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Livret Témoins de la Bombe - Assemblée de la Polynésie française

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Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe<br />

Pour donner du sens aux non-dits<br />

Le big-bang <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe n’en finit pas <strong>de</strong> propager ses<br />

on<strong>de</strong>s sur tout l’univers polynésien. Pas vraiment <strong>de</strong><br />

discours scientifique ou même rationnel au long <strong>de</strong> ces<br />

trente-trois témoignages. Comment être rationnel, en<br />

effet, quand le big-bang s’enracine dans le comble <strong>de</strong><br />

l’irrationnel et le déni <strong>de</strong> toute humanité <br />

Pour l’exposition « Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe », Marie-Hélène<br />

Villierme et Arnaud Hu<strong>de</strong>lot, chacun selon son art, ont<br />

transcrit ces voix polynésiennes avant qu’elles ne s’estompent.<br />

Pour ne pas oublier.<br />

Marie-Hélène, <strong>la</strong> photographe, fixe ces trente-trois<br />

regards en autant <strong>de</strong> splendi<strong>de</strong>s portraits étayés <strong>de</strong><br />

quelques phrases, parfois indignées, parfois résignées,<br />

où l’émotion transparaît pudiquement.<br />

Arnaud Hu<strong>de</strong>lot, le réalisateur, s’est effacé <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong><br />

parole <strong>de</strong>s témoins. Les vidéos déroulent <strong>de</strong> longs monologues<br />

empreints <strong>de</strong> souvenirs échappés à l’oubli du<br />

temps, <strong>de</strong> <strong>de</strong>uils inexpliqués ou subis dans l’indifférence<br />

générale et <strong>la</strong> peur ou encore <strong>de</strong> tentatives d’explications<br />

du chamboulement social si mal assumé.<br />

Cette histoire est d’une tristesse infinie ! Tels ces mots<br />

jamais prononcés sur les atolls nucléaires tant ils auraient<br />

pu effrayer et dissua<strong>de</strong>r. Ou encore cette bombe<br />

qu’aujourd’hui, certains n’osent plus désigner par son nom<br />

: « cette chose-là » dit Jacqueline. Ou encore ces ma<strong>la</strong>dies<br />

sans nom que les mé<strong>de</strong>cins se retiennent <strong>de</strong> qualifier. Ou<br />

encore ce remords à peine voilé où certains s’imaginent<br />

encore coupables d’avoir touché à l’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe.<br />

Espoir quand même, avec cette fierté d’avoir résisté, à<br />

mains nues pourrait-on dire, face au rouleau compresseur<br />

du déferlement d’une propagan<strong>de</strong> monnayée, avec<br />

cet ar<strong>de</strong>nt désir aussi d’une mémoire à construire pour<br />

les générations à venir.<br />

Bruno Barrillot<br />

1


Mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP<br />

En 2006, le rapport sur les essais nucléaires <strong>de</strong> l’Assemblée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie<br />

française inscrivait <strong>la</strong> recommandation suivante :<br />

« La Commission d’enquête recomman<strong>de</strong> que soit créé, dans le cadre <strong>de</strong>s institutions<br />

du Pays, un institut qui soit un centre d’archives et <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong>s<br />

essais nucléaires mis à <strong>la</strong> disposition du public… Il recueillera toute <strong>la</strong> documentation<br />

disponible, écrite et audiovisuelle sur les essais nucléaires. Cet institut<br />

pourra produire <strong>de</strong>s documents, expositions à disposition <strong>de</strong> tous publics<br />

polynésiens, mais aussi <strong>de</strong>s touristes <strong>de</strong> passage dans le Pays. La Commission<br />

d’enquête recomman<strong>de</strong> que <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> tous les Polynésiens qui ont travaillé<br />

sur les sites d’essais nucléaires <strong>de</strong>puis 1963 soit conservée… »<br />

S’appuyant sur cette volonté <strong>de</strong>s élus polynésiens et confortée par le soutien<br />

<strong>de</strong>s gouvernements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie, <strong>la</strong> Délégation pour le suivi <strong>de</strong>s conséquences<br />

<strong>de</strong>s essais nucléaires a engagé <strong>de</strong>puis 2010 un programme intitulé<br />

« Mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP ». L’objectif est <strong>de</strong> conserver, <strong>de</strong> créer et <strong>de</strong><br />

diffuser, selon une diversité d’approches, - livres, expositions, documents<br />

audiovisuels, internet - les paroles, les souvenirs, les écrits, les images…<br />

rappe<strong>la</strong>nt ces 30 années d’essais nucléaires qui ont bouleversé l’univers <strong>de</strong>s<br />

Polynésiens. La diversité <strong>de</strong>s moyens permettra d’atteindre <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

société polynésienne, <strong>de</strong>puis les plus jeunes générations sco<strong>la</strong>risées souvent<br />

ignorantes <strong>de</strong> ce passé pourtant récent jusqu’aux anciens qui revivront ainsi<br />

<strong>la</strong> mémoire oubliée.<br />

Déjà, <strong>de</strong>s historiens, <strong>de</strong>s écrivains, <strong>de</strong>s journalistes, ont publié leurs<br />

approches <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> par <strong>de</strong>s livres ou <strong>de</strong>s documentaires télévisés.<br />

Des sites internet ont été créés dont www.moruroa.org à l’initiative <strong>de</strong> l’Assemblée<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie et beaucoup d’autres, mis en ligne par <strong>de</strong>s personnes<br />

individuelles ou par <strong>de</strong>s associations tel www.moruroaetatou.com qui<br />

égraine l’actualité <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong>s essais sur les victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe.<br />

Le programme « Mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP » <strong>de</strong> <strong>la</strong> Délégation se veut en<br />

complément <strong>de</strong> toutes ces initiatives, insistant sur l’approche « polynésienne »<br />

trop longtemps ignorée, sans exclusive cependant.<br />

Peuple jeune et encore <strong>de</strong> culture orale - à quand un concours d’orero sur<br />

l’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP ! -, les Polynésiens apprécient l’image et <strong>la</strong> parole<br />

plus que l’écrit. Dans <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong>s moyens qui lui sont donnés, <strong>la</strong> Délégation<br />

a voulu privilégier le recueil indispensable <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire audiovisuelle <strong>de</strong>s<br />

« Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe » qui sera prolongé et complété par <strong>la</strong> déclinaison<br />

d’autres présentations <strong>de</strong> cette page d’histoire du CEP. Cet ensemble <strong>de</strong><br />

documents constitueront autant d’éléments qui prendront p<strong>la</strong>ce dans le futur<br />

« centre <strong>de</strong> <strong>la</strong> mémoire » dont <strong>la</strong> création s’avère aujourd’hui indispensable.<br />

Remerciements<br />

B B<br />

Marie-Hélène Villierme, Arnaud Hu<strong>de</strong>lot et l’équipe <strong>de</strong> tournage <strong>de</strong>s interviewes<br />

filmées « Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe » remercient vivement tous ceux et celles qui ont<br />

bien voulu partager leur histoire et leurs convictions. Nous sommes certains<br />

que leurs témoignages toucheront le cœur <strong>de</strong> leurs contemporains, polynésiens<br />

ou étrangers, comme celui <strong>de</strong>s générations à venir qui sont, en finale,<br />

les véritables <strong>de</strong>stinataires <strong>de</strong> cette mémoire collective. Pour ne pas oublier.<br />

Liste <strong>de</strong>s portraits<br />

PIA Raymond<br />

GOODING Régis<br />

OTCENASEK Jaros<strong>la</strong>v<br />

TAHA Raymond<br />

TETARIA Charles<br />

LOWGREEN Yannick<br />

BARRILLOT Bruno<br />

BRANDER Maoake<br />

AVIU Chantal<br />

LENOIR Heiava<br />

CHAN Marius<br />

COPPENRATH Hubert<br />

GOLAZ Jacqueline<br />

COURNEE François<br />

REGNAULT Jean-Marc<br />

TEFAARERE Hirohiti<br />

PALACZ Daniel<br />

HOWELL Patrick<br />

DU PREL Alex<br />

DOOM John<br />

TEMARU Oscar<br />

MARAEA Taaroanui<br />

HIRSHON Unutea<br />

ARAPARI Temarama<br />

ARAKINO Michel<br />

CHAN Maxime<br />

TUHEIAVA Richard<br />

LARGETEAU Emilienne<br />

LARGETEAU Pierre-Emile<br />

PUGIBET Marc<br />

SPITZ Chantal<br />

BRYANT Jacky<br />

OLDHAM Ro<strong>la</strong>nd<br />

2 3


Raymond Pia<br />

Raymond Pia a commencé à travailler au CEP en 1968, jusqu’en 1996<br />

quand il a pris sa retraite. Il a été recruté comme manœuvre par<br />

une société sous-traitante, <strong>la</strong> So<strong>de</strong>tra, puis il a fait plusieurs métiers,<br />

mais il a travaillé longtemps sur les barges comme sou<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong>puis le<br />

temps <strong>de</strong>s essais aériens, puis <strong>de</strong>s essais souterrains.<br />

Raymond précise ses conditions <strong>de</strong> travail : « Voilà, j’ai été travailler<br />

là-bas pour avoir <strong>de</strong> l’argent. Avant <strong>de</strong> faire mon contrat, on ne nous<br />

a pas du tout dit qu’on courrait <strong>de</strong>s risques. On nous a fait signer<br />

comme quoi nous ne <strong>de</strong>vons absolument rien dire <strong>de</strong> ce que nous<br />

verrons, on dit ça « le secret » et sinon vous risquez <strong>la</strong> prison. Mais<br />

pour dire qu’il y a risques, non, on ne nous a absolument pas indiqué<br />

qu’il y avait <strong>de</strong>s problèmes. »<br />

Raymond décrit les faits à partir <strong>de</strong> ce qu’il constatait. Il n’avait pas<br />

peur au moment du tir parce que lui et ses collègues polynésiens<br />

n’étaient pas informés du déroulement <strong>de</strong>s tirs. « Donc on était là, on<br />

ne se souciait pas tellement <strong>de</strong> ce qui al<strong>la</strong>it se passer. »<br />

«<br />

Six ans après sa mise à <strong>la</strong> retraite, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die s’est déc<strong>la</strong>rée : il a<br />

fallu l’évasaner en France, à Villejuif pour une radiothérapie. Raymond<br />

gar<strong>de</strong> en lui cette gran<strong>de</strong> inquiétu<strong>de</strong> : « Mon témoignage, c’est<br />

pour les générations à venir, c’est eux qui subiront les conséquences.<br />

Aujourd’hui, tu t’aperçois bien qu’il y a beaucoup <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>dies au Pays<br />

maintenant. Dans le temps, il n’y avait pas toutes ces ma<strong>la</strong>dies chez<br />

nous. Nous, nous avons dépassé les 60 ans. Mais <strong>la</strong> jeunesse, pour<br />

<strong>de</strong>main Il est trop tard, le mal est fait. Voilà mon témoignage ! »<br />

»<br />

4 5


Régis Gooding<br />

Régis Gooding a travaillé à Moruroa alors qu’il avait 16 ans, au temps<br />

<strong>de</strong>s essais aériens « pour ai<strong>de</strong>r mon papa à nourrir mes 4 frères et<br />

mes 3 sœurs ». Il raconte comment un gamin <strong>de</strong> 16 ans pouvait vivre<br />

si loin <strong>de</strong> sa famille sur un site aussi dangereux : une vie presque<br />

rêvée avec <strong>de</strong>s loisirs inconnus, le cinéma, les jeux nautiques…<br />

« C’était <strong>la</strong> belle vie parce qu’on n’avait pas <strong>de</strong> souci pour le repas. Le<br />

linge était <strong>la</strong>vé sur le bateau. On était là vraiment pour faire avancer<br />

le travail pour <strong>la</strong> bombe atomique. Mais tout était fait pour qu’on ne<br />

s’ennuie pas sur p<strong>la</strong>ce. On était occupés. »<br />

Régis décrit <strong>la</strong> bombe, comme il l’a vue <strong>de</strong>puis le bateau-base et à<br />

Moruroa, sans oublier les interdictions… « Comme si on pouvait<br />

empêcher un Polynésien <strong>de</strong> manger du poisson ! » Discrimination <br />

« Après un tir, les techniciens du CEA venainent avec <strong>de</strong>s tenues, <strong>de</strong>s<br />

masques à gaz, tout couvert, en b<strong>la</strong>nc quoi, avec <strong>de</strong>s chaussures et<br />

<strong>de</strong>s gants et les Polynésiens, les travailleurs locaux, ils avaient leurs<br />

c<strong>la</strong>quettes, short, débar<strong>de</strong>ur, sans rien quoi. Ils n’avaient même pas<br />

<strong>de</strong> gants. Voilà leur tenue <strong>de</strong> travail. »<br />

Régis n’est resté qu’un an à Moruroa, mais, <strong>de</strong>venu militaire il y a été<br />

envoyé en 1977 avec une section militaire. Il a été témoin d’un effondrement<br />

après un tir souterrain et du raz-<strong>de</strong>-marée qui a suivi. « C’est<br />

à partir <strong>de</strong> là que les légionnaires ont construit un mur <strong>de</strong> protection<br />

et aussi à installer <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>teformes <strong>de</strong> sécurité. »<br />

Le papa <strong>de</strong> Régis avait lui aussi travaillé à Moruroa. Ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, il a été<br />

quand même embauché au CEA <strong>de</strong> Mahina. Il a eu tellement d’eczéma<br />

qu’on lui a dit <strong>de</strong> ne plus revenir travailler. Il est mort finalement <strong>de</strong><br />

son cancer <strong>de</strong> <strong>la</strong> peau alors qu’on lui par<strong>la</strong>it « d’eczéma ». Il s’indigne :<br />

