10.07.2015 Views

voir le document en pdf - Icem

voir le document en pdf - Icem

voir le document en pdf - Icem

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQTECHBIMESTRIEL


SOMMAIREC. FREINET ... . . . . . .. . Ptemiers résubatsM.-A. BLOCH.. ..Libres riflaioDS d'an <strong>le</strong>cteur et amiC. COMBET. . . . . . ... . Alain et <strong>le</strong>s techniques modernesJ. VUILLET. . . .. . .. . . La méthode naturel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ctme à la lumière de 1. P.PavlovC. COMBET. .. . .. . .. . Le s<strong>en</strong>s des lointains dans <strong>le</strong> monde de l'ado<strong>le</strong>sc:<strong>en</strong>t etson expression poétiqueA. CHEV ALlER. . . . .. Problèmes de jeunesP. LE BOHEC....... L'Eoo<strong>le</strong> Moderne et <strong>le</strong>s langues loc:a<strong>le</strong>sP. CABANES.... . .. . . Le profil vitalLes livresComité de Patronage•M. Ad. FERRIÈREM. R. DOTTRENS, G<strong>en</strong>èveM. CROS, Directeur de l'Institut Pédagogique NationalM. CHAGOT, Sous-Directeur de l'Institut Pédagogique NationalM. BLOCH, Professeur à la Faculté des Lettres de Ca<strong>en</strong>M. MUCCHIELLI, Professeur de psychologie à la Faculté de R<strong>en</strong>nesM. MAUCO, Directeur. du C<strong>en</strong>tre psycho-pédagogique Claude Bernard, à ParisM. DELCHET, Directeur du Laboratoire de pédagogie expérim<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de l'Universitéde LyonM. LEFEBVRE, Inspecteur primaire à AlgerM. CHEVALIER, Inspecteur primaire à DunkerqueM. UEBERSCHLAG, Inspecteur primaire à la RéunionDr FRIEDEMANN, Directeur de l'Institut d'Hygiène m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de Bi<strong>en</strong>ne (Suisse)M. LAPORTA, Directeur de l'Eco<strong>le</strong> Pestalozzi, à Flor<strong>en</strong>ce (Italie)M. ISCHER, Directeur des Etudes pédagogiques à Neuchâtel (Suisse)•Comité de RédactionMmes Elise FREINET, Made<strong>le</strong>ine PORQUET.MM. C. COMBET, G. JAEGLY, J. VUILLET, C. FREINET, P. LE BOHEC,M.-E. BERTRAND, P. DELBASTY.


·. Premiers résultats .par C. FREINETNous étions naguère confinés dans notre destin de «primaires », commeces ouvriers manuels qui, faute d'une culture, ne pourront jamais détacherde <strong>le</strong>urs mains pourtant subti<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s p<strong>en</strong>sées qui y ont été ébauchées. Nousparlions avec une foi suspecte de la portée psychologique, pédagogique etsocia<strong>le</strong> des outils nouveaux dont nous disions, dont nous prouvions l'émin<strong>en</strong>ce.Les textes, <strong>le</strong>s poèmes, <strong>le</strong>s dessins et peintures nés de l'expression libre d<strong>en</strong>os <strong>en</strong>fants dégagés du carcan scolastique, nous paraissai<strong>en</strong>t émouvants etsignificatifs, comme ces gravures qui, sur <strong>le</strong>s parois des grottes préhistoriques,témoign<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, après des millénaires, d'une humanité, d'une spiritualitéchaudes, vibrantes, et actuel<strong>le</strong>s.. Mais nous n'<strong>en</strong> restions pas moins, <strong>en</strong> face de productions dont nous s<strong>en</strong>tioriS<strong>le</strong>s Vertus comme Je paysan qui, devant l'or de ses blés mûrs ou au milieud'un verger de Jête, éprouve comme une secrète et indéfinissab<strong>le</strong> émotionqu'analysera peut-être, pour la lui révé<strong>le</strong>r, ·<strong>le</strong> spécialiste consci<strong>en</strong>t des aspectsdivers de la poésie et de l'art.L'artiste et <strong>le</strong> poète, ou <strong>le</strong> philosophe, n'avai<strong>en</strong>t point <strong>en</strong>core pénétré jusqu'ànotre demeure. Et si quelque original s'av<strong>en</strong>turait parfois jusqu'à détecternos· richesses, <strong>le</strong> chœur des opposants lui prouvait, au nom des Traditions etde la Sci<strong>en</strong>ce, que nous nous étions prét<strong>en</strong>tieusem<strong>en</strong>t av<strong>en</strong>turés dans des voiessans issues.Et nous <strong>en</strong> étions parfois indécis et troublés.Nous avons dit nos certitudes expérim<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s et nos doutes théoriques;n()us avons apporté notre œuvre sur <strong>le</strong>s bancs de justice où nous avonsappelé à <strong>le</strong>s examiner <strong>le</strong>s experts susceptib<strong>le</strong>s de l'apprécier et de la juger ... Nous avons eu l'avantage de trouver autour de nous l'équipe compréh<strong>en</strong>sivequi nous a permis de démarrer. Le numéro 1 de notre revue Techniques dl3Vie est déjà parti vers son destin.Le dialogue est comm<strong>en</strong>cé, <strong>en</strong>courageant et prometteur.La confrontation que nous souhaitons <strong>en</strong>tre théorici<strong>en</strong>s et pratici<strong>en</strong>s sefait d'une part dans la juxtaposition d'études spécialisées sur <strong>le</strong>s divers aspectsde nos techniques, et nous remercions <strong>le</strong>s amis qui ont bi<strong>en</strong> voulu nousappOrter, <strong>en</strong> avant-garde, des idées qui seront comme un point de départ, etune invite aux discussions à v<strong>en</strong>ir.Les premiers artic<strong>le</strong>s ouvrai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s chemins. Ceux qui suiv<strong>en</strong>t laiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre<strong>voir</strong>déjà une infinité de pistes que nous aurons à examiner <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>,mois après mois, et qui susciteront, nous <strong>en</strong> sommes certains, d'autres initiativ,es.C'est là <strong>le</strong> travail <strong>en</strong> profondeur, pour <strong>le</strong>quel nous aurons à apporter<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur de nous-mêmes.Ces études sont, dans notre commi.me<strong>en</strong>treprise, <strong>le</strong> p<strong>en</strong>dant des confér<strong>en</strong>ces~:u cours desquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s auteurs font <strong>le</strong> tour de la question, rarem<strong>en</strong>t. suiviesd'un vrai débat, et auxquel<strong>le</strong>s répond<strong>en</strong>t parfois d'autres études et confér<strong>en</strong>ces.


moins', <strong>le</strong>s , réactions éclairées d'une sorte de « témoin» qui saura nous plongerjusqu'au nœud des problèmes majeurs.On lira, à la suite de ces notes, <strong>le</strong>s Libres Réf<strong>le</strong>xions de M. Bloch et nosréponses et mises au point.Une personnalité assez haut placée dans la hiérarchie de l'Education Natianal«:!refuse de participer à nos recherches. « Ce n'est pas par ignoranCe devotre long effort, nous écrit-il. Normali<strong>en</strong>, élève de Saint-Cloud, professeurd'EN., J.P., directeur d'EN. (et maint<strong>en</strong>ant à un autre poste), et passionnépar <strong>le</strong>s problèmes de l'éducation, rai e!u tout loisir de suivr~, depuis un tierS'de sièc<strong>le</strong>, votre t<strong>en</strong>tative. Je ne la ti<strong>en</strong>s nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour négligeab<strong>le</strong>. J'aime,et j'estime, <strong>le</strong>s hommes de foi et d'espérance. Mais je p<strong>en</strong>se aussi très fer ..mem<strong>en</strong>t -que votre manière de poser <strong>le</strong> problème éducatif n'est pas assetrigoureuse, ni fondée sur une doctrine correcte, ni appropriée aux exig<strong>en</strong>cesdes <strong>le</strong>ndemains, passionnants et diffici<strong>le</strong>s, qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t nos <strong>en</strong>fants.Je n'ai certes pas à découvrir la fraîcheur de l'<strong>en</strong>fance, mais je ne puis 1que t<strong>en</strong>ir pour hérétique une doctrine qui se borne à la louer et à lui complaireau nom d'un naturisme très sommaire. »Nous citons assez longuem<strong>en</strong>t cette <strong>le</strong>ttre pour informer' nos <strong>le</strong>cteurs qu<strong>en</strong>ous ne pr<strong>en</strong>ons pas forcém<strong>en</strong>t à notre compte <strong>le</strong>s critiques formulées pardes personnes qui jug<strong>en</strong>t notre pédagogie par simp<strong>le</strong> ouï dire et <strong>en</strong> se mépr<strong>en</strong>antradica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t sur son esprit et sur sa pratique.Il se peut que nos techniques ne soi<strong>en</strong>t pas toujours appropriées à 100 %aux exig<strong>en</strong>ces des <strong>le</strong>ndemains. Nous prét<strong>en</strong>dons seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur sontmieux appropriées que <strong>le</strong>s méthodes traditionnel<strong>le</strong>s. La doctrine que critiqueM. X ... n'est point la nôtre. Nous nous t<strong>en</strong>on~ à sa disposition pour lui fournirtous <strong>docum<strong>en</strong>t</strong>s qui lui montreront <strong>le</strong> vrai visage de notre aonunune <strong>en</strong>treprise .• ••De la trop courte discussion que nous avons eue avec <strong>le</strong> professeur Chateauil résulte aussi que nous ne nous connaissons pas suffisamm<strong>en</strong>t et que nousnous mépr<strong>en</strong>ons mutuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t sur nos conceptions et la plupart du tempssur la va<strong>le</strong>ur des mots que nous employons, des formu<strong>le</strong>s que nous avons<strong>le</strong> tort parfois de répéter sans <strong>le</strong>s a<strong>voir</strong> minutieusem<strong>en</strong>t éprouvées, surtoutlorsqu'il s'agit de degrés d'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>squels une barrière a étédressée que nous sommes loin <strong>en</strong>core de dépasser.Nous avons ainsi noté des diverg<strong>en</strong>ces de conception ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s sur uncertain nombre de points que nous aurons à discuter dans <strong>le</strong>s numéros àv<strong>en</strong>ir: <strong>le</strong> travail et <strong>le</strong> jeu, la volonté, l'intérêt, l'effort et surtout la disciplineet l'autorité.Nous assistons <strong>en</strong> effet, actuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, à une sorte de relance, je ne dispas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de l'autorité, mais aussi de la contrainte et de la punition,parfois même des châtim<strong>en</strong>ts corporels. Parce qu'une fausse conception dela discipline et une pratique trop verba<strong>le</strong> de la liberté ont échoué - ce quine nous étonne pas - on se jette aujourd'hui à corps perdu vers l'extrêmeopposé <strong>en</strong> prônant <strong>le</strong> retour à des pratiques que nous pouvions croire àjamais révolues. Car, <strong>en</strong>fin, n'est-il pas douloureusem<strong>en</strong>t paradoxal que, ànotre époque de démocratie de plus <strong>en</strong> plus généralisée, quand <strong>le</strong>s anci<strong>en</strong>speup<strong>le</strong>s colonisés secou<strong>en</strong>t <strong>le</strong> joug de la brutalité, alors qu'on par<strong>le</strong> de mettrela ,guerre hors la loi, on ne trouve ri<strong>en</strong> de mieux, pour la préparatIon deshommes libres de demain que de <strong>le</strong>ur administrer ost<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, léga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,3


méthodiquem<strong>en</strong>t, d'aucuns diront peut-être sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t, l'infinie variétédes punitions et des châtim<strong>en</strong>ts corporels que nous pouvions supposer àjamais r~yés des pratiques de -civilisés_•• •Notre première tâche, au début de -nos recherches, sera donc de déteèter<strong>le</strong>s _points- principaux sur <strong>le</strong>squels devrai<strong>en</strong>t et poprrai<strong>en</strong>t porter nos , discussions;ceux à propos desquels pourront s'affronter théories et pratiques.Nous laisserons certes <strong>le</strong> - loisir à nos collaborateurs d'étudier plus paiti~çulièrem<strong>en</strong>t tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> question. Mais nous avons p<strong>en</strong>sé que nous pourrons.de plus, pr<strong>en</strong>dre sur quelques-uns de ces thèmes l'opinion d'un certainnombre de personnalités. .Notre sièc<strong>le</strong> est caractérisé par uq déséquilibre croissant des individus,déséquilibre qui a des causes individuel<strong>le</strong>s, des causes scolaires et des causesde milieu aussi. L'accroissem<strong>en</strong>t dangereux du nombre des désadaptés, des<strong>en</strong>fants diffici<strong>le</strong>s, des élèves sans conc<strong>en</strong>tration ni volonté, rebel<strong>le</strong>s au travailscolaire et à l'effort, <strong>le</strong>s insuffisances de notre <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t ont à l'origineun déséquilibre physiologique, intel<strong>le</strong>ctuel, moral et psychique pour <strong>le</strong>quelil nous faut trouver prév<strong>en</strong>tion et remède.'Il est des méthodes, des techniques de travail qui, par <strong>le</strong>urs qualités,concour<strong>en</strong>t à donner à nos <strong>en</strong>fants un comportem<strong>en</strong>t, des techniques de vieharmonieux et équilibrés, et qui seront de ce fait recommandab<strong>le</strong>s. Il <strong>en</strong> estd'autres par contre qui sont au contraire déséquilibrantes, donc à décons,eil<strong>le</strong>r.C'est à cette première <strong>en</strong>quête que nous voudrions nous livrer, 'd'autantplus qu'el<strong>le</strong> constitue <strong>le</strong> thème de notre prochain congrès d'Avignon (La pédagogieFreinet au service de la santé m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> des <strong>en</strong>fants et des éducateurs}et qu'el<strong>le</strong> s'<strong>en</strong>castre dans <strong>le</strong> programme de l'Année Mondia<strong>le</strong> de la SantéM<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> <strong>en</strong> 1960.Voici ce qu'<strong>en</strong> dit M. Combet, membre du comité de rédaction de la revue:. Une <strong>en</strong>quête sur <strong>le</strong>s techniques équilibrantes et déséquilibrantes seraitcertainem<strong>en</strong>t d'une grande actualité et comporte d'ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> thème de l'inatt<strong>en</strong>tiondont nous voulions <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre l'étude. En effet, l'inatt<strong>en</strong>tion apparaîtbi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t comme <strong>le</strong> symptôme d'un déséquilibre m<strong>en</strong>tal plus oumoins léger, plus OU moins grave. La p<strong>en</strong>sée oscil<strong>le</strong>, la p<strong>en</strong>sée vacil<strong>le</strong>, impuissanteà se fixer, impuissante à se maîtriser. Les techniq[Aes audio-visuel<strong>le</strong>speuv<strong>en</strong>t favoriser gravem<strong>en</strong>t ce déséquilibre: captif de l'image, l'esprit <strong>en</strong>fantin(et l'esprit de l'adulte!) r<strong>en</strong>once à pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge <strong>le</strong>s données abstraitéslqui lui sont ainsi 'véhiculées. En termes techniques, un psychologue diraitque l'<strong>en</strong>fant s'arrête au signifiant (l'image) sans pousser jusqu'au signifié (<strong>le</strong>monde de significations qui s'ouvre derrière l'image mais à travers el<strong>le</strong>). Itserait intéressant de sa<strong>voir</strong> jusqu'à quel point la fascination de l'image <strong>en</strong>traînela désorganisation du langage.-Mais au fond', l'expéri<strong>en</strong>ce est faci<strong>le</strong> à réaliser.Il suffit de demander à un <strong>en</strong>fant de raconter un film. Plus l'<strong>en</strong>fant sera séduit.plus il aura de peine à mettre <strong>en</strong> ordre <strong>le</strong>s élém<strong>en</strong>ts de son récit - cette misd<strong>en</strong> ordre suppose <strong>en</strong> effet un certain détachem<strong>en</strong>t par rapport au cont<strong>en</strong>uémotionnel de la perception; t<strong>en</strong>fant n'<strong>en</strong> est pas capab<strong>le</strong>.La psychanalyse a mis én lumière un autre aspect des déséquilibres m<strong>en</strong>oftaux <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drés par l'image. L'<strong>en</strong>fant projette sur tel ou tel personnage tout<strong>le</strong> dynamisme de sa haine ou de son amour (<strong>en</strong>tre amour et haine, la délimitationn'est pas toujours faci<strong>le</strong> à ~ établir). Il joue à Tarzàn, par exemp<strong>le</strong>. Atrav,ers l'expéri<strong>en</strong>ce ludique, il devi<strong>en</strong>t Tarzan. ' P<strong>en</strong>dant quelques instants, il4


accède, sur un mode imaginaire, à un type d'humanité prestigieuse. Il y accèdèd'autant plus int<strong>en</strong>sém<strong>en</strong>t et cherche à s'y maint<strong>en</strong>ir d'autant plus que sonexist<strong>en</strong>ce quotidi<strong>en</strong>ne ne lui offre pas l'occasion d'éprouver sa va<strong>le</strong>ur personnel<strong>le</strong>.L'id<strong>en</strong>tification à un héros traduit une frustration, l'expéri<strong>en</strong>ce d'unmanque; <strong>le</strong> héros dompte <strong>le</strong>s fauves comme <strong>le</strong> garçon, inconsciemm<strong>en</strong>t, rêvede dominer la toute-puissance paternel<strong>le</strong> - et plus il souffre de cette toutepuissance, plus il a besoin d'être Tarzan; de même la fil<strong>le</strong>tte qui rêve d'êtr~un garçon s'id<strong>en</strong>tifie à un général ou à un champion de football. Il est mcas où la ·r<strong>en</strong>contre avec l'image produit un effet cathartique. (On <strong>le</strong> voitbi<strong>en</strong> dans <strong>le</strong>s expéri<strong>en</strong>ces de marionnettes de Made<strong>le</strong>ine Râmbert - cf: Lavie affective et mora<strong>le</strong> de l'<strong>en</strong>fant, édit. Delachaux.) Mais il est plus souv<strong>en</strong>t'des cas où cette r<strong>en</strong>contre ne fait que cristalliser et exacerber l'agressivit~sans jamais la liquider. Ainsi se compr<strong>en</strong>d l'influ<strong>en</strong>ce du cinéma commefacteur de délinqf,Ulnce juvéni<strong>le</strong>.Pour <strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ir directem<strong>en</strong>t à l'objet de l'<strong>en</strong>quête, je p<strong>en</strong>se qu'il faut propO$er. une liste (non limitative) de techniques, <strong>en</strong> <strong>le</strong>s classant (techniquesaudio-visuel<strong>le</strong>s, motrice, manuel<strong>le</strong>s, etc.); examiner <strong>en</strong>suite chacune d'<strong>en</strong>treell(;!s.~ tel<strong>le</strong> technique est-el<strong>le</strong>, dans tous <strong>le</strong>s cas, facteur d'équilibre ou de deséquilibre?Comm<strong>en</strong>t se traduit cet équilibre ou ce déséquilibre? Quel<strong>le</strong> expWcation peut <strong>en</strong> Ure proposée? La technique <strong>en</strong> question peut-el<strong>le</strong> être équilibrantedans certains cas; dés équilibrante dans d'autres? A quoi cela ti<strong>en</strong>t-il(au milieu <strong>en</strong>fantin? à l'âge de l'<strong>en</strong>fant? à la façon dont <strong>le</strong> maître utilise latechnique ?)...: Nous demandons à nos <strong>le</strong>cteurs et aux personnes que nous nous permettonsqe solliciter par 'l'<strong>en</strong>voi de ce numéro de répondre avec <strong>le</strong> plus de détailspossib<strong>le</strong>s à l'<strong>en</strong>quête jointe.Vous trouverez, <strong>en</strong>carté dans ce numéro, <strong>le</strong> questionnaire auquelnous vous demandons de vouloir bi<strong>en</strong> répondre5


lLibres réf<strong>le</strong>xionsd'un <strong>le</strong>cteur et amipar MARC-ANDRÉ BLOCHMon ami Freinet veut bi<strong>en</strong> me demander de formu<strong>le</strong>r <strong>en</strong> toute libertém es réactions de <strong>le</strong>cteur au premier numéro de Techniques de Vie ; et du mêmecoup quelques suggestions personnel<strong>le</strong>s pour la suite de l'<strong>en</strong>treprise. Quemes premiers mots soi<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong> remercier de cette marque r<strong>en</strong>ouveléed'estime et de confiance.Je comm<strong>en</strong>cerai par l'important artic<strong>le</strong> de M. Vuil<strong>le</strong>t qui figure presque e.ntête de ce numéro, et dirai tout à l'heure sur quels points je me . séparede lui; mais je veux d'abord marquer mon accord substantiel avec la façondont il caractérise l'originalité profonde de la démarche de Freinet commeune démarche qui, à l'opposé de cel<strong>le</strong>s des tMorici<strong>en</strong>s et des déductifs, estsans cesse remontée « de la pratique à la théorie »: cel<strong>le</strong> d'un inv<strong>en</strong>teurou d'un metteur au point de techniques pédagogiques, . dont Bertrand : '.nous,rappe<strong>le</strong>ra fort justem<strong>en</strong>t (p. 37) que la visée commune est de favoriser aumaximum l'expression libre de l'<strong>en</strong>fant.Et ici se pose sans doute la première question, la question préjudiciel<strong>le</strong>qui concerne <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s même et la justification de la création d'une nouvel<strong>le</strong>revue v<strong>en</strong>ant s'ajouter à toutes <strong>le</strong>s publications de l'Eco<strong>le</strong> Moderne Française:ne pourrait.:on p<strong>en</strong>ser que ces techniques se suffisai<strong>en</strong>t parfaitem<strong>en</strong>t à el<strong>le</strong>smêmes,et que ces publications antérieures et parmi el<strong>le</strong>s, au premier rang.l'Educateur répondai<strong>en</strong>t à tous <strong>le</strong>s besoins? Si nous posons la question, c'estpour la trancher aussitôt par la négative; non que, nous-même philosophe "de l'éducation, nous croyions céder ici à la t<strong>en</strong>tation à la fois présomptueuseet naïve de « plaider pour notre saint» ; mais parce que nous sommes convaincuque toute technique pédagogique, fût-el<strong>le</strong> la meil<strong>le</strong>ure et la plusvalab<strong>le</strong>, est toujours m<strong>en</strong>acée de se dégrader et de se mécaniser si el<strong>le</strong> n'estpas constamm<strong>en</strong>t portée et sout<strong>en</strong>ue par la consci<strong>en</strong>ce, constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue,des fins qu'el<strong>le</strong> est destinée à servir, par une réf<strong>le</strong>xion vivante sur cesfins et sur la relation qui unit à ces fins <strong>le</strong>s techniques utilisées. C'est à cett<strong>en</strong>écessité que veu<strong>le</strong>nt, croyons-nous, et très légitimem<strong>en</strong>t répondre Techniquesde Vie : au besoin d'un approfondissem<strong>en</strong>t philosophique, par <strong>le</strong>s pratici<strong>en</strong>sde l'éco<strong>le</strong> Freinet, des principes qui sous-t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur pratique. Et par ces« principes » je n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds pas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s principes de <strong>le</strong>ur pédagogie:d'une façon un peu plus spéculative chez l'un, d'une façon plus directem<strong>en</strong>t<strong>en</strong>gagée chez l'autre dans <strong>le</strong>s problèmes moraux et spirituels, familiaux, professionnelset politiques de l'instituteur, C. Combet et Le Bohec ont bi<strong>en</strong>montré que la pédagogie ne peut être isolée, sinon par une vaine abstraction,de toute une philosophie de l'exist<strong>en</strong>ce, et que cel<strong>le</strong>-ci se trouve toujours,plus ou moins consciemm<strong>en</strong>t; impliquée dans <strong>le</strong>s options proprem<strong>en</strong>t " pédagogiquesdes <strong>en</strong>seignants, et surtout de ceux qui se rang<strong>en</strong>t au parti des novateurs.Pr<strong>en</strong>dre mieux consci<strong>en</strong>ce de la philosophie qui souti<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur effort6


