br />

l'obligation légale de cotiser régulièrement à un régime d'as<strong>sur</strong>ance<br />

vieil<strong>les</strong>se dont <strong>les</strong> termes vous sont unilatéralement imposés par le<br />

législateur. De même, vous n'êtes pas libre d'organiser librement<br />

votre propre système de protection contre <strong>les</strong> périodes de chômage<br />

ou le risque de baisse de vos revenus. Celui-ci vous est imposé par<br />

l'État. Le travailleur n'est pas libre de négocier avec son employeur ses<br />

horaires de travail. Ceux-ci sont flXés par le texte d'un contrat type<br />

prévu par la loi (la convention collective de votre branche ou de votre<br />

entreprise).<br />

Les motifs ou <strong>les</strong> mobi<strong>les</strong> ne sont plus indifférents au juge. Quand<br />

l'employeur décide de rompre le contrat de travail, il doit en signifier<br />

<strong>les</strong> motifs, qui seront pris en compte par le juge en cas de conflit. Une<br />

démission n'ouvre pas <strong>les</strong> mêmes droits qu'un licenciement. Et, selon<br />

<strong>les</strong> motifs du licenciement, <strong>les</strong> réactions de l'administration ou des<br />

tribunaux seront différentes.<br />

Le contrat de travail individuel n'a plus nécessairement force<br />

obligatoire si <strong>les</strong> clauses qu'il contient diffèrent de cel<strong>les</strong> qui figurent<br />

dans le contrat type de la convention collective du secteur d'emploi.


104 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Enfin, le contrat de travail a des effets <strong>sur</strong> <strong>les</strong> tiers puisque désormais<br />

le contrat type d'une convention collective peut être étendu, par<br />

décision administrative, à des entreprises ou des salariés qui ne sont<br />

pas parties à cette convention.<br />

Attardons-nous un instant <strong>sur</strong> ce problème des conventions collectives,<br />

très représentatif des nouvel<strong>les</strong> mentalités juridiques qui<br />

imprègnent le droit du travail contemporain.<br />

Les conventions collectives: des ententes obltgatoires<br />

Les conventions collectives sont des accords passés entre une ou<br />

plusieurs organisations syndica<strong>les</strong> de salariés et d'employeurs. Ces<br />

accords déterminent leur champ d'application territorial et professionnel<br />

et sont conclus pour une durée déterminée ou indéterminée.<br />

Ils peuvent être passés au niveau d'une entreprise (accords collectifs<br />

d'entreprise) ou au niveau d'une branche industrielle. Ils ne peuvent<br />

être contraires aux lois et réglements en vigueur Oe Code du travail par<br />

exemple).<br />

Pour que de tel<strong>les</strong> conventions soient dénoncées, il faut l'unanimité<br />

des organisations signataires, employeurs et salariés. El<strong>les</strong><br />

peuvent être étendues à d'autres entreprises ou même à d'autres branches<br />

après négociation en commission des organisations syndica<strong>les</strong><br />

représentatives. Ces extensions peuvent être demandées par l'une des<br />

organisations partie prenante ou à l'initiative du ministère du Travail.<br />

Les conventions de branche conclues au niveau national contiennent<br />

des dispositions qui concernent l'exercice du droit syndical dans<br />

l'entreprise, <strong>les</strong> délégués du personnel, le comité d'entreprise et le<br />

financement de leurs activités socia<strong>les</strong>; <strong>les</strong> niveaux d'équivalence des<br />

qualifications; le niveau de salaire applicable à chaque catégorie<br />

professionnelle, ainsi que <strong>les</strong> modalités de révision. Selon la loi, doivent<br />

être inclus dans ces dispositions <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires: le salaire minimal;<br />

<strong>les</strong> coefficients hiérarchiques; <strong>les</strong> majorations de salaires pour<br />

travaux pénib<strong>les</strong>; <strong>les</strong> modalités d'application du principe « à travail<br />

égal, salaire égal»; <strong>les</strong> congés payés; <strong>les</strong> conditions d'embauche; <strong>les</strong><br />

conditions de la rupture du contrat de travail avec le délai-congé et<br />

l'indemnité de licenciement; <strong>les</strong> modalités de fonctionnement de la<br />

formation professionnelle, des centres d'apprentissage, de la forma-


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 105<br />

tion permanente; l'égalité professionnelle entre homme et femme;<br />

l'égalité de traitement entre salariés français et étrangers; <strong>les</strong> conditions<br />

particulières pour le temps de travail des femmes enceintes,<br />

pour le personnel qui travaille à temps partiel, à domicile ou à<br />

l'étranger, ou encore dans le cadre de contrats temporaires; enfin <strong>les</strong><br />

procédures de conciliation.<br />

Ces conventions collectives peuvent être passées ou étendues à<br />

d'autres niveaux que le niveau national. Par ailleurs, le ministre du<br />

Travail, après avis de la Commission nationale des conventions<br />

collectives, peut en rendre l'application obligatoire, Il est prévu que :<br />

en cas d'absence ou de carence des organisations de salariés ou<br />

d'employeurs se traduisant par une impossibilité persistante de conclure<br />

une convention ou un accord de branche d'activité ou d'un secteur<br />

territorial déterminé,<br />

le ministre chargé du Travail peut, à la demande d'une organisation<br />

représentative intéressée ou de sa propre initiative, sauf opposition<br />

écrite et motivée de la majorité des membres de la Commission<br />

nationale de la négociation collective:<br />

rendre obligatoire dans le secteur territorial (ou professionnel) considéré<br />

une convention ou un accord de branche déj! étendu ! un secteur<br />

territorial (ou professionnel) différent. ..<br />

Ces détails sont connus. Leur lecture est fastidieuse. Mais leur<br />

sécheresse même fait mieux apparaître la véritable nature de ces<br />

dispositions législatives. Il s'agit ete mécanismes juridiques utilisés par<br />

<strong>les</strong> pouvoirs publics pour imposer, le plus légalement du monde, des<br />

ententes horizonta<strong>les</strong> obligatoires entre travailleurs, d'une part, et<br />

entre firmes, d'autre part. Les accords collectifs d'entreprises as<strong>sur</strong>ent<br />

une forme d'intégration verticale entre <strong>les</strong> salariés et leurs patrons. Le<br />

contrat de travail issu de ce système n'est plus que la traduction<br />

juridique d'un statut légal ayant préséance <strong>sur</strong> <strong>les</strong> dispositions des<br />

contrats individuels; un statut que personne ne peut plus dénoncer ou<br />

amender sans obtenir l'accord unanime de ses partenaires. On est<br />

revenu aux plus beaux jours des traditions corporatives de l'époque<br />

prémoderne.


106 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

LE DROIT DU TRAVAIL CONTRE LE MARCHÉ DU TRAVAIL<br />

Cette réaction du droit moderne à l'encontre de la liberté<br />

contractuelle prend racine dans l'influence exercée par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

<strong>sur</strong> le marché politique. Elle s'est nourrie de la peur que <strong>les</strong> hommes<br />

ont de ce que Hayek appelle «l'ordre spontané du marché».<br />

On peut déplorer l'existence d'un marché du travail. Mais si on<br />

peut en limiter l'étendue, et réglementer le fonctionnement de<br />

certains de ses aspects, on ne pourra jamais en éliminer totalement<br />

l'existence tant qu'il restera des hommes prêts à louer à d'autres <strong>les</strong><br />

services de leur capital humain. On peut nationaliser <strong>les</strong> agences de<br />

placement, il est plus diffidle d'interdire <strong>les</strong> petites annonces dans <strong>les</strong><br />

journaux, ou tout simplement le bouche à oreil<strong>les</strong> aux portes des<br />

usines.<br />

Qui dit marché, dit loi du marché - c'est-à-dire loi de l'offre et de<br />

la demande. Sur un marché du travail, c'est elle qui détermine le<br />

montant des rémunérations. Si <strong>les</strong> entraves aujourd'hui portées à la<br />

liberté des contrats de travail ne sont pas aussi vivement dénoncées<br />

qu'el<strong>les</strong> le devraient c'est qu'instinctivement la plupart des gens ont du<br />

mal à admettre que le salaire ne soit pas directement lié à la<br />

rémunération d'un besoin, d'un effort ou d'un mérite personnel.<br />

Ainsi que l'explique le Pr Hayek, la fonction du salaire n'est pas,<br />

comme on le croit le plus souvent, de rémunérer <strong>les</strong> gens pour ce<br />

qu'ils ont fatt, mais de stgnaler ce qu'ils devraient faire, dans leur<br />

propre intérêt comme dans celui de tous. Le prix du travail ne<br />

récompense pas <strong>les</strong> mérites des individus mais leur révèle la valeur<br />

que leurs semblab<strong>les</strong> portent à leurs services, sachant que chaque<br />

service a lui-même autant de valeurs différentes qu'il y a de gens pour<br />

porter un jugement dessus [81].<br />

Bien évidemment, quand la rémunération de son propre travail<br />

ne correspond pas à ce que l'on attendait, on ressent un vif sentiment<br />

d'injusttce que l'on reporte <strong>sur</strong> l'institution, c'est-à-dire le marché.<br />

On se sent alors légitimement fondé à s'efforcer de soustraire par tous<br />

<strong>les</strong> moyens son revenu aux variations de l'offre et de la demande. La


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 107<br />

solution consiste à contrôler <strong>les</strong> forces de marché, c'est-à-dire à<br />

s'opposer au libre jeu des contrats volontaires entre individus libres.<br />

La justice du salaIre et l'Injustice du marché<br />

Ce désir de voir la rémunération du travail récompenser <strong>les</strong><br />

besoins, l'effort, le talent ou <strong>les</strong> mérites, et de la soustraire aux forces<br />

du marché, est, ainsi que le souligne Hayek, un signe d'immaturité de<br />

notre esprit.<br />

On ne peut exiger d'un «ordre spontané» qu'il se conforme à des<br />

principes moraux de justice. En toute rigueur, seuls des comportements<br />

humains peuvent être considérés comme «justes» ou « injustes<br />

». Et cela par rapport à des règ<strong>les</strong> définies au préalable et non des<br />

résultats que l'on juge plus ou moins «désirab<strong>les</strong>».<br />

Par exemple, il ne viendrait à l'esprit de personne d'imaginer<br />

qu'une équipe de football puisse être disqualifiée au seul prétexte<br />

qu'elle vient de gagner par un écart de 10 buts à 0 qui ne reflète pas la<br />

véritable valeur relative des deux équipes. La disqualification ne peut<br />

être prononcée que s'il est prouvé que certains joueurs n'ont pas<br />

respecté <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> du jeu. Le résultat du match ne peut être considéré<br />

comme étant en soi «juste» ou« injuste ». Il est conforme ou non à ce<br />

qui était «prévisible », vu <strong>les</strong> résultats passés des équipes en présence.<br />

Mais il serait ab<strong>sur</strong>de d'exiger de l'arbitre qu'il impose par exemple un<br />

résultat nul sous le seul prétexte que <strong>les</strong> adversaires ont dans le passé<br />

gagné autant de matches l'un que l'autre.<br />

Le marché est une sorte de jeu - à somme positive, et non nulle<br />

comme un match de sport de loisir -, où la règle centrale est<br />

l'échange volontaIre. Les résultats qui en découlent sont légitimes dès<br />

lors qu'ils sont obtenus dans le respect des règ<strong>les</strong> de l'échange. Nul ne<br />

peut dire s'ils sont «justes» ou «injustes », car nous ne disposons<br />

d'aucun principe éthique à caractère postttf qui soit suffisamment<br />

incontestable pour s'imposer à tous et permettre de juger ce que<br />

devrait être une distribution « juste» des revenus.<br />

En revanche, il existe des principes éthiques négatifs qui<br />

permettent d'établir quand un résultat n'est pas légitime, et ne saurait<br />

donc être juste: quand <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> de juste conduite individuel<strong>les</strong> qui<br />

déterminent <strong>les</strong> conditions de fonctionnement du marché ont été


108 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

violées par quelqu'un. C'est à ce titre qu'on peut affirmer qu'un<br />

transfert (contraint) de revenus d'un individu courageux et travailleur<br />

vers un paresseux, d'un être responsable vers un irresponsable, d'un<br />

individu compétent vers un incompétent, ou bien d'un chanceux vers<br />

un malchanceux, d'un homme honnête vers un malhonnête, ou pire<br />

encore d'un groupe d'hommes politiquement sans influence, vers un<br />

autre groupe d'individus bénéficiant des avantages du pouvoir, est<br />

condamnable parce qu'il viole <strong>les</strong> deux principes fondamentaux<br />

d'une société libre et ouverte : le respect des droits de propriété et la<br />

liberté des contrats.<br />

Une tradition déja longue et anctenne<br />

La façon la plus traditionnelle de soustraire le prix du travail au<br />

marché est de former des ententes entre <strong>les</strong> offreurs pour maintenir <strong>les</strong><br />

salaires au-dessus du niveau qui s'établirait en situation de<br />

concurrence.<br />

Ces ententes ne sont pas une spécificité de notre époque. Aussi<br />

loin qu'on remonte dans l'histoire, el<strong>les</strong> ont toujours existé, et el<strong>les</strong><br />

ont toujours été également combattues.<br />

Avant d'être finalement légalisées à la fin du XIxe siècle, <strong>les</strong><br />

compagnonnages ou <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> (du côté des ouvriers), <strong>les</strong> jurandes,<br />

<strong>les</strong> métiers et <strong>les</strong> corporations (du côté des patrons) <strong>sur</strong>vivaient<br />

comme des organisations semi-clandestines.<br />

Le syndicalisme plonge ses racines dans <strong>les</strong> «métiers», <strong>les</strong><br />

compagnonnages et <strong>les</strong> corporations du Moyen Age. Dès 1539, <strong>les</strong><br />

ouvriers imprimeurs de Lyon et de Paris pratiquaient le «tric» ou<br />

monopole. Par serment, <strong>les</strong> ouvriers s'engageaient à cesser le travail<br />

dès que l'un d'entre eux avait à se plaindre de son patron. Ils se donnaient<br />

des chefs et faisaient «bourse commune ». Sitôt le tric ou la<br />

grève décidés, ils menaçaient de battre et de mutiler ceux qui trahissaient<br />

la consigne. La moindre des sanctions était leur expulsion des<br />

rangs de la confrérie.<br />

Les griefs de l'époque n'étaient déjà pas très différents de ceux<br />

dont <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> d'aujourd'hui se plaignent pour justifier leurs privilèges<br />

juridiques: <strong>les</strong> salaires étaient insuffisants, <strong>les</strong> avantages en<br />

nature Oogement, nourriture) étaient de qualité détestable, <strong>les</strong>


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 109<br />

horaires étaient trop stricts j enfin, une récrimination fréquente de<br />

l'époque concernait l'embauche des apprentis: ils étaient trop nombreux<br />

et <strong>les</strong> patrons <strong>les</strong> employaient à toutes sortes de tâches qui<br />

n'avaient rien à voir avec un programme de formation.<br />

En 1539, le pouvoir royal, par l'édit de Villers-Cotterets, interdit<br />

toute coalition patronale et ouvrière. Mais l'interdiction n'eut pas<br />

d'effet. En 1572, le roi consentit à limiter le nombre d'apprentis à<br />

deux par presse. En contrepartie, <strong>les</strong> ouvriers acceptèrent de ne plus<br />

être nourris par leurs patrons. La durée de l'apprentissage fut limitée à<br />

trois ans. L'usage du fouet interdit. L'habitude fut prise d'imposer à<br />

celui qui désire rompre son contrat de travail l'obligation d'annoncer<br />

sa décision avec un délai de huit jours.<br />

En 1662, <strong>les</strong> ouvriers papetiers d'Avignon se mettent en grève. En<br />

1664, c'est au tour des boulangers de Bordeaux et des cordonniers de<br />

Toulouse. En 1679, ce sont <strong>les</strong> rubaniers de Paris. Dans son fameux<br />

'/raité des grains, Boisguilbert écrit :<br />

On voit dans <strong>les</strong> vil<strong>les</strong> de commerce des 7 à 800 ouvriers d'une seule<br />

manifacture s'absenter tout à coup et, en un moment, en quittant <strong>les</strong><br />

ouvrages imparfaits, parce qu'on leur voulait diminuer d'un sou leur<br />

journée; <strong>les</strong> prix de leurs ouvrages étant baissés quatre fois davantage;<br />

<strong>les</strong> plus mutins usent de violence envers ceux qui auraient pu être<br />

raisonnab<strong>les</strong>. Il y a même des statuts parmi eux, dont quelques-uns sont<br />

par écrits, et qu'ils se remettent de main en main, par <strong>les</strong>quels il est porté<br />

que si l'un d'entre eux entreprend de diminuer le prix ordinaire, il soit<br />

interdit de faire métier.<br />

Au XVIIIe siècle, <strong>les</strong> compagnonnages - qui sont pourtant<br />

proscrits - deviennent de plus en plus puissants. A Montpellier en<br />

1730, le procureur du roi dénonce <strong>les</strong> compagnons menuisiers qui ont<br />

constitué un «syndicat », ainsi que <strong>les</strong> « gavots » qui ont fait de même.<br />

Les grèves portent aussi souvent <strong>sur</strong> <strong>les</strong> avantages en nature que <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

salaires. Ainsi <strong>les</strong> Montgolfier, le 25 février 1781, ont une grève<br />

générale de leurs ateliers <strong>sur</strong> <strong>les</strong> bras : deux ouvriers, Fougères dit le<br />

Homard et son compagnon Nourrisson dit le Comtois, jettent à terre<br />

<strong>les</strong> plats qu'on leur présente j licenciés, ils obtienrlent de leurs<br />

camarades une grève de solidarité.


110 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Mes ouvriers, écrit Montgolfier, ont tous préféré partir sans leur compte<br />

en m'exposant à perdre environ 3 000 livres de matière en fermentation<br />

qui a un pressant besoin d'être ouvrée au risque d'une perte entière.<br />

Autre sujet fréquent de contestation: l'aménagement des horaires.<br />

Lorsque <strong>les</strong> patrons décident d'organiser le travail moitié avant<br />

midi, moitié après, c'est la grève.<br />

Les compagnonnages ne sont pas des associations loca<strong>les</strong>, mais<br />

internationa<strong>les</strong> dont <strong>les</strong> réseaux de relations s'étendent bien au-delà<br />

des frontières. Non seulement <strong>les</strong> compagnons sont cartellisés, mais<br />

<strong>les</strong> patrons et <strong>les</strong> artisans forment leurs propres ententes.<br />

L'esprit général des communautés, remarque Turgot dans son édit de<br />

1776 portant suppression des jurandes et communautés de Commerce,<br />

Arts et Métiers, est de restreindre le plus qu'il est possible le nombre des<br />

maîtres, de rendre l'acquisition de la maîtrise d'une difficulté presque<br />

in<strong>sur</strong>montable pour tous <strong>les</strong> autres que <strong>les</strong> enfants des maîtres actuels. A<br />

ce but sont dirigées la multiplication des frais et des formu<strong>les</strong> de<br />

réception, <strong>les</strong> difficultés du chef-d'œuvre toujours jugé arbitrairement, la<br />

cherté et la longueur inutile des apprentissages, la servitude prolongée<br />

du compagnonnage, <strong>les</strong> institutions qui ont pour objet de faire jouir <strong>les</strong><br />

maîtres gratuitement pendant plusieurs années du travail des aspirants.<br />

Le plus important est la police de l'entente<br />

Officiellement supprimés en 1776, <strong>les</strong> corporations et compagnonnages<br />

n'en ont en réalité pas beaucoup souffert puisqu'en 1791 le<br />

célèbre décret d'Allarde <strong>les</strong> supprime à nouveau, et que le mardi 14<br />

juin de la même année la non moins fameuse loi Le Chapelier interdit<br />

<strong>les</strong> coalitions de travailleurs. Votée à l'unanimité par l'Assemblée,<br />

elle interdit <strong>les</strong> grèves et <strong>les</strong> associations temporaires ou non d'ouvriers.<br />

Elle admet <strong>les</strong> réunions de citoyens à condition qu'ils ne nomment<br />

ni président, ni syndic, ni secrétaire, et ne prennent aucune<br />

décision pour défendre «leurs prétendus intérêts communs». Loin<br />

d'innover, elle reprend la plupart des interdictions déjà énoncées<br />

maintes fois par le pouvoir royal.<br />

Les associations de travailleurs ne vont pas pour autant disparaître.<br />

El<strong>les</strong> renaissent sous forme de sociétés mutuel<strong>les</strong> qui affichent des


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 111<br />

idéaux charitab<strong>les</strong>, et volent au secours des travailleurs <strong>les</strong> plus<br />

malheureux, mais qui ne servent pas qu'à cela. Leurs fonds servent<br />

aussi à financer <strong>les</strong> grèves.<br />

Sous la Restauration, <strong>les</strong> compagnons prennent un nouvel essor.<br />

Entre 1830 et 1840, ils suscitent de nombreuses grèves et émeutes. En<br />

publiant un livre célèbre <strong>sur</strong> le compagnonnage, Perdiguier rend le<br />

mouvement encore plus populaire.<br />

C'est seulement sous le Second Empire, avec le développement de<br />

l'industrie moderne, que le compagnonnage en tant qu'organisation<br />

représentative du monde ouvrier disparaît, supplanté par de nouvel<strong>les</strong><br />

formes de mouvements protestataires nés dans <strong>les</strong> fabriques de<br />

Grande-Bretagne. Décimés sous la Commune, étrangers aux mots<br />

d'ordre plus politiques du syndicalisme, divisés, <strong>les</strong> compagnons<br />

disparaissent de la scène ouvrière au profit de nouvel<strong>les</strong> associations<br />

auxquel<strong>les</strong> on donne le nom de « <strong>syndicats</strong>» .<br />

Depuis un siècle, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> tiennent le devant de la scène.<br />

Quand on y regarde de plus près, on constate cependant qu'ils n'ont<br />

jamais réussi à reconstituer véritablement la puissance que <strong>les</strong><br />

compagnonnages avaient atteint à certaines époques. Les statuts et <strong>les</strong><br />

droits qu'ils ont depuis lors arrachés aux pouvoirs publics ne sont<br />

pourtant pas sans rappeler toute la grille de privilèges contre <strong>les</strong>quels<br />

le pouvoir politique, qu'il soit royal ou républicain, n'avait cessé de<br />

lutter.<br />

Que ce soit toujours la même logique qui inspire l'action de ces<br />

différentes organisations n'a rien pour étonner. Qu'il leur importe<br />

plus de faire la police de leur entente que de réellement militer pour<br />

l'amélioration du bien-être et de la protection des travailleurs,<br />

s'explique par <strong>les</strong> caractéristiques même de l'action collective, tel<strong>les</strong><br />

qu'el<strong>les</strong> ont été décrites par l'économiste américain Mancur<br />

OIson [1421. Pour mobiliser un groupe d'intérêt à l'état latent, et<br />

obtenir par une action collective ce que l'on ne peut réaliser par la<br />

seule action individuelle, il est vital de contrôler, d'une part <strong>les</strong><br />

comportements de ceux qui, à tout moment, peuvent être tentés de<br />

faire « cavalier seul» ; d'autre part tous <strong>les</strong> autres qui seraient prêts à<br />

travailler à un salaire inférieur à celui exigé par <strong>les</strong> membres du<br />

syndicat Oes «jaunes», <strong>les</strong> briseurs de grèves, etc.). Une telle police<br />

est inévitablement coûteuse. Si l'on peut obtenir qu'elle soit as<strong>sur</strong>ée


112 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

par l'État lui-même, aux lieu et place du syndicat, c'est tout bénéfice.<br />

Telle est précisément la finalité du Droit du travail.<br />

la capture de la loi par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

Donnons quelques exemp<strong>les</strong> de cette stratégie de «capture».<br />

Prenons tout d'abord l'embauche. Regardons ce que dit la réglementation<br />

du travail.<br />

Premier constat: <strong>les</strong> intermédiaires chargés de rapprocher <strong>les</strong><br />

offres et demandes en contrepartie d'espèces sonnantes et trébuchantes<br />

sont interdits. Le bureau de placement payant a été supprimé<br />

par une ordonnance du 24 mai 1945. Les bureaux de placement<br />

gratuits qui existaient alors ont été mis sous un contrôle public sévère.<br />

Depuis lors, il n'est plus possible d'en créer de nouveaux. Le seul<br />

intermédiaire légal est l'Agence nationale pour l'emploi. L'article<br />

311-1 du Code du travail stipule que: « ... <strong>les</strong> services de l'État sont<br />

seuls habilités à effectuer le placement des travailleurs ». Ne sont en<br />

principe autorisées que <strong>les</strong> petites annonces dans <strong>les</strong> journaux, sous<br />

réserve de pouvoir identifier clairement le nom de l'entreprise<br />

demandeuse.<br />

L'intérêt d'une telle législation, apparemment anodine, s'analyse<br />

aisément si on se place du point de vue du syndicat. Il s'agit d'éviter<br />

une segmentation du marché et des candidatures qui se fasse au<br />

détriment des intérêts des organisations ouvrières.<br />

Des agences de placement privées et rémunérées fonctionneraient<br />

en effet selon des principes fort voisins des agences matrimonia<strong>les</strong>,<br />

<strong>sur</strong> le marché du mariage. Leur intérêt serait d'offrir un éventail<br />

d'emplois le plus large possible, et répondant au nombre de critères<br />

le plus grand. Pour satisfaire <strong>les</strong> demandes des entreprises, la concurrence<br />

amènerait certains à introduire dans leurs fichiers des critères<br />

tels le sexe, la race, la religion, mais aussi l'adhésion et le militantisme<br />

syndical, présent ou passé. Le système favoriserait le recrutement<br />

de populations à faible taux de syndicalisation, au détriment<br />

des autres. En contrôlant le monopole de l'embauche, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

s'évitent ce genre de désagrément.<br />

Prenons un autre aspect: l'entrée <strong>sur</strong> le marché du travail. Elle<br />

aussi est sévèrement contrôlée. Si un enfant a des dons d'artiste qu'il


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 113<br />

pourrait exploiter dans un spectacle, ses parents doivent obligatoirement<br />

obtenir une dérogation individuelle du préfet, avec avis d'une<br />

commission regroupant des membres du Conseil départemental de la<br />

protection de l'enfance, ainsi que le directeur départemental du<br />

Travail et de la Main-d'œuvre. Cette commission détermine la part de<br />

la rémunération dont le montant sera laissé aux parents. Le reste est<br />

obligatoirement versé <strong>sur</strong> un compte de la Caisse des dépôts et<br />

consignations pour y constituer un pécule que l'enfant récupérera à sa<br />

majorité. Ces lois <strong>sur</strong> la protection de l'enfance sont un moyen de<br />

restreindre l'entrée <strong>sur</strong> le marché du travail et créer ainsi une rente au<br />

profit de ceux déjà installés dans la vie active.<br />

Une MgtslaNon malthusienne<br />

Selon la même logique, le contrat d'apprentissage est une<br />

technique pour feiner l'em~auche et contrôler le nombre d'entrées<br />

dans une profession ou un métier. C'est ainsi que l'article 117 du Code<br />

du travail spédfie que:<br />

... aucun employeur ne peut engager d'apprentis s'il n'a fait l'objet d'un<br />

agrément par le comité départemental de la formation professionnelle, de<br />

la promotion sociale et de l'emploi... Cet agrément est accordé après avis<br />

du comité d'entreprise.<br />

L'exigence d'un diplôme pour exercer une profession est une autre<br />

technique, à l'exemple du certificat d'aptitude professionnelle demandé<br />

pour <strong>les</strong> coiffeurs ou du doctorat de spécialité exigé des<br />

médecins.<br />

En sus de ces contrô<strong>les</strong> quantitatifs, il existe un autre moyen pour<br />

réduire le nombre de travailleurs candidats à un emploi dans une<br />

entreprise ou dans une branche professionnelle. Il suffit d'élever le<br />

coût d'embauche individuel des nouveaux salariés. C'est le rôle que<br />

jouent par exemple <strong>les</strong> législations « antidiscriminatoires ». C'est aussi<br />

l'effet qu'entraînent certaines distributions sélectives d'avantages en<br />

nature comme <strong>les</strong> congés payés ou le treizième mois de salaire.<br />

Les lois Auroux <strong>sur</strong> le contrôle du travail temporaire et <strong>les</strong> contrats<br />

à durée déterminée avaient pour but évident de freiner la substitua-


114 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

bilité d'un travailleur à l'autre. L'interdiction du cumul d'emploi, la<br />

ftxation d'un nombre d'heures de travail maximal, mais aussi l'exigence<br />

de rémunérer <strong>les</strong> heures supplémentaires à un taux supérieur au<br />

taux de salaire principal, ont pour objectif commun de réduire l'élasticité<br />

de l'offre de travail.<br />

Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, l'intérêt du syndicat est de<br />

réduire autant que possible le taux de rotation des emplois. A chaque<br />

nouvelle génération de travailleurs, il faut en effet reconstituer<br />

l'entente (voir ce que cela coûte au syndicalisme étudiant). Les<br />

législations <strong>sur</strong> le temps partiel mais aussi le travail temporaire y<br />

concourent.<br />

Enftn, la procédure d'extension des conventions collectives<br />

répond de façon évidente au souci de réduire la mobilité des salariés,<br />

et donc la concurrence qu'ils se font au sein d'une même branche<br />

professionnelle.<br />

Cette mainmise des <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> le Droit du travail atteint des<br />

sommets avec <strong>les</strong> privilèges spéciaux attribués aux délégués du<br />

personnel ainsi qu'aux délégués syndicaux. Le Code du travail prévoit<br />

que l'élu a le droit d'exercer son activité pendant son temps de travail<br />

(activité donc ftnancée en partie par l'employeur). Ceci représente<br />

une matinée par semaine qui est «de plein droit considérée comme<br />

du temps de travail» (art. 1. 424-1). Le chef du personnel est tenu de<br />

mettre à disposition des délégués du personnel un local. Les cotisations<br />

des <strong>syndicats</strong> peuvent être désormais prélevées <strong>sur</strong> le lieu du<br />

travail. Les délégués peuvent circuler librement dans l'entreprise lorsqu'ils<br />

sont dans l'exercice de leur mission syndicale. Le temps passé<br />

aux réunions diverses avec le comité d'entreprise, le chef du personnel,<br />

etc., est lui aussi décompté comme du temps de travail. Comme<br />

<strong>les</strong> parlementaires, ils ont leur droit à leur immunité : ils ne peuvent<br />

être licenciés sans l'autorisation de l'inspecteur du travail, ni l'avis du<br />

comité d'entreprise (c'est-à-dire de leurs pairs). Comme par hasard,<br />

le mode d'élection est le scrutin de liste à deux tours avec représentation<br />

proportionnelle à la plus forte moyenne dont on sait d'expérience<br />

qu'il est celui qui protège le mieux <strong>les</strong> candidats des organisations<br />

institutionnalisées contre <strong>les</strong> retournements d'humeur des<br />

électeurs de base. Enftn, n'oublions pas que seu<strong>les</strong> <strong>les</strong> organisations


