ou l'intégration de la musique contemporaine et des modes de jeu ...

Arche
ou l’intégration de la musique contemporaine et des modes de jeu dans
l’enseignement du saxophone
Mémoire réalisé pour l’obtention du Master en pédagogie musicale
Kevin Juillerat, saxophone
Directeur du mémoire : Pierre Stéphane Meugé
Années académiques 2009-2011
HEMU - Haute Ecole de Musique de Lausanne

Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Table des matières
Introduction – musique contemporaine et pédagogie ........................................................ 3
Répertoire didactique contemporain existant ...................................................................... 4
Niveau élémentaire : ............................................................................................................................................. 4
Niveau moyen : ........................................................................................................................................................ 4
Niveau secondaire : ................................................................................................................................................ 5
Niveau secondaire supérieur : .......................................................................................................................... 5
Niveau certificat : .................................................................................................................................................... 6
Le cycle Arche ..................................................................................................................................... 7
Les modes de jeu dans le développement instrumental de l’élève ........................................... 7
L’analyse comme outil pédagogique .................................................................................................... 8
Le cycle Arche en théorie – les pièces et de leur portée pédagogique ...................................... 9
I - D’un souffle jaillit le son… ............................................................................................................................. 10
II. - Miroitements ................................................................................................................................................... 11
III. - La cloche enfermée ...................................................................................................................................... 12
IV. - Et l’horizon frissonne .................................................................................................................................. 13
V. - Convulsions ....................................................................................................................................................... 14
VI. - Le cri gelé ........................................................................................................................................................ 15
VII. - …et d’un son, la voix - pour deux saxophones identiques .......................................................... 16
Le cycle Arche en pratique – notes sur la création ....................................................................... 17
Observations ........................................................................................................................................................... 17
Retours des élèves ................................................................................................................................................ 18
Bilan de l’expérience ........................................................................................................................................... 18
Conclusion ........................................................................................................................................ 19
Remerciements ......................................................................................................................................... 19
Annexes ........................................................................................................................................................ 20
Bibliographie ............................................................................................................................................. 20
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Introduction – musique contemporaine et pédagogie
La musique contemporaine est, comme son nom l’indique, une musique du présent. C’est donc le message
d’artistes d’aujourd’hui à des gens d’aujourd’hui, ce qui lui confère selon moi, une importance toute
particulière. Pourtant de nos jours et dans nos contrées, elle reste encore très mal connue et difficilement
acceptée et cela, autant du grand public que des musiciens de tout âge et des enseignants de la musique.
La souveraineté du système tonal ayant été écartée, de nombreux nouveaux langages compositionnels
sont apparus, puisant leur essence dans les axiomes mêmes de la musique tels que le geste instrumental,
les rapports entre les musiciens, la spatialisation du son ou le simple phénomène sonore. Par leur
caractère élémentaire et fondamental, ces matériaux font naître dans bien des cas une musique qui est à
mon avis bien plus facile à comprendre et à apprécier pour une oreille inexpérimentée que d’autres styles
savants plus anciens. Les enfants sont évidemment les premiers concernés par cette remarque.
L’exigence de cette musique au niveau du contrôle du son et de tous ses paramètres, n’est pas non plus à
négliger car elle peut considérablement développer l’oreille et la maîtrise technique des jeunes
instrumentistes.
Je suis donc convaincu que cette musique a une importante place à défendre sur la scène musicale mais
également, voire surtout, dans la pédagogie musicale et instrumentale. Et c’est précisément cela qui est le
principal objet du travail présenté ici, ou en d’autres termes, comment intégrer la musique contemporaine
à l’enseignement du saxophone à travers un répertoire écrit.
Un deuxième objet, directement lié au premier, est l’utilisation des modes de jeu comme outil
pédagogique. Le terme de mode de jeu est le plus souvent rattaché à la musique contemporaine et à la
tendance à utiliser les instruments de manière détournée que l’on y observe souvent. Un des modes de jeu
les plus répandus et qui a déjà été utilisé bien avant le XX ème siècle est le jeu col legno (en utilisant le bois
de l’archet sur les cordes) des instruments à cordes frottées. J’userai donc ici de ce terme pour désigner
toutes les manières peu usuelles de jouer du saxophone (autres que le son pur et soutenu du jeu
classique).
Mon intérêt compositionnel pour les richesses de timbre qu’offrent ces modes de jeu mis à part, je les
trouve très intéressants pédagogiquement pour plusieurs raisons : premièrement, le fait d’utiliser
l’instrument de diverses manières augmente sa connaissance et sa compréhension, mais aussi sa maîtrise
et l’habileté du musicien ; par ailleurs, la singularité, voire l’étrangeté, de certains de ces modes amène
également un côté ludique et stimule chez l’élève la curiosité et l’expérimentation. Finalement, ils
représentent tant de qualités propres à l’instrument qu’il est important de connaître et d’apprendre à
contrôler.
Souhaitant proposer ici des moyens concrets pour intégrer musique contemporaine et modes de jeu à la
pédagogie du saxophone, je présenterai dans un premier temps une liste de répertoire didactique
contemporain classé par niveau et dont je préciserai les particularités d’écriture.
Je présenterai également mon œuvre Arche, cycle de sept pièces pédagogiques et progressives pour
saxophone dans différentes formations instrumentales. Les enjeux didactiques de chaque pièce seront
expliqués. Je parlerai également du travail effectué avec de jeunes saxophonistes sur le cycle ayant abouti
à sa création publique.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Répertoire didactique contemporain existant
Le saxophone est un instrument récent puisque qu’il a été inventé au milieu du 19 ème siècle. Ce n’est que
depuis quelques décennies que les compositeurs commencent à s’y intéresser sérieusement. La plupart du
répertoire du saxophone dit classique est donc contemporain, pourtant beaucoup d’instrumentistes et
donc d’enseignants le boudent encore. Ainsi un répertoire pédagogique contemporain existe bel et bien
mais reste assez mal connu, les styles néo-classiques étant nettement plus en vogue.