« Pourquoi, on oublie comme ça ceux qui ont servi cette bombe atomique<br />

: il a été à Muru, il a contracté le cancer <strong>de</strong> <strong>la</strong> peau, mais ce n’est<br />

pas <strong>de</strong> sa faute, c’est <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> qui alors Parce qu’il a respiré l’air<br />

polynésien qui est contaminé Mais qui a amené cette contamination »<br />

«<br />

»<br />

6 7


Jaros<strong>la</strong>v Otcenasek<br />

Jaros<strong>la</strong>v Otcenasek a travaillé au tout début à <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s instal<strong>la</strong>tions<br />

du CEP à Tahiti. « Avant, je travail<strong>la</strong>is un peu et je gagnais<br />

20 francs <strong>la</strong> semaine. En travail<strong>la</strong>nt au CEP, on gagnait 140 francs<br />

<strong>la</strong> semaine. Donc vous voyez l’écart. Donc c’est ça qui a fait le déséquilibre<br />

: tout le mon<strong>de</strong> a abandonné pêche, agriculture, élevage. Ce<br />

qu’on gagnait en trois mois, on le gagnait en une semaine. Alors tout<br />

le mon<strong>de</strong> s’est engouffré dans cette voie-là, mais sans savoir les dangers<br />

que représentait <strong>la</strong> bombe atomique… »<br />

Jaros<strong>la</strong>v explique les conséquences <strong>de</strong> ce rush sur l’argent du CEP :<br />

« Tout le mon<strong>de</strong> est accouru sur Papeete. Avant, on <strong>de</strong>scendait une<br />

fois par semaine ou une fois par mois à Papeete juste pour acheter<br />

le strict nécessaire : <strong>la</strong> farine, le sucre etc. Mais <strong>de</strong>puis que le CEP est<br />

arrivé, même ceux <strong>de</strong>s îles sont venus s’agglomérer sur Papeete, ça<br />

a été construction sur construction. Les gens ont quitté leurs îles et<br />

les districts pour s’agglomérer dans <strong>la</strong> ville. Alors, aujourd’hui, pour<br />

les faire revenir dans leurs îles ou dans leurs districts c’est vraiment<br />

très très dur. »<br />

La prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s dangers du nucléaire s’est faite lentement :<br />

« Ce<strong>la</strong> a pris un certain nombre d’années quand on a commencé à voir<br />

<strong>de</strong>s copains qui mourraient, qui tombaient ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s : c’était toujours<br />

ceux qui travail<strong>la</strong>ient sur les sites à Moruroa et Fangataufa. Quand ils<br />

revenaient, on leur interdisait d’en parler. S’ils commençaient à raconter,<br />

alors on les mettait <strong>de</strong>hors carrément, on les reprenait plus. Alors<br />

on s’est dit qu’il y a quelque chose que l’armée est en train <strong>de</strong> nous<br />

cacher. Mais on a mis longtemps, longtemps, c’était tabu d’en parler. »<br />

Jaros<strong>la</strong>v porte un jugement sévère sur <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP : « Pour moi,<br />

ça a été très néfaste parce qu’on n’a eu aucune retombée… on a<br />

aujourd’hui les ma<strong>la</strong>dies et un pays qui va très mal. Je voudrais dire à<br />

<strong>la</strong> jeunesse : Levez-vous et battez-vous, jusqu’au jour où <strong>la</strong> France va<br />

nous donner cette reconnaissance, va nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon <strong>de</strong> nous<br />

avoir fait du mal. Alors certainement je serais fier d’être Français tout<br />

simplement. »<br />

«<br />

»<br />

8 9


Raymond Taha<br />

Après avoir quitté l’école à 13 ans à cause du décès <strong>de</strong> ses parents,<br />

Raymond Taha a commencé à travailler à Moruroa à l’âge <strong>de</strong> 16 ans<br />

pour subvenir aux besoins <strong>de</strong> sa famille. Il a été embauché en 1965<br />

comme ai<strong>de</strong>-mécanicien à <strong>la</strong> société Dumez-Citra.<br />

Raymond se souvient encore <strong>de</strong>s préparatifs <strong>de</strong>s premières bombes<br />

à Moruroa en 1966 : « Et à Faucon, il y avait un grand ballon, je crois<br />

c’est pour soutenir ce qui va se passer dans le <strong>la</strong>gon <strong>de</strong> Moruroa,<br />

avec <strong>la</strong> bombe nucléaire qui va sauter en-<strong>de</strong>ssous. Alors au moment<br />

où les sociétés portaient ce ballon pour le gonfler, les jeunes gens du<br />

CEA sont là pour l’arroser, pour éviter que ça explose au soleil. »<br />

Raymond décrit une curieuse ambiance <strong>de</strong> travail : « On nous a interdit<br />

le droit à <strong>la</strong> parole. Je me rappelle avant <strong>de</strong> quitter l’école, on<br />

n’a pas le droit <strong>de</strong> parler le tahitien en c<strong>la</strong>sse et arrivés à Moruroa,<br />

c’était le même principe : on n’a pas le droit <strong>de</strong> parler entre nous<br />

les amis, les copains et on est soupçonnés, on est observés par<br />

les chefs d’entreprise et même par les chefs d’équipe. » Bien sûr, il<br />

gar<strong>de</strong> le souvenir <strong>de</strong> tous les interdits alimentaires : ne pas manger<br />

<strong>de</strong> poisson, ne pas boire <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong> coco… Il se rappelle même<br />

d’un copain qui a transgressé l’interdit, qui est tombé ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et<br />

décédé au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours.<br />

«<br />

Raymond a eu cinq enfants dont une petite fille qui est décédée d’une<br />

malformation <strong>de</strong>s poumons. « J’ai compris que <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die qu’elle a<br />

eue, ça vient <strong>de</strong> moi », dit-il. En 1994, c’était son tour : « J’ai attrapé<br />

<strong>la</strong> leucémie au mois <strong>de</strong> mars 1994. J’ai commencé à avoir <strong>de</strong>s saignements<br />

<strong>de</strong> nez un vendredi. Le lundi matin, je me suis présenté aux<br />

urgences à l’hôpital <strong>de</strong> Mamao et trois jours après, j’ai été évasané<br />

en métropole, à l’Hôtel-Dieu. Je suis arrivé, il y avait aussi <strong>de</strong>s anciens<br />

là-bas. Je suis resté le seul sur huit, mira<br />

»<br />

10 11


Charles Tetaria<br />

Mé<strong>de</strong>cin. Ancien ministre.<br />

Jeune mé<strong>de</strong>cin polynésien au temps du CEP, il témoigne <strong>de</strong> son expérience<br />

à l’hôpital civil <strong>de</strong> Mamao : « De mon séjour aux urgences,<br />

je n’ai jamais eu à traiter, à m’occuper <strong>de</strong>s personnes qui avaient<br />

quelque chose en rapport avec Moruroa. Même s’il y avait <strong>de</strong>s évacuations<br />

sanitaires… C’était l’armée qui al<strong>la</strong>it chercher les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s<br />

ou les blessés à Moruroa et Fangataufa, mais pour les soigner directement<br />

à l’hôpital militaire Jean-Prince, puis en France…» Et ce rappel<br />

amer <strong>de</strong> <strong>la</strong> mainmise <strong>de</strong>s armées sur <strong>la</strong> santé publique en Polynésie :<br />

« La Direction <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, le Directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, c’était un mé<strong>de</strong>cin<br />

militaire ; à l’hôpital <strong>de</strong> Mamao à l’époque, le directeur <strong>de</strong> l’hôpital<br />

<strong>de</strong> Mamao, c’était un militaire. Presque tous les chefs <strong>de</strong> service <strong>de</strong><br />

l’hôpital <strong>de</strong> Mamao, c’était <strong>de</strong>s militaires. »<br />

Charles Tetaria constate que <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s Polynésiens<br />

s’est faite tardivement. Les consciences se sont réveillées avec le<br />

« taui » <strong>de</strong> 2004, après <strong>de</strong>s années d’étouffement par un gouvernement<br />

qui affirmait que « <strong>la</strong> bombe atomique, ce n’était pas grandchose<br />

! »<br />

Il termine par un immense regret, un manquement à nos responsabilités<br />

: « Si on considère qu’il y a eu le fait nucléaire, ce qu’on aurait<br />

dû faire, c’est <strong>de</strong> très vite <strong>de</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce un service <strong>de</strong> santé,<br />

un service médical <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nce pour tous ces travailleurs, chose<br />

qu’on a jamais faite. »<br />

Mais là, pense-t-il, « le pays a mal joué » ! Si le suivi a été mis en p<strong>la</strong>ce<br />

tout <strong>de</strong>rnièrement, il le voit comme un retour en arrière : « Un mé<strong>de</strong>cin<br />

militaire pour le suivi <strong>de</strong> nos ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s polynésiens On a l’impression<br />

<strong>de</strong> revivre les situations antérieures ! »<br />

«<br />

»<br />

12 13


Yannick Lowgreen<br />

Yannick Lowgreen a été embauché au CEA en 1982. Il avait 26 ans.<br />

« Avant <strong>de</strong> rentrer, le CEA a fait une enquête comme ça se fait pour tous<br />

ceux qui vont travailler dans <strong>de</strong>s sites secret défense ou confi<strong>de</strong>ntiel<br />

défense. » Entré comme employé <strong>de</strong> bureau, il s’est spécialisé et a reçu<br />

une formation <strong>de</strong> technicien dans les forages.<br />

Yannick décrit avec précision le déroulement <strong>de</strong>s forages « grands diamètres<br />

» où seront <strong>de</strong>scendus les bombes, mais aussi le déroulement<br />

<strong>de</strong>s post-forages <strong>de</strong>stinés à récupérer <strong>de</strong>s matières radioactives après<br />

l’explosion souterraine : « Il fal<strong>la</strong>it aller très vite pour ne pas chopper<br />

<strong>de</strong> dose, il y avait un château <strong>de</strong> plomb, un réceptacle ouvert en plomb<br />

pour éviter que les radiations sortent une fois que <strong>la</strong> carotte est p<strong>la</strong>cée<br />

à l’intérieur. Donc quand <strong>la</strong> carotte arrivait, l’opération se dérou<strong>la</strong>it au<br />

maximum entre une quinzaine <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s et <strong>la</strong> minute. »<br />

Un jour, on a détecté un problème lors d’une prise <strong>de</strong> sang : « Ils se<br />

sont rendu compte qu’il y avait un problème. Donc je suis <strong>de</strong>scendu à<br />

l’hôpital Jean-Prince à Tahiti et ils ont analysé ça. Le mé<strong>de</strong>cin m’a dit :<br />

étant donné que tu es un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong> bretons, <strong>de</strong> corses, <strong>de</strong> danois,<br />

<strong>de</strong> polynésiens, on peut trouver ce genre <strong>de</strong> problème. Mais ils ont<br />

dit que c’était pas du tout lié au travail que je faisais. J’ai repris mon<br />

travail, je n’ai pas été déc<strong>la</strong>ré inapte. Jusqu’à présent il n’y a rien. »<br />

«<br />

Yannick Lowgreen fait partie <strong>de</strong> ceux qui considèrent plutôt les bienfaits<br />

économiques du CEP : « Beaucoup <strong>de</strong> gens trouvaient du travail,<br />

donc c’est déjà quelque chose d’important. Bien sûr, tout n’a pas été<br />

parfait en ces 30 ans <strong>de</strong> nucléaire. Il y a eu <strong>de</strong>s problèmes, mais ça<br />

n’a pas apporté que du mal. Ca a apporté aussi du bien : si on a une<br />

université, si on a <strong>de</strong>s écoles qui ont été construites aujourd’hui, c’est<br />

un peu grâce à ça. Bien sûr, c’est un peu tout ça qu’on <strong>la</strong>isse à <strong>la</strong><br />

génération à venir. »<br />

»<br />

14 15


Bruno Barrillot<br />

Bruno Barrillot raconte son parcours qui l’a conduit à se préoccuper<br />

<strong>de</strong>s essais nucléaires, citant les rencontres et les faits qui ont été déterminants.<br />

Il parle notamment du choc, lorsqu’en 1990, il a découvert<br />

Mangareva, avec son abri antiatomique pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion - en fait un<br />

hangar - et le blockhaus super protégé <strong>de</strong>s militaires.<br />

Il décrit les difficultés <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche pour approcher <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>s<br />

essais nucléaires, mais aussi le grand réseau <strong>de</strong> solidarité qui s’est<br />

créé en Europe, dans le Pacifique, au Japon et le reste du mon<strong>de</strong> pour<br />

soutenir les victimes <strong>de</strong>s essais nucléaires. Ce réseau n’a pu se constituer<br />

qu’avec le dynamisme <strong>de</strong> John Doom, <strong>de</strong>s Eglises protestantes <strong>de</strong><br />

Polynésie et du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> militants polynésiens <strong>de</strong>s ONG Hiti Tau, du<br />

parti indépendantiste Tavini Huiraatira. Pour Bruno Barrillot, l’histoire <strong>de</strong><br />

Moruroa e tatou, <strong>de</strong> l’association <strong>de</strong>s vétérans AVEN en France n’a pu<br />

se construire qu’avec l’appui <strong>de</strong> ce réseau mondial qui ne leur a jamais<br />

fait défaut, jusqu’à aujourd’hui.<br />

Travail<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>puis 3 décennies sur le sujet, le chercheur connaît parfaitement<br />

le déroulement <strong>de</strong>s 30 années d’essais nucléaires à Moruroa et<br />

à Fangataufa ainsi que leurs répercussions sur <strong>la</strong> Polynésie et les Polynésiens.<br />

