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54 Culture Le Matin Dimanche | 3mai 2015 Onde de choc’ à Saint-Triphon Plein air 450 000 spectateurs ont déjà eu la chance de voir à Winterthour et Olten «Fabrikk», la dernière création de la compagnie zurichoise Karl’s kühne Gassenschau. Dès le 19 mai la troupe déménage son usine de chocolat dans la carrière des Andonces (VD). A déguster sans modération. Isabelle Bratschi isabelle.bratschi@lematindimanche.ch Merci pour le chocolat! Croquant, fondant, sublime de douceur, parfois amer. C’est tout le défi de la compagnie alémanique Karl’s kühne Gassenschau qui revient illuminer la carrière des Andonces à Saint-Triphon (VD). Après y avoir mis le feu avec «R.u.p.t.u.r.e», posé la mer avec «Akua», touché le ciel avec «Silo 8» ou encore créé des embouteillages éternels avec «T.r.a.f.i.c», les fous volants sont de retour en Suisse romande dans un spectacle au goût vanillé. «Fabrikk» avec deux k, comme Karl’s kühne, c’est l’histoire d’une entreprise de chocolat qui entend conquérir le marché chinois. Un rêve de grandeur qui s’avérera vite écœurant. Trop gourmands, les investisseurs étrangers voudront connaître tous les secrets de fabrication, percer le savoir-faire du fameux chocolat suisse et racheter l’usine. Dans une machine à Tinguely «Nous aimons traiter les sujets d’actualité, aborder les thèmes qui nous font peur et qui concernent tout le monde, explique Paul Weilenmann, l’un des fondateurs de la compagnie et metteur en scène. Avec Fabrikk, il s’agit de parler de mondialisation, de délocalisation, de perte des valeurs et d’emplois, tout en restant drôle. Notre plaisir est de trouver des solutions, de marier le comique au tragique, de faire réfléchir les gens. Les faire pleurer de rire ou d’émotion, tel est notre souhait.» Dans une immense machine à Tinguely, les personnages se verront concassés, concentrés, broyés, moulés, torréfiés. Ils s’en sortiront avec des pirouettes, par des tuyaux d’aération, dans les airs, sous terre. Un spectacle super-caféiné à la Tim Burton. Les employés dansent avec des sacs de farines, font la course avec des chariots à pâtisserie, roulent à 100 à l’heure dans des containers. Ils cuisinent en mettant plus que les deux mains à la pâte comme Ernesto Angelini, le maître chocolatier qu’interprète le Genevois Laurent Deshusses. «Mon personnage n’est ni blanc ni noir, mais au lait, explique le comédien. Il va se battre pour garder une qualité, pour que l’usine ne soit pas vendue aux Chinois. Je suis un peu le Monsieur Loyal du spectacle.» Ce rôle il l’a attendu. Ou plutôt il a rêvé depuis longtemps de faire partie de la troupe. «Cette compagnie est un bel exemple d’amitié, de complicité. J’ai toujours aimé ce qu’ils font, le côté poétique et délirant de leur spectacle. Fabrikk parle de la peur, de l’autre, de l’inconnu, de ce qui peut nous arriver ou pas.» Deux autres comédiens lausannois seront de la fête pour cette adaptation française jouée à Saint-Triphon à partir du 19 mai et pendant tout l’été. Karim Slama se «On parle de mondialisation, de délocalisation, de perte des valeurs et d’emplois, tout en restant drôle» Paul Weilenmann, metteur en scène Les trois Romands, Laurent Deshusses, Karim Slama et Julien Opoix au travail avec le metteur en scène Paul Weilenmann. Sebastien Anex glisse dans la peau de deux personnages, Rémy Chollet et un traducteur chinois nommé Aili. «D’un côté, je suis un gentil râleur qui impressionne les autres employés. Il ne faut surtout pas le mettre de mauvaise humeur. De l’autre, je joue un interprète asiatique pas aussi méchant qu’on pourrait le croire.» Lui aussi est fier d’avoir été choisi pour cette aventure: «Il y a une belle énergie. La Karl’s kühne Gassenschau est issue du cirque, des spectacles de rue. Plus c’est gros, plus c’est fou, plus ils le font. Ils n’ont aucune limite. Tout va très vite. C’est un spectacle physique, rythmé par la musique et les effets spéciaux.» Grandiose et singulier Le Belge Julien Opoix, domicilié à Lausanne, interprète deux cadres de la fabrique aux caractères bien différents. «Willy Häberli et Viktor Witschi. Ce dernier porte dans son nom les termes «victoire» et «vaincu». Il s’agit du directeur de la fabrique, un grand chef avec de grandes ambitions. Willy c’est le contraire, c’est le petit chef en manque de reconnaissance. Il doit s’imposer. Il est pénible avec le personnel.» Julien Opoix avoue avoir vu Fabrikk à Olten et jure de ne pas dévoiler l’incroyable fin du spectacle. «J’ai adoré le côté monumental du décor qui permet des idées théâtrales inouïes et un rythme de folie. Et, dans un autre temps, j’ai été touché par des scènes plus lentes, intimes et poétiques avec un seul personnage. Que cela soit grandiose ou singulier, on déguste.» On en mangerait des tonnes… comme les deux cent de matériel qui ont été nécessaires au montage des infrastructures. La scène pèse, à elle seule, 90 tonnes, percée de multiples tunnels et labyrinthes qui permettent des effets scénographiques improbables. Les décors peuvent s’effondrer comme du sucre, les cuisines se changer en théâtre guignol. Tout est possible. Cascades chocolatées, barres qui se cassent, ganaches et pralinés, le tout saupoudré d’humour, tels sont