J’ai pu recenser une quarantaine d’œuvres de style contemporain à portée pédagogique. Je présente ici
celles qui sont de mon point de vue les plus pertinentes. Elle sont classées en cinq niveaux reprenant la
dénomination de l’Association Vaudoise des Conservatoires et Écoles de Musique (AVCEM) : élémentaire
(environ 1 à 4 ans d’instrument), moyen (environ 4 à 6 ans d’instrument), secondaire (environ 6 à 8 ans
d’instrument), secondaire supérieur (environ 8 à 10 ans d’instrument) et certificat (environ 10 à 12 ans
d’instrument, fin des études non professionnelles). La référence de chaque pièce est suivie d’un bref
descriptif comprenant la formation instrumentale et les modes de jeu présents.
Niveau élémentaire :
Claude Georgel : Rivage pâle. Leduc
pour saxophone solo, modes de jeu : multiphoniques et bisbigliandi
Cette pièce est idéale pour une première approche du répertoire solo. Sa notation proportionnelle permet
de se concentrer sur le contrôle du son et des nuances ainsi que sur les gestes musicaux sans buter sur des
difficultés rythmiques.
Bruno Giner : Petit Choral. Inédit
pour deux saxophones identiques, modes de jeu : aucun
Ce choral atonal à deux voix est idéal pour aborder la musique de chambre dès la fin de la première année
d’instrument.
Bruno Giner : Puls. Inédit
pour saxophone et percussion, modes de jeu : multiphoniques
Cette pièce demande un travail sur la pulsation, le comptage et le chromatisme. La partie de percussions
est relativement simple est peut être autant jouée par le professeur que par un jeune élève
percussionniste.
Niveau moyen :
Régis Campo : Slight Air. Inédit
pour saxophone alto et clarinette, modes de jeu : souffle, bruits de clés
Ce court duo aux couleurs insolites et enjouées demande un travail exigeant sur le rythme et le timbre.
Dominique Clément : Tercet. Leduc
pour trois saxophones alto (ou identiques), modes de jeu : multiphoniques
Trois caractères (mobile, abrupt et fluide) alternent tout au long de ce trio presque schizophrénique et
demandent un riche travail sur les couleurs sonores, les articulations et l’homogénéité du phrasé.
Claude Georgel : Crise[n]. Leduc
pour saxophone alto et dispositif électroacoustique, modes de jeu : multiphoniques, quarts de ton
Cette pièce peut être une bonne première approche du travail avec électroacoustique, elle est facile
d’accès et amusante mais demande tout un travail de mise en place avec la bande.
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Pascale Jakubowski : Geb et Nout. Fuzeau
Pour saxophone alto et trois timbales, et violoncelle, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, bruits de
clés, growl
Ce recueil de deux duos, l’un pour saxophone et timbales et l’autre pour saxophone et violoncelle, est très
bien écrit pour chacun des trois instruments. C’est un bon prétexte pour faire un projet commun avec
d’autres classes d’instrument.
Jean-Claude Risset : Reprises. Leduc
Pour saxophone alto et dispositif électroacoustique, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, souffle,
flatterzunge, slaps
Cette très belle pièce mixte basée sur une des illusions acoustiques que le compositeur affectionne,
demande à l’exécutant un important travail de mise en place avec la bande.
Niveau secondaire :
Claude Barthélémy : Okawati’s. Leduc
pour saxophone alto ou soprano et dispositif électroacoustique, modes de jeu : multiphoniques, souffle,
bruits de clés, glissandi
Dans cette pièce ludique et exotique, des sections en écriture proportionnelle alternent avec d’autres très
rythmiques.
Marie Hélène Fournier : Quatre duos. Lemoine
pour saxophones alto, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, souffle, flatterzunge, quarts de ton
Ces quatre courts duos d’atmosphères très différentes sont d’une très belle facture qui demande un
exigeant travail de musique de chambre.
Ryo Noda : Improvisation I. Leduc
pour saxophone alto solo, modes de jeu : bisbigliandi, flatterzunge, glissandi, vibrato
Cette pièce bien connue du répertoire est très gestuelle et démonstrative, elle demande l’expression de
nombreux caractères différents.
Etienne Rolin : Aphorismes VII. Lemoine
pour saxophone solo, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, quarts de ton, glissandi, harmoniques,
subtone
Un autre classique du genre, ces miniatures sont chacune accompagnées d’un court texte portant sur leur
interprétation et leur portée pédagogique.
Nadir Vassena : 4 duetti per sax. Woodbrass Music
pour deux saxophones identiques, modes de jeu : bisbigliandi, quarts de ton, harmoniques
Ces quatre duos sont écrits avec une grande finesse et nous plongent dans un monde musical très
poétique. Un enregistrement des pièces les accompagne et peuvent ainsi aider leur compréhension et
guider leur interprétation.
Niveau secondaire supérieur :
Marie Hélène Fournier : Sétiocétime. Combre
pour saxophone alto solo, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, souffle, bruits de clés, flatterzunge,
quarts de ton, glissandi, subtone, vibrato
Cette pièce d’une graphie assez particulière, est très théâtrale et complète, elle demande à l’interprète de
changer constamment de tempo et de caractère.
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Luis Naón : Tejidos. Billaudot
pour 2 saxophones alto et 2 percussionnistes, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, souffle,
flatterzunge, quarts de ton, glissandi, subtone
Dans cette très belle pièce le compositeur argentin Luis Naón a su simplifier son écriture sans qu’elle en
perde son originalité, sa poésie et son exigence. On regrettera juste sa brièveté.
Jean-Claude Risset : Rumeur. Leduc
pour saxophone alto et dispositif électroacoustique, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, souffle,
bruits de clés, flatterzunge, quarts de ton
Cette pièce mixte très aboutie et complète demande à l’interprète tout une recherche de couleur et
d’atmosphère pour tantôt se fondre, tantôt dialoguer avec la bande.
Niveau certificat :
Dominique Clément : Entre-deux. Leduc
pour saxophone alto et piano, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, flatterzunge, quarts de ton
Dans cette pièce originale, des passages très rythmiques où le saxophone et le piano sont la plupart du
temps homorythmiques, alternent avec des passages plus horizontaux et abstraits.
Bernard De Vienne : Blog. Zurfluh
pour saxophone alto solo, modes de jeu : multiphoniques, bisbigliandi, souffle, flatterzunge, quarts de ton,
glissandi, harmoniques, voix
Cette pièce de concert est très complète et son écriture intégrant divers modes de jeu, est riche et
exigeante.
