frédérique lemerlearchitecture et accid<strong>en</strong>ts au xvi e siècleIl dut aussi créer après coup un cabinet contigu à la chambre du dauphin H<strong>en</strong>ri,<strong>en</strong>tre temps dev<strong>en</strong>u roi.<strong>La</strong> contrainte y était pour n’avoir espace ou lieu pour le faire au corpsd’hôtel qui ja était comm<strong>en</strong>cé, ne aussi au vieil logis qui était fait,de sorte qu’on ne trouvait ri<strong>en</strong> à propos <strong>en</strong> ce lieu pour faire leditcabinet. Car après la salle était l’antichambre, puis la chambre du roi,et auprès d’elle, <strong>en</strong> retournant à côté, était <strong>en</strong> pot<strong>en</strong>ce la garde-robe.Voyant donc telle contrainte et angustie du lieu, et outre ce connaissantqu’il est nécessaire et plus que raisonnable d’accompagner leschambres des rois et grands princes et seigneurs d’un cabinet, (à finqu’ils se puiss<strong>en</strong>t retirer <strong>en</strong> leur privé et particulier, soit pour écrireou traiter des affaires <strong>en</strong> secret, ou autrem<strong>en</strong>t) je fus rédigé (au s<strong>en</strong>slatin du terme) <strong>en</strong> grande perplexité, car je ne pouvais trouver leditcabinet sans gâter le logis et les chambres, qui étai<strong>en</strong>t faites suivantles vieux fondem<strong>en</strong>ts et autres murs que l’on avait comm<strong>en</strong>cés premierque je y fusse. Or qu’advint il ? je dressai ma vue sur un anglequi était près la chambre du roi par le dehors, du côté du jardin, etme sembla être fort bon d’y faire une voûte surp<strong>en</strong>due <strong>en</strong> l’air, à finde plus commodém<strong>en</strong>t trouver place à faire ledit cabinet. Ce quifut fait, étant la voûte <strong>en</strong> forme de trompe, à fin de la r<strong>en</strong>dre plusforte pour porter les maçonneries et charges qu’il fallait mettre parle dessus, pour fermer de pierre de taille ledit cabinet, et le couvrir<strong>en</strong>core d’une voûte de four, étant aussi toute de pierre de taille, sansy mettre aucun bois.²¹ (Fig. 14)Les trompes de l’hôtel Bullioud à Lyon et la fameuse trompe d’Anet fur<strong>en</strong>t doncune réponse technique à un problème d’espace. L’art du trait, ou stéréotomie,savoir jusque-là transmis dans le cadre des corporations, est précisém<strong>en</strong>t théorisépar De l’Orme <strong>en</strong> 1567 dans les livres III et IV de son Premier tome. Il l’érige<strong>en</strong> une véritable discipline, qui fut largem<strong>en</strong>t diffusée par le support du Livreimprimé²².Le nouveau langage de Michel-AngeMichel-Ange quant à lui révolutionna la pratique architecturale et s’imposacomme un modèle à l’égal des Anci<strong>en</strong>s. À Flor<strong>en</strong>ce, à S. Lor<strong>en</strong>zo, il eut à pr<strong>en</strong>dre<strong>en</strong> compte les constructions médiévales pour aménager au-dessus des logem<strong>en</strong>tsmonastiques la bibliothèque destinée à abriter les nombreux volumes de la col-21. Premier tome, IV, 1, fº 88.22. Voir la prés<strong>en</strong>tation de l’ouvrage par Yves Pauwels et Philippe Potié sur le site <strong>«</strong> Architectura <strong>»</strong>du <strong>CESR</strong> (http ://www.cesr.univ-tours.fr/architectura/Traite/Notice/ENSBA_Les1653.asp).8http://umr<strong>6576</strong>.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvid<strong>en</strong>ce