Dans un <strong>la</strong>ngage très vigoureux, il rapporte <strong>de</strong>s faits, souvent<br />

inconnus <strong>de</strong>s Polynésiens eux-mêmes. Il ne s’en <strong>la</strong>isse pas compter par<br />

<strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> officielle qui, constamment, minimise les risques sanitaires<br />

et environnementaux. « Mais comment, aujourd’hui, mesure-t-on<br />

les conséquences <strong>de</strong>s essais, si ce n’est dans <strong>la</strong> santé <strong>de</strong>s Polynésiens !<br />

Combien <strong>de</strong> femmes et <strong>de</strong> jeunes Polynésiens sont atteints <strong>de</strong> cancers<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> thyroï<strong>de</strong> et qui étaient enfants à l’époque <strong>de</strong>s essais aériens <br />

Combien <strong>de</strong> cancers, combien <strong>de</strong> leucémies qui mettent dix ans, vingt<br />

ans, trente ans à se déc<strong>la</strong>rer ! Je ne dis pas que tout vient <strong>de</strong>s essais<br />

nucléaires, bien sûr, car il y a <strong>de</strong>s tas d’autres causes avec <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnité<br />

apportée avec l’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe. Mais on peut quand même penser<br />

que les essais nucléaires sont pour quelque chose dans le problème<br />

très grave <strong>de</strong> santé publique qui se pose ici avec ce développement<br />

phénoménal <strong>de</strong>s cancers et <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies cardiovascu<strong>la</strong>ires. »<br />

Ce témoignage multiplie les faits précis, les atteintes potentielles à <strong>la</strong><br />

santé <strong>de</strong>s Polynésiens <strong>de</strong> tous les archipels et dénonce <strong>de</strong> nombreux<br />

inci<strong>de</strong>nts ignorés ou déc<strong>la</strong>rés sans importance par les autorités du CEP.<br />

Un « J’accuse » véhément auquel <strong>la</strong> France <strong>de</strong>vra bien répondre un jour !<br />

«<br />

»<br />

16 17


Maoake Bran<strong>de</strong>r<br />

Maoake Bran<strong>de</strong>r est originaire <strong>de</strong> l’atoll <strong>de</strong> Tureia, l’atoll habité le plus<br />

proche <strong>de</strong> Moruroa. Iil était enfant à l’époque <strong>de</strong>s essais aériens et il<br />

habite toujours Tureia.<br />

Maoake explique <strong>la</strong> vie à Tureia : « Pendant les essais aériens, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong><br />

Tureia a tout <strong>de</strong> suite basculé dans un rythme militaire. Les militaires<br />

ont un programme <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée sur Tureia pour tous les jours et on<br />

est obligé <strong>de</strong> suivre ce rythme. » Il décrit ce qui se passait dans son<br />

atoll lorsqu’il y avait un essai à Tureia avec « <strong>la</strong> mise à l’abri » <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion dans les blockhaus, l’évacuation vers Tahiti au temps <strong>de</strong>s<br />

premiers essais <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe H en 1968 et les nombreuses visites<br />

médicales : « Toutes les visites médicales <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se faisaient<br />

plusieurs fois dans l’année au temps <strong>de</strong>s essais aériens. »<br />

Au temps <strong>de</strong>s essais souterrains, Tureia est déserté par les militaires,<br />

presque abandonné. Mais ce qui reste aujourd’hui dans <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s<br />

gens <strong>de</strong> Tureia, c’est <strong>la</strong> peur d’un effondrement à Moruroa : « Après<br />

les essais souterrains sont arrivés, il n’y a pratiquement plus personne,<br />

juste une maintenance avec <strong>la</strong> météo et puis voilà. On a un<br />

grand souci, je peux dire même presque officialisé, c’est que les fissures<br />

qui se sont faites à Moruroa s’é<strong>la</strong>rgissent année après année<br />

et lors <strong>de</strong> son passage à Tureia, Jurien <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gravière nous a confirmé<br />

qu’il y a un risque d’effondrement <strong>de</strong> Moruroa. »<br />

Maoake explique à sa manière les problèmes <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong><br />

Tureia : « Il se peut même que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> Tureia est celle qui a<br />

le plus <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>dies, d’évasan sur Papeete pour se faire soigner. On<br />

nous dit que c’est à cause <strong>de</strong>s cigarettes, du tabac, du maa, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

bouffe. Mais si les radiations sont tombées au sol, il est vrai que les<br />

racines <strong>de</strong> <strong>la</strong> cocoteraie et <strong>de</strong> toutes les p<strong>la</strong>ntes qui produisent les<br />

fruits qu’on a mangés, il se pourrait que <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die est due à tout ce<br />

qu’on a mangé à Tureia. »<br />

«<br />

»<br />

18 19


Chantal Aviu<br />

Chantal Aviu est <strong>la</strong> veuve d’un docker qui travail<strong>la</strong>it périodiquement à<br />

Moruroa pour aller décharger les bateaux ravitail<strong>la</strong>nt le CEP.<br />

« C’était bien payé. Pour ça, il n’y a pas <strong>de</strong> reproches. Mais, ils n’ont<br />

pas pensé aux conséquences. On ne leur a rien dit. Ils ne savaient<br />

pas. Une fois, mon mari se trouvait sur les quais, pendant une pause<br />

<strong>de</strong> casse-croûte, avec d’autres copains. C’est ce jour qu’il a eu peur.<br />

Et quand il est revenu, il m’a dit : Dommage. On a besoin <strong>de</strong> l’argent.<br />

Mais Moruroa m’a fait peur. Il était sur le quai, le tir a été fait mais<br />

on ne leur a pas donné <strong>de</strong> protection, <strong>de</strong> masque… non. Ils étaient<br />

comme ça. Il a cru qu’il n’al<strong>la</strong>it plus nous revoir. »<br />

Un jour <strong>de</strong> 1988, au retour <strong>de</strong> Moruroa, son mari portait d’étranges<br />

taches sur le corps : « Il a déc<strong>la</strong>ré sa ma<strong>la</strong>die au début du mois d’avril<br />

88 et là, en peu <strong>de</strong> temps, il a été évasané en France. En l’espace <strong>de</strong><br />

4-5 jours après, on m’appelle qu’il est décédé. Il n’y a pas d’explication<br />

: il est mort, il est mort ! »<br />

«<br />

Chantal est encore aujourd’hui révoltée : « La bombe atomique française,<br />

elle est comme toutes les autres bombes… elle tue, elle rend<br />

infirmes les enfants, elle nous donne <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies, <strong>de</strong>s cancers, voilà<br />

! C’est comme les autres nations qui ont leur bombe atomique, mais<br />

eux ils ont reconnu qu’elle tue… »<br />

»<br />

20 21


Heiava Lenoir<br />

Heiava Lenoir est <strong>la</strong> secrétaire <strong>de</strong> Moruroa e tatou. Elle présente son<br />

travail d’accueil <strong>de</strong>s anciens travailleurs <strong>de</strong> Moruroa, <strong>de</strong> leurs veuves<br />

qui viennent s’inscrire à l’association. Son travail consiste aussi à ai<strong>de</strong>r<br />

à <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong>s dossiers médicaux, à préparer les courriers à<br />

envoyer, avec toutes les difficultés qu’ont ces anciens qui sont d’une<br />

autre génération : « Ils ont un problème <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, ils ne connaissent<br />

pas trop le français, ils ont besoin qu’on les ai<strong>de</strong>, qu’on les aiguille dans<br />

leurs démarches pour récupérer <strong>de</strong>s papiers. »<br />

Heiava décrit les réactions <strong>de</strong>s anciens travailleurs g<strong>la</strong>nées dans les<br />

rencontres quotidiennes : « Parmi les personnes qui viennent me voir, il y<br />

en a, qui reçoivent un gros dossier comme ça, eh bien, ils sont contents,<br />

même si ils ne savent pas ce qu’il y a <strong>de</strong>dans, ils sont contents parce<br />

qu’ils ont reçu leur dossier ! Certains disent : Ca y est, mon dossier, il<br />

est arrivé, donc l’association pourra faire quelque chose pour moi ! Il y<br />

en a d’autres, ils ne sont pas contents du tout ! J’ai travaillé tant d’années…<br />

pourquoi je ne reçois que ce petit dossier ! » Et elle remarque :<br />

« C’est difficile <strong>de</strong> parler à une personne qui est âgée, ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et tout ! »<br />

Heiava a souvent affaire aux enfants <strong>de</strong> vétérans qui sont très mal informés<br />

<strong>de</strong> ce qui se passait à Moruroa : « Il y a <strong>de</strong>s anciens travailleurs qui<br />

viennent au bureau avec leur famille. L’ancien travailleur s’exprime, et<br />

à côté <strong>de</strong> ça, il y a soit <strong>la</strong> fille, soit <strong>la</strong> femme, enfin <strong>la</strong> famille qui disent<br />

en tahitien : Ah, Papa a perdu un peu <strong>la</strong> tête. Il dit un peu n’importe<br />

quoi… Mais quand j’écoute parler les anciens travailleurs, je fais<br />

remarquer qu’il dit <strong>la</strong> vérité et qu’il n’a pas perdu <strong>la</strong> tête. Parce qu’en fait<br />

<strong>la</strong> famille n’est pas au courant <strong>de</strong> ce qui s’est passé et ne connaissent<br />

rien sur les essais nucléaires. »<br />

Heiava conclut : « Il faut bouger pour que les essais nucléaires fassent<br />

partie <strong>de</strong> l’éducation à l’école, qu’on fasse au moins <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s essais<br />

nucléaires dans l’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie française. Il faut que les jeunes<br />

soient bien informés <strong>de</strong> ça, <strong>de</strong>s conséquences qu’il y a eu et qu’il faut<br />

se bouger pour militer contre ça… et que ça soit plus tabou dans les<br />

familles. »<br />

«<br />

»<br />

22 23


Marius Chan<br />

Marius Chan a été affecté en tant que gendarme sur le site nucléaire<br />

<strong>de</strong> Moruroa entre 1978 et 1980, c’est-à-dire pendant <strong>la</strong> pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s essais souterrains. Il décrit le rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> gendarmerie sur l’atoll<br />

nucléaire : « On <strong>de</strong>vait contrôler tout : personne n’a le droit d’arriver<br />

sur le site nucléaire sans passer par <strong>la</strong> gendarmerie. Et j’en ai établi <strong>de</strong>s<br />

fiches ! Je peux me permettre <strong>de</strong> dire : ces fiches sont rassemblées, elles<br />

sont entre les mains <strong>de</strong> l’Etat en France. Qu’on ne vienne pas me dire<br />

aujourd’hui qu’il n’y en a plus. Ce n’est pas vrai. Tout était fiché. »<br />

Gendarme tahitien, Marius adapte sa fonction <strong>de</strong> « gardien <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi<br />

et du règlement » à <strong>la</strong> culture et aux comportements <strong>de</strong> ses compatriotes<br />

polynésiens. Les pratiques alimentaires traditionnelles <strong>de</strong>s<br />

Polynésiens étaient interdites sous peine d’exclusion définitive <strong>de</strong> leur<br />

emploi sur le site nucléaire. « Il m’est arrivé <strong>de</strong> prendre en f<strong>la</strong>grant<br />

délit <strong>de</strong>s Polynésiens en train <strong>de</strong> pêcher. Je me disais : « Si je fous un<br />

rapport, ils prennent <strong>la</strong> Caravelle et perdront leur emploi à Moruroa.<br />

Alors, je les grondais ! » Et pour finir, Marius avoue qu’il lui est même<br />

arrivé <strong>de</strong> partager le poisson pêché sur le récif !<br />

«<br />

Ce n’est que progressivement que Marius entrevoit le danger. Il<br />

constate que les militaires ou les techniciens qu’il doit escorter<br />

portent <strong>de</strong>s tenues <strong>de</strong> protection spéciales alors que lui n’a que son<br />

uniforme <strong>de</strong> gendarme, short et chemisette. Il est témoin <strong>de</strong>s premières<br />

failles provoquées sur l’atoll <strong>de</strong> Moruroa par les tirs souterrains…<br />

Alors, il pose <strong>de</strong>s questions à ses supérieurs hiérarchiques<br />

qui lui répon<strong>de</strong>nt : « T’occupe pas. Occupe-toi <strong>de</strong> ton sa<strong>la</strong>ire. Et puis tu<br />

as à manger et à boire ! »<br />

Aujourd’hui, Marius vit avec sa ma<strong>la</strong>die, l’ab<strong>la</strong>tion d’un rein dont<br />

même les mé<strong>de</strong>cins néo-zé<strong>la</strong>ndais qui l’ont opéré n’osent abor<strong>de</strong>r<br />

l’origine éventuelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> tumeur qu’il a fallu enlever.<br />

»<br />

24 25


Mgr Hubert Coppenrath<br />

Archevêque <strong>de</strong> Papeete <strong>de</strong>puis 1999.<br />

Prêtre affecté aux Tuamotu <strong>de</strong> l’Ouest du temps du CEP, le père Hubert<br />

a été frappé par les perturbations sociales, familiales et morales qui<br />

ont frappé les popu<strong>la</strong>tions insu<strong>la</strong>ires vidées <strong>de</strong> leurs forces vives pour<br />

les besoins <strong>de</strong> Moruroa : « Donc il restait les vieil<strong>la</strong>rds et les plus<br />

timorés si bien qu’on sentait que <strong>la</strong> vie s’éteignait petit à petit… Ailleurs,<br />