quotidi<strong>en</strong> dans l~urclasse , confronter <strong>le</strong>urs idéaux de vie, éclairer et coIisO-:lider--Ieui-foï'"ëommune <strong>en</strong> ces idéaux dans et par un échange fraternel, n'est-cépas' une des tâches <strong>le</strong>s plus valab<strong>le</strong>s que puiss<strong>en</strong>t se proposer des éducateurssoucieux -de dev<strong>en</strong>ir, chaque jour, de meil<strong>le</strong>urs éducateurs? Et cette tâch<strong>en</strong>'est--el<strong>le</strong> pas la plus Qaute, et l'une des plus ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s que puisse s'assignerTechniques de Vie? Les deux artiC<strong>le</strong>s que nous v<strong>en</strong>ons de citer nousparaiss~nt,dans cette direction, riches des plus bel<strong>le</strong>s promesses.Il nous faut pourtant redesc<strong>en</strong>dre à prés<strong>en</strong>t aux problèmes spécifiques del'éducation, puisque c'est à eux que notre revue <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t se ­consacrer. El<strong>le</strong> veut s'y consacrer non pas au niveau de la pratique journalière,mais dans une perspective de large réf<strong>le</strong>xion qu'el<strong>le</strong> définit el<strong>le</strong>-même, <strong>en</strong>core,èomme une perspective «philosophique»: el<strong>le</strong> croit expliquer son titre (quin'e-st peut-être pas, il faut l'avouer, parfaitem<strong>en</strong>t limpide de «Techniques deVie» <strong>en</strong> lui donnant pour sous-titre - plus exactem<strong>en</strong>t pour sur-titre puisqueces mots figur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tête sur la couverture - «- <strong>le</strong>s fondem<strong>en</strong>ts philosophiquesdes Techniques Freinet ». C'est içi, à mon s<strong>en</strong>s, que <strong>le</strong> ma<strong>le</strong>nt<strong>en</strong>du risque decomm<strong>en</strong>cer.Qu'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d-on <strong>en</strong> effet par ces « fondem<strong>en</strong>ts philosophiques des TechniquesFreinet »? Véut-on dire qu'el<strong>le</strong>s r.epos<strong>en</strong>t sur une philosophie de l'éducationqui lui soit propre, sur une philosophie <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t origina<strong>le</strong>, qui, comme<strong>le</strong> dit Vuil<strong>le</strong>t (p. 14) serait restée jusqu'ici « implicite» et que ce serait latâche même de la nouvel<strong>le</strong> revue d'expliciter et d'élaborer. Tel paraît bi<strong>en</strong>être aussi <strong>le</strong> point de vue de Combet dont l'artiC<strong>le</strong> représ<strong>en</strong>te Un effort danscette direction, aussi intéressant à notre s<strong>en</strong>s que discutab<strong>le</strong> ; tel paraît être<strong>le</strong> point de vue de Freinet lui-même, puisqu'il estime que « nous aurons à rebâtirnotre nouvel<strong>le</strong> psychologie, n0-re nouvel<strong>le</strong> philosophie, bases d'une pédagogie quis'est déjà r<strong>en</strong>ouvelée expérim<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t » (p. 33), et qu'<strong>en</strong> paiticulier ladécouverte du « processus de tâtonnem<strong>en</strong>t expérim<strong>en</strong>tal» constitue un « retournem<strong>en</strong>tdécisif» qui à la fois exige et permet cette reconstruction radica<strong>le</strong>(p. 36). Lorsque au contraire Ferrière voit l'ess<strong>en</strong>tiel de l~ « philosophie del'Eco<strong>le</strong> Moderne» dans la volonté - <strong>en</strong> opposition à «l'éco<strong>le</strong> traditionnel<strong>le</strong>»- de « ne pas tuer chez l'<strong>en</strong>fant <strong>le</strong> vouloir sa<strong>voir</strong>, d'appr<strong>en</strong>dre à chaque<strong>en</strong>fant à vivre, à agir, à croître» (p. 1), ou <strong>en</strong>core lorsque Bertrand précisecette volonté comme étant cel<strong>le</strong> d'inciter et d'<strong>en</strong>courager sans cesse l'<strong>en</strong>fantà « dire, raconter et exprimer, par <strong>le</strong> dessin; par <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs, par la paro<strong>le</strong>,comme par <strong>le</strong> chant et la danse, ce qu'il ress<strong>en</strong>t» (p. 37), il est clair que /<strong>le</strong>s objectifs ainsi définis ~ dont il est bi<strong>en</strong> exact qu'ils <strong>en</strong>velopp<strong>en</strong>t touteune « philosophie» de l'éducation et de la culture - ne sont nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t propresà l'Eco<strong>le</strong> Moderne, mais lui sont strictem<strong>en</strong>t communs avec tout ce que l'onappel<strong>le</strong> depuis- quelque cinquante ans <strong>le</strong> mouvem<strong>en</strong>t d'éducation nouvel<strong>le</strong>,d'où sont sorties bi<strong>en</strong> d'autres didactiques, bi<strong>en</strong> d'autres techniques que cel<strong>le</strong>de l'Eco<strong>le</strong> Moderne. De ceci d'ail<strong>le</strong>urs Freinet a au fond tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>cequ'il n'hésite pas à écrire, dans un autre artic<strong>le</strong>, et peut-être cette fois aussiavec quelque exagération - - mais c'est une exagération dans <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s opposé,une exagération dan's l'humilité: « Nous sommes <strong>le</strong>s continuateurs de Decrolyà qui nous devons tout » (p. 4).Voici donc la première question que je pose: se propose-t-on de fonderune nouvel<strong>le</strong> philosophie de l'éducation ou, simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t et beaucoup _ plusmodestem<strong>en</strong>t, d'approfondir la «philosophie de l'éducation nouvel<strong>le</strong> », considérée_comme justification et support des techniques Freinet, et dans ses rapportsà ces techniques? Tout <strong>le</strong> sort de la nouvel<strong>le</strong> <strong>en</strong>treprise dans laquel<strong>le</strong>vi<strong>en</strong>t de s'<strong>en</strong>gager Freinet, et pour laquel<strong>le</strong> il est inuti<strong>le</strong> de dire ma sympathie,dép<strong>en</strong>d de la réponse qui sera fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t donnée à cette question. Ma propreréponse se lit, je p<strong>en</strong>se, à travers <strong>le</strong>s lignes: c'est d'ail<strong>le</strong>urs cel<strong>le</strong> que je suggère7


D].Pl.1 . ami ~Robert Dottr<strong>en</strong>s dans sa contribution au premier numéro 'de l~re..vue ' (pp. ;~1-23): <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s de son artic<strong>le</strong> est, si je ne m'abuse, d'inviter l'Éco<strong>le</strong>~Qderne - à ne . pas se couper du grand mouvem<strong>en</strong>t de rénovation pédagogique~ont. el<strong>le</strong> ~st un 'aspect et 1,lD mom<strong>en</strong>t, à ne r<strong>en</strong>ier ni ses origines ni ses pa~r<strong>en</strong>tés, ·à refuser de s'iso<strong>le</strong>r dans je ne sais quel séparatisme et quel particulalismeorgueil<strong>le</strong>ux: il y va, selon nous, de son av<strong>en</strong>ir même.Ma seconde question ,d'ail<strong>le</strong>urs étroitem<strong>en</strong>t liée à la première, sera cel<strong>le</strong>-ci:yeut-on vraim<strong>en</strong>t que <strong>le</strong> nouvel organe soit, comme <strong>le</strong> demande Freinet (p. 29),un organe de « discussion », et même de libre discussion sur, <strong>le</strong>s .« fondem<strong>en</strong>tsphilosophique,> des Techniques Freinet»? S'il <strong>en</strong> est bi<strong>en</strong> ainsi, cela signifieet implique qu'il ne saurait y a<strong>voir</strong> de '« tabou,,; que to.ut doit pou<strong>voir</strong> êtresoumis à l~discussion et mis <strong>en</strong> question ... jusqu'à ces techniques el<strong>le</strong>s~mêmes;et qu'il doit s'agir moins de chanter <strong>le</strong>urs «succès » 'et <strong>le</strong>urs ' « vertus» ainsjque '<strong>le</strong> fait Freinet dans la même ' pagel'Iue de réfléchir <strong>en</strong> toute liberté sUi­~es services qu'el<strong>le</strong>s ont r<strong>en</strong>du, sur tout ce qu'il est légitime d'<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dI:eet d'<strong>en</strong> espérer ... et év<strong>en</strong>tuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t aussi sur <strong>le</strong>urs limites ou <strong>le</strong>urs lacuiies~Il me semb<strong>le</strong> y a<strong>voir</strong> sur ce point aussi une équivoque qu'il est nécessaire,et même urg<strong>en</strong>t de dissiper. Je voudrais <strong>en</strong> particulier que fût sérieusem<strong>en</strong>t9iscutée la question de sa<strong>voir</strong> si la philosophie de l'éco<strong>le</strong> traditionnel<strong>le</strong>, quin'est assurém<strong>en</strong>t pas cel<strong>le</strong> de l'éco<strong>le</strong> Freinet, n'a pas aussi ses va<strong>le</strong>urs, qu'ilfaudrait essayer d'intégrer et non de condamner et de rejeter <strong>en</strong> bloc; et si<strong>le</strong>s t~chniq).IesFreinet constitu<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, toujours et dans tous <strong>le</strong>s cas, l'outilsuffisant, et <strong>le</strong> plus efficace, pour <strong>le</strong>s servir et <strong>le</strong>s promou<strong>voir</strong>: c'est, <strong>en</strong> substance,la question que j'ai sou<strong>le</strong>vée dans un réc<strong>en</strong>t artic<strong>le</strong> de l'Education Natidnaze(8 octobre J959). .. .Cet artic<strong>le</strong> m'a.' valu une . abondante correspondance, v<strong>en</strong>ue de bi<strong>en</strong> desvil<strong>le</strong>s et des villàges de France; .je remercie ici, n'ayant pu <strong>en</strong>core <strong>le</strong>ur répon"dreà tous individùel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, ceux qui ont bi<strong>en</strong> voulu m.e faire part des réf<strong>le</strong>xions'qu'il <strong>le</strong>ur. avait suggérées.Que l'on m'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>de bi<strong>en</strong>: je ne demande pas que l'on m'accorde que <strong>le</strong>squestions posées par moi ai<strong>en</strong>t été bi<strong>en</strong> posées; je demande seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t quetoùtes <strong>le</strong>s questions puiss<strong>en</strong>t être posées, et que l'on ne se flatte pas de <strong>le</strong>sa<strong>voir</strong> toutes résolues .. Un dernier mot: nul ne souhaite plus sincèrem<strong>en</strong>t, plus ardemm<strong>en</strong>t quemoi <strong>le</strong> succès de Techniques de Vie; je n'ai pas p<strong>en</strong>sé pou<strong>voir</strong> apporter plusuti<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ma modeste contribution à ce succès qu'<strong>en</strong> m'exprimant ici avec lafranchise parfois un peu rude d'un ami.** *Les problèmes bi<strong>en</strong> posés, nous dit·on souv<strong>en</strong>t, sont déjà partiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>trésolus. M. Bloch nous permet aujourd'hui, par ses pertin<strong>en</strong>tes observationsd,e mieux situer notre effort.Et je réponds tout de suite aux deux questions d ~M. Bloch.Je laisse aux philosophes qui voudront bi<strong>en</strong> participer à nos discussionslê souci de mieux préciser <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s de ce mot philosophie. Je ne vais paç,personnel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> chercher la définition. dans un dictionnaire ou <strong>en</strong>. consPdérer <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s selon l'œuvre de tel ou tel de nos maîtres.8


Quand, avec Le Bohec, nous avons extériorisé ce besoin de recherches nousavons procédé par- éliminations. Il ne s'agissait pas pour nous , de préciser <strong>le</strong>sorigines ou fondem<strong>en</strong>ts techniques et sociaux de notre pédagogie - ce qu<strong>en</strong>ous nous appliquons à faire dans notre revue l'Educateur. NoJ,lS voulionsdiscuter des fondem<strong>en</strong>ts psycho<strong>le</strong>giques certes mais il n'<strong>en</strong> restait pas moins'une Zone (<strong>le</strong> notre curiosité qui n'aurait pas été satisfaite, cel<strong>le</strong> des incid<strong>en</strong>c~possib<strong>le</strong>s de nos travaux sur:' une infinité d'élém<strong>en</strong>ts vitaux qui débord<strong>en</strong>t <strong>le</strong>sconceptions pédagogiques et psychologiques habituel<strong>le</strong>s pour atteindre jusqu'àla conception de la vie, de l'intellig<strong>en</strong>ce, de l'effort, de l'affectivité, de l'huma-.,l'lité et jusqu'à cette notion de b6nheur que vont nous poser Bertrand et Le'Bohec.Nous avons p<strong>en</strong>sé que , <strong>le</strong> mot « philosophie » embrassait <strong>le</strong> mieux ce!multip<strong>le</strong>s perspectives.Dans ce domaine aussi nous sommes partis sans aucun apriorisme. Etsurtout, nous n'avons nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la prét<strong>en</strong>tion de fonder une nouvel<strong>le</strong> philosophiede l'éducation, et <strong>en</strong>core moins d'approfondir la philosophie d'une éducation_nouvel<strong>le</strong> dont nous ne faisons point notre drapeau, bi<strong>en</strong> que nous n'<strong>en</strong>,ignorions point <strong>le</strong>s conquêtesNotre requête est toute simp<strong>le</strong> et naturel<strong>le</strong>. Nous avons découvert et mis<strong>en</strong> usage dans nos classes de nouveaux outils de travail qui affect<strong>en</strong>t toutparticulièrem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> comportem<strong>en</strong>t scolaire et extrascolaire des élèves et deséducateurs. Tout comme l'inv<strong>en</strong>tion et la généralisation de l'automobi<strong>le</strong>, dela radio et de la télévision affect<strong>en</strong>t d'une façon parfois décisive <strong>le</strong> comportem<strong>en</strong>tdes indiyidus, <strong>en</strong>fants et adultes qui y sont soumis. Cette influ<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> 'bi<strong>en</strong>ou <strong>en</strong> mal, mais certaine, vaut d'être étudiée objectivem<strong>en</strong>t, sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>tsi possib<strong>le</strong>, afin de corriger <strong>le</strong>s erreurs év<strong>en</strong>tuel<strong>le</strong>s de technique et d'ori<strong>en</strong>tation.Nous n'avons nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t l'int<strong>en</strong>tion de nous couper des mouvem<strong>en</strong>ts d'éducationnouvel<strong>le</strong>, ni même des méthodes traditionnel<strong>le</strong>s dont nous restons, parla force des choses, si gravem<strong>en</strong>t tributaires, ou du moins la coupure se fera.malgré nous, plus ou moins radica<strong>le</strong>, comme el<strong>le</strong> s'est faite <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s transportsactuels <strong>en</strong> automobi<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s anci<strong>en</strong>s voyages) à chars à bancs., Il y a tout àla fois d'ail<strong>le</strong>urs coupure et continuité. Ma~ il n'est pas niab<strong>le</strong> que des êlém<strong>en</strong>tsnouveaux jou<strong>en</strong>t ,dont nous ne pouvons ignorer la portée.Nous voulons sa<strong>voir</strong> <strong>le</strong>s résonnances profondes de nos techniques sur lavie scolaire et sur notre vie tout court.._ C'est cela que nous appeloljs raspectphilosophique du problème_ Qu'on nous excuse l'imprécision possib<strong>le</strong> de cetteappellation.Notre réponse sera plus faci<strong>le</strong> et plus nette à la deuxième question deM. Bloch qui nous apparaît d'ail<strong>le</strong>urs comme la suite des observations ci-dessus.Bi<strong>en</strong> sûr, ce sont nos techniques el<strong>le</strong>s-mêmes qui peuv<strong>en</strong>t être remises <strong>en</strong>question. Nous <strong>le</strong>s remettons d'ail<strong>le</strong>urs sans cesse <strong>en</strong> question nous-mêmes.Nous ne nous nourrissons pas de théories mais de technique de travail. Si, àl'usage, une de nos techniques ne répond pas à nos besoins nous ne risquons'pas de la maint<strong>en</strong>ir artificiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t par explications 01-1 justifications,9


Si même quelques-uns d'<strong>en</strong>tre nous rest<strong>en</strong>t attachés par s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>talismeà l'une de ces techniques condamnées par la pratique, nous ne nouS faisonspas d'illusion : la masse des éducateurs .- car si nos techniques ont vraim<strong>en</strong>t<strong>le</strong>s ' vertus que nous <strong>le</strong>ur croyons el<strong>le</strong>s seront employées un jour prochaindans toutes <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s - la masse des éducateurs n'emploiera nos techniquBSjque si, tout compte fait, el<strong>le</strong>s s'avèr<strong>en</strong>t supérieures aux méthodes de naguère.Nous sQ~mes bi<strong>en</strong> à la recherche des meil<strong>le</strong>urs outils, des meil<strong>le</strong>ures techniquesde travail, que ce soi<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s nôtres ou d'autres. Nous n'avons <strong>en</strong> l'occur-.r<strong>en</strong>ce aucun amour propre d'a""teur.Nous n'avons jamais prét<strong>en</strong>du que nos techniques soi<strong>en</strong>t parfaites et suffisantes<strong>en</strong> toutes circonstances, ni qu'il ne puisse ri<strong>en</strong> y a<strong>voir</strong> de bon dans<strong>le</strong>s méthodes du passé. Nous disons seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, à l'expéri<strong>en</strong>ce - et une expé-lri<strong>en</strong>ce qui s'ét<strong>en</strong>d à des dizaines de milliers d'éducateurs - qu'el<strong>le</strong>s notlSparaiss<strong>en</strong>t supérieures aux méthodes traditionnel<strong>le</strong>s. Et cette supériorité estune raison suffisante pour la généralisation de <strong>le</strong>ur emploi.Il ne saurait y a<strong>voir</strong> d'Eco<strong>le</strong> Moderne sans une recherche et une adaptationperman<strong>en</strong>tes des méthodes et des techniques aux nécessités d'une vie plusmouvante que jamais.C'est cette recherche et cette adaptation que nous voudrions promou<strong>voir</strong>avec l'appui de tous <strong>le</strong>s éducateurs qui ont consci<strong>en</strong>ce des impératifsrad~de notre époque. -C. F.10


ALAINet· <strong>le</strong>s techniques modernespar C. COMBETJe vi<strong>en</strong>s de lire dans l'Education Nationa<strong>le</strong> (numéro du 8 octobre 1959),l'artic<strong>le</strong> où M. Bloch oppose votre ori<strong>en</strong>tation pédagogique à cel<strong>le</strong> d'Alain.Pour ce qui est de cette opposition proprem<strong>en</strong>t dite, .ri<strong>en</strong>, à ajouter. M. Blocha parfaitem<strong>en</strong>t caractérisé et l'esprit d'Alain et <strong>le</strong> vôtre. Alain demeure deformation cartési<strong>en</strong>ne. C'est un classique. Il a foi dans la fécondité des grandesœuvres (littéraires, philosophiques) ; il p<strong>en</strong>se que <strong>le</strong>ur méditation, formant et<strong>en</strong>richissant l'intellig<strong>en</strong>ce, suffira pour nourrir et ori<strong>en</strong>ter l'action de l'homme.L'art pédagogique consiste à hisser l'<strong>en</strong>fant (contre v<strong>en</strong>ts et marées) au niveaudes grandes œuvres, à l'am<strong>en</strong>er à <strong>en</strong> assimi<strong>le</strong>r la substance. L'<strong>en</strong>fance n'aaucune va<strong>le</strong>ur particulière; el<strong>le</strong> vaut dans la mesure où, d'avance, el<strong>le</strong> témoignede l'âge adulte.M. Bloch a raison d'affirmer que votre pédagogie est radica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t inconciliab<strong>le</strong>avec cel<strong>le</strong> d'Alain. Chez Alain, l'éducation se réalise nécessairem<strong>en</strong>t dansla contrainte, car il · faut faire vio<strong>le</strong>nce à l'<strong>en</strong>fant pour l'am<strong>en</strong>er aussi tôt quepqssib<strong>le</strong> à la maturité adulte. Chez vous, au contraire, l'éducation n'est possib<strong>le</strong>que dans un climat de liberté qui peimette à la vie de s'épanouir dans saprofusion et son originalité. Le dialogue <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s d'Alain et <strong>le</strong>s militantsde l'Eco<strong>le</strong> Moderne n'est pas pour demain. Un abîme <strong>le</strong>s sépare: unevision tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>te du monde <strong>en</strong>fantin, du s<strong>en</strong>s de l'<strong>en</strong>fance, et dela fonction du « maître ». Pour Alain, l'autorité du maître n'est que <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>tde l'autorité des Maîtres de l'Art et de la P<strong>en</strong>sée. Pour vous, il ne peut y a<strong>voir</strong>d'autorité que dans la mesure où la Prés<strong>en</strong>ce du maître est reconnue parl'<strong>en</strong>fant dans sa dim<strong>en</strong>sion d'accueil, de compréh<strong>en</strong>sion. Le maître n'ordOnIie'pas, mais il suscite l'effort et l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t. Pour vous <strong>en</strong>core (comme pourRousseau), chaque période de l'<strong>en</strong>fance possède sa perfection propre. Sansdoute l'<strong>en</strong>fance reste-t-el<strong>le</strong> ouverte sur l'âge adulte. Mais <strong>le</strong> passage s'effectuede crise <strong>en</strong> crise, de mutation <strong>en</strong> mutation. Pour atteindre à la perfection del'âge adulte, il faut s'être <strong>en</strong>foncé au cœur de l'<strong>en</strong>fance et au cœur de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce.A brû<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s étapes, on n'aboutit qu'à une intel<strong>le</strong>ctualisation forc<strong>en</strong>ée.Pas de maturité affective pour celui qui n'a pas vécu int<strong>en</strong>sém<strong>en</strong>t l'innoc<strong>en</strong>ceet la naïveté de l'<strong>en</strong>fance; l'<strong>en</strong>thousiasme et la pudeur de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce. Innoc<strong>en</strong>ce,naïveté, <strong>en</strong>thousiasme, pudeur - ces dim<strong>en</strong>sions de l'affectivitécherch<strong>en</strong>t à s'exprimer. Mais qui <strong>le</strong>ur <strong>en</strong> donne l'occasion? Le rationalismed'Alain et de ses discip<strong>le</strong>s ne voit là qu'infantilisme à combattre et éliminer.(Langage de grandes personnes qui ont, à jamais, coupé <strong>le</strong>s ponts avec <strong>le</strong>ur<strong>en</strong>fance et ne la reconnaiss<strong>en</strong>t plus.)L'<strong>en</strong>fant connaîtra la p<strong>en</strong>sée adulte, il <strong>en</strong> reti<strong>en</strong>dra quelque chose. Mais, àtravers · toute son <strong>en</strong>fance et toute son ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce, jamais il n'aura l'occasionde s'éprouver comme une force créatrice; jamais il ne fera l'expéri<strong>en</strong>ce delui-même comme d'un être original, riche de possibilités esthétiques et pra ti-11


