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Fr-08-05-2013 - Algérie news quotidien national d'information

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Les lettres du mont Koukou<br />

Plus pauvres mais plus cultivés<br />

Par Nadir Bacha<br />

Un ami me raconte qu’un collègue à lui<br />

est venu dernièrement, le taper pour<br />

finir de payer les cours de soutien au<br />

profit de sa fille qui passe le bac le<br />

mois prochain. Et alors ? C’est une entreprise de<br />

tape honorable, beaucoup plus noble que pour<br />

le souci de fabriquer un dîner, de compléter la<br />

somme nécessaire pour la dernière version du<br />

plasma ou de tomber sous l’urgence d’un cadeau<br />

de mariage. Mais il ne m’a pas dit si son collègue<br />

savait que lui aussi, il en a à casquer pour deux<br />

enfants sur le même examen cette année, dont<br />

l’un, un garçon fort prévoyant, au demeurant,<br />

déjà inscrit à Bab Ezzouar pour un truc de «<br />

techniques mathématiques », qu’il doit refaire<br />

pour une moyenne plus conséquente en vue<br />

d’une formation d’architecture.<br />

En vérité, mon ami veut m’associer à son<br />

angoisse car Saïd n’a pas l’habitude de mettre le<br />

souci de l’argent dans une causerie. Et de fil en<br />

aiguille, nous discutons, mais nous discutons de<br />

choses qui remontent le moral et apaisent les sels<br />

minéraux. Mais une fois séparés – je ne lui ai pas<br />

posé la question de savoir ce qu’il compte faire<br />

avec son ami du boulot parce que je sais qu’il lui<br />

a déjà remis la somme sollicitée – je ferme le<br />

portillon derrière lui et je vais directement sur<br />

mon micro. Je dois avoir défricher quelque part<br />

dans mes dossiers afin de revenir sur la question<br />

et la traîter vertement pour un article.<br />

Il fut un temps où nous vivions dans un pays<br />

qui semble une éternité dans la mémoire quand<br />

le jeune citoyen de tous les jours, qui savait sa<br />

famille sciemment emmurée contre les frappes<br />

du régime mais dont la porte s’ouvrait au voisin<br />

qui lui en plaisait d’y prendre son petit-déjeuner.<br />

Ou de rentrer sans l’avis de personne prendre<br />

le tourne-disque rangé dans un coin de la<br />

bibliothèque, le sien en panne, pour essayer le<br />

dernier 33-tours acheté. Le voisin faisait partie<br />

de la famille et la famille était l’essentiel dans les<br />

valeurs en <strong>Algérie</strong>.<br />

Nos repères étaient dans les romans que nous<br />

lisions, pour les uns dans le polar, James Hadley<br />

Chase, Carter Brown ou Georges Simenon, pour<br />

d’autres, le récit dans la littérature universelle,<br />

certains préférant d’abord, les plus célèbres classiques<br />

français, Balzac, Hugo, Flaubert, Zola,<br />

Dumas, père et fils. Beaucoup préféraient les traductions<br />

russes ou anglo-saxonnes, Tolstoï,<br />

Gogol, Dostoïevski, Kafka, Dickens, Hemingway, Borges –<br />

comme Latino-Américain, Marquez supplanta ce dernier<br />

dans la célébrité avec « Cent ans de solitude » mais surtout<br />

avec « L’Amour au temps du choléra ». Nous n’étions pas<br />

encore les suppôts de « hizb frança » mais les dirigeants<br />

sous Houari Boumediène ne savaient pas que s’ils avaient<br />

inscrit Kateb Yacine dans les programmes scolaires, nous<br />

l’aurions à coup sûr boycotté psychiquement car nous<br />

aurions supposé alors qu’il était des leurs – je n’ai pas<br />

manqué de le lui raconter beaucoup plus tard à Ben<br />

Aknoun et je me rappelle qu’il a failli étouffer de rire dans<br />

le goulot de sa bouteille de bière.<br />

Nos repères étaient aussi dans Jean Ferrat, Léo Ferré,<br />