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL<br />

11S<br />

syndica<strong>les</strong> qualifiées de «représentatives» au plan national ont le<br />

droit de présenter des listes.<br />

Il n'existe en vérité pas un article du Code du travail qui ne puisse<br />

être interprété à travers cette grille d'analyse (exception faite d'un<br />

article qui interdit à un employé de s'établir à son compte à proximité<br />

de son dernier employeur et de lui faire concurrence).<br />

Pour s'en convaincre, nous nous attarderons <strong>sur</strong> un problème<br />

particulier: <strong>les</strong> indemnités de licenciement en cas de rupture de<br />

contrat.<br />

Les IndemnItés de Itcenclement et le théorème de Coase<br />

Imaginons l'exemple suivant. Un patron, pour une raison ou une<br />

autre, paie ses ouvriers au-dessus de ce qu'ils lui rapportent réellement.<br />

Pour rétablir ses comptes, il désire licencier une part importante<br />

de son personnel.<br />

Les salariés licenciés se trouvent confrontés à deux possibilités :<br />

soit un chômage transitoire d'une durée d'un an avec la reprise d'un<br />

emploi équivalent à la fin de la période; soit un chômage transitoire<br />

également d'un an mais avec au bout du compte l'obligation de se<br />

contenter d'un emploi financièrement moins intéressant. On imagine<br />

que la probabilité de réalisation de ces deux hypothèses est, pour<br />

chaque individu, identique.<br />

Par ailleurs, on pose (pour le besoin de nos calculs) que le licencié<br />

a encore 20 années d'activité professionnelle avant d'arriver à la<br />

retraite. Que le personnel compte en moyenne 20 ans d'ancienneté<br />

dans l'entreprise, et que le salaire moyen y est de 10000 F par mois.<br />

L'employé utilise son inactivité à prospecter pour retrouver un<br />

nouvel emploi. On suppose qu'il retrouve un travail au bout d'un an et<br />

qu'il a une chance <strong>sur</strong> deux de récupérer un emploi identique au<br />

précédent. Si l'emploi qu'il a ainsi retrouvé est identique à celui qu'il<br />

vient de perdre, son nouveau salaire est égal à l'ancien. Si, en<br />

revanche, il doit se contenter (on pose par hypothèse que c'est pour le<br />

reste de sa vie active) d'un emploi différent, on imagine que le salaire<br />

qui lui est alors versé est plus faible, seulement de 8 000 F.<br />

Dans le premier cas, la perte attendue est transitoire et se chiffre à<br />

un total de 120000 F. Dans le second cas, la perte transitoire est la


116 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

même (120000 F), mais s'y ajoute une perte permanente de 24000 F<br />

par an (2000 F par mois). Actualisée par rapport à ce qui lui reste de<br />

vie active, cette perte permanente représente une somme totale de<br />

1 098 240 F correspondant au capital qu'aurait produit un placement<br />

de 24 000 F par an à un taux d'intérêt moyen et normal de 8 %, si<br />

l'ouvrier n'avait pas été licencié et avait économisé lui-même cette<br />

somme. Si cet employé n'a pas d'aversion ni de préférence<br />

particulière pour le risque (hypothèse de neutralité vis-à-vis du<br />

risque), la valeur de la perte attendue - avec une chance <strong>sur</strong> deux de<br />

retrouver un emploi identique - se monte au total à 669 120 F<br />

[120 000/2 + (1 098 240 + 120 000)/2).<br />

Dans le cas où la loi enlève à l'entreprise la possibilité de rompre<br />

le contrat de travail de son fait (par exemple parce qu'elle éprouve<br />

certaines difficultés commercia<strong>les</strong>), l'employeur contraint de garder<br />

des effectifs qu'il doit continuer à payer au même salaire, alors qu'il<br />

aurait pu en faire l'économie. L'existence de la loi lui coûte 120000 F<br />

par employé et par an. Actualisée au coût du marché, la perte totale<br />

qui lui est ainsi occasionnée par la législation est considérable, car si<br />

cene somme avait été économisée chaque année et placée à un taux<br />

d'intérêt normal de 8 %, elle lui aurait rapporté au bout de 20 ans un<br />

capital total de 5 491 200 F. En revanche, dans cette hypothèse, le<br />

salarié ne supporte aucun coût.<br />

A partir de là, plusieurs commentaires s'imposent.<br />

Le principe de l'échange volontaire des droits<br />

Le premier correspond au célèbre théorème de l'économiste<br />

américain Ronald Coase [42]. Autoriser la rupture unilatérale du<br />

contrat de travail par l'employeur crée un dommage à l'employé. En<br />

revanche, l'interdire lui crée, personnellement, un dommage encore<br />

plus grand. C'est ce qu'on appelle le principe de la réciprocité du<br />

dommage.<br />

Le dommage fait à l'employeur en lui interdisant de rompre unilatéralement<br />

le contrat de travail correspond au salaire payé à un<br />

employé dont <strong>les</strong> aptitudes ne seront plus utilisées. Le dommage fait à<br />

l'employé en l'autorisant est égal à l'ensemble des revenus perdus si<br />

l'emploi retrouvé ne rapporte pas un revenu au moins égal à celui qui a


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 117<br />

été perdu du fait du licenciement. Comme la perte supportée par<br />

l'employeur excède celle de l'employé, le patron a intérêt à lui<br />

racheter le droit de le mettre à la porte. Pour cela, il lui suffit d'offrir<br />

une indemnité supérieure à 669 120 F. C'est le principe de l'échange<br />

volontaire des droits.<br />

Ce principe entraîne une conséquence particulière : il fait que <strong>les</strong><br />

employés seront en définitive indifférents au choix de ceux qui seront<br />

licenciés et qui partiront au chômage. L'employeur pourra librement<br />

choisir de faire partir en priorité <strong>les</strong> moins productifs, sans provoquer<br />

de protestation puisqu'ils ne perdront rien au change (cependant que<br />

lui y gagnera). La possibilité de négocier librement un échange<br />

volontaire des droits rend indifférente la solution d'attribution des<br />

droits qui sera sélectionnée par l'employeur.<br />

On croit généralement que la suppression ou le maintien de<br />

l'interdiction de licenciement affecte le nombre de chômeurs. En fait,<br />

ce qui se passe est assez différent<br />

Lorsque la rupture unilatérale du contrat de travail par l'employeur<br />

est interdite, on peut séparer <strong>les</strong> employés en deux catégories: ceux<br />

qui causent à la firme un préjudice supérieur à 669 123 F et <strong>les</strong> autres.<br />

En effet, parmi <strong>les</strong> ouvriers susceptib<strong>les</strong> d'être licenciés, il y en a dont<br />

<strong>les</strong> talents peuvent être réutilisés à des tâches moins productives<br />

qu'auparavant. S'ils sont gardés par l'employeur parce qu'il y et<br />

contraint, le dommage qu'ils lui créent est inférieur à celui causé par<br />

<strong>les</strong> autres. Dans de tel<strong>les</strong> circonstances, la possibilité d'échanger <strong>les</strong><br />

droits permettrait à l'entrepreneur d'acheter la démission des moins<br />

productifs par une indemnité supérieure à 669 120 F; et, donc, de leur<br />

offrir l'opportunité de se retrouver finalement avec un revenu<br />

supérieur à celui qu'ils se trouveraient contraints d'abandonner du fait<br />

de leur licenciement.<br />

A l'inverse, si la législation autorise <strong>les</strong> employeurs à procéder à<br />

des licenciements sans indemnité, ce sont <strong>les</strong> employés qui supportent<br />

le dommage créé. Mais ceux qui sont susceptib<strong>les</strong> d'être<br />

employés avec profit dans d'autres postes de l'entreprise, au point que<br />

leur départ causerait à la firme un manque à gagner qui pourrait au pire<br />

être égal à 669 120 F, ont intérêt à racheter à leur employeur le droit de<br />

rester dans l'entreprise en lui proposant d'accepter une diminution de<br />

leur salaire qui, au maximum, pourraît être de 24 000 F par an. Dans


118 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

cette éventualité, tous <strong>les</strong> autres salariés sont licenciés. Mais, comme<br />

dans le cas précédent, ce sont <strong>les</strong> mêmes employés <strong>les</strong> moins productifs<br />

qui se retrouvent au ch6mage.<br />

Il est vrai que, dans le premier cas, c'est l'employeur qui supporte<br />

le fardeau de l'ajustement. Dans l'autre, ce sont <strong>les</strong> employés licenciés.<br />

Cependant, comme pour un impôt, le poids final de l'ajustement<br />

ne retombe pas nécessairement <strong>sur</strong> celui qui a été désigné pour<br />

cela.<br />

L'ajustement se retourne contre ceux que le législateur croit protéger<br />

Si le droit de causer le dommage est attribué aux salariés -<br />

situation où <strong>les</strong> salariés ont la capacité de faire retomber <strong>les</strong> coûts de<br />

l'ajustement économique <strong>sur</strong> l'entreprise en lui imposant de racheter<br />

<strong>les</strong> démissions -, l'employeur fera tout ce qui est en son pouvoir pour<br />

éviter de se retrouver acculé dans une telle position. Il cessera<br />

d'embaucher du personnel nouveau plus tôt qu'il n'aurait autrement le<br />

souci de le faire, afin de limiter le risque d'affronter l'épreuve d'un<br />

licenciement. Son comportement d'ajustement aura pour conséquence<br />

d'allonger <strong>les</strong> fi<strong>les</strong> d'attente du chômage et d'aggraver le taux<br />

naturel de chômage dans l'économie. S'il s'agit d'une firme que la<br />

nature de ses prestations rend particulièrement sensible aux aléas de la<br />

conjoncture, l'entrepreneur réagira en offrant moins d'emplois permanents,<br />

et en faisant davantage appel à des contrats de soustraitance<br />

ou encore des solutions de travail temporaire ou à durée<br />

déterminée.<br />

Conclusion: l'ajustement se retourne contre <strong>les</strong> salariés, bien que<br />

la législation ait la prétention de <strong>les</strong> garantir contre ce genre d'aléa.<br />

Toutefois, <strong>les</strong> bénéficiaires sont aisément identifiab<strong>les</strong>: ce sont <strong>les</strong><br />

salariés en poste dans <strong>les</strong> entreprises. En revanche, <strong>les</strong> victimes le<br />

sont beaucoup moins: c'est la masse anonyme et non organisée des<br />

«chercheurs d'emplois ». On comprend mieux la popularité qu'une<br />

telle me<strong>sur</strong>e rencontre dans la population, et auprès des militants<br />

syndicaux en particulier. tout le monde voit l'avantage. Mais personne<br />

ne voit le revers de la médaille.<br />

A l'inverse, si c'est l'employeur qui se voit attribuer par la<br />

législation le droit de causer le dommage - situation symétrique où


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 119<br />

l'employeur a la capacité de faire retomber <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salariés <strong>les</strong> coûts de<br />

l'ajustement économique - <strong>les</strong> salariés s'organiseront pour l'éviter.<br />

Ils s'as<strong>sur</strong>eront contre le chômage, en cotisant à une compagnie<br />

d'as<strong>sur</strong>ance ou une mutuelle. Pour limiter <strong>les</strong> risques de ne pas retrouver<br />

un emploi équivalent, ils cesseront d'investir dans le «capital<br />

spécifique» de l'entreprise. L'effet sera une mobilité accrue des<br />

employés et donc, statistiquement, un taux de chômage naturel plus<br />

élevé, mais avec vraisemblablement une durée moyenne d'attente<br />

plus faible.<br />

Ainsi, dans <strong>les</strong> deux cas, on obtient un taux de chômage plus élevé<br />

et indépendant de la distribution des droits. En revanche, dans le<br />

premier exemple, la durée moyenne du chômage aura tendance à être<br />

plus longue que dans le second.<br />

En tout état de cause, le taux de chômage serait plus faible si <strong>les</strong><br />

employés et leurs employeurs avaient dès le départ la latitude de<br />

négocier leur contrat de travail en toute liberté. En effet, le risque de<br />

rupture serait pris en compte dès l'embauche, par des clauses spécia<strong>les</strong><br />

correspondant à ce que chacun anticipe. Dès lors, chaque partenaire<br />

serait incité à investir dans l'autre un montant «optimal»<br />

correspondant au risque anticipé, et rien ne pousserait plus <strong>les</strong><br />

employés à une mobilité, ou au contraire à une résistance à la mobilité<br />

excessives.<br />

Une législation qui n'est pas Innocente<br />

Dans une société où la liberté des contrats ne serait plus un vain<br />

mot, employeurs et employés s'arrangeraient pour minimiser leurs<br />

risques. Des solutions contractuel<strong>les</strong> permettant de satisfaire au mieux<br />

<strong>les</strong> uns et <strong>les</strong> autres seraient trouvées. Chacun y gagnerait un revenu<br />

final réel plus élevé, et le taux de chômage serait vraisemblablement<br />

inférieur.<br />

Avec la législation actuelle, ces échanges de droits ne sont pas<br />

possib<strong>les</strong>. Les artic<strong>les</strong> 321-7 et 321-9 du Ccx:le du travail interdisent aux<br />

employeurs de racheter à leurs employés le droit de <strong>les</strong> licencier et de<br />

transformer ainsi un licenciement en démission. De la même<br />

manière, <strong>les</strong> conventions collectives ferment à tout salarié la


120 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

possibilité de racheter son licenciement en acceptant de rester pour<br />

un salaire moindre.<br />

Ces dispositions restrictives sont dans la logique de l'intérêt<br />

syndical. Si ces échanges étaient possib<strong>les</strong>, ils représenteraient autant<br />

de brèches dans le dispositif de contrôle monopolistique de la maind'œuvre<br />

par le syndicat. Ils auraient pour effet de le priver de toute<br />

efficacité. L'intérêt des organisations syndica<strong>les</strong> est d'en prohiber<br />

l'exercice. Le Code du travail, une fois de plus, répond à cette attente.<br />

Dans un système qui autoriserait l'échange libre des droits, il<br />

importerait peu que <strong>les</strong> patrons aient le droit ou non de licencier. Le<br />

problème fondamental n'est pas celui du droit de licencier, mais de la<br />

liberté contractuelle.<br />

La législation en vigueur autorise plus ou moins le licenciement<br />

unilatéral. Elle donne donc aux employeurs le droit de causer un<br />

dommage à leurs employés. Mais plutôt que de <strong>les</strong> autoriser à<br />

« racheter» leur licenciement, elle interdit expressément cette pratique,<br />

qu'elle croit compenser par l'obligation légale faite à l'entreprise<br />

de leur payer des «indemnités de licenciement». Cel<strong>les</strong>-ci sont<br />

généralement considérées comme l'une des conquêtes socia<strong>les</strong> <strong>les</strong><br />

plus importantes de notre époque.<br />

Question: Est-ce que la protection offerte au salarié par le versement<br />

de ces indemnités léga<strong>les</strong> est au moins aussi avantageuse que<br />

ce que serait leur situation dans un régime de liberté contractuelle<br />

Le montant des indemnités de licenciement est obligatoirement<br />

fIxé par <strong>les</strong> conventions collectives. Un arrêt de la Chambre sociale de<br />

la Cour de cassation stipule que<br />

... <strong>les</strong> juges ne peuvent reconnaître à un salarié le droit à une indemnité<br />

de licenciement contestée par l'employeur sans se référer à une<br />

convention, à un texte législatif ou réglementaire, ou à un usage précisé.<br />

Selon l'usage établi, le montant de l'indemnité est calculé<br />

proportionnellement à l'ancienneté dans la fIrme. Le salaire servant<br />

de base au calcul est généralement le salaire mensuel moyen des trois<br />

derniers mois, multiplié par le nombre d'années d'ancienneté dans<br />

l'entreprise.


DROIT DU TRAVAIL OU DROIT AU TRAVAIL 121<br />

Dans notre exemple hypothétique, l'ancienneté étant de 20 ans, et<br />

le salaire de 10 000 F, le montant de l'indemnité serait de 200 000 F j<br />

c'est-à-dire une somme qui est très loin de correspondre au préjudice<br />

réel estimé à 669 120 F. Le revenu des employés serait beaucoup mieux<br />

protégé dans un régime où ils auraient le droit d'acheter leur<br />

démission ou de racheter leur licenciement. Alors pourquoi cette<br />

législation A quoi sert-elle vraiment<br />

On pourrait penser qu'il s'agit d'une sorte de mécanisme<br />

d'as<strong>sur</strong>ance, l'employeur retenant <strong>sur</strong> <strong>les</strong> salaires l'équivalent d'une<br />

prime reversée à l'employé au moment de son licenciement. Mais, si<br />

c'était le cas, l'indemnité devrait être calculée en fonction du<br />

préjudice subi. Or il n'en est rien.<br />

La ltberM contractuelle serait une metlleure protection que<br />

l'Indemnité de ltcenclement<br />

Imaginons une situation où l'employeur a le droit de licencier<br />

moyennant le paiement obligatoire d'une indemnité de 200 000 F, et<br />

où on demanderait au salarié licencié de choisir entre deux options :<br />

ou il accepte l'indemnité et il part sans autre moyen de recours j ou il<br />

accepte de rester mais à un salaire moindre, et il perd bien évidemment<br />

le bénéfice de toute indemnité. Le préjudice d'un licenciement<br />

étant estimé à 669 120 F, <strong>les</strong> termes de son calcul individuel sont alors<br />

<strong>les</strong> suivants. S'il part, il touchera 200 000 F, mais il subira néanmoins<br />

un préjudice de 469 120 F. S'il reste, son préjudice sera de 24 000 F<br />

capitalisé <strong>sur</strong> 20 ans, soit 1 098 240 F. Donc il ne restera pas.<br />

Prenons l'autre cas de figure. L'employeur est privé de son droit<br />

de licencier. Il ne peut se débarrasser de ses éléments <strong>les</strong> moins<br />

productifs qu'en leur achetant leur démission à un prix égal au<br />

préjudice subi, c'est-à-dire 669 120 F. Imaginons maintenant qu'on<br />

lui dise : vous avez le choix entre licencier mais avec le paiement<br />

d'une indemnité de 200 000 F, et continuer à racheter la démission de<br />

vos salariés. Que va-t-il faire Bien évidemment choisir la première<br />

option. Il obtiendra le départ de ceux dont il ne désire plus la<br />

présence au prix de 200 000 F au lieu de 669 120 F. Le fait qu'on<br />

impose aux employeurs un régime de licenciement avec indemnités,<br />

et qu'on interdise l'achat des démissions, signifie que <strong>les</strong> entreprises


122 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

sont davantage incitées à licencier que ce ne serait le cas s'il leur était<br />

interdit de licencier, mais avec possibilité d'achat des démissions.<br />

Dans <strong>les</strong> deux cas, on a une situation qui débouche <strong>sur</strong> davantage<br />

de licenciements que ce ne serait le cas quel que soit le régime légal du<br />

droit de licencier (autorisé ou non), mais avec liberté contractuelle<br />

totale. La conséquence du droit actuel est une augmentation du taux de<br />

chômage naturel dans l'économie - mais pour des raisons et par des<br />

mécanismes différents de ceux qui sont habituellement avancés par <strong>les</strong><br />

organisations patrona<strong>les</strong>.<br />

L'indemnité de licenciement joue ainsi le rôle d'une taxe <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

employés pour <strong>les</strong> dissuader de négocier des baisses de salaires qu'il<br />

serait de leur intérêt d'accepter, et qui, du point de vue de leur revenu,<br />

<strong>les</strong> mettraient dans une situation plus favorable que celle qui résulte en<br />

définitive de la législation. Simultanément, elle joue également le rôle<br />

d'une subvention à l'employeur pour lui permettre de licencier à<br />

moindres frais <strong>les</strong> ouvriers dont il veut se séparer. Dans <strong>les</strong> deux cas,<br />

ce sont <strong>les</strong> salariés qui sont perdants.<br />

Abandonnons donc la vision angélique des <strong>syndicats</strong>. Tout se<br />

passe comme si la préoccupation centrale était beaucoup plus de<br />

décourager <strong>les</strong> velléités que certains salariés pourraient avoir, dans<br />

une conjoncture défavorable, d'accepter une révision de leurs avantages<br />

salariaux, plutôt que la défense de l'emploi et du niveau de vie à<br />

long terme des travailleurs.<br />

Il est des circonstances (de crise par exemple), où beaucoup de<br />

salariés accepteraient de négocier une révision de leurs salaires pour<br />

rester autant que possible dans l'entreprise où ils travaillent. Il en est<br />

d'autres qui accepteraient facilement de démissionner si cela leur<br />

rapportait plus que d'être licenciés ou de rester dans leur emploi<br />

actuel. Mais, dans la logique syndicale, de tel<strong>les</strong> actions individuel<strong>les</strong><br />

sont extrêmement dangereuses. Si el<strong>les</strong> se généralisaient, el<strong>les</strong> rendraient<br />

le contrôle de l'entente impossible. Voilà pourquoi, pour <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong>, en toutes circonstances, tout est meilleur que la liberté.


4<br />

Les crises, le chômage<br />

et <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

Le chômage est un phénomène plus complexe qu'un simple<br />

défidt de créations d'emplois nouveaux, ainsi que le décrit l'approche<br />

macroéconomique traditionnelle. Comme nous allons le voir,<br />

l'approche microéconomique complète cet éclairage. La montée<br />

continue du nombre de chômeurs n'est pas seulement une conséquence<br />

de la crise, le produit de facteurs conjoncturels ou structurels<br />

plus ou moins accidentels (chocs pétroliers, concurrence internationale,<br />

nouvel<strong>les</strong> technologies, etc.), ni l'expression d'une fatalité<br />

technologique. Elle est aussi la résultante de changements démographiques<br />

Oa montée des jeunes), sodologiques (développement du<br />

travail féminin) et institutionnels (rôle du salaire minimal, progrès de<br />

la protection sociale) qui se traduisent par une augmentation du «taux<br />

de chômage naturel».<br />

Tel était le message diffusé par la Nouvelle konomle à la fin des<br />

années 70.<br />

Depuis lors, <strong>les</strong> esprits ont évolué. La faillite du modèle keynésien<br />

est largement reconnue (encore plus depuis <strong>les</strong> échecs socialistes qui<br />

auront eu un excellent pouvoir pédagogique). Dans l'étude du marché<br />

du travail, <strong>les</strong> économistes se tournent désormais vers une méthodologie<br />

résolument microéconomique, même ceux qui disent encore


124 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

travailler dans l'optique de Keynes (théorie des marchés internes et<br />

segmentés). Un personnage aussi influent que le professeur Edmond<br />

Malinvaud admet la présence, à côté d'un chômage de type keynésien<br />

(dû à une insuffisance de la demande globale), d'un chômage dit<br />

«classique », qui serait la conséquence d'un coût trop élevé du<br />

travail [118]. Les facteurs institutionnels commencent à être pris en<br />

compte, même si ce n'est que de façon encore bien timide. Par<br />

exemple, Jacques Lesourne reconnaît la responsabilité dans le développement<br />

du chômage de ce qu'il a baptisé 1'« oligopole social»­<br />

c'est-à-dire des groupes sociaux organisés qui, dans <strong>les</strong> années 60 et<br />

70, ont fait pression <strong>sur</strong> <strong>les</strong> pouvoirs publics pour obtenir l'indexation<br />

généralisée des salaires, la hausse du salaire minimal et l'écrasement<br />

des hiérarchies salaria<strong>les</strong>, la baisse de la durée du travail (à revenu<br />

constant), le renforcement de la réglementation du travail, etc. [112].<br />

Même dans <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, on note une prise de conscience progressive<br />

des méfaits du corporatisme professionnel.<br />

Ces évolutions sont bienvenues. El<strong>les</strong> restent cependant partiel<strong>les</strong><br />

et manquent souvent de recul. Ce n'est pas en additionnant une série<br />

de causes autonomes qu'on obtient une théorie, ni même une<br />

véritable explication de la crise de l'emploi. Nous vivons dans une<br />

société où fait toujours aussi cruellement défaut une véritable théorie<br />

de l'emploi et du chômage. Une théorie qui, tout en englobant <strong>les</strong><br />

différentes explications proposées par <strong>les</strong> uns et par <strong>les</strong> autres, et<br />

tenant compte des particularités de l'environnement institutionnel<br />

contemporain O'émergence d'une «société salariale» dominée par<br />

des procédures collectives de négociation), permettrait de rendre<br />

compte non seulement des crises d'aujourd'hui, mais également de<br />

cel<strong>les</strong> d'hier.<br />

Ce chapitre propose d'établir un pont entre la théorie des<br />

<strong>syndicats</strong> et la théorie du chômage et des crises économiques.<br />

Appuyée <strong>sur</strong> la loi de Say (injustement reléguée aux oubliettes par <strong>les</strong><br />

macroéconomistes contemporains), ainsi que <strong>sur</strong> <strong>les</strong> apports de<br />

l'analyse monétaire moderne (théorie des monnaies «concurrentiel<strong>les</strong><br />

»), l'idée centrale est que la véritable origine des crises et des<br />

dépressions qui frappent le marché du travail ne doit pas être<br />

recherchée dans des troub<strong>les</strong> autonomes de la «demande globale»<br />

(concept keynésien dérivé d'erreurs logiques), mais dans <strong>les</strong> rigidités


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 125<br />

de tous ordres que produit, dans nos démocraties contemporaines,<br />

l'activité des groupes de pression organisés.<br />

Il n'est pas question de se plaindre pour la énième fois de ce que<br />

<strong>les</strong> charges salaria<strong>les</strong> des entreprises françaises, ou le « niveau général<br />

des salaires» (une expression qui en réalité ne veut rien dire), seraient<br />

trop élevés - la plainte traditionnelle du patronat. L'argument est<br />

tout différent: ce qui est en cause est la capacité acquise par un<br />

nombre croissant de groupes privés d'imposer, de manière durable,<br />

des prix et des rémunérations déconnectés de ce qui résulterait du jeu<br />

d'un marché libre fonctionnant dans le cadre d'un État de droit<br />

respectant <strong>les</strong> droits de propriété et la liberté des contrats; et, partant<br />

de là, l'ensemble des pratiques collectives, juridiques, législatives ou<br />

monétaires responsab<strong>les</strong> de cette situation.<br />

Parce que leur nature même de «bien collectif particulier»<br />

favorise le développement de pratiques, d'attitudes, de règlements et<br />

de législations contraires aux exigences de flexibilité des prix et de la<br />

stabilité monétaire, <strong>les</strong> organisations syndica<strong>les</strong> sont<br />

paradoxalement des institutions qui fabriquent du chômage, du sousemploi,<br />

de l'appauvrissement, et donc du ressentiment. El<strong>les</strong> ne sont<br />

pas seu<strong>les</strong> en cause. Tous <strong>les</strong> groupes organisés qui, par des moyens<br />

incompatib<strong>les</strong> avec le respect des principes fondamentaux d'un État<br />

de droit civilisé, interfèrent avec la liberté de décision des<br />

entrepreneurs, ou font pression <strong>sur</strong> le législateur pour se faire<br />

attribuer des privilèges, portent peu ou prou une part de<br />

responsabilité. Il n'est pas de notre propos de faire porter aux seuls<br />

<strong>syndicats</strong> la responsabilité de la crise de l'emploi. Celle-ci est avant<br />

tout le produit d'attitudes et de comportements profondément ancrés<br />

dans <strong>les</strong> mentalités de la population et de ses dirigeants. Mais il<br />

n'empêche que l'activité des <strong>syndicats</strong> joue un rôle particulièrement<br />

crucial dans le déroulement de ce processus.<br />

LE PRINCIPE DE LA LOI DE SAY<br />

La plupart d'entre nous avons oublié qu'il fut une époque où le<br />

rôle des <strong>syndicats</strong> était placé par <strong>les</strong> économistes au centre des<br />

interrogations <strong>sur</strong> l'origine du chômage et des dépressions


126 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

économiques. Cela se passait dans <strong>les</strong> années 1920 et 1930, juste avant<br />

que la publication de la Théorie générale de Keynes ne vienne (à tort)<br />

jeter le discrédit <strong>sur</strong> tout ce qui s'était fait avant et qui n'allait pas dans<br />

le sens du keynésianisme.<br />

Depuis quelques années, on redécouvre <strong>les</strong> apports de cette<br />

époque grâce aux traductions de Mises et d'Hayek j mais aussi à la<br />

réimpression des travaux de William Hutt - certainement de tous <strong>les</strong><br />

économistes de sa génération celui qui a consacré le plus de temps et<br />

d'ardeur à réfuter Keynes et à mettre en cause la responsabilité du<br />

mouvement syndical j non pas par antisyndicalisme primaire, mais<br />

par soud scientifique de rétablir une vérité que beaucoup reconnaissent<br />

implicitement, mais que, pour des raisons politiques faci<strong>les</strong> à<br />

discerner, personne, aujourd'hui comme hier, n'ose regarder en<br />

face [90, 91).<br />

Pour <strong>les</strong> Keynésiens, lorsqu'il y a un chômage important, tout est<br />

clair. Ce ne peut venir que d'une défaillance de ce que Keynes a<br />

appelé « la demande globale ». La présence du chômage, nous diton,<br />

est la preuve que <strong>les</strong> ménages et <strong>les</strong> entreprises ne dépensent pas<br />

assez. Et s'il en est ainsi, c'est parce que <strong>les</strong> consommateurs<br />

épargnent trop, et que <strong>les</strong> entrepreneurs n'investissent pas assez à<br />

cause Ooi fondamentale) des taux d'intérêt trop élevés (phénomène<br />

de la « trappe monétaire»).<br />

La solution consiste donc à compenser par la dépense publique<br />

<strong>les</strong> insuffISances de la dépense privée spontanée. On s'engage dans<br />

une politique de déficit budgétaire et, par voie de conséquence, de<br />

monnaie facile.<br />

A cela, <strong>les</strong> « Autrichiens» répliquent qu'on ne peut valablement<br />

raisonner à partir d'un concept aussi artificiel que celui de la<br />

demande globale. La demande globale, expliquent-ils, ça n'existe<br />

pas. C'est un faux concept.<br />

Il n'y a probablement pas de loi économique plus ancienne, et<br />

plus fondamentale, mais aussi plus méconnue que la loi de Say. Ses<br />

premières formulations datent des physiocrates, notamment Mercier<br />

de la Rivière. On la retrouve chez Turgot. Mais c'est Jean-Baptiste Say<br />

qui, en 1803, dans son célèbre Tralt~ d'Économie politique, lui<br />

donne sa forme définitive (sans toutefois avoir clairement conscience<br />

de toutes ses implications) (168). Au XIxe siècle, elle occupe également


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 127<br />

une place importante dans l'œuvre de Mill. Elle a fait au cours des<br />

dernières années un retour en force dans la littérature économique<br />

anglo-saxonne sous la plume des supply stders et autres partisans de<br />

l'économie de l'offre.<br />

Cette loi est souvent résumée par la courte phrase: «L'offre crée<br />

sa propre demande.» Ce qui est interprété comme signifiant que<br />

dans une économie capitaliste il ne saurait y avoir de situations<br />

durab<strong>les</strong> d'excédent d'offre, tout processus de fabrication d'un bien<br />

destiné à être vendu engendrant nécessairement la création d'un<br />

revenu grâce auquel ce bien peut être vendu.<br />

Les Keynésiens en ont conclu que <strong>les</strong> économistes «classiques»,<br />

leurs adversaires, niaient que puissent apparaître des situations<br />

durab<strong>les</strong> de crise économique et de chômage massif et permanent j<br />

message que perpétuent <strong>les</strong> enseignements universitaires dominants.<br />

En réalité, le contenu de la loi de Say est à la fois plus subtil et plus<br />

complexe que cette interprétation. S'il y avait peut-être des gens qui,<br />

dans <strong>les</strong> années 30, pensaient comme le décrivent <strong>les</strong> manuels<br />

keynésiens, ce n'était pas le cas de tous <strong>les</strong> économistes «prékeynésiens<br />

». Correctement reformulée, la loi de Say n'exclut pas la<br />

possibilité de situations de sous-emploi.<br />

Ce que la lot de Say dtt et ne dtt pas<br />

La loi de Say est un raisonnement axiomatique qui établit quatre<br />

propositions.<br />

1. n n JI a que la productton de quelque chose qut donne le<br />

pouvoir de consommer<br />

Jean-Baptiste Say part du constat « qu'on ne peut se procurer ce<br />

que l'on achète qu'avec ce que l'on a produit ». n s'agit d'une simple<br />

observation de bon sens qui n'a pas à être démontrée (un axiome) :<br />

on ne peut se procurer des biens et des services que l'on désire qu'en<br />

échange d'autres biens et services que l'on a soi-même produits, ou<br />

en échange de l'argent que l'on a précédemment acquis en<br />

échangeant des biens et des services que l'on avait soi-même<br />

produits. Autrement dit, l'origine de ce que l'on appelle la demande<br />

ne se trouve pas dans l'acte de destruction de valeur que représente la


128 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

consommation, mais dans l'acte de production qui crée la valeur<br />

ainsi disponible pour être consommée. On ne peut consommer que<br />

si quelqu'un a produit.<br />

D'où l'expression: «c'est l'offre qui constitue la demande », non<br />

pas au sens (ab<strong>sur</strong>de) que tout produit offert <strong>sur</strong> le marché distribuerait<br />

nécessairement <strong>les</strong> moyens d'une demande correspondante,<br />

comme cela est parfois abusivement interprété; mais au sens qu'il ne<br />

peut y avoir d'acte économique créateur de valeur qui ne crée de<br />

manière concomitante un pouvoir d'achat donnant au producteur <strong>les</strong><br />

moyens d'acquérir une valeur équivalente parmi l'ensemble des biens<br />

produits par d'autres et n'entrant pas en concurrence avec ce que luimême<br />

fabrique.<br />

Conclus ton : on ne peut pas dissocier la «demande» qui<br />

s'adresse aux produits d'un secteur de 1'« offre» d'autres produits qui<br />

en est l'origine et la contrepartie. Pour comprendre ce qui se passe au<br />

niveau de la demande, il faut commencer par analyser <strong>les</strong> facteurs qui<br />

agissent <strong>sur</strong> l'évolution de l'offre des autres produits non concurrents.<br />

