Cinq colonnes 6À LA UNEGolias Hebdo n° 301 - semaine du 5 au 11 au septembre 2013C'est comme ça que j'ai vécu c<strong>et</strong>te faussevisite apostolique. Benoît XVI a été en<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> tout dans c<strong>et</strong>te affaire, c'est lemoins qu'on puisse dire.G. H. : Êtes-vous sûr <strong>de</strong> ce que vousavancez ? C'est extrêmement grave...X. L. : J'avais envoyé un dossier à l'évêquechargé <strong>de</strong> la visite en France, Mgr Blazquez,<strong>et</strong> il m'avait répondu qu'il me contacterailors <strong>de</strong> son passage à Paris. J'avais prisune année sabbatique afin <strong>de</strong> me rendredisponible pour c<strong>et</strong>te visite, entre autresraisons. Je lui avais également envoyéune liste <strong>de</strong> personnes qui désiraient lerencontrer. Il s'agissait d'autres ancienslégionnaires, ou consacrées, ou encorequelques familles affectées. Et bien sûr,personne n'a jamais été contacté. Et puisun jour, j'ai appris que Mgr Blazquez étaitvenu à Paris, qu'il avait visité les centres<strong>de</strong> la Légion... D'après les témoignagesque j'ai reçus, il aurait expliqué à tousles religieux que le Pape voulait sauverla Légion <strong>et</strong> que l'Eglise reconnaissaitson charisme. C'est tout simplementincroyable ! On voit bien que les visiteursne sont pas venus pour faire une enquête,mais pour empêcher les légionnaires <strong>de</strong>s'en aller. Les conclusions <strong>de</strong> l'enquêteavaient été décidées avant l'enquête ellemême! Je connais un légionnaire qui étaità ce moment là en France. Il allait trèsmal, il était au bout du rouleau <strong>et</strong> espéraitjuste quelques paroles <strong>de</strong> consolations,mais l'évêque l'a pratiquement menacé :« Non, non, non : vous ne <strong>de</strong>vez pas quitterle navire, malheureux ! Le pape a besoin<strong>de</strong> vous pour re-fon<strong>de</strong>r la Légion ! ». C'estécœurant. Le simple fait que rien n'aitété arrêté pendant le temps <strong>de</strong> l'enquêtemontre bien que Benoît XVI n'avait pas prisacte <strong>de</strong> la gravité <strong>de</strong> la situation. Quandvous découvrez que le fondateur (le PèreMaciel) <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s congrégations les plusinfluentes au Vatican est un criminel sansscrupule, un violeur d'enfant, un drogué,un manipulateur, apostat, polygame, j'enpasse <strong>et</strong> <strong>de</strong>s meilleurs, la première choseque vous faites, c'est <strong>de</strong> tout arrêter : lesordinations, le recrutement... <strong>et</strong> vous faitesune véritable enquête. On ne laisse pasentrer <strong>de</strong>s nouvelles recrues dans unecommunauté dont on a toutes raisons <strong>de</strong>penser qu'elle a <strong>de</strong>s dysfonctionnementsgraves ! On n'ordonne pas <strong>de</strong>s séminaristesdont on a toutes les raisons <strong>de</strong> penser qu'ilsn'ont pas cheminé librement ! On nage enplein délire...<strong>Xavier</strong> <strong>Léger</strong>,lors <strong>de</strong> ses vœux religieux en 2001G. H. : Depuis quand Joseph Ratzingersavait-il toute la vérité sur le PèreMaciel ?X. L. : Dans les années 1990, les victimes duPère Maciel ont commencé à se m<strong>et</strong>tre encontact <strong>et</strong> à tenter <strong>de</strong> se faire entendre parle Vatican. En vain. Ils ont bien essayé <strong>de</strong>passer par les voies officielles, notammentpar le nonce apostolique, Mgr Justo Mullor,mais ils ont hélas bien vite compris que ce<strong>de</strong>rnier était trop intéressé par sa carrièrepersonnelle pour risquer <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r. Alorsils se sont tournés vers la presse. Le scandalea commencé à éclater en 1997, dans