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Lazare #1 La Fin

Décembre 2014

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assis-toi, ton paquet de clopes est<br />

vide et il reste trois pages avant la<br />

dernière ligne de ton bouquin, rien<br />

ne presse. il y aura des mains pour<br />

te serrer au fond de la nuit, d'autres<br />

pour t'arracher chacun de tes cheveux,<br />

rien ne presse.<br />

LE NUMERO DE LA FIN


DECEMBRE 2014 - # 01


EN FINIR.<br />

Léa Curtis<br />

N'est ni un échec, ni un drame, ni un rêve, ni une libération,<br />

ni un moment triste, ou même joyeux,<br />

ni décidé, ni inéluctable, ni aléatoire, ni violent, ni doux, ni<br />

même une fin en soi. En finir, c'est rien<br />

du tout.<br />

6


MOURIR JEUNE<br />

ET<br />

FAIRE UN BEAU CADAVRE<br />

de Lised d'Eau douce<br />

"Le mec qui s'use les poumons et les cordes vocales<br />

au pied de mon immeuble ne doit pas<br />

être à moins de trois grammes. Assez saoul en<br />

tous cas pour ne pas se rendre compte que son pied est<br />

enfoncé dans une flaque depuis dix bonnes minutes. Ça,<br />

et il est sous la mauvaise fenêtre.<br />

- …<br />

- Je n'ai jamais vu la gueule de ce type, sûr qu'il ne<br />

connaît pas la mienne.<br />

- ...<br />

- Le double vitrage ne sauve pas des cons. "<br />

Anne prenait toujours de mes nouvelles au beau milieu<br />

de la nuit, comme pour vérifier que j'étais bien dans mon<br />

lit et pas occupé à arpenter les rues comme à mon habitude.<br />

Ou dans les draps d'une autre.<br />

Le téléphone sonnait et pourvu que minuit soit passé,<br />

j'étais certain de trouver sa voix fluette à l'autre bout du<br />

fil. Façon de parler, elle n'avait rien d'une meuf bavarde,<br />

plutôt du genre te respirer dans l'oreille jusqu'à ce que tu<br />

lâches le morceau.<br />

Toujours été comme ça.<br />

Eté 85, restée muette devant une demande en mariage,<br />

Anne s'était fait ramoner la gueule par son copain de<br />

l'époque. Elle avait vingt-trois ans, et l'altercation ne<br />

l'avait pas laissée avec grand chose de ses dents. C'est là<br />

qu'avaient commencé les emmerdes.<br />

C'était un mardi d'aôut, sur la grande place devant la<br />

mairie du village, le thermomètre indiquait trente et un<br />

degrés et une légère brise décoiffait les vieilles.<br />

Anne, deuxième prénom Marie, tronche contre le pavé,<br />

sentait bien le soleil dorer sa peau et chauffer ses cuisses à<br />

travers le coton de sa jupe bleue, tout comme elle sentait<br />

des mèches de ses cheveux, celles qui n'étaient pas collées<br />

à son crâne par le sang, s'agiter dans le vent. A dire vrai la<br />

seule chose qu'elle n'avait pas senti c'était qu'elle poussait<br />

là son dernier souffle.<br />

Je vous coupe tout de suite le mythe de la belle lumière<br />

blanche et des chœurs de chérubins, si un<br />

encéphalogramme plat ouvrait les portes du paradis, mon<br />

téléphone se donnerait moins la peine de sonner.<br />

Anne n'avait même pas eu le droit au néant, tout au plus<br />

un vide grisâtre teinté d'ennui qu'elle était incapable de<br />

ponctuer de soupirs, elle avait le poumon en grève.<br />

« Vu comment il s'acharne, en voilà un autre qui aime<br />

pas qu'on lui résiste. »<br />

J'me marre.<br />

« …<br />

- Merde, dis-moi pas que je t'ai vexé. »<br />

Grésillements sur la ligne. Pour cette fois-ci je suis pardonné.<br />

Pour toutes les fois suivantes aussi je crois, faut<br />

pas m'en vouloir j'ai l'humour dérangeant. Ou dérangé.<br />

Je sais plus.<br />

Le vivant ne me va pas vraiment au teint alors je lui<br />

noirci les angles. De mémoire j'ai jamais eu besoin d'être<br />

mort pour me faire rudement chier. Pas que j'envie Anne<br />

de pouvoir se payer une telle excuse, mais tout de même,<br />

certains ont des facilités.<br />

J'hante à ma façon les bureaux miteux d'une petite<br />

entreprise française, j'y troque coups de balais sous des<br />

bureaux contre salaire à la pièce. Je bois, je fume, je traîne<br />

dans des bars crasseux histoire de lever de la meuf pas<br />

regardante, je bats le pavé de mes godasses pourries.<br />

Et chaque soir où je rentre, je fais l'outrage de ne pas<br />

appeler ma mère pour lui donner de mes nouvelles.<br />

De toute façon personne n'aime les histoires de fantômes.<br />

11


FROM HELL TO SWITZERLAND (WITH LOVE)<br />

<strong>La</strong> Fille Renne<br />

Ces photos ont pour moi un goût particulier. De soleil et de fer peut-être. Parce<br />

que elle, mon amie. Parce que elle, son histoire.<br />

Elle est venue me voir pour qu'on réalise une série de photos, avec elle. Avec<br />

sa blondeur, ses robes, la Suisse, la chemise et trois tubes de faux sang. Il y avait<br />

six mois à conjurer, une transformation physique, une renaissance à mettre sur<br />

pellicule. Une fin à libérer, un cœur qui saigne à stopper. Un corps de femme à<br />

travestir, des attitudes d'homme pour exorciser.<br />

12


Le sang qui coule de l’annulaire gauche. <strong>La</strong> fin d’une histoire, six mois à brûler,<br />

pour permettre une renaissance, un nouveau corps, une nouvelle peau, une nouvelle<br />

vie, dans les cendres chaudes de l’été.


"Je ne sais pas si tu t'en souviendras, dans dix ans. De cette blessure, et de cette<br />

année 2014 qui n'en finissait pas."<br />

"Quand on gratte un peu, le sang n'a pas encore bien coagulé. J'en ai plein les<br />

ongles, les mains, les doigts. J'en ai plein la bouche, ça coule dans ma gorge à en suffoquer.<br />

C'est poisseux et ça me noie."