C'est en ce sens qu'il s'agit d'une approche qui donne la priorité à<br />

l'économie de l'offre.<br />

2. La notton de « demande globale» est un concept qut n'a<br />

aucun fondement dans le r~el, et qut ne peut que fausser l'analyse<br />

Se procurer un bien ou un service quelconque implique nécessairement<br />

que l'on cède simultanément à d'autres le pouvoir d'acquérir<br />

l'ensemble des autres biens et services que l'on aurait pu consommer<br />

en contrepartie de ce même pouvoir d'achat. Autrement dit, tout<br />

achat marchand n'est jamais que la manifestation d'un acte par lequel<br />

on ~change des drotts <strong>sur</strong> une certaine partie du flux global des biens<br />

et services produits contre l'acquisition d'une autre partie de ce flux.<br />

Cette interdépendance entre toutes <strong>les</strong> demandes, mais aussi le<br />

fait que ce qui est demande pour <strong>les</strong> uns, est offre pour <strong>les</strong> autres, fait<br />

que l'addition des demandes individuel<strong>les</strong> de biens finals et de biens<br />

intermédiaires pour donner une «demande globale» n'a pas de sens.<br />

La notion de demande globale est un faux concept; Un spécialiste<br />

de la comptabilité nationale peut toujours, moyennant certaines<br />

précautions statistiques, additionner l'ensemble des demandes<br />

individuel<strong>les</strong> de biens finals et intermédiaires pour calculer un


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 129<br />

agrégat. Mais cette entité statistique, résultat global de ce calcul<br />

d'agrégation, est dépoUlvue de toute signification économique. Elle<br />

n'est qu'un résultat arithmétique dont la véritable genèse est à rechercher<br />

dans <strong>les</strong> échanges de droits auxquels l'interdépendance de toutes<br />

<strong>les</strong> demandes donne lieu.<br />

Ce qui compte alors, pour l'économiste qui essaie de<br />

comprendre la nature des phénomènes sociaux, ce n'est pas<br />

l'agrégat, mais <strong>les</strong> procédures d'échanges de droits qui en sont la base<br />

et qui n'ont pas de sens indépendamment des conditions et des<br />

motivations individuel<strong>les</strong> qui leur donnent naissance.<br />

Keynes n'ignorait pas l'existence de cette difficulté méthodologique.<br />

Mais il la résolvait en introduisant l'hypothèse que <strong>les</strong><br />

variations de la demande globale se répartissaient proportionnellement<br />

entre tous <strong>les</strong> biens produits. Dans ce cas, il n'y avait<br />

effectivement plus de problème.<br />

Similairement, <strong>les</strong> notions de «produit national» ou de « niveau<br />

général des prix », ou de «niveau général des salaires» n'ont pas plus<br />

de sens. La macroéconomie keynésienne est fondée <strong>sur</strong> une tlluston<br />

stattsttque et conceptuelle. On n'a pas le droit d'expliquer <strong>les</strong> crises et<br />

<strong>les</strong> dépressions économiques en invoquant la défaillance d'une<br />

«demande globale» que personne ne peut ni définir ni évaluer.<br />

3. Parler de batsse de la demande n'a de sens que par rapport<br />

aux produtts de secteurs « en parttculterll<br />

On peut additionner <strong>les</strong> baisses de la demande enregistrées dans<br />

divers secteurs, et même dans tous <strong>les</strong> secteurs, pour dire qu'il y a un<br />

déficit de la demande en gbl~al - c'est-à-dire une <strong>sur</strong>estimation<br />

générale de la demande par <strong>les</strong> agents économiques à un moment<br />

donné. Mais cela n'a pas de sens de présenter l'ensemble de ces<br />

récessions particulières comme la conséquence d'une crise «généraie»<br />

de la demande (on ne peut pas expliquer des situations particulières<br />

par un facteur qui, lui-même, ne serait que le produit de<br />

l'addition de ces situations particulières). Toute récession gbl~ale<br />

supposerait une baisse simultanée de toutes <strong>les</strong> demandes qui<br />

s'adressent en parttculter à chaque secteur. Et comme - proposition<br />

1 - la demande, avons-nous vu, n'est que la contrepartie de ce<br />

qui est « offert» ailleurs dans l'économie O'offre de produits non


130 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

concurrents), on est ramené au principe que toute baisse de la<br />

demande qui concerne en particulier certains (ou tous <strong>les</strong>) secteurs ne<br />

peut être que le résultat d'une réduction préalable de l'offre (et donc<br />

des revenus) dans certains (ou dans tous <strong>les</strong>) autres secteurs produisant<br />

des produits, ou livrant des services non concurrents.<br />

Conséquence: ce corollaire de la loi de Say implique que si on<br />

veut identifier <strong>les</strong> origines d'un chômage généralisé il faut s'interroger<br />

<strong>sur</strong> ce qui peut conduire certains producteurs, ou tous <strong>les</strong> producteurs,<br />

à réduire leur offre j et cela indépendamment de toute explication<br />

faisant intervenir un phénomène de défaillance autonome de la<br />

demande.<br />

Traditionnellement, on considère qu'il y a, en la matière, quatre<br />

explications possib<strong>les</strong>:<br />

- l'organisation par <strong>les</strong> fabricants de biens de consommation<br />

finals d'ententes visant à mettre fin au jeu de la libre concurrence et<br />

permettant ainsi aux producteurs de pratiquer des prix plus élevés (et<br />

d'obtenir davantage de profits) j<br />

- la mise en place par <strong>les</strong> propriétaires de certains facteurs de<br />

production, ou des fabricants de biens intermédiaires, de cartels<br />

ayant pour fin d'imposer des prix plus élevés à leurs clients (ce qui,<br />

renchérissant leurs coûts, <strong>les</strong> conduirait à réduire leur offre pour<br />

maintenir des rendements financiers compétitifs) j<br />

- le succès de certains salariés organisés en <strong>syndicats</strong> à obtenir de<br />

leurs employeurs des taux de salaires plus élevés que ceux que<br />

commanderait leur productivité (d'où des coûts plus lourds et une<br />

réduction de l'offre, toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs) j<br />

- enfin, la soumission autoritaire des entreprises à des contraintes<br />

léga<strong>les</strong> et réglementaires dont l'effet est d'alourdir leurs coûts<br />

unitaires (avec des conséquences identiques à cel<strong>les</strong> qui précèdent).<br />

Mais lorsqu'on reste dans le cadre de marchés Itbres où n'existe<br />

aucune entrave légale à l'entrée de nouveaux producteurs susceptib<strong>les</strong><br />

de faire concurrence à ceux qui sont déjà installés, il est erroné de<br />

raisonner comme si tout acte de coopération volontaire entre firmes<br />

privées devait nécessairement entraîner une restriction durable de<br />

l'offre. Ceci n'est possible que si l'entente ou le cartel bénéficie du<br />

secours de l'État pour limiter l'entrée de nouveaux concurrents (par<br />

exemple par la mise en place de «barrières» dont l'origine se trouve


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 131<br />

dans des -réglementations professionnel<strong>les</strong> ayant soi-disant pour<br />

objectif de « moraliser» le marché!).<br />

Conséquence: des quatre cas de figure ci-dessus, en réalité seuls<br />

<strong>les</strong> deux derniers, l'action d'organisations syndica<strong>les</strong> s'appuyant <strong>sur</strong><br />

des «privilèges» d'état et l'intervention autoritaire de la puissance<br />

publique dans la liberté de gestion des entreprises (généralement<br />

pour couvrir <strong>les</strong> intérêts particuliers de certaines d'entre el<strong>les</strong><br />

organisées en groupe de pression efficaces), peuvent être invoqués<br />

pour expliquer l'origine d'une défaillance durable de l'offre de<br />

certains secteurs - et donc de la demande s'adressant aux autres.<br />

4.« L'équtltbre est la condition naturelle de l'économie», mats d<br />

la condition que <strong>les</strong> prix soient vraiment des prix libres<br />

La loi de Say est généralement interprétée comme définissant<br />

l'impossibilité pour une économie capitaliste de s'écarter durablement<br />

du plein emploi des ressources. Il s'agit d'une interprétation<br />

qui, bien que fort répandue, est abusive. Elle oublie <strong>les</strong> conditions qui<br />

doivent nécessairement être réunies pour que «la loi des débouchés»<br />

s'applique.<br />

Imaginons une économie où <strong>les</strong> préférences individuel<strong>les</strong> seraient<br />

stab<strong>les</strong> et données une fois pour toutes, ainsi que <strong>les</strong> procédés et<br />

techniques de fabrication. On prend cette économie lorsqu'elle est<br />

arrivée ~ son état d'équilibre, lorsque <strong>les</strong> marchés ayant joué leur rôle<br />

d'information, d'orientation et de coordination, chaque facteur,<br />

chaque produit, chaque service a trouvé son «prix de marché»: le<br />

prix qui fait: 1) que tout ce qui a été produit trouve preneur, cependant<br />

qu'~ ce prix, <strong>les</strong> entrepreneurs ne sont pas tentés d'«offrir» (ou<br />

de produire et de mettre en marché) plus que ce qui est susceptible<br />

d'être complètement écoulé j 2) que tous <strong>les</strong> facteurs de production<br />

prêts ~ s'employer pour un certain prix sont effectivement employés,<br />

de telle sorte qu'il ne reste aucune ressource sans emploi<br />

Arrêtons-nous un instant <strong>sur</strong> l'industrie qui fabrique <strong>les</strong> produits<br />

X. Ceux-ci sont écoulés ~ un «prix de marché» déterminé, d'une<br />

part, par l'échelle de valeurs des préférences personnel<strong>les</strong> des<br />

consommateurs finals j d'autre part, par la nature et la structure des<br />

coûts de production de l'entreprise, coûts eux-mêmes déterminés par<br />

l'état de la technologie et <strong>les</strong> prix auxquels on se procure <strong>les</strong> facteurs


132 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

nécessaires. L'« offre» du producteur résulte de l'interdépendance de<br />

ces éléments qui, dans l'hypothèse ici envisagée, sont des données<br />

parfaitement connues. La rotation infinie d'une économie toujours<br />

identique à elle-même excluant toute incertitude, le producteur, quel<br />

qu'il soit, ne peut pas produire plus que le marché n'est preneur «aux<br />

prix du marché».<br />

L'entrepreneur a besoin d'ouvriers, de matières premières, de<br />

produits semi-finis achetés à d'autres usines. Il lui faut aussi des<br />

machines, du capitaL .. Chaque facteur est rémunéré à son prix de<br />

marché. Partant de là, une égalité s'impose: la valeur marchande de<br />

la production Oa valeur ajoutée, la valeur créée) est égale au produit<br />

du nombre d'artic<strong>les</strong> fabriqués et vendus par le prix qui permet à toute<br />

l'offre de s'écouler; mais elle est aussi égale à l'ensemble des rémunérations<br />

versées aux différents facteurs (travail + épargne) en contrepartie<br />

de leur apport, plus le total des achats intermédiaires Cà leur<br />

prix de marché).<br />

Les revenus ainsi distribués sont utilisés par <strong>les</strong> propriétaires des<br />

facteurs de production pour se procurer ce dont ils ont besoin. peutêtre<br />

quelques artic<strong>les</strong> X mais aussi une quantité d'autres produits et<br />

services offerts par d'autres entreprises et d'autres industries.<br />

Ce qui est vrai pour X l'est aussi pour <strong>les</strong> autres entreprises.<br />

Chaque industrie, finale ou intermédiaire, distribue des revenus<br />

utilisés par <strong>les</strong> propriétaires des facteurs pour acquérir un ensemble<br />

de biens finals. La demande qui s'adresse à chaque industrie, ou à<br />

chaque entreprise, est ainsi le résultat de l'addition de l'ensemble de<br />

ces demandes particulières nourries par <strong>les</strong> revenus distribués aux<br />

facteurs de production tant aux stades finals qu'intermédiaires des<br />

chaînes de fabrication.<br />

Dans le cas de figure ici étudié - celui d'une économie où <strong>les</strong> prix<br />

de marché sont déjà connus, parfaitement déterminés, et<br />

définitivement stab<strong>les</strong> - il en résulte de ces conditions mêmes que,<br />

par construction, la «demande» totale qui s'adressera en fin de<br />

circuit à chaque fabricant Oa somme de toutes ces demandes<br />

particulières) sera égale au total des sommes distribuées à l'origine, et<br />

donc à 1'« offre» initiale. C'est l'Égaltté de Say, dite encore loi des<br />

débouchés, qui correspond à la formule traditionnelle: « l'offre crée<br />

sa propre demande », en ce sens que, dans ce cas particulier, la


LES CRISES, LE œÔMAGE ET LES SYNDICATS 133<br />

productiori d'un produit entraîne la distribution en cascade de<br />

revenus qui vont nourrir un ensemble de demandes particulières pour<br />

le produit ainsi fabriqué, dont l'addition en valeur sera égale à la<br />

valeur première créée lors de la mise en marché initiale.<br />

Même si l'on ne peut pas généraliser pour dire que «la demande<br />

globale finale» est par définition égale à 1'« offre globale initiale» (ce<br />

qui, ainsi que nous l'avons vu, n'aurait conceptuellement aucun sens<br />

car il est faux de parler de demande et d'offre globa<strong>les</strong>), cette égalité<br />

s'applique à tous <strong>les</strong> produits du marché. On est dans ce que Mises<br />

appelle une «économie à rotation uniforme» i une économie où <strong>les</strong><br />

marchés en parttculler sont «en équilibre », et où l'on peut effectivement<br />

dire qu'il y a toujours un pouvoir d'achat suffISant pour as<strong>sur</strong>er<br />

un débouché de consommation à l'ensemble des flux particuliers de<br />

produits et services offerts par <strong>les</strong> entrepreneurs. L'idéal est réalisé:<br />

celui d'une économie où toutes <strong>les</strong> activités se trouvent parfaitement<br />

coordonnées.<br />

Mais il faut bien garder à l'esprit <strong>les</strong> conditions extrêmement<br />

restrictives dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> ce résultat purement axiomatique (qui se<br />

déduit entièrement des prémisses posées au départ) a été atteint.<br />

L'égalité de la loi des débouchés n'a été démontrée que parce que<br />

nous avons posé comme principe au départ que chaque facteur,<br />

chaque produit, chaque service avait atteint son prix de marché, et<br />

que celui-ci était donc connu a priori.<br />

Comment disparaissent la demande et l'emploi<br />

Regardons alors ce qui se passe lorsque, pour une raison ou pour<br />

une autre, la liberté des prix n'est plus respectée.<br />

Imaginons qu'à la suite d'une longue grève, et grice aux pressions<br />

exercées :l l'égard de certains personnels (piquets de grève, occupation<br />

des locaux ... ), <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> d'une industrie Y réussissent à<br />

imposer :l leurs employeurs d'augmenter <strong>les</strong> salaires de 20 % audessus<br />

du taux du marché qui prévalait jusque-là dans la profession.<br />

Que va-t-i1 se passer<br />

La réponse figure dans tous <strong>les</strong> manuels élémentaires. Le coût<br />

unitaire du facteur travail ayant augmenté, <strong>les</strong> entreprises concernées<br />

vont réduire leur demande. El<strong>les</strong> diminuent la quantité globale


134 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

d'heures de travail dont el<strong>les</strong> sont demandeuses (cependant qu'en<br />

revanche <strong>les</strong> salaires plus élevés vont attirer davantage de candidats à<br />

l'emploi aux portes de l'usine). Mais qui dit moins de travail pour <strong>les</strong><br />

hommes, dit aussi moins de travail pour <strong>les</strong> machines. La hausse de<br />

leurs coûts unitaires conduit <strong>les</strong> entreprises à réajuster leurs<br />

programmes de production. Toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs,<br />

l'industrie Y réduit son offre. Elle produit moins en ce sens que, pour<br />

une courbe de demande donnée, <strong>les</strong> entreprises répondent en se<br />

ftxant des objectifs de fabrication tels qu'el<strong>les</strong> créeront désormais au<br />

total moins de valeur nouvelle, et que moins de consommateurs<br />

seront satisfaits que ce n'était le cas avant que leurs structures de coûts<br />

soient modiftées.<br />

A son tour, cette réduction de l'offre des entreprises du secteur Y<br />

signifie que, toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs (pour une même<br />

demande), el<strong>les</strong> distribueront globalement moins de revenus pour<br />

rémunérer <strong>les</strong> propriétaires des facteurs de production et passeront<br />

moins de commandes d'achat aux entreprises des secteurs situés en<br />

amont.<br />

Cette diminution du flux total d'« intrans» (travail, capitaux<br />

financiers, biens de production et biens intermédiaires) implique que<br />

<strong>les</strong> propriétaires de facteurs réduisent leurs achats d'autres biens et<br />

services; puisque <strong>les</strong> industriels situés en amont réduisent également<br />

leurs programmes de production, diminuent leur offre de travail,<br />

effectuent moins d'achats, etc. On a un effet de multiplicateur qui se<br />

diffuse dans toute la matrice interindustrielle. A chaque étape, on<br />

enregistre une diminution des moyens réels d'achat distribués aux<br />

facteurs, jusqu'à ce que peu à peu l'effet induit en amont devienne<br />

négligeable. Lorsqu'on arrive au terme du processus, on se retrouve<br />

dans une situation où tant la demande ftnale pour le produit X que<br />

toutes <strong>les</strong> autres demandes particulières adressées aux autres secteurs<br />

seront plus faib<strong>les</strong>.<br />

Certains répliqueront que de tels enchaînements peuvent être<br />

neutralisés par l'introduction de nouvel<strong>les</strong> machines et de nouveaux<br />

équipements qui permettraient de compenser <strong>les</strong> effets de la hausse<br />

des salaires <strong>sur</strong> <strong>les</strong> coûts. C'est la thèse que défendent souvent <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> pour justifter leur action: pousser, par quelque moyen que<br />

ce soit, à la hausse des rémunérations du travail stimulerait le progrès


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 135<br />

technique, l'investissement et la productivité (effet Ricardo). Mais<br />

pour que cela soit vrai, il faudrait supposer qu'il existe des réserves<br />

inemployées de capitaux, machines, matériels et matériaux<br />

immédiatement disponib<strong>les</strong>. Ce qui est contraire à l'hypothèse de<br />

départ qu'il y a plein emploi et parfaite coordination. Toute<br />

mécanisation supplémentaire ne peut se faire qu'en détournant<br />

certaines ressources des emplois présents vers <strong>les</strong>quels le marché <strong>les</strong><br />

avait orientées, et donc en provoquant une hausse de leurs prix qui<br />

« exporte» en quelque sorte vers d'autres secteurs <strong>les</strong> problèmes de<br />

coûts (et leurs répercussions <strong>sur</strong> la production, puis la demande)<br />

rencontrés dans l'activité Y.<br />

Tant qu'il ne s'agit que d'une industrie parmi un grand nombre<br />

d'autres, l'effet est limité.<br />

Mais imaginons que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> obtiennent inopinément une loi<br />

qui impose brutalement une augmentation de 20 % dans toutes <strong>les</strong><br />

industries (un peu comme cela s'est passé au moment des événements<br />

de mai 1968). Le scénario vécu par l'industrie Y se reproduit dans<br />

toutes <strong>les</strong> autres industries dont le secteur Y est directement ou<br />

indirectement client, ainsi que dans <strong>les</strong> industries dont cel<strong>les</strong>-ci sont<br />

el<strong>les</strong>-mêmes clientes, et ainsi de suite. Dans <strong>les</strong> secteurs intermédiaires,<br />

à l'ajustement imposé par le déplacement de la courbe de<br />

demande s'ajoute un autre facteur de réduction de l'offre dû à la<br />

hausse imposée des coûts salariaux.<br />

Résultat: c'est la boule de neige. Chaque secteur met au chômage<br />

du travail, et éventuellement des machines. La chafne de la loi des<br />

~bouchés est interrompue. Chaque secteur ne retrouve plus en fin de<br />

cycle l'équivalent en demande de la valeur que lui-même a mise à<br />

l'origine dans le circuit. C'est la crise. On entre dans un processus<br />

récessif de nature cumulative qui converge vers une limite (que <strong>les</strong><br />

Keynésiens définiraient sans doute comme un «équilibre de sousemploi<br />

»).<br />

L'imposition par la contrainte (que ce soit celle, légale, de la<br />

puissance publique et de ses lois et règlements, ou celle<br />

d'organisations privées ayant recours à des moyens d'intimidation<br />

violents) d'un prix du travail plus élevé que sa valeur naturelle de<br />

marché fait purement et simplement disparaître toute une partie de<br />

l'offre, et donc de la demande pour <strong>les</strong> autres secteurs. Il y a


136 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

destruction de valeur, destruction de pouvoir d'achat, destruction de<br />

demande.<br />

La d~églementation restaure la demande<br />

Nous avons pris l'exemple d'une hausse « contrainte» des<br />

rémunérations. Mais le même raisonnement s'applique à toutes <strong>les</strong><br />

entraves réglementaires qui affectent la liberté de décision, et donc<br />

le comportement des producteurs, qu'il s'agisse par exemple de la<br />

limitation autoritaire de la durée du travail, ou de la réduction<br />

obligatoire de l'âge de mise à la retraite.<br />

De tel<strong>les</strong> me<strong>sur</strong>es ont pour conséquence de réduire l'offre de<br />

travail disponible dans le pays, et entraînent donc un relèvement de<br />

la productivité marginale du travail par rapport à la productivité<br />

marginale du capital. Dans le partage final de la plus-value produite,<br />

la part allant aux salaires sera désormais plus importante, et celle du<br />

capital plus faible. Mais la diminution de la quantité offerte de travail<br />

entraîne aussi, toutes choses éga<strong>les</strong> d'ailleurs (rappelons-nous la<br />

réponse à l'effet Ricardo, et l'hypothèse d'une situation originelle de<br />

plein emploi), une réduction du volume total des biens produits, et<br />

donc une diminution de la taille globale du gâteau final à se partager.<br />

Résultat: <strong>les</strong> salariés gagnent plus, relativement à ce que gagnent <strong>les</strong><br />

propriétaires de capitaux; mais on produit moins, on consomme<br />

moins, et tout le monde est, globalement, moins riche (même si<br />

certaines catégories de salariés se retrouvent, selon <strong>les</strong> circonstances,<br />

avec un salaire réel amélioré).<br />

Comme dans le cas précédent, le cycle de la loi des débouchés est<br />

interrompu, cassé. Par rapport à la situation d'origine, il y a disparition<br />

d'une partie de la production, et, en conséquence, d'une partie<br />

des emplois et des revenus qui nourrissaient <strong>les</strong> demandes particulières<br />

initialement adressées à chaque activité.<br />

Imaginons maintenant qu'après une alternance politique, le<br />

gouvernement décide de revenir immédiatement <strong>sur</strong> l'augmentation<br />

autoritaire et massive des salaires décidée par son prédécesseur. Que<br />

se passe-t-il La réponse ne nécessite pas de longs développements.<br />

Le retour à la liberté des salaires, et donc des salaires à leur prix de<br />

marché, va faire reparcourir le chemin inverse.


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 137<br />

Le retour des salaires à leur valeur de marché abaisse <strong>les</strong> coûts de<br />

production de l'industrie Y. On embauche. On remet <strong>les</strong> machines en<br />

route. Autant de revenus nouveaux qui sont dépensés par <strong>les</strong><br />

propriétaires des facteurs. Les commandes aux industries d'amont<br />

augmentent en proportion du déficit que <strong>les</strong> réductions initia<strong>les</strong> de<br />

commandes y avaient creusé (pas d'effets inflationnistes). L'effet<br />

amplificateur qui, dans le précédent scénario, jouait dans le sens d'un<br />

renforcement des facteurs récessifs, fonctionne en sens inverse. Chaque<br />

secteur entraîne le redressement des industries qui bénéficient:<br />

1) de la reprise des commandes de biens de production; 2) de la<br />

reprise des achats par <strong>les</strong> consommateurs disposant d'un revenu<br />

accru.<br />

La reprise de la production entraîne la reconstitution de la<br />

demande disparue. La loi des débouchés est rétablie. Chaque secteur<br />

retrouve le niveau de demande et d'activité qui était le sien à l'origine<br />

(parce qu'on raisonne à préférences constantes) et que l'on prend<br />

volontairement le parti d'ignorer <strong>les</strong> effets perturbants de la monnaie<br />

(qui, d'ailleurs, n'a par définition pas de place dans un système<br />

hypothétique d'où est exclue toute incertitude). On est de nouveau en<br />

plein emploi.<br />

Progrès technique et coordination<br />

Nous nous sommes limités à un cadre d'analyse statique impliquant<br />

une constance des techniques employées.<br />

Il faut maintenant introduire une perspective plus dynamique et<br />

de plus longue période, faisant intervenir des processus de<br />

croissance.<br />

Imaginons une situation nouvelle: l'apparition d'une technologie<br />

qui permet à l'industrie X de fabriquer <strong>les</strong> mêmes produits, mais dans<br />

des conditions d'économie plus grandes. Le problème est d'identifier<br />

<strong>les</strong> conditions qui doivent être réunies pour que le progrès technique<br />

et l'innovation n'entraînent pas une diminution de l'emploi.<br />

Point de départ: on a une situation où la concurrence entre <strong>les</strong><br />

fabricants conduit à l'apparition et à la diffusion d'une nouvelle<br />

technologie qui permet de produire X avec moins d'heures de travail<br />

et une moindre consommation d'un input particulier (par exemple,


138 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

moins de métal). L'innovation est mise au point dans une entreprise<br />

en particulier. Cette nouvelle technique réduit ses coûts de<br />

production en dessous de ceux de ses confrères et lui permet donc<br />

d'offrir plus du même produit pour moins cher (l'innovation a <strong>sur</strong><br />

l'offre un effet exactement inverse de celui des entraves à la<br />

production; c'est en quelque sorte son sym~trlque).<br />

Gommons <strong>les</strong> phases intermédiaires. Les concurrents, tous<br />

fabricant également le produit X, adoptent la même technologie. Ils<br />

alignent leurs prix. Les mêmes besoins de consommation sont<br />

satisfaits par un produit qui coûte moins cher à fabriquer (dont la<br />

production utilise moins de ressources rares), et qui est vendu en plus<br />

grande quantité à un nouveau prix inférieur à l'ancien.<br />

Bt/an:<br />

- d'un côté, on a des consommateurs qui satisfont exactement <strong>les</strong><br />

mêmes besoins, mais en dépensant moins. La totalité du revenu<br />

injecté au début du cycle (avec l'ancienne technologie) n'est plus<br />

absorbée complètement par l'achat de la même quantité d'artic<strong>les</strong><br />

(fabriqués avec la nouvelle technique). Les consommateurs qui<br />

achètent X disposent d'un <strong>sur</strong>plus de pouvoir d'achat qu'ils peuvent<br />

affecter à l'achat d'autres biens non substituab<strong>les</strong> tels que Y et Z ;<br />

- de l'autre, on a une industrie qui fabrique et vend <strong>les</strong> mêmes<br />

biens, qui satisfait <strong>les</strong> mêmes services, mais qui, pour répondre à la<br />

demande de ses clients, a besoin de moins de travailleurs, et de<br />

moins de consommations intermédiaires achetées à d'autres<br />

entreprises;<br />

- enfin, on a des industries (Y et Z) à qui <strong>les</strong> consommateurs<br />

demandent plus de ce qu'el<strong>les</strong> produisent, et qui, pour y faire face,<br />

ont besoin d'acheter de nouvel<strong>les</strong> machines et d'embaucher de<br />

nouveaux travailleurs pour <strong>les</strong> faire fonctionner.<br />

Pour que la loi des débouchés ne soit pas interrompue, il faudrait<br />

que <strong>les</strong> ressources (capital financier, main-d'œuvre, matières<br />

premières, produits semi-finis, biens intermédiaires) qui n'ont plus<br />

d'usage dans l'industrie X soient transférées vers Y et Z. Si l'on<br />

pouvait réaliser ce transfert instantanément et sans coût, l'égalité de<br />

départ serait maintenue; on a simplement un transfert de création de<br />

valeur de X vers Y et Z, ces deux secteurs se substituant à X pour<br />

distribuer un pouvoir d'achat d'une valeur monétaire égale à


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 139<br />

l'économie des coûts (et donc de rémunérations distribuées) réalisées<br />

en X. On a une simple « dérivation». La somme physique de tout ce<br />

qui est produit est plus grande (artic<strong>les</strong> Y et Z en plus). Plus d'utilités<br />

individuel<strong>les</strong> sont satisfaites. On a un phénomène de « croissance».<br />

Cependant, en économie de marché se pose un problème. Par<br />

définition, l'économie libérale est une économie décentralisée. Ce<br />

ne sont pas <strong>les</strong> mêmes gens qui décident de ce que l'on va faire dans<br />

<strong>les</strong> industries X, Y ou z. Ce ne sont pas <strong>les</strong> mêmes gens qui achètent<br />

<strong>les</strong> machines et disposent a priori du capital nécessaire. Ce ne sont<br />

pas <strong>les</strong> mêmes qui mettent ces machines au travail et qui <strong>les</strong> font<br />

effectivement tourner, etc. Par ailleurs, personne ne peut enjoindre<br />

aux propriétaires des inputs libérés en X de <strong>les</strong> employer<br />

obligatoirement pour produire des biens Y ou Z si rien ne <strong>les</strong> incite à<br />

accomplir volonta1rement ce transfert.<br />

Autrement dit, pour que le circuit des débouchés ne soit pas<br />

altéré, on se heurte à un problème de coord1naNon qui se décompose<br />

lui-même en un double problème d'1nformatton et d'incitation:<br />

information des dirigeants des entreprises des secteurs Y et Z <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

ressources disponib<strong>les</strong>, et information des salariés licenciés en X, ou<br />

des propriétaires de capitaux et de ressources libérés par X, <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

nouveaux emplois offerts en Y et Z; incitation pour <strong>les</strong> salariés libérés<br />

de X à accepter <strong>les</strong> emplois qu'on leur propose en Y et Z, et, à<br />

l'inverse, incitation pour <strong>les</strong> entreprises des secteurs Y et Z de faire <strong>les</strong><br />

efforts nécessaires pour attirer la main-d'œuvre ainsi disponible et<br />

obtenir d'elle qu'elle accepte de s'engager chez eux plutôt que de<br />

rester inactive.<br />

On pourrait imaginer une autorité centrale prenant <strong>sur</strong> elle<br />

d'affecter autoritaire ment <strong>les</strong> ressources aux emplois où elle estime<br />

qu'on en a le plus besoin. C'est la solution socialiste. Mais on peut<br />

montrer (Hayek) que, dans le monde réel, cette autorité centrale ne<br />

pourra jamais accéder à l'ensemble d'informations qui serait<br />

nécessaire pour s'acquitter efficacement de cette tâche. Le<br />

planificateur, même avec <strong>les</strong> ordinateurs <strong>les</strong> plus performants, se<br />

heurtera toujours à deux problèmes insolub<strong>les</strong>: l'impossibilité<br />

absolue de traiter en temps réel la masse formidable des données qui<br />

changent constamment de valeur; l'impossibilité de jamais mettre<br />

dans <strong>les</strong> ordinateurs l'ensemble des informations, des connaissances


140 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

et des savoir-faire tacites qui interviennent chaque jour dans <strong>les</strong><br />

décisions de milliers d'individus, sans que ceux-ci soient jamais<br />

capab<strong>les</strong> d'en donner une formulation explicite.<br />

Une exigence essentielle: la flexibtltté des prix et des salaires<br />

Comment la société libérale résout-elle ce problème par le<br />

mécanisme des prix. Ceux-ci agissent comme des signaux pour<br />

indiquer aux agents économiques là où il faut investir, là où il faut<br />

produire plus, ou au contraire produire moins - et cela tout en leur<br />

apportant une motivation pour répondre positivement à ces appels:<br />

le profit qui reste lorsqu'un entrepreneur est le premier à répondre<br />

aux opportunités nouvel<strong>les</strong> de production révélées par le calcul<br />

économique.<br />

Revenons à notre exemple.<br />

L'industrie X réduit sa demande de travail ainsi que <strong>les</strong> achats à ses<br />

fournisseurs. Des ouvriers sont mis au chômage. Des machines sont à<br />

vendre, ou à louer, qui, dans la limite de leurs spécificités pourraient<br />

être utilisées ailleurs.<br />

y et Z ne peuvent répondre instantanément à l'accroissement de<br />

demandes dont ils font l'objet. Il faut rationner la clientèle: <strong>les</strong> prix<br />

des produits Y et Z augmentent.<br />

C'est le mouvement des prix relatifs (baisse des possibilités de<br />

satisfaction des anciens salariés de X et des propriétaires de ses<br />

anciennes machines, hausse des prix des produits Y et Z, et donc<br />

perspectives accrues de profits dans ces deux activités) qui, dans<br />

l'économie de marché, va inciter <strong>les</strong> détenteurs de ressources à<br />

affecter volontairement <strong>les</strong> facteurs dont ils ont le contrôle à<br />

l'accroissement de la production en Y et Z.<br />

Cela ne se fera pas instantanément. Les salariés licenciés en X<br />

peuvent ne pas être au courant des emplois offerts en Y et Z. Habitués<br />

à de hauts salaires payés par <strong>les</strong> entreprises du secteur X, ils peuvent<br />

rester insensib<strong>les</strong> aux offres à première vue insuffisantes qui leur sont<br />

faites par <strong>les</strong> employeurs en Y et Z, préférant attendre une embauche<br />

hypothétique dans un secteur payant mieux. De même, des<br />

indemnités publiques de chômage généreuses réduisent peut-être le


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 141<br />

coût d'attendre que quelque chose plus conforme à leurs vœux leur<br />

soit proposé.<br />

Par ailleurs, le capital, lui aussi, est souvent difficile à déplacer.<br />

Une machine à usage spécifique se reconvertit difficilement ...<br />

Ces « imperfections» dans l'information, la communication, la<br />

mobilité des ressources et des hommes font que (si el<strong>les</strong> n'ont pas été<br />

anticipées, et donc «as<strong>sur</strong>ées par avance ») des pertes vont bel et bien<br />

apparaître dans le circuit des débouchés. Des pertes qui entraînent un<br />

assèchement de certaines demandes, et donc un risque de chômage<br />

dit « frictionnel» s'étendant au-delà des seuls individus qui, licenciés<br />

par <strong>les</strong> entreprises du secteur X, restent «volontairement» sans<br />

emploi parce qu'ils refusent encore <strong>les</strong> offres qui leur sont faites par<br />

