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frissons et sursauts,<br />
de la peau au souffle<br />
quand la bête guette<br />
c'est l'humain qui fuit.<br />
à trois, je t'attrape.<br />
LE NUMERO DE LA PEUR
JUIN 2015 - # 04
S'HABILLER DE SA PEUR<br />
Léa Curtis<br />
J'ai toujours été hypocondriaque et, dans un sens plus large, thanatophobe. Il<br />
n'y a pas trois heure où je n'ai pas peur d'avoir une crise cardiaque et où je ne<br />
vérifie pas mon pouls, si mon cou peut bien se plier – parce que si c'est pas le<br />
cas, j'ai peut-être une méningite -, si j'ai pas de boules dans les jambes – ça pourrait<br />
être une thrombose – et la liste ne s'arrête malheureusement pas là. A force<br />
d'avoir peur que ton corps te trahisse toutes les trois secondes, des douleurs se<br />
forment, comme ça. C'est complètement somatique et ça met le bordel dans ton<br />
quotidien, évidemment. Si la peur n'était pas mesquine se ne serait pas drôle...<br />
Pour me convaincre de l'absurdité des mes angoisses, j'ai décidé de tenir un journal<br />
du corps pendant une semaine, et sur un schéma d'entourer les zones qui me<br />
faisaient souffrir à cause de cette hypocondrie. Chaque couleur correspond à un<br />
jour. J'ai ensuite placé toutes ces couleurs sur mon corps, comme pour peindre<br />
une fresque de la peur sur ma peau et essayer de me convaincre que tout ça n'est<br />
que dans ma tête.<br />
Depuis, j'ai conscience d'être beaucoup trop anxieuse mais rien n'y fait, la peur<br />
reste là et les fantômes d'AVC courent toujours le long de mon épiderme. Peutêtre<br />
qu'un jour mon cerveau arrivera à les chasser mais en attendant, je suis un<br />
bel arc-en-ciel de frayeurs corporelles.<br />
6
Illustration : Sarah <strong>La</strong>zarus<br />
HOMO FRIGHTENUS<br />
de Lised d'Eau Douce<br />
Je ne vais pas mentir, l'idée m'est venue sous la douche. Entre le coup de rasoir sur mes aisselles<br />
et le rinçage abondant de ma tignasse, j'en suis venue à me demander si ne pas être hétérosexuel<br />
impliquait d'avoir une relation à la peur différente. Je me suis enroulée dans une serviette et j'ai fait<br />
le compte intérieur de toutes les anecdotes de mes potes qui étaient arrivées jusqu'à mes oreilles, des<br />
'ah putain quand même' autour d'une bière et des quelques fois où moi-même j'ai réalisé que les soirs<br />
où j'avais choisis d'aller me frotter à une fille, j'étais tout de même moins tranquille.<br />
Alors j'ai posé des questions, je suis allée fouiller dans ce que j'avais de connaissances non-hétérosexuelles<br />
pour savoir ce que voulait dire la peur quand on était pas du côté traditionnel du spectre.<br />
Merci à Rémy, <strong>La</strong>urie, Marie, Quentin, Marine, Benji et Emma<br />
qui se sont donnés le mal de répondre.<br />
Est-ce que tu as (eu) peur de toi-même, de tes envies (à<br />
l'époque où tu as réalisé que ton orientation sexuelle n'était<br />
pas « traditionnelle ») ?<br />
Emma : J'ai eu la ch +ance (ou ce que j'estime être de la<br />
chance) d'avoir une sœur aînée qui a fait mon propre comingout.<br />
Cette phrase doit être relativement compliquée à comprendre.<br />
En définitive, j'avais 13 ans, aucun "modèle homosexuel",<br />
j'avais mes premiers sentiments pour une fille sans<br />
savoir que ça en était, et à force de parler d'elle, ma sœur a tout<br />
simplement dit "tu sais, je crois que tu es amoureuse d'elle. tu<br />
peux le dire, ça change rien !". Après ça, j'ai pleuré beaucoup.<br />
Quentin : Ouais, ayant grandit dans le catéchisme et tout le<br />
tralalala qui va avec, j'avais un peu peur de la main de Dieu.<br />
Disons que je me suis tapé des crises d'angoisses en priant<br />
pour ne plus aimer les gars.<br />
Rémy : Je devais être en quatrième, quand j'ai réalisé que<br />
j'étais homosexuel. A l'époque, je ne connaissais aucun homo,<br />
et le seul modèle que je connaissais était celui dont on m'avait<br />
parlé et que j'avais vu. Aussi, j'ai passé des mois à me dire que<br />
j'étais malade.<br />
Benji : Je ne pensais pas à mon attirance envers les hommes<br />
avant l'âge de 15 ans, avant ça je sortais avec des filles sans<br />
vraiment aller plus loin qu'un baiser, je trouvais ça gênant de<br />
me déshabiller devant une fille et aller plus loin ne semblais<br />
vraiment pas nécessaire. C'est d'ailleurs avec les garçons que<br />
j'avais le moins de mal, on s'amusait si j'ose dire à regarder des<br />
films et à se comparer, il n'y avait aucune raison de se poser de<br />
questions c'était juste "un truc de mec/entre potes".<br />
C'est en colo de vacances que j'ai su que je préferais les garçons<br />
car j'ai passé un stade où ça allait plus loin que regarder.<br />
Lorsque j'ai eu une aventure cachée avec un autre qui savait<br />
très bien ce qu'il faisait, je me suis vraiment senti pas bien. je<br />
trouvais pas ça normal et j'ai regretté tellement ce que j'avais<br />
fait. Là où j'ai eu le plus peur c'est que quelqu'un soit au courant,<br />
c'était comme si j'avais fait une énorme bêtise et le reflexe<br />
pour moi était donc de nier en bloc mes attirances envers moi<br />
et les autres. J'ai regretté un temps ce que j'avais fait avant de<br />
réessayer, ce n'était plus de moi que j'avais peur ensuite, mais<br />
je savais qu'il ne fallait pas en parler. Quand tu es ado, le mot<br />
"gros PD" est récurrent alors histoire de ne pas avoir la face<br />
boursouflée c'était pour moi un secret à garder. En ayant eu<br />
d'autres expériences, c'était de plus en plus simple d'accepter le<br />
fait que je préférais les hommes.<br />
Emma : J'ai eu l'impression que j'avais quelque chose de visible<br />
pour les autres, que j'étais différente. Je crois pas avoir eu<br />
peur de mes sentiments, je crois plutôt que je me dégoûtais un<br />
peu, au début. Mais, avantage : j'ai eu, tout de suite, une proche<br />
présente à qui en parler et rapidement relativiser. Donc, finalement,<br />
j'ai plutôt vite assumer ma sexualité.<br />
Rémy : J'étais vraiment persuadé d'avoir quelque chose d'horrible,<br />