"Alors s'il te plait, même dix ans après, souviens-toi, de ce moment-là. Au creux de<br />

l'été de cette année qui s'étirait, et qui n'en finissait pas. <strong>La</strong> vie qui battait de nouveau,<br />

et tes mains qui ne tremblaient pas."<br />

Fanny - Août 2014 / Matériel : Canon AE-1 Program (film Kodak G


"Cet été est déroutant. Déphasant. Déstabilisant.<br />

Il brûle tout ce qui le retient. Les jours, mes habitudes, mes chemins. (...) A la fin, il<br />

ne reste que moi, nue et noire de fumée. Ma maison brûlée sous mes orteils, le vent<br />

sur ma peau fragilisée.<br />

Je suis venue, j'ai vu, je suis invaincue."<br />

old 200) & Semflex Standard 4.5 (film Fujifilm Superia X-tra 40)


A LA FIN<br />

de Rémy Chabrolle<br />

L'endroit parfait pour s'éclater, ressentir ce que nulle<br />

part ailleurs l'on ressent : le paradis de ceux qui tentent<br />

d'éviter la monotonie. Le tintement des machines<br />

à jetons, l'espoir grandissant d'attraper une énorme peluche à<br />

l'aide de ce grappin qui ne se serre foutrement jamais assez,<br />

la sensation de l'estomac qui se retourne tandis que tous les<br />

organes se déplacent dans notre ventre, pendant un looping.<br />

<strong>La</strong> joie, l'amusement, le partage en famille ou entre ami. Le<br />

loisir est la règle dans une fête foraine.<br />

« Mais vas-y, tu verras, la sensation que ça procure est inégalable<br />

! »<br />

Mon fils a seize ans mais qu'est-ce qu'il peut être trouillard.<br />

Moi, à son âge, j'étais capable de tout. Ce que j'ai pu faire le<br />

con sur ma moto, ou avec mes potes. J'étais ce qu'on appelle<br />

un casse-cou, en témoignent mes nombreuses cicatrices. Ce<br />

qui me sert de fils est plutôt du genre casse-couille. Vous vous<br />

rendez compte, il me les a brisées pendant toutes les vacances<br />

pour qu'on vienne dans ce foutu parc d'attraction... Et pourtant<br />

; on est là depuis une heure, et il n'ose pas monter dans<br />

le moindre petit manège. Ce qui effraie un enfant de huit ans<br />

l'effraie deux fois plus. Pitoyable. Il en vient à croire à la théorie<br />

des complots, comme si les forains étaient payés au nombre de<br />

personnes qu'ils faisaient vomir.<br />

« Mm... je sais pas. T'as vu comme ils hurlent là dedans ? Et<br />

puis regarde, le mec qui vient d'en descendre là, il est en train<br />

de cracher son estomac dans un coin. Les forains qui tiennent<br />

l'attraction l'ont caché derrière leur cabine, pour pas qu'il fasse<br />

fuir d'autres clients, ou plutôt d'autres victimes. C'est pas sécurisé<br />

ce truc, moi je te le dis. »<br />

Mon père est sans doute ce qu'on appelle un vieux con. Le<br />

genre de mec à donner de l'urticaire, que tu as envie d'insulter<br />

dès le moment où il ouvre la bouche. Il passe son temps à<br />

râler, se plaindre. Tout y passe, les gens sont trop paresseux,<br />

trop bruyants, trop existants. Rien n'est jamais assez bien pour<br />

son altesse. Alors voilà, je me suis dis qu'on pourrait venir<br />

dans cette foutue fête foraine, histoire de passer un moment...<br />

Pour vous dire la vérité, j'ai du mal à saisir comment on peut<br />

prendre son pied dans une machine infernale qui vous cogne<br />

la tête de tous les côtés et vous pend la tête en bas à des vitesses<br />

impossibles. En fait, si je suis ici, c'est juste histoire de partager<br />

un truc, entre père et fils. Pour une fois. Je sais ce que vous<br />

vous dites, comme si c'était possible d'avoir une relation père/<br />

fils stable. C'est une connerie vieille comme le monde. On n'a<br />

pas attendu le XXI ème siècle pour que les enfants détestent<br />

leurs parents et vice-versa. Détester, c'est un bien grand mot.<br />

<strong>La</strong> relation qu'on partage avec nos parents est peut-être le<br />