à Tahiti, on s’est installé dans une facilité <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> plus en plus<br />

gran<strong>de</strong>, les gens ont pris beaucoup <strong>de</strong> mauvaises habitu<strong>de</strong>s, celle<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie facile, celle <strong>de</strong> ne plus travailler et l’agriculture s’est étiolée<br />

petit à petit. »<br />

Bien avertis <strong>de</strong>s bouleversements sociaux, les responsables <strong>de</strong><br />

l’Eglise reconnaissent qu’ils n’ont pas pris conscience tout <strong>de</strong> suite<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité <strong>de</strong> ces expériences pour <strong>la</strong> santé <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. « J’ai<br />

le souvenir <strong>de</strong> prêtres racontant qu’il y avait <strong>de</strong>s aviateurs qui avaient<br />

été irradiés, mais il y avait aussi <strong>de</strong>s gens qui ont été irradiés, on ne<br />

l’a pas dit, mais je l’ai su après. On a soigné, on a pris <strong>de</strong>s précautions<br />

pour le personnel militaire mais pour les civils ils n’en ont pas<br />

pris autant… » Mgr Hubert se rappelle bien du Père Florentin, un<br />

peu fantasque, mais opposé farouchement aux essais. De nationalité<br />

belge, il a été expulsé !<br />

Mgr Hubert reconnaît que l’Eglise catholique est maintenant mieux<br />

informée. « Une partie <strong>de</strong> Tahiti a reçu une irradiation assez forte,<br />

<strong>de</strong>s gens qui n’ont jamais les pieds à Moruroa peuvent être victimes<br />

<strong>de</strong> ces irradiations. C’est le cas par exemple à Mangareva. Alors, c’est<br />

vraiment un problème difficile d’autant qu’il faut bien se dire qu’actuellement<br />

<strong>la</strong> France n’est pas prête à dépenser beaucoup. »<br />

Et ce conseil pour l’avenir : « Il va falloir oublier cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> facilité<br />

et prendre son courage à <strong>de</strong>ux mains pour chercher un moyen<br />

pour que ce territoire vive. »<br />

«<br />

»<br />

26 27


Jacqueline Go<strong>la</strong>z<br />

Ancienne directrice d’école à Mangareva <strong>de</strong> 1962 à 1969.<br />

Jacqueline se souvient : « On voyait arriver <strong>de</strong> grands bateaux dans <strong>la</strong><br />

ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Rikitea : <strong>de</strong>s grands bateaux qui arrivaient par le sud, par <strong>la</strong><br />

Terre <strong>de</strong> feu. Les commandants étaient contents <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s enfants,<br />

au bout d’un mois, un mois et <strong>de</strong>mi, <strong>de</strong>ux mois <strong>de</strong> voyage. Nous étions<br />

les premiers à les recevoir. Ils se sont installés à Taku fin 63 début 64.<br />

Il y a eu un grand changement. Toute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion a été perturbée<br />

quand même. »<br />

Avait-elle été mise au courant <strong>de</strong> ce qui se préparait à Moruroa <br />

Pas du tout : « J’ai appris qu’on al<strong>la</strong>it prendre Moruroa et faire <strong>de</strong><br />

ces îles <strong>de</strong>s stations <strong>de</strong> tirs nucléaires, <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncement <strong>de</strong> bombes atomiques.<br />

Nous on ne savait rien <strong>de</strong> tout ça. On ne savait même pas ce<br />

que c’est qu’une bombe. On ne nous prévenait pas avant le tir <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

bombe. C’est simplement quand on voyait les militaires qui étaient un<br />

peu excités ! »<br />

Jacqueline s’inquiétait pourtant : « On s’était rendu compte qu’il y avait<br />

<strong>de</strong>s enfants ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. Je tenais un cahier du dispensaire et dans ce<br />

cahier, tous ceux qui passaient voir l’infirmier M. Durand, étaient inscrits,<br />

ce qu’ils avaient : il y avait <strong>la</strong> diarrhée, ils vomissaient et je me<br />

rappelle bien un vieux papa qui est venu me dire : « Mais regar<strong>de</strong>z,<br />

ma fille, elle perd ses cheveux ! ». Moi, je ne savais pas pourquoi et<br />

alors j’ai écrit sur le cahier, à M. Durand, que certains élèves perdaient<br />

leurs cheveux. » Un jour, ce cahier lui a été « emprunté » par<br />

<strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> passage. Elle ne l’a jamais revu.<br />

L’ancienne directrice d’école décrit <strong>la</strong> vie à Mangareva avec une vivacité<br />

empreinte <strong>de</strong> tristesse, sans oublier qu’elle-même a vécu <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die,<br />

les séjours au Val <strong>de</strong> Grâce : « J’ai eu <strong>de</strong> <strong>la</strong> chance d’être partie<br />

en France me soigner. Je connais beaucoup <strong>de</strong> Mangaréviens qui ne<br />

sont plus. »<br />

«<br />

»<br />

28 29


François Cournée<br />

Ancien gendarme à Mangareva entre 1969 et 1971.<br />

François Cournée décrit son activité <strong>de</strong> gendarme, chargé <strong>de</strong> l’administration<br />

locale à une pério<strong>de</strong> où les municipalités n’avaient pas<br />

encore été créées. Rien ne lui échappait <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie quotidienne <strong>de</strong>s<br />

Mangaréviens, y compris le recensement <strong>de</strong>s femmes enceintes !<br />

Pendant les campagnes <strong>de</strong> tirs, le gendarme, chef <strong>de</strong> poste, avait une<br />

fonction supplémentaire : « Mon travail, en cas <strong>de</strong> retombées consistait<br />

à rassembler les popu<strong>la</strong>tions et <strong>de</strong> les mettre sous abri. » Doté<br />

d’une bonne mémoire, François Cournée décrit avec force détails <strong>la</strong><br />

mise à l’abri <strong>de</strong>s Mangaréviens, notamment lors du tir Phoebé d’août<br />

1971. Quant à connaître les risques, il avoue : « La popu<strong>la</strong>tion, même<br />

nous, on n’était pas briefés, personne n’était scientifique, même moi,<br />

je n’ai pas une formation scientifique, je suis <strong>de</strong> formation secondaire<br />

et c’est tout. On nous disait : ‘La France fait <strong>de</strong>s expérimentations’<br />

Mais on ne voyait pas ça sous les conséquences <strong>de</strong> ce poison et on ne<br />

voyait pas <strong>de</strong>s dégâts. »<br />

Breton et bon chrétien, le gendarme <strong>de</strong> Mangareva avait <strong>de</strong> bonnes<br />

re<strong>la</strong>tions avec l’autorité morale <strong>de</strong>s Gambier, le Père Daniel. Le prêtre<br />

était au courant <strong>de</strong> tout. François Cournée nous met dans <strong>la</strong> confi<strong>de</strong>nce<br />

: « Les officiers étaient vraiment aux petits soins du père Daniel<br />

et le père Daniel, il avait ce qu’il vou<strong>la</strong>it… il défendait peut-être les<br />

intérêts religieux, mais il défendait sa popu<strong>la</strong>tion. Et en plus, je savais<br />

que le père Daniel c’était l’oreille <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> Paris aux Gambier.<br />

Il était un « honorable correspondant » du « service » spécialisé <strong>de</strong><br />

l’époque. »<br />

Aujourd’hui, l’ancien gendarme s’indigne : « La popu<strong>la</strong>tion paie et le<br />

paie cher ! Ce que je veux surtout dire, c’est que ces expérimentations<br />

ont eu lieu, on ne peut pas y revenir. Mais au moins qu’on ait <strong>la</strong><br />

décence <strong>de</strong> reconnaître ce qu’on a fait et puis qu’on in<strong>de</strong>mnise ces<br />

gens-là. Ces gens souffrent dans leur chair, dans leur famille, dans<br />

leur cœur. Qu’on ait le courage <strong>de</strong> le dire ! »<br />

«<br />

»<br />

30 31


Jean-Marc Regnault<br />

Jean-Marc Regnault est historien. Pour lui, il est évi<strong>de</strong>nt que les essais<br />

nucléaires sont un élément majeur <strong>de</strong> l’histoire contemporaine <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Polynésie : « Mon première objectif avait été d’étudier <strong>la</strong> vie politique<br />

au regard <strong>de</strong>s essais nucléaires. Je vou<strong>la</strong>is voir comment <strong>la</strong> France<br />

a pu imp<strong>la</strong>nter ses essais ici, quelles résistances elle a rencontré<br />

ou quelles résistances n’a-t-elle pas rencontré, comment ça s’est<br />

fait et comment finalement les hommes politiques ont re<strong>la</strong>tivement<br />

bien accepté cette chose Donc, j’ai travaillé sur les archives locales<br />

essentiellement, les débats à l’assemblée territoriale notamment et les<br />

témoignages <strong>de</strong>s hommes politiques <strong>de</strong> l’époque. »<br />

L’historien raconte toutes les difficultés pour obtenir ou retrouver une<br />

documentation souvent restée fermée à l’attention <strong>de</strong>s chercheurs.<br />

Il a consacré une gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> ses travaux pour savoir si l’éviction<br />

du député Pouvanaa en 1958 avait un lien avec l’imp<strong>la</strong>ntation du CEP<br />

en Polynésie française : « Voilà un monsieur qui est arrêté sous un<br />

prétexte étonnant ! Il aurait voulu mettre le feu à <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Papeete !<br />

Donc, il est arrêté, mis en prison, jugé, condamné. Mais j’ai trouvé que<br />

c’était un peu suspect. Donc, je me suis dit, est-ce qu’il y aurait un lien<br />

entre son arrestation et cette volonté <strong>de</strong> <strong>la</strong> France <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s essais<br />

nucléaires. C’est comme ça que j’ai cherché <strong>de</strong>s documents et j’ai<br />

questionné les documents pour trouver une réponse. »<br />

«<br />

Jean-Marc Regnault déroule tout le fil <strong>de</strong> sa longue et passionnante<br />

recherche pour trouver le lien entre l’arrestation <strong>de</strong> Pouvanaa et<br />

l’imp<strong>la</strong>ntation du CEP. Il évoque aussi, à l’occasion, tout le contexte<br />

politique tant <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole que <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie qui entoura les<br />

30 ans <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s essais nucléaires. Il explique les revirements<br />

constants <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse politique locale et abor<strong>de</strong> également <strong>la</strong><br />

construction <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s fortunes grâce au CEP : « Tout le mon<strong>de</strong> a<br />

profité, d’une façon ou d’une autre, du CEP. Un industriel m’a dit un<br />

jour : Ce n’est pas très glorieux, l’argent qu’on a gagné. Mais on l’a<br />

gagné quand même ! »<br />

»<br />

32 33


Hiro Tefaarere<br />

Ancien dirigeant syndicaliste<br />

Après un court passage à Moruroa, Hiro Tefaarere a fait une carrière<br />

dans <strong>la</strong> police nationale puis, après <strong>la</strong> création du syndicat A Tia i Mua,<br />

il a été engagé dans les conflits du travail <strong>de</strong> Moruroa en tant que<br />

secrétaire général <strong>de</strong> ce syndicat.<br />

Il témoigne : « A Moruroa, l’apartheid existait. Il y avait sur p<strong>la</strong>ce<br />

quatre catégories géographiques, sociales, humaines qui travail<strong>la</strong>ient<br />

: les gradés du CEA - les ingénieurs du CEA -, les gradés <strong>de</strong><br />

l’Armée – les officiers <strong>de</strong> l’Armée -, les travailleurs du CEA, <strong>de</strong> l’Etat<br />

affectés en Polynésie, ceux <strong>de</strong>s entreprises sous-traitantes qui travail<strong>la</strong>ient<br />

pour le CEP et i<strong>de</strong>m pour les entreprises sous-traitantes qui<br />

travail<strong>la</strong>ient pour le CEP. Ici, le mon<strong>de</strong> politique s’en foutait : retraites,<br />

assurance ma<strong>la</strong>die, rien ! Précaires, ils ouvraient leur gueule, ils prenaient<br />

l’avion, ils rentraient à Tahiti. Voilà pourquoi je par<strong>la</strong>is d’apartheid<br />

et je m’étais promis, juré <strong>de</strong> mettre un terme à ces problèmes<br />

<strong>de</strong> discrimination raciale. »<br />

«<br />

En 1995, Hiro Tefaarere parle d’une sorte d’union sacrée <strong>de</strong>s partis,<br />

<strong>de</strong>s associations, <strong>de</strong> l’Eglise protestante contre <strong>la</strong> reprise <strong>de</strong>s essais :<br />

« On a réussi en cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> mai-juin 95 à septembre 95, à faire<br />

<strong>la</strong> démonstration à l’Etat que tout un peuple ne vou<strong>la</strong>it plus <strong>de</strong> ces<br />

explosions nucléaires. »<br />

Il dresse un bi<strong>la</strong>n amer <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP en Polynésie : « Nous faisons<br />

partie <strong>de</strong> ces rares peuples au mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> ces rares civilisations<br />

au mon<strong>de</strong> qui sont passées <strong>de</strong> l’ère <strong>de</strong> <strong>la</strong> pirogue à ba<strong>la</strong>ncier, <strong>de</strong> l’ère<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pirogue à rames, à l’ère du nucléaire et du computer en une<br />

génération, notre génération. »<br />

»<br />

34 35


Daniel Pa<strong>la</strong>cz<br />

Daniel Pa<strong>la</strong>cz est entrepreneur. Au début <strong>de</strong>s essais en 1966, il était à<br />

Moruroa :<br />

« Le Chélif rapatriait le matériel contaminé <strong>de</strong> Mururoa sur Hao pour le<br />

décontaminer. On prenait du matériel juste après le tir aérien : il était<br />

trié par l’armée parce qu’une partie était <strong>la</strong>gonnée. Le reste, c’était soit<br />

disant hyper-contaminé : on avait ça sur le pont, carrément, avec <strong>de</strong>s<br />

ban<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>stiques pour ne pas trop s’approcher. Et puis arrivé à Hao, il<br />

y avait une base <strong>de</strong> décontamination un peu après le vil<strong>la</strong>ge. On débarquait<br />