<strong>les</strong> employeurs Y et Z.<br />

Imaginons: 1) que l'État distribue des indemnités de chômage<br />

relativement longues et élevées, tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> gens qui se retrouvent<br />

sans emploi peuvent continuer à vivre sans trop de problèmes<br />

pendant fort longtemps - si ce n'est même en faire un style de vie<br />

lorsque l'écart entre le total des indemnités reçues et le salaire que la<br />

personne pourrait obtenir <strong>sur</strong> le marché est trop faible; 2) que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> qui contrôlent <strong>les</strong> employés du secteur X soient en me<strong>sur</strong>e<br />

d'imposer aux employeurs de maintenir des salaires élevés, tels que<br />

même ceux qui se retrouvent au chômage préfèrent attendre pour<br />

éventuellement prendre la place d'un sortant (départ à la retraite).<br />

Admettons que, de leur côté, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> des salariés des<br />

secteurs y et Z aient obtenu qu'on exige des candidats à un nouvel<br />

emploi un diplôme professionnel nécessitant une longue formation<br />

préalable; qu'ils aient également obtenu de leurs employeurs des<br />

normes de production tel<strong>les</strong> que, en raison de leurs coûts, cela limite<br />

<strong>les</strong> différentiels de salaires que <strong>les</strong> entreprises de Y et de Z peuvent<br />

offrir pour attirer la main-d'œuvre de X.<br />

Toutes ces actions ont pour résultat de réduire l'intérêt, le degré<br />

de motivation que chaque propriétaire de ressources a à changer<br />

d'emploi.<br />

Cons~quence: le flux des transferts de X vers Y et Z, ou de tout<br />

autre secteur en déclin vers d'autres secteurs en expansion, va nécessairement<br />

se faire, mais très lentement. Il se fera nécessairement car<br />

<strong>les</strong> entrepreneurs qui opèrent dans <strong>les</strong> secteurs en expansion ont


142 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

absolument besoin de se procurer <strong>les</strong> facteurs de production<br />

indispensab<strong>les</strong> à la réalisation de leurs projets j mais le rythme de ce<br />

transfert sera lent par rapport à ce qu'il aurait pu être.<br />

Or, entre-temps, dans une économie développée, on a tous <strong>les</strong><br />

jours un nombre considérable d'innovations, dans de nombreux<br />

secteurs. Si <strong>les</strong> effets «désorganisateurs» du changement de technologie<br />

en X ne sont pas rapidement neutralisés par la mobilité des<br />

facteurs en Y et Z, si cette mobilité est freinée, voire entravée par des<br />

pratiques, des règlements et des comportements malthusiens<br />

imposés par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, <strong>les</strong> pouvoirs publics ou <strong>les</strong> corps<br />

professionnels, ils vont se cumuler avec ceux induits par <strong>les</strong><br />

innovations des autres secteurs. Moyennant quoi on retrouve un<br />

processus de nature cumulative qui est l'une des raisons d'un chômage<br />

massif et d'une dépression durable par té<strong>les</strong>copage d'un grand<br />

nombre de «minicrises loca<strong>les</strong>».<br />

Le probl~me: ce sont <strong>les</strong> entraves instituNonnel<strong>les</strong> aux mouvements<br />

de prix relaNfs<br />

La raison de ce chômage, de cette crise, n'est pas le progrès<br />

technique (qui permet d'avoir plus pour moins cher), mais l'incapacité<br />

des prix relatifs à as<strong>sur</strong>er une mobilité suffisamment rapide des<br />

ressources de façon à éviter l'accumulation de crises sectoriel<strong>les</strong><br />

loca<strong>les</strong> (en partie autonomes, mais aussi en partie auto-entretenues<br />

par leurs interdépendances). Cette incapacité est liée non pas à la<br />

nature de l'économie de marché, mais à son contexte institutionnel :<br />

à l'accumulation d'entraves volontaires, léga<strong>les</strong> ou réglementaires,<br />

ainsi qu'à des situations de rapports de force qui y freinent le jeu des<br />

prix et salaires relatifs.<br />

Lorsque ces entraves sont trop nombreuses et cumulent leurs effets<br />

locaux, on a, comme précédemment, une situation où, sans que l'on<br />

sache apparemment pourquoi, <strong>les</strong> industriels voient leur demande<br />

s'évaporer: <strong>les</strong> affaires plongent j <strong>les</strong> chômeurs se multiplient, et le<br />

volume des capacités inemployées explose sans qu'il soit jamais<br />

besoin d'invoquer un quelconque choc exogène qui, à un moment ou<br />

à un autre, aurait provoqué un effet déflationniste.


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 143<br />

Ainsi le chômage massif, même s'il prend l'apparence d'un<br />

déséquilibre macroéconomique, a sûrement une composante microéconomique,<br />

parce qu'il provient en partie de l'articulation de<br />

minicrises loca<strong>les</strong>, amplifiées par des facteurs propres à l'ordre<br />

politique et social des institutions.<br />

LA LOI DE SAY ET LA MONNAIE<br />

Traditionnellement, on reproche à la loi de Say de raisonner <strong>sur</strong><br />

des modè<strong>les</strong> simplifiés d'économie de troc et donc de perdre toute<br />

validité dès lors que l'on passe à des représentations complexes<br />

d'économies monétarisées.<br />

En réalité, il n'en est rien. Si nous avons cette impression, c'est<br />

parce que <strong>les</strong> Keynésiens ont donné une image simpliste et tronquée<br />

des travaux de leurs prédécesseurs, accréditant à leur encontre un<br />

ensemble de préjugés dont on redécouvre qu'ils étaient infondés.<br />

Regardons ce qui se passe lorsqu'on introduit la médiation d'un<br />

système monétaire.<br />

Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler que la monnaie n'est ni<br />

un numéraire abstrait, ni un simple étalon de valeur et de prix qui<br />

n'aurait pour fonction que de faciliter le déroulement des<br />

transactions. La monnaie est un instrument intermédiaire d'échange<br />

à l'origine duquel se trouve nécessairement un bien économique réel<br />

qui apporte aux agents économiques des services spécifiques, et qui<br />

n'est devenu support monétaire que parce que son marché est si<br />

largement accessible que <strong>les</strong> gens en désirent uniquement pour l'offrir<br />

ultérieurement dans des échanges interpersonnels.<br />

Cet instrument d'échange est un bien économique comme un<br />

autre, qui a une valeur et est pourvu d'un prix en raison de ses mérites<br />

propres - c'est-à-dire des services d'encaisse qu'il rend aux<br />

individus.<br />

Cette monnaie existe parce que, dans un monde où il y a toujours<br />

du mouvement et du changement - donc de l'incertain - <strong>les</strong> gens<br />

désirent conserver une certaine provision d'instruments de<br />

paiement. Son montant est déterminé par la demande délibérée<br />

d'encaisses liquides qui émane des besoins subjectivement ressentis


144 ONQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

par <strong>les</strong> agents: c'est ce qu'on appelle <strong>les</strong> encatsses liquides déslr~es.<br />

Et comme pour tous <strong>les</strong> autres biens, ce sont <strong>les</strong> changements dans le<br />

rapport entre la demande de l'offre de monnaie qui entraînent <strong>les</strong><br />

changements dans le taux d'échange entre la monnaie et <strong>les</strong> biens<br />

vendab<strong>les</strong>, et donc son pouvoir d'achat (son « prix»).<br />

Plaçons-nous alors dans la perspective d'un système où, comme<br />

dans tous <strong>les</strong> pays d'aujourd'hui, l'offre de monnaie est centralement<br />

« contrôlée» par des institutions étatiques. On imagine que, soudain,<br />

de manière imprévisible, l'autorité en charge de la monnaie réduit<br />

son offre à un niveau inférieur au stock total des encaisses liquides<br />

désirées.<br />

S'il était possible d'imaginer un monde d'information parfaite et<br />

sans coût, tout le monde apprendrait instantanément la nouvelle.<br />

Connaissant avec perfection <strong>les</strong> paramètres qui déterminent son<br />

équation de production, et partageant avec tous <strong>les</strong> autres la même<br />

information, chaque producteur réagirait immédiatement en baissant<br />

ses prix de manière à maintenir stable la relation entre le stock global<br />

de monnaie en circulation, la quantité totale de produits échangés, et<br />

le volume d'encaisses liquides désiré.<br />

Dans un tel univers, il importerait peu que l'offre de monnaie<br />

augmente ou diminue. Cela ne changerait rien au déroulement du<br />

circuit des échanges physiques. La monnaie serait parfaitement<br />

« neutre ». Toute incertitude quant à l'avenir étant bannie, personne<br />

n'éprouverait le besoin de conserver des liquidités. Tout individu<br />

sachant avec précision de quelle quantité de monnaie il aura besoin à<br />

telle ou telle date, il n'y aurait même pas besoin d'une monnaie autre<br />

qu'une simple unité de compte abstraite et indéterminée.<br />

De même, si nous vivions avec un système de monnaies<br />

concurrentiel<strong>les</strong>, il n'y aurait pas de problème. Les différentes<br />

monnaies en circulation étant parfaitement substituab<strong>les</strong>, toute<br />

réduction de l'offre par l'un des producteurs se trouverait<br />

instantanément compensée par un accroissement de la demande<br />

pour <strong>les</strong> autres monnaies. Seule varierait la composition des encaisses<br />

désirées sans que la valeur des monnaies disciplinées par la<br />

concurrence, et donc la valeur réelle des encaisses détenues soient<br />

effectuées. Là encore, la monnaie serait neutre.


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 145<br />

Le danger vient des monnaies d'État<br />

Dans l'univers concret de nos institutions actuel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> choses se<br />

présentent évidemment de manière très différente. Mais cela y est<br />

exclusivement dû au fait que nous vivons dans des systèmes où la<br />

monnaie est un monopole public.<br />

Contrairement à ce qu'assument la plupart des modè<strong>les</strong> économiques<br />

habituels, <strong>les</strong> mouvements de la masse monétaire n'affectent<br />

pas toutes <strong>les</strong> activités économiques et industriel<strong>les</strong> de manière<br />

uniforme, ni au même moment. Il n'y a pas synchronisme. Tout<br />

dépend de leur « localisation» par rapport aux points d'entrée de la<br />

monnaie dans le circuit des échanges.<br />

Admettons que l'industrie A soit la première concernée du fait<br />

d'une réduction de dépenses publiques qui affecte exclusivement ses<br />

produits (et qui n'est pas accompagnée d'une réduction des impôts).<br />

La baisse du volume de ses ventes entraîne un appauvrissement de ses<br />

moyens de trésorerie auquel elle réagit en réduisant la quantité réelle<br />

de biens qu'elle achète aux autres secteurs. Ceux-ci, à leur tour, voient<br />

leur chiffre d'affaires baisser. Mais, à la différence des entreprises du<br />

secteur A, il leur est plus difficile d'identifier la cause du phénomène<br />

qui perturbe la réalisation de leurs anticipations, et donc d'en tirer <strong>les</strong><br />

leçons qui devraient s'imposer; et cela d'autant plus qu'on se situe à<br />

un stade intermédiaire éloigné de la production finale. L'événement<br />

étant imprévu, et personne n'étant en me<strong>sur</strong>e d'en connaître immédiatement<br />

la nature, il n'y a pas de raison de modifier <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> de<br />

gestion habituel<strong>les</strong>. Chacun s'efforce donc de reconstituer ses encaisses<br />

nomina<strong>les</strong> à un niveau considéré comme normal et dicté par<br />

l'expérience passée - alors qu'en réalité la valeur réelle des encaisses<br />

détenues a déjà augmenté du fait de la hausse de la valeur de la<br />

monnaie. Chacun réduit ses achats à ses fournisseurs (et donc accepte<br />

temporairement de produire moins), ou bien fait plus d'efforts pour<br />

conquérir de nouveaux clients (en proposant par exemple de meilleures<br />

conditions de prix). Mais cette restriction, même temporaire,<br />

de l'offre des secteurs amont signifie que moins de ressources réel<strong>les</strong><br />

sont disponib<strong>les</strong> pour acquérir <strong>les</strong> produits des autres activités,<br />

notamment <strong>les</strong> produits de l'industrie A.


146 ONQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

« Qui commencera le premier il<br />

On retombe <strong>sur</strong> le mécanisme cumulatif par lequel une diminution<br />

initiale de la production d'un secteur conduit à une baisse de la<br />

demande qui s'adresse à un grand nombre d'autres, puis, par un<br />

processus itératif, à de nouvel<strong>les</strong> baisses qui réduisent le total des<br />

demandes particulières qui s'adressent à lui. La loi des débouchés est<br />

interrompue: comme précédemment chaque activité ne retrouve<br />

plus l'intégralité de la valeur initialement créée. Celle-ci a partiellement<br />

disparu, aspirée par la distribution de faux droits et la<br />

demande de reconstitution des liquidités. Entre-temps, des machines,<br />

des usines des hommes et des compétences ont été mis au<br />

chômage.<br />

Quelle sera l'intensité du phénomène Tout dépend de la<br />

méthode choisie par <strong>les</strong> producteurs pour rétablir leurs encaisses au<br />

niveau désiré.<br />

L'idéal serait que <strong>les</strong> entreprises travaillant pour la demande<br />

finale réagissent en baissant leurs prix plutÔt qu'en décidant de<br />

réduire temporairement leurs fabrications. En cherchant à<br />

compenser ce qu'el<strong>les</strong> viennent de perdre par la conquête de<br />

nouveaux clients, el<strong>les</strong> éviteraient le déclenchement d'un ficheux<br />

processus récessif. Mais on se heurte alors au problème du cc Qui<br />

commencera le premier » : celui qui, le premier, prend l'initiative<br />

de baisser ses prix, encourt également le risque, si ses fournisseurs ne<br />

réagissent pas de la même manière, de se pénaliser lui-même par<br />

rapport li des concurrents qui bénéficieraient, eux, de fournisseurs<br />

acceptant de pratiquer temporairement des prix plus bas.<br />

Consdquence: <strong>les</strong> prix ont toutes chances de représenter la dernière<br />

donnée que l'entrepreneur acceptera de modifier en cas de récession<br />

(si celle-ci se révèle plus durable et plus grave que ce à quoi il<br />

s'attendait).<br />

On retrouve un paradoxe collectif caractéristique d'une situation<br />

de dilemme du prisonnier. L'ajustement li la modification initiale de<br />

la valeur relative de la monnaie et des biens marchands se fera<br />

d'abord par un processus de réduction de la production (et donc par<br />

la récession), avant qu'un mouvement progressif de modification des


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 147<br />

prix relatifs n'amène lentement le rétablissement d'un nouvel état de<br />

coordination des projets individuels, et donc le retour à une nouvelle<br />

structure approchant le plein-emploi.<br />

En manipulant la production de monnaie et en introduisant une<br />

modification inattendue de la valeur interne de la monnaie, <strong>les</strong><br />

autorités publiques ont provoqué <strong>sur</strong> <strong>les</strong> flux réels d'échanges<br />

marchands des effets identiques à ceux qui résultent de l'apparition<br />

d'entraves artificiel<strong>les</strong> à la liberté des transactions, ou de restrictions<br />

volontaires à la production.<br />

Les conséquences du principe de non-neutralité<br />

Prenons maintenant une situation inverse. On suppose que <strong>les</strong><br />

autorités décident de manière inattendue d'émettre une quantité<br />

additionnelle de papier monnaie afin de financer un projet de<br />

dépenses supplémentaires sans lever de nouveaux impôts.<br />

Les prix des artic<strong>les</strong> que le gouvernement a décidé d'acheter<br />

augmentent immédiatement, tandis que <strong>les</strong> prix des autres marchandises<br />

restent temporairement inchangés. Cependant, le processus<br />

continue. Les gens qui ont vendu <strong>les</strong> biens achetés par l'Administration<br />

se retrouvent avec une abondance inattendue de disponibilités<br />

monétaires à laquelle ils réagissent en augmentant leurs propres<br />

achats d'autres biens jusqu'à ce que leurs encaisses retrouvent un<br />

niveau considéré comme normal. Les prix des biens et services que<br />

ces gens-là achètent en plus grande quantité augmentent à leur tout, et<br />

ainsi de suite. Personne n'étant en me<strong>sur</strong>e d'identifier l'origine<br />

précise de sa nouvelle situation d'aisance financière momentanée, la<br />

hausse se propage d'un groupe d'artic<strong>les</strong> et d'un secteur à l'autre,<br />

jusqu'à ce que tous <strong>les</strong> prix et <strong>les</strong> taux de salaires aient augmenté (sans<br />

que cela se fasse de manière uniforme), et que toutes <strong>les</strong> encaisses<br />

individuel<strong>les</strong> soient revenues à leur niveau habituel.<br />

La flexibilité des prix étant beaucoup plus grande à la hausse qu'à<br />

la baisse (pour une raison logique qui tient à ce que <strong>les</strong> délais de<br />

transmission, d'un stade de la production à l'autre, et d'aval vers<br />

l'amont, jouent cette fois-ci en faveur de celui qui est le premier à<br />

modifier ses prix), l'ajustement aux nouvel<strong>les</strong> conditions de l'environnement<br />

monétaire se fait sans que se manifeste aucune restriction


148 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

de l'offre. Au contraire, l'avance que prennent <strong>les</strong> prix de certains<br />

producteurs par rapport à ceux de leurs fournisseurs crée un sentiment<br />

favorable de plus grande prospérité, même si cela ne dure qu'un<br />

temps.<br />

La plupart du temps, <strong>les</strong> économistes arrêtent leur raisonnement à<br />

ce point. Ce faisant, ils négligent que s'il y a ajustement, celui-ci se<br />

fait d'une façon qui est loin d'être synchrone; et que cela a une très<br />

grande importance pour la suite des événements.<br />

Examinons en effet ce qui se passe. Les prix augmentent de<br />

manière à éponger dans chaque secteur l'excédent de monnaie créée<br />

initialement par la décision des pouvoirs publics. Mais ils n'augmentent<br />

pas simultanément, ni dans <strong>les</strong> mêmes proportions. Pendant que<br />

le processus se déroule, certaines gens profitent de prix plus élevés<br />

pour <strong>les</strong> biens et services qu'ils vendent, cependant que <strong>les</strong> prix des<br />

choses qu'ils achètent n'ont pas encore augmenté, ou n'ont pas<br />

augmenté autant. A l'inverse, il y a des gens malchanceux qui vendent<br />

des biens et des services dont <strong>les</strong> prix n'ont pas monté, ou qui n'ont<br />

pas monté autant que <strong>les</strong> prix des choses qu'ils doivent acheter pour<br />

leur consommation quotidienne. Pour <strong>les</strong> premiers, la propagation<br />

graduelle de la hausse est une bonne fortune; pour <strong>les</strong> seconds, une<br />

calamité.<br />

Lorsque le processus parvient à son terme, la richesse des<br />

individus a été modifiée dans des sens divers, et des proportions<br />

variées. Certains se sont enrichis, d'autres appauvris. Mais comme<br />

<strong>les</strong> préférences varient selon <strong>les</strong> individus, leurs catégories socia<strong>les</strong>,<br />

ou encore leurs niveaux de revenus, entre-temps d'importants<br />

changements sont intervenus dans la demande, et dans la manière<br />

dont elle se répartit entre <strong>les</strong> secteurs de distribution. Ce faisant, pour<br />

que l'état initial de coordination de la loi des débouchés ne soit pas<br />

dérangé, ce qui compte n'est pas la hausse générale de tous <strong>les</strong> prix,<br />

mais <strong>les</strong> mouvements individuels de prix qui font qu'en fin de compte<br />

la nouvelle structure des prix observés correspondra ou non au nouvel<br />

état de la demande et des raretés relatives.<br />

n faudrait un véritable miracle<br />

Si des rigidités institutionnel<strong>les</strong> et artificiel<strong>les</strong> empêchent <strong>les</strong> prix<br />

localement pratiqués de s'aligner <strong>sur</strong> <strong>les</strong> changements intervenus


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 149<br />

dans <strong>les</strong> taux d'échange mutuels des biens et services, rien, même la<br />

décision d'imprimer des quantités constamment croissantes de<br />

monnaie supplémentaire, n'évitera que se diffuse peu à peu un état<br />

général de dislocation des marchés.<br />

Pour que l'état initial de coordination soit maintenu malgré tout,<br />

il faudrait en effet que ces nouvel<strong>les</strong> quantités de monnaie<br />

parviennent aux différents secteurs et aux entreprises en proportion<br />

exacte avec le déficit de demande dont chacun est localement<br />

victime. or il faudrait évidemment un véritable miracle pour qu'il en<br />

soit ainsi.<br />

Résultat: de plus en plus d'entreprises découvrent qu'el<strong>les</strong><br />

continuent de produire des biens pour <strong>les</strong>quels il y a de moins en<br />

moins de clients. D'autres s'essoufflent à courir après une consommation<br />

qui se révèle constamment supérieure à leurs anticipations.<br />

Des usines se montent dont on découvre, lorsqu'el<strong>les</strong> sont prêtes à<br />

fonctionner, que leurs débouchés ont disparu. A l'inverse, des<br />

entrepreneurs en plein développement éprouvent de plus en plus de<br />

difficultés à trouver <strong>sur</strong> le marché national <strong>les</strong> machines, <strong>les</strong> matériels<br />

ou <strong>les</strong> compétences dont ils ont besoin en quantités croissantes. Ne<br />

comprenant pas l'origine de ces difficultés, <strong>les</strong> autorités du pays<br />

s'inquiètent de la «perte de compétitivité» de leur industrie, et se<br />

plaignent du protectionnisme des autres ...<br />

L'incapacité du système de prix à répondre de manière<br />

satisfaisante aux besoins de coordination des projets individuels crée<br />

une évaporation cumulative de la demande et met au chômage une<br />

quantité croissante de ressources mal dirigées.<br />

Par ailleurs, nous avons raisonné en supposant que <strong>les</strong> entreprises<br />

avaient a priori une connaissance parfaite du prix de marché de leurs<br />

produits. Il va de soi que, dans la réalité quotidienne des affaires, ce<br />

n'est pas le cas. Le prix de marché est une grandeur abstraite dont <strong>les</strong><br />

entreprises essaient constamment de se rapprocher grâce aux instruments<br />

du calcul monétaire et aux sanctions indicatives du compte de<br />

pertes et profits.<br />

Ces calculs se font à partir des prix des biens et services en<br />

monnaie, tels qu'ils sont recensés par <strong>les</strong> comptabilités privées au fur<br />

et à me<strong>sur</strong>e des achats. Ils sont corrigés par la perception subjective<br />

que chaque chef d'entreprise a de l'évolution du pouvoir d'achat de la


150 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

monnaie qu'il utilise dans ses transactions, à partir de son expérience<br />

personnelle passée et des informations que lui fournit sa profession.<br />

Une part Irréductible de ch6mage et de sous-emploi est Inévitable<br />

Si nous étions en me<strong>sur</strong>e de produire des monnaies concurrentiel<strong>les</strong><br />

au pouvoir d'achat parfaitement stable, il n'y aurait aucun<br />

problème. Mais, en raison de la nature publique de la monnaie,<br />

l'objectif d'une telle stabilité est hors d'atteinte.<br />

Il en résulte que, par définition, dans l'univers institutionnel qui<br />

est le nôtre, tout calcul économique restera imparfait, et qu'on ne<br />

pourra jamais distinguer clairement entre <strong>les</strong> pertes et <strong>les</strong> profits qui<br />

sont authentiques, et <strong>les</strong> pertes et <strong>les</strong> profits comptab<strong>les</strong> à caractère<br />

apparent dus aux variations imprévues du pouvoir d'achat de l'unité<br />

de compte utilisée.<br />

Tant que l'amplitude de ces pertes et profits apparents reste<br />

limitée, l'inconvénient est mineur. Nous ne connaissons pas de<br />

moyen plus efficace que le marché libre et le calcul économique<br />

décentralisé pour réaliser la coordination des activités humaines.<br />

Mais, dès qu'on aneint des rythmes de création monétaire élevés,<br />

l'importance de ces effets comptab<strong>les</strong> prive <strong>les</strong> signaux du marché, et<br />

<strong>les</strong> calculs individuels de la plus grande part de leur signification<br />

cognitive. Les chefs d'entreprise continuent de faire leur travail, du<br />

mieux qu'ils peuvent, en restant fidè<strong>les</strong> aux enseignements de leur<br />

expérience. Mais <strong>les</strong> résultats du marché montrent qu'ils se trompent<br />

plus souvent. Des erreurs de jugement de plus en plus fréquentes, et<br />

de plus en plus graves sont commises. Cette accumulation de mauvais<br />

calculs implique qu'une quantité croissante de biens ne trouve plus <strong>les</strong><br />

acheteurs attendus. Un processus de dislocation industrielle<br />

s'amorce, qui force la mise au chômage d'un volume grandissant de<br />

ressources et de compétences. Il se révèle d'autant plus durable et<br />

profond que l'on continue de mettre en circulation des quantités de<br />

plus en plus importantes de monnaie. A court terme, l'inflation (non<br />

anticipée) agit comme un euphorisant. En bénéficient ceux dont <strong>les</strong><br />

activités se situent le plus près des points d'entrée de la nouvelle<br />

monnaie. Mais, à long terme, ses effets dislocateurs ne sont pas


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 151<br />

moins certains que ceux des politiques de déflation. Peu il peu le<br />

public prend conscience qu'il y a « crise ».<br />

La généralisaHon de l'Axiome de Say<br />

Au total, cette généralisation de l'axiome de Say nous rappelle <strong>les</strong><br />

difficultés d'atteindre un état de parfaite coordination et de plein<br />

emploi stable: dans un monde où le changement est l'expression<br />

même de l'action humaine, et donc permanent, où la monnaie est<br />

précisément une création des hommes pour s'y adapter, et en même<br />

temps un facteur de changement elle-même, tl est tn~ttable que<br />

subsiste une part t'fTéducttble et fluctuante de ch(Jmage et de sousemplot,<br />

Itée non pas d une défaUlance du marché, mais d la présence<br />

de rtgtdttés naturel<strong>les</strong> qu 'tl n'est pas en notre pouvotr de modtfler<br />

(par exemple <strong>les</strong> rigidités qui découlent de l'opacité de l'information,<br />

ou des limites aux capacités de la connaissance humaine), ou qu'tl<br />

n'est pas dans notre tnté1"nt de modtfler (par exemple lorsque ces<br />

rigidités résultent d'actes coopératifs « volontaires» dictés par<br />

l'intérêt réciproque des partenaires, comme dans le cas des «contrats<br />

implicites» entre employeurs et employés, ou celui d'ententes<br />

privées non protégées par l'appui de règlements ou d'influences<br />

politiques).<br />

Mais elle met également en évidence que l'intensité et l'amplitude<br />

de ces mouvements de sous-emploi et de chômage seront d'autant<br />

plus fortes que: 1) nous travaillons dans un univers où le jeu des<br />

forces corporatives, ainsi que l'influence des doctrines dominantes,<br />

conduisent il multiplier <strong>les</strong> entraves artificiel<strong>les</strong> il la liberté de<br />

produire et d'échanger; 2) nous vivons dans un monde où la<br />

régulation monétaire n'est pas as<strong>sur</strong>ée par la concurrence des<br />

monnaies, mais est confiée il l'État qui est incapable de respecter <strong>les</strong><br />

disciplines budgétaires qui, autrefois, limitaient la capacité des<br />

pouvoirs politiques il jouer avec la création monétaire.<br />

On retrouve l'idée que le ch(Jmage, tel qu'tl est de plus en plus<br />

vécu par un nombre croissant d'hommes et de femmes, est le produtt<br />

caractértsttque de la peroerston étattque des tnstttut10ns poltttques et<br />

monétatres du xx- st~cle.


152 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

L'erreur des Keynésiens<br />

Imaginons que, soudain, <strong>les</strong> particuliers et <strong>les</strong> entreprises<br />

accroissent de 20 % le montant des encaisses liquides qu'ils conservent<br />

à titre de précaution. Ce changement de comportement a <strong>sur</strong> le<br />

circuit des échanges <strong>les</strong> mêmes effets restrictifs qu'une décision<br />

autoritaire du gouvernement ayant pour conséquence de réduire de<br />

20 % le volume global de la circulation monétaire. D'où la réaction<br />

des Keynésiens: il faut que l'État, par une action monétaire (ou<br />

budgétaire) compense le déficit du pouvoir d'achat en circulation.<br />

Que la conséquence immédiate soit de freiner <strong>les</strong> affaires et de<br />

créer du chômage, aucun doute. Mais il faut se demander quelle est<br />

l'origine d'une telle variation.<br />

Pourquoi <strong>les</strong> ménages changeraient-ils leur comportement Il n'y<br />

a que deux possibilités : ou bien la cause est liée aux activités de l'État<br />

lui-même (comme lorsque, par exemple, intentionnellement ou par<br />

mégarde - comme ce fut le cas aux États-Unis en 1932 -, il mène une<br />

politique déflationniste qui conduit <strong>les</strong> agents à anticiper une hausse<br />

du pouvoir d'achat futur de la monnaie); ou bien cela n'a rien à voir<br />

avec l'État et résulte de choix purement individuels et libres.<br />

Lorsqu'il est impossible d'invoquer une cause d'ordre monétaire,<br />

une seule explication est possible: si <strong>les</strong> gens désirent conserver plus<br />

d'encaisses, c'est parce que des événements (des innovations, par<br />

exemple ou des événements politiques réduisant l'incertitude et <strong>les</strong><br />

risques associés à des placements longs), ont modifié l'échelle de<br />

leurs préférences en faveur des placements futurs, au détriment des<br />

usages présents. La variation du rapport des encaisses détenues est<br />

simplement la manifestation d'un changement dans la structure<br />

temporelle des demandes de consommation ou d'investissement.<br />

Du point de vue du circuit économique, ce changement induit <strong>sur</strong><br />

l'emploi et <strong>les</strong> revenus des effets dont la nature n'est pas différente de<br />

ce qui se passe lorsque des changements de technologie (ou de goûts)<br />

modifient la structure des prix relatifs des biens produits. Tout<br />

dépend de la plasticité des prix (notamment d'un prix particulier,<br />

celui de la monnaie: le taux d'intérêt). Si <strong>les</strong> marchés, <strong>les</strong> marchés<br />

monétaires et financiers en particulier, se heurtent à un minimum


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 153<br />

d'entraves institutionnel<strong>les</strong>, et réagissent avec une grande flexibilité,<br />

<strong>les</strong> effets de cette perturbation resteront temporaires et limités. Le<br />

circuit de la loi des débouchés ne sera véritablement violé que si la<br />

réallocation des ressources vers de nouveaux emplois mieux adaptés à<br />

la nouvelle structure temporelle des demandes, est freinée par des<br />

rigidités ne devant rien à la dynamique propre de relations<br />

contractuel<strong>les</strong> libres.<br />

Admettons maintenant que <strong>les</strong> pouvoirs publics décident de<br />

compenser l'augmentation des encaisses individuel<strong>les</strong> par une<br />

émission de monnaie nouvelle d'un pouvoir d'achat global identique.<br />

L'espoir est qu'on pourra ainsi neutraliser l'effet récessif de l'accroissement<br />

d'épargne. L'émission d'un montant de monnaie nouvelle<br />

équivalent au déficit créé par la variation des encaisses détenues<br />

devrait rétablir la situation initiale, et permettre de rétablir le circuit<br />

économique dans son état initial.<br />

La solution n'est pas de batsser <strong>les</strong> salaires, mats de leur rendre la<br />

ltbert~<br />

Mais, pour que cette injection de fonds publics rétablisse le circuit<br />

interrompu, il faudrait que la nouvelle monnaie soit distribuée entre<br />

<strong>les</strong> secteurs en proportion avec le déficit de demande dont chacun est<br />

en définitive victime. Or, cela est impensable car cela supposerait<br />

que <strong>les</strong> pouvoirs publics aient une parfaite connaissance des<br />

préférences individuel<strong>les</strong>.<br />

Ce qui se passera sera très différent. Certains secteurs connaîtront<br />

un affiux temporaire de liquidités excessives qui nourrira un vent<br />

d'achats supérieur à ce qui serait nécessaire pour juste y combler <strong>les</strong><br />

effets de la chaîne récessive. Non seulement la chaîne des débouchés<br />

ne sera pas rétablie, mais la hausse des prix des premiers engendrera<br />

une série de mouvements relatifs qui compliqueront encore le<br />

problème en y ajoutant leurs propres effets de dislocation.<br />

R~sultat: l'inflation n'est jamais un remède; elle n'est qu'une<br />

illusion qui, à terme, ne fait qu'ajouter ses propres problèmes à ceux<br />

auxquels elle était initialement censée apporter une réponse.


