Cinq colonnes 4À LA UNEGolias Hebdo n° 301 - semaine du 5 au 11 au septembre 2013L'ambiance <strong>de</strong> ces réunions, sous l'œilinquisiteur du « Directeur Territorial »- qui griffonnait les chiffres sur un p<strong>et</strong>itcarn<strong>et</strong>, pour donner <strong>de</strong> la matière à ce rituelpathétique - était glacial... Quand, pendant<strong>de</strong>s années, on vous a assené l'idée queles fruits <strong>de</strong> votre apostolat sont le signevisible <strong>de</strong> votre saint<strong>et</strong>é personnelle... vousêtes prêt à tout pour avoir <strong>de</strong>s bons chiffres.Dans les faits, j'ai fini par comprendre queles bons recruteurs n'étaient pas les plussaints, mais les plus manipulateurs : ceuxqui n'hésitaient pas à faire du chantageaffectif, à m<strong>et</strong>tre les enfants dans <strong>de</strong>s étatsd'euphorie, à jouer <strong>de</strong> leur aura <strong>de</strong> prêtres,en particulier sur les plus influençables,voire même à mentir aux familles...G. H : Doù vient l'immense fortune <strong>de</strong> laLégion ?X. L. : Nous n'avons pas <strong>de</strong> chiffres exactssur le montant total <strong>de</strong> la fortune amasséepar la Légion du Christ <strong>de</strong>puis sa fondation,car la congrégation a une gestion opaque<strong>et</strong> se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> dévoiler ce genred'information au public. Pendant mes troispremières années, on me disait souventque la Légion du Christ avait accumulébeaucoup <strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes pour construire sesnouveaux centres... <strong>et</strong> que c'est la raisonpour laquelle nous n'avions pas les moyens<strong>de</strong> nous chauffer pendant l'hiver glacial(j'ai fait mon noviciat dans les Alpesitaliennes). Du coup, je passais mon tempsà <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'argent à ma famille ouà mes amis, pour financer l'achat d'unenouvelle soutane, par exemple.On nous envoyait régulièrement pourparticiper à <strong>de</strong>s tournées <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong>fonds. Pour cela, nous avions une liste <strong>de</strong>gens qui avaient fait <strong>de</strong>s dons à l'une <strong>de</strong>nos œuvres – sans savoir forcément quecela dépendait <strong>de</strong> la Légion du Christ – <strong>et</strong>il fallait arriver à se faire inviter chezelles... « pour les remercier ». Si le poissonmordait, nous allions chez ces personnes,<strong>et</strong> nous avions alors une <strong>de</strong>mi-heure pourgagner leur amitié, <strong>et</strong> ouvrir leur portemonnaie! Je fais encore <strong>de</strong>s cauchemarsquand je pense aux situations extrêmementgênantes que j'ai vécues quand j'ai moimêmeparticipé à ces tournées. Mon Dieu !âgées, veuves, en état <strong>de</strong> faiblesse <strong>et</strong> trèsriches ; gagner leur amitié ; les m<strong>et</strong>treen état <strong>de</strong> sujétion ; si possible les isolerdu reste <strong>de</strong> leur famille... <strong>et</strong> les soulager<strong>de</strong> leur héritage ! Il y a eu plusieurs cas,dont celui <strong>de</strong> Flora Barragan, au Mexique,qui était l'une <strong>de</strong>s femmes les plus richesdu pays, <strong>et</strong> qui a pratiquement fini sur lapaille (<strong>et</strong> bien sûr, lorsqu'il eût fini <strong>de</strong> laplumer, le père Maciel a subitement arrêté<strong>de</strong> s'intéresser à elle !). Il y a égalementle cas <strong>de</strong> Mrs Mee, aux Etats-Unis, à quila Légion du Christ a réussi à extorquerquelques 28 millions <strong>de</strong> dollars... Ce cas estparticulièrement pathétique, parce que MrsMee est morte en 2008, <strong>et</strong> les supérieurs <strong>de</strong>la Légion n'ont bien sûr pas pris le soin <strong>de</strong>l'informer <strong>de</strong> la vérité sur les vicissitu<strong>de</strong>sdu père