d'être quelque chose d'horrible. Je ne sais pas si on peut<br />
appeler ça de la peur de soi-même. Mais j'avais peur de mes<br />
envies, oui. J'avais peur de le dire à mes parents, à mes proches.<br />
Chaque fois que j'abordais le sujet avec ma mère, je ressentais<br />
une honte profonde, à l'idée qu'elle apprenne ma sexualité.<br />
<strong>La</strong>urie : Pour ce qui est de l'homosexualité, très honnêtement,<br />
je dirais : non, pas une seconde. Je crois bien qu'à<br />
l'époque (j'avais dans les 14 ans) j'étais en pleine recherche/<br />
construction de personnalité et je cherchais constamment à<br />
être originale, ce qui se traduisait par un look improbable<br />
(vêtements rose fluo, jeans tâchés de peinture tout sauf classe,<br />
collants supposés être funs…), une adhésion sans faille au<br />
théâtre, un superbe surnom ("lollo la follo")… Et un slogan :<br />
"Let me be happy" (ROCK'N'ROLL !!!). Dans ce contexte être<br />
attirée par les filles était un truc cool, sérieux et profond (je me<br />
suis vraiment demandé : est-ce que tu es lesbienne ou tu veux<br />
juste une personnalité ? Et face à mon dégoût pour les bibites<br />
et mon attirance pour les seins…), mais cool. J'étais fière de<br />
ma différence (peut-être un peu trop, eh, bon, c'est l'âge, on a<br />
besoin de reconnaissance…).<br />
Marie : Non, j'ai pris ça comme une belle ouverture et c'était<br />
même plutôt rassurant de me découvrir ainsi.<br />
<strong>La</strong>urie : Par contre au moment où je me suis rendu compte<br />
que je pouvais être attirée par un mec… C'est bien simple au<br />
10
HOMO FRIGHTENUS<br />
de Lised d'Eau Douce<br />
début je pensais que c'était impossible. Et puis avec l'affection<br />
c'est sûr que t'en viens au tactile naturellement, et au début le<br />
moindre contact autre que "les mains" bloquait, c'était hors<br />
de question, dégoûtant, beurk un mec, désolée je t'aime bien<br />
mais pour moi c'est IMPOSSIBLE. Les sentiments grandissent,<br />
le désir avec, et là c'est : le corps emprisonné. Je savais plus<br />
quoi en faire, de ce corps, de ces envies qui défiaient toutes les<br />
impossibilités. Petit à petit j'ai décidé, si et lorsque j'en avais<br />
vraiment envie, d'affronter ces peurs… Et j'aime autant dire<br />
que découvrir ce corps aimé mais redouté pour son genre,<br />
c'était encore plus flippant que… genre… une TRÈS GROSSE<br />
VRAIMENT DÉGUEU araignée DANS SON PROPRE LIT<br />
TOUT PROCHE.<br />
Marine : Je ne crois pas avoir eut peur de moi ou de mes envies,<br />
au début. <strong>La</strong> première fois que je suis tombée amoureuse<br />
d'une fille, j'avais 14 ans. A l’époque je ne sortais qu’avec des<br />
mecs donc c’est vrai que ça m’a quand même un peu perturbée<br />
! Mais l'excitation et l'euphorie ne laissait pas de place pour<br />
l'inquiétude. J'ai toujours été avide d'expériences nouvelles en<br />
fait, donc pour moi entamer une relation homosexuelle était<br />
d'abord source d'enthousiasme insouciant. <strong>La</strong> peur est venue<br />
après. Petit à petit je me suis mise à avoir peur de "moi", oui.<br />
<strong>Peur</strong> de ne plus connaître ce "moi". <strong>Peur</strong> de ne plus correspondre<br />
à l’image que je pensais avoir de "moi" jusque là. Que<br />
les gens avaient de moi. <strong>Peur</strong> de ne plus savoir qui voir quand<br />
je regardais dans une glace. Une hétéro qui aime une fille? Une<br />
lesbienne qui couche avec des mecs? A l'âge où la question de<br />
l'identité se posait déjà de manière très douloureuse, pour<br />
ma part je vivais un véritable effondrement<br />
identitaire. J'avais peur des questions que<br />
je me posais, peur du manque de réponse,<br />
peur de ne pas comprendre et aussi peur<br />
de me tromper.<br />
<strong>La</strong>urie : Maintenant que "je connais<br />
les deux", j'ai bien peur d'un truc<br />
(parce que je me vois pas, actuellement,<br />
poly ou bref, multi-partenaires)<br />
: que l'un des deux sexes (je<br />
dis bien sexe et pas genre, je parle<br />
strictement physiquement et sexuellement)<br />
me manque toujours quand<br />
je suis avec l'autre. Ça va être la merde.<br />
Et honnêtement ça ça me faisait peur<br />
déjà avant, quand des doutes pointaient<br />
le bout de leur nez. L'idée qu'une fois<br />
qu'on connait les deux, les deux risquent<br />
d'être très bien, et pourtant dès lors, il va<br />
falloir se passer de l'un ou de l'autre.<br />
Est-ce que tu as eu peur de te montrer<br />
aux autres, faire le fameux « comingout<br />
» ?<br />
Rémy : On parle DU fameux coming-out.<br />
Mais il y en a des dizaines<br />
et des dizaines. C'est pas écrit sur<br />
ton front, que t'es homo. Dès que je rencontre quelqu'un, et<br />
que j'ai omis de lui mentionner ma sexualité, je commence à<br />
avoir peur de la lui révéler a posteriori. Comme si j'avais caché<br />
une part de moi un peu honteuse, et que cette part est forcément<br />
quelque chose de difficile à accepter. Comme si, énoncer<br />
sa sexualité était quelque chose d'extrêmement important,<br />
d'essentiel. Comme si la première chose à faire pour savoir si<br />
je peux être ami avec quelqu'un, c'est d'analyser sa réaction<br />
à mon orientation sexuelle. C'est énervant. Mais pourtant,<br />
c'est une question récurrente, dès que je rencontre quelqu'un.<br />
C'est surtout fatiguant. J'avais d'ailleurs l'impression que c'était<br />
plus fatiguant qu'effrayant. Mais récemment, je me suis rendu<br />
compte que j'avais toujours peur de déclarer que j'étais homosexuel.<br />
Quand j'ai commencé mon job, j'hésitais. Fallait-il que<br />
je cache cette part de moi ou non ? Je me suis même dit que<br />
je me ferais peut-être renvoyer pour ça, de façon indirecte...<br />
On voudrait ne pas se résumer à son orientation sexuelle, que<br />
ce soit quelque chose de banal, comme pour les hétéros. Mais<br />
c'est impossible, même en France, en 2015, même avec le Mariage<br />
pour tous, on doit toujours se positionner par rapport à<br />
notre homosexualité, juste "au cas où" on se ferait rejeté.<br />