Bob Dylan, Leonard Cohen, les Beatles et les Rolling<br />

Stones, à côté de Amar Ezzahi, El Hachemi Guerrouabi,<br />

Cheikh El Hasnaoui - où s’immisce avec bonheur le poète<br />

Aït Menguellet - El Ghafour, Bourahla, Bellemou, Rimiti,<br />

Bagar Hadda – on écoutait Enrico Macias uniquement en<br />

présence des filles. Beaucoup parmi nous, parlaient trois<br />

langues régulièrement pendant la journée, ce qui a fait<br />

dire à Joan Baez - tant pis si je risque que le lecteur me<br />

prenne pour un mythomane - qui venait voir son père –<br />

qui s’appelait Pedro si ça se trouve - travaillant et résidant<br />

à Boumerdès pour le compte de l’Inped : « Je n’ai jamais<br />

vu pareil prodige dans le monde où toute une population<br />

discute en trois langues différentes sur un même sujet. »<br />

Un ami allait lui dire quatre du fait que nous massacrions<br />

l’anglais autour d’elle en mourant dans son charme. Celui<br />

qui était en fac, avec celui des PTT ou de Sonelgaz ou le<br />

tenant du kiosque de son paternel, avec le jeune médecin,<br />

l’ingénieur, le permissionnaire du service militaire, le<br />

vacancier de l’exil français, eh bien, les discussions étaient<br />

d’« égal à égal » sans complexe par rapport au niveau<br />

d’instruction ; c’est comme s’il y avait un moule idéologique<br />

patent, ou comment dire, une espèce de connivence<br />

civilisationnelle inconsciente qui équilibrait la valeur des<br />

Ils ont regardé « Inception » de Christopher<br />

Nolan et ils se le racontent dans les jeux de mots<br />

en « cherat », chacun un casse-croûte « garantita<br />

» dans la main en prenant les autobus du<br />

gouvernement pour aller rejoindre les universités<br />

qu’on ne souhaiterait pas aux progénitures de ses<br />

tortionnaires.<br />

débats. Le niveau des études dans les relations amicales<br />

n’avait de signification que dans le cadre d’un peu plus de<br />

respect dû aux efforts consentis pour l’obtention du<br />

diplôme. Les <strong>Algérie</strong>ns, ayant de gros bagages universitaires,<br />

ne couraient pas les rues mais le commun de la classe<br />

moyenne, à part dans les variantes régionales des parlers,<br />

se reconnaissaient dans le plein épanouissement de la<br />

contenance intellectuelle de l’individu quel qu’eût pu être<br />

son niveau scolaire.<br />

C’est justement dans le sens de la culture que cette<br />

classe existait réellement dans les années soixante-dix ; on<br />

ne pouvait pas parler de riches ou de pauvres à cette époque<br />

; celui qui roulait en Mercedes ne pouvait être qu’une<br />

extraction issue des familles algériennes traditionnellement<br />

bourgeoises. On aimait être dans sa proximité parce<br />

qu’il irradiait l’honnêteté et la modestie.<br />

C’est ce mérite qu’on allait presque reconnaître à<br />

Houari Boumediène avant l’attaque nucléaire de l’arabisation<br />

larguée sur l’<strong>Algérie</strong> qui va, en moins d’une génération,<br />

la transformer de fond en comble. L’arabisation, ou<br />

pour être plus précis, la défrancisation, se met d’abord à<br />

installer ce qu’il y a de plus pernicieux dans le torpillage et<br />

l’amoindrissement psychologique. Si vous avez juste la<br />

moyenne ou qu’il vous manque une bricole, le ministère<br />

de l’Education va vous « rattraper » en vous affectant dans<br />

une classe arabisée. Histoire de vous punir de ne pas avoir<br />

été assidu dans l’année scolaire précédente, avec un quatorze<br />

de moyenne en français, sept en arabe, mais la<br />

preuve de votre tare, neuf et demi en science et juste dix en<br />

maths. Et avec ce sept dans votre « langue <strong>national</strong>e » vous<br />