plus grand paradoxe qui existe. On leur doit notre présence<br />

sur terre, le fait de ne pas être mort de faim pendant notre<br />

enfance (parce que oui, ils nous nourrissent, tout de même),<br />

et d'autres trucs, comme la possibilité d'avoir un pécule sympathique<br />

pour faire des études et s'en sortir pas trop mal dans<br />

la vie. Des trucs vilainement matériels, au final. Oh, je dis pas,<br />

certains enfants ont la chance d'obtenir en héritage une certaine<br />

culture, une vision de la vie, des valeurs pour lesquelles<br />

se battre. Pas moi.<br />

« T'es vraiment qu'une tapette. Écoute, je te propose un marché,<br />

je fais l'attraction le premier. Si je n'en reviens ni malade,<br />

ni blessé, tu y vas après moi. »<br />

C'est ainsi qu'un père d'une cinquantaine d'année, pour<br />

montrer l'exemple à son trouillard de fils, monte dans une<br />

attraction impressionnante, qui emmène ses passagers à plusieurs<br />

mètres de hauteurs dans plusieurs loopings à donner<br />

des sueurs à un cardiaque. Il s'installe sur son siège, jette à son<br />

fils quelques regards éloquents, de ceux qui disent « tu vois,<br />

c'est pas si horrible ! ». Le jeune, pendant ce temps là, observe<br />

autour de lui. C'est le parfait endroit pour craquer, partir en<br />

couille : le paradis de la crise d'angoisse.<br />

Des lumières clignotantes sur le fond noir du ciel nocturne,<br />

des hurlements stridents de jeunes filles pubères à la recherche<br />

de sensation forte, une foule dense et détestable qui vous bouscule<br />

et vous paralyse sans arrêt. L'entrave est la règle dans une<br />

fête foraine.<br />

Alors que mon père inculte et insupportable se pavane sur le<br />

siège de sa fameuse attraction, une gamine hurle comme une<br />

24


A LA FIN<br />

de Rémy Chabrolle<br />

possédée derrière moi. Je ne peux pas m'empêcher de<br />

l'observer. Elle n'a pas réussi à gagner la peluche qu'elle voulait.<br />

Dommage. Il lui suffisait pourtant de tirer une ficelle pour obtenir<br />

un lot, au hasard. Elle voulait cette énorme licorne rose.<br />

Mais à la place, elle a gagné un gros coquillage décoratif, plutôt<br />

moche. C'est tragique, non ? En réalité, les cris de la petite<br />

m'angoissent un peu. J'ai mal aux yeux : la lumière des attractions<br />

dans la nuit. Mes oreilles bourdonnent et j'ai comme<br />

l'impression d'avoir le vertige. Je lève la tête vers l'attraction<br />

qui s'est mise en marche, mon père doit prendre son pied,<br />

j'imagine. Mon corps semble gonfler sous l'impulsion d'une<br />

chaleur insupportable, du genre qui étouffe, qui transforme l'air<br />

en poison. Mes sourcils se froncent tandis que des idées noires<br />

pèsent sur mon esprit. Et si l'attraction partait en couille, si<br />

mon père crevait, là, devant moi. Ce serait une putain de leçon<br />

de vie, non ? Devrais-je être surpris en me rendant compte<br />

que cette idée ne m'est pas totalement désagréable ? Le genre<br />

humain est attiré par le tragique. Rien d'autre ne le transcende<br />

à ce point. Il n'y a qu'à regarder le nombre d’œuvres classiques<br />

qui baigne dans la tragédie. Elle est belle, l'histoire de celui<br />

qui a vu son père mourir, et qui peut s'en servir comme un<br />

tremplin vers la vie, la vraie : celle nourrie d'envie, nourrie de<br />

motivation, de soif de vivre, de soif d'aimer, du désir de bouffer<br />

tout ce qu'il est possible de bouffer. Il n'y a qu'un drame<br />

comme celui-là qui peut exagérer tout ce que ressent l'être<br />

humain. Il lui donne les désirs arides de se venger de la vie en<br />

suçant tout ce qui peut être sucer de son passage sur la Terre.<br />

Celui qui n'a rien vécu de dramatique, après tout, ne fait-il pas<br />

que survivre en espérant qu'un truc horrible se déroule devant<br />

lui ? Si j'avais ce truc un peu incroyable, je vivrais sans doute<br />

mieux, d'autant plus que je n'aurais plus ce vieux con sur le<br />

dos. D'une pierre : deux coups. Mais non, le voilà qu'il revient.<br />

Il est sorti indemne de l'attraction de la mort. Dommage.<br />

« Allez, à ton tour maintenant. Si t'y vas pas, tu vaux pas<br />

mieux que ces bougnoules là-bas. »<br />

Je regarde mon crétin de fils avancer les poings serrés vers<br />

l'attraction. Il prend place sur son siège. Il a l'air si maladroit,<br />

si gauche. C'est agaçant. Pourquoi ne pourrait-il pas être droit,<br />

sûr de lui, fort, viril ? J'ai l'impression de l'aimer par défaut. De<br />

l'aimer parce que c'est mon fils (et quel père n'aime pas son<br />

fils ?) et pour rien d'autre. Après tout, s'il n'était pas la chair<br />

de ma chair, aurais-je éprouvé un quelconque intérêt pour lui<br />

? Nous n'avons pas un seul point commun, pas un seul centre<br />

d'intérêt partagé. Il n'aime que prendre ces photos à la con,<br />

passer des heures devant son ordinateur à les retoucher. Il<br />

traîne avec des gars qui semblent sortis d'un film d'horreur, ou<br />

avec des filles percées et tatouées de partout. Encore heureux,<br />

lui ne tombe pas dans ce genre de choses dégueulasses.<br />

Les mains serrées autour de la barre de sécurité du manège,<br />

un gros boudin collé contre mes cuisses m'empêche de tomber<br />

lorsque le monstre de métal me renverse la tête en bas. A vrai<br />

dire, je suis trop énervé pour profiter de la moindre sensation<br />

qu'il procure. C'était aux « bougnoules » qu'il s'en prenait<br />

maintenant. L'altruisme, la compréhension, l'écoute. J'ai ce besoin<br />

incommensurable de devenir important pour les gens ; et<br />

ce désir mégalomane de devenir ce qu'on appelle « quelqu'un<br />

de bien ». Pour vous dire la vérité, j'ai l'impression d'être sur la<br />

bonne voie. Alors pourquoi je ne peux pas me comporter de la<br />

même façon avec le paternel ? Chacune de ses erreurs et chacun<br />

de ses défauts me font frissonner de dégoût. Les excuses<br />

que je trouve aux autres ne parviennent pas à émerger pour lui.<br />

Il m'inspire juste une pitié. J'ai pitié qu'un être puisse être ainsi<br />

rempli de préjugés, de stupidité. J'ai honte que la personne qui<br />

m'a engendré puisse commettre des erreurs de jugements aussi<br />

grossières. Je retrouve en lui toutes les horreurs que l'Histoire<br />

devrait avoir anéanties : la haine, la xénophobie, le racisme,<br />

l’intolérance envers toute forme de différence. Alors que je<br />

quitte l'attraction, je le cherche des yeux. Je le retrouve. Il me<br />

demande : « C'était génial, hein ? ». Et sans lui répondre, je me<br />

dirige vers la sortie, pour rejoindre la voiture. Il est impossible<br />

que je partage autre chose que mon ADN avec ce type.<br />

Regardez le, avancer droit devant lui, la tête baissée, les bras<br />

ballant le long de son corps. Comment ai-je pu faire de mon<br />

fils un tel raté ? Il n'y a rien qui puisse sortir d'un gars comme<br />

ça. Je ne peux pas m'empêcher d'envier ces autres pères et ces<br />

autres fils, autour de nous, qui ont en commun toutes les passions<br />

qu'un père et un fils partagent habituellement. Ah... je me<br />

prendrais bien un petit verre de whisky, tiens.<br />

25


SOUS LA CHUTE<br />

Théo Lecoq<br />

Que ce soit de creuser son trou ou que l'on croit pouvoir voler quand on est un<br />

quadripède à long cou, il faut retenir qu'il y a un moment qui amène à ce genre<br />

de situations.<br />

Sous la chute signifie qu'il faut voir au delà de la chute. Elle souligne la raison<br />

qui amène une personne à ce point critque.<br />

Cette série de dessins suit cette idée. Elle se fixe sur un point, il y a un avant et<br />

un après, et c'est justement là où il faut porter son regard et que l'on peut s'interroger<br />

sur cette situation.<br />

Bon, les interprétations restent tout de même libres, ce qui reste intéressant c'est<br />

de comprendre, voir même d'imaginer tout ce cheminement qui arrive à une fin.<br />