154 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

La grande idée des Keynésiens a été que la pratique d'une inflation<br />

modérée constituait un moyen de résoudre <strong>les</strong> problèmes posés par<br />

l'inflexibilité à la baisse des taux de salaires.<br />

Ce serait vrai si la cause de tous <strong>les</strong> maux venait effectivement et<br />

uniquement du nIveau général des salaIres. Mais, ce qui précède<br />

nous rappelle qu'une telle notion n'a pas de sens, et que ce qui<br />

compte pour expliquer <strong>les</strong> fluctuations de l'emploi et des revenus sont<br />

<strong>les</strong> prix relatifs - c'est-à-dire l'adéquation de la structure des taux<br />

relatifs de salaires à l'évolution de la structure des demandes de biens.<br />

Parce qu'el<strong>les</strong> négligent <strong>les</strong> effets dislocateurs de l'inflation,<br />

l'incapacité des politiques keynésiennes à éviter le retour d'une crise<br />

était donc inévitable. C'est ce qui s'est passé. La grande erreur des<br />

discIp<strong>les</strong> de Keynes a été de ne pas voIr que ce quI est en cause n'est<br />

pas tant la capacité du mouvement syndIcal à Imposer au marché<br />

un prix du travaIl « en général» trop élevé, que celle des syndIcats à<br />

profiter de leur pouvoIr de chantage <strong>sur</strong> la socIété pour geler le<br />

mouvement relatif des rémunérations en ayant recours à des<br />

techniques tel<strong>les</strong> que l'indexation, la généralisation de la négociation<br />

collective, l'extension des mécanismes de «grille », etc.).<br />

La déflatton n'est pas le « symétrIque» de l'Inflatton<br />

De la loi de Say <strong>les</strong> gens tirent souvent la conclusion que, pour<br />

sortir de la crise, <strong>les</strong> économistes libéraux préconisent purement et<br />

simplement de baisser <strong>les</strong> salaires. Ce qui paraît monstrueux, et a<br />

beaucoup fait pour <strong>les</strong> déconsidérer auprès de l'opinion.<br />

Il y a effectivement des gouvernements qui, dans <strong>les</strong> années 30,<br />

ont imposé une baisse autoritaire de tous <strong>les</strong> salaires (ou de certains<br />

salaires seulement, généralement ceux de la fonction publique). Mais<br />

rien n'est plus faux que de croire que des économistes libéraux<br />

pourraient préconiser une forme ou une autre de déflation comme<br />

remède aux situations de crise économique prolongée.<br />

Dans une économie à institution monétaire d'État, le principe de<br />

non-neutralité de la monnaie suggère en effet qu'en aucun cas une<br />

déflation - obtenue par exemple par une réduction de 20 % de l'offre<br />

globale de monnaie - ne peut être envisagée comme le symétrique<br />

d'une inflation qui augmenterait l'offre de monnaie dans <strong>les</strong> mêmes


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 155<br />

proportions. Croire qu'après une période d'inflation, il suffirait<br />

d'une déflation du même ordre de grandeur pour annuler ses effets est<br />

une illusion.<br />

Pour que cela soit possible, il faudrait en effet que <strong>les</strong> mouvements<br />

de prix suivent un cheminement exactement tnversé; ce qui, dans le<br />

monde réel, paraît impensable puisque cela supposerait que le temps<br />

n'existe pas (pas de changement).<br />

Les économistes farouchement anti-keynésiens comme Mises et<br />

Hayek, s'ils étaient par définition contre toute politique d'inflation,<br />

n'ont jamais proposé l'inverse. Pour eux, la déflation était tout aussi<br />

néfaste que l'inflation.<br />

La solutton ne constste donc pas il batsser autorltatrement (ou<br />

en trichant, par l 'tnj/attonJ <strong>les</strong> salatres, mats il leur rendre la ltberté<br />

afin de leur faire retrouver une jlextbtltté naturelle - c'est-à-dire la<br />

flexibilité qui serait la leur dans un monde où <strong>les</strong> seu<strong>les</strong> rigidités<br />

repérab<strong>les</strong> seraient cel<strong>les</strong> qui résultent d'accords contractuels (ou<br />

implicites mais privés) acquis dans le cadre d'institutions de droit<br />

minimisant <strong>les</strong> effets de la violence et du chantage collectif.<br />

LE CHÔMAGE ET LA GRÈVE<br />

En résumé, toutes nos institutions socia<strong>les</strong> partagent un point<br />

commun: el<strong>les</strong> introduisent toujours plus de rigidités dans <strong>les</strong> prix<br />

relatifs, et réduisent donc la mobilité des facteurs i ce qui est à<br />

l'origine des troub<strong>les</strong> de la demande ou de l'emploi qui font la crise.<br />

Prenons l'exemple des négociations collectives, généralement<br />

présentées comme un progrès décisif dans la réalisation d'un<br />

consensus national <strong>sur</strong> la hiérarchie des revenus. Comme le contrôle<br />

des prix, comme <strong>les</strong> politiques autoritaires des salaires, il s'agit<br />

d'institutions dont <strong>les</strong> effets de blocage sont évidents. C'est d'ailleurs<br />

l'effet recherché, puisque l'objectif des négociateurs est de<br />

déconnecter <strong>les</strong> rémunérations des influences du marché afin d'y<br />

substituer l'autorité d'un «accord national» - c'est-à-dire pour<br />

entériner et reproduire <strong>les</strong> inégalités de revenus précédemment<br />

acquises au profit des groupes de pression organisés.


156 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Les procédures de négociation collective bloquent le mécanisme<br />

de deux façons. D'abord en liant <strong>les</strong> revenus et <strong>les</strong> rémunérations<br />

entre eux, ce qui élimine le libre jeu du marché au niveau des secteurs,<br />

des sous-secteurs et des entreprises. Plus <strong>les</strong> décisions sont centralisées,<br />

et embrassent un grand nombre de métiers, d'activités,<br />

d'entreprises et de qualifications, plus il devient difficile de faire<br />

fonctionner <strong>les</strong> mécanismes de réallocation entre <strong>les</strong> « micromarchés<br />

».<br />

Bien sûr, certaines possibilités de « flexibilité» individuelle sont<br />

prévues. Mais on se heurte alors au deuxième problème: plus une<br />

négociation est centralisée, plus elle concerne un nombre important<br />

de groupes et de communautés, plus lentes seront nécessairement <strong>les</strong><br />

discussions et <strong>les</strong> prises de décision.<br />

CMmage classique, ch6mage institutionnel<br />

Jamais une négociation nationale ne pourra déterminer <strong>les</strong><br />

salaires (ou <strong>les</strong> prix) qui permettraient de rectifier la multitude de<br />

déséquilibres locaux qui, en conséquence du mouvement naturel de<br />

la vie économique et du progrès technique, affectent <strong>les</strong><br />

micromarchés. Les planificateurs interviennent avec des normes<br />

nationa<strong>les</strong>, régiona<strong>les</strong>, sectoriel<strong>les</strong>, etc. Mais, ces normes sont par<br />

nécessité aveug<strong>les</strong> aux besoins d'ajustement locaux, et ne peuvent<br />

empêc.her l'accumulation de microcrises dont l'addition fait la crise<br />

tout court. Au contraire, el<strong>les</strong> y <strong>sur</strong>ajoutent leurs propres contraintes<br />

arbitraires, et donc leurs propres effets pervers.<br />

Conséquence: nous vivons dans des économies mixtes dont la<br />

caractéristique est, sans annuler totalement le jeu des forces du<br />

marché, de <strong>les</strong> limiter à des niveaux d'agrégation intermédiaires plus<br />

ou moins élevés (selon <strong>les</strong> problèmes). C'est ab<strong>sur</strong>de. Plus cette<br />

tendance durera, plus elle s'affirmera, moins <strong>les</strong> mécanismes de<br />

coordination fonctionneront, plus grande sera la pression récessionniste,<br />

la dépression, le chômage, et donc la tentation inflationniste<br />

pour en retarder <strong>les</strong> conséquences. C'est une hérésie de<br />

croire qu'une «coordination» supérieure peut se substituer aux<br />

multip<strong>les</strong> procédures de coordination microloca<strong>les</strong> ou microsectoriel<strong>les</strong>.<br />

L'addition de microcoordinations donne une coordination


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 157<br />

globale. Mais l'inverse n'est pas vrai. C'est toute l'illusion de la<br />

macroéconomie traditionnelle dénoncée par Hayek dans son<br />

discours du Prix Nobel 1974.<br />

C'est ce chômage qui représente le véritable chômage<br />

«classique », décrit par <strong>les</strong> auteurs d'avant Keynes, pas celui que<br />

Keynes présente dans ses écrits, ni même celui aujourd'hui réinventé<br />

par Edmond Malinvaud; mais celui que Mises présente sous le<br />

qualificatif de «chômage institutionnel» [1311.<br />

Le ch6mage résulte non pas de ce que le « niveau général des<br />

salaires» est trop élevé et qu'il faudrait le réduire. Mais de ce que la<br />

jlexibiltté des salaires et des prix est, pour des raisons institutionnel<strong>les</strong><br />

et politiques, trop faible pour permettre aux réallocations de<br />

ressources de se dérouler dans des condtttons compatib<strong>les</strong> avec le<br />

maintien du plein emploi.<br />

Ce chômage se décompose en deux.<br />

Il y a d'abord le chômage que Mises qualifie de catallactique: la<br />

part de chômage qui est en tout état de cause inévitable parce que liée<br />

aux imperfections irréductib<strong>les</strong> de la nature des choses et de<br />

l'information humaine, et qui vient de ce que, par définition, dans le<br />

monde concret qui est le nôtre, du fait de l'existence du temps et du<br />

mouvement permanent des préférences et des innovations, ainsi que<br />

du caractère radicalement incertain de toutes nos décisions, on ne<br />

pourra jamais ambitionner d'as<strong>sur</strong>er à cent pour cent l'étanchéité de<br />

la loi des débouchés. Ce ch6mage est la contrepartie naturelle de la<br />

liberté d'agir, et représente la rançon inéluctable du progrès.<br />

Puis vient le chômage tnstitutionne~ celui qui tient aux cent et une<br />

manières dont nous nous débrouillons pour multiplier <strong>les</strong> entraves et<br />

<strong>les</strong> exceptions à la liberté de décision des entrepreneurs et qui, lui,<br />

pourrait être évité si nous ne nous étions pas laissés infester par de<br />

fausses théories.<br />

A son tour, ce chômage institutionnel se décompose en trois<br />

éléments :<br />

- d'une part, l'accroissement de chômage qui résulte de l'ada;ptation<br />

des comportements individuels aux nouvel<strong>les</strong> normes<br />

institutionnel<strong>les</strong> (par exemple l'allongement des durées de recherche<br />

d'un nouvel emploi du fait de l'amélioration des systèmes de


158 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

protection contre la perte d'emploi, ou parce que la rigidité des<br />

salaires décourage la mobilité intersectorielle) j<br />

- d'autre part, la part de chômage supplémentaire qui découle de<br />

tout ce qui, par la loi ou par l'action de certains groupes privés (ou la<br />

combinaison des deux) aggrave l'état des rigidités j<br />

- enfin, la part de chômage qui résulte de l'instabilité<br />

conjoncturelle que crée le contrôle monopolistique de la monnaie<br />

par des institutions d'État soumises à leur tour à l'influence des groupes<br />

de pression organisés.<br />

Le résultat est une analyse qui lie le chômage au développement<br />

des interventions de l'État et aux effets d'entraînement qu'il exerce <strong>sur</strong><br />

l'essor de l'activité des groupes de pression, en particulier des<br />

<strong>syndicats</strong>. On est amené à penser que le chômage est la caractéristique<br />

des sociétés évoluées mangées par la gangrène étatique.<br />

Le produit d'une perversIon de la démocratie<br />

La véritable origine des crises et dépressions qui frappent le<br />

marché du travail ne doit pas être recherchée dans <strong>les</strong> troub<strong>les</strong><br />

autonomes d'une «demande globale» défidente, mais dans la prolifération<br />

des entraves monétaires et des rigidités artifidel<strong>les</strong> qui, dans<br />

nos régimes d'économies mixtes, perturbent le libre jeu des contrats<br />

privés.<br />

Parmi ces entraves figurent évidemment toutes <strong>les</strong> rigidités<br />

d'origine réglementaire, administrative ou législative qui, sous l'alibi<br />

d'une politique sociale de « protection du travail », ont pour effet de<br />

déconnecter un nombre croissant de prix et de rémunérations du jeu<br />

d'un marché libre fonctionnant dans le cadre d'un État de droit<br />

garantissant à chacun le respect de ses droits de propriété et de la<br />

liberté des contrats. Figurent également <strong>les</strong> politiques délibérées<br />

d'inflation et d'atteinte au pouvoir d'achat de la monnaie (qui ne sont<br />

pas autre chose que des opérations camouflées de vol collectif et de<br />

dest1UCl1on du calcul économique individuel). Ou encore toutes ces<br />

subventions, officiel<strong>les</strong> ou occultes, directes ou indirectes, dont la<br />

rationalité n'est autre que de fausser <strong>les</strong> mécanismes de la concurrence<br />

au profit des groupes qui bénéficient des amitiés politiques <strong>les</strong><br />

plus solides.


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 159<br />

Nous savons aujourd'hui où se trouve la source de ce phénomène.<br />

Tout commence avec l'effacement de la notion classique d'« État de<br />

droit », et la trahison de la conception libérale de la démocratie au<br />

profit de l'idée moderne de souveraineté illimitée de la majorité.<br />

Ainsi que l'a expliqué Hayek, dès que le pouvoir législatif devient<br />

illimité, dès lors qu'il devient possible pour une majorité d'utiliser<br />

son droit de contrainte au profit des intérêts de tel ou tel groupe<br />

particulier, le pouvoir majoritaire se retrouve otage des groupes de<br />

pression en position de monnayer leur soutient parlementaire ou<br />

électoral. Dans de tel<strong>les</strong> circonstances, il est de plus en plus difficile<br />

pour la loi d'être l'expression d'une vision commune. Le résultat du<br />

travail législatif est le fruit d'un processus de marchandages politiques<br />

et électoraux. Il n'a plus rien à voir avec l'expression d'une conception<br />

réellement majoritaire des règ<strong>les</strong> de vie nécessaires au fonctionnement<br />

pacifique d'une société civilisée. Le corps social se transforme<br />

en un bateau ivre, dérivant au gré des coalitions de rencontre.<br />

On a un résultat - en termes de contraintes imposées aux individus -<br />

qui n'a plus rien à voir avec ce <strong>sur</strong> quoi il serait possible de dégager un<br />

consensus majoritaire.<br />

Puisque désormais on considère normal que l'état prenne aux uns<br />

ce qu'il juge bon de donner aux autres, il est inévitable que tous ceux<br />

qui partagent des intérêts communs trouvent légitime de s'organiser<br />

pour résister aux entreprises de spoliation que d'autres nourrissent à<br />

leur égard, ou encore pour utiliser à leur tour, à leur propre bénéfice,<br />

le pouvoir de contrainte, apanage de la fonction politique. On entre<br />

dans un engrenage cumulatif où la définition des droits n'est plus le<br />

produit de règ<strong>les</strong> généra<strong>les</strong> et abstraites acceptées pacifiquement par<br />

tous, mais l'aboutissement d'un processus où un nombre croissant de<br />

groupes et de sous-groupes organisés en forces de pression et de<br />

chantage s'affrontent pour kidnapper à leur avantage le monopole de<br />

la violence étatique, et obtenir ainsi, par la voie du «marché<br />

politique », ce qu'il faut bien appeler des privilèges» (qui ne sont euxmêmes<br />

que la contrepartie d'autres privilèges gagnés de haute lutte<br />

par d'autres groupes par rapport auxquels, tout à fait légitimement,<br />

on ne veut pas se trouver en reste).<br />

Dans cette perspective, nous sommes tous en cause. Il n'est pas<br />

possible de jeter plus la pierre à l'un qu'à l'autre. L'efficacité politique


160 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

des lobbies agrico<strong>les</strong>, ou la capacité de certaines entreprises privées<br />

et publiques à circonvenir à leur avantage l'autorité des administrations,<br />

ne sont pas moins coupab<strong>les</strong> que l'habileté des <strong>syndicats</strong> à<br />

nous faire croire qu'ils parlent au nom des intérêts de tous <strong>les</strong><br />

travailleurs.<br />

Il n'en reste pas moins que, dans cette jungle, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

ouvriers bénéficient d'un avantage institutionnel qui <strong>les</strong> met à part, et,<br />

en conséquence, aggrave leur responsabilité (sans pour autant réduire<br />

celle des autres) : il s'agit du droit de grève.<br />

La grève, ou le droit au chantage ...<br />

Imaginez que vous entriez en possession d'une belle fortune. Vous<br />

investissez dans l'industrie, une industrie lourde (comme l'acier).<br />

L'investissement est important, il a une longue durée de vie, et une<br />

fois que vous avez fait vos plans, vous êtes pour longtemps prisonnier<br />

de votre décision.<br />

On ne se débarrasse pas d'une aciérie - ou de tout autre<br />

investissement industriel à caractère spécialisé - comme on se<br />

débarrasse d'une obligation, ou même d'une action en bourse. Le<br />

propriétaire capitaliste, s'il est un homme riche, est aussi un homme<br />

dont la fortune est « immobilisée» dans des emplois dont il n'est pas<br />

toujours aisé de se dégager (même lorsqu'il existe un marché<br />

financier actiO. C'est un «prisonnier», un « otage» pourrait-on<br />

dire; otage de tous ceux qui, à un moment ou à un autre peuvent être<br />

tentés d'utiliser <strong>les</strong> moyens de chantage que leur offre leur position au<br />

sein des systèmes complexes de production mis en place et financés<br />

par cet homme.<br />

L'exemple qui traduit le mieux cette position d'otage est celui<br />

offert par la théorie des quasi-rentes [99].<br />

Un imprimeur reçoit une commande très spéciale qui l'oblige à<br />

acheter une machine ultrasophistiquée. Avant de l'acheter, il est<br />

convenu avec son client d'un prix pour rémunérer ses services. Ce<br />

prix couvre <strong>les</strong> frais d'achat et d'amortissement de la machine, ainsi<br />

que <strong>les</strong> frais de production et la rémunération normale des services de<br />

l'entrepreneur. On suppose qu'en l'absence de cette commande<br />

particulière, la seule possibilité que le propriétaire de la machine ait


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 161<br />

soit d'en louer l'usage pour un autre travail dont la valeur marchande<br />

est seulement la moitié du revenu que devrait lui rapporter l'affaire<br />

conclue avec son premier client. S'il n'est pas très sérieux, ou s'il ne<br />

se préoccupe guère de ce que risque de lui coûter demain sa mauvaise<br />

réputation, celui-ci peut être tenté d'utiliser la situation dans laquelle<br />

il se trouve pour lui imposer une révision unilatérale du prix convenu,<br />

et le fixer à un niveau très inférieur. A la limite, revenant <strong>sur</strong> sa parole,<br />

on peut imaginer qu'il impose à son fournisseur de faire le travail à la<br />

moitié du prix originellement convenu. Compte tenu des coûts de<br />

transaction nécessaires pour reconvertir la machine à un nouvel usage<br />

(plus <strong>les</strong> coûts que représente la recherche d'un nouveau client) et<br />

sachant qu'en raison de son caractère spécifique le prix de revente de<br />

la machine est très faible, l'entrepreneur à intérêt à accepter, même à<br />

moitié prix. Il perdra de l'argent, mais cette perte sera moins grande<br />

que cel<strong>les</strong> qu'il aurait à subir dans toutes <strong>les</strong> autres solutions possib<strong>les</strong>.<br />

La différence entre le prix contractuellement accepté, et le prix<br />

finalement imposé par le comportement indélicat de son client,<br />

représente la quasi-rente que ce dernier s'approprie au détriment de<br />

l'entrepreneur. C'est une véritable « expropriation» de valeur, un vol<br />

qui s'applique à une valeur produite par l'entrepreneur et sienne en<br />

toute justice.<br />

Ce genre de comportement crée un double préjudice. A<br />

l'encontre de l'imprimeur bien entendu, et de ses salariés. Mais aussi<br />

à l'encontre de la collectivité tout entière. Les investissements auront<br />

en effet tendance à bouder <strong>les</strong> activités où, en raison de leurs<br />

caractéristiques propres, de tels abus sont possib<strong>les</strong> j et cela même<br />

s'ils n'ont pas d'autre choix que de s'investir dans des secteurs a priori<br />

moins rentab<strong>les</strong>. L'économie y perdra en efficacité.<br />

C'est pour cela qu'existent <strong>les</strong> tribunaux et que leur rôle est de faire<br />

appliquer <strong>les</strong> contrats - et ainsi de réduire <strong>les</strong> probabilités de<br />

ruptures abusives. La réduction des risques encourus par <strong>les</strong> entreprises<br />

est alors un facteur de plus grande efficience économique : plus<br />

de capital investi, plus forte productivité, donc des salaires plus<br />

élevés. L'action de la justice est un « bien» économique comme un<br />

autre.<br />

La grève est une stratégie qui n'est pas fOndamentalement<br />

différente de celle du client de l'imprimeur. Il s'agit également d'un


162 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

chantage où l'entrepreneur est l'otage du syndicat qui réussit à<br />

obtenir de ses membres une cessation concertée du travail.<br />

La grève a, <strong>sur</strong> le circutt économique, <strong>les</strong> mêmes effets négatifs que<br />

<strong>les</strong> autres formes d'entraves<br />

Si l'entrepreneur cède, le préjudice est identique. Préjudice pour<br />

l'entreprise qui supportera des coûts plus élevés, perdra des<br />

commandes, financera plus difficilement son développement futur.<br />

Préjudice pour l'entrepreneur: qui dit coûts plus élevés, perte de<br />

marché, dit aussi chute du cours des actions et de la valeur de la firme.<br />

La différence entre le prix des actions avant et après la grève me<strong>sur</strong>e<br />

l'effet d'expropriation, le transfert de richesse, la quasi-rente dont <strong>les</strong><br />

propriétaires sont victimes. Préjudice collectif enfin: un secteur où<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont puissants et <strong>les</strong> grèves fréquentes est un secteur dont<br />

<strong>les</strong> capitaux auront tendance à s'échapper, pour s'investir dans<br />

d'autres activités à moindre productivité.<br />

Même s'il est relativement immobile, on ne peut pas<br />

« exploiter» le capital de manière permanente. A son tour, il «se met<br />

en grève », en s'investissant ailleurs. Les capitaux ainsi déplacés généreront<br />

moins de profits, moins d'épargne, moins d'accumulation. La<br />

productivité des gens auxquels ils fournissent un emploi étant moins<br />

forte que celle des gens auxquels ils auraient donné du travail s'ils<br />

étaient restés dans leur secteur initial de placement, ils nourrissent en<br />

définitive des salaires, et donc des pouvoirs d'achat, plus faib<strong>les</strong>.<br />

La grève est une stratégie privée qui a <strong>sur</strong> l'activité, <strong>les</strong> revenus,<br />

l'emploi... des effets négatifs identiques à ceux qu'entraînent toutes<br />

<strong>les</strong> autres formes d'entraves à la production évoquées plus haut.<br />

Toutes <strong>les</strong> grèves ne sont pas spoliatrices. Lorsqu'un arrêt de<br />

travail intervient dans une entreprise dont <strong>les</strong> dirigeants s'efforcent de<br />

maintenir, contre leur propre intérêt, un niveau des salaires inférieur<br />

à celui de leurs concurrents, la grève agit comme une sorte<br />

d'auxiliaire des forces du marché : elle hâte une évolution qui, sans<br />

elle, aurait mis plus de temps à se réaliser. Mais l'expérience, et l'aveu<br />

même des <strong>syndicats</strong> (dont l'ambition est de hisser tous <strong>les</strong> salaires audessus<br />

de leur prix de marché) montrent qu'il s'agit là de situations<br />

très exceptionnel<strong>les</strong>.


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 163<br />

Le droIt de grève, un défI à l'État de droIt<br />

Ces deux situations ont beaucoup en commun. Dans <strong>les</strong> deux cas,<br />

des personnes privées, agissant pour leur propre compte ou de<br />

concert, s'approprient une valeur quI ne leur appartIent pas, et<br />

réduisent simultanément le pouvoir d'achat d'un grand nombre<br />

d'autres qu'el<strong>les</strong> ne connaissent pas et qui, el<strong>les</strong>, ne tirent aucun<br />

avantage de ce transfert.<br />

Mais il y a néanmoins une grande différence.<br />

Dans <strong>les</strong> affaires, lorsqu'un conflit de ce genre oppose deux<br />

entrepreneurs, on fait appel aux tribunaux. Leur rôle est de retrouver<br />

<strong>les</strong> engagements souscrits et de <strong>les</strong> faire appliquer. Lorsqu'il n'y a pas<br />

de contrat écrit, on se tourne vers la coutume et <strong>les</strong> usages commerciaux<br />

en vigueur. Celui qui a causé un tort à l'autre se voit imposer<br />

de le réparer en lui versant une indemnité compensatrice.<br />

Conséquence: même si on ne peut pas totalement l'éliminer, ce<br />

genre de comportement reste une exception. Le contexte institutionnel<br />

en freine la généralisation, et limite donc son coût C'est ainsi<br />

que le droit favorise l'efficience et la croissance économique.<br />

Là encore, l'idéal n'existe pas. Les fraudeurs, <strong>les</strong> escrocs, <strong>les</strong><br />

indélicats, <strong>les</strong> parasites font partie de l'univers humain et de sa<br />

diversité. On n'arrivera jamais à éliminer tous <strong>les</strong> comportements<br />

opportunistes. Mais <strong>les</strong> principes juridiques du respect des contrats et<br />

de la responsabilité personnelle des auteurs d'actes frauduleux ou<br />

indélicats, permettent précisément d'en limiter l'ampleur.<br />

Bien sûr, il faut tenir compte des coûts de fonctionnement de la<br />

justice. Lorsqu'il s'agit de conflits mineurs, où <strong>les</strong> enjeux financiers ne<br />

sont pas trop importants, ceux qui sont lésés hésitent souvent à<br />

déposer plainte et à poursuivre en raison des délais et des coûts que<br />

cela implique. Mais, même dans ces cas, l'expérience montre que,<br />

lorsqu'il y a liberté des contrats, <strong>les</strong> professionnels s'organisent spontanément<br />

pour élaborer des systèmes de clauses contractuel<strong>les</strong> dont la<br />

caractéristique est de réduire <strong>les</strong> avantages personnels que <strong>les</strong> tricheurs<br />

sont susceptib<strong>les</strong> de retirer de ces pratiques. Au total, lorsque<br />

l'État ne réduit pas arbitrairement <strong>les</strong> conditions d'exercice de la<br />

liberté de contracter, tout se passe comme si le libre fonctionnement


164 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

du marché conduisait à une sorte d'« optimum» de fraude ou de<br />

chantage.<br />

Lorsqu'il s'agit de <strong>syndicats</strong> et de grèves ouvrières, <strong>les</strong> choses sont<br />

fort différentes.<br />

L'une des caractéristiques du droit du travail n'est pas seulement<br />

de multiplier <strong>les</strong> protections individuel<strong>les</strong> contre <strong>les</strong> excès de pouvoir<br />

des employeurs, mais aussi de sortir l'exercice effectif du droit de<br />

grève du régime commun de la responsabilité.<br />

La France, <strong>sur</strong> un plan formel, est encore un pays où le laxisme du<br />

droit au regard de la réglementation des actes de grève reste<br />

relativement limité. C'est en Angleterre et dans <strong>les</strong> pays nordiques<br />

que l'évolution a été le plus loin, avec la mise en place d'un régime<br />

juridique qui accorde l'impunité aux <strong>syndicats</strong>, aux militants et à leurs<br />

dirigeants, même lorsque le déroulement d'une grève s'accompagne<br />

de voies de fait et d'actes délictueux de droit commun. Mais, au-delà<br />

de ces différences apparentes, l'évolution est un peu partout la<br />

même: au nom d'une conception abusive de la protection des faib<strong>les</strong><br />

contre <strong>les</strong> forts, l'habitude s'est prise d'accepter des militants des<br />

mouvements ouvriers et des grévistes tout un ensemble de pratiques,<br />

d'actes et de comportements qui sont en théorie contraires au droit,<br />

et qu'on ne tolérerait pas de la part d'autres personnes.<br />

La loi abaisse <strong>les</strong> « coats de la violence» seulement pour certains<br />

Par exemple, on accepterait difficilement de voir un client<br />

occuper le bureau d'un fournisseur, le mo<strong>les</strong>ter et le frapper pour<br />

obtenir de lui qu'il baisse son prix: voie de fait passible de la<br />

correctionnelle. Dès lors que ce sont des syndicalistes, appartenant à<br />

une grande centrale, qui séquestrent des cadres, on s'agite, on proteste,<br />

mais il n'est pas certain que l'on dépose toujours plainte; et<br />

lorsque plainte il y a, on n'est pas toujours as<strong>sur</strong>é que la procédure ira<br />

jusqu'à son terme. Les entreprises qui craignent des représail<strong>les</strong><br />

syndica<strong>les</strong> encore plus violentes et coûteuses, hésitent à porter <strong>les</strong><br />

agressions dont el<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> victimes devant <strong>les</strong> juges. Les<br />

responsab<strong>les</strong> de l'ordre public, le gouvernement lui-même, hésitent<br />

parfois à faire appliquer <strong>les</strong> décisions de justice ...


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 165<br />

Lorsqu'un sous-traitant annonce à son client qu'il a décidé de<br />

cesser de travailler <strong>sur</strong> la commande qui lui a été passée, à moins<br />

qu'on ne la lui paie plus cher, le juge ne prend pas de gants: il s'agit<br />

d'un banal cas de rupture de contrat qui sera sanctionné comme tel et<br />

n'ouvrira pas d'autres droits que ceux qui figurent dans le contrat.<br />

Lorsque des fournisseurs s'entendent pour ne plus livrer un même<br />

client, il s'agit d'un acte de boycott concerté, puni au nom des lois<br />

antitrusts. Lorsque des travailleurs s'organisent pour cesser le travail,<br />

on considère qu'il y a simplement suspension temporaire du contrat<br />

de travail, et non rupture. Même s'il peut refuser le paiement des<br />

heures non travaillées (ce qui souvent n'est pas effectiO, l'employeur<br />

ne peut refuser de reprendre le gréviste, ni demander aux organisations<br />

responsab<strong>les</strong> réparation des dommages commerciaux qui<br />

résultent de leur opération de chantage. Tout se passe comme si<br />

l'employé était devenu en quelque sorte propriétaire de son job<br />

O'évolution contemporaine du droit du travail s'analysant, notamment<br />

à travers <strong>les</strong> lois Auroux, comme un effort systématique pour<br />

renforcer cette « propriété »).<br />

Résultat: ce qui est le droit commun lorsqu'il y a violence dans<br />

notre société, a cessé d'être le droit dès lors qu'il s'agit d'activités ou<br />

même de violences syndica<strong>les</strong> perpétrées ou non à l'occasion de<br />

conflits du travail. Il y a des réactions, des <strong>sur</strong>sauts, des efforts pour<br />

renverser le courant (cf. la nouvelle législation britannique introduite<br />

par le gouvernement de Madame Thatcher) [77]. La situation diffère<br />

en degré selon <strong>les</strong> pays, ou selon <strong>les</strong> circonstances politiques. Mais<br />

partout s'est affirmé le même principe: ce qui est noir pour tous est<br />

blanc pour le syndicat. On est revenu, dans le domaine du droit du<br />

travail, comme nous l'avons déjà souligné, à une sorte de société<br />

féodale où c'est le statut qui faU le droit 1<br />

Du point de vue de l'équité, on ne peut pas dire que la justice y<br />

trouve son compte. Du point de vue de l'efficacité économique, ou<br />

même de la justice devant l'emploi ou le risque du chômage, <strong>les</strong><br />

choses sont encore plus graves: de tels privilèges (car ce sont des<br />

prlvl~ges, au sens propre du terme) signifient qu'Il y a au moins une<br />

partie de la population pour qui le droit de faire chanter <strong>les</strong> autres,<br />

ou de se livrer ta de véritab<strong>les</strong> opérattons d'extorsion par la violence,<br />

est désormais gratuU, dAltvré de toute sanction et responsabtlltl.