unjournal américain, <strong>et</strong> le cardinal Ratzingera nécessairement été informé. A c<strong>et</strong>teépoque, cela faisait déjà seize ans qu'il étaità la tête <strong>de</strong> la Congrégation pour la Doctrine<strong>de</strong> la Foi (CDF) : difficile <strong>de</strong> croire qu'iln'avait jamais reçu d'autres accusations surMaciel, ou sur le fonctionnement sectaire<strong>de</strong> la Légion du Christ. Ensuite, à la fin <strong>de</strong>l'année 1998, les victimes du Père Macielont déposé une plainte canonique à la CDF.D'après le Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Droit Canonique, le crime« d'absolution du complice » n'était pas suj<strong>et</strong>à prescription. C<strong>et</strong>te plainte rassemblait <strong>de</strong>nombreux témoignages, accablants, <strong>et</strong> avaitété apportée directement par les victimesaux bureaux <strong>de</strong> la CDF. Mais le cardinalRatzinger a refusé <strong>de</strong> traiter ce dossier.Il y a <strong>de</strong>s témoignages, notamment celuid'Alberto Athié, un prêtre mexicain qui apris la défense <strong>de</strong>s victimes du père Maciel –<strong>et</strong> a dû quitter le sacerdoce à cause <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teaffaire – montre clairement que le cardinalRatzinger a fait le choix <strong>de</strong> ne pas traiterce dossier, bien qu'étant au courant <strong>de</strong> lagravité <strong>de</strong>s accusations. Très curieusement,le cardinal Ratzinger a procédé à <strong>de</strong>smodifications dans le Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> DroitCanonique, qui ajoutait une prescriptionau délit « d'absolution du complice », aveceff<strong>et</strong> rétroactif. Comme par hasard ! Ce quiest à peine croyable, c'est qu'il ait pu laisser<strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> légionnaires <strong>et</strong> <strong>de</strong> membresdu Regnum Christi (l'association <strong>de</strong>s laïcs)adorer leur fondateur pendant plus <strong>de</strong> dixans, sans pratiquement rien faire ! C<strong>et</strong>teirresponsabilité fait froid dans le dos !G. H. : En 2006, Benoît XVI a quand même<strong>de</strong>mandé à Maciel <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>irer...X. L. : La sanction <strong>de</strong> 2006 était une tap<strong>et</strong>tesur les doigts du père Maciel. D'ailleurs,ce <strong>de</strong>rnier n'a jamais obéi à la sanction.Quand on regar<strong>de</strong> l'histoire avec un peu<strong>de</strong> recul, on comprend que Benoît XVI n'apas pris c<strong>et</strong>te sanction pour punir Maciel,mais parce qu'il ne pouvait plus continuer
Golias Hebdo n° 301 - semaine du 5 au 11 au septembre 20137Cinq colonnesÀ LA UNEà étouffer le scandale. Il voulait protégerla Légion du Christ... alors il a joué la partie<strong>de</strong> façon très diplomatique.G. H. : Certains disent que Maciel étaittrop vieux pour qu'on lui fasse unprocès. Il serait mort avant la fin...Je répondrais plusieurs choses... D'abordqu'il est très dommage que Benoît XVI aitattendu 2006 pour commencer à agir. Ilaurait lancé une procédure en 1998, celan'aurait posé aucun problème... <strong>et</strong> celaaurait certainement permis à un certainnombre <strong>de</strong> personnes (moi inclus) <strong>de</strong> ne pasentrer dans c<strong>et</strong>te congrégation luciférienne.Ensuite, que le père Maciel a passé sa vie àéchapper à toute justice. Un procès auraitété d'abord, pour Maciel, l'occasion <strong>de</strong> seconfronter une fois dans sa vie à la justice,<strong>et</strong> peut-être <strong>de</strong> se repentir. Il arrive parfoisque <strong>de</strong>s criminels se repentent lorsqu'ilssont confrontés à la justice <strong>de</strong>s hommes.Quelque