Je ne vais pas donner d'exemple, pour éviter l'influence d'une interprétation.<br />

Sachez qu'il peut y avoir plusieurs raisons de chuter..<br />

26


APRES L'AMOUR<br />

Ortie<br />

Après l'amour, chaque couple a son rituel, et pourtant, une fois mis à nu, nous<br />

nous ressemblons tous un peu.<br />

Au delà des différences qui ne sont pourtant pas toujours admises socialement,<br />

chaque personne se retrouve dans ce moment d'abandon à son simple statut<br />

d'être humain, et d'être humain aimant. Alors pourquoi restreindre l'expression<br />

de l'amour des autres lorsqu'elle ne rentre pas forcément dans les normes, alors<br />

qu'au final nous sommes tous un peu les mêmes lorsque nous sommes amoureux<br />

?<br />

En suivant un protocole similaire pour chacun, j'ai pour volonté de sortir de<br />

leur contexte social tous les couples que j'ai pu rencontrer, et d'effacer les différences<br />

d'orientation, de genre ou de mode de vie, et de les présenter simplement<br />

comme amants.<br />

32


ESCHATOLOGIE CHRETIENN ou<br />

Petit manuel de relation<br />

Il faut bien le reconnaître, le Moyen-Âge n'a pas une très bonne image dans l'imaginaire collectif.<br />

Alors que l'on garde de l'Antiquité les philosophes, l'art et le début de la démocratie, on n'aura plus tendance à lier au Moyen-<br />

Âge les guerres incessantes, l'Inquisition et les mauvaises odeurs.<br />

S'il convient de contrebalancer ces idées préconçues en rappelant que c'est également durant cette période que s'est développé<br />

le système des Universités, la diffusion de la littérature et la création de nombreuses inventions, il faut bien reconnaître qu'autour<br />

du XIVe siècle, c'était quand même un peu la misère.<br />

À la base, il y a ce que les historiens appellent poétiquement un retournement de conjecture. Pour résumer, la population augmente,<br />

les terres cultivables diminuent, la famine approche. On ajoute à ça des conditions climatiques désastreuses, des conflits<br />

incessants (coucou la Guerre de Cent Ans), et l'apparition d'un truc appelé la Peste Noire qui va tuer environ 2/3 de la population<br />

européenne.<br />

Dans une société où la religion chrétienne est omniprésente, on commence à se dire que ça sent le sapin et qu'il est possible que<br />

la fin des temps approche. Ce qui est intéressant, c'est qu'au lieu d'agir comme des lemmings ou de se tailler les veines en écoutant<br />

Joy Divison, les gens vont choisir d'apprendre à vivre avec la Mort, et vont développer une série de rituels allant dans ce sens.<br />

Liste non exhaustive :<br />

38


Thibault H. Engrenage<br />

E AU MOYEN-AGE TARDIF<br />

s cordiales avec la mort<br />

Le dit des trois morts et des trois vifs<br />

(ou inversement)<br />

Il s'agit d'un conte provenant du XIIe siècle qui connait un certain<br />

regain de popularité au fur et à mesure que les cadavres<br />

s'empilent. <strong>La</strong> paternité pourrait en être attribuée à Baudoin de<br />

Condé, ménestrel à la cour de la duchesse de Flandres, Marguerite<br />

II. On en trouve par la suite de nombreuses versions mais le<br />

thème principal reste le même, il s'agit de trois nobles rencontrant<br />

trois morts, trois cadavres. Le premier noble veut fuir, le<br />

second considère qu'il s'agit d'un signe de Dieu et le troisième<br />

constate l'aspect dégoutant des cadavres. Face à eux, les morts<br />

leur rappellent qu'eux aussi furent beaux et nobles, que la mort<br />

est une conséquence du péché originel et qu'elle n'épargne personne,<br />

et que seule une vie loin du péché leur permettra le salut<br />

de leurs âmes.<br />

« Nous avons bien esté en chance<br />

Autrefoys, comme estes à présent;<br />

Mais vous viendrez à nostre dance<br />

Comme nous sommes<br />

maintenant. »<br />

Ces textes ont donné lieu par la suite à de nombreuses représentations picturales, sculptures, bas-reliefs ou vitraux. C'est la<br />

bibliothèque de l'Arsenal qui conserve la plus ancienne gravure française à ce sujet, datée de la fin du XIIIe siècle.<br />

Le but principal de ces œuvres est de rappeler à tous que la mort peut survenir à tout instant, et que si personne ne peut s'en<br />

protéger, il est toutefois possible de ne pas s'en inquiéter en menant une vie pieuse.<br />

Les danses macabres<br />

Les danses macabres sont des représentations picturales montrant une foule de personnes de toutes classes sociales (on<br />

retrouve régulièrement le nombre 24, divisés en trois groupes de 7, les puissants, les bourgeois et le peuple) entrainée<br />

par la Mort ou bien des morts. Si l'on trouvait auparavant ces danses macabres sous forme de petites représentations<br />

théatrales, l'une des danses macabres sous forme picturale les plus anciennes est une peinture murale datée des années<br />

1360, dans l'église de Lübeck, mais elle fut détruite durant la Seconde Guerre mondiale.<br />

