'Yiwdem', 1974-1977 - CFEE
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La puissance du mot : examen d’un terme revolutionnaire,<br />
‘Yiwdem’, <strong>1974</strong>-<strong>1977</strong><br />
Semeneh Ayalew (Institut des Etudes Ethiopiennes, Université d’Addis-Abeba)<br />
Binyam Sisay (Département de Linguistique et Philologie, Université d’Addis-Abeba)<br />
Cet article tente d’appréhender la terminologie révolutionnaire pour comprendre l’étendue de<br />
la réinterprétation des néologismes par la langue et la culture locales. Il s’agira aussi d’attirer<br />
l’attention de la recherche pour voir le lien entre terminologie et action politique durant les<br />
premières années de la révolution éthiopienne, entre <strong>1974</strong> et <strong>1977</strong>. Il comprend cinq sections<br />
et commence par une introduction qui est suivie d’une discussion des écrits sur la<br />
terminologie et d’une section dressant le cadre théorique et la méthodologie utilisés dans cette<br />
étude. Enfin, un terme fréquemment utilisé, yɨwdəm, « qu’il soit détruit, à bas », fréquemment<br />
utilisé à cette époque, sera discuté plus en détail et sera suivi d’une brève conclusion.<br />
1. Introduction et contexte historique<br />
La révolution de <strong>1974</strong> est un moment critique en termes d’écrits sur les questions majeures de<br />
la politique éthiopienne contemporaine. La révolution a aussi vu l’introduction massive de<br />
termes, idées et concepts nouveaux tels que lab addər « classes laborieuses »‘, sərto addər<br />
« les travailleurs », s’ərə hɨzb (équivalent du concept d’ennemi du peuple), č’ɨk’k’un hɨzb les<br />
masses oppressées, məret larašu « la terre au travailleur », yəbɨher t’ɨyyak’e « la question<br />
nationale » etc., qui ont défini et changé le vocabulaire politique du pays de façon durable. La<br />
période entre <strong>1974</strong> et <strong>1977</strong> a vu l’apparition d’une liberté d’expression inouïe et<br />
l’épanouissement de diverses organisations politiques. Cette période a aussi été témoin de<br />
l’invention, de la traduction et de l’utilisation de nouveaux termes et concepts<br />
révolutionnaires.<br />
Certains chercheurs ont conclu que les événements tragiques qui ont suivi le déclenchement<br />
de la révolution –la terreur rouge et la terreur blanche- et les relations antagonistes<br />
subséquentes entre les divers groupements politiques et une culture infestée par l’intolérance<br />
et l’extrémisme, sont dues à l’idéologie gauchiste adoptée (voir par exemple Messay Kebede:<br />
2008). Même s’il ne s’agit pas de nier que l’idéologie radicale gauchiste légitime la violence<br />
comme moyen important de résoudre les différences politiques et a de ce fait eu une influence<br />
sur les relations hostiles entre les diverses organisations politiques, cette étude entend montrer<br />
que l’extrémisme et une culture de l’intolérance ne sont pas seulement le produit d’une<br />
idéologie gauchiste radicale.<br />
L’affirmation selon laquelle le socialisme, en tant qu’outil philosophique pour organiser la<br />
société économiquement, socialement et politiquement, n’a pas été compris et adapté<br />
correctement par l’élite politique pour s’adapter au contexte local, est exacte. Mais ceci ne<br />
veut pas dire qu’aucun apprivoisement de termes et concepts gauchistes étrangers n’ait été<br />
effectuée. Cette étude tente de montrer qu’il y avait et qu’il peut y avoir un certain degré de<br />
réinterprétation de concepts empruntés et introduits de l’extérieur. Durant la période étudiée,<br />
1
les concepts et termes empruntés amenèrent de nouveaux sens et introduisirent de nouveaux<br />
concepts et idéaux dans le discours politique du pays et son répertoire culturel. Cependant, la<br />
culture existante joue aussi sur les termes et concepts nouvellement introduits en les<br />
réinterprétant, et joue un rôle dans la redéfinition de leurs sens et représentations. Ceci est lié<br />
au fait que toute société peut comprendre un concept nouveau en associant des éléments du<br />