Philippe Boivin : Chalumeau. Salabert
pour saxophone soprano, modes de jeu : multiphoniques, flatterzunge, quarts de ton, glissandi, slaps, voix,
sons détimbrés
Cette jolie petite pièce en trois mouvements permet d’aborder les sons détimbrés et la respiration
continue par exemple.
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Le cycle Arche
Les modes de jeu dans le développement instrumental de l’élève
Les modes de jeu peuvent à mon avis être d’inestimables outils pédagogiques car, en plus d’offrir à l’élève
une maîtrise technique complète et polyvalente, ils stimulent sa motivation, sa curiosité et son écoute. J’ai
donc voulu les intégrer - à travers le projet Arche – à tout un cycle de pièces, qui, plus que de simples
études, seraient des œuvres concertantes exigeantes et abouties.
La première étape fut de choisir ceux que je voulais utiliser en dégageant leurs enjeux pédagogiques et en
les classant par difficulté d’exécution.
Voici les modes de jeu qui y sont utilisés. Ils sont agencés par difficulté croissante d’exécution et
accompagnés d’une brève description de leur fonctionnement et de leurs apports pédagogiques.
Souffle dans l’instrument (pièces I et IV) :
Le bruit de souffle dans l’instrument s’obtient simplement en soufflant l’embouchure relâchée. Aucune
note n’est émise, par contre le souffle se colore différemment suivant le doigté.
Cet effet n’a rien d’extraordinaire en lui-même et peut être effectué avant même de savoir jouer une seule
note. La transition du souffle au son et inversement est, quant à elle, bien plus intéressante. Son exécution
demande au musicien une oreille attentive et surtout un bon contrôle et une bonne compréhension de la
pression de l’embouchure, éléments indispensables à l’émission d’un son contrôlé.
Faux doigtés et quarts de ton (toutes les pièces) :
En ajoutant ou en soustrayant une ou plusieurs clés à un doigté conventionnel, on peut le soumettre à des
variations de timbre ou de hauteur microtonales.
En plus d’enrichir les possibilités sonores et mélodiques de l’instrument, ces faux doigtés peuvent être
utilisés pour colorer différemment ou corriger l’intonation de certaines notes. Ils permettent également de
mieux comprendre le fonctionnement de l’instrument, de ses différentes clés et de leurs influences.
Trilles et bisbigliandi (toutes les pièces sauf la III) :
L’alternance rapide de deux notes différentes (trille) peut aussi s’effectuer sur la même note mais avec des
doigtés différents. Cela devient uniquement un trille de timbre que l’on appelle communément
bisbigliando.
Outre les doigtés alternatifs ou de correction et la connaissance des différentes clés de l’instrument dont
j’ai déjà parlé, les trilles et les bisbigliandi entrainent également la vélocité de l’élève (à travailler dans un
souci de décontraction).
Bruits de clés (pièce IV) :
Ils s’obtiennent simplement en faisant entendre le bruit du mouvement des clés de l’instrument. Sans
souffler ni aspirer et en gardant l’embouchure bien hermétique, la hauteur des notes doigtées est
conservée.
Utilisé dans Arche comme extension du trille, ce mode de jeu n’apporte rien de plus si ce n’est qu’il
demande un bon contrôle du débit d’air et une oreille attentive.
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Multiphoniques (pièces II, IV, VI et VII) :
Certains doigtés provoquent une ambiguïté acoustique à l’intérieur du tube du saxophone et permettent
de jouer plusieurs hauteurs simultanément.
L’émission des multiphoniques demande un contrôle de la flexibilité de l’embouchure et du larynx qui
sont utilisés d’une façon un peu inhabituelle.
Sons voilés ou ghost notes (pièce III) :
Ce mode de jeu consiste à étouffer une partie de l’extrémité de l’anche avec la langue. L’anche ne vibrant
plus entièrement, il en résulte un son assourdi et moins timbré.
Plus qu’un simple effet, les sons voilés demandent au jeune saxophoniste une bonne compréhension et
maîtrise de sa langue. Ce travail lui sera ainsi extrêmement bénéfique pour le détaché et le staccato.
Subtone (pièces IV et VII) :
Proche du son voilé, ce mode de jeu consiste à appliquer une partie de la langue sous l’anche afin de
réduire les harmoniques aigües du son et de permettre de jouer les notes graves à des nuances
extrêmement faibles.
Exerçant également le contrôle lingual, ce mode de jeu demande une bonne maîtrise de la colonne d’air et
peut être utile dans tous les répertoires.
Harmoniques (pièces IV et VI) :
Comme beaucoup d’instruments, le saxophone permet d’isoler une harmonique de sa fondamentale.
Souvent aidées par des trilles dans le cycle, les harmoniques naturelle (la 2 ème et la 3 ème dans un premier
temps) font travailler à l’élève sa colonne d’air et le placement de son larynx : deux éléments
fondamentaux pour l’émission du son, le contrôle des registres et des intervalles, ainsi que l’homogénéité
sur toute la tessiture de l’instrument.
Flatterzunge (pièces V et VII) :
Le flatterzunge est une distorsion du son provoquée par un roulement de gorge (battement de la luette)
ou de langue ([r] italien).
Ce mode de jeu est peut-être le plus ancien, il est donc important à connaître et à savoir exécuter. Pour ce
faire, le contrôle de la luette ou du roulement de langue est évidemment indispensable.
Chant dans l’instrument (pièce VII) :
Comme son nom l’indique, ce mode de jeu consiste à chanter à travers l’instrument ; cela peut se faire en
jouant une note simultanément (growl par exemple).
Cet effet demande que l’utilisation des cordes vocales devienne indépendante de l’émission normale du
son. Il est utilisé dans d’autres styles de musique comme le jazz ou la musique Klezmer.
L’analyse comme outil pédagogique
La compréhension d’une pièce de musique peut évidemment venir très instinctivement par son jeu, mais
également par une réflexion sur son écriture, son langage et sa structure par exemple que l’on appelle
communément analyse. C’est un outil nécessaire à l’appropriation et à l’interprétation d’une œuvre,
surtout dans le cas de la musique contemporaine, parfois si conceptuelle et très hétérogène.