frédérique lemerlearchitecture et accid<strong>en</strong>ts au xvi e sièclelection Médicis (1519-1559). Tirant parti des contraintes extérieures et des désirsdu commanditaire, Jules de Médicis, dev<strong>en</strong>u Clém<strong>en</strong>t VII, il adopta une structurery thmée par des contreforts dont les travées définir<strong>en</strong>t le décor intérieur dusol, du plafond ainsi que des parois. À la sobriété de la salle de lecture, lieu vouéà l’étude, il opposa la forte plasticité du vestibule (Ricetto). <strong>La</strong> grande hauteurcomme la faible largeur du vestibule l’incitèr<strong>en</strong>t à créer un langage expressif inédit,avec des parois scandées par des colonnes doubles nichées et des tabernaclesaux frontons triangulaires ou segm<strong>en</strong>taires surmontés de fins motifs quadrangulairesà guirlandes, variantes de ceux de la salle de lecture. Toutes les lic<strong>en</strong>ces qu’ils’autorisa (colonnes aux chapiteaux et aux bases originaux, consoles <strong>en</strong> sailliepar rapport aux colonnes qu’elles sont c<strong>en</strong>sées supporter, pilastres <strong>en</strong> gaine canneléset rud<strong>en</strong>tés avec des glyphes placés <strong>en</strong> dessous) fournir<strong>en</strong>t un répertoireornem<strong>en</strong>tal dans lequel puisèr<strong>en</strong>t plusieurs générations d’architectes. Au PalaisFarnèse, il utilisa au troisième niveau du cortile un ordre composite inédit²³.Au Capitole le Flor<strong>en</strong>tin parvint à créer une place régulière, où les monum<strong>en</strong>tsparticipai<strong>en</strong>t à l’unité d’<strong>en</strong>semble, malgré un site très accid<strong>en</strong>té, bordé au nordpar la butte occupée par Santa Maria Aracœli. <strong>La</strong> conception dynamique d’unearchitecture où forces verticales et horizontales parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à s’équilibrer, nonsans t<strong>en</strong>sion, émerveillait Bernin qui vit s’achever le palazzo Nuovo²⁴.<strong>La</strong> modernité de la Regola de VignoleDans le nouveau langage à l’antique fondé sur les cinq ordres d’architecture,dont les proportions avai<strong>en</strong>t été définies pour quatre d’<strong>en</strong>tre eux par Vitruveet revisitées par les divers théorici<strong>en</strong>s, principalem<strong>en</strong>t Serlio et Philandrier, lahauteur de la colonne et de son <strong>en</strong>tablem<strong>en</strong>t est liée à un module, le diamètre dela colonne²⁵. Le système modulaire qui détermine les relations proportionnelles23. Antonio da Sangallo n’avait réalisé que le rez-de-chaussée (dorique) et la partie inférieure dupremier étage du cortile. Michel-Ange compléta ce niveau (ionique) dans un style assez sobre maisdéploya tout son génie inv<strong>en</strong>tif dans le traitem<strong>en</strong>t du dernier niveau, qui rompait totalem<strong>en</strong>t avecles deux autres dans sa structure comme dans l’ornem<strong>en</strong>t.24. Le palais du Sénateur, construction médiévale édifiée sur l’anci<strong>en</strong> Tabularium, était longé ausud par le palais des Conservateurs plus réc<strong>en</strong>t (début xve siècle). Pour intégrer ces deux édificesqui n’étai<strong>en</strong>t pas implantés à angle droit, Michel-Ange choisit une place trapézoïdale, dont lepavem<strong>en</strong>t au motif <strong>en</strong> étoile au profil bombé repr<strong>en</strong>ait la forme du piédestal de la statue équestrede Marc-Aurèle, alors conservée au <strong>La</strong>tran. Le choix de la forme ovale, jusqu’ici inusitée, pour lepiédestal comme pour le pavem<strong>en</strong>t permit à l’architecte de combiner la c<strong>en</strong>tralité, marquée par lastatue antique, et l’axialité dont l’<strong>en</strong>trée du palais du Sénateur était l’aboutissem<strong>en</strong>t, face à la ramped’accès. De nouvelles façades fur<strong>en</strong>t prévues. Un édifice id<strong>en</strong>tique au palais des Conservateurs futprévu de l’autre côté : le palazzo Nuovo, comm<strong>en</strong>cé <strong>en</strong> 1603, ne fut achevé que vers 1650-1660.25. Voir F. Lemerle, Les Annotations de Guillaume Philandrier sur le De architectura de Vitruve,Livres I à IV, Introduction, traduction et comm<strong>en</strong>taire, Paris, Picard, 2000, p. 36-43.9http://umr<strong>6576</strong>.cesr.univ-tours.fr/Publications/HasardetProvid<strong>en</strong>ce