ques. C'est justem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s et la mission de l'Eco<strong>le</strong> Moderne d'am<strong>en</strong>er l'<strong>en</strong>fantà s'exprimer «tel qu'<strong>en</strong> lui-même », à travers tout <strong>le</strong> cheminem<strong>en</strong>t de sonexist<strong>en</strong>ce juvéni<strong>le</strong>. Et sans doute <strong>le</strong> terme même de libre expresslon agace.l'oreil<strong>le</strong> des doctes, car il y a là une m<strong>en</strong>ace certaine pour <strong>le</strong>ur autoritéscolastique et comme l'annonce ducrépuscû<strong>le</strong> du prestige adulte - unerévolution !C'est justem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> nous situant dans l'esprit et dans <strong>le</strong>s perspectives .. decette révolution que la p<strong>en</strong>sée d'Alain nous apparaît réactionnaire. Alain, écritM. Bloch, «veut que l'éco<strong>le</strong> soit avant tout pour l'élève une éco<strong>le</strong> d'humilitéet de respect ». Respect du passé. Humilité de celui dont la seu<strong>le</strong> ressourceest de rece<strong>voir</strong>. Avec de tel<strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs, nous créerons deux types d'<strong>en</strong>fants:<strong>le</strong>s raisonnab<strong>le</strong>s qui appuieront <strong>le</strong>ur puissance sur l'ordre établi et qui serecruteront parmi l'élite (intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>) de la classe - et <strong>le</strong>s ratés qui remâcheront,toute <strong>le</strong>ur vie durant, l'amertt,une de <strong>le</strong>urs années scolaires, tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>timpressionnés par <strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s de la littérature adulte et tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t' consci<strong>en</strong>tsde <strong>le</strong>ur incapacité personnel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>ur l).orizon esthétique se bornera désormaisaux bandes dessinées de la presse quotidi<strong>en</strong>ne et aux feuil<strong>le</strong>tons mélodramatiquesdes magazines s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>taux. Les modè<strong>le</strong>s de la littérature adult<strong>en</strong>'atteign<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>fant que très rarem<strong>en</strong>t, car il ne se reconnaît pas <strong>en</strong> eux. Aquel<strong>le</strong>s expéri<strong>en</strong>ces vécues par l'<strong>en</strong>fant font appel <strong>le</strong> théâtre de Racine et <strong>le</strong>sromans de Flaubert? Pour la plupart des <strong>en</strong>fants, <strong>le</strong>s contacts forcés avec <strong>le</strong>sclassiques suffis<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong>s <strong>en</strong> dégoûter à jamais. Les classiques exig<strong>en</strong>t du<strong>le</strong>cteur une maturité d'expéri<strong>en</strong>ce que nul n'est <strong>en</strong> droit d'att<strong>en</strong>dre de l'<strong>en</strong>fant-C'est pourquoi la formu<strong>le</strong> d'une littérâture créée par l'<strong>en</strong>fant, avec sespropres moy<strong>en</strong>s, me paraît au contraire réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pédagogique. Et certes, ilne s'agit pas, <strong>en</strong>suite, de mettre <strong>en</strong> compétition la littérature <strong>en</strong>fantine et lalittérature adulte, d'accon<strong>le</strong>r à tart <strong>en</strong>fantin une dim<strong>en</strong>sion esthétique aumême titre qu'à l'art adulte. Les projets de l'être <strong>en</strong>fantin sont sans communemesure avec ceux de l'être adulte. La volonté d'art de l'<strong>en</strong>fant témoigne d'uneexist<strong>en</strong>ce sous <strong>le</strong> signe ci'un éternel prés<strong>en</strong>t et se concilie <strong>le</strong> hasard ': c'estsouv<strong>en</strong>t <strong>le</strong> triomphe du fortuit; chez l'<strong>en</strong>fant, au contraire de chez l'adulte,l'int<strong>en</strong>tion échoue mais la grâce fait <strong>le</strong> reste - et c'est d'el<strong>le</strong> que nous jugeons.Toutefois, il me semb<strong>le</strong> injuste de vous reprocher, comme <strong>le</strong> fait M. Bloch,d'a<strong>voir</strong> «gravem<strong>en</strong>t surestimé la va<strong>le</strong>ur littéraire et esthétique des œuvres<strong>en</strong>fantines ». Si je me reporte aux textes que vous publiez dans la GerbeEnfantine, j'y découvre d'auth<strong>en</strong>tiques qualités de clarté d'expression, defraîcheur d'imagination, d'humour et de t<strong>en</strong>dresse auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s de<strong>voir</strong>s traditionnelsne nous ont guère habitués. Les <strong>en</strong>fants qui lis<strong>en</strong>t La Gerbe trouv<strong>en</strong>tlà des modè<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>ur nature, des modè<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>squels ils peuv<strong>en</strong>t efficacem<strong>en</strong>trivaliser.L'expéri<strong>en</strong>ce littéraire, chez l'<strong>en</strong>fant comme chez l'adulte, consiste à explimerune façon particulière d 'habiter <strong>le</strong> monde. Exiger de l'<strong>en</strong>fant qu'il imite<strong>le</strong> sty<strong>le</strong> de l'adulte sans a<strong>voir</strong> traversé <strong>le</strong>s expéri<strong>en</strong>ces qui <strong>en</strong> sont <strong>le</strong> fondem<strong>en</strong>t,voilà ' <strong>le</strong> m<strong>en</strong>songe et la supercherie où conduit l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t traditionnel.Le sty<strong>le</strong>, dans ce cas, est considéré par<strong>le</strong> maître comme un simp<strong>le</strong> ornem<strong>en</strong>t,sans rapport avec la vie. Le sty<strong>le</strong> imité ressemb<strong>le</strong> à ces moulures de plâtrequi <strong>en</strong>combr<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s halls des musées et <strong>le</strong>ur donn<strong>en</strong>t l'aspect des cimetières.Et ce n'est pas à cou<strong>le</strong>r des moulures mais à tail<strong>le</strong>r <strong>le</strong> bois et la pierre quel'on devi<strong>en</strong>t sculpteur. L'important, c'est <strong>en</strong> réalité de libérer <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> del'<strong>en</strong>fant; que l'<strong>en</strong>fant se crée un sty<strong>le</strong> à son image et qu'il produise desœuvres où il reconnaisse sa façon d'être au monde .; tel<strong>le</strong> est la vertu dutexte libre, du dessin libre, de la danse libre.12Mais la critique de M. Bloch vise <strong>en</strong>core plus loin. D'après lui, vous auriez:


« trop présumé de la force et' plus ' ~ncorè . de la généralité dû besoind'expression,. de l'<strong>en</strong>fant. A vrai dire, cher Freinet, vous n'êtes pas seul '·îitomber sous <strong>le</strong> coup de ce verdict; il atteint aussi bi<strong>en</strong> <strong>le</strong>s courants <strong>le</strong>s plusavancés de la psychologie moderne : la ,·.psychanalyse et la phénoménologie:Pour Freud comme pour Sche<strong>le</strong>r, pour Jung comme pour Mer<strong>le</strong>au-Ponty, l'êtrehumain est radica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t expressif. Des phénomènes tels que l'ah ou là littérature,la religion ou la philosophie, <strong>le</strong> jeu ou <strong>le</strong> rêve sont des expressionsde l'homme, c'est-à-dire des images de sa situation dans <strong>le</strong> monde. Le besoind'expression est aussi général et aussi vigoureux qu'il peut l'être, puisqu'il .puise son fondem<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> caractère exist<strong>en</strong>tiel de l'être de l'homme. Exister;s'exprimer, être temporel - autant d'équiva<strong>le</strong>nces. Il n'y a donc pas à craindrede présumer trop du besoin d'expression de l'<strong>en</strong>fant, de tab<strong>le</strong>r exagérém<strong>en</strong>tsur lui. C'est -au contraire pour l'a<strong>voir</strong> méconnu que l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t traditionne<strong>le</strong>st arrivé à dessécher <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>sibilités et à paralyser <strong>le</strong>s imaginations.13


La méthode naturel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ctureà la lumière de 1. P. Pavlovpar J. VUlLLETQue l'œuvre de Pavlov soit à l'origine de découvertes marquantes dans larecherche fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> (problème des rapports <strong>en</strong>tre <strong>le</strong> langage et la p<strong>en</strong>sée ... )et de techniques particulièrem<strong>en</strong>t avantageuses dans des domaines aussi capitauxque la médecine (accouchem<strong>en</strong>t sans dou<strong>le</strong>ur, cure de sommeil ... ) ou lapsychiatrie (rééducation de la paro<strong>le</strong> ... ), nul ne <strong>le</strong> conteste aujourd'hui. Cequ'on sait moins, c'est qu'el<strong>le</strong> a des incid<strong>en</strong>ces directes sur la pédagogie.L'appr<strong>en</strong>tissage de la <strong>le</strong>cture est là pour <strong>le</strong> montrer., .. * *Jusqu'à Decroly, il a paru évid<strong>en</strong>t qu'une seu<strong>le</strong> méthode était possib<strong>le</strong>, "àsa<strong>voir</strong> la méthode synthétique. Que dit, <strong>en</strong> effet, la logique? Pour lire, il fautconnaître <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres puis <strong>le</strong>urs combinaisons: comm<strong>en</strong>çons donc par faireid<strong>en</strong>tifier successivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s 26 <strong>le</strong>ttres de l'alphabet dans l'ordre .qui s'y prête<strong>le</strong> mieux; et, après seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,- appr<strong>en</strong>ons à <strong>le</strong>s assemb<strong>le</strong>r <strong>en</strong> syllabes, puis <strong>en</strong>mots et <strong>en</strong>fin <strong>en</strong> phrases. Cette méthode mérite bi<strong>en</strong> la qualification de « traditionnel<strong>le</strong>»puisqu'on n'a pas opéré autrem<strong>en</strong>t jusqu'au début du sièc<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> continuerait son règne si <strong>le</strong> docteur Decroly n'avait découvert ce qu'onappel<strong>le</strong> aujourd'hui « <strong>le</strong> globalisme» de la perception. Quand l'œil déchiffrepour la première fois, il appréh<strong>en</strong>de d'emblée aussi bî<strong>en</strong> l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> (d'unemanière <strong>en</strong>core confuse, évidemm<strong>en</strong>t) que <strong>le</strong>s détails: d'où l'idée d'une méthodec globa<strong>le</strong>» qui consiste au contraire à partir du' mot et même de la phrase.Thèse et antithèse: il manquait la synthèse. On crut la trouver dans laméthode mixte : <strong>en</strong> réalité, la perception <strong>en</strong>fantine s'avère simultaném<strong>en</strong>t« globa<strong>le</strong>» et « pointilliste» (avec prop<strong>en</strong>sion plus marquée dans un s<strong>en</strong>s oudans l'autre, selon <strong>le</strong>s individus) ; toute opération m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> chez l'adulte et, àplus forte raison, chez l'<strong>en</strong>fant, débute par une phase de syncrétisme; dès lors,il est parfaitem<strong>en</strong>t indiqué de comm<strong>en</strong>cer par <strong>le</strong> mot, mais à condition defavoriser presque immédiatem<strong>en</strong>t l'analyse; la bonne méthode ne peut êtrequ'une méthode « mixte », c'est·à·dire un compromis <strong>en</strong>tre .la méthode « analytique»et la méthode « synthétique ».1:.An·alyse et synthèse : il est bi<strong>en</strong> exact que ces deux démarches fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>sde. l'esprit sont à l'œuvre dans l'initiation à la <strong>le</strong>cture et qu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> sontsimultaném<strong>en</strong>t. Pourrait·il, d'ail<strong>le</strong>urs, <strong>en</strong> être autrem<strong>en</strong>t, puisque cette collaborationse retrouve dans tous <strong>le</strong>s domaines? Là·dessus, pas de contestationpossib<strong>le</strong>.Mais <strong>en</strong> résulte-t·il ipso facto ce compromis que représ<strong>en</strong>te la méthode mixte,à la manière purem<strong>en</strong>t empirique et fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t très éc<strong>le</strong>ctique dont on l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dd'ordinaire?14


C!~st ·<strong>le</strong> grand mérite de Freinet d'a<strong>voir</strong> appurté la lumière sur ce pointdans l'étude intitulée:« La méthode globa<strong>le</strong>, cette ga<strong>le</strong>use! » (1).·()Il "y a,effectivem<strong>en</strong>t, globalisme et pointillisme tout à la fois: «De touttemps, l'<strong>en</strong>fant .a éprouvé <strong>le</strong> besoin de sout<strong>en</strong>ir la <strong>le</strong>cture analytique, syllabe;;tprès syllabe et mot à mot, par un mécanisme global sans <strong>le</strong>quel toute <strong>le</strong>Ctureserait impossib<strong>le</strong>» (2). Comm<strong>en</strong>t cela? «L'<strong>en</strong>fant fixe un mot pour <strong>en</strong> reconnaîtrela structure. Mais ce mot n'a évidemm<strong>en</strong>t de s<strong>en</strong>s que dans <strong>le</strong> contexte.Et c'est ce contexte que l'<strong>en</strong>fant interroge. L'œil part <strong>en</strong> réconnaissance <strong>en</strong>avant du mot déchiffré. Il va parfois même jusqu'à la ligne suivante, revi<strong>en</strong>t<strong>en</strong> ' àrrière, repart <strong>en</strong>: avant. Le <strong>le</strong>cteur est <strong>en</strong> exploration» (3). D'où cetteconstatation: « L'analyse ne saurait se suffire sans globalisation, et inversem<strong>en</strong>t.Une- bonne méthode doit faire fonds sur <strong>le</strong>s deux processus, commeceHi. se produit dans toute acquisition naturel<strong>le</strong> vita<strong>le</strong>. D'autant plus - et onl'a souv<strong>en</strong>t négligé - que <strong>le</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t de ces processus n'est pas exactem<strong>en</strong>t<strong>le</strong> même chez tous <strong>le</strong>s individus et ne saurait être préétabli commerèg<strong>le</strong> uniforme et obligatoire» (4).Mais <strong>en</strong>core faut-il sauvegarder ce qu'il y a de meil<strong>le</strong>ur dans <strong>le</strong> syncrétismeinitial, c'est-à-dire la nécessité d'<strong>en</strong><strong>le</strong>ver chaque acquisition particulière sur <strong>le</strong>fond de la réalité vivante el<strong>le</strong>-même. « Le Docteur Decroly avait montré, parses observations et expéri<strong>en</strong>ces, que l'<strong>en</strong>fant est capab<strong>le</strong> d'appréh<strong>en</strong>der <strong>le</strong> motet la phrase avant d'<strong>en</strong> distinguer <strong>le</strong>s élém<strong>en</strong>ts constitutifs, mais à conditionbi<strong>en</strong> sûr que cette phrase soit insérée intimem<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> contexte de· vie desindividus » (5). Et Freinet r<strong>en</strong>d compte très exactem<strong>en</strong>t de ce qui se passedans de nombreuses classes quand il ajoute : « L'Eco<strong>le</strong> a pris dans la méthodegloba<strong>le</strong> la mécanique, mais el<strong>le</strong>. a oublié la vie.» (6). Toutes <strong>le</strong>s fois, <strong>en</strong> effet,que la méCànisation se trouve coupée, prématurém<strong>en</strong>t, de la compréh<strong>en</strong>sion,on' va inévitab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t à l'échec :« S<strong>en</strong>tant justem<strong>en</strong>t la faib<strong>le</strong>sse de cetteméthode hybride, l'Eco<strong>le</strong> a prévu une illustration,-qui est là pour apporter unersatz de ' vie. Ce n'est, hélas ! qu'un ersatz qui a jeté des fondations mais ona oublié d'y cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> mortier. Il manque à notre texte la cha<strong>le</strong>ur de l'événem<strong>en</strong>tqui aurait inséré norma<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la phrase dans une expéri<strong>en</strong>ce individuel<strong>le</strong> etcol<strong>le</strong>ctive. Les pi<strong>le</strong>s ont été raccordées par un cordon mauvais conducteur etri<strong>en</strong> ne s'éclaire de ce qui justifierait <strong>le</strong> processus de globalisation ». Cequ'il faut sauvegarder pour éviter que la <strong>le</strong>cture devi<strong>en</strong>ne un exercice « gratuit ,.avec toutes <strong>le</strong>s perversions qui <strong>en</strong> résult<strong>en</strong>t (isof<strong>le</strong>xie, etc.), ce sont <strong>le</strong>s rapportsque l'individu <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avec son milieu ...• •Voilà ce que prouve l'expéri<strong>en</strong>ce. Et cette preuve est, <strong>en</strong> soi, amp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tsuffisante. Mais l'affirmation de la nécessité d'un accord <strong>en</strong>tre l'individu et <strong>le</strong>. milieu ne risque-t-el<strong>le</strong> pas de demeurer el<strong>le</strong>-même « gratuite» sur <strong>le</strong> planthéorique?C'est ici qu'intervi<strong>en</strong>t Pavlov:(1) En supplém<strong>en</strong>t de l'Educateur, nO 19 du 30 juin 1959.(2) Id, ibid, p . 6.(3) Id, ibid.(4) Id., ibid, p. 8.(5) Id, ibid; p . 3.(6) Id, ibid, p . 3.15


1. Mieux que quiconque, Pavlov a déjà eu <strong>le</strong> mérite imm<strong>en</strong>se de proU:verà quel point analyse et synthèse sont inséparab<strong>le</strong>s <strong>en</strong> toutes circonstanGes;et cela dès <strong>le</strong>s degrés <strong>le</strong>s plus humb<strong>le</strong>s de l'activité anima<strong>le</strong>.A dire vrai, Engels avait déjà nettem<strong>en</strong>t souligné cette universalité: « Sontcommuns à nous comme aux iuiimaux, <strong>le</strong>s procédés principaux de la p<strong>en</strong>sée :intuition, déduction et, par suite, l'abstraction, l'analyse des objets inconnus(<strong>le</strong> fait de casser une noix est un début d'analyse), la synthèse (dans <strong>le</strong> casdes ruses des animaux) et, ~iaIit <strong>le</strong>s deux, l'expéri<strong>en</strong>ce (obstac<strong>le</strong>s surmontés etsituation ' embarrassantes) '» (7).Pavlov, toutefois, <strong>en</strong> a administré des preuve-; décisives et tiré clairem<strong>en</strong>t<strong>le</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces :« Les grands hémisphères du chi<strong>en</strong> réalis<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t,à des degrés <strong>le</strong>s plus divers, aussi bi<strong>en</strong> l'analyse que la synthèse des exèitationsqu'ils subiss<strong>en</strong>t. C'est ce quel'orî·peut appe<strong>le</strong>r et que l'on doit appe<strong>le</strong>r «p<strong>en</strong>séeconcrète élém<strong>en</strong>taire». Ainsi, cette p<strong>en</strong>sée conditionne la possibilité ·pour l'organismede s'équilibrer exactem<strong>en</strong>t, de s'adapter parfaitem<strong>en</strong>t aux conditions dumilieu <strong>en</strong>vironnant. » (8)2. Mais aussi Pavlova réussi précisém<strong>en</strong>t à prouver ce que d'autres avai<strong>en</strong>tjusque-là obscurém<strong>en</strong>t press<strong>en</strong>ti : l'unité dia<strong>le</strong>ctique de l'individu et du milieu.L'apport génial de Pavlov est de s'être douté qu'à l'occasion du phénomènedu . réf<strong>le</strong>xe conditionné, se trouvait révélé quelque chose d'infinim<strong>en</strong>t plusimportant qu'un simp<strong>le</strong> mode de réaction <strong>en</strong> faCe d'une excitation donnée, àsa<strong>voir</strong> <strong>le</strong> processus même d'équilibration du comp<strong>le</strong>xe individu-milieu, dans cequ'il peut a<strong>voir</strong> de plus typique et de plus déterminant.3. Et surtout, <strong>en</strong> introduisant sa célèbre distinction '<strong>en</strong>tre premier et secondsystèmes de signalisation et <strong>en</strong> indiquànt comm<strong>en</strong>t s'opère <strong>le</strong> passage du premierau se'cond, Pavlov est parv<strong>en</strong>u à préciser qu'<strong>en</strong> réagissant, non plussimp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t et directem<strong>en</strong>t aux signaux, mais à ces «signaux de signaux» quesont <strong>le</strong>s mots, l'individu humain n'échappait pas pour autant aux règ<strong>le</strong>s valab<strong>le</strong>sau premier niveau. " ,Or, qu'impliqu<strong>en</strong>t ces règ<strong>le</strong>s?• •Dans <strong>le</strong> cas de l'activité physiologique, un nouvel excitant peut être substituéà l'excitant normal <strong>en</strong> vue de provoquer une léaction déterminée. Pour ce quiest du principe, il n'<strong>en</strong> va pas différemm<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> cas de l'activité m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>.Ram<strong>en</strong>é à , sa structure purem<strong>en</strong>t mécanique, l'appr<strong>en</strong>tissage de la <strong>le</strong>ctur<strong>en</strong>e se propose pas d'autre fin que de créer, à l'occasion de chaque ' difficultéparticulière, une association perman<strong>en</strong>te et indissolub<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre un son donnéd'une part et, d'autre part, l'id<strong>en</strong>tification visuel<strong>le</strong> et <strong>le</strong> tracé graphique correspondants:<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant <strong>le</strong> son, ou il faut que l'<strong>en</strong>fant soit immédiatem<strong>en</strong>tcapab<strong>le</strong> d'id<strong>en</strong>tifier son symbo<strong>le</strong> dans un <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> et de l'écrire, ou inversem<strong>en</strong>t.Par des moy<strong>en</strong>s opposés, c'est bi<strong>en</strong> fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t vers ce même but que t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tla méthode tradjtionnel<strong>le</strong> ou la méthode globa<strong>le</strong>, comme la méthode mixte.Mais précisém<strong>en</strong>t, y a-t-il lieu de <strong>le</strong> faire, d'une manière purem<strong>en</strong>t mécaniqueet comm<strong>en</strong>t faut-il conce<strong>voir</strong> ce « mécanisme»? Toute la question est là_ '(i) F. ENGELS: Dia<strong>le</strong>ctique de la Nature, p. 176.(B) PAVLOV: Rapport au Congrès International de Physiolcgie de Rome, 1932,' ;'16


« Les principes de l'expéri<strong>en</strong>ce tâtonnée, l'économie d'efforts pour unmaximum de réussites, qui apparaît comme une des grandes lois du comportem<strong>en</strong>tdes êtres vivants font que l'individu a t<strong>en</strong>dance à répéter l'acte réussi »,constate Freinet (9). Et il précise : « Dans ia série presque indéfinie des actesque t<strong>en</strong>te l'individu pour vivre et dominer <strong>le</strong> milieu, seuls quelques-uns de cesactes sont réussis, c'est-~-dir~ qu'ils apport<strong>en</strong>t à l'individu une partie au moinsde cette puissance dont il a besoin pour vivre ... Cet acte réussi va se reproduire.Et cette reproduction de l'acte se poursuit jusqu'à ce qu'el<strong>le</strong> soit dev<strong>en</strong>ueautomatique, qu'el<strong>le</strong> se soit incorporée .aucomportem<strong>en</strong>t de l'individu commerèg<strong>le</strong> ou technique de vie et ne nécessite plus, de ce fait, aucune réf<strong>le</strong>xion, niaucun tâtonnem<strong>en</strong>t, qu'el<strong>le</strong> ait acquis la sûreté de l'acte instinctif.» (10)Ce que Freinet décrit magistra<strong>le</strong>mént dans ces lignes, c'est l'apparition d'unréf<strong>le</strong>xe conditionnel et la transformation progressive de ce réf<strong>le</strong>xe conditionnel,<strong>en</strong> réf<strong>le</strong>xe inconditionnel.Précisém<strong>en</strong>t, toute l'œuvre de Pavlov est là pour attester l'universalité de ceprocessus.•* •Mais la formation de ce mécanisme n'a précisém<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> de mécanique. Etc'est là que nous touchons au nœud du problème.Plus que jamais aujourd'hui, on voudrait ram<strong>en</strong>er la «philosophie» dePavlov à son exacte antithèse, à sa<strong>voir</strong> <strong>le</strong> matérialisme mécaniste, et on nes'élèvera jamais assez contre cette misérab<strong>le</strong> caricature. Parce que Pavlov arecouru à des expéri<strong>en</strong>ces rigoureuses par pure probité sci<strong>en</strong>tifique, on <strong>en</strong> aaussitôt déduit qu'il mutilait arbitrairem<strong>en</strong>t la Réalité. Parce qu'il a reconnutoute <strong>le</strong>ur importance à certains modes d'association où dominait l'automatisme,on <strong>en</strong> a immédiatem<strong>en</strong>t conclu qu'il <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ait vraim<strong>en</strong>t à son aise avec lasoup<strong>le</strong>sse de la vie. ·Parce qu'il s'est p<strong>en</strong>ché avec att<strong>en</strong>tion Sur quelques phénomènesélém<strong>en</strong>taires du comportem<strong>en</strong>t animal, on <strong>en</strong> a sur <strong>le</strong> champ inféré qu'ilse révélait par là-même incapab<strong>le</strong> de s'é<strong>le</strong>ver jusqu'à ces hauteurs où souff<strong>le</strong>l'Esprit. Comme Freinet, il est plus faci<strong>le</strong> de <strong>le</strong> condamner que de <strong>le</strong> lire (11).En réalité, nul plus que l'illustre savant n'a eu <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de la comp<strong>le</strong>xitédes phénomènes vitaux. ~ucun chercheur n'a davantage été' frappé par l'<strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>tdes actions réciproques et par l'infinie diversité de <strong>le</strong>urs effets. Iln'est pas de p<strong>en</strong>seur qui n'ait reconnu autant de labilité, dans la singularitédes cas, aux causes susceptib<strong>le</strong>s d'agir hic et nunc. Pouvait-il ·<strong>en</strong> être autrem<strong>en</strong>talors que la tâche de la physiologie nerveuse consiste, selon lui, à confronteravec précision <strong>le</strong>s transformations du monde extérieur avec <strong>le</strong>s transformationscorrespondantes de l'organisme et à établir <strong>le</strong>s lois de ces relations? Sa propreconception de la s<strong>en</strong>sibilité l'y conduisait irrésistib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t : <strong>le</strong> premier, <strong>en</strong> effet,il a vigoureusem<strong>en</strong>t souligné 'que l'organisme de tout être vivant existe au seinde la nature <strong>en</strong>vironnante seùlém<strong>en</strong>t én raison de ses réactions appropriées auxmultip<strong>le</strong>s excitations externes. Dès lors, pour peu que <strong>le</strong> milieu soit extrêmem<strong>en</strong>tvarié et <strong>en</strong> perpétuel développem<strong>en</strong>t, il <strong>en</strong> résulte inéluctab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que l'Activité(9) FREINET: Mé(thode naturel<strong>le</strong> de dessin, .p . 7, Ed. de l'Eco<strong>le</strong> Moderne Française,Cannes.(10) FREINET, ibid, p . 5.(JI) 1. P. PAVLOV. : T y polo g i e et pathologie 'dè l'activité nerveuse supérieure,Paris, P.U.F. 1955. Lire éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t à titre d'introduction· : 1. SETCHENOV ~ Œuvres philo­.ophiques et p6Ych'%gique. choisie •.17bd'