Maciel... Actuellement sa nièce esten procès aux Etats-Unis contre la Légion,afin <strong>de</strong> récupérer l'héritage.G. H : Comment la Légion a-t-elle réussià avoir autant d'influence au Mexique<strong>et</strong> en Amérique latine ?X. L. : La Légion du Christ a usé <strong>de</strong> lamême technique que l'Opus Dei : elles'est présentée comme un rempart contrel'infiltration <strong>de</strong> courants marxistes ausein <strong>de</strong> l'Eglise catholique. Ces <strong>de</strong>rnièresannées, j'ai fait beaucoup <strong>de</strong> recherchesafin <strong>de</strong> comprendre ce qui s'était passé.J'ai notamment interrogé <strong>de</strong>s religieux quiavaient travaillé sur le terrain : <strong>de</strong>s jésuites<strong>et</strong> <strong>de</strong>s spiritains, essentiellement... Voici ceque je peux dire : entre les XVI e <strong>et</strong> XIX esiècles, l'Eglise collaborait étroitementavec les institutions civiles, <strong>et</strong> formaitnotamment les élites <strong>de</strong>s nations. Elledonnait une légitimité religieuse à lastructure hiérarchique <strong>de</strong> la société.Mais au début du XX e siècle, ce modèlea commencé à s'essouffler, à générer<strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s secondaires très néfastes. Eneff<strong>et</strong>, les inégalités se sont accentuées, <strong>et</strong>l'apparition <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> communication– notamment la télévision – a permis auxpauvres <strong>de</strong> voir comment vivaient lesriches : quand 5 % d'une nation vit dansl'opulence, <strong>et</strong> que les 95 % restants crèvent<strong>de</strong> faim, cela génère <strong>de</strong>s tensions, <strong>de</strong>sfrustrations... <strong>et</strong> c'est cela le moteur <strong>de</strong> lacorruption, comme l'explique très justementle cardinal dans le livre d'Olivier Le Gendre(Confessions d'un cardinal, éd. JC Lattès).Le mouvement qu'on a appelé la« Théologie <strong>de</strong> la Libération » est né <strong>de</strong> laprise <strong>de</strong> conscience que l'Eglise ne <strong>de</strong>vaitpas se m<strong>et</strong>tre « du côté <strong>de</strong>s riches <strong>et</strong> <strong>de</strong>spuissants » <strong>et</strong> <strong>de</strong>vait même lutter pourune plus juste répartition <strong>de</strong>s biens. Et cela,c'est un principe qui s'accor<strong>de</strong> très bienavec l'Evangile ! Mais certains penseurs ontMais la plus grosse partie <strong>de</strong> la fortune<strong>de</strong> la Légion du Christ vient <strong>de</strong> ses« grands bienfaiteurs ». Dès la fondation,le père Maciel a compris qu'il fallaitprendre l'argent là où il se trouvait... Satechnique était simple : repérer <strong>de</strong>s dames
Golias Hebdo n° 301 - semaine du 5 au 11 au septembre 20135Cinq colonnesÀ LA UNEcommencé à parler <strong>de</strong> marxisme, <strong>et</strong> cela aprovoqué <strong>de</strong>s réactions <strong>de</strong> stupeur dans lasociété établie, comme dans les instancesvaticanes. Le marxisme était pour principeune doctrine athée <strong>et</strong> idéologique !A partir <strong>de</strong> là, la porte était gran<strong>de</strong> ouvertepour Maciel <strong>et</strong> Balaguer, qui ont reçu labénédiction officielle du Vatican pourreconquérir l'Amérique latine. Ce n'estpas un hasard si la Légion <strong>et</strong> l'Opus Deise sont toujours présentées comme « lesnouveaux jésuites » : manière <strong>de</strong> dire queles jésuites avaient trahi leur vocation...Pour la classe dirigeante du pays, c'étaitune bénédiction, puisque ces nouvellescommunautés assuraient, au nom du Christ<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'Eglise, le maintien d'un type <strong>de</strong>société très inégalitaire... Et c'est ainsi quela Légion du Christ n'a eu aucune peine àrécolter les fonds pour créer <strong>de</strong>s écoles <strong>et</strong><strong>de</strong>s universités dans lesquelles elle forme,entre autres, l'élite <strong>de</strong> la société mexicaine.Des écoles aux frais <strong>de</strong> scolarité prohibitifs,bien sûr...G. H. : Quel a été le déclic ? Le moment oùvous avez décidé <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> la Légion ?X. L. : Tant que j'étais dans les centres <strong>de</strong>formation, j'acceptais en serrant les <strong>de</strong>nts,<strong>et</strong> en me disant « Je ne comprends pas,mais j'accepte ! ». Mais quand je me suisr<strong>et</strong>rouvé en position d'apostolat, avec duchiffre à faire, <strong>et</strong> toute c<strong>et</strong>te méthodologienauséabon<strong>de</strong>... l'idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir à mon tourun bourreau m'a fait sombrer jour aprèsjour dans la dépression. J'étais tellementconvaincu que la Légion du Christ étaitvraiment une œuvre <strong>de</strong> Dieu – parce quebénie <strong>et</strong> encouragée par le pape – que j'avaisfini par accepter la triste idée qu'en partant,je me condamnais à aller en enfer. Et jel'ai assumé : oui, je préférais aller en enferpour l'éternité... plutôt que <strong>de</strong> continuer àvivre dans c<strong>et</strong>te infâme congrégation.G. H. : Comment ont réagi les légionnaireslorsque vous avez commencé à lesdénoncer ?X. L. : Je raconte cela en détail dans le livre.J'ai surtout reçu <strong>de</strong> nombreuses menaces.Ce n'était pas les légionnaires directementqui agissaient, mais <strong>de</strong>s jeunes, dontcertains anciens légionnaires, restés sousl'emprise <strong>de</strong> la congrégation. J'ai eu droit à<strong>de</strong>s appels malveillants, jusqu'au milieu <strong>de</strong>la nuit, pour m'empêcher <strong>de</strong> dormir ; <strong>de</strong>sinsultes ; j'ai été inscrit sur <strong>de</strong>s sites <strong>de</strong>rencontre avec <strong>de</strong>s profils <strong>de</strong> pervers sexuels...A une certaine époque, on m'inscrivait à<strong>de</strong>s newsl<strong>et</strong>ters pornographiques à chaquefois que je publiais un nouvel article. Etje dois dire que <strong>de</strong>vant la violence <strong>de</strong> cedéchaînement <strong>de</strong> haine, j'ai eu peur pourma vie.G. H. : Que représente la Légion du Christdans l'Eglise, aujourd'hui ?X. L. : Elle est très influente, même si onne s'en rend pas toujours compte, parceque son action est discrète, <strong>et</strong> souventsouterraine... L'un <strong>de</strong> ses champs d'actionprincipal est concentré à Rome, où ellepossè<strong>de</strong> sa Direction Générale, ainsique son Centre d'Etu<strong>de</strong>s Supérieures :un centre grandiose, conçu comme unevéritable machine à séduire les autorités<strong>de</strong> l'Eglise. Les légionnaires y invitentrégulièrement <strong>de</strong>s évêques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s membres<strong>de</strong> la Curie romaine. Tout est très bienpensé. Cela commence généralement parune célébration eucharistique, qui est déjàune démonstration <strong>de</strong> force : célébrerune messe pour 300 séminaristes ensoutane, archidisciplinés, c'est trèsimpressionnant ! Ensuite, on invite lesvisiteurs à dîner avec la communauté... oùils sont accueillis comme <strong>de</strong>s rois. Et puis, àla fin du repas, l'orchestre <strong>de</strong>s légionnaires– qui mobilise une quarantaine <strong>de</strong>religieux – offre un p<strong>et</strong>it concert enl'honneur <strong>de</strong> leurs hôtes. Lorsque le cardinalRé, sous l'impulsion <strong>de</strong> Jean Paul II, adécidé d'organiser en 2001 une session <strong>de</strong>formation pour les nouveaux évêques, c'estle centre <strong>de</strong>s légionnaires qui a été choisi...