L’analyse n’est pas réservée aux musiciens professionnels et certaines de ses notions peuvent être
abordées dès les premières années de formation musicale. Je pense qu’elle est indispensable à la
formation de musiciens indépendants, curieux et polyvalents (qu’ils se destinent ou non à une carrière
professionnelle), c’est pourquoi j’ai voulu l’intégrer au cycle Arche.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Chaque pièce est donc accompagnée d’éléments d’analyse qui permettront à l’élève de comprendre
quelques points forts de son écriture. Diverses questions lui seront ainsi posées et lui permettront
d’approcher différentes problématiques telles que la forme, la transposition ou l’harmonie, et même
quelques notions d’acoustique.
J’ai également souhaité ajouter à ces éléments d’analyse des suggestions d’écoute. Elles présentent à
chaque fois un compositeur marquant d’aujourd’hui ou du siècle dernier dont le langage - ou une des
particularités du langage – trouve quelques ressemblances avec l’écriture de la pièce qu’elles
accompagnent. J’espère ainsi stimuler la curiosité des élèves et leur donner quelques repères dans le
foisonnant paysage de la musique contemporaine.
Le cycle Arche en théorie – les pièces et de leur portée pédagogique
Arche est un cycle de sept pièces pédagogiques progressives. Leur niveau s’étend de deux à environ dix
ans d’instrument. Il comprend deux duos et deux trios de saxophones, deux duos avec piano et une pièce
solo. J’ai voulu ainsi alterner les formations pour varier les approches et les pratiques de travail. De plus,
j’estime que le travail de musique de chambre est plus formateur et surtout plus proche des futures
activités musicales de l’élève que le travail sur des pièces solo.
Le titre se réfère premièrement à la succession des pièces dont les effectifs sont agencés symétriquement
autour de la pièce solo centrale. Il fait également référence à la forme des pièces I et VI. Finalement le mot
arche est intéressant compositionnellement car chacune de ses lettres peut être couplée à une note de
musique ; en combinant les systèmes de solmisation allemand et français, nous obtenons donc :
Ces cinq notes curieusement symétriques elles aussi (diatoniquement : symétrie centrale autour du do ;
une symétrie exacte des hauteurs peut être obtenue en haussant le do d’un quart de ton) forment les
fondements harmoniques du cycle. Elles sont en général transposées dans la tonalité du saxophone pour
faciliter leur localisation.
J’ai voulu éviter une écriture purement illustrative ou légère et naïve sous prétexte qu’elle s’adresse à des
débutants. Le langage que j’utilise dans Arche est très personnel mais simplifié en fonction du niveau des
instrumentistes et des enjeux pédagogiques de chaque pièce. Les rapports entre les instruments sont la
plupart du temps très fusionnels : leurs sons tendent à se fondre les uns dans les autres pour former un
tout organique (contrairement à une écriture en plans sonores différenciés). Cela permet entre autre un
jeu de spatialisation du matériau sonore.
J’ai voulu les titres et indications de caractère des pièces plutôt abstraits et poétiques, ce qui je l’espère,
saura inspirer les exécutants et leurs professeurs.
Dans trois des sept pièces (pièces I, II et IV), j’ai utilisé une notation proportionnelle, c’est-à-dire qu’à
défaut de rythme et de pulsation, c’est l’espace entre les notes qui définit les proportions rythmiques. J’ai
fait ce choix pour plusieurs raisons qui me paraissent intéressantes pédagogiquement : d’une part, les
élèves encore débutants n’ont pas à se confronter à des rythmes complexes et peuvent ainsi se concentrer
uniquement sur le contrôle de son, de ses paramètres et du geste musical. D’autre part, dans les duos
(pièces I et II), cette écriture les oblige à être constamment à l’écoute de leur partenaire ainsi qu’à intégrer
et suivre leur partie. Dans la pièce solo (pièce IV), c’est plutôt sur la recherche d’une interprétation et d’un
phrasé intéressants que l’interprète devra se concentrer.
Chaque pièce est accompagnée d’un court paragraphe explicatif, d’une légende expliquant les signes et les
modes de jeu utilisés, d’exercices préparatoires ainsi que des éléments d’analyse et des suggestions
d’écoute. J’ai également souhaité que le recueil soit accompagné d’un enregistrement de référence pour
guider étudiants et professeurs dans leur travail.
Voici donc un descriptif de chacune des pièces et de ses enjeux pédagogiques.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
I - D’un souffle jaillit le son…
pour deux saxophones identiques
niveau élémentaire (environ 2 ans d’instrument), notation proportionnelle
Sujets et modes de jeu abordés :
- Notation proportionnelle
- Souffle
- Sons filés
- Nuances différenciées (quatre paliers : pp, p, mf et f)
- Trilles et bisbigliandi
Ce court duo à l’architecture très simple est construit en trois parties. Il commence par une progression à
la fois dynamique, harmonique et du matériau. Ainsi, les délicats souffles initiaux se transforment peu à
peu en sons de plus en plus puissants et les hauteurs glissent progressivement du la à l’éclatant ré du
climax central (en référence aux deux premières lettres du mot arche). Cette puissante seconde partie est
soutenue par l’apparition d’octaves justes, augmentées ou diminuées. Elle s’achève brusquement pour
laisser place à la dernière partie revenant aux sonorités éthérées du début mais agitées cette fois-ci par
des trilles. L’harmonie quant à elle, progresse vers le discret sol final (symétrique à la par rapport à ré)
tout en gardant l’ombre du ré central au sommet des trilles.
Les exercices préparatoires portent sur la maîtrise des sons filés et du passage du souffle au son (et
inversement) qui est le principal enjeu pédagogique de la pièce. Un réel travail de musique de chambre et
d’écoute est également demandé aux élèves afin que la succession des évènements soit respectée ;
plusieurs évènements simultanés les obligeront à se faire des signes. À cela s’ajoutera un travail exigeant
et nécessaire sur l’homogénéité sonore (timbre, nuances etc.).