Nerveuse Supérieure doit être el<strong>le</strong>-même extrêmem~nt plastique et changt:allte,.. sans quoi <strong>le</strong>s animaux ne pourrai<strong>en</strong>t refléter correctem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s variations dumilieu et, par conséqu<strong>en</strong>t, s'y adapter. ., . .On lui 'a reproché d'a<strong>voir</strong> eu recoUrs à deS moy<strong>en</strong>s artificiels d'expérim<strong>en</strong>tation.Mais c'est là un reproche <strong>en</strong>core plus fallacieux que superficiel. Sansdoute <strong>en</strong> <strong>en</strong>ferinant ses chi<strong>en</strong>s dans des « chambres de mort'» pour <strong>le</strong>s r<strong>en</strong>dres<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>s à certains stimuli bi<strong>en</strong> déterminés, 'a-t-il simplifié <strong>le</strong>s conditions'. naturel<strong>le</strong>s d'établissem<strong>en</strong>t d'un nouvel équilibre. Mais nul n'<strong>en</strong> a eu consci<strong>en</strong>ceplus que lui. Il s'agissait justem<strong>en</strong>t d'étudier la formation des rétroactions. <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drées par <strong>le</strong>s stimuli précis. Or s'il est vrai que toute expérim<strong>en</strong>tationsuppose préjudiciel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la détermination exhaustive des influ<strong>en</strong>èes <strong>en</strong> jeu,comme dans <strong>le</strong> cas d'un système mécanique inv<strong>en</strong>té par l'homme il était normalde réaliser <strong>le</strong>s copditions <strong>en</strong> quelque sorte pptima' de rétroaction parfai ...tem<strong>en</strong>t nette. C'est pour éviter l'influ<strong>en</strong>ce inhibitiièe des moindres fluctuationsdu milieu que Pavlov dut recourir aux « tours de si<strong>le</strong>nce ». Comme <strong>le</strong> reconnaîtGuillaume, « s'il faut rapporter la conduite au milieu naturel de l'animalpour <strong>en</strong> saisir la signification, il n'est pas moins nécessaire, pour compr<strong>en</strong>dre<strong>le</strong> déterminisme, de <strong>le</strong> reproduire dans un milieu artificiel » (12).' .••Toute l'erreur vi<strong>en</strong>t de ce qu'on a voulu <strong>voir</strong> dans <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe conditionnéson résultat stéréotypé et s'intéresser aux phases de sa formation <strong>en</strong> quelquesorte pour el<strong>le</strong>-même au lieu d'accepter de retrouver,: dans <strong>le</strong> processus d'adaptationnaturel<strong>le</strong> et généra<strong>le</strong> au milieu; <strong>le</strong>s raisons mêmes de cette formation.« L'organisme sans milieu extérieur <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ant son exist<strong>en</strong>ce est impossib<strong>le</strong> :c'est pourquoi la définition sCi<strong>en</strong>tifique de l'organisme doit compr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>milieu qui agit sur lui », écrivait Setch<strong>en</strong>ov (13). Ce qui frappe surtout dans<strong>le</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t d'un réf<strong>le</strong>xe, c'est · son automatisme absolu. Aussi a-t-onpeine à croire qu'il .fut un temps où ce réf<strong>le</strong>xe ne jouait pas avec la mêmerigueur' et qu'il ait pu se former à partir des conditions mouvantes du milieu.Pour peu que <strong>le</strong>s circonstances s'y prêt<strong>en</strong>t comme c'est <strong>le</strong> cas dans un laboratoirespécia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t équipé, un réf<strong>le</strong>xe conditionnel peut être acquis durab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t:d'innombrab<strong>le</strong>s expéri<strong>en</strong>ces <strong>le</strong> prouv<strong>en</strong>t. Mais il pourrait l'êtretout aussi bi<strong>en</strong> dans <strong>le</strong>s circonstances ordinaires de la vie. En matière deréf<strong>le</strong>xologie surtout et <strong>en</strong> raison même des précautions déployées, une lég<strong>en</strong>det<strong>en</strong>ace t<strong>en</strong>d à faire croire que ce' qui est vrai au laboratoire ne l'est plus dansla vie tout court. Et, pourtant ' ll~s ' expéri<strong>en</strong>ces in vitro ne serai<strong>en</strong>t d'aucunintérêt si el<strong>le</strong>s n'avai<strong>en</strong>t pas <strong>le</strong>ur équiva<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>s conditions où se trouveplacé norma<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t l'animal. El<strong>le</strong>s facilit<strong>en</strong>t peut-être Un certain comportem<strong>en</strong>t<strong>en</strong> réduisant une situation donnée à ses élém<strong>en</strong>ts <strong>le</strong>s plus typiques.Mais el<strong>le</strong>s ne vont pas jusqu'à én dénaturer te statut car ' el<strong>le</strong>s ont précisém<strong>en</strong>tpour but d'<strong>en</strong> faire l'analyse dans des conditions qui sont seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un peuplus commodes. Chez l'animal <strong>en</strong> liberté, <strong>le</strong>s faits prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t beaucoup moinsde netteté <strong>en</strong> raison même des interfér<strong>en</strong>ces multip<strong>le</strong>s t<strong>en</strong>ant à des facteurssecondaires. Aussi l'excitant qui stimu<strong>le</strong> <strong>le</strong> chi<strong>en</strong> de laboratoire n'aurait peutêtrepas strictem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> même effet dans <strong>le</strong> cadre de vie du chi<strong>en</strong> de chasseou de berger. Mais si ce dernier ne réagit pas au simet de son maître exactem<strong>en</strong>tcomme l'autre à la sonnerie é<strong>le</strong>ctrique, dans <strong>le</strong>s deux cas <strong>le</strong>s loisel<strong>le</strong>s-mêmes ne se trouv<strong>en</strong>t pas fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t modifiées. Encore et tou-18(12) GUILLAUME: Psychologie anima<strong>le</strong>, p . 40, Colin; 1947,(13) SETCHENOV, ibid, p. 501.


jours c'eSt au sein du comp<strong>le</strong>xe individu-milieu que <strong>le</strong>s phénomènes pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>ttouté <strong>le</strong>ur signification: Et c'est ainsi qu'ils convi<strong>en</strong>t de <strong>le</strong>s interpréter. "Ce qui fait illusion à cet égard, c'est <strong>le</strong> contraste <strong>en</strong>tre la rigidité diI ' réf<strong>le</strong>xeet <strong>le</strong>s conditions mouvantes de sa formation. On a peine à imaginerqu'un automatisme aussi rigoureux puisse être créé là où la vie ne prés<strong>en</strong>~que changem<strong>en</strong>ts multip<strong>le</strong>s et incessants. De la simplicité de son fonctionnem<strong>en</strong>ton est t<strong>en</strong>té généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de conclure à la simplicité de ses causeset on <strong>en</strong> reste <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t à une conception el<strong>le</strong>-même simpliste de . <strong>le</strong>ursrapports. Mais l'appréciation se modifie quand psychologiquem<strong>en</strong>t . on ne détacheplus l'être vivant de son milieu naturel et quand on constate à quelsphénomènes étonnamm<strong>en</strong>t fluides sont liées tant de conduites, phénomènesmouvants d'élaboration, d'extinction, de retard et de différ<strong>en</strong>Ciation de laréaction ' conditionnée <strong>en</strong> fonction des modifications apportées à la va<strong>le</strong>ursignalatrice pour l'organisme de l'excitant conditionnel. C'est alors qu'on <strong>en</strong>vi<strong>en</strong>t à l'idée que l'automaticité du réf<strong>le</strong>xe doit son origine et dia<strong>le</strong>ctiquem<strong>en</strong>trépond à tout un <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> de circonstances qui ont joué d'abord librem<strong>en</strong>t.Loin de se profi<strong>le</strong>r comme la conséqu<strong>en</strong>ce immédiate et directe d'un développem<strong>en</strong>tétroitem<strong>en</strong>t linéaire, el<strong>le</strong> représ<strong>en</strong>te la forme pétrifiée et <strong>en</strong>quelque sorte résiduel<strong>le</strong> d'une situation comp<strong>le</strong>xe qui y trouve son moded'achèvem<strong>en</strong>t. Sous son aspect spécialisé et durci, <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe ne constitue jamaisque <strong>le</strong> point d'aboutissem<strong>en</strong>t d'une série d'ajustem<strong>en</strong>ts progressifs qui s'<strong>en</strong>lèv<strong>en</strong>teux-mêmes sur un fond fort riche et divers. Une tel<strong>le</strong> rigidité représ<strong>en</strong>teun pô<strong>le</strong> lui-même inséparab<strong>le</strong> de cet autre pô<strong>le</strong> qu'est la . spontanéité.Aussi est-il ridicu<strong>le</strong>, déjà chez l'animal, de vouloir ram<strong>en</strong>er et réduire <strong>le</strong>conditionnem<strong>en</strong>t des réf<strong>le</strong>xes à un associatioÎlIlisme qui ne ti<strong>en</strong>drait aucuncompte des conditions réel<strong>le</strong>s et mobi<strong>le</strong>s de là vie, . Qu'on sépare arbitrairem<strong>en</strong>tl'activité anima<strong>le</strong> de ses conditions norma<strong>le</strong>s d'exercice dans <strong>le</strong> milieu correspondant,et il sera tout aussi malaisé de compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t dans saconduite la spontanéité se concilie avec J'automatisme et comm<strong>en</strong>t un comportem<strong>en</strong>tpeut s'adàpter soup<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t aui ' 'circonstances ambiantes alors qu'ilparaît uniquem<strong>en</strong>t guidé par des mécànismes plus ou moins emboîtés <strong>le</strong>suns dans <strong>le</strong>s autres. Si la lég<strong>en</strong>de de l'animal-machine a pu persister si longtempsc'est parce qu'on s'<strong>en</strong> est t<strong>en</strong>u à certaines conduites stéréotypées sànsse préoccuper de sa<strong>voir</strong> où el<strong>le</strong>s puisai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur motivation. Il <strong>en</strong> sera · ainsitoutes <strong>le</strong>s fois qu'on voudra réajuster comportem<strong>en</strong>t et milieu après <strong>le</strong>s a<strong>voir</strong>dissociés arbitrairem<strong>en</strong>t, au lieu de <strong>le</strong>s appréh<strong>en</strong>der d'abord dia<strong>le</strong>ctiquem<strong>en</strong>t.Qu'il <strong>en</strong> soit éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ainsi au niveau proprem<strong>en</strong>t humain, cela ne sauraitfaire de doute (14). En réalité, ùurant <strong>le</strong> jeune âge, toute acquisition nouvel<strong>le</strong>est inséparab<strong>le</strong> des circonstances qui la motiv<strong>en</strong>t. L'appr<strong>en</strong>tissage de la <strong>le</strong>cture<strong>en</strong> fournit un exemp<strong>le</strong> frappant...••, Tout <strong>le</strong> travail initial du maître rie revi<strong>en</strong>t jamais qu'à créer une assoCiationétroite et désormais indéfectib<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre une graphie et un son. Or il n'existeaprès tout que 26 <strong>le</strong>ttres dans l'alphabet; et <strong>le</strong>s ,combinaisons particulièresdu g<strong>en</strong>re ph, ch ... peuv<strong>en</strong>t être el<strong>le</strong>s-mêmes aisém<strong>en</strong>t répertoriées. Dès lorsil est t<strong>en</strong>tant d'attaquer de front ces difficultés et, quitte à s'<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dred'abord aux plm aisém<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tifiab<strong>le</strong>s, de «rabâcher» chacune à satiété ·jusqu'à sa reconnaissance infaillib<strong>le</strong> et instantanée. C'est précisém<strong>en</strong>t ainsiqu'on opérait autrefois... <strong>en</strong> méconnaissant simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'un perroquet luiaussi peut proférer certains sons mais qu'il reste incapab<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ur attribuerun s<strong>en</strong>s. Après a<strong>voir</strong> consacré tant d'efforts ingrats à distinguer <strong>le</strong> « d» du « t »et à combiner <strong>le</strong>s diphtongues « oi» ou «i<strong>en</strong> », il reste l'ess<strong>en</strong>tiel à faire" . (14) Nous <strong>en</strong> administrerons de nombreuses preuves ·ultérieurem<strong>en</strong>t.19


qui est de <strong>le</strong>connaître <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s auquel ils prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t dans un mot et plus <strong>en</strong>çoredans une phrase. Tandis que si j'avais saisi <strong>le</strong>s occasions naturel<strong>le</strong>s de m'intéresserd'abord à tel <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> qui reflétait ,<strong>le</strong>s préoccupations col<strong>le</strong>ètjvesdu mom<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> ne m'aurait empêché de déce<strong>le</strong>r plus particulièrem<strong>en</strong>t tel<strong>le</strong>' acquisition nouvel<strong>le</strong> et, à ce mom<strong>en</strong>t-là seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, d'apporter à son montage'- toute l'opiniâtreté nécessaire.Assurém<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s trois méthodes « réussiss<strong>en</strong>t »,qu'il s'agisse de la méthodeanalytique, de la méthode synthétique ou de la méthode dite mixte. El<strong>le</strong>s« réussis:s<strong>en</strong>t» toutes trois <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que toutes <strong>le</strong>s combinaisons de <strong>le</strong>ttresfiniss<strong>en</strong>t par être connues et que, sauf cas d'arriération m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>, on parvi<strong>en</strong>tbi<strong>en</strong> à faire correspondre un s<strong>en</strong>s il ces assemblages plus ou moins disparates.Mais croit-on qu'<strong>en</strong> l'occurr<strong>en</strong>ce la méthode du dressage ait été la meil<strong>le</strong>ure?S'il' est vrai que des associations peuv<strong>en</strong>t toujours être créées artifi+ciel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t comme c'est <strong>le</strong> cas lors du recours au syllabaire, il ne l'est pasmoins que ces associations gagn<strong>en</strong>t ' à être' révélées à des occasions naturel<strong>le</strong>squi s'y prêt<strong>en</strong>t spontaném<strong>en</strong>t et dans l'ordre même impliqué par <strong>le</strong>s circonstances.Comme <strong>le</strong> veut la méthode mixte, on a cru <strong>le</strong>ver la difficulté <strong>en</strong> pré-~s<strong>en</strong>tant la <strong>le</strong>ttre non plus nue mais insérée dans ·un mot, <strong>voir</strong>e un contexte'où il était aisé de la mettre <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce à l'aide d"artifices multip<strong>le</strong>s. A lapure et simp<strong>le</strong> id<strong>en</strong>tification de suites de <strong>le</strong>ttres sur <strong>le</strong> manuel, on a substitué<strong>le</strong> « tab<strong>le</strong>au de <strong>le</strong>cture» composé par <strong>le</strong> maître et porté au tab<strong>le</strong>au noir <strong>le</strong>plus synoptiquem<strong>en</strong>t possib<strong>le</strong>.Sans doute un progrès a été réalisé dans la mesure où la <strong>le</strong>ttre a I;etrouvésa va<strong>le</strong>ur fonctionnel<strong>le</strong> du fait qu'el<strong>le</strong> a contribué à r<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s immédiatem<strong>en</strong>tappar<strong>en</strong>t. Mais l'artifice ne demeurait-il pas <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que, malgré<strong>le</strong>s précautions prises par <strong>le</strong> maître pour introduire la difficulté nouvel<strong>le</strong> àl'aide d'un dessin associé au texte par exemp<strong>le</strong>, l'intérêt ne se trouve passpontaném<strong>en</strong>t éveillé comme il l'aurait été s'il s'était agi d'un obstac<strong>le</strong> apparuspontaném<strong>en</strong>t? A l'avant-garde comme toujours, <strong>le</strong>s maîtresses d'éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>l'ont bi<strong>en</strong> montré qui étudi<strong>en</strong>t <strong>le</strong> son « ou» quand un <strong>en</strong>fant se trouvea<strong>voir</strong> apporté « un beau bouquet de f<strong>le</strong>urs ». Le texte n'est pas inspiré par ladiffic1,llté qu'il faut à tout prix aborder ce jour-là. C'est bi<strong>en</strong> plutôt l'occasion.qui commande l'acquisition. L'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> de la situation est restitué par laphrase <strong>en</strong>tière qui résume <strong>en</strong> une formu<strong>le</strong> frappante « l'histoire» née spontaném<strong>en</strong>t.Et c'est sur ce fond général que s'<strong>en</strong>lève la difficulté nouvel<strong>le</strong>, appeléepar <strong>le</strong>s nécessités de la transcription et répondant par là même à une évid<strong>en</strong>ce_Voilà <strong>le</strong> contexte vital où une lacune est naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ress<strong>en</strong>tie comme tel<strong>le</strong> ..Et si l'on allègue qu'à l'éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> une tel<strong>le</strong> méthode est aisée puisqu'onn'est pas t<strong>en</strong>u d'appr<strong>en</strong>dre à lire et qu'on trouvera toujours suffisantes <strong>le</strong>sacquisitions faites <strong>en</strong> ce domaine alors qu'il n'<strong>en</strong> va plus de même au CoursPréparatoire, on <strong>en</strong> revi<strong>en</strong>t une fois de plus au fait que de la nécessité deiSa<strong>voir</strong> lire à la fin de l'année ne décou<strong>le</strong> nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, pour la suite des <strong>le</strong>ttresà appr<strong>en</strong>dre, un ordre imposé. Du fait même de <strong>le</strong>urs combinaisons. <strong>en</strong>visagées:fonctionnel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, <strong>le</strong> problème déborde largem<strong>en</strong>t celui de <strong>le</strong>ur simp<strong>le</strong> id<strong>en</strong>tification.C'est bi<strong>en</strong> d'associer à la graphie « ou» un certain son qu'il s'agit.Mais il n'est pas indiffér<strong>en</strong>t que cette association se crée à l'occasion du bouquetqu'un élève vi<strong>en</strong>t réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t d'apporter. En fait cela change tout. Detoute manière il faudra bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>suite une mécanisation t<strong>en</strong>ace. Mais pourquoivouloir qu'el<strong>le</strong> précède?** *Quels rapports avec <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe conditionné? Ils sont frappants. Dans <strong>le</strong>sdeux cas, il s'agit d'une association à créer. Au lieu que la sonnerie é<strong>le</strong>ctriquepar exemp<strong>le</strong> vi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> substitution de la prés<strong>en</strong>tation du plat dans <strong>le</strong> cas.20


du réf<strong>le</strong>xe salivaire, la reconnaissance de la <strong>le</strong>ttre vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> substitution duson dans <strong>le</strong> cas de sa prononciation opportune. Au signal qui appelait norni~~<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un certain type de réponse est substitué un autre signal qùi acquiertla même va<strong>le</strong>ur excitatrice. A l'av<strong>en</strong>ir la réaction survi<strong>en</strong>dra automatiquem<strong>en</strong>tdès l'instant que <strong>le</strong> nouveau signal sera apparu. Dans <strong>le</strong>s deux cas donc,il s'agit bi<strong>en</strong> d'un véritab<strong>le</strong> mécanisme à instituer. Ce n'est pas dès la premièrer<strong>en</strong>contre que cet automatisme est acquis. Ü <strong>en</strong> faut un certain nombre.Et <strong>le</strong>ur sommation obéit à des lois. Ce sont, précisém<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s lois que l'éco<strong>le</strong>pavlovi<strong>en</strong>ne s'est efforcée de déga:ger avec <strong>le</strong> succès que l'on sait. Il s'agit toutsimp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de' cel<strong>le</strong>s qui régiss<strong>en</strong>t l'activité nerveuse supérieure. Pas plusque l'animal, l'homme n'y échappe. Dans <strong>le</strong>s deux cas nous retrouvons « l'al-,ternance continuel<strong>le</strong> ou, pour mieux dire, l'équilibre" des trois processusfondam<strong>en</strong>taux que sont l'excitation, l'inhibition et la- désinhibition. Une phasede: conc<strong>en</strong>tration peut succéder tout aussi bi<strong>en</strong> à la phase d'irradiation. L'in-,duction réciproque peut pareil<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t se révé<strong>le</strong>r simultanée ou successive. Encas de troub<strong>le</strong> on note <strong>le</strong>s mêmes phases paradoxa<strong>le</strong> et ultra-paradoxa<strong>le</strong>. L'asso­Ciation el<strong>le</strong>-même a beau être de types différ<strong>en</strong>ts dans l'une et l'autre substitution;el<strong>le</strong> a beau re<strong>le</strong>ver du second système de signalisation dans un cas'alors que dans l'autre el<strong>le</strong> relève du premier :-el<strong>le</strong> se trouve gouvernée par <strong>le</strong>smêmes règ<strong>le</strong>s. ' ,* * •A première vue, c'est <strong>le</strong> mécanisme lui-même qui semb<strong>le</strong> de<strong>voir</strong> requ<strong>en</strong>rtoute l'att<strong>en</strong>tion. Il s'instaure à coups de répétitions. On répète la <strong>le</strong>ttre commeon répète la sont<strong>le</strong>rie : plus ces répétitions sont fréqu<strong>en</strong>tes, plus l'associationse gravé profondém<strong>en</strong>t. Et pourtant <strong>le</strong> nombre n'est pas à lui seul déterminant.La relation <strong>en</strong>tre l'excitation et la réaction n'est pas si simp<strong>le</strong>. Il ne suffitpas ,d'excitations un peu plus fortes, et un peu plus fréqu<strong>en</strong>tes pour obt<strong>en</strong>irmathématiques des réactions el<strong>le</strong>s-mêmes plus int<strong>en</strong>ses. En réalité l>excitationpositive ne va pas sans ce corollaire qu'est l'excitation négative. Il peuty a<strong>voir</strong> inhibition supramaxima<strong>le</strong>. Les phénomènes de retard et de différ<strong>en</strong>ciationont un rô<strong>le</strong> capital, bi<strong>en</strong> que 'parfois déconcertant et même illogique.C'est à ces lois apparemm<strong>en</strong>t mystérieuses que d'instinct <strong>le</strong> maître se soumetplus ou moins confusém<strong>en</strong>t lorsqu'il varie <strong>le</strong>s procédés au cours d'une mêill ~séance, lorsqu'il ménage des temps' de maturation d'une séance à l'autre, etc.Tout maître expérim<strong>en</strong>té sait pertinemm<strong>en</strong>t qu'une acquisition qui a suscitéde nombreuses répétitions n'est pas définitivem<strong>en</strong>t consolidée par là-mêmeet qu'un procédé qui a réussi dans un cas peut fort bi<strong>en</strong> s'avérer inopérantdans des circonstances <strong>en</strong> principes id<strong>en</strong>tiques. Du moins cette répétition bi<strong>en</strong>comprise reste <strong>en</strong>core l'âme de l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t. Si soup<strong>le</strong>s qu'<strong>en</strong> puiss<strong>en</strong>t être<strong>le</strong>s formes, il ne vi<strong>en</strong>drait à l'idée de personne d'<strong>en</strong> nier la nécessité. « Dansl'<strong>en</strong>seIgnem<strong>en</strong>t du premier degré, il y a une part inévitablè de mécanismequ'il .faut a<strong>voir</strong> <strong>le</strong> courage de reconnaître, et à laquel<strong>le</strong> il faut, non pas serésigner, mais consacrer volontairem<strong>en</strong>t du temps, ' des efforts et de l'intellig<strong>en</strong>ce",précis<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s instructions officiel<strong>le</strong>s de 1938 .•* *Mais si la cause est bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due <strong>en</strong> ce qui concerne l'importance capita<strong>le</strong>de cette phase de mécanisation, s'<strong>en</strong>suit-il' obligatoirem<strong>en</strong>t que du point devue chronologique el<strong>le</strong> doive passer la première? Faut-il s'<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre directem<strong>en</strong>tà el<strong>le</strong>? Est-ce nécessairem<strong>en</strong>t la négliger que de vouloir préalab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tsatisfaire à d'autres exig<strong>en</strong>ces? Et n'est-ce pas au contraire la mieux servir'que de l'<strong>en</strong>gager de la manière la plus r<strong>en</strong>tab<strong>le</strong> pour el<strong>le</strong>? Je puis; faire appr<strong>en</strong>.dre la <strong>le</strong>ttre" u» <strong>en</strong> la prés<strong>en</strong>tant ex abrupto et <strong>en</strong> la livrant à tous <strong>le</strong>s21