Si le thème peut paraître sordide, les représentations le sont beaucoup moins puisque l'on peut voir morts et vivants<br />

mêlés, dansant ou jouant de la musique ensemble. Le but de ces œuvres est de démontrer que la mort n'a que faire des<br />

classes sociales, du sexe ou des richesses. Il s'agit encore une fois d'un avertissement quant à la possibilité de mourir<br />

dans l'instant et la nécessité de prévoir la vie après la mort.<br />

De façon contemporaine, on peut retrouver ce thème aussi bien dans le Viva la Muerte des nationalistes espagnols<br />

durant la guerre civile, l'Espagne ayant également produite de nombreuses danses macabres à la fin du Moyen-Âge, ainsi<br />

que dans des films plus ou moins récents comme Les noces funèbres de Tim Burton.<br />

39


<strong>La</strong> tenture de l'apocalypse<br />

Chauvinisme oblige, je me dois de finir<br />

par cette oeuvre conservée au château<br />

d'Angers. Le duc Louis 1er d'Anjou, amateur<br />

de tapisseries et désirant une œuvre<br />

monumentale, commanda en 1373 à des<br />

tisserands parisiens de l'atelier Robert<br />

Poinçon une illustration de l'Apocalypse<br />

de Jean. Ce texte prophétique est présenté<br />

comme une révélation de Jésus à Jean du<br />

« sens divin de son époque et comment le<br />

peuple de Dieu sera bientôt délivré ». Ce<br />

texte est le dernier livre du Nouveau Testament canonique, et raconte en détail les circonstances de la<br />

fin du monde, en particulier la lutte qui oppose Dieu, le Christ et son peuple à Satan et aux puissances<br />

terrestres inspirées par ce dernier. Le travail réalisé s'inspire des illustrations précédemment réalisées par<br />

Hennequin de Bruges, peintre attitré du roi Charles V, frère du duc. Il a fallu de nombreuses années pour<br />

réaliser cet ensemble, le tout faisant 140 mètres de long sur 6 de hauteur. Si ces chiffres peuvent paraître<br />

abstraits et qu'une partie a été détruite au fil du temps, le résultat reste tout de même impressionnant et<br />

montre encore une fois le rapport complexe, entre crainte et fascination, que les gens de l'époque entretiennent<br />

avec la mort.<br />

L'Ars Moriendi<br />

Littéralement, l'art de bien mourir. <strong>La</strong> paternité de l'expression<br />

reviendrait au théologien Jean-Charlier de Greson, dans un ouvrage<br />

paru en 1408. Il explique que le clergé est soucieux d'accompagner<br />

les malades et les mourants, de plus en plus nombreux, et<br />

de les préparer à la mort à travers de petits textes pratiques. Ce<br />

souci nouveau peut venir du fait que les prêtres étant décimés<br />

comme tout un chacun, il est nécessaire de ne pas abandonner la<br />

communauté chrétienne, même avec une présence diminuée sur le<br />

terrain. Un premier texte, Tractatus artis bene moriendi, paraît en<br />

1415 sous la plume d'un moine dominicain resté anonyme. On y<br />

trouve notamment les bons cotés du décès, les cinq tentations qui<br />

attendent le mourant (le manque de foi, le désespoir, l'impatience,<br />

l’orgueil et l'avarice) ou encore les prières à réciter au moment du<br />

décès. Ce livre sera un des premiers imprimés et sera diffusé dans<br />

toute l'Europe où il connait un large succès.<br />

Des gravures accompagnent également ces textes, on y voit en général le mourant alité entouré de ses proches, ainsi que des<br />

anges et des diables, seulement visibles par le mourant, preuve que le voile entre monde matériel et monde spirituel est pour<br />

lui déchiré.<br />

Cette fascination pour la mort ne sera cependant pas limitée au Moyen-Âge, puisque l'on retrouvera durant la Renaissance de<br />

nombreux courants reprenant ce thème et inspirés par les créations antérieures, qu'il s'agisse par exemple des Memento Mori ou<br />

encore des Vanités.<br />

40


...<br />

Gaël Palpacuer<br />

Notre monde entraîne la fin de l’instinct.<br />

Notre quotidien est programmé.<br />

Notre esprit ne supporte plus le moindre imprévu.<br />

Naïf, on se laisse porter par la précision du temps.<br />

Sans plus se poser la bonne question.<br />

Nos yeux ne sont plus habitués à la spontanéité.<br />

Accepter la fatalité ?<br />

41


EPIPHENOMENES QUOTIDIENS DU<br />

Psylvia & Cahuate Milk<br />

En fin de compte


CHAOS SPONTANE RENOUVELABLE<br />

Voir le bout du tunnel


Etre au bout du rouleau


Faire un break


<strong>La</strong> faim justifie les moyens


Perdre la face


ILS DISPAR


AISSENT<br />

Svet


BREATH<br />

Hel Ley<br />

J’ai photographié la <strong>Fin</strong> au travers même de mon protocole de prise de vue,<br />

demandant au sujet photographié de vider l’air de ses poumons, parvenir à la<br />

<strong>Fin</strong> d’un souffle, la <strong>Fin</strong> d’une expiration, la présence d’un corps vide. C’est au<br />

moment où le sujet prend son inspiration que j’appuie sur le déclencheur.<br />

Cette série de quatre portraits fut réalisée avec une vitesse d’obturation lente, la<br />

façon dont j’ai souhaité interpréter ce thème de la <strong>Fin</strong>, confronte alors d’autres<br />

thématiques, celle de la capturation d’une respiration sur une image fixe, la <strong>Fin</strong><br />

d’un souffle existant au travers d’un recommencement, d’une première<br />

inspiration.<br />

58


SANS TITRES<br />

de <strong>La</strong>urent Log Soula<br />

Nous étions quatre sur cette route, il faisait nuit et je finissais à peine de<br />

travailler. Parti sur un coup de tête donné par un souvenir... Celui d'un été celui<br />

d'une jeunesse. Je ne faisais pas parti de celui-ci , mais j'étais là pour y entrer<br />

et découvrir, à commencer par cette route sinueuse.<br />

Nous avions rempli la voiture autant que possible pour n'avoir besoin de rien,<br />

<strong>La</strong>urène conduisait, elle connaissait bien la route, la maison de campagne où nous<br />

allions était la sienne. Je ne l'avais jamais vue, je me laissais donc emporter par<br />

les histoires de chacun, leurs souvenirs ; la maison se dessinait, la route aussi ;<br />

elle était longue mais nous avions tous connu pire, puis, nous étions seuls.<br />