Les éléments d’analyse traitent de la progression dramatique de la pièce et proposent aux élèves un
vocabulaire pour la décrire.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
II. - Miroitements
pour saxophone alto ou soprano et piano
niveau élémentaire (environ 3 ans d’instrument), notation proportionnelle
Sujets et modes de jeu abordés :
- Notation proportionnelle
- Trilles et bisbigliandi
- Intonation avec piano
- Faux doigtés et quarts de ton
- Multiphoniques
Cette pièce est d’une extrême simplicité harmonique puisque qu’elle consiste en une unique descente du
mi médium au fa# grave du saxophone en passant par le si (si et mi correspondent aux deux dernières
lettres du mot arche, quant au fa#, il est symétrique à mi par rapport à si). On pourrait la décrire comme
une grande errance jalonnée par deux éclats : un premier lors de l’arrivée sur la note si et un second sur la
note fa#, étiré cette fois-ci jusqu’au multiphonique du climax final. La pièce se termine par une petite coda
en forme d’écho lointain.
Les deux instruments sont traités de manière très fusionnelle, l’un prenant constamment le rôle de
résonnance artificielle ou de prolongement de l’autre. Ainsi, l’intervalle d’unisson est très présent et
demandera au saxophoniste un certain travail sur l’intonation. C’est d’ailleurs de ce point que traitent les
exercices préparatoires.
L’écriture en notation proportionnelle que l’on retrouve ici est cette fois-ci un peu plus dense. Un
conséquent travail de mise en place avec le piano et la connaissance de sa partie y seront donc
indispensables.
Dans les éléments d’analyse, c’est la transposition qui est introduite théoriquement et pratiquement. (Elle
est à mon avis essentielle à savoir utiliser pour quiconque joue d’un instrument transpositeur.) L’élève
sera ainsi amené à trouver par l’analyse les notes communes au saxophone et au piano.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
III. - La cloche enfermée
pour trois saxophones identiques ou soprano, alto et ténor
niveau moyen (environ 5 ans d’instrument), notation traditionnelle
Sujets et modes de jeu abordés :
- Notation rythmique
- Sons voilés
- Quarts de ton
- Homorythmie et complémentarité rythmique
- Nuances communes
Ce trio est la première pièce dans laquelle j’utilise une notation traditionnelle, c’est-à-dire avec rythme et
pulsation bien que cette dernière soit - comme dans beaucoup de musiques contemporaines - plus un
moyen d’écriture qu’un élément vraiment perceptible. Pour que ce type d’écriture soit abordable, j’ai dû
limiter les motifs rythmiques utilisés. Les plus complexes sont croche pointée – double croche et son
inverse double croche - croche pointée (souvent complexifiés par des liaisons rythmiques) ; dans les autres
cas, la plus petite unité rythmique est la croche.
La pièce est divisée en deux parties. La première est principalement basée sur l’utilisation des sons voilés
(ou ghost notes) dont traitent les exercices préparatoires. Des accords étranges et puissants alternent
constamment avec un unisson voilé des trois instruments. Cet unisson s’agite progressivement de petits
spasmes produits par un court relâchement de la langue (et donc par un rapide passage au son ordinaire),
puis de notes étrangères en écho à l’accord précédant. Ces complexes sonores sont construits sur les
intervalles présents entre les notes du mot arche (avec le do haussé d’un quart de ton). Leurs trois
composantes sont initialement au début homorythmiques et se désynchronisent petit à petit.
La seconde partie est beaucoup plus horizontale. Elle est constituée de multiples fragments mélodiques
dont les trois saxophonistes se partagent les notes (principe de la Klangfarbenmelodie expliqué dans les
éléments d’analyse). Ces fragments sont toujours constitués d’un impact initial sur une note grave suivi
par sa désinence en un mouvement mélodique ascendant.
Ce trio généralise l’utilisation des quarts de ton, et demande un important travail de musique de chambre.
Ses principaux objectifs seront l’équilibre entre les instrumentistes, la recherche d’une pulsation
commune (peut-être devront-ils en plus de s’écouter, se faire des signes pour se repérer) et la précision
rythmique.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
IV. - Et l’horizon frissonne
pour saxophone alto ou ténor solo
niveau secondaire (environ 6 ans d’instrument), notation proportionnelle
Sujets et modes de jeu abordés :
- Notation proportionnelle
- Nuances extrêmes
- Silence
- Multiphoniques
- Attaques de diaphragme
- Trilles et bisbigliandi
- Bruits de clé
- Souffle
- Subtone
- Harmoniques
Dans cette unique pièce solo, le jeune saxophoniste part à l’exploration des nuances extrêmes que son
instrument lui permet. La forme de la pièce est très simple puisqu’elle se résume à un court éclat
fortissimo initial suivi d’une longue errance, à peine audible et interrompue par de nombreux silences,
comme une complexe résonnance étirée à l’extrême.
Cette seconde partie voit son matériau évoluer constamment et c’est à cela que je souhaite rendre l’élève
attentif à travers les éléments d’analyse. Elle commence par de doux multiphoniques de tierces pour
arriver à des trilles d’harmoniques en passant par les trilles, les bruits de clés ou le souffle. Elle demandera
donc à l’instrumentiste de maîtriser tous ces éléments ainsi que le subtone qui apparaît pour la première
fois ici ; les exercices préparatoires l’y aideront. L’utilisation des harmoniques est également nouvelle et
j’en profite pour expliquer en quelques mots leur fonctionnement dans les éléments d’analyse.
La première partie, quant à elle, se distingue par de puissants multiphoniques et la répétition quasi
frénétique de la note ré.
Un bon contrôle de la colonne d’air (débit d’air, soutien) et de l’embouchure seront donc nécessaires pour
bien réaliser les nuances extrêmes de cette pièce. En plus de cela, l’écriture étirée demande à l’interprète
un important travail sur le phrasé pour donner une cohérence au discours musical et habiter les
nombreux silences.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
V. - Convulsions
pour trois saxophones identiques
niveau secondaire supérieur (environ 7 ans d’instrument), notation traditionnelle
Sujets et modes de jeu abordés :
- Articulations différenciées
- Relais et complémentarité rythmique
- Nuances différenciées
- Intonation
- Quarts de ton
- Bisbigliandi
- Flatterzunge
Ce deuxième trio pourrait être décrit comme une grande monodie, littéralement orchestrée par ses trois
exécutants et ponctuée par de puissants accords à trois sons. L’idée de Klangfarbenmelodie est donc à
nouveau clairement sous-jacente. Harmoniquement chaque accord est construit sur les cinq notes du mot
arche ; quant à la monodie, elle n’est autre qu’un glissement de l’un à l’autre.