166 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

De tous <strong>les</strong> groupes de pression, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont <strong>les</strong> seuls pour<br />

qui <strong>les</strong> coûts de la violence (ou du chantage) sont <strong>les</strong> plus bas, et ont<br />

été <strong>les</strong> plus abaissés. Ils auraient eu tort de s'en priver. Cette violence<br />

a <strong>les</strong> mêmes effets économiques que <strong>les</strong> restrictions forcées de<br />

production imposées par la contrainte publique. D'où la conclusion<br />

que, parmi tous <strong>les</strong> groupes de pression qui assiègent la société, <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> portent une responsabilité particulièrement directe dans le<br />

développement de ces conséquences de la violence économique que<br />

sont le chômage et le sous-emploi (q.l'ils sont pourtant <strong>les</strong> premiers à<br />

dénoncer véhémentement).<br />

Il n'est pas difficile d'imaginer ce que peut être la réponse des<br />

défenseurs de l'institution syndicale. Essayons de la reconstituer.<br />

j'existe, nous dira le syndicat, au nom de la liberté d'association,<br />

reconnue par la Constitution en application de la Déclaration des droits<br />

de l'homme. Si tout homme a le droit de s'associer avec d'autres<br />

personnes de son choix, pourquoi pas <strong>les</strong> salariés Le leur interdire,<br />

comme c'était le cas au siècle dernier, revient à <strong>les</strong> traiter en êtres<br />

inférieurs, en sous-hommes. C'est par définition le contraire d'une<br />

attitude libérale. Tel est précisément l'objectif du syndicalisme que de<br />

leur rendre leur pleine dignité d'êtres humains. Si <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> existent,<br />

c'est parce qu'il existe une inégalité de rapport de forces entre le salarié,<br />

lorsqu'il est isolé, et son employeur. Mon rôle, en tant que syndicat, est<br />

de corriger, de compenser cette assymétrie par l'union des travailleurs.<br />

L'altbt « uttlttariste» du syndtcat<br />

Nous avons vu dans un autre chapitre ce qu'il faut penser de cet<br />

argument. Mais regardons comment continue sa logique.<br />

La force qui permet de compenser l'inégalité de négociation entre<br />

l'employeur et l'employé, ne vient pas seulement de la réunion des<br />

salariés en un syndicat, mais également et <strong>sur</strong>tout du droit qui lui est<br />

reconnu de décider et de mener une action de grève. C'est cette capacité<br />

de cesser collectivement le travail qui, en donnant aux travailleurs le<br />

moyen d'infliger des coûts non négligeab<strong>les</strong> à l'employeur, permet<br />

effectivement de corriger l'assymétrie dont ils sont traditionnellement <strong>les</strong><br />

victimes <strong>sur</strong> le marché.


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 167<br />

Autrement dit, dans cette optique, le syndicat n'est que l'organe<br />

qui permet aux travailleurs d'acc~der à la grève qui, elle, est le<br />

v&itable instrument qui permet de supprimer l'inf&iorlt~ du sala~.<br />

Maintenant, ajoute le syndicat, encore faut-il pour que l'inégalité soit<br />

vraiment compensée, que le patronat n'ait pas <strong>les</strong> moyens de saboter<br />

mon action. Comment En utilisant <strong>les</strong> services de « jaunes». Si <strong>les</strong><br />

entreprises ont le droit d'embaucher d'autres gens pour remplacer, ~<br />

leurs postes, <strong>les</strong> grévistes, la grève ne sert plus ~ rien. En jouant <strong>les</strong> jaunes<br />

contre <strong>les</strong> grévistes, on rétablit <strong>les</strong> conditions initia<strong>les</strong> pour lutter, contre<br />

<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> le syndicat a précisément été créé. Il est donc légitime que<br />

nous réclamions la légalisation de l'activité des piquets de grève.<br />

Mais, si des briseurs de grève se présentent, que vont faire mes gars,<br />

si ceux d'en face n'écoutent pas leurs appels ~ la solidarité Nous<br />

exigeons donc le droit de recourir ~ la violence pour <strong>les</strong> empêcher de<br />

passer et de saboter ainsi notre action. Au nom de quel principe Le<br />

même que celui qu'utilisent <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> anglo-saxons pour justifier la<br />

pratique de la c/osed shop; au nom de l'argument que l'action du syndicat<br />

est un « bien collectif », avec tous <strong>les</strong> inconvénients que cela représente.<br />

Si nous réussissons ~ faire fléchir le patronat, tous <strong>les</strong> gars en<br />

profiteront, même ceux qui n'ont pas activement collaboré. Même <strong>les</strong><br />

« jaunes ». Ce faisant, même si je travaille pour eux, <strong>les</strong> salariés ne<br />

viendront pas m'aider, sauf si je trouve des moyens puissants pour <strong>les</strong> y<br />

inciter, voire <strong>les</strong> y contraindre. Le problème est d'ailleurs d'autant plus<br />

grave qu'en période de grève, la raréfaction de la main-d'œuvre fera<br />

monter <strong>les</strong> salaires offerts aux « jaunes ». En l'absence de tout mécanisme<br />

compensateur, le marché joue en faveur du patron, et contre l'action<br />

syndicale. C'est pourquoi nous sommes bien obligés d'utiliser la<br />

contrainte ~ l'égard de tous ceux qui ne rejoignent pas spontanément nos<br />

rangs.<br />

Cette contrainte se justifie par le gain collectif qui résultera de notre<br />

action collective; ou, dit ~ l'envers, par le « coût collectif» que l'individu<br />

impose ~ la collectivité par le fait qu'il se comporte en passager<br />

clandestin <strong>sur</strong> notre action militante.<br />

L'argument a une structure strictement utilitariste: si tous <strong>les</strong><br />

individus ne collaborent pas, un «gain collectif» ne sera pas produit,<br />

qui aurait pu l'être s'ils avaient collaboré. Comme la structure des<br />

incitations du marché est telle qu'elle ne <strong>les</strong> conduit pas ~ collaborer,<br />

il faut bien <strong>les</strong> «contraindre» pour que ce «bien collectif» soit<br />

produit.


168 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

A ceux qui feraient remarquer qu'une telle légitimation de la<br />

violence conduit à l'anarchie, que ce qu'on accorde aux associations<br />

d'ouvriers il n'y a pas de raison de le refuser aux associations<br />

d'agriculteurs, de taxis, de routiers, etc., lorsqu'il barrent <strong>les</strong> routes,<br />

brûlent ou attaquent la propriété d'autrui, le syndicat rétorquera fort<br />

simplement: « Vous voulez éviter la violence, fort bien. Il y a un<br />

moyen très simple. Faites une loi qui prescrira que lorsque la grève est<br />

votée par une majorité, elle est obligatoire pour tous <strong>les</strong> autres. »<br />

Comment cet alibi s'effondre<br />

Une telle réponse est évidemment contraire à la conception<br />

libérale du «droit au travail» (conçu comme « la liberté de<br />

travailler »). Mais, reconnaissons qu'elle ne manque pas de force<br />

logique : « De deux choses l'une, répliquera le syndicaliste; ou bien<br />

c'est à toute forme de contrainte que vous vous opposez, ou bien c'est<br />

seulement à la contrainte des <strong>syndicats</strong>. Si vous êtes dans le premier<br />

cas, vous ne pouvez pas refuser la contrainte syndicale et accepter<br />

celle de la police. Vous devez tout refuser en bloc: et le syndicat, et la<br />

police, et l'État, puisque ces institutions se fondent pareillement <strong>sur</strong><br />

un argument de « bien collectif ». On ne peut pas avoir deux poids<br />

deux me<strong>sur</strong>es. A l'inverse, si vous acceptez que des arguments de bien<br />

collectif justifient l'existence de l'État, d'une police, d'une justice,<br />

vous devez, pour rester cohérent, accepter l'existence des <strong>syndicats</strong>;<br />

et comme <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ne pourraient exister si la loi ne prévoit pas un<br />

certain nombre de dispositions pour contraindre <strong>les</strong> salariés à<br />

soutenir leur action, vous devez accepter la reconnaissance de ces<br />

privilèges et superprivilèges que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> réclament pour<br />

fonctionner et produire ce bien collectif qui ne sera jamais produit si<br />

nous n'avons pas <strong>les</strong> moyens d'être efficaces. »<br />

« Là encore, conclura le syndicat, c'est une question de cohérence.<br />

Ou vous acceptez l'argument « utilitariste» de la supériorité du<br />

bien collectif et vous devez reconnaître que nos demandes sont<br />

justifiées. Ou vous ne l'acceptez pas, mais c'est alors l'existence<br />

même de l'État que vous devez également remenre en cause. »<br />

L'argument est apparemment imparable. La violence syndicale<br />

serait-elle légitime, comme l'est celle de l'État


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 169<br />

Réponse: l'argument est imparable, mais pour autant seulement<br />

que l'on accepte la validité des deux thèses <strong>sur</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il est<br />

logiquement construit: la thèse de l'assymétrie, et l'idée que le<br />

syndicat apporte un «bien collectif»; un bien collectif qui n'est pas<br />

seulement de nature microéconomique (au bénéfice d'un petit<br />

nombre d'hommes, membres d'une collectivité restreinte, et partageant<br />

un intérêt commun), mais également macroéconomique - à<br />

savoir: bon pour tout le monde, pour tous <strong>les</strong> salariés, quelle que<br />

soit leur industrie ou leur activité.<br />

Si l'on démontre, comme cela a été fait dans ce livre que ces deux<br />

postulats sont faux: 1) que la thèse de l'assymétrie découle d'un nonsens<br />

conceptuel, fruit d'une erreur de raisonnement; 2) que le<br />

postulat selon l'action des <strong>syndicats</strong> pourrait permettre à tous <strong>les</strong><br />

travailleurs de bénéficier d'un pouvoir d'achat plus élevé est<br />

également le produit d'une série d'erreurs de logique économique;<br />

alors tout s'effondre, tous <strong>les</strong> arguments utilisés pour justifier <strong>les</strong><br />

privilèges des <strong>syndicats</strong> disparaissent.<br />

Il n'existe aucun argument économique par lequel on puisse<br />

justifier que l'exercice du droit de grève bénéficie de privilèges<br />

juridiques hors du droit commun.<br />

Le problème, ce sont <strong>les</strong> privilèges<br />

Le droit d'association - donc le droit de former, d'animer ou de<br />

militer au sein d'un syndicat - est l'un des droits fondamentaux<br />

couverts par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. De<br />

même, le droit de faire grève - c'est-à-dire le droit de participer à<br />

une cessation concertée du travail - est une liberté fondamentale qui<br />

découle du fait qu'on ne peut reconnaître à aucun individu un droit de<br />

propriété <strong>sur</strong> la personne de quelqu'un d'autre.<br />

Ce qui fait problème, ce sont <strong>les</strong> privilèges hors du droit commun<br />

que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> réclament pour eux et pour leurs membres.


170 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Annexe au chapitre 4<br />

Le travailleur« propriétaire JI<br />

de son emploi<br />

Le syndicat tient sa puissance d'un droit inscrit dans le préambule de la<br />

Constitution de 1946: la grève.<br />

Il a le pouvoir légal d'user de la violence, ou de la menace de la violence,<br />

même s'il est minoritaire, pour contraindre l'employeur, par un arrêt concerté<br />

du travail, à renégocier le contrat de travail sans que celui soit rompu.<br />

La grève ne rompt pas le contrat, elle le suspend. L'employeur ne peut se<br />

séparer d'un gréviste pour le seul motif qu'il désire renégocier le contrat de<br />

travail. En revanche, la suspension du contrat interrompt le paiement.<br />

L'employeur n'est pas tenu de payer le salaire des gens en grève, bien que<br />

très souvent une des conditions de la reprise du travail est précisément le<br />

paiement des journées de grève.<br />

La grève perlée (faute d'un arrêt concerté du travail), et la grève politique<br />

(sans remise en cause des clauses du contrat) sont interdites.<br />

L'occupation des locaux en dehors des heures ouvrab<strong>les</strong> est prohibée<br />

pour atteinte au droit de propriété. Les piquets de grève sont interdits pour<br />

atteinte à la liberté du travail, comme l'est également le loci, out (sauf cas de<br />

force majeure).<br />

L'employeur peut prendre du personnel de remplacement (mais ne peut<br />

pas faire appel à du personnel d'agences de travail temporaire). Il peut soustraiter<br />

ou déplacer sa production dans une autre usine.<br />

Aucune protection n'est accordée aux grévistes si la grève est illicite.<br />

Dans le cas contraire, le gréviste ne peut subir aucun préjudice par suite de<br />

son action collective; en particulier aucune me<strong>sur</strong>e discriminatoire en<br />

matière de paiement ou d'avantage en nature lié à l'emploi ne peut être<br />

commise à son égard par le patron. La prime d'assiduité peut toutefois être<br />

supprimée.<br />

Dans beaucoup de pays, <strong>les</strong> piquets de grève sont autorisés,<br />

l'occupation des lieux aussi. Dans certains (au Québec par exemple) la loi<br />

interdit expressément à la firme de faire appel à du personnel temporaire, à<br />

une sous-traitance, ou encore de déménager sa production.<br />

La France, sous cet angle, n'est pas le pays le plus rigoureux. Cependant,<br />

le droit de grève demeure une atteinte profonde au droit de propriété à la fois<br />

des patrons comme des employés non syndiqués. Il est anormal que le


LES CRISES, LE CHÔMAGE ET LES SYNDICATS 171<br />

contrat de travail ne soit pas rompu alors qu'une des parties en dénonce<br />

précisément certaines clauses (le salaire).<br />

En toute rigueur, l'employeur devrait être délié du contrat lorsqu'il y a<br />

refus des employés de continuer à travailler aux mêmes termes de l'échange,<br />

et pouvoir faire appel à d'autres personnes prêtes à travailler pour le prix<br />

précédemment offert. S'il ne trouve personne à ce prix, il l'augmentera, et de<br />

nouveaux contrats seront renégociés à un salaire plus élevé. Lorsqu'un<br />

employé reçoit une offre d'emploi ailleurs à un salaire plus rémunérateur,<br />

rien ne l'empêche de proposer à son patron de renégocier <strong>les</strong> termes de son<br />

contrat. Si ce dernier refuse, il a la liberté de démissionner. Cette assymétrie<br />

est choquante en droit. On démontre qu'elle se fonde <strong>sur</strong> des arguments<br />

économiques contestab<strong>les</strong>.<br />

Un droit-créance n'est pas un droit individuel<br />

Le fait que la loi autorise l'arrêt concerté du travail dans le but de<br />

renégocier <strong>les</strong> termes du contrat de travail, sans entraîner sa rupture, revient à<br />

reconnaître aux salariés un «droit de propriété» <strong>sur</strong> leur emploi. Mais ce<br />

droit de propriété ne peut être satisfait qu'au prix d'une double violation des<br />

droits de propriété de l'employeur et des non syndiqués prêts à s'embaucher<br />

éventuellement à un prix inférieur. Par définition, un droit qui ne peut être<br />

satisfait qu'au prix de la violation d'autres droits individuels, ne peut être<br />

considéré comme un droit, au sens de la Déclaration des droits de l'homme.<br />

Il ne peut pas exister de «droit à l'emploi ». Seul existe le droit individuel<br />

au travail, c'est-à-dire le droit à la liberté de travailler. Toute entrave privée ou<br />

institutionnelle qui a pour conséquence d'enlever à un individu la possibilité<br />

de travailler dans un emploi qu'il est volontairement prêt à accepter aux<br />

conditions qui lui sont offertes, est une atteinte à ses droits personnels.<br />

Personne n'a une créance <strong>sur</strong> la société qui l'autorise à exiger qu'on lui<br />

offre un emploi auquel il aurait droit. Un droit-créance n'est pas, et ne peut<br />

pas être un droit, même si le législateur désire qu'il en soit ainsi. Un droitcréance<br />

n'est qu'un objectif souhaitable fixé à la politique des pouvoirs<br />

publics. Ce n'est qu'une manière commode et politiquement payante<br />

d'affirmer que l'objectif de ceux qui gouvernent doit être autant que possible<br />

d'as<strong>sur</strong>er aux citoyens <strong>les</strong> meilleures conditions d'emploi et de travail<br />

possib<strong>les</strong>.<br />

Fixer cet objectif à l'action des pouvoirs publics ne signifie pas pour<br />

autant que <strong>les</strong> droits individuels des personnes doivent y être sacrifiés<br />

puisque, par construction, la caractéristique de ces droits est de définir <strong>les</strong><br />

limites mora<strong>les</strong> de l'action que l'État ne doit pas franchir.<br />

L'une des découvertes de la théorie économique est de démontrer que<br />

l'objectif souhaitable défini par la notion d'un droit-créance à l'emploi ne


172 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

peut être réalisé au mieux que dans une société qui respecte <strong>les</strong> contraintes<br />

de l'État de droit, et condamne, moralement, mais aussi par l'action de sa<br />

justice, toutes <strong>les</strong> violences individuel<strong>les</strong> ou collectives, privées ou<br />

institutionnel<strong>les</strong>, faites aux droits individuels.


5<br />

Les <strong>syndicats</strong> et la démocratie<br />

Les <strong>syndicats</strong> ont leurs lettres de nob<strong>les</strong>se en matière de<br />

démocratie. La liberté syndicale est venue compléter la liberté<br />

d'association en 1874. EIIe est une des libertés publiques fondamenta<strong>les</strong>,<br />

et c'est à juste titre qu'on peut la considérer comme un droit du<br />

citoyen.<br />

Des <strong>syndicats</strong> particulièrement courageux se sont dressés contre<br />

des gouvernements totalitaires et ont permis à leurs concitoyens de<br />

reconquérir leur liberté. Le syndicalisme reste bâillonné en Union<br />

soviétique comme il l'était dans la plupart des pays communistes.<br />

Traditionnellement, il était soumis à la hiérarchie du Parti, suivant un<br />

principe que Lénine avait clairement posé:<br />

Il faut user de tous <strong>les</strong> stratagêmes, user de ruse, adopter des procédés<br />

illégaux, se taire parfois, parfois voiler la vérité, à seule fin d'entrer dans<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, d'y rester et d'y accomplir malgré tout la tâche communiste.<br />

On ne peut donc manquer de saluer comme il convient <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> comme Solidarité qui, en dépit des risques courus, ont<br />

plaidé pour la liberté syndicale et pour <strong>les</strong> libertés publiques. Ils ont<br />

réussi. Bravo et merci.<br />

Le rôle démocratique du syndicat n'a pas échappé au pape Jean­<br />

Paul II dans son encyclique Laborum Exercens. S'appuyant <strong>sur</strong> son


174 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

expérience polonaise, Jean-Paul II n'hésite pas à considérer le<br />

syndicat comme le garant de la liberté et de la dignité des travailleurs<br />

contre <strong>les</strong> abus du pouvoir politique. Il est d'ailleurs à remarquer que,<br />

chaque fois que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont contribué à la cause de la<br />

démocratie, c'était en arrachant au pouvoir politique des libertés<br />

supplémentaires. A l'inverse, quand <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> prétendent s'en<br />

prendre au pouvoir patronal dans une optique de lutte des classes, ils<br />

ont fait alliance avec le pouvoir politique et ont agi dans le sens d'une<br />

restriction des libertés plutôt que d'un élargissement<br />

On comprend ainsi l'erreur qui a été commise naguère avec le<br />

Programme commun de la Gauche, qui non seulement conduisait <strong>les</strong><br />

socialistes à pactiser avec <strong>les</strong> ennemis philosophiques de la liberté<br />

mais associait étroitement pouvoir politique et pouvoir syndical, au<br />

point d'assimiler purement et simplement démocratisation et<br />

syndicalisation.<br />

Sans doute le Programme commun offrait-il <strong>sur</strong> un plateau le<br />

pouvoir aux <strong>syndicats</strong> dans <strong>les</strong> entreprises et dans nombre de cellu<strong>les</strong><br />

socia<strong>les</strong>. Mais ce cadeau empoisonné signifiait que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

étaient désormais condamnés à appuyer le gouvernement en place<br />

dans son désir de défaire le système capitaliste. Rien de tout cela ne<br />

s'est produit Mais au niveau des principes <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> avaient trahi<br />

la démocratie en s'inféodant aux dirigeants politiques.<br />

Il nous faut rechercher pour quel<strong>les</strong> raisons le syndicalisme, qui<br />

peut être le fer de lance de la démocratie, peut aussi en devenir le<br />

fossoyeur.<br />

La pol1ttsatton syndicale<br />

Il y a d'abord la vieille idée de Lénine: se servir des <strong>syndicats</strong><br />

comme d'un levier idéologique au service des partis.<br />

Dans cet esprit, la grève ne doit plus être «économique », c'est-àdire<br />

recherche des améliorations de salaires ou de conditions de<br />

travail pour <strong>les</strong> salariés, mais «politique»: concourir à la<br />

déstabilisation de l'État capitaliste et à la prise de pouvoir par le<br />

prolétariat. Marx lui-même avait prôné une action d'u<strong>sur</strong>e des<br />

gouvernements par la grève :


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 175<br />

L'agitation, expliquait-il, est purement économique lorsque <strong>les</strong> ouvriers<br />

tentent par le moyen de la grève en une seule usine, ou même une<br />

branche d'industrie, d'obtenir des capitalistes privés une réduction du<br />

temps de travail; en revanche, elle est politique quand ils arrachent de<br />

force une loi fIXant ~ huit heures la journée de travail [1261.<br />

On aura noté au passage que la grève politique est générale, et<br />

qu'elle aboutit à modifier l'équilibre politique du pays de façon<br />

durable en provoquant un changement dans le Droit du travail.<br />

On trouvera une autre formulation de la politisation de l'action<br />

syndicale dans une thèse plus récente, appelée «thèse radicale» ou<br />

«théorie du cycle politico-économique marxiste », dont l'origine<br />

remonte à l'économiste de Cambridge, Kalecki [971. A la suite de<br />

Kalecki, un certain nombre d'économistes ont estimé que la manière<br />

dont le syndicat pouvait mener une lutte politique était l'exploitation<br />

du cycle économique [171, 21, 651. A supposer que le cycle économique<br />

soit une fatalité du système capitaliste (ce qui reste à<br />

prouver), il y aurait des phases du cycle, et notamment <strong>les</strong> phases de<br />

dépression et de relance, pendant <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> se<br />

trouveraient être <strong>les</strong> alliés objectifs de l'État contre <strong>les</strong> capitalistes.<br />

Cela peut paraître curieux puisque l'État est censé être l'instrument<br />

d'oppression entre <strong>les</strong> mains des capitalistes, mais l'apparente<br />

contradiction s'évanouit - pour ces auteurs - quand on considère<br />

qu'en période de crise <strong>les</strong> gouvernements (quel<strong>les</strong> que soient leurs<br />

couleurs politiques) prennent des me<strong>sur</strong>es de relance qui font aussi<br />

bien l'affaire des capitalistes que celle des <strong>syndicats</strong>. Les <strong>syndicats</strong><br />

obtiennent à cette occasion des augmentations de salaires nominaux<br />

(qui renforcent leurs positions) et <strong>sur</strong>tout des législations qui leur sont<br />

plus favorab<strong>les</strong>.<br />

Cette thèse est contestable - ne serait-ce que parce qu'on peut<br />

douter de la possibilité pour <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> de provoquer et d'exploiter<br />

un cycle économique dont l'origine est davantage liée au dirigisme<br />

étatique qu'à l'organisation systématique du chômage par <strong>les</strong><br />

capitalistes. Mais il est intéressant de noter que de très nombreux<br />

syndicalistes, formés à l'école des marxistes et des néomarxistes,<br />

retiennent de la leçon que le but à rechercher est d'obtenir des<br />

changements durab<strong>les</strong> dans le Droit du travail, et que l'on peut


176 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

compter <strong>sur</strong> l'État pour offrir ces changements - pour peu que l'État<br />

soit mis en difficulté par une conjoncture politique ou sociale à<br />

laquelle on peut toujours donner un coup de pouce.<br />

Mais est-il réellement nécessaire que le syndicat soit « politisé»<br />

pour se livrer à ce calcul<br />

Le syndicat peut très bien influencer le politique sans pour autant<br />

vouloir faire de la politique. C'est un problème d'intérêts bien<br />

compris des deux côtés: hommes politiques et <strong>syndicats</strong> peuvent<br />

faire cause commune à l'issue d'un marché prometteur. Quel est ce<br />

marché Le politique utilise la législation pour attribuer des privilèges<br />

légaux aux <strong>syndicats</strong> j en échange, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> soutiennent le<br />

politique. Le comportement des <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> ce que l'on appelle « le<br />

marché politique» est alors simplement celui d'un groupe de<br />

pression.<br />

Faire pression pourquoi<br />

Les <strong>syndicats</strong>, en dehors de la prise complète du pouvoir dans la<br />

société, peuvent attendre beaucoup d'une présence <strong>sur</strong> le marché<br />

politique. Au minimum on peut évoquer: de l'argent, des privilèges,<br />

de l'influence. L'argent « politique» n'est pas la seule source financière<br />

des <strong>syndicats</strong>. Théoriquement, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> devraient fonctionner,<br />

pour l'essentiel, avec l'argent des cotisations syndica<strong>les</strong>. Mais <strong>les</strong><br />

cotisations rentrent mal, <strong>sur</strong>tout depuis quelques années, et <strong>les</strong> cotisations<br />

mettent <strong>les</strong> dirigeants syndicaux en situation de dépendance<br />

(plus ou moins réelle) par rapport à «la base ». L'argent politique est<br />

donc un relais doublement appréciable, et dans certains <strong>syndicats</strong><br />

français, il est au moins aussi important que l'argent des cotisations.<br />

Les sommes que perçoivent <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont principalement<br />

composées en France des crédits d'heures syndica<strong>les</strong> que reçoivent<br />

<strong>les</strong> délégués syndicaux. Annuellement, ces crédits représentent<br />

quelque chose comme 2 millions d'heures, soit, aux taux moyen de<br />

37,50 F, 75 millions de francs. Ce n'est pas grand-chose apparemment,<br />

mais pour un syndicat comme la CFDT, ce qui est perçu au titre<br />

des heures syndica<strong>les</strong> est supérieur au montant total des cotisations<br />

versées par <strong>les</strong> adhérents.


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 177<br />

Il faut ajouter aux crédits d'heures syndica<strong>les</strong> <strong>les</strong> mines d'or que<br />

représentent <strong>les</strong> budgets des comités d'établissements et<br />

d'entreprises. Certains exemp<strong>les</strong> sont spectaculaires, au point d'avoir<br />

parfois défrayé la chronique. Le comité d'entreprise d'Électricité de<br />

France perçoit 1 % des factures d'électricité émises en France. Celui<br />

de la Régie Renault emploie 2000 personnes, dispose d'une<br />

bibliothèque plus importante (en nombre de volumes) que la<br />

Bibliothèque nationale. Le comité d'entreprise de la SNCF gère un<br />

patrimoine immobilier de plusieurs milliards de francs, etc. Sans<br />

doute ces ressources appartiennent-el<strong>les</strong> aux comités. Mais on sait<br />

pertinemment que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont fait main basse <strong>sur</strong> <strong>les</strong> comités.<br />

Sans doute ces ressources sont-el<strong>les</strong> en partie dues à l'initiative des<br />

entreprises (et singulièrement des entreprises publiques) i mais <strong>les</strong><br />

entreprises n'agissent le plus souvent que dans un cadre tracé par le<br />

législateur, quand ce n'est pas à la demande expresse du pouvoir<br />

politique. Si Renault est devenue la «vitrine sociale» de la France,<br />

cela a été dû bien davantage à l'intervention des gouvernements<br />

successifs, sous la pression de la CGT, qu'aux désirs des directions -<br />

qui se sont contentées de subir. Mais l'argent ne suffit pas à asseoir la<br />

puissance syndicale.<br />

Il a fallu trouver auprès du politique de nombreux privilèges qui<br />

viennent garantir l'efficacité du cartel.<br />

Le privilège qui fait le plus couler d'encre dans notre pays est celui<br />

de la représentativité. Cette représentativité permet aux <strong>syndicats</strong> qui<br />

en bénéficient, d'une part de participer aux négociations collectives,<br />

d'autre part de disposer d'un monopole de présentation des<br />

candidats aux élections socia<strong>les</strong> qui désignent <strong>les</strong> délégués du<br />

personnel et <strong>les</strong> élus aux comités d'entreprises i c'est-à-dire qui<br />

établissent en fait le pouvoir syndical légal à l'intérieur de<br />

l'entreprise. Les lois Auroux ont même ajouté un nouveau<br />

monopole: celui de l'expression des salariés. Or, comme on le sait,<br />

la représentativité n'est accordée qu'à un très petit nombre de<br />

<strong>syndicats</strong> français, et au niveau des confédérations syndica<strong>les</strong>, seu<strong>les</strong><br />

cinq d'entre el<strong>les</strong> y ont accédé, grâce à l'adoption de critères de<br />

représentativité qui n'ont rien de «démocratiques ». De sorte que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> très discrédités dans <strong>les</strong> rangs des salariés, et dont <strong>les</strong><br />

effectifs fondent comme neige au soleil, continuent à parler au nom


178 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

de l'ensemble du personnel, et par leur signature engagent tous <strong>les</strong><br />

salariés d'une entreprise, voire même d'une branche. Cette situation<br />

constitue un privilège légal considérable, qui conforte le cartel.<br />

Il faut bien reconnaître que ces privilèges français sont peu de<br />

choses en comparaison de ce que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont réussi à obtenir<br />

dans <strong>les</strong> pays anglo-saxons (mais qui sont sérieusement remis en<br />

cause aujourd'hui).<br />

Ces privilèges syndicaux sont aussi de plus en plus mal perçus par<br />

nombre de personnes. Jusqu'à une période récente, <strong>les</strong> instances<br />

patrona<strong>les</strong> trouvaient un certain intérêt à avoir en face d'el<strong>les</strong> comme<br />

négociateurs des «partenaires sociaux» bénéficiant de la fameuse<br />

représentativité i depuis quelques années, <strong>les</strong> chefs d'entreprises se<br />

demandent si <strong>les</strong> vrais partenaires ne sont pas <strong>les</strong> salariés de leurs<br />

propres entreprises, considérés personnellement et en toute<br />

indépendance des intermédiaires syndicaux. De leur côté <strong>les</strong> salariés<br />

de la «base» supportent de moins en moins le joug syndical et le<br />

manifestent soit en s'abstenant dans <strong>les</strong> élections socia<strong>les</strong> soit en<br />

déclenchant des grèves «sauvages» que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> tentent de<br />

récupérer avec la complicité de l'État ou des entrepreneurs.<br />

Les <strong>syndicats</strong> savent donc pertinemment que leurs positions sont<br />

souvent suspendues à des privilèges, qu'ils essaient d'élargir, mais<br />

comme ils savent aussi que ces privilèges sont mal reçus de certains et<br />

pourraient être remis en cause, ils cherchent également à obtenir du<br />

politique <strong>les</strong> moyens d'accroître leur audience et de faire partager<br />

leurs thèses.<br />

A la recherche d'influence, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> demandent donc aux<br />

pouvoirs publics des «biens politiques» qui leur permettent de<br />

démontrer à la population qu'ils sont <strong>les</strong> défenseurs de l'intérêt<br />

général. Parmi ces biens politiques, il y a la politique macroéconomique<br />

elle-même, que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> cherchent à infléchir dans<br />

le sens de l'expansion et de la relance, qu'ils croient compatib<strong>les</strong><br />

avec le plein emploi (mais qui ne crée en fait qu'inflation et<br />

chômage). Mais il y a aussi d'autres «biens politiques» réclamés par<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>: nationalisations, subventions à certaines entreprises,<br />

réduction de la durée du travail hebdomadaire, abaissement de l'âge<br />

de la retraite, accroissement des salaires minimaux, équipements<br />

collectifs et sociaux, aménagement du territoire, etc. Dans tous ces


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 179<br />

cas, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent se parer, aux yeux du grand public, des<br />

me<strong>sur</strong>es prises par le pouvoir politique. A l'avant-garde du progrès<br />

social, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> espèrent empocher <strong>les</strong> profits de la démagogie<br />

politique.<br />

Cependant, pour que l'influence des <strong>syndicats</strong> dans l'opinion<br />

publique soit durable, il faut qu'ils apportent la preuve que ledit<br />

«progrès social» ne peut exister sans eux. D'où leur pétition pour se<br />

voir reconnaître le label de «biens publics» pour leurs initiatives, et<br />

pour obtenir le monopole de représentativité qui va de pair. Mais<br />

comme Mancur OIson l'a indiqué, un syndicat qui obtiendrait<br />

beaucoup de biens politiques sans avoir pris la précaution d'obtenir<br />

un monopole serait victime des free rlders, c'est-à-dire de tous ceux<br />

qui «bénéficieraient» des initiatives politico-syndica<strong>les</strong> sans payer<br />

quoi que ce soit aux <strong>syndicats</strong> (142). Hubert Landier explique que <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> français ont justement souffert de n'avoir pas assez<br />