ça : une partie était encore détruite et une partie était <strong>la</strong>vée directement<br />

sur p<strong>la</strong>ce. Ils appe<strong>la</strong>ient ça <strong>la</strong> décontamination : <strong>de</strong>s gens avec<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>nces à incendie et un produit détergent quelconque <strong>la</strong>vaient les<br />

engins à décontaminer. Ca cou<strong>la</strong>it dans le <strong>la</strong>gon. » Daniel Pa<strong>la</strong>cz explique<br />

le principe <strong>de</strong>s « <strong>la</strong>gonnages » qui se faisaient, à son époque, n’importe<br />

où. Peu <strong>de</strong> matériel a été conservé, contaminé ou non.<br />

Comme civil, il a travaillé à Moruroa avec les plongeurs <strong>de</strong> son entreprise<br />

: « Nous on plongeait, on faisait 4 plongées par jour et chaque<br />

plongeur quand il remonte, indique son fond. On savait que le maximum<br />

qu’on pouvait atteindre c’était 34 mètres et puis un jour il y a quelqu’un<br />

qui est monté et qui a dit 42 mètres ! Tout le mon<strong>de</strong> a rigolé, mais en<br />

fait le <strong>la</strong>gon s’était vraiment affaissé et c’est à ce moment-là que l’atoll a<br />

commencé à pencher. » Et pourtant, Daniel Pa<strong>la</strong>cz re<strong>la</strong>te l’hécatombe :<br />

« Pour ce qui était <strong>de</strong>s plongeurs, beaucoup étaient <strong>de</strong>s gens sérieux : il<br />

y en avait qui étaient diacres. La plupart ne consommaient pas d’alcool<br />

et ne fumaient pas et ils sont morts <strong>de</strong> cancers <strong>de</strong> <strong>la</strong> gorge, <strong>de</strong> cancers<br />

du foie, même pas à 38 ans, quelques années après. Je crois que sur<br />

<strong>la</strong> vingtaine <strong>de</strong> plongeurs qu’on était, <strong>de</strong> toute l’équipe, on doit rester à<br />

2 ou 3 je crois. »<br />

«<br />

Le témoignage <strong>de</strong> Daniel Pa<strong>la</strong>cz est précis et très fort. Son jugement sur<br />

<strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP est très dur : « Alors qu’on aurait pu avoir l’auto-suffisance<br />

et créer d’autres industries, qu’on aurait pu exporter. On a loupé<br />

le coche complètement. Je pense que justement l’Etat français est responsable,<br />

parce qu’on a voulu acheter <strong>la</strong> parole <strong>de</strong>s hommes politiques<br />

mais on ne les a pas contrôlés. Comme ici c’est un petit pays, les seuls<br />

qui ont eu droit à <strong>la</strong> parole, on les a <strong>la</strong>issés faire et maintenant on se<br />

retrouve avec <strong>de</strong>s scandales… Alors maintenant, il y en a peut-être qui<br />

vont ramasser mais c’est trop tard : l’argent est parti et on est à zéro. »<br />

»<br />

36 37


Patrick Howell<br />

Patrick Howell, ancien ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, se décrit comme « un<br />

enfant <strong>de</strong> l’Eglise » où il a été éduqué. Après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s universitaires<br />

<strong>de</strong> chirurgien-<strong>de</strong>ntiste, il s’est engagé dans les premières associations<br />

<strong>de</strong> protection <strong>de</strong> l’environnement et plus tard, dans le « Comité<br />

Paix et développement » regroupant <strong>de</strong>s associations, Eglises,<br />

groupes politiques. « Nous avions l’impression que nous étions dans<br />

un débat <strong>de</strong> dominants dominés parce que nous, nous n’avions rien<br />

et <strong>de</strong> l’autre côté, il y avait les moyens, il y avait <strong>la</strong> connaissance et<br />

nous, on <strong>de</strong>mandait tout simplement à pouvoir partager objectivement<br />

les connaissances qui étaient censées nous être données pour<br />

y voir c<strong>la</strong>ir. »<br />

Patrick Howell porte un jugement sans concessions sur <strong>la</strong> pério<strong>de</strong><br />

CEP : « Nous sommes passés <strong>de</strong> l’âge <strong>de</strong> <strong>la</strong> pierre à l’âge du nucléaire<br />

en même pas <strong>de</strong>ux cents ans. L’histoire a pu être digérée par un<br />

grand pays comme <strong>la</strong> France, alors que chez nous, c’est un peu<br />

comme si vous preniez un enfant <strong>de</strong> l’école maternelle et que vous le<br />

mettiez dans <strong>la</strong> cour du campus universitaire. »<br />

Et il esquisse <strong>de</strong>s propositions pour l’avenir : « Il faut créer <strong>de</strong>s conditions<br />

pour que le Polynésien, après cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> traumatisme, soit<br />

bien dans sa peau, bien dans sa tête pour construire un pays conformément<br />

à ce qui se vit ailleurs. Il serait grand temps que l’Etat ait une<br />

approche différente vis-à-vis <strong>de</strong> ce pays d’outre-mer parce que nous<br />

avons plus que servi <strong>la</strong> France dans <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong> son savoir-faire<br />

en matière nucléaire. »<br />

«<br />

»<br />

38 39


Alex du Prel<br />

Journaliste. Fondateur <strong>de</strong> Tahiti Pacifique Magazine<br />

Alex du Prel présente les moyens d’information <strong>de</strong>s années CEP : « A<br />

l’époque <strong>de</strong>s essais, il y avait <strong>de</strong>ux journaux, les <strong>de</strong>ux quotidiens dont<br />

un avait un grand tirage, c’était La Dépêche. Bon, ils racontaient ce<br />

que le CEP vou<strong>la</strong>it bien dire. Donc toute l’information était verrouillée.<br />

Le seul à l’époque qui faisait « mousser » un peu était Bengt Danielsson<br />

et sa femme Marie-Thérèse. Lui était Suédois, il était consul <strong>de</strong><br />

Suè<strong>de</strong> ici. D’ailleurs, <strong>la</strong> France a <strong>de</strong>mandé à <strong>la</strong> Suè<strong>de</strong> <strong>de</strong> lui retirer son<br />

exequatur, après qu’il ait publié un livre qui avait eu un grand succès,<br />

« Moruroa mon amour ».<br />

En 1991, Alex du Prel crée un mensuel indépendant, Tahiti Pacifique<br />

Magazine qui a révolutionné l’information sur <strong>la</strong> Polynésie : « Lorsque<br />

j’ai commencé le magazine, il ne faut pas oublier que <strong>la</strong> bombe était le<br />

moteur économique du territoire : on ne pouvait pas ne pas s’intéresser<br />

au nucléaire. Donc, j’avais contacté le CEP à l’époque : ils disaient<br />

: « Oui, oui, vous pouvez… » J’avais fait un grand dossier en 91.<br />

C’était au moment aussi où Greenpeace était venu, alors j’avais fait les<br />

<strong>de</strong>ux côtés et j’en étais assez content puisque j’ai eu les félicitations<br />

du CEP et les félicitations <strong>de</strong> Greenpeace ! Bon j’étais le petit « gratte,<br />

gratte », mais les essais étaient pratiquement finis. »<br />

«<br />

Alex du Prel porte un regard luci<strong>de</strong> sur les transformations <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

société polynésienne engendrées par le CEP : « Tout a basculé avec<br />

cette arrivée d’argent qui a transformé une société rurale et îlienne,<br />

pour mettre en p<strong>la</strong>ce un système d’éducation calqué sur <strong>la</strong> métropole.<br />

De 1960 à 2010, pendant 50 ans, on a dépensé une fortune chaque<br />

année pour transformer une popu<strong>la</strong>tion qui vivait en phase avec son<br />

environnement en une popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> consommateurs à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

société industrielle européenne. Et tout le dilemme aujourd’hui, c’est :<br />

Que faire avec cette société puisqu’il n’y a pas <strong>de</strong> production dans<br />

ce pays. »<br />

»<br />

40 41


John Doom<br />

Ancien secrétaire général <strong>de</strong> l’Eglise Protestante Maohi.<br />

John Doom a eu sa première « expérience » <strong>de</strong>s essais nucléaires en<br />

1963 alors qu’il était diacre <strong>de</strong> <strong>la</strong> paroisse française <strong>de</strong> Papeete. Avec<br />

le pasteur Jean Adnet, apprenant <strong>la</strong> construction du CEP, ils avaient<br />

publié un petit article dans le journal paroissial réc<strong>la</strong>mant une enquête<br />

publique « commodo-incommodo ». Résultat : le pasteur fut interdit <strong>de</strong><br />

séjour à Tahiti pendant plus <strong>de</strong> 6 mois !<br />

Trois ans plus tard, le 2 juillet 1966, John Doom se trouvait à Mangareva<br />

comme interprète du ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> France d’Outre-mer. L’histoire<br />

est connue, les Gambier furent copieusement contaminées par<br />

le nuage <strong>de</strong> <strong>la</strong> première bombe <strong>de</strong> Moruroa… et les officiels s’éclipsèrent<br />

au plus vite <strong>la</strong>issant <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion locale sans information.<br />

Racontant ses premières armes au micro <strong>de</strong> l’ORTF, John se souvient<br />

d’un rapport qu’il dut faire aux autorités pour avoir <strong>la</strong>issé passer à<br />

l’antenne, après un essai, <strong>de</strong>s messages a<strong>la</strong>rmants <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong>s îles.<br />

Secrétaire général <strong>de</strong> l’Eglise protestante, John raconte les difficultés<br />

internes qui ont fait qu’officiellement le Syno<strong>de</strong> n’a pris position<br />

publiquement contre les essais qu’en 1982, non sans mal d’ailleurs.<br />

Mais <strong>de</strong>puis, l’opposition <strong>de</strong> l’Eglise tient bon et, à partir <strong>de</strong> 1996, elle<br />

s’engage aux côtés <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong>s essais et <strong>de</strong> Moruroa e tatou.<br />

Il faut dire que <strong>de</strong>puis 1989, John Doom est <strong>de</strong>venu le Directeur du<br />

Bureau Pacifique du Conseil Œcuménique <strong>de</strong>s Eglises à Genève, poste<br />

« stratégique » qui facilite l’internationalisation du combat contre les<br />

essais nucléaires français.<br />

John Doom est un « pilier » <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’opposition aux essais<br />

nucléaires en Polynésie, ce qui l’incite à encourager les jeunes générations<br />

: « Les essais sont terminés, c’est c<strong>la</strong>ir, mais les conséquences,<br />

nous en aurons pour <strong>de</strong>s centaines, si ce n’est pour <strong>de</strong>s milliers d’années…<br />

ce n’est pas quelque chose qui est <strong>de</strong>rrière nous. Vous les<br />

jeunes générations, vous <strong>de</strong>vez vous engager : il y va <strong>de</strong> l’avenir <strong>de</strong><br />

notre peuple. Regar<strong>de</strong>z autour <strong>de</strong> vous. Posez <strong>de</strong>s questions à vos<br />

parents. Il n’y a pas une personne dans une famille en Polynésie qui<br />

n’est pas affectée. Formez-vous ! Préoccupez- vous <strong>de</strong> notre avenir. »<br />

«<br />

»<br />

42 43


Oscar Temaru<br />

Oscar Temaru a connu Moruroa avant les essais et aux débuts <strong>de</strong>s<br />

essais aériens dans le cadre <strong>de</strong> son travail <strong>de</strong> fonctionnaire <strong>de</strong>s<br />

douanes. En 1976, les agents tahitiens constataient <strong>la</strong> présence <strong>de</strong><br />

nombreux panneaux d’interdiction sur l’atoll : « Nous interdire <strong>de</strong><br />

boire <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong> coco ou d’aller pêcher, c’est impensable. Alors <strong>de</strong>s<br />

dockers, <strong>de</strong>s ouvriers n’ont pas fait attention à ça. Ils sont quand<br />

même allés à <strong>la</strong> pêche et on les a retrouvés dans un état piteux. » Par<br />

<strong>la</strong> suite, <strong>la</strong> direction <strong>de</strong>s douanes fera appel à <strong>de</strong>s non-tahitiens.<br />

Oscar Temaru évoque sa longue carrière militante antinucléaire, à<br />

travers le Pacifique, au Japon, au Kazakhstan, en France. A Tahiti,<br />

dit-il « On nageait contre-courant. Le CEP faisait vivre plusieurs milliers<br />

<strong>de</strong> familles. » Il revient sur les pério<strong>de</strong>s « dures » du combat<br />

contre les essais : <strong>la</strong> révolte <strong>de</strong>s dockers d’octobre 1987 où il fut<br />

c<strong>la</strong>irement menacé, l’embrasement <strong>de</strong> septembre 1995 qui n’était<br />

pas programmé…<br />

Oscar Temaru réfléchit à haute voix sur les leçons à tirer <strong>de</strong> ce long<br />

combat : « Alors qu’il y a tant <strong>de</strong> choses à faire dans ce mon<strong>de</strong>. Des<br />

millions et <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> personnes meurent <strong>de</strong> faim et <strong>de</strong>s milliards<br />

et <strong>de</strong>s milliards ont été dépensés pour ça. Est-ce que ça va<strong>la</strong>it<br />

le coup Quand on voit les problèmes qu’il y a en France même<br />

aujourd’hui : est-ce que les Français savent ce qui a été dépensé ici <br />

Des milliards ont été injectés dans ce pays, mais qui ont profité à qui <br />

… Et aujourd’hui, on parle <strong>de</strong>s problèmes sociaux <strong>de</strong> ce pays, allez<br />

voir dans tous les quartiers.»<br />

«<br />

»<br />

44 45


Taaroanui Maraea<br />

Taarii Maraea est aujourd’hui prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Eglise Protestante Maohi.<br />