nouveau concept avec des éléments culturels de son propre répertoire linguistique et culturel.<br />
Une telle réinterprétation du sens est aussi remarquée lors de la traduction de concepts<br />
étrangers dans la langue locale d’expression (en l’occurrence l’amharique), aussi bien que<br />
comme résultat de modifications conscientes effectuées par ceux qui formulent le discours<br />
politique.<br />
De ce fait, l’action de la culture traditionnelle dominante doit être prise en compte pour guider<br />
autant que déterminer le type de culture politique contemporaine que possède un pays.<br />
L’examen de la terminologie révolutionnaire pourrait grandement nous aider à expliquer<br />
pourquoi le discours politique pendant la révolution a évolué de cette manière et si<br />
l’utilisation de ces termes a conduit au bain de sang de la révolution.<br />
2. Traduction, emprunts et terminologie révolutionnaire<br />
Avec l’introduction de nouveaux termes en amharique dans les années qui ont conduit à la<br />
révolution et durant celle-ci, la traduction de concepts nouveaux et de termes étrangers est<br />
devenue un enjeu très important pour les universitaires et les politiciens. L’une de ces<br />
tentatives a été la rédaction du dit teramaj mezgebe qalat (Dictionnaire progressiste) publié en<br />
1969 CE (Octobre 1976). L’objet de ce dictionnaire était de trouver des « traductions précises<br />
de la terminologie marxiste » afin de s’assurer qu’il y aurait une compréhension et une<br />
application communes des termes. De plus, il y eu aussi des tentatives par des lettrés et des<br />
politiciens de traduction de la terminologie marxiste-léniniste dans d’autres langues que<br />
l’amharique. Parmi ces essais, la préparation par le Front de Libération du Peuple Erythréen<br />
d’un dictionnaire tigrigna intitulé mahdere qalat, sorti en 1975, et la tentative de Barissa (un<br />
journal en Oromiffa) qui a traduit 700 termes politiques en Oromiffa. (Kapeliuk: 1979, 23)<br />
En plus des dictionnaires conçus par des groupes politiques pour parvenir à des définitions<br />
standardisées de la terminologie marxiste-léniniste, il y a aussi eu des travaux d’érudits sur la<br />
terminologie en général et la terminologie marxiste-léniniste en particulier. L’un de ces essais<br />
importants est l’article de Olga Kepeliuk sur la « Terminologie marxiste-léniniste en<br />
amharique et en tigrigna » publié en 1979. Selon Kapeluik, 27% des termes utilisés dans le<br />
Dictionnaire progressiste (30 sur un total de 110 termes) sont empruntés à des langues<br />
étrangères. Encore 25% supplémentaires sont ce que Kapeluik appelle des termes redéfinis,<br />
termes qui existaient déjà dans le corpus lexical de l’amharique mais ont été recadrés ou<br />
« redéfinis » pour porter le sens désiré (tel que mədəb pour signifier « classe »). Elle soutient<br />
que l’emprunt, la redéfinition de mots préexistants pour porter le sens désiré, la dérivation<br />
(création de termes en utilisant une racine de mots amharique et l’ajout d’un suffixe pour<br />
porter un sens nouveau, par exemple maʔɨkəl (centre ou central) et l’ajout du suffixe -awinnət<br />
pour signifier « centralisme » (maʔɨkəl-awinnət), ainsi que l’emprunt de mots du geez pour<br />
parvenir à une nouvelle terminologie, sont les quatre moyens majeurs par lesquels de<br />
nouveaux termes ont été introduits dans l’amharique dans ce dictionnaire (Ibid : 25-26)<br />
(Tubiana : 1985, 87).<br />
2
Il a aussi été noté par d’autres spécialistes que l’amharique a « tendance » à produire des<br />
expressions locales pour des termes étrangers empruntés 1 (Leslau: <strong>1974</strong>, 207-208).<br />
L’amharique a trouvé des expressions locales pour les termes empruntés et a utilisé leurs<br />
équivalents en amharique de manière interchangeable avec les termes empruntés. Ceci a<br />
facilité l’enracinement des termes empruntés et leur apprivoisement et synthèse avec le<br />
« répertoire linguistique et conceptuel » local de la langue amharique. De plus, certains des<br />
termes nouvellement introduits avaient même plus d’une expression locale, ce qui montre que<br />