<strong>La</strong>urie : Pour l'homosexualité : à mes potes, non, j'étais super<br />
fière, sérieusement, en tout cas c'est ce que je vois de mon<br />
regard actuel. Je me suis "découverte" pas mal entre la 3ème et<br />
la 2nde, du coup mon "coming-out" venait avec ma présentation<br />
à mes tout nouveaux camarades (je connaissais personne<br />
dans mon lycée). Je me souviens que ma meilleure amie : "Oh<br />
nooon ! Tu peux pas faire ça !" et ce n'était pas de l'homophobie,<br />
c'était plutôt… je sais pas… je me suis dit qu'elle avait<br />
peut-être l'impression de perdre une copine de discussion sur<br />
les MECS. Du coup elle quelque part j'étais super contente<br />
quand je lui ai annoncé que je sortais avec mon copain actuel<br />
et que ça y est, on allait pouvoir parler PECS ET BITES. YES.<br />
Quentin : Oui. Mais c'était pas une peur rationnelle. J'avais<br />
l'impression de stresser car c'était catalogué comme "stressant".<br />
Puis probablement car c'est mon caractère de faire des montagnes<br />
d'un rien. En revanche le dire à ma famille est une autre<br />
affaire.<br />
<strong>La</strong>urie : Auprès de ma famille ça a été un peu plus délicat,<br />
mais au final j'ai la famille la plus ouverte d u<br />
monde, et je leur en suis infiniment reconnaissante.<br />
C'est ma mère elle-même qui<br />
m'a demandé, un beau jour, de "de quel<br />
côté j'étais", par timidité j'ai dit "un peu<br />
des deux…" en pensant bien fort "complètement<br />
gay" et elle m'a répondu<br />
11
épondu qu'elle le savait depuis que j'étais petite (ahlala les<br />
mamans, trop fortes). Mon frère, c'était super drôle, lui il est<br />
moins un milieu "créatif/culturel" que ma soeur et moi par<br />
exemple, il a fait des études pro (je dis ça sans aucun dénigrement),<br />
il était encore tout jeune quand il m'a vue débarquer<br />
avec une copine… et haut comme 4 pommes avec une voix<br />
de minus-tout-mignon il est venu me dire un jour "Je t'ai vue<br />
l'autre jour embrasser D. Moi tu sais tu peux embrasser qui<br />
tu veux, je m'en fous hein, des filles ou des garçons…" Pour<br />
ma famille moins proche (mes tantes, oncles, ma marraine…)<br />
ça va être horrible mais vrai : le fait que je sortais à peine<br />
d'une sale dépression quand je leur ai annoncé m'a valu (en<br />
partie, je crois, en tout cas ça a marché) : "oh nous tu sais,du<br />
moment que tu es heureuse et que tu restes en vie"… YES. Et<br />
à ces moments-là j'avais bien quelques hésitations mais pas de<br />
grosses peurs,je crois pas.<br />
Marie : Même si mes parents sont les plus chouettes du<br />
monde, je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir peur de leur réaction.<br />
Comme si l'on devait tous passer par là, douter, peu importe<br />
la famille que l'on a. Je craignais de les décevoir, qu'ils<br />
perçoivent cela comme un handicap futur dans ma vie ou<br />
quelque chose de ce genre. Finalement ils l'ont très bien pris,<br />
comme il fallait s'en douter.<br />
Emma : Quelques mois après que j'ai pu moi-même réaliser<br />
que j'étais homosexuelle, j'ai décidé de le dire à une de mes<br />
amies. Une nouvelle dans le petit groupe de collégien ça se<br />
répend très, très, très rapidement. Il y avait alors trois écoles :<br />
ceux qui m'en parlaient, mais pour me dire que ça ne changeait<br />
rien, ceux qui continuaient de faire semblant de ne pas savoir,<br />
et ceux pour qui j'étais devenue l'homo de service et la cible.<br />
A cause de ces derniers, j'ai revu mes pensées positives à la<br />
baisse, et je me suis refusée à en parler à ma famille, alors que<br />
je comptais le faire "dans la foulée". C'est devenu un poids, et<br />
là, j'ai eu peur, vraiment très très peur. Une bande de collégiens<br />
stupides qui te tournent le dos parce qu'ils te jugent différente,<br />
on s'en remet. Une famille qui te tourne le dos, je ne crois pas.<br />
Alors je me suis tu, j'ai demandé à ma sœur de faire de même.<br />
Je suis même sortie avec un garçon à ce moment, pour tromper<br />
les gens. J'ai vite arrêté, mais ça montre sûrement à quel point<br />
je voulais plus qu'on sache que j'aimais les filles. J'ai mis deux<br />
ans pour le dire à ma mère. Elle a réagi de la plus jolie façon<br />
qu'il soit, en me disant que mes frères et sœurs n'avaient pas<br />
eu à lui donner leur orientation sexuelle, et que je n'avais pas à<br />
le faire non plus, qu'elle se fichait de qui j'aimais tant que j'étais<br />
heureuse, et que, elle le savait déjà, parce que c'est ma maman,<br />
et qu'une maman sait.<br />
<strong>La</strong>urie : En revanche je l'ai encore jamais dit à ma mamie…<br />
Pour moi, les "vieux" sont d'une autre génération et ça me<br />
semble tout à fait normal qu'ils aient du mal à accepter des<br />
nouvelles moeurs, des trucs contraires à ce qu'on leur a dit<br />
toute leur vie : l'homosexualité, Internet,… Du coup je me<br />
foule pas trop… J'ai eu l'occasion mais honnêtement j'ai quand<br />
même un peu peur de sa réaction, j'ai aucune idée de son ouverture<br />
d'esprit là-dessus. Je l'aime beaucoup et je serais trop<br />
dégoûtée de me fâcher avec elle "dans les derniers moments<br />
de sa vie" (que j'espère au plus longue…). J'ai conscience que<br />
ce sont des arguments lâches et je culpabilise parfois de ça…<br />
Bon et le dernier environnement, celui qui selon moi pose un<br />
peu plus problème (dans le cas où on a la chance d'avoir une<br />
famille comme la mienne, et Dieu sait que c'est pas le cas de<br />
tous/toutes) : le travail. C'est clair que dans tous les stages/<br />
boulots que j'ai pu faire ben… c'est pas toujours quelque chose<br />
de facile à assumer. J'ai toujours l'impression (qu'une amie partage)<br />
que si, quand on me demande ce que je fais ce weekend,<br />
je dis "je vais au ciné avec ma copine" au lieu "je vais au ciné<br />
avec mon copain", de suite, on dirait davantage que j'étale ma<br />
vie, mon intimité… parce que "une copine", c'est carrément<br />
un aveu SEXUEL, tu vois, "un copain", c'est casual, et pareil<br />
