de Jean-Luc MouLène - Beirut Art Center
de Jean-Luc MouLène - Beirut Art Center
de Jean-Luc MouLène - Beirut Art Center
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
exposition<br />
“Works”<br />
<strong>de</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène<br />
Vision documentaire du mon<strong>de</strong><br />
Jusqu’au 12 octobre, le <strong>Beirut</strong> <strong>Art</strong> <strong>Center</strong><br />
présente plusieurs œuvres significatives du<br />
travail <strong>de</strong> l’artiste contemporain français,<br />
<strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène.<br />
Georges Haddad.<br />
P<br />
eut-être s’en cache-t-il, mais <strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène est<br />
aujourd’hui un nom reconnu sur la scène artistique<br />
contemporaine. Adolescent durant les événements<br />
<strong>de</strong> mai 1968, s’il n’en fut pas un acteur, il en<br />
fut malgré tout un surgeon, alors que jeune adulte résonnait<br />
encore le tintamarre <strong>de</strong>s pieds fluets sur les pavés parisiens.<br />
Comme beaucoup, il s’insurge contre ces grilles <strong>de</strong> lecture<br />
<strong>de</strong> la société et affirme son i<strong>de</strong>ntité en s’engouffrant dans le<br />
seul domaine dont la liberté d’expression lui semble totale:<br />
l’art. La photographie lui procure son terrain <strong>de</strong> jeu essentiel,<br />
il s’attache à capter une vision documentaire du mon<strong>de</strong>, loin<br />
du romantisme <strong>de</strong>s épopées, <strong>de</strong> la dramaturgie <strong>de</strong>s systèmes<br />
idéologiques. Une tentative <strong>de</strong> photographie objective, que l’on<br />
pourrait rapprocher <strong>de</strong> ce que Flaubert avait pu initier dans<br />
l’écriture. <strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène n’est pas un stratège, c’est un<br />
52 8 femme
tacticien, un ouvrier <strong>de</strong> l’opérationnel, «un technicien libertaire»<br />
comme il s’autoproclame. <strong>Art</strong>iste du minimal, du fragment, il<br />
s’ouvre à la fin <strong>de</strong>s années 1990 à d’autres champs artistiques:<br />
performances, sculptures, <strong>de</strong>ssins et vidéos.<br />
La première <strong>de</strong>s quatre salles <strong>de</strong> l’exposition s’intitule «Personne».<br />
On entre dans le vif du sujet, <strong>de</strong> son anonymat plutôt, comme<br />
<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> son auteur qui s’attache à décrypter le corps et<br />
ses représentations, publiques et privées, à en démembrer le<br />
simulacre d’image. Au centre <strong>de</strong> la pièce, une étrange structure<br />
rectangulaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux poutrelles <strong>de</strong> fer juxtaposées, l’une rouge,<br />
l’autre bleue, semble contraindre le spectateur à longer les<br />
murs <strong>de</strong> photographies. Le Débrayeur, ainsi se nomme-t-elle,<br />
invite en réalité à rompre la sacralité <strong>de</strong> l’œuvre, à pénétrer son<br />
espace intérieur, qui autorise l’apprivoisement. Devenu salle <strong>de</strong><br />
jeu, cet espace initie le rapport à tenir face aux photographies.<br />
<strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène utilise les jeux <strong>de</strong> miroirs, la comparaison<br />
révèle le signifié: dans 3 Standards, on voit la cour arrière d’un<br />
pavillon <strong>de</strong> banlieue avec sa niche pour le chien accolée à la<br />
maison <strong>de</strong> jeu <strong>de</strong>s enfants: le triptyque ordonné et normé <strong>de</strong><br />
la classe moyenne périurbaine. En opposition, Phrères, c’est le<br />
désordonnément du mon<strong>de</strong>, la photographie renversée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
vagabonds allongés sur la chaussée d’une avenue parisienne.<br />
Les autres salles poursuivent cette quête documentaire.<br />
«Standards» (salle 2) interroge le spectateur sur le processus<br />
<strong>de</strong> construction sociale <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité. Les productions Standard<br />
(une photo représentant une chaise en plastique blanche tout<br />
à fait banale, vi<strong>de</strong>, au milieu d’une cour <strong>de</strong> graviers) et Aura<br />
Standard (Enfant) (une sculpture <strong>de</strong> verre transparente) semblent<br />
dénoncer l’absence d’autonomie, la standardisation, à l’œuvre<br />
dans ce processus.<br />
La troisième salle «Documents» met entre autres l’accent sur une<br />
certaine symbolique <strong>de</strong> la lai<strong>de</strong>ur quotidienne: photographies<br />
esthétisées d’ongles morts, d’excréments canins, <strong>de</strong> boîtes <strong>de</strong><br />
munitions, comme si dans cette artistique lai<strong>de</strong>ur se trouvait une<br />
singularité salvatrice.<br />
Dans la <strong>de</strong>rnière salle, «Signes», <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins à l’encre Bic,<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins abstraits, rompent l’aspect documentaire <strong>de</strong>s<br />
photographies, même si les traits suivent <strong>de</strong>s lignes bien<br />
précises, une abstraction sensée, rationnelle, objective. Au<br />
centre <strong>de</strong> la pièce, + d’ordre – d’ordre (La Vaisselle) est une<br />
vidéo intrigante: un homme (l’auteur) fait la vaisselle, l’objectif<br />
est concentré sur les mouvements répétitifs <strong>de</strong> ses actions, mais<br />
jamais tout à fait les mêmes. On est pris dans une sorte <strong>de</strong><br />
fascination pour l’activité purement fonctionnelle et inesthétique,<br />
reflet <strong>de</strong> l’apparente banalité du quotidien.<br />
Sans jamais être explicite, le parcours <strong>de</strong> l’exposition porte la<br />
signature <strong>de</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène lui-même, sur le postulat qu’une<br />
bonne exposition est «une exposition qui autorise» à s’affranchir<br />
<strong>de</strong> l’œuvre et <strong>de</strong> soi-même. Il s’agit <strong>de</strong> «penser les conditions et<br />
les possibilités <strong>de</strong> la vérité d’aujourd’hui (<strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène, in<br />
Florence Osten<strong>de</strong>, Catalogue)», en d’autres termes <strong>de</strong> révéler<br />
les ressorts <strong>de</strong> cette adéquation entre la réalité et l’idée qu’on<br />
en a, qui définit la vérité. Au spectateur <strong>de</strong> rassembler les<br />
fragments, d’en dégager un parcours rationnel. Encore faut-il<br />
être sensible à cette démarche très intellectuelle, assez propre<br />
à l’art contemporain, presque exotique, voire comique, est-on<br />
tenté <strong>de</strong> dire lorsqu’elle se propose ici. Sorti du maelstrom<br />
beyrouthin, pénétrer le mon<strong>de</strong> en ruptures et si méticuleusement<br />
européen, dans son approche sociale, <strong>de</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Luc</strong> Moulène, est<br />
un exercice à la fois exigeant et singulier.<br />
Jim<br />
femme 7 53