finit" l'Inspiration. C'est <strong>en</strong> fonction du tout que se détermin<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s automatismes<strong>le</strong>s plus humb<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>ur · rigidité appar<strong>en</strong>te, à la fois fait premier etrésultat, plonge ses racines et puise · son suc· dans la .situation globa<strong>le</strong>. Loinde reproduire passivem<strong>en</strong>t et du même coup stéri<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la réaction caractéristiquedu stimulus inconditionné, <strong>le</strong> stimulus conditionné admet dans sonprincipe même un certain jeu de variations qui impliqù<strong>en</strong>t précisém<strong>en</strong>t uneconduite de préparation <strong>en</strong> prévision de l'événem<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>du. Tout <strong>le</strong> jeu desréf<strong>le</strong>xes par.aît se ram<strong>en</strong>er à un jeu d'associations automatisantes et simplistesdès l'instant qu'on pratique une coupe dans l'évo~ution et que l'étude st~tiquedu phénomène cesse de se détacher sur <strong>le</strong> fond d'une étude dynamique. .Dès 1927, Pavlov précise que, si <strong>le</strong> sujet n'a <strong>en</strong>core jamais fait office depati<strong>en</strong>t, c'est dans son <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> que <strong>le</strong> milieu expérim<strong>en</strong>tal acquiert pour luides propriétés de conditionnem<strong>en</strong>t. Le réf<strong>le</strong>xe initial apparaît véritab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tcomme un réf<strong>le</strong>xe conditionné par <strong>le</strong> milieu. Ce n'est que plus tard, lorsqu'uneliaison précise s'est établie <strong>en</strong>tre <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe spécial et <strong>le</strong> stimulus déterminé,que <strong>le</strong>s autres élém<strong>en</strong>ts du milieu perd<strong>en</strong>t graduel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur significationconditionnée. Qu'inversem<strong>en</strong>t un chi<strong>en</strong> acquière artificiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant maintesannées .des réf<strong>le</strong>xes dont la néèessité n'apparaît pas dictée par <strong>le</strong>s besoinsambiants, et il <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>dra progressivem<strong>en</strong>t à des réactions émoussées quimontr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> l'obligation d'un fondem<strong>en</strong>t pratique aux liaisons établies hicet nunc. Toujours <strong>en</strong> pratique c'est dans <strong>le</strong> -cadre de l'action et par <strong>le</strong> truchem<strong>en</strong>tdu milieu que l'individu organise ses conduites. Or c'est dans lamesure exacte où <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe conditionné part d'une situation tota<strong>le</strong> pour sespécifier <strong>en</strong> une reaction nettem<strong>en</strong>t adaptée qu'il perd de sa rigidité et deson appar<strong>en</strong>te indiffér<strong>en</strong>ce. Comme l'écrit Mourad (15), « dans ces conditions,grâce à la constatation des véritab<strong>le</strong>s ·caractères du réf<strong>le</strong>xe conditionné telsqu'ils se dégag<strong>en</strong>t d'un exam<strong>en</strong> att<strong>en</strong>tif des faits, l'appr<strong>en</strong>tissage par <strong>le</strong> conditionnem<strong>en</strong>tperd de son caractère automatique et passif pour se rapprocherd'un appr<strong>en</strong>tissage actif qui implique un dynamisme psychique. Il constitueune forme inférieure d'appr<strong>en</strong>tissage qui permet d'analyser l'acquisition d'un<strong>en</strong>ouvel<strong>le</strong> conduite dans des c9nditions expérim<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s de simplicité relativeet de dégager <strong>le</strong>s linéam<strong>en</strong>ts d'un appr<strong>en</strong>tissage supérieur. »* • *De cet «appr<strong>en</strong>tissage supérieur", l'appr<strong>en</strong>tissage de la <strong>le</strong>cture est uneforme particulièi:-em<strong>en</strong>t importante.Dès <strong>le</strong> bas de l'échel<strong>le</strong> et pour peu que <strong>le</strong>s conditions naturel<strong>le</strong>s de la viesoi<strong>en</strong>t restituées, <strong>le</strong> montage de l'automatisme <strong>le</strong> plus simp<strong>le</strong>, si aveug<strong>le</strong> etspécialisé qu'il puisse dev<strong>en</strong>ir, ne saurait être dissocié des circonstances qui<strong>le</strong> motiv<strong>en</strong>t. Or, comme nous aurons l'occasion de <strong>le</strong> montrer ultérieurem<strong>en</strong>t,<strong>le</strong>s mêmes lois généra<strong>le</strong>s jou<strong>en</strong>t éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t au niveau de l'homme si l'onveut bi<strong>en</strong> <strong>le</strong>s observer objectivem<strong>en</strong>t et surtout n'<strong>en</strong> pas fausser l'exercice.Pas plus que l'animal, l'<strong>en</strong>fant ne saurait échapper aux impératifs du milieu.Comme lui, il vit ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t « <strong>en</strong> situation" et dans toutes ses conduitesse trouve «dramatiquem<strong>en</strong>t» lié à tout ce qui l'<strong>en</strong>toure. C'est dans cetteperspective d'~nsemb<strong>le</strong> qu'il faut replacer notamm<strong>en</strong>t l'appr<strong>en</strong>tissage de la<strong>le</strong>cture.Il n'y. a pas d'un côté <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres à acquérir, de l'autre l'<strong>en</strong>fant qui <strong>le</strong>~acquiert. ~ Il y a initia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ce comp<strong>le</strong>xe vital où <strong>le</strong> jeune être est tout(15) MOURAD : L'éveil de l'intellig<strong>en</strong>ce, p. 129-130, Paris, P.U.F.23lrt èS ,,:.


<strong>en</strong>tier immergé et qui appel<strong>le</strong> l'id<strong>en</strong>tification des <strong>le</strong>ttres dans la seu<strong>le</strong> mesUreoù <strong>le</strong>ur emploi opportun est requis pour permettre à certaines significatjopsd'être saisies et interprétées. Un déchiffrage de plus <strong>en</strong> plus sûr et rapide desmêmes <strong>le</strong>ttres <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, chemin faisant, à se produire et c'est ainsi quepeu à peu l'<strong>en</strong>fant se r<strong>en</strong>d maître de l'alphabet. Mais dans la situation primitivem<strong>en</strong>tdonnée et appréh<strong>en</strong>dée, l'automatisation de cette reconnaissance estun pô<strong>le</strong> dont l'autre est la signification el<strong>le</strong>·même. L'un est livré par l'autreet <strong>en</strong> fonction de l'autre. Il n'y a pas à appr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres puis. à chercher '<strong>le</strong> s<strong>en</strong>s de <strong>le</strong>urs combinaisons comme on <strong>le</strong> ferait d'un rébus. C'est à travers<strong>le</strong>ur signification quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t éprouvée que <strong>le</strong> discernem<strong>en</strong>t des ' <strong>le</strong>ttrés 's'opère de plus <strong>en</strong> plus distinctem<strong>en</strong>t. A aUCllll mom<strong>en</strong>t et surtout pas audébut de l'appr<strong>en</strong>tissage il ne faut <strong>le</strong>s départir de <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> fonctionnel.Dans cet esprit <strong>le</strong>. recours au « tab<strong>le</strong>au dé <strong>le</strong>cture)} quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>ouveléau tab<strong>le</strong>au noir comme cela se pratique dans tant de Cours Préparatoiresvaut déjà beaucoup mieux évidemm<strong>en</strong>t que <strong>le</strong> recours immédiat et unilatéralau manuel. Mais Freinet a raison de <strong>le</strong> dénoncer comme un « ersatz» s'il n"apas été préalab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t motivé. Pour la plupart des activités, la motivai:ionest fournie par <strong>le</strong> texte libre à partir du Cours Elém<strong>en</strong>taire. Au niveau duCours Préparatoire el<strong>le</strong> est apportée pour la <strong>le</strong>cture par ces « histoires» que<strong>le</strong>s <strong>en</strong>fants ont <strong>en</strong>vie de raconter <strong>en</strong> début de classe et dont ils ne sontjamais avares pour peu qu'on s'adresse à l'<strong>en</strong>fant et non point à l'écolier. Pourraconter cette histoire aux correspondants il est « naturel» qu'on <strong>en</strong> portela 'trace au tab<strong>le</strong>au noir; . et la nécessité fonctionnel<strong>le</strong> de recourir aux <strong>le</strong>ttresde l'imprimerie appel<strong>le</strong> et justifie dia<strong>le</strong>ctiquem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur id<strong>en</strong>tification.** *Comme l'a dit un humoriste, on n'a pas <strong>en</strong>core inv<strong>en</strong>té de méthode pourempêcher d'appr<strong>en</strong>dre à lire. Et il est bi<strong>en</strong> certain qu'<strong>en</strong> raison même dela comp<strong>le</strong>xité des possibilités d'appréh<strong>en</strong>sion et de la diversité des cheminem<strong>en</strong>tsperceptifs, tout <strong>en</strong>fant norma<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t doué finit par trouver sonbi<strong>en</strong> dans n'importe quel<strong>le</strong> méthode de <strong>le</strong>cture, si rétrograde soit-el<strong>le</strong> ;' ,c'estprécisém<strong>en</strong>t ce qui permet à tant de sceptiques <strong>en</strong> la matière de triompherbruyamm<strong>en</strong>t. Mais il n'<strong>en</strong> demeure pas moins qu''un appr<strong>en</strong>tissage raté pèsefâcheusem<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong> reste de la scolarité, <strong>voir</strong>e sur la vie <strong>en</strong>tière, et qu'ilsuffit de séparer cet appr<strong>en</strong>tissage de son comp<strong>le</strong>xe vital pour méconnaîtrela nécessité non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de ne jamais couper la mécanisation de la compréh<strong>en</strong>sionmais plus généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de ne jamais rompre <strong>le</strong> commerce que <strong>le</strong>jeune être <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avec son milieu; Pavlov ' et Freinet sontlà pour nous <strong>en</strong> administrer conjointem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s preuves.24


LES TECHNIQUES FREINET '"DE L'ECOLE MODERN-E> ,,.A l'int<strong>en</strong>tion de ' ceux de nos <strong>le</strong>cteurs qui ne connaiss<strong>en</strong>t absolum<strong>en</strong>t pasnos réalisations, j'<strong>en</strong> donne ici un bref et rapide aperçu.Par l'idée que j'ai eue, il y a 35 ans - et que j'ai tradtlite dans la pratique- de mettre à ta disposition des <strong>en</strong>fants un matériel d'imprimerie avec <strong>le</strong>quelils imprim<strong>en</strong>t ~eurs propres productions, nous avons supprimé ce hiatus quiexistait obligatoirem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre la p<strong>en</strong>sée de l'<strong>en</strong>fant ~ qui ne se traduisaitjamais <strong>en</strong> texte imprimé - et la p<strong>en</strong>sée imprimée, 'qui . était nécessairem<strong>en</strong>tadulte. . .La p<strong>en</strong>sée de l'<strong>en</strong>fant était, de ce fait, stoppée au niveau de t'éco<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>continuait à. se développer, mais <strong>en</strong> dehors de l'éco<strong>le</strong>, jamais donc au niveaf-ldes techniques culturel<strong>le</strong>s à base de <strong>le</strong>cture èt d'écriture. Il y avait, pour employerun mot à la mode, blocage culturel, avec toutes ses graves conséqu<strong>en</strong>cesdont nous <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>om justem<strong>en</strong>t l'étude dans cette revue.L'Eco<strong>le</strong> donnait bi<strong>en</strong> une instruction et, dans la pll-lpart des cas, une culturequi pouvait n'être pas tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t sans va<strong>le</strong>ur. El<strong>le</strong> avait, <strong>en</strong> tous cas et toujours,la tare d'a<strong>voir</strong> perdu ses racines naturel<strong>le</strong>s dans la vie de l'<strong>en</strong>fant ' et dumilieu. Pour la plupart des élèves non particulièrem<strong>en</strong>t intel<strong>le</strong>ctuels, el<strong>le</strong> pvaitcette tare supplém<strong>en</strong>taire de supprimer' toute motivatiOn au travail scolaire,ce· qui comporte des dangers et des perversions que , nous allo,i1.s examiner.. , . .Nous avons, rétabli <strong>le</strong>s cot,.rants.Là p<strong>en</strong>sée et ,la vie, faffe,eiivité aus.si,ciréu<strong>le</strong>nt de l'<strong>en</strong>fant à l'écote et au maître, du comportem<strong>en</strong>t . individuel àla pratique scolaire qui <strong>en</strong> acquiert une nouvel<strong>le</strong> efficacité. Un des. apportsprinGÎpaux de notre pédagogie, dest qi<strong>le</strong>l<strong>le</strong> permet désormais. l'expression .libre,qui est conquête et épanoitÏssem<strong>en</strong>t: ·épanouissem<strong>en</strong>t de la p<strong>en</strong>sée affectivequi. se traduit par ces poèmes dont M. Combet <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d l'exam<strong>en</strong>, épanouissem<strong>en</strong>tde l'expression libre par <strong>le</strong> dessin .et la peinture, par la musique etla danse, et m~me par la recherche arithmétique et sci<strong>en</strong>tifique. ·,L'e.nfant qui nia po{nt/ été coupé maladroÛeme/1t de sa sève v~ut chercher,expérim<strong>en</strong>ter, créer, créer du .beau et de l'uti<strong>le</strong>, s:e;i;primer, pour pr<strong>en</strong>dre dans14 vie, . dans la société, et même dÇlYls .là production, la. pl(l.ce dont il press<strong>en</strong>tl'éniin<strong>en</strong>ce.Nous avons r<strong>en</strong>du compte de cette 'expéri<strong>en</strong>ce dans <strong>le</strong>s livres et revues. 'suivants :-. Livres: L'Eco<strong>le</strong> Moderne Française ;'. Essai de psychologie s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong> appliquée ~l'éducation;"Les méthodes natt1rel<strong>le</strong>s 'dans la 'pédagogie moderne.' -:'l:Revues·; L'Educateur,' '';~ , . , 'O. 'F.'25


Le s<strong>en</strong>s des lointainsdans <strong>le</strong> monde de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t. et son expression poétiquel1ar C. COMBETTous <strong>le</strong>s oiseaux se sont pos.es sur mon cœurEt l'ont b<strong>le</strong>ssé de <strong>le</strong>urs becs frais.Il est coulé un jet doux et chaud,Puis je me suis <strong>en</strong>dormiD'un sommeil lourd,Je suis partiDans un paysInconnu,D'où je ne suis pas rev<strong>en</strong>u.Jean-Pierre GASTALDI, 14 ans.Enfants-Poètes - P. 182.Nous nous proposons d'élucider la question du s<strong>en</strong>s des loiQtains dans <strong>le</strong>monde dé l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t et d'<strong>en</strong> noter l'expression poétique. Nous . nous référonsuniquem<strong>en</strong>f au recueil des Enfants-Poètes publié par Freinet . <strong>en</strong> ·1954 (Editionsdé la Tab<strong>le</strong> Ronde). Outre que ce recueil réunit des textes d'une incontestab<strong>le</strong>va<strong>le</strong>ur esthétique, il prés<strong>en</strong>te i'avantage d'être faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t accessib<strong>le</strong>. Comm<strong>en</strong>ous ne pouvons citer ici tous <strong>le</strong>s poèmes qui <strong>le</strong> mériterai<strong>en</strong>t, nous invitons nos<strong>le</strong>cteurs à se reporter à cet ouvrage et à y poursuivre eux~mêmes <strong>le</strong>urs investigations.Nous . ne faisons ici que dégager quelques thèmes ess<strong>en</strong>tiels qui pourrontservir de points de repère pour une-<strong>le</strong>cture <strong>en</strong> Profondeur des productionslittéraires de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce.En langâge courant, <strong>le</strong> mot « s<strong>en</strong>s» évoque l'idée· de direction, d'ori<strong>en</strong>tation- mais non pâs d'une direction in abstracto comme dans <strong>le</strong> cas d'un vecteur ;il s'agit d'une ori<strong>en</strong>tation vécue, la p<strong>en</strong>te épousée d'une montagne, par exemp<strong>le</strong>,à l'instant de la redesc<strong>en</strong>te, ou l'effort du v<strong>en</strong>t sur notre corps et ~ur <strong>le</strong>s arbres,ou aussi notre marche fidè<strong>le</strong> et, bi<strong>en</strong> plus fidè<strong>le</strong>, notre regard ouvert sur unpoint de la mémoire ou de l'horizon. Nous sommes ori<strong>en</strong>tés, c'est-à-dire qu<strong>en</strong>ous avons <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s de l'espace et du temps, que nous <strong>le</strong>s ress<strong>en</strong>tons· ou <strong>le</strong>s press<strong>en</strong>tonscomme des dim<strong>en</strong>sions vécues de notre exist<strong>en</strong>ce. L'ori<strong>en</strong>tation d<strong>en</strong>otre marche, l'élan de notre stature, la portée de notre geste, la direction d<strong>en</strong>otre regard, son élargissem<strong>en</strong>t et son rétrécissem<strong>en</strong>t - sa largesse ou sonétroitesse - tout cela dévoi<strong>le</strong> notre mode de prés<strong>en</strong>ce au monde selon l'avantet l'arrière, <strong>le</strong> haut et <strong>le</strong> bas, la droite et Iii gauche, la face et <strong>le</strong> biais, .<strong>le</strong> procheet <strong>le</strong> lointain.Il est donc du plus grand' intérêt, pour qui cherche à compr<strong>en</strong>dre l'être del'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, . de bi<strong>en</strong> perce<strong>voir</strong> <strong>le</strong>s structures spatio-temporel<strong>le</strong>s du monde oùil advi<strong>en</strong>t. Mais notre démarche ne peut s'<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir à la seu<strong>le</strong> recherche et à lasimp<strong>le</strong> description de ces structures. «S<strong>en</strong>s des lointains» veut <strong>en</strong>core dire« sigrtification des lointains ». L'ori<strong>en</strong>tation de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t dans l'èspace et dans26


<strong>le</strong> temps; sa s<strong>en</strong>sibilité àcel'taines expéri<strong>en</strong>ces vécues, précisém<strong>en</strong>tsou~ ' <strong>le</strong> 'signe:"des lointains - ce 1.ont là des indications-psychologiques :qui nous offr<strong>en</strong>t ùxi 'accès au plus intime de l'affectivité ,juvéni<strong>le</strong>. Mais par là-bas, ce n'est qué de 'biâfs et sur la pointe des pieds que nous pénétrerons, ayant appris de Nietzscheque <strong>le</strong> ph,lS léger seul est <strong>le</strong> plus grave.'-1-L'expéri<strong>en</strong>ce vécue de l'espace est insép'arab<strong>le</strong> du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de notr~ prés<strong>en</strong>: ', ..ce corporel<strong>le</strong> motrice. Notre corps, comme foyer du monde, h~mte ' fespaçe nonseu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t dans chacun de ses gestes, mais dans sa position même, ,dans saverticalité - et ,par là, séducteur séduit, il risque ,bi<strong>en</strong>, un b,eau jour, d'êtrehanté, d'être <strong>en</strong> proie à l'espace, d'être à sa merci, et de lui , céder pour de bon- vertige!L'espace. Il , est tantôt celui de l'action immédiate ,sur une chQsë tout<strong>en</strong>tière offerte à la main: la <strong>le</strong>ssive de la ménagère, l'osier du 'Vannier, la ' glirise 'du potier; tantô~ <strong>le</strong> champ plus ouvert d'une action déjà médiatisée commel'est cell.:: du mécanici<strong>en</strong> emporte et dépassé par <strong>le</strong> volume, la puissance et, pourainsi dire, la vie ' intérieure de la locomotive dont il est à la fois <strong>le</strong> maître et <strong>le</strong>rouage. Ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>core, c'est l'espace illimité du paysage où <strong>le</strong> sol et <strong>le</strong> ciels'accueil<strong>le</strong>nt infinim<strong>en</strong>t 'et où, saisis à l'improviste à quelque détour uniquedu s<strong>en</strong>tier de la vie - à quelque détour où, justem<strong>en</strong>t, cesse tout s<strong>en</strong>tier -nous perdons pied, bou<strong>le</strong>versés soudain et comme ' niés et r<strong>en</strong>iés par notrepropre verticalité. Mais voici que, rev<strong>en</strong>ant à nous, et nous secouant commedes naufragés, nous repr<strong>en</strong>ons notre regard analytiquS!et retrouvons noshabitudes; et quand nous nous remémorons l'av<strong>en</strong>ture, nous nous représ<strong>en</strong>tonsun esp'ace et nous nous donnons des objets pour <strong>le</strong> délimiter: c<strong>en</strong>'est plus, a<strong>le</strong>ntour de nous et nous submergeant, la prairie scintillante etfrissonnante <strong>en</strong>globée el<strong>le</strong>-même dans <strong>le</strong> sourire du ciel - , mais ici, à droite,ce sommet bi<strong>en</strong> connu des géographes; à portée de la main ce buissond'aubépines; et, dans notre dos, cette forêt lég<strong>en</strong>daire d'où noûs sortionsquand nous fûmes saisis. Ainsi, nous nommons et énumérons des élém<strong>en</strong>ts depaysage, rapidem<strong>en</strong>t cousus au gros fil de la ll;>gique. Nous reconstruisonsl'espace, un espace secourab<strong>le</strong>, un espace bi<strong>en</strong> ' humain dont <strong>le</strong>s lignes de forc<strong>en</strong>e se ligu<strong>en</strong>t plus contre nous, mais ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à nous comme dès rênes -ou des ficel<strong>le</strong>s! Un espace où <strong>le</strong>s chiffres repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur droit, où <strong>le</strong>s distancesse mesur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> kilomètres et l'état du cie.! <strong>en</strong> millibars, où <strong>le</strong>s chosesperd<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur magie et se laiss<strong>en</strong>t classer, désormais, parmi d'autres.Négligeons donc l'espace dè la représ<strong>en</strong>tation qui est, ' par définition, <strong>le</strong>contraire d'une expéri<strong>en</strong>ce poétique et dont l'étude n'offre d'intérêt que pour<strong>le</strong>s psychologues de l'activité intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> pure. Il reste l'espace de l'actionet l'espace du paysage. Tous deux se réfèr<strong>en</strong>t à notre corps comme à <strong>le</strong>ursource, l'un répondant à l'efficaeitéde notre geste et de notre iiù<strong>en</strong>tion,l'autre nous saisissant à p<strong>le</strong>in corps et nous ressourçant nous-mêmes - etnotre seul geste est alors de surprise.'Si <strong>le</strong> corps est foyer de directions, s'il est <strong>le</strong>, c<strong>en</strong>tre actif et cha<strong>le</strong>ureux,te la rose des v<strong>en</strong>ts, nous compr<strong>en</strong>ons qu'il est capital, pour nous, d'interroger<strong>le</strong> corps de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t. Lui seul pourra nous révé<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s fines nervures et<strong>le</strong>s p<strong>en</strong>tes d'é<strong>le</strong>ction de l'espace juvéni<strong>le</strong>.L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t typique, celui qui s'impose à l'imagination lorsqu'on , nouspar<strong>le</strong> d'âge bête. ou d'âge ingr:at, c'est un grand garçon efflanqué, aux brastrop longs et aux pieds imm<strong>en</strong>ses - et nous <strong>le</strong> reconnaissons de Iain, dansla rue, avec sa démarche incohér<strong>en</strong>te, ses gestes brusq~es et inadaptés, ses27