Les éléments d’analyse traitent de la construction des accords ainsi que des différents traitements
polyphoniques.
La texture sonore évolue constamment, allant des bisbigliandi au flatterzunge en passant par le jeu
ordinaire, les notes répétées et toutes sortes d’articulations ; tous ces éléments doivent donc être
maîtrisés pour bien exécuter la pièce. Les nuances contrastées ne sont pas non plus à négliger car leur
évolution a une grande importance formelle et dramatique. Les nombreux unissons et relais de la monodie
demandent quant à eux, un conséquent travail d’intonation, de précision et d’écoute.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
VI. - Le cri gelé
pour saxophone alto et piano
niveau secondaire supérieur (environ 9 ans d’instrument), notation traditionnelle
Sujets et modes de jeu abordés :
- Intonation avec piano
- Rythmique ternaire
- Harmoniques
- Multiphoniques (filtrage)
Dans cette pièce, l’écriture du saxophone est principalement centrée sur le filtrage des harmoniques
naturelles des notes graves mais aussi des fausses harmoniques ou composantes des multiphoniques. Cela
demandera donc un bon contrôle de la colonne d’air, de l’embouchure et du placement du larynx.
Formellement, la pièce peut se découper en trois parties en arche, c’est-à-dire de forme ABA’, A’ étant une
sorte de variation ou de réduction de A. Dans ces deux parties, le saxophone joue le rôle d’une complexe
résonnance mélodique et expressive des puissants accords du piano desquels il émerge.
La partie B s’articule comme une antiphonie des deux instruments où les glissements harmoniques du
piano et leur texture grouillante alternent avec les multiphoniques expressifs du saxophone. Elle s’achève
comme saturée, dans un puissant climax au-dessus duquel plane l’ombre d’un accord de réb majeur.
Les éléments d’analyse traitent principalement de la forme de la pièce. Quant aux exercices préparatoires,
ils sont à partir d’ici inexistants. Plusieurs particularités techniques de la pièce ont en effet déjà été
abordées précédemment et j’estime qu’à ce niveau, l’élève doit être capable d’isoler les éléments
problématiques et de trouver ses propres méthodes de travail.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
VII. - …et d’un son, la voix - pour deux saxophones identiques
pour deux saxophones identiques
niveau certificat (environ 10 ans d’instrument), notation traditionnelle, modes de jeu utilisés : quarts de
ton, multiphoniques, flatterzunge, bisbigliandi, voix dans l’instrument (growl)
Sujets et modes de jeu abordés :
- Relais et complémentarité rythmique
- Changements de tempo
- Articulations différenciées
- Intonation
- Quarts de ton
- Flatterzunge
- Bisbigliandi
- Subtone
- Trilles
- Voix dans l’instrument
- Growl
Cette dernière pièce du cycle est peut-être la plus hétérogène et brillante. Le parcours harmonique y est
assez linéaire et facilement appréhendable. Par contre, de nombreuses ruptures ont lieu au niveau de la
texture sonore, des nuances et du tempo, lui donnant une dynamique toute particulière (à noter que ces
ruptures correspondent toujours à l’arrivée sur une ou plusieurs notes thématiques du cycle).
Deux phénomènes fondamentaux dans l’écriture de ce duo se retrouvent sous différentes formes : la
stéréophonie (multiples jeux de relais et de tuilages entre les deux instrumentistes) et la résonnance
artificielle (l’un peut tour à tour jouer l’attaque ou la résonnance de l’autre).
D’un point de vue pédagogique, cette pièce réutilise de nombreux éléments techniques et compositionnels
déjà abordés dans le cycle. Elle pourrait en être considérée comme l’aboutissement ou la synthèse.
Plusieurs nouveaux éléments y sont néanmoins présents comme les notes piquées répétées ou la voix
dans l’instrument. D’anciens éléments y sont davantage développés : flatterzunge et subtone notamment.
Pour finir, l’écriture rythmique est très exigeante et demande encore une fois un grand travail de précision
et de mise en place.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Le cycle Arche en pratique – notes sur la création
Le cycle écrit, il était indispensable pour moi de le mettre en pratique avec des élèves saxophonistes des
niveaux concernés et d’en faire la création publique. N’ayant que relativement peu d’élèves et surtout des
débutants, j’ai demandé et obtenu le soutien de deux professeurs de saxophone de la région lausannoise
(Elie Fumeaux, professeur au Conservatoire de Lausanne et Ilya Bregenzer, professeur à l’École de
Musique de la Ville de Lausanne ainsi qu’à l’Institut de Ribaupierre). J’ai ainsi pu distribuer six des sept
pièces du cycle entre leurs élèves et les miens ; une seule pièce (la cinquième) n’a pas trouvé d’interprètes
et c’est accompagné de deux autres étudiants en classe professionnelle que je l’ai moi-même créée.
Le concert-création fixé en février 2011, le travail a débuté en automne 2010 et s’est déroulé de la
manière suivante :
Un travail personnel a tout d’abord été fait par chaque participant avec son professeur. J’ai souhaité ne pas
intervenir tout de suite dans l’étude des pièces afin de pouvoir observer comment ma musique était
appréhendée par les professeurs (qui n’ont pas une grande habitude de ce style de musique).
Puis vinrent les répétitions des pièces d’ensemble auxquelles j’ai régulièrement assisté afin d’observer
l’attitude des élèves par rapport à ma musique, mais également pour que l’exécution des pièces soit le plus
proche possible de mes attentes.
Le travail avec mes propres élèves fut évidemment un peu différent puisque j’avais à la fois le rôle de
compositeur et de professeur.
Observations
Durant mon travail sur Arche avec les élèves, j’ai pu faire de nombreuses observations sur leur attitude et
leurs réactions par rapport à ce répertoire auquel ils n’étaient pas habitués. En voici les plus répandues et
celles qui me paraissent les plus pertinentes :
La première chose que j’ai remarquée est que mes pièces étaient en général mieux reçues et comprises
par les élèves les plus jeunes. Ceux-ci n’ont en effet pas d’à priori sur ce style de musique qui a tout de
suite éveillé leur curiosité. Ils se sont montrés tout au long du travail, très réceptifs aux indications et
conseils que leurs professeurs et moi leur donnions. En outre, ils ont généralement assez vite trouvé un
jeu et une interprétation adaptés à cette musique.