Enfant, il se souvient que son père avait travaillé quelques temps à<br />

Moruroa ainsi que <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> sa famille. « Je sais aussi que<br />

beaucoup <strong>de</strong> vil<strong>la</strong>geois étaient encouragés à partir et quelque fois<br />

par les pasteurs ou en tout cas par quelques responsables d’Eglise.<br />

Peut-être étaient-ils inconscients <strong>de</strong> ce qui se passait mais ce qui<br />

était primordial pour eux, c’était d’améliorer les conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s<br />

familles dans les îles. »<br />

C’est vers 18-19 ans, entré à l’Ecole pastorale à Tahiti, que Taarii<br />

prend conscience <strong>de</strong>s revendications contre les essais nucléaires<br />

dont il n’avait jamais entendu parler auparavant. La question<br />

nucléaire était très sensible, même dans l’Eglise : « Bien que l’Eglise<br />

institutionnellement et officiellement s’était prononcée au travers<br />

d’articles, <strong>de</strong> messages contre les essais nucléaires, il était hors <strong>de</strong><br />

question qu’on nous <strong>la</strong>issât participer à <strong>de</strong>s manifestations antinucléaires<br />

à l’époque. » Ce n’est qu’en 1995 qu’il y aura une réelle<br />

prise <strong>de</strong> conscience dans l’Eglise… jusqu’à ce jour où le syno<strong>de</strong><br />

décida <strong>de</strong> défiler dans les rues <strong>de</strong> Papeete pour s’opposer à <strong>la</strong><br />

reprise <strong>de</strong>s essais.<br />

Tout n’était pas gagné. Taarii rappelle les difficultés pour obtenir le<br />

soutien et l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pasteurs au moment <strong>de</strong> l’enquête sociologique<br />

auprès <strong>de</strong>s anciens travailleurs <strong>de</strong> Moruroa en 1996. A l’époque viceprési<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l’Eglise, il a dû subir les pressions <strong>de</strong>s Renseignements<br />

généraux. Heureusement, il y eut le soutien du réseau Solidarité<br />

Europe Pacifique qui permettait <strong>la</strong> réflexion et <strong>la</strong> cohérence sur les<br />

suites à donner après <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s essais.<br />

Aujourd’hui, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Eglise, Taarii souhaite que <strong>la</strong> nouvelle<br />

génération réfléchisse au prix payé par les Polynésiens en échange<br />

<strong>de</strong>s essais. « C’est une histoire qui doit être enseignée et aussi assumée,<br />

une histoire qu’on ne doit pas oublier. »<br />

«<br />

»<br />

46 47


Unutea Hirshon<br />

Tea Hirshon s’est engagée dans <strong>la</strong> lutte contre les essais <strong>de</strong>puis le<br />

début en même temps que son engagement dans le parti indépendantiste.<br />

Les <strong>de</strong>ux combats étaient liés : « Si nous n’avions pas été<br />

sous tutelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, les essais nucléaires n’auraient pas pu se<br />

faire chez nous. »<br />

Tea témoigne au nom du parti Tavini Huiraatira et elle emploie souvent<br />

le « nous ». « Bien que les essais aient constitué une violence à<br />

l’égard <strong>de</strong>s Polynésiens et <strong>de</strong> leur environnement, nous avons choisi<br />

<strong>la</strong> non-violence pour notre combat ». Il fal<strong>la</strong>it aux militants une gran<strong>de</strong><br />

force <strong>de</strong> caractère, appuyée même par <strong>la</strong> prière, pour affronter les<br />

forces <strong>de</strong> l’ordre lors <strong>de</strong>s manifestations publiques. Tea rappelle le<br />

temps où non seulement les opposants étaient peu nombreux, mais<br />

où ils étaient confrontés aux bataillons <strong>de</strong> policiers. Mais ils n’étaient<br />

pas sans soutien dans les pays du Pacifique, en France, aux côtés<br />

d’associations comme Greenpeace ou <strong>de</strong> chercheurs engagés. Chargée<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> communication et anglophone, Tea a beaucoup aidé le mouvement<br />

dans ses re<strong>la</strong>tions extérieures.<br />

Puis vint le temps du « taui », en 2005. Les indépendantistes et antinucléaires<br />

ont gagné les élections ! Tea Hirshon a présidé <strong>la</strong> première<br />

commission d’enquête sur les essais nucléaires décidée par<br />

l’Assemblée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie. C’est à partir <strong>de</strong> ce moment-là que l’Etat<br />

a été contraint <strong>de</strong> « bouger » et que <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s conséquences<br />

<strong>de</strong>s essais nucléaires s’est peu à peu généralisée dans <strong>la</strong><br />

société polynésienne.<br />

L’histoire et le combat ne sont pas terminés, il reste une gran<strong>de</strong><br />

inquiétu<strong>de</strong> pour le futur du pays : « C’est un réel danger pour nous<br />

lorsqu’on sait qu’il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> radioactivité qui est enfermée dans le<br />

ventre <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux atolls. Tout ça nous ne le maîtrisons pas. »<br />

«<br />

»<br />

48 49


Temarama Arapari<br />

En 1982, l’Eglise protestante maohi et son syno<strong>de</strong> ont décidé <strong>de</strong><br />

s’opposer officiellement contre les essais nucléaires français à Moruroa<br />

et aussi dans les autres pays du mon<strong>de</strong>. A ce moment-là, le pasteur<br />

Temarama, s’est engagé aux côtés d’une organisation non gouvernementale<br />

<strong>de</strong> Polynésie qui s’appelle Hiti Tau.<br />

Le pasteur Temarama raconte avec émotion l’épopée <strong>de</strong> juillet 1995<br />

où, avec Mgr Gaillot et Oscar Temaru, à bord du bateau Le Greenpeace,<br />

ils sont allés jusqu’à Moruroa pour protester contre <strong>la</strong> reprise<br />

<strong>de</strong>s essais décidée par le prési<strong>de</strong>nt Jacques Chirac.<br />

« Je savais que les militaires ne <strong>de</strong>vaient pas nous tamponner à mort,<br />

et que c’était une technique pour arrêter les manifestations ou bien<br />

pour arrêter un bateau. C’était juste pour faire peur et pour que le<br />

bateau <strong>de</strong> Greenpeace puisse s’arrêter. Mais on ne s’est pas arrêté,<br />

on a continué jusque sur le quai <strong>de</strong> Moruroa. »<br />

Il gar<strong>de</strong> encore le souvenir ému du retour à Tahiti quelques jours plus<br />

tard : « Je n’oublierais jamais l’arrivée à Tahiti du bateau <strong>de</strong> Greenpeace<br />

<strong>de</strong> retour <strong>de</strong> Moruroa. On a vu le peuple tout b<strong>la</strong>nc dans <strong>la</strong> ville<br />

<strong>de</strong> Papeete qui nous accueil<strong>la</strong>it et qui nous disait qu’on avait réussi.<br />

Des échos annonçaient que Chirac al<strong>la</strong>it procé<strong>de</strong>r à un tir. Ils ont arrêté<br />

les tirs l’année d’après en 1996. »<br />

«<br />

»<br />

50 51


Michel Arakino<br />

Michel Arakino est né sur l’atoll <strong>de</strong> Reao où il a grandi. Il habite<br />

aujourd’hui Tahiti.<br />

Michel raconte ses souvenirs d’enfant : « Ce qui était très bien pour<br />

nous, à neuf-dix ans, c’était pendant <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s tirs, on al<strong>la</strong>it<br />

dans <strong>de</strong>s maisons qui étaient gonflées à l’air pour nous protéger <strong>de</strong>s<br />

retombées. Mais après ces retombées, on al<strong>la</strong>it sur les gros navires<br />

qui étaient au <strong>la</strong>rge. C’était bien parce qu’on avait distribution <strong>de</strong><br />

bonbons et on nous faisait <strong>de</strong>s contrôles médicaux … Il y avait <strong>de</strong>s<br />

mé<strong>de</strong>cins qui nous contrô<strong>la</strong>ient, qui nous regardaient. »<br />

Après son service militaire en métropole, Michel a été embauché dans<br />

l’armée pour le Service Mixte <strong>de</strong> Contrôle Biologique à Moruroa. « On<br />

est allé sur l’atoll <strong>de</strong> Fangataufa : <strong>la</strong> Légion étrangère a récupéré <strong>de</strong>s<br />

terres qu’on a ramenées sur Moruroa où on a fait un petit jardinet.<br />

Des scientifiques faisaient le suivi <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> <strong>la</strong> radioactivité dans<br />

ce jardin. On n’était pas équipés comme il fal<strong>la</strong>it mais d’après nos<br />

responsables, il n’y avait aucun risque. Nous avons fait <strong>de</strong>s récoltes<br />

<strong>de</strong> pastèques, <strong>de</strong> melons, <strong>de</strong> patates douces, <strong>de</strong> concombres… Les<br />

scientifiques nous disaient : « c’est bon ! » et parce qu’ ils disaient<br />

« C’est bon ! » on a mangé <strong>de</strong>s légumes… le rab nous servait à faire<br />

<strong>de</strong>s sa<strong>la</strong><strong>de</strong>s. »<br />

Michel fut ensuite plongeur et il était chargé <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s échantillons<br />

d’eau sur les têtes <strong>de</strong> puits souterrains : « On mesurait les<br />

fuites radioactives aux orifices qui <strong>la</strong>issés lors <strong>de</strong>s forages par les<br />

passages <strong>de</strong> câbles. On ne pourra pas dire que c’était minime : il y<br />

avait <strong>de</strong>s fuites mesurables dans une zone <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 500 mètres <strong>de</strong><br />

diamètre… » Il fut même « contrôlé positif » !<br />

Michel raconte aussi toutes les pressions du mon<strong>de</strong> militaire et politique<br />

qu’il a subies lorsqu’il a décidé d’adhérer à Moruroa e tatou.<br />

«<br />

»<br />

52 53


Frère Maxime Chan<br />

Ancien professeur <strong>de</strong> mathématiques<br />

De retour à Tahiti à 28 ans en 1968, le jeune professeur ne se pose<br />

pas <strong>de</strong> questions : « Au début, je ne pensais pas qu’il y avait <strong>de</strong> problèmes<br />

pour les essais nucléaires et nous étions très réceptifs au<br />

message officiel. D’autant plus qu’avec l’arrivée du CEP c’était un<br />

changement extraordinaire pour Tahiti. C’était l’irruption du mon<strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>rne avec tous ses moyens. »<br />

Moruroa Ce n’était pas le sujet : « Personnellement je n’ai jamais<br />

parlé <strong>de</strong> ce<strong>la</strong> en c<strong>la</strong>sse. J’ai fait toutes les couches <strong>de</strong> <strong>la</strong> sixième<br />

jusqu’en terminale, toutes les sections, mais jamais on a discuté <strong>de</strong><br />

ce<strong>la</strong> en c<strong>la</strong>sse. » Dans le milieu <strong>de</strong>s années 1980, Frère Maxime prend<br />

conscience <strong>de</strong>s atteintes à l’environnement à Tahiti, mais dans les<br />

réunions, <strong>la</strong> question nucléaire était « tabu ». « Et ce n’était pas choquant<br />

parce que c’était comme ça dans <strong>la</strong> société. » C’est <strong>la</strong> reprise<br />

<strong>de</strong>s essais par Jacques Chirac en 1995 qui l’a incité à s’informer et<br />

à s’engager. Un éveil qui est venu <strong>de</strong> façon très lente : « une maturation<br />

», dit-il.<br />

Educateur dans l’âme, il regar<strong>de</strong> l’avenir : « Pour les générations à<br />

venir, il y a un travail <strong>de</strong> mémoire absolument nécessaire. Et <strong>de</strong>uxièmement,<br />

il faut tirer <strong>de</strong>s conclusions <strong>de</strong> cet événement là où on<br />

n’a pas véritablement pris conscience <strong>de</strong> <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> ce qui s’est<br />

passé. Troisièmement, il faut arriver à dominer notre propre histoire<br />

à l’avenir. Par exemple, l’exploitation <strong>de</strong>s ressources maritimes, c’est<br />

peut-être un projet qui va nous permettre <strong>de</strong> nous sortir <strong>de</strong> nos difficultés<br />

actuelles. »<br />

«<br />

»<br />

54 55


Richard Tuheiava<br />

Richard Tuheiava est aujourd’hui sénateur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie française à<br />

36 ans. Il gar<strong>de</strong> quelques souvenirs d’enfants <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> CEP. Dans<br />

<strong>la</strong> famille, c’était le silence complet : « Mon père était fonctionnaire,<br />

directeur d’école et malgré les discussions que j’ai pu avoir avec mon<br />

père, c’était le sujet à ne pas traiter, à ne pas discuter. » Il a le souvenir<br />

<strong>de</strong> quelques faits étonnants : « J’avais <strong>de</strong>s oncles qui avaient accès<br />

au magasin du CEP d’Arue où les choses ne coûtaient pas cher et<br />

moins cher en tout cas que dans un magasin ordinaire. Donc, on se<br />

posait <strong>la</strong> question <strong>de</strong> savoir d’où venait cette cuve <strong>de</strong> vin… A Mahina,<br />

on voyait les gran<strong>de</strong>s éoliennes au siège du CEA… On voyait que <strong>de</strong>s<br />

tontons ou <strong>de</strong>s cousins partaient pendant plusieurs années. »<br />

Le jugement du sénateur est maintenant plus catégorique :<br />

« Aujourd’hui, on en revient à <strong>de</strong>s choses plus réalistes, on commence<br />