les termes avaient été dressés pour exprimer la réalité locale. L’amharique a de ce fait été<br />
dynamique et a manipulé ces termes pour qu’ils correspondent à sa propre réalité culturelle. 2<br />
Ainsi, même pour les termes empruntés, au moins certains d’entre eux, l’amharique a été<br />
capable de trouver des corollaires locaux, et ce faisant, a été à même de réinterpréter leur sens<br />
en l’adaptant au contexte local.<br />
Cet aspect de l’apprivoisement a d’autant plus facilité la préférence de l’amharique pour les<br />
termes empruntés au geez pour traduire et cadrer des concepts étrangers (d’une manière très<br />
similaire à la façon dont le latin a été utilisé pour inventer de nouveaux concepts en anglais et<br />
dans d’autres langues européennes). Cela avait été une tendance depuis le début du XXème<br />
siècle avec l’introduction et la prépondérance de l’éducation moderne et des médias<br />
modernes, qui se poursuit jusqu’à cette date. 3 (Amsalu: 1980, 4-5) Le geez avait aussi été<br />
employé dans les publications étudiantes dans la période prérévolutionnaire pour exprimer de<br />
nouveaux concepts, comme moyen d’exprimer de la fierté dans leur propre langue et culture.<br />
(Kapeliuk: 1980, 278) Les termes et concepts geez empruntés pour exprimer des termes<br />
étrangers a par exemple été plus important, comme le note Kapeluik, dans le « Dictionnaire<br />
progressiste » que dans le dictionnaire tigrigna mahdara qalat et ils constituent environ 20%<br />
du nombre total de définitions dans le teramaj mezgebe qalat. (Ibid: 26) Cet emprunt<br />
substantiel au geez est une démonstration d’apprivoisement et d’application de termes<br />
marxistes-léninistes à l’environnement local.<br />
Les aspects philosophiques de l’amharique, langue qui existe en tant que lingua franca depuis<br />
des centaines d’années, a été hautement influencée par l’Eglise Orthodoxe et le geez, sa<br />
langue liturgique. Le geez, compte tenu de son association étroite avec l’Eglise Orthodoxe, en<br />
est venu à porter une lourde accentuation religieuse. Cette accentuation religieuse du geez est<br />
susceptible d’influencer la manière dont les concepts sont cadrés en amharique avec des<br />
emprunts au geez. Les sens portés par les termes qui avaient été utilisés dans un ancien et<br />
1 Des exemples d’expression locale de termes empruntés comprennent : féodal –yemeret balabat, bourgeoiskeberte,<br />
petit bourgeois- neus keberte, idéologie -re’eyote alem et bien d’autres. Tous ces termes ont été utilisés<br />
dans la littérature sous leur forme originale (comme dans bourgeois) mais d’autres fois, leur traduction en<br />
amharique est utilisée à la place des termes empruntés. Comme indiqué par Abraham Demoz, l’utilisation<br />
d’expressions alternatives en amharique, aussi bien pour des « termes techniques que non-techniques » à la place<br />
des mots empruntés, était un usage répandu en Ethiopie. Par exemple, Capital capitaal –habt, plan-eqid,<br />
pourcent-kemeto etc. Et il affirme que ceci était dû au « manque de standardisation » des traductions (Problems<br />
of Terminology in Modern Amharic: 1973, 217)<br />
2 Des exemples de doublons d’expressions locales et de traduction dans des termes nouvellement introduits<br />
comprennent les suivants : « les grandes masses »- bizuhanu, sefiw hizb; « la paysannerie »- arso aderu, afer<br />
gefiw; « exploitation » -mizbera, gefefa, bizbeza. (Amsalu: 1980, 4)<br />
3 La raison la plus évidente pour cela sont les antécédents d’éducation religieuse de nombreux littérateurs et<br />
linguistes, dans laquelle le geez est central. Pour ne mentionner que quelques uns des plus importants : Yohannis<br />
Admasu (l’auteur principal de teramaj mezgebe qalat), Amsalu Aklilu (un éminent linguiste qui a été impliqué<br />
dans la préparation de nombreux dictionnaires), Debebe Seifu (éminent poète et révolutionnaire de la période<br />
révolutionnaire) et bien d’autres.<br />
3
différent contexte est de ce fait une autre manière dont les anciens sens perdurent dans les<br />
nouveaux termes. 4<br />