part, je ne peux m'empêcher <strong>de</strong>me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si Benoît XVI n'a pas privé lePère Maciel <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> sauver sonâme ! C'est terrible ! Enfin, que la justicene sert pas uniquement à condamner lescoupables : elle sert faire la vérité, afinque les victimes puissent être reconnuescomme victimes. C'était d'ailleurs le pointle plus important pour les victimes <strong>de</strong>Maciel, lesquelles avaient été traînées dansla boue pour avoir osé dénoncer les abusqu'ils avaient subis dans leur enfance !G. H. : Parlez-nous <strong>de</strong>s documentssecr<strong>et</strong>s, sortis du Vatican...X. L. : Lorsque le cardinal Ratzinger estarrivé sur le trône <strong>de</strong> Pierre, il a <strong>de</strong>mandé àquelques collaborateurs d'ouvrir toutes lesarchives relatives au Père Maciel, auxquellespersonne n'avait accès, car à l'époque lesdossiers postérieurs à 1940 étaient scellés.Il y avait donc quelque chose <strong>de</strong> gravequi le tourmentait. 212 documents ont étéréunis : <strong>de</strong>s l<strong>et</strong>tres, <strong>de</strong>s fax, <strong>de</strong>s notes <strong>de</strong>service, <strong>de</strong>s articles... Ces documents ontété ensuite étudiés <strong>et</strong> résumés. Et ainsi, ilsont constitué un 213ème document : untableau avec <strong>de</strong>s résumés <strong>de</strong> tous les autresdocuments.G. H. : Et que prouvent ces documents ?X. L. : Ils prouvent que les autorités <strong>de</strong>l'Eglise étaient au courant <strong>de</strong> tout <strong>de</strong>puisla fin <strong>de</strong>s années 1940, <strong>et</strong> qu'elles ont passéleur temps à protéger Maciel !G. H. : Comment ces documents ont-ilspu sortir ?X. L. : Les personnes qui ont travaillé surces documents ont compris que BenoîtXVI allait comm<strong>et</strong>tre la même erreur queses prédécesseurs : vouloir « sauver laLégion » à tout prix. Une illusion, bien sûr...Alors, ces prélats se sont r<strong>et</strong>rouvés <strong>de</strong>vantun terrible problème <strong>de</strong> conscience... <strong>et</strong> ils ontdécidé <strong>de</strong> transm<strong>et</strong>tre ces documents à unepersonne capable <strong>de</strong> les exploiterintelligemment : C'est ainsi qu'ils sont allésà la rencontre d'un universitaire mexicain,Fernando Gonzalez. C'était fin 2005, oudébut 2006. En fait, à ce moment-là, ils luiont donné 201 documents. Et puis, quelquesannées plus tard, quand ils ont vu queBenoît XVI accélérait la béatification <strong>de</strong> JeanPaul II, ils sont revenus vers lui <strong>et</strong> lui onttransmis l'intégralité <strong>de</strong>s 213 documents.G. H. : Pourquoi n'en a-t-on pas entenduparler ?X. L. : Certes, les documents ont été exploités,mais au Mexique l'Eglise possè<strong>de</strong> une empris<strong>et</strong>ellement forte sur la culture, que l'affaire aeu beaucoup <strong>de</strong> mal à percer.G. H. : Pourtant, certains journalistesaffirment que Benoît XVI a eu, aucontraire, un comportement exemplairedans c<strong>et</strong>te affaire...X. L. : Certains journalistes se sont laissésenfumer. D'autres – <strong>et</strong>, pour moi, c'est encorequelque chose d'assez mystérieux – ontmanifestement pris le parti <strong>de</strong> cautionnerle mensonge. Je dois dire que j'ai étéparticulièrement stupéfait <strong>de</strong> découvrir laversatilité <strong>de</strong> la presse catholique, qui dansun premier temps s'était intéressée à moi <strong>et</strong>n'hésitait pas à m'encenser (J'ai gardé tousleurs messages !)