à découvrir le pot aux roses, on commence à comprendre <strong>la</strong> manipu<strong>la</strong>tion,<br />

<strong>la</strong> corruption <strong>de</strong>s consciences et, finalement, à comprendre<br />

que pour <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur d’un pays, on a fait le malheur d’un peuple. »<br />

Richard Tuheiava se mouille sur le terrain parlementaire pour faire<br />

reconnaître le droit <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong>s essais et aujourd’hui, il re<strong>la</strong>nce<br />

le débat au Sénat sur les conséquences environnementales <strong>de</strong>s<br />

essais : « La Polynésie a en son sein <strong>la</strong> plus grosse décharge nucléaire<br />

en milieu océanique au mon<strong>de</strong>. Il n’y a pas d’autre île où on a <strong>la</strong>issé<br />

plus d’une centaine <strong>de</strong> puits bouchés on ne sait pas <strong>de</strong> quelle<br />

manière. On fait confiance à <strong>la</strong> chimie, à <strong>la</strong> vitrification pour que ça<br />

tienne ! Et il y a <strong>de</strong>s parties <strong>de</strong> l’atoll sur le point <strong>de</strong> s’effondrer à tel<br />

point qu’on est obligé <strong>de</strong> le surveiller <strong>de</strong>puis Paris. Il n’y a pas d’autre<br />

endroit comme ça au mon<strong>de</strong>, en milieu océanique. »<br />

La conclusion est pleine d’incertitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> gravité : « Je peux me<br />

permettre d’imaginer que, dans les années 60, pour les besoins <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> dissuasion nucléaire, on a peut-être sacrifié quelques gènes polynésiens<br />

à ce type d’expériences. Voilà ! Mais ça, je crois que c’est le<br />

cours <strong>de</strong> l’histoire qui nous le dira. »<br />

«<br />

»<br />

56 57


Emilienne Largeteau<br />

Emilienne est l’épouse d’un ancien travailleur <strong>de</strong> Moruroa. Ils ont eu<br />

cinq enfants et Pierre-Emile, alors que son père travail<strong>la</strong>it à Moruroa,<br />

est né en 1986 avec une malformation <strong>de</strong>puis sa naissance. Après <strong>de</strong><br />

nombreuses interventions dans les hôpitaux parisiens, Pierre-Emile<br />

est <strong>de</strong>venu paraplégique à l’âge <strong>de</strong> 17 ans.<br />

Emilienne raconte comment elle a vécu avec son fils, au fil <strong>de</strong>s années,<br />

les péripéties d’une maman tahitienne dans Paris : « En 86, c’est <strong>la</strong><br />

première fois que j’al<strong>la</strong>is à Paris et je me suis beaucoup débrouillée<br />

seule, parce qu’on nous a juste dit : dès que vous arrivez à l’aéroport,<br />

on vous récupère pour vous envoyer à votre foyer et l’enfant à<br />

l’hôpital. Arrivés là-bas, on a déposé l’enfant à l’hôpital et moi, on m’a<br />

déposé au Rosier Rouge. Le len<strong>de</strong>main, heureusement que j’avais<br />

une copine qui se trouvait sur p<strong>la</strong>ce, c’est elle qui m’a emmenée pour<br />

prendre le métro et je ne savais pas où ça se trouvait. On nous a dit<br />

que le métro, ça se trouvait dans le sol et moi je cherchais sur <strong>la</strong> route<br />

où se trouvait l’entrée. Je cherchais comme une taupe !... »<br />

La vie d’Emilienne est maintenant étroitement imbriquée avec celle<br />

<strong>de</strong> son grand garçon. Elle dit toujours « nous ». Quand parfois les<br />

démarches sont difficiles ou que les services <strong>de</strong> <strong>la</strong> CPS font obstacle<br />

à <strong>de</strong>s traitements, Emilienne gar<strong>de</strong> courage : « Quand je partais, je<br />

<strong>la</strong>issais les enfants avec <strong>la</strong> famille ici, je partais là-bas. Je me soutiens<br />

avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon fils. Il a été un bon soutien, mon fils, malgré sa<br />

ma<strong>la</strong>die : il sait aussi soutenir les personnes qui sont à côté <strong>de</strong> lui. »<br />

«<br />

»<br />

58 59


Pierre-Emile Largeteau<br />

Pierre-Emile Largeteau a 26 ans. C’est un « enfant <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe ». A<br />

sa naissance, son père travail<strong>la</strong>it en équipe à Moruroa pour ramasser<br />

les poissons morts après les explosions souterraines sur les p<strong>la</strong>ges<br />

du <strong>la</strong>gon. Handicapé <strong>de</strong> naissance, il a dû être évacué sanitaire très<br />

rapi<strong>de</strong>ment en France avec sa maman. Ses parents et les mé<strong>de</strong>cins<br />

ont voulu qu’il soit sco<strong>la</strong>risé entre ses séjours parisiens. Pierre-Emile<br />

se souvient : « Je pensais que j’étais normal comme ça, lorsque j’ai<br />

vu que d’autres n’avaient pas mes problèmes. Malgré mon handicap,<br />

j’ai été normalement à l’école et j’ai poursuivi ma sco<strong>la</strong>rité. Je portais<br />

<strong>de</strong>s couches et mes camar<strong>de</strong>s se moquaient <strong>de</strong> moi. J’avais honte. »<br />

A 17 ans, il est <strong>de</strong>venu paraplégique et se dép<strong>la</strong>ce dans en chaise<br />

rou<strong>la</strong>nte. Malgré tout, avec énergie, il a <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> poursuivre <strong>de</strong>s<br />

étu<strong>de</strong>s : « Je vou<strong>la</strong>is réussir dans ma sco<strong>la</strong>rité, il y a eu <strong>de</strong>s moments<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>ssitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> découragement. J’ai été jusqu’en Terminale S et<br />

je voudrais y arriver, mais entre ma ma<strong>la</strong>die et les étu<strong>de</strong>s, c’est dur.<br />

J’aurais voulu décrocher mon Bac et partir en France pour poursuivre<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. » Hé<strong>la</strong>s, <strong>de</strong> nouvelles complications l’obligent à <strong>de</strong> nouveaux<br />

séjours dans les hôpitaux parisiens où sa mère l’accompagne<br />

fidèlement, <strong>la</strong>issant ses les autres enfants aux bons soins <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille.<br />

Et les séjours durent parfois plusieurs mois. Pierre-Emile s’interroge<br />

sur cette ma<strong>la</strong>die qui lui est tombée <strong>de</strong>ssus et qu’il doit subir au quotidien<br />

: « Il m’arrive <strong>de</strong> me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi ce<strong>la</strong> m’arrive à moi et<br />

seulement à moi dans <strong>la</strong> famille. Je souhaiterais dans un proche avenir<br />

que l’on me dise d’où vient le mal dont je souffre, car j’ai déjà passé<br />

une partie <strong>de</strong> ma jeunesse dans les hôpitaux sans savoir le pourquoi<br />

et aujourd’hui je suis dans une chaise rou<strong>la</strong>nte. »<br />

Bien sûr, Pierre-Emile a compris les causes probables <strong>de</strong> son handicap.<br />

Il ne se prive pas d’interpeller ces ingénieurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe qui ne<br />

s’étaient guère préoccupés <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> leurs expériences<br />

sur les générations polynésiennes : « De quoi mon avenir sera fait <br />

Messieurs les ingénieurs <strong>de</strong>s essais nucléaires avez-vous seulement<br />

songé un moment que ce que vous avez préparé était criminel pour<br />

une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong> mon pays, dont je suis une victime »<br />

«<br />

»<br />

60 61


Marc Pugibet<br />

Marc Pugibet a 26 ans. C’est un enfant <strong>de</strong> l’après-CEP. «Les informations<br />

concernant le CEP sont très faibles : ça ne fait pas partie <strong>de</strong>s<br />

programmes sco<strong>la</strong>ires, ce n’est pas également <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> discussions<br />

primordiaux dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> tous les jours. On ne s’y intéresse pas<br />

vraiment. On a l’impression que c’est loin ! »<br />

Pourtant, le père <strong>de</strong> Marc a travaillé à Moruroa dans les années 90,<br />

«mais je ne sais pas ce qu’il faisait, je sais simplement qu’il travail<strong>la</strong>it,<br />

qu’il partait même pour longtemps. On le voyait un mois dans l’année,<br />

je ne sais pas combien <strong>de</strong> temps il y a travaillé. J’avais aux alentours <strong>de</strong><br />

7-8 ans à l’époque. Quand il partait, on y al<strong>la</strong>it, on lui disait au revoir.<br />

On le revoyait… Un jour, maman nous dit « Papa revient », voilà on est<br />

contents ! C’est tout ce que je sais par rapport à son travail. Je pense<br />

qu’il était simple ouvrier <strong>de</strong> maintenance sur le site. Quand mon père<br />

s’en al<strong>la</strong>it ça faisait un vi<strong>de</strong> quand même. Ca faisait un grand vi<strong>de</strong> car je<br />

ne voyais que ma sœur et ma mère. »<br />

Marc explique comment se posait <strong>la</strong> question du temps <strong>de</strong> ses parents<br />

et il tente d’en tirer quelques recommandations pour <strong>la</strong> jeunesse :<br />

« Quand on proposait un poste à Moruroa, nos parents vont dire tout<br />

<strong>de</strong> suite oui, le sa<strong>la</strong>ire y est, ça permet <strong>de</strong> faire vivre le foyer. Mais ils ne<br />

se tracassaient pas du nucléaire, <strong>de</strong>s conséquences sur l’environnement,<br />

sur <strong>la</strong> personne… Ils n’avaient pas les mêmes connaissances,<br />

les mêmes informations que nous probablement. Donc les choix qu’ils<br />

ont faits, je ne sais pas s’ils les assument, mais l’important <strong>de</strong> les reconnaître.<br />

On ne peut pas leur rejeter tort, ils prenaient comme ça venait.<br />

Maintenant, je pense que c’est un grand travail que les générations<br />

futures doivent faire, faire un travail <strong>de</strong> mémoire pour nos parents qui<br />

n’ont pas eu <strong>la</strong> possibilité d’acquérir cette connaissance. En tant que<br />

jeune, on a ce <strong>de</strong>voir envers nos aînés <strong>de</strong> faire ce travail <strong>de</strong> recherche,<br />

<strong>de</strong> militantisme, d’information sur les essais nucléaires. Pas pour accuser<br />

nos parents, mais pour leur faire prendre conscience et leur faire<br />

connaître ce que <strong>la</strong> société <strong>de</strong> leur époque a malheureusement eu<br />

comme conséquence sur <strong>la</strong> société actuelle. »<br />

«<br />

»<br />

62 63


Chantal Spitz<br />

Ecrivain.<br />

Chantal Spitz décrit ses premières expériences <strong>de</strong> manifestante contre<br />

les essais nucléaires : « Quand je suis rentrée à <strong>la</strong> maison, je me<br />

suis un peu fait sonner les cloches quand même… parce que c’était<br />

pas <strong>de</strong>s comportements tolérables pour cette aristo-bourgeoisie qui<br />

domine. »<br />

Après avoir longuement évoqué <strong>la</strong> sombre connivence d’une certaine<br />

société polynésienne avec le système colonial puis le CEP, l’auteur<br />

résume <strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> son peuple : « On vient <strong>de</strong> vivre 30 années<br />

tellement terrifiantes que je ne sais pas si on va s’en remettre un jour<br />

et ce qui me fait peur c’est qu’on va passer toute cette douleur à nos<br />

enfants, nos petits-enfants, parce qu’on n’aura pas eu d’outils et <strong>de</strong>s<br />

moyens pour traverser cette histoire. » Et <strong>de</strong> préciser : « Je crois qu’on<br />

peut mesurer les dégâts <strong>de</strong> l’environnement, éventuellement, on fait<br />

<strong>de</strong>s mesures, on prend tel taux <strong>de</strong> radioactivité, les coraux morts,<br />

pas <strong>de</strong> problème… Les dégâts dans les têtes et dans les âmes on<br />

fait comment On ne peut pas mesurer et on ne peut même pas<br />

s’empêcher <strong>de</strong> les transmettre à nos enfants et à nos petits-enfants ».<br />

Chantal Spitz termine cependant avec cette note <strong>de</strong> fierté : « Mais<br />

c’était déjà grand <strong>de</strong> marcher ! En tout cas, les premières marches,<br />

c’est vraiment grand <strong>de</strong> marcher. C’était, je ne veux pas dire courageux,<br />

mais, il fal<strong>la</strong>it le faire. Je dis, il fal<strong>la</strong>it oser le faire ! »<br />

Message d’espoir et <strong>de</strong> dignité adressé aux jeunes générations <br />

«<br />

»<br />

64 65


Jacky Bryant<br />

Ecologiste, fondateur <strong>de</strong> Heiura les Verts<br />

Jacky Bryant avait 6 ou 7 ans quand il a entendu parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe<br />

pour <strong>la</strong> première fois. Puis, dit-il : «Quand j’ai commencé le métier d’enseignant<br />

dans les années 75, il n’était pas bon <strong>de</strong> s’afficher comme<br />

un antinucléaire, comme un écologiste. C’était toujours pointé du doigt<br />

comme <strong>de</strong>s emmer<strong>de</strong>urs, <strong>de</strong>s contestataires ou <strong>de</strong>s gens manipulés ! »<br />

Adhérent à ce moment à l’association Ia ora te natura, il précise : «<br />

J’avais beaucoup apprécié l’approche parce que c’était une remise<br />

en question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité, d’une vision culturelle d’un pays et que le<br />

nucléaire était le sujet qui nous permettait d’entrer dans ce débat. »<br />

Il déci<strong>de</strong> aussi <strong>de</strong> s’engager en politique au Ia Mana te Nunaa : « Je<br />

prends véritablement conscience du choix en politique, d’un pays qui<br />

fait son choix entre <strong>la</strong> gauche et <strong>la</strong> droite, entre <strong>la</strong> solidarité et le libéralisme.<br />