vêtem,<strong>en</strong>tstoujours- , trop-: coUll~s,,qlJ;isou~p<strong>en</strong>t. . ' COlllme à,'plaisir la disgrâcedèS" férmés: EphèbeS . ciÙü:llns ou ~villageoisont, ; au : milieu de nous,- l'alluregauche de nouveaux-v<strong>en</strong>us; 'pierrc;>ts éblouis par. <strong>le</strong> grand jour ou truands. évadésde quelque solitude.' Et l'impre$Sion se précise que ce sont ..,bi<strong>en</strong> des, étrangerslorsque nous <strong>le</strong>s <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons par<strong>le</strong>r. Ils ont . une voix, rauque et discordante; dessyllabes se heurt<strong>en</strong>t et éclat<strong>en</strong>t bizarrem<strong>en</strong>t à l'ang<strong>le</strong> d'unI! phrase ' ou d'unmot; ils ont parfois des tonalités de basse qui nous surpr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, tant <strong>le</strong>scontours et <strong>le</strong>s reliefs de <strong>le</strong>ur visage sont restés <strong>en</strong>fantins, malgré la gravitéde l'expr~sion, à certaines heures, et la profondeur nouvel<strong>le</strong> .du regard. Etsoudain, quelque chose se brise dan!; <strong>le</strong>ur acc<strong>en</strong>t, ur\.e note cuivrée <strong>le</strong>\,lr écorchela gorge et se livre s~s espoir au monde des 'hommes où llUl ne l'att<strong>en</strong>d. Lasolitude de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t est d'abord une solitude corporel<strong>le</strong> - cel<strong>le</strong> , d'un corpsqui ne trouve aucun lieu où s'insérer harmonieusem<strong>en</strong>t, et qui se voitcondamné à pérégriner vainem<strong>en</strong>t vers un inaccessib<strong>le</strong> bi<strong>en</strong>-être, hors des prisesde la pesanteur: <strong>le</strong> thème de la marche, de l'errance, de la course sansachèvem<strong>en</strong>t précis, de la lévitation même, revi<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s 'poèmes d'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ts :« ••• Sans espoir il est partiLoin de la villé 'et des passants.Les nuages doucem<strong>en</strong>tl'ont voilé ... » (p. 160)« Quand <strong>le</strong>s lilas f<strong>le</strong>urirontQuand <strong>le</strong>s ajoncs périrontMoi, je ne serai plus là, .. » (p. 106)« Dans <strong>le</strong> soir,Dans l'automne, ', Dans <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>sQui s'<strong>en</strong>vo<strong>le</strong>nt)Là-baS,Un <strong>en</strong>fant couraitDans la forêt. » (p. 197).. Je suis monté au cielSur un nuage 'blancJe suis redesc<strong>en</strong>,c44 ' , , . ,"' , 'avec <strong>le</strong> cœur tout angoissé.» (p. 110,. 11~)' Et de même que la pratique du 'test .de Rorsèhach, nous ~pprënci que ce Sont<strong>le</strong>s sujets <strong>le</strong>s plus statiqut;s qui perçoiv<strong>en</strong>t <strong>le</strong> plus grand nombre , de formesdYnamiques, on peut avec raison se demander si'1e corps voué à la plus lam<strong>en</strong>tab<strong>le</strong>pesanteUr ne cherchera pas à s'affranchir, ~se . sublimer dans <strong>le</strong>, poème<strong>le</strong> plus aéri<strong>en</strong>, <strong>le</strong> plus transpar<strong>en</strong>t, <strong>le</strong> plusdélicatelP<strong>en</strong>t 'atmosphérique:«, P.ef<strong>le</strong>is blanç~ 'qUi cQur<strong>en</strong>t '.' '. ,_1è '"long des, fe.uizr~ sEt grimp<strong>en</strong>t dânsLes b.ranches.01#> 1rissom:<strong>le</strong>n~Au 'v<strong>en</strong>t ," .. . 4gér. ;;.(p. J8S); :j):;::"


Le co;rps de l'ado<strong>le</strong>sC<strong>en</strong>t semb<strong>le</strong> être un corps d'emprunt (et n'ont-ils pasl'air· ({ emprunté », <strong>le</strong>s garçons de quinze ans ?), un c;orps de passage --- et 11::iimême· <strong>en</strong> dev<strong>en</strong>ir! Il Y a dysharmonie des formes; des gestes, de. là paro<strong>le</strong>,et cette dysharmonie est tout un univers <strong>en</strong> perpétuel<strong>le</strong> métamorphose. D'unjour à l'autre, d'un mom<strong>en</strong>t à l'autre, el<strong>le</strong> noûs révè<strong>le</strong> des surprises. Nous nesavons jamais à quoi nous <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir. Dans la même journée, <strong>le</strong> même ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tnous pawûtra éclatant de bonne humeur et de bonne santé, heureux dedép<strong>en</strong>ser dans .l'effort physique l'exubérance de ses forces; et puis, commepar <strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t, ou plutôt comme par dés<strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t, nous verrons son .visage se rembrunir, son ardeur s'éteindre et, dans son propre cotps et àtravers lui, nous <strong>le</strong> verrons pr<strong>en</strong>dre de la distance, s'éloign~r à des mil<strong>le</strong>s etdes mil<strong>le</strong>s comme à la capita<strong>le</strong> d 'un Etnpire - où il nous faudra bi<strong>en</strong> essayerde <strong>le</strong> rejoindre.L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t nous apparaît donc comme un être <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine transformation,<strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine croissance. Alors que l'<strong>en</strong>fant de dix ans se campait solidem<strong>en</strong>t surses jambes et s'épanouissait dans la quotidi<strong>en</strong>neté des choses, l'allure mêmede l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t trahit un désaccord profond avec <strong>le</strong> réel immédiat, avec temonde t~l que nous <strong>le</strong> voyons. L'<strong>en</strong>fant de douze ans, stab<strong>le</strong>, appliqué, positif,raisonneur, est beaucoup plus proche de l'adulte que l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t; il s'intéressespontan~<strong>en</strong>t aux problèmes pratiques, il possède très souv<strong>en</strong>t un s<strong>en</strong>s remarquab<strong>le</strong>des affaires et il a fait de la mécanique son paradis. Or l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t,c'est un parll:dis tout différ<strong>en</strong>t qui l'occupe et <strong>le</strong> préoccupe.Ce n'est pas que <strong>le</strong>s objets lui soi<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>us' étrangers et que l~ur manipulationiüt <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t cessé de l'intéresser. Mais nous <strong>le</strong> surpr<strong>en</strong>ons parfoisrêvant par-delà ses outils, par-delà sa tâche inachevée et ses vains projets,et nous n'apercevons pas <strong>le</strong> terme d'un regard que <strong>le</strong> cerc<strong>le</strong> étroit des objetsfamiliers ne suffit plus à accaparer.« La musique vi<strong>en</strong>t de lrès loin,La musique frappe mes oreil<strong>le</strong>s,La musique tait de grosses taches de sang.La mus~que a reprisLa tache s'agranditEt d'un coup monte au paradis.Plus ri<strong>en</strong> ne vit.» (p. 95).« Dans un rêveJ'ai vu s'avancerLes f~rmes douces de la vieEt j'ai été tout ébloui.» (p. 108)Avec son corps <strong>en</strong> train de grandir et sur <strong>le</strong>quel il ne peut trop compter,avec ses membres étirés et comme à la démesure de ses désirs, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tse crée un espace libre, ,un espace illimitë qui <strong>le</strong> sauve de l'étouffem<strong>en</strong>t. Ils'agit, <strong>en</strong> effet, de respirer plus largem<strong>en</strong>t, de se mou<strong>voir</strong> à l'aise; de se dilateraux dim<strong>en</strong>sions de l'univers; cesser de se heurter à tous <strong>le</strong>s ang<strong>le</strong>s, de 'secognè~ aux meub<strong>le</strong>s et aux g~ns, de briser tout ce que l'on déplace. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t,dans sa profonde incomplétude, est celui qui refuse tout complém<strong>en</strong>t qui sei-a~tdélimitation, frontière et fixation. Il voit, dans <strong>le</strong>s quatre murs de l'espàcefamilial, l'expression d'une évid<strong>en</strong>te pauvreté - et méprisab<strong>le</strong>s sont ceux quis'<strong>en</strong> co~t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>L29


.. ,ç'e;;t pourquoi l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce est .l'àge des randonnées, des expéditions · èt· desgrandes av<strong>en</strong>tures à travers monts. C'est l;âgè de la çourse <strong>en</strong> p<strong>le</strong>iIl v<strong>en</strong>f,râge de la bicyc<strong>le</strong>tte et du camping. On part de grand matin, on fuit la maison,on fuit la vil<strong>le</strong>. On se livre à l'espace sans bornes, corps perdu et âm.e saou<strong>le</strong>: 'On est à deux OU à trois - des amis. Mais il importe peut-être beaucoupmoins de par<strong>le</strong>r que de respirer <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>. La conversation repr<strong>en</strong>dra ses droitsplus tard, lorsque <strong>le</strong> jeune homme se sera stabilisé, lorsqu'il sera dev<strong>en</strong>ucapab<strong>le</strong> de pr<strong>en</strong>dre du recul vis-à-vis de lui-même et de juger sa propreav<strong>en</strong>ture, de la situer parmi cel<strong>le</strong>s des autres hommes - lorsqu'il se serarapproché de la cité. .L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t de quinze ans, ce qu'il aime c'est la route infinie; <strong>le</strong> cheminqui se perd et qui nous perd, de surprise <strong>en</strong> surprise. <strong>le</strong>i n'a plus d'importance.Ce qui compte, c'est Là-bas. Ici et Là-bas sont des va<strong>le</strong>urs érriotionnel<strong>le</strong>s del'espace. -<strong>le</strong>i nous implante, nous <strong>en</strong>racine, nous fixe. Là-bas nous dilate, nouslibère, nous ouvre aux dim<strong>en</strong>sions de l'espace total. Là-bas ne s'atteint jamais,ne se possède jamais. C'est l'espace <strong>en</strong> fuite, la route inépuisab<strong>le</strong> où èhemin<strong>en</strong>tvagabonds et bohémi<strong>en</strong>s, ces errants qui exerc<strong>en</strong>t tant de prestige sur l'imaginationado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te.« Inconnu tu es passét14 es partitu es celuiqui ne revi<strong>en</strong>t plusqui de vil<strong>le</strong> <strong>en</strong> vil<strong>le</strong>de borne <strong>en</strong> bornea laissé ses traces fanéestu es celui qui n'est plusTu es partidans l'inconnu des merveil<strong>le</strong>sdans l'inconnu des <strong>en</strong>nuistu es celui qui n'est plustu es passéet tu n'es plus rev<strong>en</strong>u.» (p. 70)« La mandoline sur <strong>le</strong> dosIl s'<strong>en</strong> vadans la cha<strong>le</strong>urdes villagesà travers herbescaillouxterre.« Où vas-tusi loin?- Je vais làd'où nul ne revi<strong>en</strong>t ... » (p. 116)Et il est taciturne, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, de retour à la maison, de retour aux habitudes.Il <strong>en</strong>ferme <strong>en</strong> son si<strong>le</strong>nce <strong>le</strong>s· horizons infinis de sa ferveur. Et, toutela semaine, il bâil<strong>le</strong>ra dans un espace rétréci, dans un espace comblé parl'épaisseur même des g<strong>en</strong>s et des choses ...30


,. ous visons là surtout l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t citadin. Les rythmes vécus du campagnardsont beaucoup moins heurtés et torturés. Choses et g<strong>en</strong>s' a<strong>le</strong>ntour, c'est<strong>en</strong>core la Terre, ou plutôt <strong>le</strong> terroir où s'<strong>en</strong>raciner ne s,ignifie pas se figermais s'approfondir :« l'ai toujours pris <strong>le</strong> même chemin.l'ai toujours r<strong>en</strong>contréLe même vieux cerisier qui crou<strong>le</strong> sous ses branches.l'ai toujours vu la même meu<strong>le</strong> de foinQui se dore au so<strong>le</strong>il.Je me suis toujours p<strong>en</strong>chéSur <strong>le</strong> même bassin aux gr<strong>en</strong>ouil<strong>le</strong>sDont <strong>le</strong>s algues bril<strong>le</strong>nt de mil<strong>le</strong> cou<strong>le</strong>urs.l'ai toujours aiméLe même chat et <strong>le</strong> même chi<strong>en</strong>Qui dorm<strong>en</strong>t près de la porte.l'ai toujours connu la même douce maisonAu toit rouge, au balcon usé.}) (p. 86)Le citadin, lui, est r<strong>en</strong>voyé comme une bal<strong>le</strong> d'un espace à un autre, del'espace libre et vivifant du jeudi et du dimanche à l'esP!lce hosti<strong>le</strong>, sansissue et sans espoir, dè la vil<strong>le</strong> où l'on travail<strong>le</strong> - où l'on fonctionne, où l'onest là. Reste aussi l'espace artificiel des vitrines du soir éclairées au néon,l'espace criard et détraqué du jazz de quartier, l'espace fardé mais fascinantdes affiches et des ènseignes. Tout cela, c'est de la maladie et du vertige. Onse doute' bi<strong>en</strong> qu'on n'<strong>en</strong> sortira jamai.s, pourtant l'on y va traînant, nocturnesado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ts, <strong>en</strong> quête, au sein de cette errance. d'un « ail<strong>le</strong>urs}) et d'un « audelà".Le jeune <strong>en</strong>fant s'extasie devant une vitrine illuminée. Avec l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t,ça ne pr<strong>en</strong>d plus. Et non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ça ne pr<strong>en</strong>d plus. mais ça lui fait mal,so.urdem<strong>en</strong>t. L'adulte, lui, ça lui est bi<strong>en</strong> égal: illuminés ou non. <strong>le</strong>s objetsrest<strong>en</strong>t définis par <strong>le</strong>ur usage. Le féerique et l'utilitaire: <strong>en</strong>tre ces deux mondes,<strong>le</strong> garçon de quinze ans se trouve ' écartelé. Les lumières l'invit<strong>en</strong>t loin d'ici.Mais c'est un « ail<strong>le</strong>urs}) qui n'existe pas, un mirage savamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u parla vertu de la fluoresc<strong>en</strong>ce. On s'y casse <strong>le</strong> nez. Alors l'on s'<strong>en</strong> retourne,ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ts de Picasso. longues et fugitives ombres b<strong>le</strong>ues. passants étrangers àcet espace et à ce temps - et très graves, pour' cette raison, et clos sur soimême,pour cette déception.« Sans mon espritJe suis parti.Je suis allé faire <strong>le</strong> fouJ'ai dép<strong>en</strong>sé mes sous.T'ai joué <strong>le</strong> beau typeA travers <strong>le</strong>s ruesMais personneNe m'a vu.J'ai longé <strong>le</strong>s murs,La nuit,J'ai tout laissé,Les bel<strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s31


.4ux cheveux noirsComme la nuit,Les bel<strong>le</strong>s blondesAu visage de so<strong>le</strong>il.Derrière moil'ai laisséLa folie,Le . bonheur,La joieDe vivre . .Je suis partiTout tristeSans ri<strong>en</strong> pour moi ... )j (p. 201-202)-L'", .ail<strong>le</strong>urs» dont a souci l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, la vil<strong>le</strong> ne peut <strong>le</strong> lùi ' offrir, où toutest limite, où tout est clôture-mécanique, arithmétique. Même <strong>le</strong> ciel n'évade"pas. Trop de cheminées s'y multipli<strong>en</strong>t. On ne recomm<strong>en</strong>ce' à vivre que ducôté des terrains vagues ou sur <strong>le</strong>s · bords de la rivière - promesses d'infini,f<strong>en</strong>êtres largem<strong>en</strong>t ouvertes à l'espace. Le jeune homme y livre son corpsinsatisfait et exigeant, et ce monde-frontière et ce monde-passage, ~ la fois,Vil<strong>le</strong> et. Nature, ajout<strong>en</strong>t à l'exaspérance de son désir. A vivre. aux confins d'un ~monde sans av<strong>en</strong>ir et d'uh monde sans passé, l'être existe comme un cri,'appel <strong>en</strong> même temps q\.fè dou<strong>le</strong>ur. La dramatique juvéni<strong>le</strong> n'est peut-êtrejamais aussi aiguë que sur <strong>le</strong>s bords du canal .ou, par là-bas, près du bou<strong>le</strong>var,dde ceinture; c'est là, certainem<strong>en</strong>t, que la t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre <strong>le</strong> proche et <strong>le</strong> .lointainest la plus vive et la plus dangereuse ; c'est là que la t<strong>en</strong>tation du vagabondagedevi<strong>en</strong>t, . quelque' jour, irrésistib<strong>le</strong>.Ainsi la bipolarité ' spatia<strong>le</strong> est-el<strong>le</strong> vécue comme un conflit par l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t.Mais l'espace étant une structure de notre prés<strong>en</strong>,ce au monde ou, plutôt,« l'habité» de cette prés<strong>en</strong>ce, nous sommes conviés à rechercher dans l'ordrede l'exist<strong>en</strong>ce l'origine et la nature de cette diss<strong>en</strong>sion - diss<strong>en</strong>sion dontil nous faut, auparavant, déce<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s expressions temporel<strong>le</strong>s.IIL'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, dan's la maison familia<strong>le</strong>, est <strong>en</strong> proie à l'étouffem<strong>en</strong>t, et -celad'autant mieux que la maison est plus anonyme; plus standardisée; vide de tout, ' secret, dépouillé d'humain. Ni la cuisine laboratoire, ni <strong>le</strong> salon géométrique,avec la dureté de <strong>le</strong>urs ang<strong>le</strong>s, la froideur de <strong>le</strong>urs lignes et l'inhabitab<strong>le</strong>clarté de <strong>le</strong>ur espace n'offr<strong>en</strong>t d'intérêt pour un garçon de quinze ans, <strong>en</strong>quête de quelque chose de mystérieux, de quelque chose d'infinim<strong>en</strong>t perdu,mais si réel et si proche toutefois. Dans la maison, <strong>le</strong> seul vrai domaine del'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, c'est <strong>le</strong> gr<strong>en</strong>ier, l'auth<strong>en</strong>tique gr<strong>en</strong>ier aux poutres <strong>en</strong>chevêtréesd'ans l'obscurité, par dessus un inénarrab<strong>le</strong> bric-à-brac, témoin de toute unehistoire. C'est dans la pénombre et parmi ces vieil<strong>le</strong>ries que l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t seretire, <strong>le</strong>s jours de pluie, surtout; c'est là qu'il s'éloigne et vi<strong>en</strong>t rêver. Etc'est là, si nous étions assez malins pour <strong>le</strong> suivre, que nous pourrions saisirep. son regard un élargissem<strong>en</strong>t nouveau, une profondeur et une nuanceinaccoutumées.Car ce regard, voici qu'il porte sur l'intérieur et dh côté du passé,voici qu'illit au-dedans de soi et qu'il se tourne irrésistib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t vers Sil propre origine.Nous admirions et nous aimions dans <strong>le</strong> regard <strong>en</strong>fantin wn étonnante candeur"sa transpar<strong>en</strong>ce, limpidité unique de qui s'abandonne sans réserve àl'iristant prés<strong>en</strong>t. Deux yeux se <strong>le</strong>vaièntvers nous, nous interrogf;!ant sur <strong>le</strong>


· et l'arc des sourcils, la t<strong>en</strong>dresse du profil,. la gourmandise de la bouche-~---erte, tout cela. se donnait comme l'émerveil<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t matinal d'un êtreCDCOre tout neuf.A,-ec l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce, un retournem<strong>en</strong>t se produit. Le jeune homme a la révé­- 'Il de sa propre histoire. Il est s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong> au travail profond qui s'opère <strong>en</strong> sonaxps et <strong>en</strong> son âme : il s'abandonne aux troub<strong>le</strong>s qu'il ress<strong>en</strong>t, il savoure <strong>le</strong>sémotions diffuses qui se lèv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lui et l'<strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t. Il <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t ainsi à pr<strong>en</strong>goûtà lui-même, il se passionne pour son propre mystère et il <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dse connaître sur <strong>le</strong> bout du doigt : de se dévoi<strong>le</strong>r à soi-même du plus fin demain, comme se déyoi<strong>le</strong> un bouton de f<strong>le</strong>ur à qui sait <strong>en</strong> <strong>en</strong>tre-pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>spéta<strong>le</strong>s. C'est l'âge du journal intime ou du carnet confid<strong>en</strong>tiel, l'âge aussi desqneJques poèmes par où l'on émerge à soi-même.Il faut ici faire la part de la culture et du loisir. Au lycée, au collège, l'ada-1esc<strong>en</strong>ce se prolonge et s'exacerbe, car l'ambiance scolaire favorise <strong>le</strong> rêve. Là,<strong>le</strong>s responsabilités de la vie, l'urg<strong>en</strong>ce de gagner son pain et d'être « un homme-ne vous saisiss<strong>en</strong>t pas à la gorge: l'élève de troisième ou de seconde vitdans une temporalité étalée où l'av<strong>en</strong>ir n'<strong>en</strong> finit pas de naître, un temps 'oùri<strong>en</strong> ne presse sinon, <strong>en</strong> soi, la grande fringa<strong>le</strong> de s'épouser soi-même et d'existerlibrem<strong>en</strong>t - étincel<strong>le</strong> légère ou g<strong>en</strong>êt griffé des v<strong>en</strong>ts; <strong>en</strong>, somme, <strong>le</strong> tempsd'un roman-f<strong>le</strong>uve où <strong>le</strong> prés<strong>en</strong>t disparaît, étouffé et débordé par la démesurem ême du futur et du passé ; un temps gonflé de pluie; <strong>le</strong>s rives <strong>en</strong> craqu<strong>en</strong>t àde certains mom<strong>en</strong>ts et <strong>le</strong> temps sans borne rejoint l'infini de l'espace. Le regard,est perdu et perdu <strong>le</strong> corps et tout <strong>le</strong> quotidi<strong>en</strong> avec. Le rêve qui nous pr<strong>en</strong>d surnos cahiers et nos livres nous emporte si loin, c'est comme un nœud qui sedéfait, nous fluons, nous sommes pure mouvance. Qu'import<strong>en</strong>t alors nos brastrop longs et nos imm<strong>en</strong>ses pieds et l'étroitesse et la banalité de l'exist<strong>en</strong>cequotidi<strong>en</strong>ne. Nous sommes ail<strong>le</strong>urs: Enfin nous habitons" nous respirons. Il asuffi pour s'<strong>en</strong> al<strong>le</strong>r d'un peu de musique ou de poésie ou du paysage brumeuxe ntrevu par la f<strong>en</strong>être de la classe, ou d'un rayon de so<strong>le</strong>il sur l'or tardif d'imtil<strong>le</strong>ul ; il a suffi de céder, un instant, à la rythmique du monde.« Chaque heure <strong>le</strong>s cloches 'sonn<strong>en</strong>tEt je sais qu'il ne vi<strong>en</strong>dra personneChaque heure l'horloge sonneEt je regrette <strong>le</strong> temps qui s'<strong>en</strong> vaComme moi qui passeChaque heure." (p. 82)Par là nous compr<strong>en</strong>ons que l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce possède ses . saisons privilégiées;cel<strong>le</strong>s où <strong>le</strong>s rythmes du Cosmos sont <strong>le</strong>s plus <strong>en</strong>voûtants et <strong>le</strong>s plus dissolvants,printemps, automne, climats d'un âge qui est lui-même une intersaison deliexist<strong>en</strong>ce. Les grands' romans de' l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce, werther ou R<strong>en</strong>é, Sylvie, Domi~nique ou Le Grand Meaulnes sont des œuvres où l'ambiance climatique joue unrô<strong>le</strong> capital : <strong>le</strong>s êtres particip<strong>en</strong>t de la saison, de l'effloresc<strong>en</strong>ce printanière oude la chute de feuil<strong>le</strong>s; ils ont l'aspiration et l'expiration du monde lui-mê~e .Les grands effluves d'avril et de mai sont une espérance de la chair et <strong>le</strong>spremièr-es grisaiUesd'oc-tobr-e une invitation aux cheminem<strong>en</strong>ts intérieurs.« Les arbres meur<strong>en</strong>tComme <strong>le</strong>s araignéesDans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il., i :33