On se rapprochait du but, même l'odeur avait changé, la fascination s'était<br />

invitée, quant à traversée de renard, de biche, nos yeux se mettaient à pétiller.<br />

Clara était devant, elle s'occupait de la musique, Yann et moi étions derrière,<br />

ensevelis sous toutes nos affaires, qu'on avait entassées un peu partout ; on<br />

arrivait quand même à se voir et à regarder par la fenêtre, utile pour nos esprits<br />

rêveurs ; les arbres défilaient, les souvenirs aussi, la voiture en était remplie.<br />

01h30 AM, nous étions sur un petit chemin escarpé, celui qui menait aux portes de<br />

la forêt et aux confins de nos chambres. Il n'y avait que la lumière des phares, les<br />

arbres cachaient la Lune et ses pupilles blanches qui palpitent, nous aussi nous<br />

étions en palpitation, quelque chose avait changé en nous, la musique et nos voix<br />

s'estompèrent et laissèrent place au silence, une aura obscure était en marche, elle<br />

était faite de compression ; la nature avait fait son travail, l'atmosphère l'avait<br />

payée.<br />

<strong>La</strong> route était difficilement praticable, mais nous étions déterminés ; il était<br />

trop tard, il fallait aller jusqu'au bout...<br />

On voyait l'ombre de la maison se préciser à chaque mètre, il y avait toujours<br />

cette pesanteur étrange. Notre premier réflexe n'a pas été de débarrasser la voiture<br />

mais d'aller voir si tout était clair. <strong>La</strong>urène éclairait comme elle pouvait, et nous<br />

sommes allés voir.<br />

Les fenêtres brisées, la porte enfoncée, l'illusion avait déjà disparu, calcinée,<br />

l'intérieur dévasté, les escaliers, pièce maîtresse du salon, disparus, plus<br />

d'étage, plus de toit, des débris et des bouteilles de gaz sur les restes de<br />

pavés... <strong>La</strong> lumière ne nous permettait pas de nous aventurer plus, mais elle<br />

suffisait pour se monter un scénario...<br />

On avait perdu <strong>La</strong>urène, elle avait le regard vide, tous ses souvenirs en fuite.<br />

Il fallait contacter sa mère, il fallait aller jusqu'au village le plus proche. Ce<br />

ne fut pas le même trajet ; la musique est devenue trop bruyante, le silence trop<br />

étouffant...<br />

Les renards rythmaient nos sourires, même l'émerveillement a une frontière,<br />

sûrement celle du village où nous allions. Je pense qu'en donnant ce coup de fil, sa<br />

mère n'a pas pu dormir de la nuit ; en plus de la nouvelle, elle a pu entendre les<br />

gens les plus bourrés du village où nous étions, ce qui a dû avoir un effet assez<br />

rassurant. En repartant la question était de savoir où nous allions passer la nuit.<br />

L'idée qui nous séduisait tous était le lac, il était 02h30, on ne voulait plus<br />

qu'attérir et si c'était un lac encore mieux. On a roulé environ 30 minutes, encore<br />

une fois, je ne connaissais pas l'endroit. En arrivant <strong>La</strong>urène sortit un « c'est<br />

là ?! », elle connaissait mieux que nous, il devait y avoir un problème, et pas des<br />

moindres...<br />

63


SANS TITRE<br />

de <strong>La</strong>urent Log Soula<br />

Le lac n'existait plus.<br />

Il fallait quand même trouver un point de chute, en somme nous n'avions plus le<br />

choix.<br />

C'est dans un silence tenace que nous débarrassions la voiture de notre amas<br />

d'affaires...nous investissions les lieux et les affaires inutiles prenaient<br />

désormais un sens.<br />

C'était un endroit incohérent quand j'y pense : une fausse colline bordant un faux<br />

lac qui n'existait plus, et des tables de pique-nique un peu partout dans une pente.<br />

L'immobilité disant merde à la gravité ; pourtant ce grand trou de galets était<br />

une invitation, et la colline un toboggan ; le vide prend des côtés métaphysiques<br />

quand il se laisse absorber, surtout quand l'homme a le pied dedans, et il était<br />

présent partout ici.<br />

Mais c'est nos ventres qui voulaient le combler les premiers, rien d'étonnant.<br />

Le temps de tout installer, de se voir et l'on pouvait enfin s'asseoir et manger.<br />

Ce soir-là j'avais piqué une bouteille de vin rouge dans la cave de mes parents,<br />

elle fît tellement de bien que j'en arrivais presque à boire sans culpabiliser, elle<br />

réchauffa nos poitrines et changea la paranoïa en énergie collective, je ne vous<br />

parle pas du repas ; il en fatigua certains, en motiva d'autres.<br />

Yann et moi n'avions pas dormi ; le lever du soleil dans ce lac et son exploration<br />

nous maintenait en éveil.<br />

L'errance dans ce vide, nous donna du temps, c'était déjà le matin, et nous<br />

pouvions choisir notre fin. Vers 11h00 AM des gens commençaient à venir attirés par<br />

l'attraction de l'immobilité pour manger et regarder un trou en travaux. Nous sommes<br />

partis dès que les regards devenaient oppressants.<br />

Nos yeux en disaient long quand ils se croisaient pour charger la voiture, il<br />

était temps de partir, il était temps que la fin agisse, et en partant la voiture est<br />

allée droit devant.<br />

Le hasard est circulaire et nous étions à la fin de cette boucle : devant la<br />

maison ; à la porte de notre curiosité, et baignant dans la lumière . Les sensations<br />