Donc toute cette construction politique s’est fondée au départ<br />

d’un engagement antinucléaire. Tout simplement parce que <strong>de</strong>rrière<br />

l’affichage <strong>de</strong> <strong>la</strong> sûreté nationale, <strong>de</strong> l’armement qui al<strong>la</strong>it protéger <strong>la</strong><br />

République, les montants qui étaient reversés à <strong>la</strong> Polynésie auraient<br />

pu construire <strong>la</strong> Polynésie <strong>de</strong> manière beaucoup plus juste et beaucoup<br />

plus solidaire. Or, on s’est rendu compte que l’argent qui arrivait<br />

al<strong>la</strong>it toujours dans <strong>la</strong> poche <strong>de</strong>s mêmes personnes. Pour ma part,<br />

c’était quelque chose <strong>de</strong> très révoltant, cette espèce <strong>de</strong> fracture sociale<br />

mais qui pouvait être facilement achetée puisqu’il suffisait d’arroser. »<br />

«<br />

Jacky Bryant est conscient qu’aujourd’hui, <strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong> ce pays a<br />

besoin d’un « personnage historique » auquel se référer : « Peut-être<br />

qu’au travers <strong>de</strong> ce futur Centre <strong>de</strong> mémoire, le nucléaire va <strong>de</strong>venir<br />

ce ‘personnage historique’, si je peux utiliser le terme, dont un peuple<br />

a besoin. Un pays, une jeunesse, a besoin d’un référent historique,<br />

c’est absolument nécessaire. On ne peut pas construire l’avenir si on<br />

n’a pas ce référent. »<br />

»<br />

66 67


Ro<strong>la</strong>nd Oldham<br />

Ro<strong>la</strong>nd Oldham est prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’association Moruroa e tatou <strong>de</strong>puis<br />

sa création en 2001. Il se souvient d’avoir milité contre les essais<br />

nucléaires quand il avait 16 ans.<br />

Ro<strong>la</strong>nd Oldham est bien connu pour son jugement sévère sur les<br />

hommes politiques <strong>de</strong> ce pays qui se sont <strong>la</strong>issés corrompre par l’argent<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe : « Beaucoup <strong>de</strong> nos déci<strong>de</strong>urs, justement à cause<br />

<strong>de</strong> ce gain d’argent, ont participé à cette aventure. Même s’ils avaient<br />

<strong>de</strong>s doutes, c’est vrai que l’argent était assez convaincant et les rares<br />

hommes politiques qui se sont opposés aux essais nucléaires ont eu<br />

<strong>de</strong>s mésaventures avec l’Etat français. »<br />

Il dénonce le pouvoir <strong>de</strong> persuasion <strong>de</strong> l’Etat : « Il faut comprendre<br />

qu’il y a une machine <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> qui était très puissante. Et je me<br />

rappelle, il y a déjà 10 ans <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>, que parler <strong>de</strong>s essais nucléaires<br />

aux journalistes, c’était très difficile. Le len<strong>de</strong>main matin ceux qui<br />

osaient parler <strong>de</strong>s essais nucléaires, étaient ratatinés dans <strong>la</strong> presse<br />

comme pas possible. Donc, il faut admettre les choses comme elles<br />

sont : cette machine était tellement forte que les hommes politiques,<br />

et même le pouvoir religieux ici en Polynésie, ont adhéré aux essais<br />

parce qu’on voyait plutôt les retombées économiques importantes<br />

mais justement ce sont ces retombées économiques qui ont bouleversé<br />

<strong>la</strong> société polynésienne. »<br />

Il poursuit : « L’Etat a utilisé une formule qui a bien marché pendant<br />

40 ans, c’est-à-dire, on achète et puis on fait les essais nucléaires, les<br />

gens ferment les yeux et on a adhère au mensonge. Aujourd’hui, j’ai<br />

l’impression que l’Etat utilise cette même formule qui marche. Quand<br />

on voit nos hommes politiques profiter <strong>de</strong> <strong>la</strong> vague, du travail qui a<br />

été effectué par les associations, non pas pour que les victimes soient<br />

in<strong>de</strong>mnisées, mais pour aller voir l’Etat français négocier plus d’argent<br />

pour une politique sans projet pour <strong>la</strong> Polynésie. »<br />

«<br />

Ro<strong>la</strong>nd Oldham a conscience qu’il faudra plusieurs générations pour<br />

continuer le combat contre les conséquences <strong>de</strong>s essais nucléaires<br />

et qu’il faut maintenant s’adresser aux jeunes générations : « Quand<br />

on pense qu’il y a eu près <strong>de</strong> 150 essais souterrains à Moruroa et<br />

Fangataufa, je pense que c’est <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> concentration d’essais<br />

nucléaires sur un atoll aussi petit. On est là à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu’il en<br />

sera <strong>de</strong> l’avenir, puisqu’il y a déjà <strong>de</strong>s fuites et qu’une bonne partie <strong>de</strong><br />

l’atoll <strong>de</strong> Moruroa s’effondre. Il y a <strong>de</strong>s vrais dangers qui concernent<br />

<strong>de</strong>s générations et <strong>de</strong>s générations. Et je pense que l’un <strong>de</strong>s combats<br />

les plus importants <strong>de</strong> Moruroa e tatou sera <strong>de</strong> faire adhérer nos<br />

jeunes générations à ce combat-là. »<br />

»<br />

68 69


Hommage<br />

Marie-Thérèse Danielsson<br />

Marie-Thérèse et Bengt Danielsson ont vécu à Tahiti au temps <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> préparation et <strong>de</strong> l’instal<strong>la</strong>tion du Centre d’Expérimentation du<br />

Pacifique au début <strong>de</strong>s années 1960 et ils y ont pratiquement passé<br />

tout le reste <strong>de</strong> leur vie. Ethnologue et écrivain suédois, Bengt avait<br />

débarqué en Polynésie en 1947 sur le ra<strong>de</strong>au du Kon Tiki. Installé à<br />

Paea, le couple accueil<strong>la</strong>it les écrivains, artistes, hommes politiques<br />

et militants du mon<strong>de</strong> entier <strong>de</strong> passage à Tahiti. Marie-Thérèse<br />

avait en charge <strong>la</strong> convivialité et les re<strong>la</strong>tions extérieures du couple.<br />

Elle avait su nouer <strong>de</strong>s soli<strong>de</strong>s amitiés avec les personnalités politiques<br />

polynésiennes qui souvent, s’interrogeaient sur les risques<br />

<strong>de</strong>s expériences nucléaires.<br />

Le premier livre, co-signé par Bengt et Marie Thérèse Danielsson, sur<br />

les essais nucléaires « Moruroa mon amour » publié en 1974, est un<br />

véritable réquisitoire sur le comportement <strong>de</strong> l’Etat français à l’égard<br />

<strong>de</strong>s Polynésiens pour imposer ses expériences atomiques. Ce livre eut<br />

un retentissement mondial tel qu’il contribua sans aucun doute à <strong>la</strong><br />

décision du Prési<strong>de</strong>nt Giscard d’Estaing <strong>de</strong> renoncer, l’année suivante,<br />

aux essais aériens. A Tahiti, alors que <strong>la</strong> presse était muselée et que<br />

les flots d’argent déversés obscurcissaient bien <strong>de</strong>s consciences, les<br />

Danielsson exprimaient in<strong>la</strong>ssablement leur opposition aux essais, ce<br />

qui leur valut <strong>de</strong> nombreuses mesures vexatoires <strong>de</strong>s autorités <strong>de</strong><br />

l’Etat français. De nationalité suédoise et consul <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong> en Polynésie,<br />

Bengt Danielsson fut même déchargé <strong>de</strong> ce poste à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s autorités françaises !<br />

Au fil <strong>de</strong>s années, Marie-Thérèse fut l’ambassadrice et l’infatigable<br />

globe-trotter <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte <strong>de</strong>s Polynésiens et <strong>de</strong>s peuples du Pacifique<br />

contre les armes nucléaires. Elle était connue dans le mon<strong>de</strong> entier<br />

comme une femme engagée « pour <strong>la</strong> paix et <strong>la</strong> liberté ». Prési<strong>de</strong>nte<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Ligue polynésienne <strong>de</strong>s femmes pour <strong>la</strong> paix et <strong>la</strong> liberté, elle<br />

fut invitée à Moscou - reçue par Mikhaïl Gorbatchev -, à Pékin, à Dili<br />

(Timor Oriental) lors du récent conflit d’indépendance, en Australie,<br />

en Nouvelle-Zé<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, aux Etats-Unis et dans <strong>de</strong> nombreux pays<br />

d’Europe. En 1991, le couple Danielsson, aux côtés <strong>de</strong> Jeton Enjain<br />

sénateur <strong>de</strong> Ronge<strong>la</strong>p <strong>de</strong>s Iles Marshall, reçurent <strong>de</strong>s mains du roi<br />

<strong>de</strong> Suè<strong>de</strong> le prix Nobel alternatif « Right Livelihood Award » pour leur<br />

action en faveur <strong>de</strong>s peuples victimes <strong>de</strong>s essais nucléaires. En 2001,<br />

Marie-Thérèse Danielsson et son amie Tetua Doom, étaient présentes<br />

au temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> création <strong>de</strong> Moruroa e tatou, l’association <strong>de</strong>s anciens<br />

travailleurs <strong>de</strong> Moruroa.<br />

Marie-Thérèse s’est toujours rangée aux côtés <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong>s<br />

essais nucléaires. Non sans raison. En effet, <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> sa fille unique<br />

Maruia, décédée <strong>de</strong>s suites d’un cancer alors qu’elle avait vingt ans,<br />

est restée comme une ombre tout au long <strong>de</strong> sa vie. Comme beaucoup<br />

<strong>de</strong> familles polynésiennes dont elle a partagé les tragiques douleurs,<br />

Marie-Thérèse était convaincue <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion entre <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />

<strong>de</strong> sa fille et <strong>la</strong> radioactivité dispersée par les essais nucléaires qui ont<br />

pollué <strong>de</strong>s archipels <strong>de</strong> <strong>la</strong> Polynésie.<br />

Marie-Thérèse Danielsson est décédée en février 2002, quelques<br />

années après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son mari en 1997. Elle reste présente à<br />

notre mémoire comme <strong>la</strong> sentinelle vigi<strong>la</strong>nte qui aura su nous alerter<br />

<strong>de</strong>s dangers <strong>de</strong>s essais nucléaires pour le présent et pour les générations<br />

futures. Avec son mari Bengt, elle n’aura certes pas été seule à<br />

réagir, mais sans son action persévérante étendue au mon<strong>de</strong> entier, le<br />

cri <strong>de</strong>s Polynésiens contre les essais français n’aurait peut-être jamais<br />

été entendu avec autant <strong>de</strong> force et sans autant d’écho pour que les<br />

droits <strong>de</strong>s victimes soient enfin reconnus.<br />

B B<br />

70 71


Souscription<br />

Un livre-album « Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe »<br />

Les portraits photographiques et l’intégrale <strong>de</strong>s interviewes filmées vont être<br />

publiés dans un livre album intitulé « Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe » édité par Univers<br />

Polynésiens.<br />

D’une centaine <strong>de</strong> pages, en format (21 X 29,7) à l’italienne et couverture<br />

cartonnée, ce livre <strong>de</strong> mémoire comportera les portraits noir et b<strong>la</strong>nc <strong>de</strong><br />

Marie-Hélène Villierme et les récits intégraux recueillis par Arnaud Hu<strong>de</strong>lot<br />

seront illustrés par <strong>de</strong>s photos couleurs du tournage <strong>de</strong> Marie-Hélène Villierme<br />

et <strong>de</strong> Tenahe Faatau.<br />

Quelques pages complèteront l’information du lecteur avec <strong>de</strong>s documents<br />

- cartes, photos d’époque, tableaux, exposés sommaires - nécessaires à<br />

<strong>la</strong> bonne compréhension <strong>de</strong>s témoignages dans le contexte <strong>de</strong>s 30 années<br />

d’essais nucléaires en Polynésie française.<br />

Le prix <strong>de</strong> souscription <strong>de</strong> ce livre album « Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe » est <strong>de</strong><br />

4000 F cfp.<br />

Dès sa diffusion en librairie, son prix <strong>de</strong> vente sera augmenté.<br />

La sortie publique est prévue pour mars 2012.<br />

Formu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> Bon <strong>de</strong> souscription<br />

M. Mme…………………………………………….<br />

Adresse …………………………………………….<br />

Tél ou email ………………………………………..<br />

Souscrit pour……. exemp<strong>la</strong>ire(s) du livre « Témoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe » à<br />

4 000 Fcfp l’unité.<br />

Ci-joint un chèque <strong>de</strong> ……………<br />

Découper ou recopier le formu<strong>la</strong>ire et adresser-le, avec votre chèque, à :<br />

Univers Polynésiens<br />

BP 21 768 98713 PAPEETE<br />

Tahiti - Polynésie Française<br />

Pour les virements :<br />

Univers Polynésiens<br />

Banque <strong>de</strong> POLYNESIE<br />

Agence Bruat<br />

Po Box 530 - 98 713 Papeete - TAHITI<br />

Co<strong>de</strong> banque: 12149<br />

Co<strong>de</strong> guichet: 06732<br />

N° compte: 32002338381<br />

Clé RIB: 23<br />

Co<strong>de</strong> IBAN : FR76 12149 06732 32002338381 23<br />

BIC - Adresse SWIFT : BPOLPFTP<br />

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