3. Cadre théorique et méthodologie<br />
Le cadre théorique de cette étude est la théorie de la pratique de Pierre Bourdieu. Cette<br />
approche évalue la théorie du langage que le linguiste britannique J.L. Austin appelle acte de<br />
parole. Bourdieu porte une attention intellectuelle sur les implications sociales et politiques de<br />
la communication et du langage politique et affirme que les énoncés sont socialement situés et<br />
sont le produit de facteurs extrinsèques à la langue. Bourdieu soutient que les actes de parole<br />
sont socialement situés et sont des énoncés qui sont le produit de la structure sociale plus<br />
large et de ce fait « portent les traces de la structure sociale qu’ils expriment autant qu’ils<br />
aident à la produire ». (Bourdieu: 1991, 2&9) En utilisant cette approche nous aimerions aussi<br />
montrer ici que la terminologie révolutionnaire dans la période considérée est un produit des<br />
forces culturelles et sociales dominantes ou conventionnelles à l’œuvre en Ethiopie. Nous<br />
affirmons que non seulement les termes révolutionnaires sont le produit de la société qui les a<br />
produits, mais aussi qu’ils portent les attributs sociaux et culturels du groupe dominant aussi<br />
bien que de sa psyché. D’un autre côté, cependant, nous aimerions aussi attirer l’attention<br />
scientifique sur les implications du langage politique, en particulier la terminologie<br />
révolutionnaire, dans la construction de la réalité politique et dans la direction de l’action<br />
politique.<br />
Méthodologiquement, cette étude utilise un terme, ywdəm ‘qu’il soit démoli, à bas’, comme<br />
exemple et le soumet à un examen linguistique et essaye de retracer l’évolution de son sens et<br />
de sa construction sémantique. D’une part, les termes sont les produits du milieu historique<br />
qui les a produits. De l’autre, il s’agit de montrer le rôle et l’action joués par la langue et la<br />
culture locales pour négocier le sens en traduisant les termes étrangers. De plus, nous<br />
voudrions démontrer en utilisant cet exemple comment l’examen de la terminologie<br />
révolutionnaire pourrait aider à expliquer si l’utilisation de termes sensibles a conduit aux<br />
relations hostiles entre les divers groupes politiques et si ceci a conduit à une culture de<br />
l’intolérance et à une polarisation où la position modérée est devenue l’exception rare plutôt<br />
que la norme.<br />
4. Examen critique du terme wəddəmə « qu’il soit démoli »<br />
Un examen critique, linguistique et historique, de certains termes locaux employés dans les<br />
slogans et autres discours révolutionnaires pendant la révolution éthiopienne est sensée<br />
commencer par débattre de la culture politique éthiopienne traditionnelle. L’analyse des<br />
4 Un exemple typique à cet égard serait le préfixe ‘tsere’ (lit. anti). Il était utilisé avec d’autres termes comme<br />
dans tsere-abyot (lit. anti-révolution), tsere- hizb (lit. anti-peuple et a un équivalent imparfait dans « ennemi du<br />
peuple »), tsere-feudal (lit. anti-féodal) etc. très fréquemment dans des slogans, textes etc. Le préfixe tsere,<br />
lorsqu’utilisé pour signifier des noms tels que hizb (le peuple ou les masses) prend la connotation religieuse<br />
absolue qui veut que pour que les masses/le peuple puissent exister, leurs ennemis, les tsere hizb, doivent être<br />
éliminés puisque les uns et les autres ne peuvent cohabiter. Tsere a été utilisé historiquement par exemple en<br />
association avec d’autres noms, en particulier maryam, comme dans tsere maryam. Ce terme est utilisé pour<br />
inculper ceux qui sont accusés de ne pas croire au statut de Sainte Marie comme mère de Dieu et en son aptitude<br />
à intercéder au nom de l’humanité. C’était une accusation très sérieuse dans les temps anciens et ceux qui étaient<br />
accusés de cette offense étaient traités avec sévérité et persécutés. Voir l’ouvrage de Tadesse Tamirat, Church<br />
and State in Ethiopia, 1270-1527, sur Deqe Esifanos, un chef du monastère Gunda Gunde accusé d’être tsere<br />
maryam.<br />
4