L'eau dort dans <strong>le</strong> froid,L'été s'<strong>en</strong> est allé.Les arbres tiss<strong>en</strong>t,Comme <strong>le</strong>s araignéesDans te ciel tristeDes jours grisDe l'année.L'été s'<strong>en</strong> est allé.Je suis repliéComme <strong>le</strong>s araignées.J'ai fermé <strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>ts,L'été s'<strong>en</strong> est allé.» (p. 139)Cette idée de cheminem<strong>en</strong>t intérieur caractérise la rêverie de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t,par opposition à cel<strong>le</strong> de l'<strong>en</strong>fant. Chez <strong>le</strong> jeune <strong>en</strong>fant la rêverie est l'accèsimmédiat à un monde merveil<strong>le</strong>ux. Le petit garçon qui serre son ours <strong>en</strong>tre sesbras avant de s'<strong>en</strong>dormir a quitté cette terre pour un pays franchem<strong>en</strong>t fantastiqueoil <strong>le</strong>s objets s'anim<strong>en</strong>t et dialogu<strong>en</strong>t comme dans Alice · au Pays desMerveil<strong>le</strong>s. L'<strong>en</strong>fant habite son rêve comme il habite <strong>le</strong> monde extérieur - unmonde dev<strong>en</strong>u carnaval, dont l'étrangeté <strong>le</strong> captive. Il a l'âme écarquillée sursa vision.Chez l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, au contraire, <strong>le</strong> rêve ne se joue pas <strong>en</strong>.dehors de lui.L'ado<strong>le</strong>sç<strong>en</strong>t se rêve lui-même. Et plus il · cherche à s'atteindre plus son êtreintime semb<strong>le</strong> recu<strong>le</strong>r et s'<strong>en</strong>foncer. On p<strong>en</strong>se à certaines œuvres de Paul K<strong>le</strong>e:jamais nous · n'atteignons la fin du tab<strong>le</strong>au, <strong>le</strong> cheminem<strong>en</strong>t n'a pas de terme,notre consci<strong>en</strong>ce du passé ne fait que s'allonger.Ce passé, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t ne <strong>le</strong> découvre pas comme une col<strong>le</strong>ction d'événem<strong>en</strong>t~singuliers. C'est un tout. Une prés<strong>en</strong>ce. L'intérêt d'un événem<strong>en</strong>t ti<strong>en</strong>t d'ail<strong>le</strong>ursbeaucoup moins à son cont<strong>en</strong>u objectif qu'à son ret<strong>en</strong>tissem<strong>en</strong>t affectif. Précisém<strong>en</strong>t,<strong>le</strong> journal intime ou <strong>le</strong> poème cherch<strong>en</strong>t à . <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir ce ret<strong>en</strong>tissem<strong>en</strong>tet on a l'impression qu'à travers <strong>le</strong> passé lui-même, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t vise un plusque passé. A cet égard, la <strong>le</strong>cture de Sylvie nous paraît très instructive: c'estd'un par-delà Sylvie que Nerval est <strong>en</strong> quête; aussi cherche-t-il moins à décrireune personne qu'à retrouver <strong>le</strong>s impressions ress<strong>en</strong>ties : lorsqu'une jeune fil<strong>le</strong>a la douceur du Valois et lorsqu'une nuit d'I<strong>le</strong> de France a la. transpar<strong>en</strong>ce d'unregard aimé, alors <strong>le</strong> monde est habité. Le par-delà Sylvie, c'est d'élargir auxdim<strong>en</strong>sions de l'univers la féminité saisie dans sa prime apparition.Nous r~trouvons donc une nouvel<strong>le</strong> fois ce mouvem<strong>en</strong>t d'épouser <strong>le</strong> monde,ce désir d'expansion infinie, de dilatation illimitée - par quoi nous pourrionscaractériser l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce comme un âge ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t respiratoire.Le plus que passé dU: souv<strong>en</strong>ir· rejoint <strong>le</strong> plus que futur du désir dans <strong>le</strong>smythes de la Princesse lointaine, de l'I<strong>le</strong> au Trésor ou de la Quête du Saint­GraaL II s'agit dans tous <strong>le</strong>s cas d'un voyage, d'un rêve à réaliser, d'un idéal àatteindre, d'une mission à accomplir. Dans cette course, l'instant prés<strong>en</strong>t dispa·raît : l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t n'a de regard que pour un sur<strong>le</strong>ndemain où tout peut adv<strong>en</strong>ir.Toutefois, il s'agit beaucoup moins d'obt<strong>en</strong>ir un résultat concret que devivre avec ferveur. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t de Dostoïevsky veut être Rotschild, une manièrede surhomme; d'avance son projet est voué à l'échec, mais n'importe, l'idéedemeure et el<strong>le</strong> réactive sans cesse son élan. Il <strong>en</strong> va de même <strong>en</strong> amour et <strong>en</strong>34


eligibn/ il importe que la Princsse soit lointaine,que la F<strong>le</strong>ur b<strong>le</strong>ue de Novalis . .soit inàccessib<strong>le</strong> et que Dieu soit caché. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t ne s'attache qu'à l'inat",teigriàb<strong>le</strong>.Le prestige du héros, pour l'<strong>en</strong>fant, résidait dans l'accomplissem<strong>en</strong>t d'unetâche parfaitem<strong>en</strong>t réussie : que <strong>le</strong> Petit Poucet triomphe de l'Ogre, voilà quiétait ' intéressant. L'<strong>en</strong>fant était s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>, surtout, au résQltat de l'av<strong>en</strong>ture,.donné comme prés<strong>en</strong>t. Au contraire, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t attache beaucoup moins d'intérêt'ail résultat qu'au départ. Ce qui l'attire, c'est que <strong>le</strong> héros se réalise ' <strong>en</strong>s'évadant du quotidi<strong>en</strong>: l'explorateur, <strong>le</strong> conquérant, l'aviateur ou même <strong>le</strong>simp<strong>le</strong> baladin sont des g<strong>en</strong>s qui ont rompu avec la monotonie familia<strong>le</strong>, avecl'ambiance socia<strong>le</strong>. Ils ont tout laissé et ils sont partis :« Nous sommes des types,Des types comme ça, ça me plaît,Des types qui march<strong>en</strong>t des nuits <strong>en</strong>tières,Suivant une étoi<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>s mèneraLoin du bruit, des rumeursEt dans la solitude ... » (p. 199)Sacrifier un prés<strong>en</strong>t confortab<strong>le</strong> pour un av<strong>en</strong>ir incertain c'est, aux yeux del'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, la condition première de l'héroïsme.S9uv<strong>en</strong>t on qualifie l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce d'idéaliste, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant par là que <strong>le</strong> jeunehomme, foncièrem<strong>en</strong>t insatisfait de sa condition prés<strong>en</strong>te - de n'être que cela...:.. s'évade dans un univers à v<strong>en</strong>ir, de la cou<strong>le</strong>ur du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, un rêve sansfrontières où se mê<strong>le</strong>nt et se confond<strong>en</strong>t érotisme, religiosité, désirs humanitaireset désirs de solitude, bref, un romantisme.Or <strong>le</strong> romantisme est un monde <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s, celui où l'on ne sait <strong>en</strong>core si<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il se lève ou s'il se couche, celui de la pénombre et de l'ambiva<strong>le</strong>nce; unmonde où l'on n'existe que de biais : peut-être hier, peut-être demain. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tprojette dans <strong>le</strong> futur <strong>le</strong> rêve de son passé, Les psychologues se cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tgénéra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de noter chez l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t une certaine agressivité à l'égard de cequi lui rappel<strong>le</strong> son <strong>en</strong>fance, une certaine rage iconoclaste: il r<strong>en</strong>ie ses anci<strong>en</strong>nesferveurs, il brû<strong>le</strong> ce qu'il adorMt, famil<strong>le</strong>, éco<strong>le</strong>, église. On par<strong>le</strong> à ce proposd'une crise d'originalité juvéni<strong>le</strong>. Mais cette description se trouve dépassée dèsque l'on perçoit dans ce comportem<strong>en</strong>t l'expression d'un attachem<strong>en</strong>t passionnéà l'<strong>en</strong>fance. Cette poussée de révolte et de haine trahit un amour malheureux.et douloureux, un amour sans issue. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t vilip<strong>en</strong>de son <strong>en</strong>fance parceque son <strong>en</strong>faQce lui échappe, parce qu'el<strong>le</strong> a coulé comme du sab<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre ses·doigts ouverts. Les beaux jours, sont finis, <strong>le</strong>s laurie.rs sont coupés, il y eut unmatin unique et il n'est plus, un temps de la verte poussée où la v<strong>en</strong>ue au mondese fondait dans la douceur, mais c'<strong>en</strong> est fait de l'éternel prés<strong>en</strong>t, <strong>le</strong> tempsest malade, <strong>le</strong> temps s'est scindé et ses parties se livr<strong>en</strong>t la guerre. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>taccède à l'exist<strong>en</strong>ce tragique ou plutôt <strong>le</strong> tragique de l'exist<strong>en</strong>ce éclate <strong>en</strong> lui-:- et voilà bi<strong>en</strong>. qui fait la profondeur et la gravité du regard; <strong>le</strong> regard deceux qui <strong>en</strong> sav<strong>en</strong>t trop long. , Impossib<strong>le</strong> de s'accrocher à l'<strong>en</strong>fance, sinon d'unefaçon . symbolique; c'est un monde révolu. Aussi l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t s'éprouve-t-il commeun. être abandonné, perdu à quelque croisem<strong>en</strong>t où tous ' <strong>le</strong>s chemins sontnoct~es et ne conduis<strong>en</strong>t nul<strong>le</strong> part: <strong>en</strong>core l'univers des dernières œuvresde K<strong>le</strong>e.Enfan~e révolue - mais cep<strong>en</strong>dant si <strong>en</strong>voûtante que l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t fascinéfixera' soh regard sur el<strong>le</strong>, ce même regard que nous avons vu s'ouvrir sur l'ho-35 j1


Tizon <strong>le</strong> plus reculé. Ici, nous touchons à la signification du problème · des loin­-tains dans <strong>le</strong> monde de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t; nous essaierons de la faire apparaîtrê, dela faire émerger de l'âme de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t: et peut-être compr<strong>en</strong>drons-nous.qu'el<strong>le</strong> n'est ri<strong>en</strong> moins que cette âme el<strong>le</strong>-même.IIIAyant reconnu <strong>le</strong> corps de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t comme foyer du monde juvéni<strong>le</strong> et-comme origine de structures spatio-temporel<strong>le</strong>s caractéristiques, nous comm<strong>en</strong>- ,·cerons par questionner la biologie et la physiologie sur <strong>le</strong> fondem<strong>en</strong>t de l'ori<strong>en</strong>tationde l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t aux lointains. Notre att<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> ce domaine est attirée ·par une remarque de Buyt<strong>en</strong>dijk (De la Dou<strong>le</strong>ur, p. 10) sur l'interdép<strong>en</strong>dancede la sphère mora<strong>le</strong> et de la sphère organique, interdép<strong>en</strong>dance dont <strong>le</strong>s raisonssont à rechercher dans l'activité du système neuro-végétatif. Or, l'avènem<strong>en</strong>t de lapuberté <strong>en</strong>traîne de sérieuses perturbations <strong>en</strong> ce domaine: la circulation sangui­,ne et la respiration trahiss<strong>en</strong>t des irrégularités dans <strong>le</strong>ur régime; de là <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>sationsd'oppression et d'angoisse qu'éprouve souv<strong>en</strong>t l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t ; <strong>le</strong> développem<strong>en</strong>tde la glande thyroïde s'accompagne d'une émotivité diffuse, d'une s<strong>en</strong>sibi­,lité à f<strong>le</strong>ur de peau; <strong>en</strong>fin la maturation sexuel<strong>le</strong> instaure une nouvel<strong>le</strong> ryth­-mique du corps, avec des temps d'hypert<strong>en</strong>sion et des temps· d'hypot<strong>en</strong>sion -tumesc<strong>en</strong>ce et détumesc<strong>en</strong>ce. Tout cela s'ajoute au s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de gêne provoquépar la croissance_physique et fait du corps de rado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>r un habitat éminemm<strong>en</strong>tinconfortab<strong>le</strong>, <strong>en</strong> proie à l'insécurité interne et au déséquilibre. Il y a là.certainem<strong>en</strong>t un élém<strong>en</strong>t d'explication valab<strong>le</strong>; <strong>en</strong> particulier, l'émotivité diffusese prés<strong>en</strong>te comme une véritab<strong>le</strong> aspiration de tout l'être aux lointains,;.<strong>le</strong> corps, avec son int<strong>en</strong>se désir de pacification, att<strong>en</strong>d comme une délivrance·de se dissoudre dans l'espace; il <strong>en</strong> est de lui comme d'un bateau dont la coque:semb<strong>le</strong> prête à craquer sous la pùissance du moteur. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t ne peut plusrésister aux forces vives qui bouillonn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lui. Le thème du Bateau Ivre n'a·pas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la signification métaphysique que lui prête Claudel, il exprime~l'incarnation juvéni<strong>le</strong> dans· toute sa vio<strong>le</strong>nce.Cep<strong>en</strong>dant, nous ne saurions nous <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir à une explication de type biolo­,gique - précisém<strong>en</strong>t parce que ce n'est qu'une explication. La biologie ne r<strong>en</strong>dpas compte de toutes <strong>le</strong>s conduites de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t. El<strong>le</strong> ne nous dit ri<strong>en</strong> de sesferveurs ni de ses haines ; el<strong>le</strong> ne donne aucun s<strong>en</strong>s au cont<strong>en</strong>u de ses rêves. Auterme de l'explication biologique, <strong>le</strong> mystère demeure absolum<strong>en</strong>t opaque. Pas'plus que l'habitude ne se réduit à une simp<strong>le</strong> organisation de synapses, l'affectivitéhumaine ne se compr<strong>en</strong>d à partir de la seu<strong>le</strong> activité hormona<strong>le</strong>. Le corpsdont trait<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s sci<strong>en</strong>ces de la nature n'est qu'un objet parmi d'autres ; or nousavons parlé du corps de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t <strong>en</strong> termes de prés<strong>en</strong>ce. Ce faisant, c'étaità une réalité d'un autre ordre que nous nous référions implicitem<strong>en</strong>t. Maisquel<strong>le</strong> réalité?S'agit-il de dire que, <strong>le</strong> corps n'étant que l'instrum<strong>en</strong>t de l'intellig<strong>en</strong>ce~ c'està cette dernière que nous aurons recours, <strong>en</strong> une ultime instance, sur la questionde découvrir la signification des lointains dans <strong>le</strong> monde de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t?Une psychologie de type intel<strong>le</strong>ctualiste verra dans l'acquisition d'une p<strong>en</strong>séelogique achevée et d'un langage syntaxique comp<strong>le</strong>t au mom<strong>en</strong>t de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>­·ce, la manifestation la plus évid<strong>en</strong>te d'une ori<strong>en</strong>tation de l'esprit aux lointains;el<strong>le</strong> pourra opposer l'intellig<strong>en</strong>ce pratique, comme souci du proche, à l'iritelli'g<strong>en</strong>ce théorique comme mise à. distance du sujet vis-à-vis de l'objet et dël'objet vis-à-vis de l'idée. Mais tout cela n'est guère convaincant et il né fautpas confondre distance et lointains. La psychologie intel<strong>le</strong>ctualiste reste à lasurface des choses. Ce que nous cherchons, c'est à saisir l'être de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tsous un jour tel que toutes ses conduites nous apparaiss<strong>en</strong>t signifÎcatives ou,mieux, qu'à travers chaque conduite nous puissions reconnaître une prés<strong>en</strong>ce.Nous ·voici donc à la recherche d'une c<strong>le</strong>f de voûte, d'un principe d'unité quifonde l'ori<strong>en</strong>tation aux lointains et nous la r<strong>en</strong>de transpar<strong>en</strong>te aussi bi<strong>en</strong>çom-36


. me simp<strong>le</strong> besoin de respirer largem<strong>en</strong>t que comme amour de la terre ou com­. me inquiétude métaphysique.Si nous voulons rejoindre l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t au cœur de ses problèmes, dans ce'que sa dramatique a de plus aigu et de plus significatif, nous pouvons faire undétour par la pathologie m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> - plus spécia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t par la pathologie desnévrQses de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce. Les, déchirem<strong>en</strong>ts, <strong>le</strong>s ruptures et <strong>le</strong>s, gauchissem<strong>en</strong>tsdont souffre <strong>le</strong> névrosé ne font que révé<strong>le</strong>r avec des traits accu1iés et par làinoubliab<strong>le</strong>s,. <strong>le</strong>s conflits typiques de tout ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t. La névrose n 'est que l'acted'une puissance que nous possédons tous. Selon l'expression de Nietzsche, el<strong>le</strong>est la ' publication de ce qui se joue sous la tab<strong>le</strong>.Nous avons caractérisé l'intériorité affective de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t comme un cheminem<strong>en</strong>tnocturne et solitaire et nous avons dit du jeune homme qu'il éprouvait<strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d'être abandonné. Or il existe un type de névroses propres à.l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce que l'on désigne justem<strong>en</strong>t sous <strong>le</strong> terme de névroses d'abandon ..L~ malade se s<strong>en</strong>t perdu, seul au monde, délaissé par l'<strong>en</strong>tourage, accusé parlui-même, <strong>en</strong> bute à la tota<strong>le</strong> indiffér<strong>en</strong>ce du monde. Il se dit chargé d'un lourdpassé, maudit et abandonné par Dieu, condamné à la douloureuse insatisfactiondes errants. Le malade est instab<strong>le</strong>, il passe d'une tâche à l'autre sans pou<strong>voir</strong>jamais se fixer, d'une affection à l'autre sans pou<strong>voir</strong> jamais s'attacher. Ila <strong>le</strong> tourm<strong>en</strong>t du voyage, sollicité qu'il est par tin au-delà de toute action, 'detoute p<strong>en</strong>sée, de tout s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t. Son att<strong>en</strong>tion ne se porte pas à l'immédiatmais toujours à l'à-v<strong>en</strong>ir, à l'inaccessib<strong>le</strong>, Il connaît souv<strong>en</strong>t l'élan mystique etil prét<strong>en</strong>d alors que si son âme s'ouvrait à Dieu, se donnait à lui, toutes sesdifficultés serai<strong>en</strong>t résolues et il trouverait <strong>en</strong>fin la paix, <strong>le</strong> repos, la stabilité- <strong>le</strong> sommeil.. S'ouvrir à Dieu, s'abandonner à la Prés<strong>en</strong>ce divine, nous s<strong>en</strong>tons là com~eune effervesc<strong>en</strong>ce amoureuse et nous nous demandons s'il y a pas lieu de suspecterce mysticisme et d'y <strong>voir</strong> surtout l'expression d'une imm<strong>en</strong>se nostalgiede la féminité. Tout se passe comme si, au sortir de l'<strong>en</strong>fance, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t -et d'une façon plus évid<strong>en</strong>te l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t névrosé - r<strong>en</strong>ouait affectivem<strong>en</strong>t avecla source même de son <strong>en</strong>fance, avec la mère. L'ori<strong>en</strong>tation aux lointains, dansses expressions spatio-temporel<strong>le</strong>s, nous paraît être un interminab<strong>le</strong> et profondregard du côté -où tout se fondait · jadis dans l'<strong>en</strong>globem<strong>en</strong>t maternel. Le désirde s'échanger avec l'espàce illimité, celui de se dilater aux dim<strong>en</strong>sions du cosmos,ou <strong>en</strong>core celui de se noyer, de se perdre au grand large - ce sont làautant de formes du désir lancinant de retourner au sein maternel - la chèrepatrie d'où l'exist<strong>en</strong>ce nous a exilés, Paradis terrestre, Eldorado, I<strong>le</strong> au Trésor- au Trésor <strong>en</strong>foui, <strong>en</strong>terré à tout jamais dans la Terra G<strong>en</strong>itrix. La communionpanthéiste à l'Univers tel<strong>le</strong> que <strong>le</strong> Vicaire Savoyard l'<strong>en</strong>seigne à l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tEmi<strong>le</strong> exprime bi<strong>en</strong> aussi <strong>le</strong> désir d'épouser la Terre-Mère et d'annu<strong>le</strong>r parcette étreinte, toutes <strong>le</strong>s contradictions de l'exist<strong>en</strong>ce, d'annu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> Temps .. L'attrait de .. l'eau dormante comme espérance de liquéfaction doit ret<strong>en</strong>irnotr e att<strong>en</strong>tion. C'est <strong>le</strong> thème du mythe de Narcisse. Ker<strong>en</strong>yi (La Mythologiedes Grecs, Payot 1952, p. 172) note à ce propos: «On disait du beau Narcissequ'il n'aperçut son ref<strong>le</strong>t que lorsqu'il eut atteint sa seizième année ... Narcisses'éprit de sa propre image et se laissa dépérir à moins qu'il ne se tua. De soncadavre sortit la f<strong>le</strong>ur nommée aujourd'hui <strong>en</strong>core narcisse. En ce nom, onretrouve <strong>le</strong> vieux mot narkè, l'<strong>en</strong>gourdissem<strong>en</strong>t.»Ce récit nous propose des données particulièrem<strong>en</strong>t instructives. Le drameest celui d'une fascination irrémédiab<strong>le</strong> de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t par sa propre beauté, .fascination qui l'accapare tout <strong>en</strong>tier dans la contemplation de son image,image au fond des grandes eaux maternel<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong> laisse indiffér<strong>en</strong>t et indispo-371f!1l


nib<strong>le</strong> pour tout autre amour. Ce qu'il est important de saisir ici, c'est la placedé la Mère"Eau. El<strong>le</strong> forme vraim<strong>en</strong>t <strong>le</strong> nœud du drame. Narcisse s'~ppàrait àtravers el<strong>le</strong>; plus exactem<strong>en</strong>t, ce qui lui apparaît, c'est la Mère dev<strong>en</strong>ue sonvisage: souriante effloresc<strong>en</strong>ce au plus profond de la mémoire (1). Il Y a, id<strong>en</strong>tificationpsychique de Narcisse à la Mère et fixation de l'Eros (2) à l'image de, la Mère. Enfin, l'amour sans issue se manifeste comme lié à la mort,; <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drantla mort par impuissance, <strong>en</strong>gourdissem<strong>en</strong>t, sommeil intra"utérin, extinc­~ion que symbolise la noyade.Il est caractéristique que tant de poèmes ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ts évoqu<strong>en</strong>t', plus oumoins explicitem<strong>en</strong>t la mort par noyade. Et cette mort apparaît 'comme larançon d'un impossib<strong>le</strong> amour :« C'est pour toi que j'ai cherchéL'eau verte de l'étangOù je me suis noyé.Mais, maint<strong>en</strong>ant, là-hautJe peux te regarder. » (p. 89)« L'<strong>en</strong>fant des ruesL'<strong>en</strong>fant de personneIl est parti se noyerdans l'étang!» (p. 160)« Je suis restéDans <strong>le</strong>s flotsComme un <strong>en</strong>fant dans son berceàu-: .. » (p. 206)L'exist<strong>en</strong>ce juvéni<strong>le</strong> nous apparaît bi<strong>en</strong> comme une exist<strong>en</strong>ce tragique:épouser la Mère, c'est <strong>le</strong> péché, <strong>le</strong> refus de se pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> charge et la mort :r<strong>en</strong>oncer à la Mère, c'est se trouver jeté là brusquem<strong>en</strong>t dans un' mondeinhospitalier où tout doit être construit par soi-même; c'est s'arracher à ladouceur sans mémoire, à la bi<strong>en</strong>faisance d'un temps sans passé, sans, Histoire :, c'est accepter l'irréversib<strong>le</strong>, s'assumer, vivre - mais quel<strong>le</strong> nuit pire que lamort 1(1) Cf. FREUD: «Un souv<strong>en</strong>ir d'<strong>en</strong>fance de Léonard de Vinci l) (N.R.F.: Freudanalyse, <strong>en</strong>tre autres, <strong>le</strong> thème du sourire dans l'œuvre de Léonard. Parlant du Saint Jeanei: du Bacchus. il note: «Ce sont de beaux jeunes g<strong>en</strong>s d'une délicatesse féminine, auxformes efféminées ; ils ne baiss<strong>en</strong>t pas <strong>le</strong>s yeux mais nous regard<strong>en</strong>t d'un regard mystérieusem<strong>en</strong>tvainqueur, comme s'ils connaissai<strong>en</strong>t un grand triomphe de bonheur que l'ondoit taire; <strong>le</strong> sourire <strong>en</strong>sorce<strong>le</strong>ur que nous connaissons laisse deviner qu'il s'agit d'unsecret d'amour. ,Peut-être Léonard a-t-il désavoué et surmonté, par la force de l'art, <strong>le</strong>malheur de sa vie d'amour <strong>en</strong> ces figures qu'il créa, ,et où une tel<strong>le</strong> fusion bi<strong>en</strong>he~eusede l'être mâl~ avec l'être féminin figure la réalisation des désirs de l'<strong>en</strong>fant autrefois- fasciné par la mère.» (C'est nous qui soulignons.)(2) Le terme Eros déborde largem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s impliéations plus strictem<strong>en</strong>t sexuel<strong>le</strong>s duterme Libido.38