étaient différentes, le bruit, l'odeur, même la maison paraissait nouvelle ; c'est<br />

avec le regard que chacun de nous s'est imprégné du lieu, en recherche.<br />

Le dernier regard persistait et après des aller-retours et des tours sur nousmêmes,<br />

nous pouvions y aller ; même si ce n'était pas tâche facile de quitter cet<br />

endroit parallèlement à la veille...<br />

Mais nous avions réussi à reprendre la route et reprendre le désir de rentrer et<br />

mettre une fin à cette soirée.<br />

Sur la route, nous n'avions pas pris le même chemin, Clara avait remis la musique<br />

et on rigolait déjà de ce cheminement sans fin, l'imprévisible nous faisait déjà rire<br />

et on en avait pris l'habitude.<br />

Grossière erreur.<br />

Nous étions arrivés en face d'un lac.<br />

64


65<br />

SANS TITRE<br />

de <strong>La</strong>urent Log Soula


C'EST BEAU UNE VILLE LA NUIT<br />

Thibault H. Engrenage<br />

J'espère que Bohringer ne me tiendra pas rigueur de lui emprunter son titre,<br />

bien qu'en en cherchant un autre ce sont toujours ses mots qui me reviennent<br />

en tête.<br />

J'ai toujours apprécié les villes. Parfois trop vivantes, parfois pas assez, certaines<br />

se dévoilant facilement et d'autres beaucoup moins. Les relations que l'on<br />

y nouent avec d'autres gens finissent par s'entremêler avec les relations que l'on<br />

tisse avec les villes elles-même, et ces dernières finissent souvent par perdurer<br />

au-delà de ce qu'on a pu y vivre ou de ce que l'on y vit.<br />

Parmi les moments durant lesquels je préfère arpenter les rues il y a la nuit<br />

noire, entre loup et loup.<br />

Toute activité humaine est terminée. Que je sois parfaitement sobre ou passablement<br />

éméché, j'apprécie de voir les places et les avenues désertes, ne croisant<br />

que rarement d'autres silhouettes ou quelques véhicules fugitifs.<br />

C'est cette ambiance que j'ai voulu capter. 3h du matin. 4h du matin. On peut<br />

ressentir une certaine sérénité, ou au contraire une forme d’oppression devant<br />

cette inanité.<br />

On se réapproprie l'espace public parce que l'on y est seul.<br />

66


LES NOUVEAUX SAINTS DE L'APOCALYPSE<br />

Lised d'Eau douce<br />

<strong>#1</strong><br />

dans leurs yeux rampaient des poussières d'argent et le seigneur laissa<br />

tomber à leurs pieds son ramage trompant jusqu'aux morts dormant<br />

des bois, sortit l'âme, celle d'orgueil et celle de rage, pour se déposer d'un<br />

voile sur ceux qui osaient respirer encore<br />

si l'on cru un instant à revoir naître l'herbe on se trompa<br />

plus rien ne bouge<br />

73


#2<br />

celui qui oublie libère les autres des raisons d'exister<br />

il est le voleur de gibier et qui l'aide se perd, qui mange à sa table risquera<br />

la morsure<br />

au jour du dernier, sa bile nourrira les poissons par dessous les bateaux<br />

qui auraient pu le sauver


#3<br />

aux malades la main sera tendue<br />

aux cœurs lourds la main sera tendue<br />

aux reclus la main sera tendue<br />

aux otages la main sera tendue<br />

aux oubliés la main sera tendue<br />

aux moribonds la main sera tendue<br />

aux étrangers la main sera tendue<br />

aux maladroits la main sera tendue<br />

aux psychotiques la main sera tendue<br />

aux maniaques la main sera tendue<br />

aux insomniaques la main sera tendue<br />

aux cadavres ambulants la main sera tendue<br />

à ceux qu'il reste la main sera tendue


THE END OF THE FUCKING WORLD<br />

Charles Forsman<br />

L’employé du moi (original Fantagraphics)<br />

Il est difficile de parler de la <strong>Fin</strong> pour une bande-dessinée.<br />

Dans celle-ci, le déroulement du récit reste classique, en cinq<br />

temps : situation initiale, élément déclencheur, péripéties,<br />

dénouement, situation finale.<br />

Pas d’histoire qui reste sur<br />

une fin continue. Certaines<br />

commencent par le dénouement,<br />

mais le récit est au bout<br />

du compte bien raconté dans<br />

un ordre classique.<br />

Si j’ai choisi de vous parler<br />

de cet ouvrage c’est sans<br />

doute pour son titre The end<br />

of the fucking world. Au delà<br />

de ça il est vraiment question<br />

ici d'une fin, celle d’une adolescence incomprise et méprisée<br />

(sujet ô combien rabâché). Charles Forsman nous conte l'escapade,<br />

plus ou moins romanesque de James, garçon de 17 ans<br />

à huit doigts, et de Alyssa, jeune fille de 17 ans qui a bien ses<br />

dix doigts. Elle l’aime, lui l’aime peut-être. Blasés de leur vie<br />

déprimante, une longue fugue plein d’embûches les attend. Il<br />

faut dire qu'Alyssa ignore que James est un sociopathe dont<br />

les loisirs se résument à massacrer des animaux, de toutes<br />

tailles, pour le plaisir. Ses pulsions meurtrières, avec l’âge sont<br />

de moins en moins contrôlées. Et sa nature profonde va leur<br />

attirer un tas d'ennuis.<br />

Le découpage et la composition de l’auteur joue sur l'esthétique<br />

autant que sur l'écriture.<br />

C’est net, précis, léger. <strong>La</strong> sensibilité<br />

est transmise au lecteur<br />

empathique par le biais des<br />

points de vue des deux protagonistes,<br />

qui s'alternent d’un<br />

chapitre à un autre, permettant<br />

au lecteur d’apprécier la pluralité<br />

des versions. Les dialogues<br />

et les décors sont complètement<br />

effacés, évitant tout remplissage<br />

inutile, rendant la lecture fluide.<br />

Le graphisme épuré joue sur<br />

une naïveté brutale, la tension devient intense, la violence se<br />

montre simplifiée et s’immisce progressivement dans le cœur<br />

du récit.<br />

Théo Lecoq<br />

ONLY LOVERS LEFT ALIVE<br />

Jim Jarmusch<br />

Quand on bataille dernièrement autour d'une image du vampire<br />

qui pue le sexe, incarnation du désir total, Jim Jarmusch<br />

s'occupe de leur qualité d'éternels. Il se paie même l'audace de<br />

prendre pour sujets Adam et Eve, amants culturels immémoriaux,<br />

pour faire la chronique étouffante de créatures dépourvues<br />

de fin.<br />

Deux faces d'une même pièce.<br />

Eve blachâtre et légère, erre dans les rues de Tanger, respire<br />

la nuit, prend le temps d'exister et de prendre la température<br />

des époques qu'elle traverse avec une douceur qui lui est toute<br />

caractéristique.<br />

Adam, tête enfouie dans un spleen d'artiste maudit, reclus<br />

dans sa baraque, entouré de ses instruments, se dégoûte de la<br />

modernité et de ces zombies d'humains qui viennent frapper à<br />

sa porte dans un costume de complet noir.<br />

On assiste à un temps qui se déroule au passé où le souvenir<br />

prend toute la place. <strong>La</strong> mort, absente du décor semble pourtant<br />