si on me demande si j'en ai "comme ça", si je dis "non, mais<br />
une copine", ça a tout de suite l'air plus…intime, ça dévoile,…<br />
peut-être parce qu'on aborde le souci de la SEXUALITÉ, de<br />
l'homoSEXUALITÉ… c'est juste un espèce de truc inconscient<br />
mais c'est vraiment le sentiment que ça donne, de se dévoiler<br />
davantage et d'introduire éventuellement "trop" d'intimité dans<br />
un rapport professionnel.<br />
Marine : Ma plus grande peur à cette époque, c'étaient les<br />
autres. Quand je dis les autres, j'entends d'abord mes "camarades"<br />
de cour de récré. Ma copine et moi ne voulions pas<br />
que ça se sache, on angoissait carrément à l'idée que l'on<br />
pouvait nous surprendre. Les ados à cet âge ne sont pas très<br />
tendres avec tous ceux qui s'éloignent de la très approuvée et<br />
convoitée "NORMALITE". Quand ça s'est su, par fuites, par<br />
bouche-à-oreilles, on se moquait de nous, on se faisait insulter,<br />
on se prenait des remarques désobligeantes dans les couloirs<br />
du collège, dans le bus scolaire... Etc. C'était récurrent, et à la<br />
fin éprouvant. <strong>La</strong> peur s’ancre un peu aux tripes après ça ; je<br />
n'osais même pas parler librement de mes tendances sexuelles<br />
aux gens que je rencontrais, même à mes proches. Leur jugement,<br />
leur rejet, leur potentiel mépris me terrorisait. J'ai mis<br />
du temps à vaincre cette peur.<br />
Emma : Au lycée, j'étais interne, et sans aucune tête connue<br />
de mon ancien établissement. Je suis repartie de zéro, et n'ai<br />
jamais caché ma sexualité. Je répondais (avec un peu de gêne<br />
au début, mais sans aucune hésitation) que j'aimais les filles<br />
quand on me demandait si j'avais un copain. Et j'ai fini par le<br />
dire au reste de ma famille. J'ai rapidement parlé des filles qui<br />
me plaisaient, je ne me suis plus jamais cachée, et tout a été<br />
plutôt naturel pour mon entourage proche (même si il y a eu<br />
et aura probablement toujours des gens pour "rassurer" mes<br />
parents en leur disant que je suis jeune et que ça me passera...<br />
Mais ces gens là sont vite coupés par mes parents outrés par<br />
le discours !).<br />
<strong>La</strong>urie : Pour ce qui est du soudain pic d' "hétérosexualité",<br />
ou appelle ça comme tu veux moi je veux même pas l'appeler,<br />
là j'ai davantage flippé, plutôt à l'intérieur qu'en surface. Ça<br />
m'a fait rire d'étonner, de surprendre, ça me fait toujours rire<br />
de provoquer les mentalités. Mais dans le fond, c'était bien la<br />
première fois de ma vie que je me sentais "contre-nature"…<br />
12
HOMO FRIGHTENUS<br />
de Lised d'Eau Douce<br />
contre ma nature, ou celle que je pensais être… J'avais l'impression<br />
de "trahir" cette communauté lesbienne dont j'ai pourtant<br />
assez souvent cherché à me distinguer. J'avais l'impression de<br />
faire marche arrière, et même pire, de me plier aux débilités<br />
proférées par les homophobes : ça y est,je rentrais dans le droit<br />
chemin ! Je redevenais normale !<br />
Est-ce que tu as peur d'une forme d'invisibilité sociale ?<br />
Marie : Non. C'est même plutôt ce à quoi j'aspire secrètement,<br />
pouvoir embrasser celle que j'aime ou lui tenir la main<br />
sans avoir peur de m'attirer des ennuis. Mais cela ne se fera que<br />
lorsque nos amours seront parfaitement égalitaires et intégrées<br />
dans notre société.<br />
Rémy : Je crois bizarrement que j'ai plus peur de la visibilité<br />
sociale. C'est difficile. Parce qu'on aurait envie d'être accepté,<br />
de ne plus avoir à se poser de question sur le rejet que peut<br />
causer notre orientation sexuelle. Pour ça, il faudrait en fait<br />
que l'homosexualité soit aussi invisible que l'hétérosexualité.<br />
Ce que je veux dire, en somme, c'est qu'on ne parle pas de<br />
"boite hétéro" mais de "boite homo", par exemple.<br />
Benji : <strong>La</strong> représentation des homosexuels dans leur propre<br />
communauté ainsi que celle montré dans les médias télévisés<br />
est souvent faite de clichés très exagérés où les hommes ont<br />
des manières de princesses et où les femmes ont des manières<br />
de routiers. On peut dire quelque part qu'on est catalogués<br />
alors qu'on trouvera plus de personnes lambda qui passent<br />
inaperçues. L'homosexualité est bien visible sur ce genre de<br />
support culturel, là-dessus je ne ressens pas d'invisibilité, mais<br />
c'est souvent d'une manière assez déplaisante, le plus ennuyeux<br />
c'est que c'est avec ce genre d'images que Mr et Madame Toutlemonde<br />
se font leur opinion. c'est cette partie que je crains.<br />
Les sentiments sont quant à eux trop peu évoqués.<br />
<strong>La</strong>urie : Je déteste (vraiment, beaucoup) les "lieux de communauté<br />
gay" (les bars, les clubs, les Gay Pride aussi…) parce<br />
que j'aime pas avoir l'impression d'être un bout de viande.<br />
Mais ce n'est que mon avis et c'est exactement la même chose<br />
en boite hétéro ou dans un bar ou la rue où tu te fais accoster<br />
par douze gros relous parce que t'as une paire de miche (eux,<br />
ouais, ils me font bien flipper). J'aimerais mieux que ces lieux<br />
disparaissent… pour qu'ils se fondent tous ensemble. Qu'il n'y<br />
ai plus de distinction, plus de "gay" à spécifier et supposer que<br />
le reste c'est "hétéro", j'aimerais bien qu'on arrête de croire qu'il<br />
y a "10%" de la population qui est gay alors que c'est juste qu'il<br />
y en 10% qui s'assument, et puis globalement 40% (histoire<br />
de faire 50/50 même si Dame Nature n'est pas si parfaite) qui<br />
n'ont pas et n'auront peut-être jamais idée qu'ils ont la liberté<br />
d'être homosexuel et qu'ils le sont peut-être. Comme si on<br />
disait "10% de la population aiment les rousquilles" alors que<br />
c'est même pas les 100% qui savent ce que c'est, des rousquilles,<br />
comment tu veux qu'ils sachent que c'est putain de bon.<br />
Rémy : Dans l'idéal, j'aimerais que l'orientation sexuelle ne<br />
soit même pas quelque chose qui ait à être visible, à noter.<br />