A contrario, les saxophonistes les plus âgés ont eu plus de difficultés à intégrer cette écriture. À plusieurs
reprises, leur interprétation m’a semblé faussée par certaines habitudes de jeu, ce qui l’a souvent rendue
maladroite. Cela s’est manifesté par une mauvaise compréhension des intentions et gestes musicaux (par
exemple : exécution de rythmes intentionnellement chaotiques, des nuances ou du phrasé indiqués), une
certaine peur des excès (par exemple : nuances ou articulations extrêmes, sons dénaturés ou plans
sonores différenciés) ou une certaine précipitation dans l’exécution.
Les élèves ne se sont pas montré très sensibles au son (ou phénomène sonore) – fondement de toute
musique – et ne se sont que très rarement arrêtés pour apprécier ses richesses. Par ailleurs, la musicalité
m’a semblé plusieurs fois être considérée comme inexistante ou inutile dans cette musique.
D’un point de vue pratique, j’ai également remarqué que ces saxophonistes avaient peu l’habitude de voir
une partition avec plusieurs portées et de se référer aux autres parties pour travailler et se repérer. La
plupart ont appris à se faire des signes pour faciliter la mise en place de certains événements musicaux.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Retours des élèves
Afin de récolter leurs impressions, j’ai distribué à chaque élève participant au projet un bref questionnaire
sur la pièce qu’ils étaient en train de travailler.
Après leur avoir demandé quelle pièce ils jouaient, je leur ai proposé de la décrire en trois mots afin de
comprendre ce qu’elle représentait pour eux et comment ils la percevaient. J’ai eu à peu près en
proportions égales deux types de réponses : les unes très techniques (effets et gestes rencontrés dans la
pièce, structure) et les autres plus abstraites (atmosphères, couleurs ou sentiments).
Je les ai ensuite interrogé sur le plaisir qu’ils ont pu avoir en travaillant la pièce. Ils ont donc dû y
mettre une note entre 1 (aucun plaisir) et 5 (beaucoup de plaisir), et - en admettant qu’ils aient su être
objectif dans leur évaluation - cette question obtient une moyenne de 3,9.
J’ai ensuite demandé à chaque élève de justifier sa note. Les principaux reproches ayant été faits sont le
style (pas beaucoup d’affinité pour la musique contemporaine), le peu de travail individuel possible (trio)
et les difficultés de mise en place. Les points positifs qui ont été relevés sont l’utilisation des modes de jeu
(ludique et originale), la découverte d’un nouveau style de musique, l’ambiance des pièces et le travail de
musique de chambre.
J’ai également demandé dans le questionnaire de noter la difficulté de la pièce (entre 1 - facile – et 5 –
très difficile) : la moyenne est cette fois-ci de 3,2. Les principales difficultés évoquées par les élèves sont
l’exécution des modes de jeu et des nuances extrêmement douces ainsi que la mise en place rythmique.
Je n’ai eu que peu de réponses à la question « si tu devais changer une chose dans la pièce, quelle
serait-elle » mais une suggestion de simplification de la notation rythmique de la dernière pièce m’a tout
de même fait faire quelques modifications pour plus de clarté.
J’ai ensuite demandé aux jeunes interprètes ce qu’ils pensaient avoir appris en travaillant la pièce. La
plupart ont ainsi évoqué une nouvelle façon d’utiliser son instrument à travers les modes de jeu, et le
travail d’écoute que les pièces de musique de chambre demandaient ; quelques réponses faisaient
également allusion à une nouvelle dimension musicale…
L’interprète de la deuxième pièce du cycle (qui n’était d’ailleurs pas un fervent admirateur de musique
contemporaine) m’a donné une réponse assez intéressante, la voici : « … la musique moderne n’est pas
seulement mettre n’importe quelle note n’importe où, mais [elle] est assez structurée, même sans barres
de mesure. »
Finalement à la question : « aurais-tu envie de jouer d’autres pièces du cycle ? », j’ai reçu 7 oui, 1 non et
2 abstentions, ce qui me semble assez encourageant.
Bilan de l’expérience
A en juger par leur engagement et leur enthousiasme durant tout le projet ainsi que par leurs réponses au
questionnaire, je crois avoir réussi à motiver et à satisfaire la plupart des élèves. Je pense également être
parvenu à sensibiliser les plus récalcitrants aux richesses de la musique contemporaine.
Malgré les nombreuses difficultés que les pièces recèlent, leur exécution et leur interprétation par ces
jeunes saxophonistes furent d’une remarquable qualité et à la hauteur de mes attentes. Mais - en prenant
un peu de recul – j’ai l’impression que ma présence aux répétitions y fut pour beaucoup, principalement
en terme d’interprétation. Ce n’est évidemment pas pour blâmer leurs professeurs peu accoutumés à cette
musique qui ont fait un remarquable travail. Par contre, cela montre l’importance d’une irréprochable
clarté d’écriture et de moyens de compréhension adaptés. Suite à cette prise de conscience et à quelques
discussions à ce sujet avec les professeurs, j’ai ainsi pu étoffer et améliorer le matériel accompagnant
chaque pièce.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Conclusion
Je pense avoir montré à travers le cycle Arche et sa création que la musique contemporaine, aussi pointue
et exigeante soit-elle, est loin d’être inaccessible, même pour de tous jeunes instrumentistes. Une fois les
modes de jeu et les conventions d’écriture apprivoisés, les pièces du cycle, bien que difficiles, ne se sont
jamais révélées inaccessibles ou injouables. Seuls certains des élèves les plus âgés ont rencontré quelques
obstacles dans leur interprétation et leur phrasé. Cela prouve l’importance d’intégrer le plus tôt possible
le répertoire contemporain dans l’enseignement instrumental.
Le travail de ce type de musique pose évidemment un certain nombre de problèmes qui ne sont pas
présents ou le sont moins dans d’autres styles. Cependant grâce aux axiomes simples sur lesquels elle se
fonde (geste musical, rapport entre les musiciens, phénomène sonore, etc.), la musique contemporaine
peut facilement éveiller l’imagination. Elle s’avère donc aisément saisissable pour des oreilles réceptives
et curieuses.