les ingrédients de ce spectacle choc, truffé de surprises. U A voir «Fabrikk» par la Karl’s kühne Gassenschau, du 19 mai au 5 septembre dans la carrière des Andonces, à Saint-Triphon (VD). Du mardi au samedi, à 20 h, par tous les temps. www.fabrikk.ch La folle histoire de la Karl’s kühne Gassenschau Saint-Triphon Les quatre spectacles qui ont illuminé la carrière désaffectée $Ils sont partis de rien. Ou peut-être de tout. D’une amitié. Ernesto Graf, docteur en mathématique, et Paul Weilenmann, instituteur, rencontrent à des cours de théâtre en mouvement, comme la Scuola Teatro de Dimitri, quatre autres joyeux drilles. Ils décident alors de faire des spectacles de rue. «On voulait juste montrer que des gens normaux comme nous et non issus du monde du cirque pouvaient aussi faire des acrobaties, du jonglage, explique Ernesto Graf. On passait avec le chapeau. On avait du succès.» Rapidement leur spectacle qui allie le théâtre, le cirque et une part de magie, attire les foules. La petite troupe va voyager en France, en Allemagne et même en Pologne. D’un commun accord, les membres fondateurs créent la Karl’s kühne Gassenschau. «Difficile à traduire, sourit Ernesto Graf. On peut dire le petit théâtre de rue de Charles le Téméraire. Mais cela n’a rien à voir avec Charles de Valois-Bourgogne. On aimait juste l’adjectif.» Après dix ans à bourlinguer dans le monde, ils décident de rester en Suisse alémanique, mais rêvent de venir en Romandie. Ils dénichent alors un lieu magique, la carrière désaffectée de Saint-Triphon. Aujourd’hui, la compagnie compte une centaine de personnes. En trente ans, elle a créé 21 productions avec un total de 2900 représentations. La recette? «Le plaisir de jouer.» Photos: DR «R.u.p.t.u.r.e», 1995 Certains se souviennent encore de cet acteur en béquille escaladant la falaise de Saint- Triphon avant de se jeter dans le vide, accroché à un filin. D’autres comme l’ethnologue Jacques Hainard parlait à l’époque «d’une fresque de l’humanité en délire, dans la folie, avec des éléments de notre société dans un décor qui me rappelle Bruegel et Bosch». «R.u.p.t.u.r.e», premier spectacle de la compagnie zurichoise en Suisse romande, il y a déjà vingt ans, abordait avec humour le thème de l’exclusion. «L’histoire rappelait celles des gens que la société rejette, explique Ernesto Graf. Ils sont placés dans une décharge, un endroit isolé, comme la carrière des Andonces.» Un sujet prétexte à d’incroyables cascades, acrobaties de tous genres et autres effets pyrotechniques. Un spectacle qui avait eu un succès phénoménal avec 50 000 spectateurs pour 85 représentations. Contrôle qualité
3mai 2015 | Le Matin Dimanche Culture 55 Ernesto Graf DR Ernesto Graf «Fabrikk», un show plein de surprises, comme ces fleurs géantes qui sortent des tuyaux d’aération. Ernesto Graf des Andonces «T.r.a.f.i.c», 2001 «Imaginez un embouteillage éternel, souligne Ernesto Graf. Vous êtes condamnés à ne plus bouger, à côtoyer d’autres conducteurs, des gens très différents. S’adapter et vivre ensemble, tel est le mot d’ordre. Trafic était en quelque sorte l’image de la société dans tout ce qu’elle peut avoir de positif et de négatif. L’idée était de parler de l’homme pressé, tout en restant drôle et imaginatif.» Côté scène, la compagnie a fait sauter les bouchons avec beaucoup d’actions spectaculaires, des feux d’artifice et autres cascades dans une forêt de carcasses de voitures qui volaient en éclat. Autant dire que les possibilités de créer la surprise étaient nombreuses pour ces fous volants. «Akua», 2004-2005 «C’est l’histoire d’un orchestre de rock si mauvais que le capitaine d’un bateau de croisière décide de les virer en pleine mer, sourit Ernesto Graf. Ils errent alors sur un canot de sauvetage, partent à la dérive tout en continuant à jouer, cette fois-ci de mieux en mieux. Pour eux l’eau est une menace. Elle renferme des animaux terribles, peut se déchaîner ou même s’embraser.» Une étrange comédie musicale où le feu, l’électricité et l’eau ont fait des étincelles. Un spectacle grandiose où même le rideau de théâtre était de l’eau. Miroir déformant. Miroir d’une société qui exige toujours d’être le meilleur. Akua a surfé sur la vague des idées scéniques les plus folles comme ce jetski transformé en animal marin ou ces acteurs initiés à la plongée sous-marine. De véritables challenges techniques qui ont laissé dans la mémoire des spectateurs des images grandioses. «Silo 8», 2010 «Nous avions abordé le feu avec «R.u.p.t.u.r.e», la terre avec «T.r.a.f.i.c.», l’eau avec «Akua». Il nous manquait l’air, souligne Ernesto Graf. L’idée nous est venue de l’associer avec la liberté, le désir de voler, d’échapper à la réalité.» Dans un spectacle poétique très touchant, la compagnie aborde le thème délicat de la vieillesse. On est dans un monde futur où les vieux sont placés dans des conteneurs. Un EMS bon marché dans lequel les pensionnaires doivent laisser leurs souvenirs à l’entrée. Ne pas penser, oublier. Mais ils vont se rebeller, danser, chanter, crier haut et fort leur soif de vivre. Ils réussiront à s’évader dans leurs rêves ou sur des gondoles volantes. Contrôle qualité
Page 1: Sebastien Anex Le Matin Dimanche |

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