termes est aussi sensée servir de portail pour accéder à la psysché de la société. En tant<br />
qu’illustration, un examen critique d’un seul terme qui a souvent figuré dans les slogans et de<br />
presque toutes les organisations politiques de l’époque est utilisé, wəddəmə « être démoli »<br />
comme dans ywdəm « qu’il soit démoli »; comme un équivalent du français « à bas ». Nous<br />
essayons d’examiner le mot et son usage sous les aspects de l’étymologie, de la sémantique, et<br />
de l’écart dans la traduction. A son tour, cela nous aidera à démêler les implications politiques<br />
de l’utilisation répétée de ce terme, dans les slogans et autre médiums du discours officiel et<br />
officieux.<br />
Voyons quelques exemples de l’utilisation du terme dans des slogans de l’époque :<br />
(a) Democracia (Issue no. 1, 1966 E.C)<br />
“¾¨
amharique montre une annihilation totale. Même si les expressions dans les deux langues sont<br />
utilisées pour dénoncer, le degré auquel elles le font diffèrent considérablement. En lien avec<br />
cela, l’on doit mentionner que l’amharique a le mot wərrədə « descendre », qui aurait été un<br />
meilleur équivalent de « à bas ». Cependant, wəddəmə « être démoli » qui porte un sens<br />
chargé est préféré à dessein. Une fois de plus, l’utilisation consciente de wəddəmə en<br />
amharique semble suggérer un niveau plus important d’hostilité et de ressentiment entre les<br />
différents groupes politiques utilisant le terme pour se dénoncer l’un l’autre. Cela montre<br />
aussi l’apprivoisement du terme « down with » en anglais jusqu’à wəddəmə, comme cas<br />
important de réinterprétation culturelle locale d’un terme étranger qui était utilisé avec un sens<br />
différent dans sa forme originelle.<br />
(iii) L’évolution sémantique de wəddəmə « être démoli »<br />
Les termes subissent couramment des changements sémantiques dans les langues. Un type de<br />
changement lexical courant est ce qui est connu comme l’élargissement sémantique<br />
(extension, généralisation, agrandissement). Nous avons noté que durant la période de la<br />
révolution le verbe wəddəmə « être démoli » a subi un élargissement sémantique. Cinq stades<br />
d’élargissement sémantique peuvent être approximativement identifiés. Ce sont :<br />
Stade I : la démolition de grands objets concrets et inanimés<br />
Dans ce cas, le mot exprime sa dénotation originelle, qui est la destruction de grands objets<br />
concrets et inanimés.<br />
ex. hns’aw ywdəm! « Que le bâtiment soit démoli ! »<br />
Stade II : la démolition d’un système ou d’une organisation<br />
Dans ce second stade, l’éventail de sens du mot wəddəmə s’étend de la démolition d’un objet<br />
« concret » à « abstrait ». Dans l’exemple ci-dessous, le slogan montre l’annihilation d’un<br />
système.<br />
e.g. fiwdalizm yɨwdəm « A bas le féodalisme ! »<br />
Stade III : la démolition d’un groupe<br />
Encore une fois, l’étendue du mot est généralisée, dans ce cas pour couvrir un groupe de gens.<br />
En d’autres termes, il y a une extension du sens de la destruction d’un système à la destruction<br />
d’un groupe de gens. Exemple :<br />
e.g. s’ərə hɨzboč yɨwdəmu « A bas les ennemis du peuple »<br />
Stade IV : la démolition de personnalités éminentes<br />
A ce stade, il y a un élargissement du sens du mot d’un groupe d’individus à un seul individu<br />
qui est considéré comme important. Par exemple, pendant la période de la révolution il y avait<br />
des slogans comme le suivant.<br />
e.g. haylə sɨllasse yɨwdəm « A bas Hailé Selassié! »<br />
L’utilisation de slogans comme dans l’exemple ci-dessus indique que l’Empereur était<br />
considéré comme étant le système à lui seul.<br />
Stade V : la démolition de la petite noblesse<br />
6
Enfin, nous avons une indication que la gamme de sens du mot wəddəmə a été étendue pour<br />
faire référence à d’autres agents du soi-disant système « féodal » éthiopien. Voyons un<br />
exemple.<br />
ex. s’əhay ɨnk’k’usɨlasse yɨwdəm « A bas Tsehay Enkuselase! »<br />
Les cinq stades mentionnés ci-dessus montrent clairement que le sens du mot wəddəmə s’est<br />