« verrouillé» leur monopole et ont donc dû subir une perte<br />

d'influence (102). Mais on peut aussi soutenir l'idée que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

s'occupent moins en France d'avoir une influence <strong>sur</strong> le grand public<br />

que d'exercer une influence <strong>sur</strong> <strong>les</strong> hommes politiques directement.<br />

Tant que le pouvoir est à leurs côtés, ils sont tranquil<strong>les</strong>. Cela explique<br />

pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> inspirent de moins en moins confiance aux<br />

Français, mais ont une position toujours aussi forte dans la vie<br />

politique et sociale: ils ont pour eux la législation et <strong>les</strong> droits<br />

acquis; ils désamorcent toute volonté de changement de la part des<br />

hommes politiques.<br />

En fin de compte, la théorie économique rend assez bien compte<br />

de ce que veulent <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> le marché politique avec le modèle<br />

proposé par l'économiste canadien Albert Breton (23) qui lie la<br />

«demande de politique» des <strong>syndicats</strong> à quelques considérations<br />

principa<strong>les</strong>: le revenu financier que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> retirent de la<br />

politique, <strong>les</strong> avantages spécifiques que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> obtiendront<br />

pour leurs adhérents, <strong>les</strong> avantages indirects que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

obitendront pour tous, et, en contre-partie, <strong>les</strong> «prix fiscaux» que<br />

représentent tous ces résultats pour l'ensemble des contribuab<strong>les</strong>.<br />

Cela ne veut pas dire que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> se préoccupent de l'incidence<br />

fiscale des me<strong>sur</strong>es qu'ils cherchent à obtenir du politique, mais que<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont en me<strong>sur</strong>e d'apprécier <strong>les</strong> réactions de rejet qu'ils


180 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

susciteraient en allant trop loin dans leur demande de politique. Le<br />

comportement des <strong>syndicats</strong> en tant que demandeurs de politique est<br />

donc conforme à celui de n'importe quel groupe de pression. On<br />

retrouve ici toutes <strong>les</strong> conclusions de la théories des lobbies formulée<br />

par Gary Becker [191, avec notamment quelques points très importants<br />

: <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, comme tout groupe de pression, doivent plaider<br />

qu'ils agissent au nom de l'intérêt général, et non de leurs intérêts<br />

particuliers. Ils doivent se présenter comme producteurs de «biens<br />

publics» et obtenir un monopole de représentation en conséquence.<br />

Les <strong>syndicats</strong>, comme tout groupe de pression, réalisent un<br />

véritable investissement lorsqu'ils recherchent des biens politiques,<br />

parce que ces biens politiques leur permettront à leur tour de disposer<br />

d'un flux régulier de finances et de pouvoir. L'investissement justifie<br />

donc que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> prennent du temps et des moyens pour arriver<br />

à leurs fins. Les <strong>syndicats</strong> ne «perdent pas leur temps» <strong>sur</strong> le marché<br />

politique, bien au contraire ils s'y constituent un capital qu'il<br />

pourront exploiter durablement.<br />

Ils sont donc plus occupés à arpenter <strong>les</strong> antichambres du<br />

Parlement et des ministères qu'à écouter <strong>les</strong> réactions des bureaux et<br />

des ateliers. De la même façon que certains industriels en difficulté<br />

attendent davantage des décisions d'un ministre complaisant que des<br />

gains de productivité qu'ils pourraient réaliser dans leurs entreprises,<br />

ou des contrats qu'ils pourraient négocier à l'étranger. Ou de la même<br />

façon que <strong>les</strong> paysans français attendent davantage de Bruxel<strong>les</strong> et du<br />

protectionnisme européen que de la modernisation de leurs techniques<br />

de production et de commercialisation.<br />

Faire pression comment<br />

On comprend <strong>les</strong> objectifs poursuivis par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> <strong>sur</strong> le<br />

marché politique, mais comment interpréter l'attitude des hommes<br />

politiques Pourquoi font-ils alliance avec <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

C'est que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent rendre un certain nombre de<br />

services aux politiciens, notamment à l'occasion des élections. De<br />

sorte que si <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> demandent des interventions, <strong>les</strong> politiciens<br />

en offrent. Pour reprendre encore ici une expression d'Albert<br />

Breton, il y a une «offre de politique ». De quoi va-t-elle dépendre


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 181<br />

En quoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont-ils uti<strong>les</strong> au politique La réponse est à<br />

rechercher dans l'obsession électorale, le fait que <strong>les</strong> hommes<br />

politiques, avant tout autre objectif majeur, s'occupent de maximiser<br />

leurs chances d'être élus ou réélus.<br />

Ce comportement des hommes politiques est désormais bien<br />

analysé par la science économique. Ce sont <strong>les</strong> travaux pionniers de<br />

James Buchanan et Gordon Tullock qui ont fortement contribué à<br />

démystifier le jeu politique [30]. Ce jeu n'est pas tellement agité par<br />

l'intérêt général - qu'au demeurant il est impossible de déduire<br />

d'une procédure de vote, comme le montrent le paradoxe de<br />

Condorcet et le fameux théorème d'Arrow - que par l'intérêt que <strong>les</strong><br />

hommes politiques trouvent personnellement à être élus (pour<br />

satisfaire des ambitions idéologiques ou par goût du pouvoir ou par<br />

cupidité, c'est un autre problème).<br />

Dans leur désir d'élection, <strong>les</strong> hommes politiques rencontrent de<br />

manière générale des interlocuteurs privilégiés qui sont <strong>les</strong> groupes de<br />

pression, et parmi ces interlocuteurs et ces groupes <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont<br />

souvent <strong>les</strong> plus « intéressants».<br />

Les <strong>syndicats</strong> ont pour <strong>les</strong> politiques un premier avantage ; ils sont<br />

des agents électoraux de qualité, et diminuent <strong>les</strong> coûts de la<br />

campagne. Ce sont des «grands électeurs », qui peuvent influencer le<br />

vote des citoyens. Pourquoi cette influence Elle a au moins quatre<br />

ratsons.<br />

La premtère est appelée le «paradoxe de l'électeur»; cette<br />

expression signifie qu'un citoyen est fier d'avoir un droit de vote (en<br />

fonction du principe du suffrage universel un homme une voix), mais<br />

qu'il a en même temps conscience que ce droit de vote individuel est<br />

complètement inefficace [189]. Le citoyen qui vote est plus libre, grâce<br />

à l'individualisation du vote, mais l'individualisation du vote n'est<br />

d'aucun secours parce que l'électeur a bien compris que ce n'est pas<br />

une voix qui change l'issue de l'élection. Il est alors tenté d'agréger sa<br />

voix à d'autres, et de noyer son individualité dans un vote collectif;<br />

c'est le mot d'ordre syndical.<br />

Dewdème ratson du vote syndical: le syndicat appartient à la<br />

classe média, il produit des informations destinées à la collectivité j il<br />

dispense donc l'électeur d'aller se renseigner <strong>sur</strong> <strong>les</strong> programmes et


182 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

<strong>les</strong> candidats, dispense <strong>les</strong> candidats d'aller trouver individuellement<br />

l'électeur. Le syndicat est un intermédiaire réducteur de coûts<br />

d'information politique. Quelques slogans bien conçus, une campagne<br />

dans la presse, <strong>sur</strong> <strong>les</strong> lieux de travail, permettent de «guider»<br />

l'électeur; comme le fait remarquer Gordon Tullock, la persuasion<br />

syndicale se fait d'autant plus facilement que ses coûts sont faib<strong>les</strong>, car<br />

le syndicat dispose déjà des moyens d'information voire de<br />

conditionnement nécessaires.<br />

Une trotstème ratson de l'influence syndicale est à rechercher<br />

dans le phénomène abstentionniste. Rosenthal et Sen ont étudié <strong>les</strong><br />

liens entre conjoncture politique et participation électorale [1661. Ils<br />

en concluent que <strong>les</strong> abstentionnistes sont très sensib<strong>les</strong> aux mots<br />

d'ordre des coalitions, et en particulier des coalitions syndica<strong>les</strong>. En<br />

demandant à leurs adhérents de s'abstenir, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> obtiennent<br />

ainsi un pouvoir de marchandage (log-rolltng) vis-à-vis de la classe<br />

politique, <strong>sur</strong>tout s'il y a deux tours d'élection. De même - et c'est le<br />

dernier point fort des <strong>syndicats</strong> - il apparaît que <strong>les</strong> chômeurs<br />

participent au vote plus intensément que le reste de la population et<br />

sont en général plus sensib<strong>les</strong> aux mots d'ordre syndicaux.<br />

Ainsi, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont intérêt à «monnayer» leur influence<br />

électorale auprès des hommes politiques. Ils le feront d'autant mieux<br />

qu'ils apparaîtront politiquement neutres, et susceptib<strong>les</strong> de faire la<br />

balance entre <strong>les</strong> deux camps en présence (dans le cas d'un schéma<br />

d'élections bipolaires). C'est une application au syndicat du fameux<br />

théorème de «l'électeur médian» de Buchanan et Tullock: <strong>les</strong><br />

hommes politiques organisent leur campagne non pas en fonction<br />

des électeurs convaincus (dont ils pensent être définitivement<br />

propriétaires des votes), mais des indécis qui peuvent faire pencher la<br />

balance [186]. Chaque fois que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent feindre l'indécision,<br />

ils seront plus efficaces. Cela expliquerait pourquoi <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> français sont, tout compte fait, moins puissants: ils sont<br />

trop politisés, c'est-à-dire trop proches des partis politiques pour<br />

laisser planer un doute <strong>sur</strong> <strong>les</strong> consignes de vote (ou d'abstention)<br />

qu'ils donneront. Si <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> français ont quelque avantage à faire<br />

prévaloir auprès des hommes politiques, c'est <strong>sur</strong>tout celui de<br />

réducteurs des coûts d'information. Cet avantage n'est pas


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 183<br />

négligeable, quand on sait qu'il y a en général une corrélation étroite<br />

entre <strong>les</strong> frais de campagne et le résultat des élections [148].<br />

Au total, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ne manquent pas de moyens de faire<br />

prévaloir leur point de vue dans <strong>les</strong> compétitions électora<strong>les</strong>, et<br />

d'obtenir des promesses de la part des hommes politiques.<br />

Mais se pose un problème, bien connu en politique: <strong>les</strong> promesses<br />

seront-el<strong>les</strong> tenues Comme tous <strong>les</strong> autres groupes de pression,<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent espérer que <strong>les</strong> hommes politiques seront<br />

fidè<strong>les</strong> à leurs promesses sous peine de ne pas être réélus la prochaine<br />

fois. Mais cela ramène la sanction - au demeurant incertaine - à<br />

l'échéance électorale suivante, c'est-à-dire souvent trois ou quatre<br />

ans plus tard (tout dépend de la façon dont se présente le calendrier<br />

électoral). A la différence des autres groupes de pression, <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong> disposent d'un moyen efficace pour obtenir sans délai la<br />

livraison des produits politiques qui leur sont promis. Ce moyen est<br />

celui de l'action dans le secteur public, et notamment de la grève dans<br />

le secteur public, arme absolue du pouvoir politique syndical.<br />

L'arme absolue du pouvotr poltttque syndtcal<br />

Le secteur recouvre non seulement l'administration traditionnelle<br />

productrice de services publics, mais aussi <strong>les</strong> entreprises publiques.<br />

Ce secteur public ne cesse d'augmenter, sous l'effet même du jeu du<br />

marché politique.<br />

Le secteur public a pour première caractéristique de faire de l'État<br />

un employeur, et bien souvent le premier employeur du pays. En<br />

France, l'État se trouve à la tête de 6 SOO 000 salariés, soit 28 % de la<br />

population active.<br />

La deuxième caractéristique est que ce secteur échappe, pour<br />

l'essentiel, aux rigueurs du marché et de la concurrence. C'est clair<br />

pour <strong>les</strong> services publics dotés d'un monopole - et ils sont<br />

nombreux. Mais c'est également vrai pour <strong>les</strong> entreprises publiques<br />

dites « du secteur concurrentiel ». Car la concurrence en question est<br />

tout à fait théorique: <strong>les</strong> entreprises publiques bénéfident du soutient<br />

de l'État sous diverses formes et ne courent pratiquement aucun risque<br />

de disparaitre, même si leurs performances sont mauvaises. La belle<br />

indépendance dont jouit le secteur public à l'égard de tout impératif


184 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

de rentabilité permet d'as<strong>sur</strong>er une stabilité de l'emploi presque<br />

totale, et de déconnecter niveau de rémunération et niveau de<br />

productivité. Ces conditions sont idéa<strong>les</strong> pour l'action syndicale.<br />

Ainsi, à travers l'État employeur, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peuvent chercher à<br />

atteindre <strong>les</strong> hommes politiques, pour <strong>les</strong> mettre en demeure de tenir<br />

leurs promesses et de leur donner <strong>les</strong> avantages attendus.<br />

Ils reçoivent le renfort très appréciable de la bureaucratie. Au sein<br />

du secteur public, <strong>les</strong> bureaucrates occupent une place à part, et de<br />

plus en plus large, Car ce sont eux qui mettent en application <strong>les</strong> choix<br />

politiques effectués. De leur comportement dépendent <strong>les</strong> me<strong>sur</strong>es<br />

favorab<strong>les</strong> ou défavorab<strong>les</strong> aux <strong>syndicats</strong>. Or, <strong>les</strong> bureaucrates, euxmêmes<br />

syndiqués, ont intérêt à ce que la pression syndicale soit<br />

puissante. Les bureaucrates obéissent à une logique qui a été bien<br />

analysée par William Niskanen [1371. Le jeu du bureaucrate est<br />

d'élargir sans cesse son pouvoir - qui détermine à son tour son<br />

revenu. Et, dans l'administration, le pouvoir se me<strong>sur</strong>e à<br />

l'importance du budget géré. Les bureaucrates ont donc tendance à<br />

privilégier toutes <strong>les</strong> décisions politiques qui vont dans le sens d'un<br />

gonflement des budgets publics. Comme l'action syndicale se traduit<br />

nécessairement par un <strong>sur</strong>croît de charges budgétaires, elle entre<br />

dans <strong>les</strong> vues de la bureaucratie. Un échange de bons procédés<br />

s'organise entre bureaucratie et syndicalisme, d'autant plus facile que<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont investi dans la bureaucratie et ont créé un<br />

«syndicalisme de corps»: <strong>les</strong> bureaucrates soutiennent l'action<br />

syndicale, et <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> donnent à la bureaucratie pouvoir et<br />

budget. Dans cette affaire, ce sont <strong>les</strong> hommes politiques qui sont<br />

court-circuités. Ils croient gouverner j en réalité le pouvoir véritable<br />

leur échappe parce qu'il y a eu coalition entre la bureaucratie et <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong>. C'est la «syndicratie », pour employer une expression de<br />

Gérard Bramoullé.<br />

Il n'est pas jusqu'à la politique budgétaire qui échappe réellement<br />

aux dirigeants politiques: la pression de la syndicratie aboutit à<br />

imprimer aux dépenses publiques un rythme qui est choisi par <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong>, et non par le Parlement.<br />

Supposons toutefois qu'en dépit de cette complicité entre<br />

bureaucrates et <strong>syndicats</strong>, en dépit de la présence syndicale dans <strong>les</strong><br />

entreprises publiques, <strong>les</strong> hommes politiques ne fassent pas ce que


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 185<br />

souhaitent <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>. Il reste aux <strong>syndicats</strong> un dernier recours<br />

d'une efficacité totale : la grève.<br />

La grève dans le secteur public est plus puissante que la grève dans<br />

le secteur privé parce qu'elle touche l'ensemble du pays. Le syndicat<br />

se trouve en possession d'un instrument d'exercice de violence légale<br />

utilisé stratégiquement pour tenter de paralyser toutes <strong>les</strong> activités :<br />

transports, électricité, télécommunications. Différente par son efficacité,<br />

la grève dans le secteur public est aussi différente par sa nature.<br />

Pour <strong>les</strong> salariés de l'industrie privée, action directe signifie action <strong>sur</strong><br />

l'employeur en dehors des pouvoirs publics j pour <strong>les</strong> salariés de la<br />

fonction publique, action directe signifie action <strong>sur</strong> <strong>les</strong> pouvoirs<br />

publics qui sont <strong>les</strong> employeurs [1041. La grève cesse d'être microéconomique<br />

pour devenir macropolitique. Les <strong>syndicats</strong> disposent<br />

ainsi d'un pouvoir quasi militaire, qui grandit avec le secteur public<br />

lui-même.<br />

Voilà pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont été <strong>les</strong> plus chauds partisans des<br />

programmes de nationalisations, et <strong>les</strong> plus violents adversaires du<br />

«démantèlement des services publics», c'est-à-dire des privatisations.<br />

C'est donc sans doute une erreur, pour <strong>les</strong> gouvernements qui<br />

prétendent s'affranchir des pressions syndica<strong>les</strong>, que de ne pas<br />

privatiser <strong>les</strong> entreprises ayant un «caractère de service public»,<br />

alors même que ce sont ces entreprises qui sont la base du pouvoir<br />

absolu des <strong>syndicats</strong>. Par comparaison, <strong>les</strong> entreprises publiques du<br />

secteur concurrentiel encourent au minimum le contrôle par <strong>les</strong><br />

clients, alors qu'ici <strong>les</strong> usagers sont <strong>les</strong> otages de l'action syndicale.<br />

En même temps que <strong>les</strong> usagers, <strong>les</strong> dirigeants politiques sont euxmêmes<br />

piégés par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, Et, en même temps que <strong>les</strong> usagers et<br />

<strong>les</strong> dirigeants politiques, la démocratie elle-même se trouve<br />

menacée.<br />

La démocratie recule avec <strong>les</strong> conqu~tes syndtca<strong>les</strong><br />

Le droit de grève est, comme nous l'avons déjà rappelé, une<br />

sérieuse entorse à l'état de droit.<br />

Il n'en a pas toujours été ainsi. On peut rappeler que le droit de<br />

grève a été un droit reconnu à tout travailleur, individuellement, en


186 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

1864, c'est-à-dire vingt ans avant la reconnaissance des <strong>syndicats</strong><br />

(1884). Mais, dès que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> ont été reconnus, le droit de<br />

grève est devenu un droit collectif et une «liberté publique». Ce<br />

faisant, le législateur a accepté le principe d'une règle juridique<br />

conduisant une coalition à se faire justice à elle-même. Sans doute le<br />

caractère individuel du droit n'a-t-il pas complètement disparu: le<br />

travailleur a le choix entre travailler ou cesser de travailler. Mais<br />

l'exercice du droit de grève est toujours collectif. Le pouvoir de la<br />

coalition est incontestable. Et ce pouvoir ne peut être efficace que s'il<br />

est nuisible. Contrairement aux autres libertés, la liberté de grève<br />

exercée collectivement devient une liberté de nuire. Cette nocivité est<br />

consubstantielle à la grève i car la grève ne peut réussir que si le<br />

dommage causé à l'employeur ou à l'État est assez grave pour<br />

l'amener à céder. Elle est donc une possibilité légale de s'engager<br />

dans une épreuve de force [1731.<br />

L'État a concédé là une «délégation de violence» qui porte<br />

atteinte à son monopole de la contrainte. Quand un État n'a plus le<br />

monopole de la contrainte, il n'y a plus d'État.<br />

Assez curieusement, il y a une dialectique entre la croissance de<br />

l'État et la faib<strong>les</strong>se de l'État. Par la croissance du secteur public, l'État<br />

devient la proie plus facile de tous <strong>les</strong> corporatismes, et singulièrement<br />

du syndicalisme qui dispose de plus du pouvoir quasi militaire.<br />

Rappelons le diagnostic d'Hayek:<br />

De nombreux défauts graves de l'institution gouvernementale<br />

contemporaine, défauts largement reconnus et déplorés, mais que l'on<br />

croit être la conséquence inévitable de la démocratie, résultent en fait<br />

seulement du caractère illimité de la démocratie actuelle. L'on n'a pas<br />

encore vu clairement ce fait fondamental que dans cette forme de<br />

gouvernement, lorsqu'un pouvoir quelconque est reconnu par la<br />

constitution du gouvernement, celui-ci peut être contraint à l'appliquer<br />

même contre son meilleur jugement, si <strong>les</strong> bénéficiaires sont l'un de ces<br />

groupes «charnières» qui tiennent à leur merci la majorité<br />

gouvernementale. Il s'ensuit que l'appareil des intérêts organisés, qui n'a<br />

d'autre but que d'exercer une pression <strong>sur</strong> <strong>les</strong> gouvernements devient le<br />

mauvais génie le plus redoutable qui force le gouvernement à des actions<br />

nuisib<strong>les</strong> ... Le gouvernement démocratique, s'il est nominalement<br />

omnipotent, devient par là-même extrêmement faible; ses pouvoirs<br />

illimités en font l'enjeu que se disputent <strong>les</strong> divers intérêts et il doit


LES SYNDICATS ET LA D~OCRAllE 187<br />

donner satisfaction i suffisamment d'entre eux pour s'as<strong>sur</strong>er l'appui<br />

d'une majorité [81].<br />

A l'arbitraire des <strong>syndicats</strong> qui s'exerce ~ travers le droit de grève,<br />

tel qu'il est organisé aujourd'hui (et spécialement dans le secteur<br />

public) s'ajoute l'arbitraire des <strong>syndicats</strong> ~ travers la bureaucratie.<br />

Raymond Aron faisait ce diagnostic:<br />

C'est une vieille idée, mais une idée encore vraie, que l'extension<br />

progressive des activités étatiques entraîne la prolifération des décisions<br />

ou des règlements administratifs, <strong>sur</strong> <strong>les</strong>quels le contrôle démocratique<br />

par <strong>les</strong> représentants de la nation s'exerce malaisément. L'État moderne<br />

devient de plus en plus bureaucratique et de moins en moins<br />

démocratique, si l'on veut suggérer par cette formule le rôle croissant des<br />

fonctionnaires et le déclin des législateurs. Qu'il y ait li un danger pour<br />

<strong>les</strong> droits individuels, qu'il importe donc de garantir ceux-ci ou de <strong>les</strong><br />

protéger, il faudrait un optimisme aveugle pour le nier.<br />

Les bureaucrates sont devenus des « <strong>sur</strong>citoyens ~ qui échappent ~<br />

tout contrôle j mieux: qui placent <strong>les</strong> dirigeants politiques sous leur<br />

coupe. Car, vis-~-vis des hommes politiques, <strong>les</strong> bureaucrates disposent<br />

de l'information qui leur manque, et leur intervention est<br />

absolument nécessaire pour traduire dans <strong>les</strong> faits <strong>les</strong> projets politiques<br />

auxquels <strong>les</strong> politiciens se sont engagés devant leurs électeurs. Il<br />

est peu probable, comme on l'entend souvent dire, que la bureaucratie<br />

puisse être contenue par un renforcement du contrôle des élus<br />

<strong>sur</strong> <strong>les</strong> fonctionnaires, parce qu'en réalité <strong>les</strong> élus ne peuvent<br />

fonctionner sans <strong>les</strong> fonctionnaires.<br />

Ainsi, peu ~ peu, la nation s'est livrée aux pressions des <strong>syndicats</strong>.<br />

Pressions efficaces grâce au droit de grève, grâce ~ l'étendue du<br />

secteur public, et grâce ~ la bureaucratie. Mais pressions efficaces ~ un<br />

tel point qu'el<strong>les</strong> privent en définitive <strong>les</strong> dirigeants politiques de tout<br />

pouvoir, et qu'el<strong>les</strong> vident la démocratie de tout contenu.<br />

A cela certains opposeront sans doute que s'il en est ainsi, c'est<br />

une compensation utile dans nos démocraties contemporaines poiIr<br />

juguler le pouvoir de l'argent et l'arbitraire des possédants j ce serait<br />

une manière de redonner aux travailleurs des libertés « réel<strong>les</strong>».


188 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

Il est douteux qu'on puisse définir la démocratie comme une<br />

situation d'équilibre social où des groupes exerçant des pressions<br />

diverses aboutiraient à une situation tolérable pour tous. En effet, on<br />

ne voit pas par quel miracle la volonté hégémonique des uns serait<br />

exactement compensée par celle des autres. Comme son nom le<br />

suggère, l'hégémonie a une vocation totale, voire même totalitaire.<br />

Pour <strong>les</strong> libéraux, la démocratie ne se conçoit que dans un état de<br />

droit. Elle est un moyen de protéger <strong>les</strong> minorités contre <strong>les</strong> abus du<br />

pouvoir politique, contre l'arbitraire des majorités, et non pas<br />

d'imposer à certaines minorités <strong>les</strong> solutions arbitrairement choisies<br />

par d'autres minorités; ni de soumettre <strong>les</strong> minorités au pouvoir<br />

politique sous prétexte qu'il est « démocratique» - c'est-à-dire issu<br />

d'un vote majoritaire. Comme le rappelle Hayek, la démocratie,<br />

comme toutes <strong>les</strong> grandes idées socia<strong>les</strong>, a un contenu purement<br />

négatif; elle permet de se garder de l'erreur, elle n'est pas source de<br />

vérité.<br />

Par ailleurs, il n'est pas évident que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> aient pour souci<br />

permanent le rééquilibrage social et la défense des intérêts de leurs<br />

adhérents. Il n'est pas sûr que <strong>les</strong> « conquêtes syndica<strong>les</strong>» aient été<br />

toujours de vraies progrès sociaux. El<strong>les</strong> ont à l'inverse arrangé <strong>les</strong><br />

affaires des leaders syndicaux. En fin de compte, <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, dans<br />

leur fonctionnement interne, ne sont peut-être pas aussi « démocratiques»<br />

qu'on le dit.<br />

Le syndicat, firme mana8~/e<br />

Les premiers doutes <strong>sur</strong> la démocratie syndicale sont apparus<br />

lorsque certains économistes se sont lancés dans l'analyse des<br />

organisations. Les organisations ne sont pas des « boîtes noires», qui<br />

existent par hasard dans la société et produisent des résultats<br />

miraruleux. EUes existent pour servir des intérêts bien partiruliers, et<br />

qui sont par priorité <strong>les</strong> intérêts des membres de l'organisation. Ainsi<br />

l'État n'est-il pas l'État, mais un ensemble d'hommes politiques, de<br />

fonctionnaires ayant leurs propres besoins et leurs propres<br />

contraintes. Ainsi, l'entreprise n'est-elle pas l'entreprise, mais des<br />

entrepreneurs, du personnel, des actionnaires, des dirigeants. Ainsi,


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 189<br />

le syndicat n'est pas le syndicat, mais des leaders syndicaux et des<br />

adhérents.<br />

L'étude des organisations consiste donc à découvrir <strong>les</strong> intérêts<br />

personnels en cause et la liaison qui peut s'établir entre ces intérêts.<br />

Les travaux de l'école des droits de propriété nous apprennent<br />

que le jeu des intérêts individuels au sein d'une organisation est réglé<br />

d'après la façon dont sont distribués <strong>les</strong> droits de propriété.<br />

L'exemple le plus simple est celui de l'entreprise. Pour savoir<br />

comment fonctionne une entreprise, il suffit de se demander qui est<br />

titulaire du droit de propriété. Si l'entreprise est individuelle, il y a<br />

intersection, voire même confusion, entre le patrimoine de l'entrepreneur<br />

et le capital de l'entreprise. Dans ces conditions, l'entrepreneur<br />

a tout intérêt à ce que le capital de l'entreprise soit valorisé. A<br />

l'autre extrême, si l'entreprise est publique, il n'y a pas de propriétaire<br />

bien identifié; c'est tout le monde et personne à la fois (res<br />

utltus res nulltusJ; il serait donc très <strong>sur</strong>prenant que quelqu'un se<br />

sente responsable au point de tirer tout le parti possible de<br />

l'entreprise, car qui bénéficierait personnellement de cette recherche<br />

de performance<br />

Un cas intéressant, et qui nous rapproche des <strong>syndicats</strong>, est celui<br />

où l'entreprise est la propriété de certains, mais est dirigée par<br />

d'autres. C'est ce que l'on appelle la « firme managériale».<br />

Dans une société par actions, il y a d'un côté <strong>les</strong> actionnaires,<br />

propriétaires du capital social, et de l'autre <strong>les</strong> dirigeants ou managers,<br />

qui exercent vraiment le pouvoir de gestion de l'entreprise (164).<br />

La théorie de la firme managériale indique quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong><br />

difficultés qu'elle va rencontrer: <strong>les</strong> managers ne vont-ils pas gérer<br />

l'entreprise dans un sens peu conforme aux intérêts des<br />

actionnaires Quel avantage <strong>les</strong> managers trouvent-ils à distribuer<br />

des dividendes, à valoriser <strong>les</strong> actifs Quel est le contrôle que <strong>les</strong><br />

actionnaires peuvent réellement exercer <strong>sur</strong> des managers qui ont<br />

pour eux la compétence, l'information Ordinairement, <strong>les</strong><br />

économistes se montrent assez pessimistes <strong>sur</strong> l'efficacité des<br />

contrô<strong>les</strong> juridiques prévus par le droit des sociétés: <strong>les</strong> actionnaires<br />

ne peuvent utilement participer aux assemblées généra<strong>les</strong> et<br />

sanctionner <strong>les</strong> dirigeants. Exercer ce type de contrôle serait trop<br />

coûteux, et sans doute inefficace. Fort heureusement, <strong>les</strong> actionnaires


190 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

ont un contrôle indirect à travers le marché financier. Comme le<br />

rappelle Henry Manne, <strong>les</strong> dirigeants sont menacés par la baisse des<br />

cours des actions des entreprises qu'ils gèrent [121]. Une offre<br />

publique d'achat est possible chaque fois que quelqu'un d'étranger à<br />

l'entreprise estime qu'elle est actuellement mal dirigée, son capital<br />

social mal valorisé, et se propose de faire mieux. L'OP A est une<br />

sanction à laquelle n'échappent pas des dirigeants qui ne feraient pas<br />

correctement leur métier. Mais l'OPA n'est possible que si <strong>les</strong><br />

dirigeants perdent la confiance des actionnaires. Ainsi <strong>les</strong><br />

actionnaires sont-ils, en dernière analyse, en me<strong>sur</strong>e d'exercer un<br />

contrôle efficace. C'est le « vote avec <strong>les</strong> pieds », encore appelé exit<br />

ou « procédure de mobilité» : ceux qui sont mécontents s'en vont.<br />

En quoi cette analyse de la firme managériale concerne-t-elle <strong>les</strong><br />

<strong>syndicats</strong><br />

Elle permet de mieux comprendre ce qui se passe dans <strong>les</strong><br />

relations entre <strong>les</strong> leaders syndicaux et <strong>les</strong> adhérents.<br />

Les leaders syndicaux sont comparab<strong>les</strong> aux managers, et <strong>les</strong><br />

adhérents aux actionnaires. Comme dans une firme managériale se<br />

pose le problème du contrôle. Comme <strong>les</strong> actionnaires, <strong>les</strong><br />

adhérents n'ont qu'un pouvoir théorique de contrôle juridique. Les<br />

adhérents ne participent pas vraiment à la vie de leurs <strong>syndicats</strong>, et<br />

quand bien mêmes ils assisteraient aux assemblées généra<strong>les</strong> et<br />

voteraient pour la désignation des leaders, ils n'ont pas <strong>les</strong> moyens de<br />

porter un jugement véritable <strong>sur</strong> l'action passée et future des<br />

candidats. Comme <strong>les</strong> actionnaires, il leur faudrait engager des coûts<br />

d'information considérab<strong>les</strong> pour se renseigner <strong>sur</strong> la vie du syndicat.<br />

Comme <strong>les</strong> managers, <strong>les</strong> leaders syndicaux ont l'avantage de<br />

l'information. Ils connaissent leurs dossiers, ceux de l'entreprise ou<br />

de la branche.<br />

Mais là s'arrête la ressemblance entre <strong>syndicats</strong> et firme<br />

managériale. Apparaissent deux différences fondamenta<strong>les</strong> : <strong>sur</strong> <strong>les</strong><br />

droits de propriété, <strong>sur</strong> <strong>les</strong> buts de l'organisation.<br />