... mais lorsque j'ai comprisque Benoît XVI mentait <strong>et</strong> que je l'ai dit surmon blog, je suis <strong>de</strong>venu infréquentable, dujour au len<strong>de</strong>main ! C'est intéressant, car vousvoyez par là que les médias catholiques, dansle fond, ne cherchent pas à défendre la véritéquand elle est piétinée, comme on pourraitl'espérer <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> personnes professantl'Evangile, mais plutôt à défendre l'Eglise,<strong>de</strong> façon pratiquement compulsive. Certainsn'hésitent pas à induire leurs lecteursdans l'erreur. Dans quel Evangile Jésusnous enseigne-t-il à mentir pour protégerl'Eglise ? Si tous les médias catholiquesavaient eu le courage <strong>de</strong> dénoncer lesmanipulations <strong>de</strong> Benoît XVI... le pape auraitpeut-être ouvert les yeux, <strong>et</strong> compris sonerreur ! J'aimerais ici saluer le courage <strong>de</strong> larevue Golias. Je dois avouer, parce que c'est lavérité, que c'est la seule revue francophoneà avoir eu le courage <strong>de</strong> dénoncer <strong>de</strong>puisle début les dérives <strong>de</strong> la Légion, commecelles <strong>de</strong> l'Opus Dei, <strong>de</strong>s Béatitu<strong>de</strong>s ou <strong>de</strong> laCommunauté Saint Jean.G. H. : Ne pensez-vous pas que l'Eglise aitréussi à assainir la Légion, aujourd'hui ?X. L. : Non. Il n'y a pas eu <strong>de</strong> diagnostic,donc il ne peut pas y avoir <strong>de</strong> guérison.Et toutes les informations que nousrecevons régulièrement sur l'état actuel <strong>de</strong>la congrégation nous le confirment jouraprès jour. Les changements sont d'ordrecosmétique. Sur le fond, rien n'a changé.Et puis, dès qu'un légionnaire commenceà poser <strong>de</strong>s questions ou à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>schangements, il est menacé, envoyé enmission, ou expulsé <strong>de</strong> la congrégation. Labonne vieille métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> Maciel est encoreà l'œuvre. On ne soigne pas un cancer avec<strong>de</strong>s aspirines.G. H. : Espérez-vous faire réagir l'Eglise,grâce à votre témoignage ?X. L. : Ce serait merveilleux, mais je doisvous avouer que j'ai fait le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> c<strong>et</strong>teidée. Ce n'est pas à moi <strong>de</strong> sauver l'Eglise.Cela, je le laisse au Christ ! Tout ce que jesais, c'est qu'on ne construit pas l'Eglise sur<strong>de</strong>s mensonges, <strong>et</strong> que dans c<strong>et</strong>te affairelà, l'Eglise s'est profondément fourvoyée,conduisant dans sa folie <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> vieshumaines dans <strong>de</strong>s situations dramatiques.Ce qui m'intéresse, ce sont les victimes.G. H. : La suite <strong>de</strong>s événements ?X. L. : Je veux tourner la page. J'ai accomplimon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> conscience. Maintenant, jeveux pouvoir vivre, <strong>et</strong> enfin penser à autrechose. Ce <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> conscience m'a coûtétrès cher : voilà quatre ans que je passe trois,quatre, cinq heures par jour à m'occuper<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te affaire, bien ingrate. Je n'y aijamais rien gagné, outre <strong>de</strong>s menaces <strong>et</strong> <strong>de</strong>sinsultes. J'y ai laissé beaucoup <strong>de</strong> larmes, <strong>de</strong>sueur, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> l'argent... à un moment oùje <strong>de</strong>vrais pourtant travailler sans relâchepour reconstruire ma vie. J'ai fait tout c<strong>et</strong>ravail par <strong>de</strong>voir, parce qu'il fallait que jele fasse, mais aujourd'hui je n'en peux plus.Alors j'ai pris la décision <strong>de</strong> tout arrêter :les sites intern<strong>et</strong>, les forums, les congrès,<strong>et</strong>c.