Quand je parle d'un ami à moi à un autre ami qui ne le connaît<br />
pas, j'ai tendance à donner son orientation sexuelle si il/elle est<br />
homo, alors que je ne le ferai pas avec quelqu'un d'hétéro. C'est<br />
ça qui me fait peur. Si on peut appeler ça de la visibilité sociale,<br />
alors j'ai peur de cela, et non pas de l'invisibilité.<br />
Emma : Bien que j'assume absolument ma sexualité et que<br />
je ne m'en cache jamais, j'ai parfois peur de nous présenter<br />
en tant que couple, parce que, c'est un fait, pour beaucoup,<br />
nous n'existons pas ou ne devrions pas exister. On se prend<br />
souvent des claques... Par exemple, quand mon amoureuse a<br />
été hospitalisée et que je me suis présentée aux urgences pour<br />
pouvoir être près d'elle, on m'a demandé qui j'étais pour elle,<br />
j'ai répondu que j'étais sa compagne simplement, j'ai été dévisagée<br />
par la dame qui était censée prévenir les médecins de<br />
mon arrivée. Elle m'a envoyé en salle d'attente sans une once<br />
d'amabilité (qu'elle avait pourtant à mon arrivée, avant que je<br />
me présente). J'ai attendu près de 3heures avec une amie qui<br />
m'a accompagnée. Au bout de ce temps interminable, j'ai décidé<br />
de me représenter à l'accueil, en tenant le même discours.<br />
<strong>La</strong> dame qui avait pris le relais, elle, n'a montré aucun signe<br />
de dégoût, et dans les minutes qui suivaient, j'étais auprès de<br />
celle que j'aimais. J'ai donc vite compris que pour celle qui<br />
m'avait reçu quelques heures auparavant, je n'étais personne et<br />
n'était absolument pas légitime d'être au chevet de ma chérie,<br />
puisqu'elle n'avait pas même pris la peine d'informer les médecins<br />
de mon arrivée. Malgré ce genre d'épisodes détestables, je<br />
commence à avoir l'espoir d'une reconnaissance, parce que la<br />
France avance... Même si elle le fait avec de minuscules pas de<br />
bébés de nouveaux nés. Ce qui reste le plus effrayant, c'est sans<br />
doute la question de l'homoparentalité... Je veux un enfant, je<br />
veux le porter, mais je veux que ma compagne soit reconnue<br />
par tous aussi mère que je le serai quand ça arrivera. Et ça, c'est<br />
loin d'être gagné.<br />
<strong>La</strong>urie : En fait j'ai complètement l'impression qu'on est<br />
quand même pas ultra visibles, du coup j'ai pas peur que<br />
ça change, j'espère que ça peut que s'améliorer. Je veux dire<br />
à chaque nouveau Disney qui sort j'espère tout le long que<br />
Princessounette est lesbish. Le jour où on en sera là, si c'est<br />
malgré tout encore censuré et hurlé de partout, oui, j'aurais<br />
peur. En terme de "vision sociale" petit à petit j'ai réalisé que<br />
sortir avec un mec c'était d'un seul coup coller à tous les<br />
clichés,tous les films, toutes les pubs, pas mal tout ce qui nous<br />
entoure. Ça m'a fait vraiment drôle, et à vrai dire, c'était un<br />
soulagement. Dans les rues de Marseille je n'avais plus à avoir<br />
peur de lui tenir la main ou de l'embrasser, et même, je ne<br />
prenais pas de remarque sur mes cheveux rose fushia, parce<br />
qu'il était à côté de moi… Et ce soulagement c'est un plaisir<br />
coupable...<br />
Est-ce que tu as peur de l'intégrisme catho qui motive des<br />
actions comme celles de la manif pour tous ? Est-ce qu'il<br />
t'arrive d'avoir peur pour tes droits ?<br />
Marine : Je n'ai pas peur de l'intégrisme catho, non, ni des<br />
discours de Christine Boutin, ni des slogans qu’on peut lire<br />
dans les cortèges de la Manif Pour Tous, et ce qui va avec. Je<br />
n’ai pas peur pour mes droits. On participe actuellement à une<br />
amélioration progressive des droits des homosexuels (dans les<br />
13
pays occidentaux du moins…). Des textes de Loi ont été votés,<br />
les avancées sont notables malgré les courants extrémistes,<br />
donc leurs actions ne me font pas peur, car elles n’entraveront<br />
jamais entièrement l’évolution inévitable des choses. J’ai peur<br />
néanmoins de la violence que ces courants génèrent. Plus il<br />
y a des avancées sur les droits homosexuels, plus on observe<br />
une montée extrême de l’opposition, une radicalisation de la<br />
pensée vis-à-vis des homos, qui s’accompagne parfois d’actes<br />
de violence. J’ai peur que cette violence se généralise petit à<br />
petit, et qu’on ait à faire face à des actes ou des propos de plus<br />
en plus extrêmes et nombreux.<br />
<strong>La</strong>urie : Oui, oui et oui. Au début c'est rigolo, on se dit : c'est<br />
bon, ils sont 12 à tout péter, ils sont fous, dans leur délire religieux,<br />
on est dans un État laïc. Et puis les groupes grandissent,<br />
les gens manifestent dans la rue, tu vois ça à la télé, partout…<br />
Toute cette haine, envers "toi", moi je la prenais dans la figure<br />
parfois, même un instant, ça choque, ça semble tellement incompréhensible,<br />
parce qu'un imbécile dans la rue ça va, mais<br />
une armée d'imbéciles,ben… ils ont l'air plus crédibles, malheureusement.<br />
Et ceux à qui on avait jamais demandé leur avis<br />
et qui se le posait pas nécessairement se positionnent : pour ou<br />
contre les homos. À ce jeu là la Manif pour tous en a pris beaucoup…Sérieusement,<br />
même les enfants, et le plus flippant, c'est<br />
que l’État semble les prendre au sérieux puisqu'ils rallient leur<br />
cause, qui je rappelle a des fondements ENTIEREMENT RE-<br />
LIGIEUX, dans un état LAÏC, ils rallient ça à la POLITIQUE.<br />
À nos droits. Et ça marche. Ils veulent même toucher aux trucs<br />
scolaires, avec leur connerie de « théorie » du genre (ou comment<br />
dire "homophobie basique" en courtois).<br />
Rémy : Je crois que, comme un peu tout le monde aujourd'hui,<br />
j'ai peur de toutes les sortes d'intégrismes qui se placent sous<br />
le signe de la religion pour retirer des droits à certaines personnes.<br />
J'ai parfois peur pour mes droits, mais un peu comme<br />
tout le monde. Je ne pense pas qu'il soit possible d'annuler le<br />
mariage pour tous, par exemple. Je ne crois pas à l'arrivée au<br />