étendu d’une référence à la destruction de grands objets concrets à un individu. Notons qu’en<br />
présentant les cinq stades, nous ne suggérons nullement qu’il n’y a pas de chevauchement<br />
entre les cinq stades d’expansion sémantique.<br />
L’élargissement sémantique observé en connexion avec wəddəmə est sensé amplifier l’effet<br />
du sens quand il s’applique à un seul individu ou à un groupe. Il est aisé de remarquer le type<br />
d’effet que l’utilisation du terme wəddəmə « être démoli », qui est originellement employé<br />
pour signifier la destruction de grands objets concrets et inanimés, peut créer quand on<br />
l’applique à des groupes de gens ou à des individus. Des termes aussi puissants que wəddəmə<br />
étaient employés de manière incessante de manière à parvenir à une mobilisation des masses<br />
et à exhorter les gens à l’action politique.<br />
(iv) La construction linguistique dans laquelle le slogan est formulé en amharique est la<br />
modalité jussive<br />
La construction jussive est définie comme un mode grammatical de verbes de commandement<br />
et donneur d’ordre. Il est généralement convenu que l’utilisation de telles constructions<br />
grammaticales encourage une ligne de conduite. Il a été noté que les slogans en amharique<br />
apparaissent sous la forme jussive. A cette fin, l’utilisation du terme wəddəmə en construction<br />
jussive montre que le discours promeut l’action. En plus de cela, l’on doit mentionner qu’en<br />
amharique la même construction jussive est employée pour insulter, ce qui suggère un<br />
apprivoisement. Encore une fois, nous croyons que c’est un autre cas de réinterprétation par la<br />
culture locale d’un concept et d’une terminologie étrangers.<br />
ex. fiwdalizm yɨ-wdəm « A bas le féodalisme ! »<br />
5. Conclusion<br />
La plupart des écrits sur la terminologie se concentre sur le commentaire de dictionnaires<br />
terminologiques ou comment de nouveaux termes sont employés en amharique. Aucune<br />
tentative n’est faite pour analyser les termes eux-mêmes et éclairer le sens porté par la culture<br />
locales ou les cultures étrangères. Il n’y a pas non plus d’essai pour comprendre les<br />
implications de ces termes. Cet article d’un autre côté a essayé de montrer les implications<br />
politiques des termes révolutionnaires et comment la langue locale (l’amharique) a négocié le<br />
sens durant le processus de traduction, en utilisant l’exemple de ywdəm « qu’il soit démoli, à<br />
bas ». Avec plus de termes soumis au même examen, l’étendue des sens anciens portés par<br />
des termes et l’action de la langue et culture locales dans la manipulation de nouveaux<br />
termes/concepts, de même que l’implication de ces termes sur la culture politique de la<br />
révolution, pourrait être mise à jour.<br />
De plus, tous les quatre points donnés ci-dessus en relation avec le terme ywdəm (comme<br />
équivalent en amharique de « à bas ») dans les slogans, documents officiels et les médias,<br />
7
suggèrent que le sens du terme a été consciemment ou inconsciemment approprié par la<br />
langue locale. Ce terme et d’autres termes utilisés dans de tels médias aussi bien par l’Etat que<br />
par l’opposition montre une extrême animosité envers ceux qui sont extérieurs à son propre<br />
parti. Des mots tels que ywdəm « qu’il soit démoli, à bas » s’ərə « anti », səw bəlaw<br />
« cannibalistique », fašist « fasciste » étaient utilisés contre des groupes qui étaient considérés<br />
comme des ennemis. Nous pensons qu’une telle hostilité extrême a contribué aux horreurs des<br />
premières années de la révolution et a conduit au bain de sang entre fils de la révolution, si<br />
l’on peut dire.<br />
Documents publiés :<br />
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Hezbawi Haylitat Harennat Ertra, ‘mahdara qalat’, meda (Non publié, tapuscrit: 1975)<br />
‘Yewuch bale kebertewoch tigegna yehonew balabatoch sereat degafiwoch yiwdemu!!!’.<br />
Democracia. Issue No.1, 1966. (Brochure non publiée : Institut des Etudes Etiopiennes<br />
Section des Manuscrits) p.2.<br />
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