Il ne reste qu’à savoir éveiller cette curiosité indispensable à toutes les formes d’art.
L’expérience m’a montré que les modes de jeu, en plus de leur intérêt pédagogique, pouvaient faire naître
cette curiosité par leur aspect ludique et inouï.
Le travail collectif (duos, trios) peut également être extrêmement motivant dans l’approche de cette
musique. Il est d’ailleurs d’un enjeu pédagogique énorme pour la formation musicale en général car – j’ai
encore pu le constater ici – il développe considérablement l’oreille, l’indépendance et la complicité des
jeunes musiciens.
Il est évident que l’interprétation de n’importe quelle musique demande une importante compréhension
de son langage qui est le plus souvent amenée par le professeur d’instrument (n’est-ce pas pour cela que
l’on prend des cours ?). Cette remarque s’applique évidemment aussi à la musique contemporaine ; mais si
riche en diversité et si souvent mal comprise, elle demande encore davantage de moyens de
compréhension, surtout dans un contexte pédagogique.
Les prochains interprètes du cycle Arche ne seront probablement pas guidés dans leur travail par son
compositeur. Afin de rendre son approche la plus facile possible, il m’a donc paru indispensable de joindre
aux pièces un matériel complet et diversifié.
La musique contemporaine est très souvent considérée comme élitiste et inaccessible ; nous avons vu
pourtant que même de très jeunes musiciens sans grandes connaissances musicales et qui ne deviendront
pas professionnels pour la plupart, peuvent s’y atteler avec intérêt, talent et plaisir. Cette opinion est donc
à mon avis complètement erronée et ne résulte que d’un manque de culture.
C’est notre rôle de pédagogue de combler ce manque et c’est à travers sa pratique et son enseignement
dès les premières années d’instrument que la musique contemporaine pourra trouver la place qu’elle
mérite.
Remerciements
Je souhaite tout d’abord remercier tous les jeunes saxophonistes qui ont créé avec talent mon cycle Arche :
Alice Duperrey, Nadia Aeberhard, Noémie Turrian, Wilhelm Detry, Luca Bracone, Marin Piguet, Tomislav
Levak, Martin Chatton, Agron Idrizi et Ludovic Cherpit, ainsi que leurs professeurs Elie Fumeaux et Ilya
Bregenzer qui m’ont été d’une grande aide et sans qui ce projet n’aurait jamais pu être réalisé.
Je remercie également Alessandro Ratoci qui a fait l’enregistrement et le mixage des pièces, Jean-Valdo
Galland et Valentin Conus qui y ont interprété les duos et trios, sans oublier Irene Puccia, pianiste du
projet.
Je remercie finalement mon professeur de saxophone et directeur de mémoire Pierre Stéphane Meugé qui
m’a suivi et encouragé tout au long du projet.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Annexes
- Arche : cycle pédagogique pour 1 à 3 saxophones et piano (la partition est en cours d’édition)
- DVD de la création du cycle Arche et du concert final du stage collectif d’improvisation
Bibliographie
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http://www.avcem.ch/pdf/structure_etudes_saxophone.pdf
Georgel, C. (2007). Rivage pâle. Paris : Alphonse Leduc.
Giner, B. (1999). Petit Choral. Inédit.
Giner, B. (1999). Puls. Inédit.
Campo, R. (1999). Slight Air. Inédit.
Clément, D. (2009). Tercet. Paris : Alphonse Leduc.
Georgel, C. (2009). Crise[n]. Paris : Alphonse Leduc.
Jakubowski, P. (2006). Geb et Nout. Courlay : Fuzeau.
Risset, J.-C. (2007). Reprises. Paris : Alphonse Leduc.
Barthélémy, C. (2000). Okawati’s. Paris : Alphonse Leduc.
Fournier, M. H. (1989). Quatre duos. Paris : Henry Lemoine.
Noda, R. (1974). Improvisation I. Paris : Alphonse Leduc.
Rolin, E. (1983). Aphorismes VII. Paris : Henry Lemoine.
Vassena, N. (2003). 4 duetti per sax. Le Mouret : Woodbrass Music.
Fournier, M. H. (1989). Sétiocétime. Paris : Henry Combre.
Naón, L. (2008). Tejidos. Paris : Gérard Billaudot.
Risset, J.-C. (2007). Rumeur. Paris : Alphonse Leduc.
Clément, D. (2009). Entre-deux. Paris : Alphonse Leduc.
De Vienne, B. (2006). Blog. Bourg-la-Reine : Zurfluh.
Boivin, P. (2000). Chalumeau. Paris : Salabert.
Sciarrino, S. (2005). Musique de chambre [enregistrement sonore]. Paris: Arion.
Sciarrino, S. (2000). Lo spazio inverso [enregistrement sonore]. Kairos.
Ligeti, G. (1998). György Ligeti edition 7, Chamber music [enregistrement sonore]. Sony.
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Mémoire de pédagogie ARCHE Kevin Juillerat
Ligeti, G. (2001). The Ligeti project 2 [enregistrement sonore]. Teldec Classics.
David, V. (2007). Dialogue, Chemins, Récit... [enregistrement sonore]. Aeon.
Webern, A. (1995). Boulez conducts Webern [enregistrement sonore]. Deutsche Grammophon.
Grisey, G. (2001). Quatre chants pour franchir le seuil [enregistrement sonore]. Kairos.
Grisey, G. (2002). Les Espaces Acoustiques [enregistrement sonore]. Kairos.
Scelsi, G. (1999). Yamaon : Anahit : I presagi ; Tre pezzi ; Okanagon [enregistrement sonore]. Kairos.
Messiaen, O. (2007). Vingt regards sur l'enfant Jésus [enregistrement sonore]. Warner Classics.
Messiaen, O. (1994). Oiseaux exotiques [enregistrement sonore]. Koch Schwann.
Delangle, C. (1993). The Solitary Saxophone [enregistrement sonore]. Bis.
Berio, L. (1998). Chamber music [enregistrement sonore]. Musikproduktion Dabringhaus und Grimm.
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