pouvoir de groupes d'extrême droite qui remettrait en cause<br />
mes droits ou m'enfermeraient dans des camps. Je crois que,<br />
de toute façon, si ce genre de chose arrivait, si on osait toucher<br />
à mes droits. Je ferais péter des ponts, je me révolterai.<br />
J'aurai peur, mais pas que pour moi, j'aurai peur pour tous les<br />
citoyens de mon pays.<br />
<strong>La</strong>urie : J'ai un couple de copines qui sont encore assez<br />
jeunes mais qui se demandent si elles vont pas se presser le cul<br />
pour se marier et peut-être adopter, avant 2017… Au cas où…<br />
Et moi-même j'ai tendance à me dire, sans faire de plans sur la<br />
comète ni rien, mais juste dans l'idée et par peur que l'Histoire<br />
ne se répète : "si le FN passe en 2017, je quitte la France". Et<br />
ça c'est peu importe si d'ici là je sors avec une meuf, un mec<br />
ou personne.<br />
Benji : Très clairement oui, je n'ai vraiment pas saisi la motivation<br />
de la manif pour tous et je ne comprenais pas pourquoi<br />
autant de gens défilaient pour des droits donnés à des personnes<br />
qui n'en ont pas sans enlever le moindre droit à d'autres<br />
personnes. Personne n'allait en souffrir et j'ai eu peur surtout<br />
de la montée des actes homophobes qui ont suivi les défilés.<br />
Que ce soit dans leur slogan, leurs paroles et leurs actes j'ai<br />
eu peur de voir une banalisation de l'homophobie sous couvert<br />
d'une religion alors que moi-même je n'étais pas concerné<br />
par cette religion, n'étant pas baptisé. J'ai aussi eu peur pendant<br />
cet épisode, qu'on en profite pour enlever des droits déjà<br />
acquis et que l'idée que l'homosexualité est une abomination<br />
soit courante et mieux accepté par la majorité des gens que le<br />
contraire.<br />
Marie : Ce n'est pas tant de la peur qu'une tristesse profonde<br />
que je ressens vis à vis de ces gens fermés d'esprit. Je suis plutôt<br />
optimiste alors je me dis qu'ils sont finalement peu nombreux<br />
et qu'ils sont sans doute un poil refoulés aussi.<br />
Est-ce qu'on finit par avoir peur des hétéros, d'une forme<br />
de rejet de leur part ? Est-ce qu'on a peur de la violence ?<br />
Emma : J'ai jamais eu peur des hétéros, et heureusement. Ce<br />
serait faire une généralité d'une minorité d'hétérosexuels qui<br />
considèrent les homos comme anormaux etc. C'est de ceux qui<br />
nous déconsidèrent dont on doit avoir peur, hors, pour tous<br />
les hétéros de mon entourage, je suis aussi humaine qu'eux<br />
et je n'ai jamais été rejetée par des gens dont je me rapprochais<br />
pour x raison. Maintenant, ceux qui font peur (et qui ne<br />
sont pas déterminés par leur sexualité), ce sont ceux qui nous<br />
insultent dans la rue, ceux qui nous montrent du doigt, qui<br />
font preuve de violence physique. Eux, ils font peur. Mais ils ne<br />
sont pas la majorité hétérosexuelle de la population. Ce qui les<br />
définit comme effrayants, c'est loin d'être leur sexualité, mais<br />
juste leur intolérance et leur ouverture d'esprit inexistante. Et<br />
leur violence, oui, elle fait peur. J'ai tendance à toujours guetter<br />
le danger.<br />
Benji : Lorsque j'avoue mes attirances a un/une ami(e) hétéro,<br />
il y a toujours un moment de doute où j'imagine un rejet<br />
quelconque. on ne peut jamais être sur de sa réaction si on est<br />
le seul de son entourage a s'être lancé. C'est surtout si la personne<br />
est du même sexe, j'ai eu peur qu'ils s'imaginent que je<br />
puisse avoir des attirances pour eux alors que c'était clair pour<br />
moi que c'était des hétéros et que jamais je ne les obligerais a<br />
quoi que ce soit surtout en tant qu'ami. Pour certains ça s'est<br />
bien passé, pour d'autres c'était un rejet brutal et une dénonciation<br />
publique sans poser de questions. Quand j'ai reçu des<br />
appels anonymes par le passé et des menaces de mort, là je me<br />
suis mis a avoir peur de parler de mon orientation sexuelle<br />
avec des hétéros et je me suis posé la question si je devais un<br />
jour le redire a quelqu'un surtout pour s'exposer à une suite<br />
d’événements comme ceux-ci. Il est plus facile de trouver<br />
quelqu'un pour rejeter ça violemment plutôt qu'une personne<br />
qui l'accepte. Elle même pourrait ne pas en parler de peur qu'il<br />
arrive une bricole.<br />
Emma : Quand on a déjà été victime de la violence de personnes<br />
intolérantes (et peut-être même quand c'est pas le cas)<br />
on a tendance à toujours imaginer le pire dès qu'on a un regard<br />
de travers dans le métro ou dans la rue.<br />
<strong>La</strong>urie : Quand j'étais ado à Perpignan ou Toulouse je lut-<br />
14
HOMO FRIGHTENUS<br />
de Lised d'Eau Douce<br />
tais toujours pour ne pas céder face aux homophobes, en ne<br />
lâchant pas la main de ma copine ou ne m'empêchant pas de<br />
l'embrasser si ça nous tentait, dans la rue, dans les lieux publics.<br />
Ça m'a valu des petits problèmes, on m'a jeté des conneries<br />
dans le bus, des insultes, on a failli me frapper un coup…<br />
Mais ça allait. Après ça je suis arrivée à Marseille et j'ai quand<br />
même moins fait la fière. Ma copine avait peur, et moi j'en<br />
avais marre des remarques, des risques, alors c'est facile de<br />
lâcher l'affaire, de ne plus lutter, de courber le dos… Pour moi<br />
c'était pas une peur très grande mais suffisamment existante<br />
pour que je puisse avoir la flemme de me battre contre. <strong>La</strong> peur<br />
des hétéros, par contre, non, la peur des cons, oui.<br />
Marie : Pas vraiment, non. Mais malgré tout, le rejet se fait<br />
parfois de lui même. Par des petits comportements blessants<br />
comme des réactions étranges, des expressions pourries ("tapettes",<br />
"fais pas ton pédé" etc.), des regards insistants.<br />
Rémy : Je pense qu'en tant qu'homosexuel, j'aurais toujours<br />
un peu peur à l'idée de draguer un mec qui est hétéro, sans<br />
connaître son orientation sexuelle. J'ai toujours peur d'un jour,<br />
draguer un hétéro qui veuille me péter la gueule parce qu'il<br />