devez aller subir la torture de Mohamed Cherif Kharoubi,<br />

au nom prédestiné, pour apprendre les sciences naturelles,<br />

la physique chimie et les mathématiques. Et puis, vous<br />

devez les subir avec tous les accents slaves et latino-américains<br />

piochés dans l’Union soviétique et ses satellites de<br />

l’Europe de l’Est, dans Cuba ou dans le Chili. Sur lesquels<br />

il a été prouvé des aberrations de niveau d’aptitude<br />

catastrophique à la mesure des psychotiques<br />

Egyptiens et Syriens venus enseigner la langue<br />

arabe, l’histoire géographie et la philosophie.<br />

Aussitôt, quelque chose qui s’apparente à<br />

l’horreur va prendre en charge le développement<br />

de l’encéphale <strong>national</strong>. La nature a fait de<br />

le partager en deux hémisphères destinés à permettre<br />

une évolution adéquate de l’homme dans<br />

son environnement. Mais l’arabisation de<br />

Mohamed Chérif Kharoubi va opérer une autre<br />

découpe pour différencier toutes les générations<br />

algériennes à venir du reste de la race humaine.<br />

Au point, à la veille des évènement du 5<br />

Octobre, où un ancien crac de maths et de physique<br />

est impuissant devant sa progéniture ayant<br />

des lacunes dans ces matières pour lesquelles il<br />

est forcé de payer des cours de soutien sur son<br />

maigre salaire. Où un éminent économiste qui a<br />

obtenu un doctorat à Paris Panthéon accepte de<br />

se ridiculiser à la télévision, pour essayer, le pauvre,<br />

d’expliquer des solutions sur le grave problème<br />

de l’endettement.<br />

Les « où » n’en finissant pas comme il faut<br />

l’espace qu’il faut pour un article, alors, sont-ils<br />

arrivés des grands commis de la République<br />

dans le type Benbouzid et aujourd’hui Baba-<br />

Ahmed tellement roués de sciences et de rationalité<br />

que leurs élèves moyens de la terminale ne<br />

s’en sortent dans l’ordinateur que principalement<br />

dans Facebook quand ils se racontent leurs<br />

blagues dans un langage que leurs propres<br />

enfants ne comprennent pas. Parce qu’ils étudient<br />

à l’étranger chez des êtres humains, dans<br />

les écoles pour espèce humaine normale. Une<br />

ménagère, rencontrée au sortir d’une réunion<br />

de parents d’élèves, il y a deux années, rétorqua<br />

à un monsieur qui défendait le génie<br />

Benbouzid : « Au moins qu’il influence de son<br />

pouvoir le gouvernement pour des augmentations<br />

sur les primes de scolarité pour que nous<br />

puissions nous en sortir avec les cours de soutien<br />

! »<br />

Les repères de nos enfants, aujourd’hui, qui<br />

ne lisent jamais parce que ça ne peut pas se faire<br />

car les programmes des langues jusqu’au baccalauréat,<br />

si on prend le temps de les examiner,<br />

sont basés paradoxalement sur un monde qui<br />

dégoûte de la lecture, n’ayant ancrage ni sur<br />

l’imaginaire, propice à l’évasion régénératrice,<br />

ni sur la réalité du vécu, capable d’inciter à la<br />

remise en cause de soi, sont quasi schizoïdes, faits de fractionnement<br />

sur des cultures diverses qui leur sautent dessus<br />

comme des tempêtes régulières. Par exemple, ils écoutent<br />

le rap dans des rythmes endiablés et mouvants dans<br />

toutes langues du monde qu’ils ne comprennent pas mais<br />

qui acceptent dans le froid glacial les parkings et les tables<br />

de Bouteflika pour ne pas s’organiser en gangs.<br />

Ils ont regardé « Inception » de Christopher Nolan et<br />

ils se le racontent dans les jeux de mots en « cherat », chacun<br />

un casse-croûte « garantita » dans la main en prenant<br />

les autobus du gouvernement pour aller rejoindre les universités<br />

qu’on ne souhaiterait pas aux progénitures de ses<br />

tortionnaires. Ils n’étudient pas comme nous le faisions à<br />

notre époque, attendant un moment de vacances pour<br />

essayer de sortir à l’étranger afin de juste tâter de quelques<br />

plaisirs vite fait et retourner au pays. Les repères de nos<br />

enfants sont justement de naître afin de les inciter à partir<br />

pour ne jamais revenir. Leurs repères sont des repères de<br />

raison de départ, de justifications de départ, d’occasion de<br />

départ. Rares sont ceux qui préparent leur exil ni ont-ils<br />

un pays de destination déterminée, qui se disent apprendre<br />

une langue parlée dans la contrée où ils désirent partir.<br />

Ils apprendront sur place dans le tas, dans les villes de<br />

l’Europe où la culture ne se décide pas dans de saugrenus<br />

conseils des ministres.<br />

Les repères de nos enfants sont monstrueux parce que<br />

le régime leur offre une culture pire que celle que l’on<br />

puisse considérer chez un mutant. Il leur propose un<br />

néant bâti sur des onomatopées, enrobé dans le factice de<br />

la juste teneur du gel qu’ils se foutent sur le crâne. Ce n’est<br />

pas qu’ils ne comprennent pas ce que nous leur disons, ils<br />

ne peuvent même pas nous écouter. Parce qu’ils ressentent<br />

fort que nous avons commis sur eux la pire des malédictions.<br />

Nous les chassons de la maison comme s’ils ne sont<br />

pas légitimes.<br />

N. B.

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