16.01.2015 Views

Perdu dans le labyrinthe des Liaisons dangereuses

Perdu dans le labyrinthe des Liaisons dangereuses

Perdu dans le labyrinthe des Liaisons dangereuses

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

68<br />

une époque où <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong> hasard présidait à l'architecture<br />

du roman'.<br />

Mais dès que l'autre souvenir de <strong>le</strong>cture refait surface, la<br />

figure du <strong>labyrinthe</strong> s'impose avec force. Valmont enferme la<br />

présidente de Tourvel <strong>dans</strong> un <strong>labyrinthe</strong> de mots. Chaque mot,<br />

chaque phrase de Valmont peut cacher un piège et <strong>le</strong> plaisir du<br />

<strong>le</strong>cteur est de <strong>le</strong> débusquer. Cela ajoute au plaisir, mais aussi au<br />

travail interprétatif : d'un mot à l'autre, d' une phrase à l'autre,<br />

d' une <strong>le</strong>ttre à l'autre ce qui était vérité peut devenir - devient<br />

souvent - mensonge et <strong>le</strong> mensonge, la vérité. D'où la confusion<br />

ressentie à la <strong>le</strong>cture. Hésitation, doute, indécision font <strong>le</strong><br />

désarroi de Mme de Tourvel et <strong>le</strong> plaisir du <strong>le</strong>cteur. Mme de<br />

Tourvel est prise <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>labyrinthe</strong> du discours, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur aussi.<br />

La <strong>le</strong>cture <strong>des</strong> <strong>Liaisons</strong> <strong>dangereuses</strong> devient ainsi un parcours du<br />

<strong>labyrinthe</strong>' .<br />

Ainsi donc ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas <strong>le</strong> mythe,<br />

mais la figure du <strong>labyrinthe</strong> comme symbo<strong>le</strong> de toute <strong>le</strong>cture en<br />

ce qu'el<strong>le</strong> permet d'en représenter <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> processus: un<br />

IL'expression est de Laurent Versini qui rappel<strong>le</strong> que <strong>le</strong> ISe sièc<strong>le</strong> a eu un<br />

goût fort marqué pour ces romans·mémoires dont <strong>le</strong>s auteurs « s'égaraient<br />

comme <strong>le</strong>urs héros <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s méandres de la métaphysique du cœur, sans plus<br />

savoir comment en sortir â la trois centième page qu'à la première)) (Versini,<br />

1968, 427). Cela rend Les liaisons <strong>dangereuses</strong> d'autant plus remarquab<strong>le</strong> à<br />

l'époque. Laurent Versini consacre plus de 2S pages au souci de composition<br />

qu'avait Laclos, souci manifeste <strong>dans</strong> son travail mÎnutieux de datation <strong>des</strong><br />

<strong>le</strong>ttres, la suppression de plusieurs de cel<strong>le</strong>s-ci, ses nombreuses corrections.<br />

On peut supposer, par ail<strong>le</strong>urs, que n'importe quel <strong>le</strong>cteur est sensib<strong>le</strong> à<br />

l'aspect ( construit» du roman ne serait-ce que <strong>dans</strong> la dimension<br />

anecdotique du complot ourdi par Madame de Merteuil et Valmont. Quand il<br />

lit, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> récit ému que fait madame de Tourvcl, favorab<strong>le</strong>ment<br />

impressionnée, par la « bonne action )~ de Valmont et que ce récit est<br />

précisément intercalé entre deux <strong>le</strong>ttres de Valmont à la marquise de Merteuil -<br />

<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres, ne laissent aucun doute sur la sincérité du geste, sur sa mise<br />

en scène, - on imagine que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur ressent, même si il ne J'analyse pas, que<br />

« l'impression d'action dérive de la juxtaposition idéa<strong>le</strong> <strong>des</strong> <strong>le</strong>ttres » ou<br />

l'effet « arrangé avec <strong>le</strong> gars <strong>des</strong> vues» !<br />

ZCela ne va pas sans humour quand on considère que la littérature du 18 e<br />

sièc<strong>le</strong> par<strong>le</strong> abondamment <strong>des</strong> (c égarements » du cœur et si, comme <strong>le</strong> remarque<br />

S. Thorel-Cail<strong>le</strong>teau (1994), <strong>le</strong> <strong>labyrinthe</strong> est moins une figure géométrique<br />

qu'intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, si <strong>le</strong> <strong>labyrinthe</strong> n'engendre pas tant l'égarement, que<br />

l'égarement ne suscite l'image du <strong>labyrinthe</strong> : Laclos aurait écrit un roman qui<br />

mime une thématique alors à la mode.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!