s'est fait dragué par un pédé. C'est effrayant, le rejet des hétéros.<br />
Mais j'y ai peu été sujet. Je me suis pris quelques droites<br />
gratuites dans la rue à deux reprises, mais je ne peux pas savoir<br />
si c'est pour mon orientation sexuelle, ou juste parce que je<br />
suis passé au mauvais endroit au mauvais moment. J'ai surtout<br />
peur, je pense, à l'inverse, d'une forme d'amour de l'homosexualité.<br />
Dans le sens où, aujourd'hui, ça arrive souvent qu'une<br />
bonne amie à toi te décrive comme "son meilleur ami GAY",<br />
et non pas simplement comme "son meilleur ami". Comme<br />
si on t'aimait encore plus parce que t'étais homo. Comme si,<br />
si tu avais l'audace de coucher avec une fille, un jour dans ta<br />
vie, alors là, tu perdrais énormément de saveur en tant que<br />
personne. Je pense que c'est en parti à cause de comportement<br />
comme ceux là, que certains finissent par penser que l'orientation<br />
sexuelle est une mode.<br />
Marine : Pour ma part, je n’ai pas plus peur d’un hétéro que<br />
d'un homo. Je n’ai pas peur non plus de leur rejet, je trouve<br />
qu’actuellement les gays sont de plus en plus visibles et acceptés<br />
dans les milieux hétéros, créant ainsi des endroits carrément<br />
mixtes. Je pense que de nos jours l’homosexualité fait<br />
partie du paysage quotidien, que la majorité des gens s’habituent<br />
petit à petit et donc ne sont plus dans une démarche de<br />
rejet. Après je sais qu’il est plus facile d’avoir ce point de vue<br />
vivant à Montpellier, qui est une ville très gayfriendly, et que<br />
partout le rejet ne se ressent pas de la même manière.<br />
<strong>La</strong>urie : On va pas mettre tout le monde dans la même caisse<br />
quand on réclame de la tolérance.<br />
Est-ce que tu crois que la peur est un élément plus important<br />
de ton quotidien parce que tu n'est pas hétérosexuel(le) ?<br />
<strong>La</strong>urie : Non. <strong>La</strong> lutte pour trouver un endroit,une ville, une<br />
bande d'amis,… où je me sens plus à l'aise, moins sujette à des<br />
remarques ou potentielles agressions, ça c'est une vraie quête<br />
par contre. C'est presque plus de la lassitude des débiles que de<br />
la peur, je crois bien.<br />
Quentin : Non.<br />
Marie : Oui. Nous sommes une minorité parfois mal acceptées.<br />
Alors on intègre tous plus ou moins des automatismes.<br />
Par exemple, mon ex petite amie me lâchait souvent la main<br />
dans Paris ou refusait de m'embrasser quand on passait dans<br />
tel ou tel quartier, parce qu'elle avait peur qu'on se fasse agresser.<br />
Je trouve ces automatismes particulièrement déprimants.<br />
C'est la peur qui s'intègre en nous, sans même que l'on s'en<br />
rende vraiment compte.<br />
Benji : Oui, lorsque je parle de mes gouts musicaux ou de<br />
mes artistes préférés à des personnes ayant des idées toutes<br />
faites de l'homosexualité, je fais attention à ce que je dis pour<br />
ne rien devoir justifier ou éviter toute attaque gratuite; En famille<br />
pendant les Repas de noël je fais attention à ne pas avoir<br />
de réactions face à des blagues orientées sur l'homosexualité.<br />
En entretien d'embauche également je fais attention de ne pas<br />
faire de gestes efféminés pour ne pas attirer le moindre soupçon<br />
et garder encore une fois un regard neutre. Lorsque je<br />
rentre seul la nuit j'ai également peur d'attirer le regard d'une<br />
personne malveillante, Je me suis même inventé une vie d'hétéro<br />
pendant une année d'études pour être sur d'etre tranquille.<br />
C'est d'ailleurs une année qui s'est passé sans aucun souci et où<br />
je n'ai pas eu la moindre inquietude ni le moindre souci.<br />
Emma : Définitivement, oui. Les couples hétérosexuels n'ont<br />
jamais à appréhender les regards de travers, ils marchent main<br />
dans la main dans la rue sans imaginer qu'ils pourraient leur<br />
arriver quelque chose. Nous, il nous ait déjà arrivé à plusieurs<br />
reprises de nous faire insulter/suivre juste parce qu'on s'embrassait<br />
pour se dire bonjour en se retrouvant dans la rue, ou<br />
parce qu'on se tenait par la main. Si, quand je rencontre des<br />
gens et tissent des liens, ma sexualité n'est plus du tout un tabou,<br />
dans la rue, elle l'est parfois, parce qu'elle peut déchaîner<br />
certaines personnes. Alors, même si on se refuse de se cacher,<br />
même si on se lâche pas la main quand on nous regarde mal,<br />
on a quand même une sacré boule dans le ventre à l'idée de<br />
savoir si ça va dégénérer ou non, et comment ça dégénérera si<br />
c'est le cas.<br />
Rémy : Je crois qu'il suffit de lire les réponses<br />
à toutes les autres questions pour<br />
réaliser que oui. <strong>La</strong> peur est un élément plus<br />
important de mon quotidien parce que je ne<br />
suis pas hétérosexuel. Mais la peur est sans<br />
doute un élément plus important du quotidien<br />
des femmes, des<br />
musulmans, des noirs,<br />
des transexuels, des<br />
handicapés, ou de toute<br />
personne qui n'entre pas<br />
dans la catégorie idéale<br />
de l'homme blanc en bonne<br />
santé, athée et hétéro.<br />
15
J’ai la caboche trouée<br />
tout s’enfui et<br />
ça siffle de tous les côtés;<br />
une vraie passoire j’te dis.<br />
<strong>La</strong> nuit c’est le pire<br />
parce que dans le noir<br />
je distingue plus rien<br />
et faut toujours que j’guette.<br />
Mes souvenirs fuyards.<br />
Y’a plein d’trucs qui s’prennent<br />
dans mes filets;<br />
sans distinction et parfois<br />
c’est même pas à moi tu vois.<br />
Ça m’embrouille<br />
ça m’chatouille<br />
et je sais plus !
Et puis la nuit ça recommence.<br />
Fugueurs<br />
Vagabonds<br />
Usurpateurs<br />
se glissent dans ma caboche<br />
comme on s’glisse dans un moulin.<br />
Et moi comme une conne<br />
je les entretiens.<br />
Et quand ma caboche sera totalement fêlée<br />
et quand elle laissera tout passer<br />
j’pourrai plus m’cacher sous ma couette<br />
ça sera trop tard<br />
j’aurais plus peur.<br />
J’aurais tout oublié.