On peut admettre que <strong>les</strong> adhérents du syndicat sont propriétaires<br />

pour une part du capital du syndical Ce capital n'est pas constitué que<br />

des actifs immobiliers ou mobiliers détenus par le syndicat. Il<br />

contient encore et <strong>sur</strong>tout le pouvoir politique que le syndicat a réussi<br />

à se faire reconnaitre Oes «biens politiques» obtenus par pression <strong>sur</strong>


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 191<br />

le marché politique). Mais quel droit véritable confère cette propriété<br />

du capital syndical<br />

A la différence de l'action de l'entreprise sociétaire, la part de<br />

propriété du capital syndical n'est pas négociable. L'adhérent a sans<br />

doute la possibilité de changer de syndicat. Mais il ne peut pas<br />

négocier son départ du syndicat actuel. D'ailleurs, dans bien des cas,<br />

l'adhérent n'a qu'un pouvoir de choix très limité: lorsque, par<br />

exemple, le syndicat a obtenu le monopole de la représentativité<br />

dans son entreprise ou dans sa branche. Voter avec ses pieds n'est<br />

donc pas toujours possible. Quand on sait, par ailleurs, que la<br />

puissance politique des <strong>syndicats</strong> ne se me<strong>sur</strong>e pas au nombre de leurs<br />

adhérents, mais au capital non transférable qu'ils ont constitué, le<br />

départ des adhérents ne gêne pas fondamentalement <strong>les</strong> leaders<br />

syndicaux. On peut d'ailleurs se demander s'il n'existe pas une sorte<br />

d'entente implicite entre <strong>syndicats</strong> pour segmenter le marché du<br />

travail et éviter ainsi la mobilité des adhérents. Cette idée est<br />

accréditée: d'un côté, par le fait que le nombre de secteurs où il y a<br />

une véritable concurrence syndicale est faible en comparaison de<br />

celui des secteurs où un syndicat domine largement <strong>les</strong> autres; d'un<br />

autre côté, par le fait que ce sont tous <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> qui perdent des<br />

adhérents en même temps. Le vote avec <strong>les</strong> pieds se traduit donc<br />

davantage par une désaffection des salariés :l l'égard du syndicalisme<br />

que par passage d'un syndicat :l l'autre.<br />

Ainsi <strong>les</strong> leaders syndicaux sont :l l'abri de la concurrence, alors<br />

que <strong>les</strong> managers de l'entreprise lui sont soumis. Le syndiqué ne peut<br />

revendre utilement ses droits de propriété.<br />

La deuxième grande différence entre dirigeants d'entreprises et de<br />

<strong>syndicats</strong> est que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> sont réputés être des institutions :l but<br />

non lucratif.<br />

Dans une entreprise, le profit as<strong>sur</strong>e la <strong>sur</strong>vie de l'organisation :l<br />

terme. Sans profit, <strong>les</strong> dirigeants ne peuvent espérer aller loin, sauf si<br />

l'entreprise bénéficie de subventions ou de protections. Le syndicat<br />

est une entreprise subventionnée, qui tire sa pérennité des avantages<br />

qu'il se fait reconnaître <strong>sur</strong> le marché politique.<br />

A la différence de l'entreprise qui doit rendre compte à ses<br />

propriétaires des chances de <strong>sur</strong>vie et de l'évolution du capital en<br />

longue période, le syndicat n'a vis-à-vis des syndiqués que des


192 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

obligations de courte période. L'absence de véritable droit de<br />

propriété, et l'inutilité du profit, orientent tout naturellement l'action<br />

des dirigeants syndicaux vers des résultats immédiats, aussi<br />

spectaculaires que possible.<br />

Ces résultats ruineront peut-être dans quelques années<br />

l'entreprise et le secteur considérés, et avec eux <strong>les</strong> travailleurs, mais<br />

qu'importe Les syndiqués de demain ne sont pas ceux<br />

d'aujourd'hui, et ceux d'aujourd'hui veulent «tout et tout de suite».<br />

Faute de pouvoir capitaliser un profit, et dans le but d'as<strong>sur</strong>er leur<br />

popularité <strong>sur</strong>-le-champ et d'être réélus, <strong>les</strong> leaders syndicaux ont<br />

une préférence pour <strong>les</strong> succès à court terme, qui sont souvent des<br />

victoires à la Pyrrhus! On comprend alors qu'une grève, même<br />

quand elle ne rapporte pas en longue période plus qu'elle ne coûte<br />

aujourd'hui sera poursuivie, parce que <strong>les</strong> coûts de la grève seront<br />

supportés en fait par des adhérents futurs. «Un tiens vaut mieux que<br />

deux tu l'auras» est une devise qui inspire l'action syndicale. Mais elle<br />

peut rapidement conduire à des attitudes du type «Après moi le<br />

déluge ».<br />

Ces comportements, qui seraient dans d'autres circonstances<br />

considérés comme suicidaires, sont dans la logique des intérêts des<br />

leaders syndicaux et des avantages immédiats des syndiqués.<br />

On voit mal, à l'inverse, des actionnaires sacrifier délibérément<br />

<strong>les</strong> chances de plus-value future du capital social en liquidant <strong>sur</strong>-Iechamp<br />

tous <strong>les</strong> actifs d'une entreprise, ou en accumulant le passif.<br />

Conclusion: <strong>les</strong> syndiqués ne peuvent avoir une vision lucide des<br />

conséquences de l'action des leaders syndicaux et ne peuvent en<br />

conséquence <strong>les</strong> contrôler efficacement.<br />

Les syndiqués sont-ils satisfaits <br />

Analyser <strong>les</strong> relations entre <strong>les</strong> syndiqués et leurs leaders en terme<br />

de contrôle, par assimilation à l'entreprise (et pour mieux marquer la<br />

différence avec l'entreprise) est peut-être toutefois insuffisant. Après<br />

tout, le pouvoir et le contrôle sont-ils <strong>les</strong> véritab<strong>les</strong> aspirations du<br />

personnel<br />

Les syndiqués pourraient très bien ne tirer aucun profit véritable<br />

de l'action des syndicalistes, mais n'en être pas moins satisfaits.


lES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 193<br />

Certains économistes, dont de nombreux Français comme Guy Caire<br />

ou Sabine Erbes-Seguin, opposent <strong>les</strong> comportements de maximisation<br />

et de satisfaction. Tous <strong>les</strong> individus, ni tOutes <strong>les</strong><br />

organisations, disent-ils, n'ont pas pour but de maximiser un résultat.<br />

Ils ne recherchent pas nécessairement l'efficacité. «Le militant<br />

ouvrier paraît au premier abord le contraire de l' homo œconomicus<br />

[371. » Il existerait en effet des satisfactions qui échappent au<br />

calcul économique. Guy Caire insiste, par exemple, <strong>sur</strong> le militantisme<br />

ou le désir d'améliorer la condition des travailleurs en général.<br />

Sabine Erbes-Seguin souligne la volonté de participation.<br />

Apparaît ainsi une autre conception de la démocratie, qui n'est<br />

plus ici ni un « mécanisme», ni un « antidote de l'autorité», mais<br />

comme une «volonté de participation ». La démocratie serait la<br />

possibilité pour <strong>les</strong> syndiqués de participer à la formulation, à la<br />

ratification et à la mise en œuvre de la politique syndicale [61]. En<br />

d'autres termes, <strong>les</strong> syndiqués se trouveraient satisfaits, quel que soit<br />

leur sort, du seul fait que ce sort aurait été largement conditionné par<br />

des décisions auxquel<strong>les</strong> ils auraient participé.<br />

La distinction entre maximisation et satisfaction est en fait<br />

artificielle et largement tautologique dans la me<strong>sur</strong>e où la<br />

maximisation s'applique habituellement à des satisfactions. Elle peut<br />

vouloir simplement signifier que <strong>les</strong> satisfactions sont tantôt<br />

quantifiab<strong>les</strong> (c'est le cas des satisfactions pécuniaires), tantôt non<br />

me<strong>sur</strong>ab<strong>les</strong>, et on réserverait le nom de «satisfactions» à cel<strong>les</strong>-ci.<br />

Il est vrai qu'il n'y a jamais eu de doute <strong>sur</strong> le fait que <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

pouvaient présenter des revendications non pécuniaires. Bien<br />

souvent, comme on l'a démontré, <strong>les</strong> leaders syndicaux ont intérêt à<br />

agir <strong>sur</strong> <strong>les</strong> conditions de travail plutôt que <strong>sur</strong> le niveau de salaire.<br />

Cela ne veut pas dire pour autant que <strong>les</strong> travailleurs soient<br />

inconscients de leurs intérêts ni incapab<strong>les</strong> de faire un calcul<br />

avantages-coûts.<br />

Admettons que <strong>les</strong> aspirations des travailleurs <strong>les</strong> poussent plutôt<br />

à du « mieux-être» qu'à du « plus-avoir» j et que leurs satisfactions<br />

proviennent non pas des résultats acquis par l'action syndicale, mais<br />

du seul fait qu'ils aient pu y participer.<br />

Si tel est le cas, a-t-on quelque raison de croire que ces aspirations<br />

vers la satisfaction seront comblées Seront-el<strong>les</strong> seulement prises en


194 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

compte On peut en douter, car on ne peut considérer le syndicat<br />

comme un groupe homogène. On sait pertinemment, depuis <strong>les</strong><br />

analyses de Mitchels, qu'il existe une oligarchie syndicale [130]. C'està-dire<br />

que si tous <strong>les</strong> syndiqués sont des militants (ce qui reste à<br />

démontrer), tous <strong>les</strong> militants ne sont pas égaux.<br />

Les leaders syndicaux ont en effet leurs intérêts spécifiques, qui est<br />

d'accroître leurs moyens et leur pouvoir - avec toutes <strong>les</strong> satisfactions<br />

pécuniaires ou non pécuniaires que cela leur apporte. Au niveau<br />

inférieur des militants, seuls ceux qui agissent dans le sens voulu par<br />

<strong>les</strong> leaders ont une chance d'être promus. Un jeu s'organise à<br />

l'intérieur de la bureaucratie syndicale, qui consiste, comme l'a<br />

démontré Tullock, à introduire des biais successifs par pertes<br />

d'information [187]. Comme il est certain que l'information confère le<br />

pouvoir, <strong>les</strong> supérieurs hiérarchiques n'ont aucun intérêt à<br />

transmettre la totalité de l'information qu'ils détiennent; ce qui fait<br />

que le leader n'est pas davantage informé des aspirations de la base<br />

que la base n'est informée des intentions du leader.<br />

Dans ces conditions, parler de «participation» est très<br />

audacieux. La démocratie syndicale risque d'être un simulacre; la<br />

réalité est celle d'une centralisation et d'une perte de l'information.<br />

Un tel résultat ne saurait <strong>sur</strong>prendre : il est en effet de plus en plus<br />

coûteux de se procurer l'information au fur et à me<strong>sur</strong>e que l'on veut<br />

« participer» activement à la vie du syndicat. Pour <strong>les</strong> gens du<br />

sommet, le syndicat est leur raison d'être, alors que pour le syndiqué<br />

de base il ne risque apparemment que le montant de sa cotisation. Si<br />

le syndiqué de base veut davantage participer, il devient un militant<br />

de rang supérieur, et il entre alors dans le jeu décrit plus haut. Sans<br />

doute quelques naïfs pourront-ils s'en tenir à quelques signes formels<br />

de démocratie et de participation: assemblées généra<strong>les</strong>, votes,<br />

expression. Mais ils devraient s'apercevoir assez vite que le pouvoir<br />

leur échappe, et que <strong>les</strong> leaders sont assez jaloux de leurs privilèges.<br />

De ce point de vue, il est assez remarquable que <strong>les</strong> lois Auroux aient<br />

consacré le droit à l'expression des salariés, mais en s'empressant de<br />

réserver l'usage de ce droit aux représentants syndicaux! Le patronat<br />

a répliqué très adroitement en donnant la parole au personnel, dans<br />

le cadre des cerc<strong>les</strong> de qualité, par exemple. Mais faire circuler<br />

l'information est plus utile à l'entrepreneur qu'au leader syndical. Car


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 195<br />

l'entrepreneur gagne en résultats et en profits quand il fait réellement<br />

participer son personnel, alors que le leader syndicaliste y perd en<br />

pouvoir!<br />

Il se peut donc, en concluston, que certains militants soient<br />

satisfaits par l'action syndicale. Mais il s'agira plus vraisemblablement<br />

des militants engagés à un niveau suffisant pour retirer des<br />

avantages spécifiques de l'action syndicale que des militants de base,<br />

dont l'opinion importe peu aux leaders syndicaux, pourvu qu'ils ne<br />

contestent pas le pouvoir syndical.<br />

Les syndtqués sont-Us compltces <br />

L'absence de contestation des leaders n'est-elle pas justement la<br />

marque de l'adhésion des syndiqués<br />

Même en supposant que <strong>les</strong> syndiqués ne participent pas<br />

effectivement à la vie syndicale, ne sont-ils pas liés à leurs leaders<br />

syndicaux par une complicité évidente Complicité de classe, disent<br />

certains. Complicité contractuelle, disent d'autres en invoquant <strong>les</strong><br />

« contrats implicites»: tout se passe comme si <strong>les</strong> syndiqués étaient<br />

d'accord, et avaient passé une entente avec leurs leaders, puisque <strong>les</strong><br />

leaders sont toujours en place, et qu'il n'existe pas de véritable<br />

concurrence entre leaders syndicaux.<br />

Cette thèse de la complicité a été démantelée par le professeur<br />

anglais John Burton . n applique aux <strong>syndicats</strong> la fameuse théorie de<br />

l'ex1t-volce [331 à laquelle il ajoute un troisième élément, la loyalty.<br />

Que peut faire un syndiqué qui est mécontent de ses leaders Il<br />

peut voter avec ses pieds, c'est-à-dire aller dans un autre syndicat ou<br />

quitter <strong>les</strong> secteurs syndiqués pour aller vers d'autres secteUrs. Facile à<br />

dire, plus difficile à faire. Il faut en effet exclure le cas où <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

s'arrangent entre eux pour se partager le marché du travail, et ne se<br />

concurrencent pas. n faut aussi exclure tous <strong>les</strong> cas où le salarié subit<br />

une perte de revenus en se déplaçant Dans la plupart des cas, comme<br />

l'a analysé Tiébout [1831, le syndiqué est prisonnier du syndicat. La loi<br />

peut renforcer cette dépendance, notamment par le jeu des closed<br />

shops ou de la représentativité. Les <strong>syndicats</strong> ont en tout cas bien<br />

prévu l'affaire en « quadrillant» le marché du travail, en fractionnant<br />

<strong>les</strong> travailleurs et en augmentant <strong>les</strong> coûts de la mobilité. Faute d'avoir


196 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

pu s'échapper à temps, <strong>les</strong> travailleurs se retrouvent victimes de<br />

rigidités syndica<strong>les</strong>, dans la peau de chômeurs naguère <strong>sur</strong>protégés<br />

par leurs <strong>syndicats</strong>.<br />

Il y a, il est vrai, une autre solution: c'est de faire entendre sa<br />

voix. La votee, la contestation, peut ébranler <strong>les</strong> leaders syndicaux.<br />

Mais qui en prendra l'initiative Se lancer tout seul dans la bataille<br />

syndicale est coûteux. Pourquoi le faire d'ailleurs; d'autres ne le<br />

feront-ils pas tôt ou tard Cet attentisme est révélateur d'une attitude<br />

de free rider: c'est le paradoxe de la participation. Personne ne se<br />

donnera la peine de participer à la prise de décision collective;<br />

chaque adhérent mécontent attend que <strong>les</strong> leaders actuels soient<br />

changés ... mais ne fait rien pour.<br />

Ces coûts d'attente étant d'autant plus élevés que le syndicat sera<br />

plus grand, on en tire une conclusion qui ne manque pas d'intérêt:<br />

<strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> plus grands ne confèrent pas plus de pouvoirs à leurs<br />

leaders parce qu'ils représentent davantage de syndiqués, mais<br />

simplement parce qu'un plus grand nombre de syndiqués rend<br />

encore plus difficile la contestation des leaders!<br />

En d'autres termes, <strong>les</strong> leaders des grands <strong>syndicats</strong> sont<br />

indéboulonnab<strong>les</strong>. Comme le dit G. Adam:<br />

... de toutes <strong>les</strong> grandes organisations politiques et socia<strong>les</strong> <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong><br />

possèdent le système de fonctionnement le plus stable et le plus<br />

formalisé: <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> sont connues de tous et ne souffrent pas<br />

d'exception [1].<br />

On comprend mieux, dans ces conditions, pour quel<strong>les</strong> raisons le<br />

jeu des leaders syndicaux est de faire grandir la taille de leurs<br />

<strong>syndicats</strong>: plus d'adhérents, cela signifie des adhérents plus passifs;<br />

plus d'adhérents, c'est aussi plus de pouvoir <strong>sur</strong> le marché politique.<br />

Il reste alors aux adhérents mécontents de se résigner à leur sort et<br />

de faire contre mauvaise fortune bon cœur: c'est la« loyauté» à<br />

l'égard des leaders, attitude qui consiste à accepter le leader et en<br />

retirer le plus possible. Le comportement à l'égard des chefs<br />

syndicaux est alors le même que celui que l'on peut avoir à l'égard de<br />

l'État. On a intérêt à obéir; on a avantage à retirer des leaders<br />

quelques privilèges spécifiques. Georges Stigler a montré qu'il n'y a là


LES SYNDICATS ET LA D~OCRATIE 197<br />

rien de <strong>sur</strong>prenant [176) : c'est un sous-produit du dirigisme, c'est une<br />

conséquence du fonctionnement du marché politique. Par la<br />

réglementation, <strong>les</strong> politiciens accroissent la rentabilité du marché<br />

politique pour <strong>les</strong> entrepreneurs politiques eux-mêmes, et pour <strong>les</strong><br />

groupes qui financent ou consomment largement <strong>les</strong> biens politiques.<br />

Plus la réglementation est importante, plus le pouvoir des groupes est<br />

fort. Or <strong>les</strong> syndicalistes ont l'immense avantage d'opérer dans un<br />

domaine où la réglementation est omniprésente. Et il y a à cela une<br />

bonne raison: c'est que <strong>les</strong> syndicalistes ont eux-mêmes contribué à<br />

la multiplication de la réglementation.<br />

La boucle est donc bouclée: ce qui renforce le pouvoir des<br />

syndicalistes à l'intérieur des <strong>syndicats</strong>, c'est qu'ils sont un pouvoir<br />

fort à l'extérieur des <strong>syndicats</strong>, <strong>sur</strong> le marché politique.<br />

Ce n'est pas la démocratie qui légitime le pouvoir des leaders<br />

syndicaux. Ces leaders sont au contraire titulaires d'un pouvoir que<br />

rien ne peut contrôler, et <strong>sur</strong>tout pas <strong>les</strong> syndiqués. Les syndiqués ne<br />

sont ni complices, ni satisfaits, puisque leurs intérêts ne peuvent se<br />

rencontrer avec ceux qui inspirent l'action syndicale, et qui<br />

concernent <strong>les</strong> leaders bien plus que la base.<br />

Les syndtcats au cœur de la crls.e de la démocratte<br />

Ce qui se passe avec <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> n'est hélas qu'une des formes<br />

que revêt la crise de la démocratie. Celle-ci est décrite avec lucidité<br />

par Hayek:<br />

Le système ne produit rien de ce qui correspondrait réellement ~ une<br />

opinion majoritaire, mais fonctionne de façon ~ produire d'abord et<br />

avant tout ce que chacun des groupes dont le soutien électoral est<br />

indispensable pour former une majorité, doit concéder aux autres, en<br />

échange de leur soutien <strong>sur</strong> ce que lui, désire.<br />

Le syndicat tire aujourd'hui tout son pouvoir de sa présence <strong>sur</strong> le<br />

marché politique, comme groupe de pression particulièrement<br />

efficace, Il est sans doute le plus efficace de tous, parce qu'il dispose,<br />

avec le droit de grève et spécialement le droit de grève dans le secteur<br />

public, d'une arme presque absolue.


198 CINQ QUESTIONS SUR LES SYNDICATS<br />

La façon dont cette altération de la démocratie a été justifiée est<br />

significative. Comme toujours, on a essayé de vanter <strong>les</strong> mérites des<br />

<strong>syndicats</strong> comme producteurs de « biens publics» : facteurs de paix<br />

sociale, structures de dialogue et de participation, forces rééquilibrantes<br />

<strong>sur</strong> un marché du travail asymétrique, agences réductrices de<br />

coûts de transaction <strong>sur</strong> un marché du travail éclaté. Les prétextes<br />

n'ont pas manqué.<br />

En fait, la réalité est plus prosaïque. Il s'agit d'un cartel qui entend<br />

opposer la loi politique à la loi éco:iOmique. Et ce cartel fonctionne<br />

au bénéfice de ses leaders, et souvent au détriment de ses membres.<br />

Toute volonté de réaction des syndiqués - et des non syndiqués - a<br />

été d'avance neutralisée par le verrouillage du droit du travail. Et tout<br />

effort d'évolution du droit du travail se heurte à l'arme donnée par le<br />

droit de travail: le droit de grève dans sa forme actuelle.<br />

Cette conclusion est-elle définitive, et doit-on désespérer de<br />

l'avenir des <strong>syndicats</strong> et de la démocratie<br />

Pas nécessairement, parce qu'il reste sans doute deux possibilités<br />

de restaurer et la démocratie et le syndicalisme libre.<br />

La première possibilité est le recours à la concurrence.<br />

Réintroduire la démocratie dans <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> peut se faire à condition<br />

que <strong>les</strong> leaders syndicaux actuels et <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> qu'ils dirigent cessent<br />

de bénéficier d'un quelconque monopole de représentation et d'un<br />

quelconque pouvoir de cartel.<br />

La libéralisation du marché du travail, la redécouverte du contrat<br />

individuel, la modification des procédures d'élections socia<strong>les</strong>, la<br />

réforme du droit de grève, pourraient rendre à chaque travailleur sa<br />

complète liberté à l'égard des <strong>syndicats</strong>.<br />

Il n'est pas vrai que cela signifierait nécessairement la mort des<br />

<strong>syndicats</strong>. Il leur resterait encore et toujours cette fonction irremplaçable<br />

d'association volontaire propre à épargner aux travailleurs<br />

<strong>les</strong> coûts de la recherche d'emplois et de conditions de travail qui leur<br />

conviennent, et propre à fournir un certain nombre de services qui<br />

sont collectifs, sans être publics.<br />

Des <strong>syndicats</strong> ainsi conçus ne tiendraient pas leurs adhérents en<br />

otages. Ils pourraient, pour certaines de leurs activités, être concurrencés<br />

par d'autres organisations, à but lucratif ou non lucratif:


LES SYNDICATS ET LA DÉMOCRATIE 199<br />

conseils en placement, prestataires de loisirs, compagnies d'as<strong>sur</strong>ance,<br />

établissements d'enseignement ou de formation, etc.<br />

Mais imaginer une telle mutation syndicale, c'est admettre par làmême<br />

une réforme en profondeur de la société étatisée, et prôner la<br />

déréglementation. Car la source de toutes <strong>les</strong> perversions de la<br />

démocratie est bien là. Si l'État et le marché politique ne s'étaient pas<br />

faits distributeurs de «droits », c'est-à-dire de rentes, <strong>les</strong> groupes de<br />

pression n'existeraient pas. Les <strong>syndicats</strong> n'ont été que la réaction<br />

intelligente à la philosophie de l'État providence. Mais ils aboutissent<br />

aussi à être <strong>les</strong> serviteurs de l'État totalitaire, à moins que la confusion<br />

soit totale entre État et <strong>syndicats</strong>, comme le veut la doctrine marxiste.<br />

Les travailleurs doivent bien comprendre qu'ils ne pourront<br />

jamais conquérir l'État et qu'ils seront toujours <strong>les</strong> sujets de l'État. Il<br />

faut donc sortir l'État du circuit des travailleurs, du domaine social,<br />

pour le cantonner dans <strong>les</strong> domaines où il est encore aujourd'hui<br />

irremplaçable: la fourniture des vrais biens publics que sont aujourd'hui<br />

la défense collective, la police et la justice.<br />

La seule façon de sauver la démocratie n'est pas d'inventer la<br />

démocratisation de la politique, mais de réduire le champ d'action<br />

de la politique. Alors, et alors seulement, <strong>les</strong> travailleurs et <strong>les</strong><br />

citoyens pourront librement participer à cette démocratie du<br />

quotidien que l'on appelle la concurrence et le marché, sans plus<br />

subir l'arbitraire et <strong>les</strong> illusions de l'État providence. Moins d'État,<br />

c'est plus de vraie démocratie l tous <strong>les</strong> niveaux.


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TABLE ANALYTIQUE<br />

Introduction, 1<br />

1. Pourquoi <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong> 5<br />

L'argument de J'assymétrie de pouvoir, 6<br />

L'un peut tout, l'autre ne peut rien, 7 - Le travail n'est pas une denrée<br />

homogène, 9 - Un vol de concept, Il - Ne pas confondre le général<br />

et le particulier, 13 - L'employeur ne peut pas imposer n'importe<br />

quoi,14.<br />

L'argument de J'indétermination des salaires, 15.<br />

L'élargissement des marchés réduit l'indétermination, 17 - Peut-on<br />

exploiter <strong>les</strong> patrons 19 - Un exemple: L'Argentine, 20.<br />

L'argument du progrès socia~ 21<br />

L'essor du marketing social, 22 - Ne pas prêter aux <strong>syndicats</strong> ce qui<br />

revient au capitalisme, 23.<br />

L'argument du pouvoir d'acha~ 24<br />

La chaîne causale est inversée, 24 - Le faux effet Ricardo, 26.<br />

La vraie fonction des <strong>syndicats</strong>: des groupes de pression à vocation<br />

redistributive, 27<br />

Les nouvel<strong>les</strong> données <strong>Institut</strong>ionnel<strong>les</strong>, 28 - Les vieiI<strong>les</strong> lois<br />

économiques ne jouent plus, 30 - La théorie du syndicat-cartel, 31 -<br />

Priorité au court terme, 33 - Objectif nO 1 : rationner l'acœs au métier,<br />

35 - La logique corporative, 36 - Le précédent des professions<br />

libéra<strong>les</strong>, 37 - Les miIle manières de boucler un monopole, 39 -<br />

Même le salaire minimal..., 39 - Fausses indignations et fausses<br />

vertus, 41.


212 TABLE ANALYTIQUE<br />

La fécondité de J'hypothèse économique, 42<br />

La vérité <strong>sur</strong> <strong>les</strong> contrats collectifs, 43 - L'alibi du consensus, 45 - Le<br />

dernier recours: le contribuable, 46 - Le syndicaliste vu comme un<br />

entrepreneur, 48 - Sa préoccupation: <strong>les</strong> «passagers clandestins»,<br />

49 - La logique de la concentration syndicale, 51 - La dynamique de<br />

l'adhésion obligatoire, 52 - France: le législateur supplée aux<br />

faib<strong>les</strong>ses du syndicalisme politique, 54 - Comment l'État as<strong>sur</strong>e leur<br />

financement obligatoire, 56.<br />

2. Les <strong>syndicats</strong> sont-ils uti<strong>les</strong> 59<br />

Les arguments de Freeman et Medo./f, 61.<br />

Les deux armes du travailleur: le départ et la protestation, 61.<br />

Les <strong>syndicats</strong> réduisent <strong>les</strong> «coûts de transaction» internes de la<br />

filme, 63.<br />

1. Les b:arIs de salaires, 64 - 2. Les avantages en nature, 66 - 3. Les dïmrences de<br />

mobili~ 66 - 4. Les ajustements conjoncturels, ô7 - 5. L'importance de l'ancienneté, 67<br />

- 6. Le taux de satisfaction des salari&, 67 - 7. Les effets <strong>sur</strong> la productivit!, 68 - 8.<br />

L'effet <strong>sur</strong> <strong>les</strong> profits, 68 - 9. La puissance politique, 69 - 10. Le d~lin des adh~ons<br />

syndica<strong>les</strong>, 69.<br />

Les déficiences de J'analyse de Freeman et Medo./f, 70.<br />

Il s'agit de faux cc biens collectifs», 71 - Un handicap qui n'existe<br />

pas, 73 - Les écarts de rémunération peuvent être expliqués par<br />

d'autres éléments du marché du travail, 74 - Le coût économique du<br />

monopole syndical est beaucoup plus élevé qu'ils le disent, 75 - La<br />

rente apportée par l'entente syndicale est gaspillée en<br />

investissements visant à la protéger, 78 - L'escroquerie de l'effetproductivité,<br />

81 - Des faits statistiques compatib<strong>les</strong> avec une autre<br />

interprétation du rôle des <strong>syndicats</strong>, 83 - Aucune preuve de la<br />

supériorité de leur modèle, au contraire, 86 - Il y a ententes et<br />

ententes, 88.<br />

Annexe au chapitre 2 : Pourquoi le déclin du syndicalisme 90<br />

3. Droit du travail ou droit au travail 93<br />

Le contrat de travail et le droit de propriété <strong>sur</strong> soi, 95<br />

Le problème des investissements cc incorporés» aux êtres humains,<br />

97 - Le problème des investissements spécifiques à l'entreprise, 98 -<br />

L'apport de la théorie économique, 99.


TABLE ANALYTIQUE 213<br />

Le droit du travail contre le contrat de travail, 100<br />

Retour à l'ordre juridique prérévolutionnaire, 102 - Les conventions<br />

collectives: des ententes obligatoires, 104.<br />

Le droit du travail contre le marché du travail, 106<br />

La justice du salaire et l'injustice du marché, 107 - Une tradition déjà<br />

longue et ancienne, 108 - Le plus important est la police de l'entente,<br />

110 - La capture de la loi par <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, 112 - Une législation<br />

malthusienne, 113 - Les indemnités de licenciement et le théorème<br />

de Coase, 115 - Le principe de l'échange volontaire des droits, 116 -<br />

L'ajustement se retourne contre ceux que le législateur croit protéger,<br />

118 - Une législation qui n'est pas innocente, 119 - La liberté<br />

contractuelle serait une meilleure protection que l'indemnité de<br />

licenciement, 121.<br />

4. Les crises, le chômage et <strong>les</strong> <strong>syndicats</strong>, 123<br />

Le principe de la loi de Say, 125.<br />

Ce que la loi de Say dit et ne dit pas, 127 - Comment disparaissent la<br />

demande et l'emploi, 133 - La déréglementation restaure la demande,<br />

136 - Progrès technique et coordination, 137 - Une exigence<br />

essentielle, la flexibilité des prix et des salaires, 140 - Le problème, ce<br />

sont <strong>les</strong> entraves institutionnel<strong>les</strong> aux mouvements de prix relatifs,<br />

142.<br />

La loi de Say et la monnaie, 143<br />

Le danger vient des monnaies d'État, 145 - «Qui commencera le<br />

premier », 146 - Les conséquences du principe de non-neutralité,<br />

147 - Il faudrait un véritable miracle, 148 - Une part irréductible de<br />

chômage et de sous-emploi est inévitable, 150 - La généralisation de<br />

l'axiome de Say, 151 - L'erreur des Keynésiens, 152 - La solution<br />

n'est pas de baisser <strong>les</strong> salaires, mais de leur rendre la liberté, 153 - La<br />

déflation n'est pas le «symétrique» de l'inflation, 154.<br />

Le chômage et la grève, 155<br />

Chômage classique, chômage institutionnel, 156 - Le produit d'une<br />

perversion de la démocratie, 158 - La grève, ou le droit au chantage,<br />

160 - La grève a <strong>sur</strong> le circuit économique <strong>les</strong> mêmes effets négatifs<br />

que <strong>les</strong> autres formes d'entraves, 162 - Le droit de grève, un défi à<br />

l'État de droit, 163, La loi abaisse <strong>les</strong> «coûts de la violence»<br />

seulement pour certains, 164 - L'alibi «u til itariste » du syndicat, 166<br />

- Comment cet alibi s'effondre, 168 - Le problème, ce sont <strong>les</strong><br />

privilèges, 169.


214 TABLE ANALYTIQUE<br />

Annexe au chapitre 4: Le travailleur «propriétaire» de son emploi<br />

170.<br />

5. Les <strong>syndicats</strong> et la démocratie, 173<br />

La politisation syndicale, 174<br />

Faire pression pourquoi 176<br />

Faire pression comment 180<br />

L'arme absolue du pouvoir politique syndica~ 183<br />

La démocratie recule avec <strong>les</strong> conquêtes syndica<strong>les</strong>, 185<br />

Le syndicat, firme managériale 188<br />

Les syndiqués sont-ils satisfaits 192<br />

Les syndiqués sont-ils complices 195<br />

Les <strong>syndicats</strong> au cœur de la crise de la démocratie, 197<br />

Bibliographie, 201


Imprimé en France<br />

Imprimerie des Presses Universitaires de France<br />

73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme<br />

Juin 1990 - N° 363gB

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