s'infiltrer partout, empoisonner avec une lenteur frustrante<br />

chacun de leurs mouvements. Seul le passage fracassant<br />

d'Ava, sœur d'Eve sonne le réveil qui les sort de leur torpeur.<br />

78<br />

Ouragan de jeunesse et d'énergie, Ava vient déranger le temps<br />

ralenti de leurs vies avec insolence, arrive, repart, et marque un<br />

point de non retour pour les protagonistes.<br />

Les deux amants se voient contraint à changer d'air, sans<br />

pourtant que l'épuisante immortalité ne lâche leurs semelles.<br />

Lised d'Eau douce


DIABOLOGUM - #3<br />

Choisir un album pour parler de la fin n'est pas chose aisée,<br />

et après mure réflexion, je profite de la réédition vinyle de cet<br />

album culte (chez Ici d'ailleurs) pour parler d'un groupe français<br />

injustement méconnu.<br />

Diabologum, de quoi parle t-on ? D'un groupe toulousain des<br />

années 90 ayant produits deux albums très dispensables avant<br />

de sortir leur grand œuvre, le sobrement nommé #3. Maturité<br />

faisant, le trio passe radicalement d'un style pop-rock sous<br />

influencé par Indochine à un opus beaucoup plus novateur,<br />

mêlant guitares saturées et spoken word. Alors que la majorité<br />

des pré-adolescents parisiens se masturbent en écoutant Fauve,<br />

il ne fait aucun doute que #3 est une influence majeure de<br />

l'auto-proclamé collectif.<br />

Je putasse, mais où est la fin dans tout ça me reprochera t-on,<br />

à raison.<br />

On peut à la fois la trouver à travers les mélodies ou les<br />

textes, qu'il s'agisse de De la neige en été ou de À découvrir<br />

absolument, l'album entier transpire d'un sentiment d'urgence<br />

maitrisée et de prophéties post-apocalyptiques. Et au delà des<br />

détails techniques, #3 signe aussi la fin du groupe. Bataille<br />

d'égo entre les deux chanteurs du groupe, Diabologum se divisera<br />

en deux entités, Expérience menée par Michel Cloup, qui<br />

officie maintenant en solo (enfin en duo), et Programme sous<br />

la houlette d'Arnaud Michniak, chacun de ses groupes continuant<br />

de poser la question des finalités de notre société.<br />

Thibault Engrenage<br />

THE LEFTOVERS - HBO, 2014<br />

Damon Lindelof et Tom Perrotta<br />

En un instant, bref et critique, l'équivalent de 2% de la population<br />

mondiale s'évanouit à l'unisson. 1 personne pour<br />

50 autres disparaît instantanément, laissant derrière eux une<br />

humanité en état de choc. Les mois passent et au bout de trois<br />

ans nul ne connaît la cause de ce ravissement.<br />

<strong>La</strong> civilisation telle que nous<br />

la connaissons touche à sa<br />

fin. Un événement d'une telle<br />

ampleur qui reste sans réponse<br />

doit rendre fou. Comment ne<br />

pas y penser tous les jours ?<br />

Comment faire pour continuer<br />

? Certains essaient d'oublier,<br />

d'avancer. C'est ce que les<br />

gens veulent n'est-ce pas ? Surmonter<br />

la douleur, reprendre<br />

le rythme oublier, d'autres ne<br />

préfèrent pas. Eux veulent se souvenir, que tout le monde se<br />

souvienne. Vous connaissez ce genre d'ambiance, la sensation<br />

qu'une roulette russe se passe devant vous et que la détonation<br />

peut survenir à n'importe quel moment.<br />

79<br />

Il s'agit de la fin du sens. On ne peut croire au contrôle de son<br />

destin dès lors qu'un phénomène inexpliqué ôte soudainement<br />

de la surface de la terre autant de corps. Le quotidien se pare<br />

alors d'étrange, de merveilleux, de bizarre. Les comportements<br />

ne peuvent être que différents, les gens ne peuvent être tout à<br />

fait les mêmes.<br />

Le monde de la science, comme celui de la religion, se trouve<br />

désemparé. Il n'y a aucune réponse appropriée à donner. Les<br />

hommes sont alors laissés à eux mêmes, souffrant de ne pouvoir<br />

faire le deuil de ce qu'ils<br />

ne comprennent pas, balayant<br />

toutes hypothèses excentriques,<br />

se limitant à mimer leur vie<br />

d'avant-14-octobre. Rester réaliste,<br />

rationnel, pragmatique.<br />

Garder une structure mentale<br />

stable quand le monde entier<br />

s'écroule. Garder un environnement<br />

équilibré, s'accrocher à<br />

des repères, aux fantômes de ce<br />

qui nous faisait vivre « normalement<br />

». Jusqu'aux limites du<br />

soutenable.<br />

<strong>La</strong> fin du sens peut être le début de la folie.<br />

Psylvia


STAFF<br />

Rédacteurs en Chef<br />

Lised d'Eau douce - Thibault Engrenage<br />

Graphiste<br />

Théo Lecoq<br />

Couverture<br />

<strong>La</strong> Fille Renne<br />

Equipe<br />

Cahuate Milk, Rémy Chabrolle, Léa Curtis,<br />

Hel Ley, <strong>La</strong>urent Log Soula, Psylvia,<br />

Gaël Palpacuer, <strong>La</strong> Fille Renne, Svet<br />

Invité<br />

Ortie<br />

NOTRE PROCHAIN THEME<br />

L'intime<br />

Envoyez vos participations avant le 5 février à contactezlazare@gmail.com<br />

Notre Manifeste : http://lazaremag.blogspot.fr/p/notre-manifeste.html<br />

Lettre ouverte : http://lazaremag.blogspot.fr/2014/09/lettre-ouverte_29.html


3<br />

1 2<br />

45<br />

6 7 8<br />

souffler<br />

10 11

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