Svet
ARAIGNÉE AU PLAFOND<br />
de Marion Rozé<br />
Des bulles remontent à la surface.<br />
J'ai le temps de réfléchir.<br />
Tout mon temps devant moi.<br />
Alors émail ou porcelaine ? ...<br />
Tiens, il y a des taches au plafond.<br />
Je n'avais jamais remarqué.<br />
Ah, et une araignée qui tisse sa toile dans un coin. <strong>La</strong> laisser ou la tuer ?<br />
Des bulles remontent à la surfa<br />
Depuis combien de temps je suis là ?<br />
L'eau n'est plus très chaude maintenant.<br />
Le son est altéré.<br />
J'ai l'impression d'être sourde à l'extérieur mais d'avoir une oreille sur développée sur l'intérieur.<br />
Une goutte tombe.<br />
D'où vient elle ?<br />
Des bulles remontent à la sur<br />
Et toi d'où viens tu ?<br />
Toi qui .... Toi.<br />
Maintenant. Maintenant que tu es parti. Envolé comme dirait certain...<br />
Où es tu ?<br />
Des bulles remontent à<br />
Tu sais, mon souffle se fait de plus en plus court.<br />
Autre goutte vient de tomber.Vient du plafond.<br />
<strong>La</strong> maison va s'écrouler ?<br />
Peut-être.<br />
Des bulles ... surface<br />
Et moi, je ... ? Moi – je.<br />
Non, toi, putain, toi, tu m'as laissé.<br />
Tu, je. Abandonnée. Fous l'camp putain. Sale...<br />
Des bulles<br />
Comment te dire que. Je. Araignée.<br />
Et. Toi. Con. Putain d'merde. T'aime.<br />
Des<br />
Gouttes. Plafond creux.<br />
-Un corps s'enfonce dans les profondeurs abyssales de mon bain-<br />
...<br />
Plus de bulles à la surface.<br />
20
SANS TITRE<br />
de Rémy Chabrolle<br />
Les ongles, et la peau des doigts.<br />
Se ronger, être rongé.<br />
De tout et de rien, de marcher,<br />
sobre dans les coins sombres.<br />
Les manches en cachent d'autres plus pointues.<br />
Tues les ! Rongé, tu l'es.<br />
Un invisible,<br />
peau blanchâtre où se reflète l'incertitude.<br />
Assis sur une chaise de bois dur, avoir chaud<br />
et sentir son cœur battre plus fort<br />
trop fort.<br />
Guet de la maladie, sournois.<br />
Dans le sang et la chair, rongée.<br />
Les couvertures chaudes, un frisson froid.<br />
Quelqu'un surveille, là-bas, tout bas.<br />
Feindre de dormir, se cacher par delà.<br />
Bientôt.<br />
Griffures duveteuses d'un coton d'écharde.<br />
Rejet sans répit du soupir.<br />
Halètements, tremblements.<br />
Une corde et un tabouret.<br />
Endommagés.<br />
Recherche de l'équilibre. Nuit. Course nocturne.<br />
Rues évidées, rues désertes.<br />
Il fait bon de courir comme si la mort. Il fait bon de courir le rien,<br />
de sentir le sang bouillant courir de là.<br />
L’essoufflement. Le tremblement. <strong>La</strong> faiblesse. <strong>La</strong> course.<br />
Un pas sur la gauche, un sur la droite, poursuite meurtrière.<br />
Même si le déni.<br />
21
PEUR EN 25 FPS<br />
Thibault Engrenage<br />
S'il existe un certain cinéma spécialisé dans la recherche de la procuration de la<br />
peur ou d'un certain malaise, il est amusant de constater que c'est finalement rarement<br />
ce genre de films dont les images vont ressurgir dans notre esprit quand<br />
l'obscurité nous surprend et que nos poils se hérissent.<br />
On a tous quelque chose que l'on a vu qui nous est restés au fond de la tête, que<br />
l'on fut enfant ou plus âgé, qu'il s'agisse d'un film ou d'images animées.<br />
J'ai ici cherché à vous présenter un échantillon de ces réminiscences horrifiques<br />
de nos imaginaires.<br />
1- Agathe, <strong>La</strong> vita è bella<br />
2- Théo, Kirikou et la Sorcière<br />
3- Manon, Alabama Monroe<br />
4- Coline, Titanic<br />
5- Autoportrait, Courage, the Cowardly Dog<br />
22
HANTISE<br />
de Marion Rozé<br />
Maison ouverte et calme.<br />
Elle respire au rythme des pas.<br />
Ciel bleu, odeur océan et de pins.<br />
Et le temps qui passe.<br />
Et l'odeur de lavande et de vieilles dentelles.<br />
Et la cire sur les meubles massifs et les rideaux jaunis.<br />
<strong>La</strong> vie file.<br />
Un an.<br />
Deux ans.<br />
Cinq ans.<br />
Cinquante ans.<br />
Une fenêtre brisée.<br />
Claquante dans le vent.<br />
Battante contre le mur.<br />
Le verre taillade le rideau jauni.<br />
Le rideau abîmé vient caresser un corps.<br />
<strong>La</strong> peau et le tissu.<br />
Respiration saccadée.<br />
Pas accélérés.<br />
Et alors au bruit succède le silence.<br />
Le bruit est suspendu ailleurs,<br />
dans un autre espace- temps,<br />
lointain, quasi – inexistant.<br />
Le rideau s'égrène, se désagrège.<br />
Et le vent l’entraîne au dehors,<br />
puis au dedans.<br />
Caresse hors du temps.<br />
Caresse érotique.<br />
Caresse mortuaire.<br />
Des cris et des rires.<br />
Des vagues de sentiments.<br />
Des allers-retours de bonheur.<br />
Maison ouverte et calme.<br />
Silencieuse.<br />
Des hectares de silence.<br />
Le corps étendu contre le vieux parquet -<br />
Le vieux parquet grinçant.<br />
Le corps statique et osseux.<br />
<strong>La</strong> peau jaunie et flétrie.<br />
Le souffle du vent sur les mèches de cheveux.<br />
Les ongles sur le parquet.<br />
Les yeux grands ouverts sur le plafond.<br />
Le plafond vide et blanc.<br />
Trace de lutte. - Griffure sur le bois. - Horreur sur le visage. - Couteau dans le corps.<br />
27
PHOBOPHOBIE<br />
Théo Lecoq<br />
L'émotion ressenti par la présence d'un danger, l'appréhension de ce danger est<br />
définie par le mot " phobie ". <strong>Peur</strong>, en latin.<br />
Normalement on ne peut pas être mis en danger par le regard d'un canard, par<br />
la couleur jaune, du moins pas physiquement. Et pourtant certaines personnes<br />
en sont convaincues, au point d'en devenir malade, tétanisées, l'instinct prend le<br />
dessus, toute cohérence et bon sens disparaissent. On prend la fuite.<br />
Ici j'ai illustré, selon moi, ce qui me paraissait le plus absurde et inoffensif au<br />
possible, dans ce que nous pouvons appeler "la peur". Je ne cherche pas à vraiment<br />
comprendre ce type de phobies ni à me moquer des personnes qui en sont<br />
atteintes. Je ne suis pas un psychanalyste ni un caricaturiste, je suis seulement<br />
une personne qui a ses propres peur.<br />
Ithyphallophobie : peur de voir des pénise en érection - Alektorophobie : peur du poulet -<br />
Anatidaephobie : peur d'être regarder par un ou plusieur canard - Papétolétophobie : peur du papier toilette -<br />
Xanthophobie : peur de la couleur jaune<br />
28
STAFF<br />
Rédacteurs en Chef<br />
Lised d'Eau douce - Thibault Engrenage<br />
Graphiste<br />
Théo Lecoq<br />
Couverture<br />
<strong>La</strong> Fille Renne<br />
Equipe<br />
Cahuate Milk, Rémy Chabrolle, Léa Curtis,<br />
Jane dans la Jungle, <strong>La</strong>etitia <strong>La</strong>dame,<br />
Sarah <strong>La</strong>zarus, Hel Ley, <strong>La</strong>urent Log Soula,<br />
Psylvia, Gaël Palpacuer, <strong>La</strong> Fille Renne,<br />
Svet<br />
Invité<br />
Marion Rozé<br />
NOTRE PROCHAIN THEME<br />
L'obscène<br />
Envoyez vos participations avant le 5 août à contactezlazare@gmail.com<br />
Notre Manifeste : http://lazaremag.blogspot.fr/p/notre-manifeste.html<br />
Lettre ouverte : http://lazaremag.blogspot.fr/2014/09/lettre-ouverte_29.html
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3<br />
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