<strong>et</strong> la raison qu'on nous donnait, en interne,était que le pape « voulait que les évêquesvoient le miracle »... Les légionnaires sontainsi <strong>de</strong>venus l'exemple à suivre, celui quele Vatican montrait à tous les évêquesdu mon<strong>de</strong> : ce qu'on veut pour l'Eglise,c'est ça !C<strong>et</strong>te session est une bénédiction pourla Légion : parce que grâce à elle, leslégionnaires ont réussi à sympathiseravec un grand nombre d'évêques, <strong>et</strong> às'introduire dans leurs diocèses. Puisquec<strong>et</strong>te session a lieu tous les ans, avec unebonne centaine d'évêques à chaque fois, jepense que plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s évêquesactuels <strong>de</strong> l'Eglise catholique ont été forméschez les légionnaires du Christ. Mais il ya aussi les sessions <strong>de</strong> formation pour lescadres dirigeants <strong>de</strong> séminaire. Jean Paul IIavait <strong>de</strong>mandé au père Maciel <strong>de</strong> former lesformateurs <strong>de</strong>s séminaires diocésains. Unemission extrêmement importante, <strong>de</strong>stinéeà « ai<strong>de</strong>r » les diocèses du mon<strong>de</strong> entier.Evi<strong>de</strong>mment, quand on connaît la vacuitédu système <strong>de</strong> formation légionnaire...une telle mission laisse songeur. Qu'est-ceque <strong>de</strong>s légionnaires, qui vivent dans unebulle, complètement séparés <strong>de</strong>s réalitésdu mon<strong>de</strong>, dans un système idéologique<strong>et</strong> une spiritualité fumeuse... peuventbien apporter à <strong>de</strong>s futurs formateurs <strong>de</strong>séminaires ?Encore aujourd'hui, on r<strong>et</strong>rouve dans c<strong>et</strong>tesession toute l'ancienne gar<strong>de</strong> rapprochéedu père Maciel ! D'après les <strong>de</strong>rniersprospectus, la session est aujourd'huidirigée par le père Hector Guerra, ancien« Directeur Territorial » en Europe, qui –entre autres choses - a étouffé plusieursaffaires <strong>de</strong> pédophilie en France <strong>et</strong> enEspagne. Ce type <strong>de</strong>vrait être en prison, <strong>et</strong> ilest responsable d'une session <strong>de</strong> formationpour les formateurs <strong>de</strong> séminairescatholiques ! Ensuite, il faut savoir que laLégion du Christ contrôle une bonne partie<strong>de</strong> l'information dans l'Eglise, notammentgrâce à son agence <strong>de</strong> presse, Zénit.G. H. : Vous accusez Benoît XVI d'avoirdiligenté une fausse enquête...X. L. : En fait, je l'ai d'abord défendu, <strong>et</strong> mêmeavec conviction. En tant que catholique, ilme semblait normal <strong>de</strong> défendre le pape.Comme beaucoup, j'étais persuadé qu'il étaitl'homme <strong>de</strong> la situation, qu'il allait n<strong>et</strong>toyerles écuries d'Augias... Quand l'affaire aéclaté dans les médias, j'étais le seul ancienlégionnaire à parler à visage découvert enFrance, <strong>et</strong> mon blog a naturellement servi<strong>de</strong> source d'informations pour la plupart<strong>de</strong>s médias catholiques. Les faits sur Macielétaient tellement graves, <strong>et</strong> énormes...que je crois que tout le mon<strong>de</strong> se disait :« Benoît XVI va agir. Il ne peut pas êtreassez malhonnête pour étouffer un telscandale ! ». Mais on s'est tous trompé.Quelle n'a pas été ma stupeur, <strong>et</strong> madéception, quand j'ai compris – preuveaprès preuve – qu'il était en fait l'une <strong>de</strong>spièces les plus sombres du puzzle ! Cesaccusations sont graves, je le sais, maisles faits sont là, hélas. J'en ai perdu lesommeil ; j'ai pris vingt kilos, je me suismis à fumer, à sombrer dans la dépression...je me sentais trahi. Comme une femmequi aurait été abusée pendant <strong>de</strong>s années,<strong>et</strong> qui arrive au tribunal avec confiance,persuadée que la justice lui sera enfinrendue... mais qui découvre, au cours duprocès, que le juge est <strong>de</strong> mèche avec sonbourreau <strong>et</strong> que le procès est truqué. Voilà.