· Tel<strong>le</strong> est l'alternative de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce. Et l~n compr<strong>en</strong>d (3) qu'el<strong>le</strong> incite à,la gravité, à l'iso<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t et au si<strong>le</strong>nce. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t est <strong>en</strong> proie à l'ombre, etJJ,Oll , seu<strong>le</strong>:r;ne~t parce que, l'ombre abolit <strong>le</strong>s contours et dilate l'espace, maisplirce qu'el<strong>le</strong> nous ramène à nous-mêmes et nous r<strong>en</strong>d plus s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>s à ·,notrepropre mystère. L'ombre, c'est l'espace de la participation diffuse, Pespace dusein maternel. Et tantôt brûlante. Et tantôt glacia<strong>le</strong>." . Lê dev<strong>en</strong>ir de l'ado<strong>le</strong>scénce consiste à cheminer à travers cette ~mbr~, à s'yégarer peut-être une bonne fois, condition pour que notre émerg<strong>en</strong>ce puisseêtre dite auth<strong>en</strong>tique (4). De l'autre côté de .l'ombre, mais à travers el<strong>le</strong>, nous'


,D'autre part, il serait , intéressant d'étudier, sur <strong>le</strong> plan de l'expressionpoétique, la relation de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t avec son milieu social. Jusqu'à quel pointl'inspiration poétique et la volonté d'expression esthétique sont-el<strong>le</strong>s indép<strong>en</strong>­,dan tes du milieu de "vie? Quel<strong>le</strong> part faut-il accorder à la r<strong>en</strong>contre 'dansl'éclosion de la personnalité poétique? Sur ce point; nous recommanderionsvolontiers de méditer l'introduction de Lanza deL Vasto aux poèmes de LucDietrich (L'injuste grandeur, Editions D<strong>en</strong>oël). pel Vasto a révélé Dietrich à,, lui-même comme probab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Socrate avait révélé à Platon sa vocationphilosophique. Mais nous nous trouvons alors ,au-délà des ambitions possib<strong>le</strong>sde toute sociologie et de toute psychologie, au seuil de cet espace mystérieuxoù deux êtres se reconnaiss<strong>en</strong>t.La poésie dépasse l'att<strong>en</strong>te.*ENFANTS-POÈTES (La Tab<strong>le</strong> Ronde, éditeur) est <strong>en</strong> veQte à laCoopéràtive de l'Enseignem<strong>en</strong>t Laïc, B.P. 145 - Cannes (A.-M.), Fr. 680 (plus frais d'<strong>en</strong>voi)40


P~Qblèmes . de jeune.spar A. CHEVALIER: .'1', .,... « Le pire, M. l'Inspecteur, c'est que je suis si loin de chez moi, loin· de mescopains, de l'nes par<strong>en</strong>ts, de mes habitudes! .Je ne dirai pas que je ne m'habitue pasau travail; si, je comm<strong>en</strong>ce à ,me faire au. métier, mais je me -s<strong>en</strong>s souv<strong>en</strong>t si seul,isolé, perdu, livré aux <strong>en</strong>fants. Alors, vous me compr<strong>en</strong>drez, de temps <strong>en</strong> temps j'<strong>en</strong> aiassez, j'ai <strong>en</strong>vie de tout laisser là, et de «casser la baraque:l>. ·L'iso<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t; <strong>le</strong> grand mot est lâché! Voilà lé drame qui frappe <strong>le</strong>s jeunes maîtresdébutants. Ils ont déjà tant à faire, pour se mettre au courant d'une tâche· toute nouvel<strong>le</strong>(qu'ils croyai<strong>en</strong>t aisée), pour se trouver un gîte aussi (car .il· faut bi<strong>en</strong> p<strong>en</strong>ser àla gu<strong>en</strong>il<strong>le</strong>). Ils ont cherché à se faire des copains, ·des nouvel<strong>le</strong>s habitudes, à se rapprocherdes sources d'amour et de fraternité. Mais ils sont <strong>le</strong>s intrus, <strong>le</strong>s «étrang.ers~,v<strong>en</strong>us d'autres lielix, dont il faut d'abord se méfier. Leur dcc<strong>en</strong>t détonne, et <strong>le</strong> · so<strong>le</strong>ilqui resp<strong>le</strong>ndit dans l'acc<strong>en</strong>t d'un natif de Va<strong>le</strong>nce ou de Carcassonne' indispoSe' h:Flamand chez qui débarque «l'homme du midi:l>.Les collègues eux-mêmes ne . vous compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pa&, et plutôt· que de.' vous ·initieraux mystères du pays où l'on arrive,. l'on . vous ... vante<strong>le</strong>s charmes de votre ·.• coindeterre natal, son bon vin, son so<strong>le</strong>il si agréab<strong>le</strong>, sa douceur· .de vivre {d'autanL.plus 'qu'aIlne fait qu'y passer p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s vacances, quand la possession d'un ponefeuil<strong>le</strong> <strong>en</strong>corebi<strong>en</strong> garni p<strong>en</strong>net de jouir des beautés du pays). Au début, <strong>le</strong> novice approuve béat,car il ne voudrait pas dés<strong>en</strong>chanter ses interlocuteurs. Puis, lorsqu'il essaie de se faire·expliquer <strong>le</strong> pays où il vi<strong>en</strong>t exercer, il 5'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d répondre: «Mais que diab<strong>le</strong> v<strong>en</strong>ezvousfaire dans ce pays? ...Et <strong>le</strong> revoilà de nouveau seul, livré à lui-même, dans un monde qui devi<strong>en</strong>t vitehosti<strong>le</strong> quand <strong>le</strong> premier «mois:l> ne parvi<strong>en</strong>t qu'au bout de huit ou dix semaines,quand <strong>le</strong> travail donné par ce «·fainéant du midi» ne dOIlÎ<strong>le</strong>. pas ,satisfaction aul\. pèresde famil<strong>le</strong> vite grincheux, quand <strong>le</strong> collègue voisin se plaint du bruit de la c1as ~ e.Et ·un beau jour, c'est <strong>le</strong> coup de cafard, <strong>le</strong> coup de folie! Il m'est arrivé de <strong>voir</strong>,çette année, un garçon originaire de la Drôme disparaître mystérieusem<strong>en</strong>t de macirconscription. Un après-nlidi, pris de nostalgie, il a <strong>en</strong>fourché son scooter, et il estrepani vers son pays; à l'av<strong>en</strong>ture, loin de son <strong>en</strong>fer.Quelques autres s'<strong>en</strong>nui<strong>en</strong>t, je <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s, et j'ai de la peine à <strong>le</strong>s <strong>voir</strong> s'éteindre;si je pouvais seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, par chance, être prés<strong>en</strong>t au mom<strong>en</strong>t où <strong>le</strong> mal du pays pr<strong>en</strong>dun de mes jeunes! Mais al<strong>le</strong>z donc être <strong>en</strong> même temps auprès de deux c<strong>en</strong>ts débutants,éparpillés dans quatre cantons! . .Il me reste la- possibilitéde· .. <strong>le</strong>s re<strong>voir</strong> - QU cours-des journées de formation professionnel<strong>le</strong>: ils vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fou<strong>le</strong> (quatre-vingt-six <strong>en</strong>un jeudi), se perd<strong>en</strong>t dans une masse anonyme et att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>le</strong> message de réconfort.Ils voi<strong>en</strong>t des <strong>le</strong>çons-modè<strong>le</strong>s, oui; mais ce sont des anci<strong>en</strong>s qui <strong>le</strong>s serv<strong>en</strong>t, des g<strong>en</strong>saffirmés, solides, <strong>en</strong> possession de la technique pédagogîque qui fait <strong>le</strong>s bons instituteurs:ce sont des <strong>le</strong>çons décourageantes, car l'on craiut de ne pou<strong>voir</strong> atteindre à41


cette hauteur. Et puis il y a <strong>le</strong>s «cours» de pédagogie, cours qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t s"ajciuter -à _ceux que l'on vi<strong>en</strong>t de quitter, après <strong>le</strong> Bac, et cela non plus n'est guère réconfortant.Un jour pourtant, un rayon de so<strong>le</strong>il a timidem<strong>en</strong>t brillé dans <strong>le</strong> ciel de Flandre ;ce jour-là, la « confé<strong>le</strong>nce» était constituée de films. Bonne affaire! Il y a si longtem~i ­que l'on n'a eu l'occasion d'al<strong>le</strong>r au ciné-club. ",C'est ainsi qu'un certain jeudi de février, <strong>le</strong>s jeunes de ma circonscription ont connuFreinet et <strong>le</strong> livre d'or des Petits de l'Eco<strong>le</strong> Freinet. Les questions ont jailli, la discussions'est installée, l'intérêt s'est éveillé pour ce métier qui semblait n'être au fondqu'un gagne-pain provisoire. «L'Eco<strong>le</strong> Buissonnière» a succédé et, malgré _sa formeromancée, <strong>le</strong> film a suscité de nouvel<strong>le</strong> ~ questions. Est-ce qu'on peut travail<strong>le</strong>r ainsi danssa classe? Osera-t-on <strong>en</strong>voyer <strong>le</strong>s <strong>en</strong>fants, <strong>en</strong> quête de r<strong>en</strong>seigneM<strong>en</strong>ts divers, dans ,<strong>le</strong>villageou dans la nature? Ne pourrait-on remplacer l'imprimerie par la pâte à polyéopier,pour comm<strong>en</strong>cer? Le mouvem<strong>en</strong>t était lancé. Le service de «l'Educateur », la <strong>le</strong>cturedes brochures d'Education Populaire ont créé des adeptes. Les jeunes, à <strong>le</strong>ur tour, Ontconvaincu des anci<strong>en</strong>s qu'il fallait adapter l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t à l'âge du spoutnik. L'époqueJ u<strong>le</strong>sferri<strong>en</strong>ne était passée!Par <strong>le</strong> texte libre, <strong>le</strong>s. jeunes maîtres ont mieux pris consci<strong>en</strong>ce de ce qu'est un <strong>en</strong>fant,de ses besoins, de ses désirs, de ses intérêts; mais ils ont appris <strong>en</strong> contre-partie que<strong>le</strong> texte libre demandait un directeur de jeu prêt à toute év<strong>en</strong>tualité, aux connaissancessolides, aux réf<strong>le</strong>xes prompts. Par <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> des <strong>en</strong>quêtes et des classes t!xplorations, ilsont pris un contact plus réel, plus vrai, avec <strong>le</strong> pays de <strong>le</strong>urs- élèves; avec eux, ils ontappris à l'aimer. Par la coopération scolaire, ils ont touché <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s, pénétré dans <strong>le</strong>cerc<strong>le</strong> fraternel des hommes qui gravit<strong>en</strong>t autour de l'Eco<strong>le</strong>.En un mot, par la pratique - bi<strong>en</strong> timide <strong>en</strong>core! - des Techniques Freinet, -Iesjeunes se sont adaptés; et c'est pourquoi je poursuis l'information dans ma circonscrip-­tion: par l'Eco<strong>le</strong> Nouvel<strong>le</strong>, fini l'iso<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t du maître. Il fait partie maint<strong>en</strong>ant d'unefamil<strong>le</strong>, d'une équipe: sa classe.42 -


L'Eco<strong>le</strong> Moderneet <strong>le</strong>s langues loca<strong>le</strong>spar P. LE BOHEC~e voudrais bi<strong>en</strong> dire deux mots du problème des langues loca<strong>le</strong>s afin de<strong>le</strong> bi<strong>en</strong> poser. Je ne prét<strong>en</strong>ds pas faire <strong>le</strong> tour comp<strong>le</strong>t de la question; jevoudrais seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t planter quelques jalons. Je par<strong>le</strong> du breton parce que jesuis dans <strong>le</strong>s Côtes-du-Nord, mais ce que j'écris doit pou<strong>voir</strong> s'appliquer àd'autres par<strong>le</strong>rs .locaux.1. La langue bretonne est-el<strong>le</strong> digne d'intérêt?C'est une création de l'esprit humain et, ne serait-ce qu'à ce titre,el<strong>le</strong> prés<strong>en</strong>teun intérêt. Comme toutes <strong>le</strong>s langues, el<strong>le</strong> a · apporté une solution auproblème de l'échange <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s êtres humains. Mais, dans quel<strong>le</strong> mesure, cettesolution est-el<strong>le</strong> valab<strong>le</strong>? Quel<strong>le</strong> <strong>en</strong> est l'originalité? Qtièl est <strong>le</strong> génie proprede la langue bretonne? Voilà des questions excitantes, non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong>sbretonnants, mais éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour tous <strong>le</strong>s esprits curieux. Les problèmes quepos<strong>en</strong>t l'anthroponymie et la toponymie bretonnes sont éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t très séduisants.Et <strong>le</strong>s relations avec <strong>le</strong>s dia<strong>le</strong>ctes britanniques (gallois, comique, etc.),avec <strong>le</strong> gaulois; et <strong>le</strong>s points de grammaire tels que <strong>le</strong> duel, <strong>le</strong> doùb<strong>le</strong> pluriel,.<strong>le</strong> singulatif, <strong>le</strong>s mutations · consonnantiques constitu<strong>en</strong>t éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t des faitscapab<strong>le</strong>s de susciter un élargissem<strong>en</strong>t de la p<strong>en</strong>sée.II. Et <strong>le</strong> par<strong>le</strong>r haut-breton?Quand j'ai pris contact avec <strong>le</strong> « patouais", j'ai été surpris de constaterqu'il ·pouvait a<strong>voir</strong> une grande va<strong>le</strong>ur sur <strong>le</strong> plan culturel. Et sa comparaisonavec <strong>le</strong> français actuel, avec <strong>le</strong>s autres par<strong>le</strong>rs romans, avec <strong>le</strong> vieux français,avec Rabelais, avec <strong>le</strong> latin est très instructive.Ceux qui ont à <strong>le</strong>ur disposition une langue comme <strong>le</strong> breton ou un simp<strong>le</strong>par<strong>le</strong>r local, roman ou occitan, ont <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s mains un moy<strong>en</strong> de cultùre depremierordre.III. Mais la linguistique comparée est·el<strong>le</strong> possib<strong>le</strong> à l'éco<strong>le</strong> primaire ou auLycée? Est-el<strong>le</strong> accessib<strong>le</strong> à des <strong>en</strong>fants de 12 à 15 ans?Quand j'étais collégi<strong>en</strong>, on ne se faisait pas beaucoup d'illusion sur la va<strong>le</strong>urde l'anglais ;qu'on nous <strong>en</strong>seignait.Le professeur nous disait :« L'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de l'anglais a surtout pour but de faire travail<strong>le</strong>r vosméninges et de vous aider à compr<strong>en</strong>dre, par opposition, ce qui fait l'originalitéde là langue française."Maint<strong>en</strong>ant, l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de l'anglais est tout de même plus utilitaire,.mais celui du latin - de l'al<strong>le</strong>mand, du grec - continue, il me semb<strong>le</strong>, à êtredonné dans cette doub<strong>le</strong> perspective.Pour qu'on ptùsse se livrer à. une étude comparative fructueuse de deuxlangues, il faut qu'el<strong>le</strong>s soi<strong>en</strong>t suffisamm<strong>en</strong>t assimilées. En ce qui concerne <strong>le</strong>43.


français, on peut obt<strong>en</strong>ir assez rapidem<strong>en</strong>t un très bo~ résultat. Mais il estJoip d'<strong>en</strong> être de même pour <strong>le</strong> latin, l'anglais, l'al<strong>le</strong>mand, <strong>le</strong>ru~se , etc. Il n'estpas question de mettre <strong>en</strong> cause <strong>le</strong>s méthodes employées, maiS il taut bi<strong>en</strong>,constater que 5 ou 6 années d'études sérieuses (qui demand<strong>en</strong>t tant de temp'Set de peine) ne suffis<strong>en</strong>t pas à assu;:er une maîtrise de la lémgue considérée;Alors, pas de linguistique comparée! ! ! .Alors, on s'époumonne, on s'évertue, on perd un temps précieux à <strong>en</strong>seignerdes choses rebutantes que l'<strong>en</strong>fant subit avec résignation, à son corps déf<strong>en</strong>:dant, sans cette exaltation, cette joie de vivre, que donne l'étude passionnée dechoses passionnantes. Et n'est-ce pas pour lui un facteur suppléIl).<strong>en</strong>taire de,désadaptation ? Le monde est là, attirant, captivant, vertigineux. Il est à compr<strong>en</strong>dre,à saisir, à appréh<strong>en</strong>der. Mais on ne s'<strong>en</strong> préoccupe pas, <strong>le</strong>s <strong>en</strong>fantspass<strong>en</strong>t la porte de la, tour d'i<strong>voir</strong>e et derrière eux on relève <strong>le</strong> pont-<strong>le</strong>vis: Etquand ils ressort<strong>en</strong>t, des transformations, des révolutions même _ se sont ac-4,:Omplies ou s'accompliss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core auxquel<strong>le</strong>s ils n'ont "point -de 'part,A l'éco<strong>le</strong> moderne, on ne dédaigne pas la hache préhistorique, <strong>le</strong> moiêeaude granit poli, la bogue de châtaigne, <strong>le</strong>s trésors qu'apporte l'<strong>en</strong>fant. La langueque par<strong>le</strong> l'<strong>en</strong>fant recè<strong>le</strong> aussi des trésors. L'Eco<strong>le</strong> Moderne ne devrait pas <strong>le</strong>signorer car el<strong>le</strong> essaie d'asseoir la culture dans <strong>le</strong> milieu local et la langue <strong>en</strong>fait partie intégrante.L'éco<strong>le</strong> traditionnel<strong>le</strong> (et <strong>le</strong> Lycée ?) qui se born<strong>en</strong>t à transmettre des " hotib~ §-non conting<strong>en</strong>tes, 'valab<strong>le</strong>s <strong>en</strong> tous temps et <strong>en</strong> tous lieux, ignor<strong>en</strong>t déiibéré~lnerlt ces par<strong>le</strong>rs locaux. Il y a dans, cet ostracisme, un crime, je ne sais 'pas,.de quoi, mais certainem<strong>en</strong>t un trime, une dépossession;, une . frosttatioIl,' ynmanquem<strong>en</strong>t de l'éco<strong>le</strong> à. 'ses de<strong>voir</strong>s vis-à-vis de l'<strong>en</strong>fant et même vis:.à-\ri~del'humanité. Pourtant, il 'Î<strong>le</strong> s'agirait plus d'acquérir pénib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t et <strong>en</strong> ânonnant,des faits linguistiques. Non, ils sont là, ces faits, ils sont acquis~ p suffi 7rait dë déposer la moisson sur la tab<strong>le</strong>, d'<strong>en</strong> faire l'inv<strong>en</strong>taire, de Classer <strong>le</strong>srichesses. Et quel gain de temps puisqu'on fait l'économie de l'appr<strong>en</strong>tissagede la langue. Alors, pourquoi ne pas <strong>en</strong>seigner la langue du pays <strong>en</strong> première,.ou deuxième langue?Les lJénéfices qu'<strong>en</strong> retirerait l'<strong>en</strong>fant serai<strong>en</strong>t importants. D'abord, il,garderaitintaCte sa réserve d'<strong>en</strong>thousiasme qui actuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t va diminu<strong>en</strong>do. Et puis,la ' formation de son esprit serait meil<strong>le</strong>ure au , contact des réalités linguistIques,et historiques. Il serait très bi<strong>en</strong> armé pour <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre des études classiques,par exemp<strong>le</strong>, ou des études modernes. Pour ces dernières études on pourraitconsacrer plus de temps ft l'appr<strong>en</strong>tissage de la langue vivante <strong>en</strong> el<strong>le</strong>-même,sans qu'intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de pesantes considérations scolastiques, qui réussiss<strong>en</strong>tsi bi<strong>en</strong> à r<strong>en</strong>dre indigeste n'importe quel mets.Et puis on mettrait <strong>le</strong>s bœufs avant la charrue. Et surtout on partirait dela vie.Je sais que; pour certains ' c<strong>en</strong>seurS; c'est précisém<strong>en</strong>t la difficulté de l'étudede la langue qui serait formative. C'était peut-être valab<strong>le</strong> autrefois, mais <strong>le</strong>monde a bi<strong>en</strong> changé depuis. Beaucoup de jeunes g<strong>en</strong>s n'accept<strong>en</strong>t plus. cetétat de choses, ils se révolt<strong>en</strong>t. Ils veu<strong>le</strong>nt vivre.; la vie <strong>le</strong>s intéresserait, <strong>le</strong>s1ia~sioimerait ; mais depuis l'âge de 5 ans, on ne <strong>le</strong>ur a offert que des èhqsesmortes, flétries, désséchées, désincarnées sans relation avec la vie, avec <strong>le</strong> mon­-de d'aujourd'hui. N'est-il pas temps de rev<strong>en</strong>ir à une plus sage conception des-thoses?. ..44


..Le · Profil vitalpar P. CABANESNous avons lu avec beaucoup d'intérêt J'artic<strong>le</strong> du docteur DEGQY (Sud-Ouestmédiçal, numéro mars-juin î959): « L'ECOLiER EN DIFFICULTÉ VU PARLE . MÉDECIN ».Le docteur Degoy y met - très g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, d'ail<strong>le</strong>urs, dans la prem:ièrepartie - <strong>en</strong> accusation l'Eco<strong>le</strong> et <strong>le</strong> maître d'éco<strong>le</strong>.Mais celui-ci s'est depuis longtemps préoccupé de ce problème, car si tropsouv<strong>en</strong>t nos classes modernes trop chargées empêch<strong>en</strong>t <strong>le</strong> contact « si <strong>en</strong>richissantpour l'<strong>en</strong>fant... et pour <strong>le</strong> maître » <strong>en</strong>tre « la chaire et <strong>le</strong> banc ",il n'<strong>en</strong> est pas moins vrai que l'éducateur a <strong>le</strong> souci de perfectionner sanscesse son travail et il ne peut rester indiffér<strong>en</strong>t aux problèmes posés parl'<strong>en</strong>fant défici<strong>en</strong>t.Il suffit d'ail<strong>le</strong>urs de repr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>s nombreux artic<strong>le</strong>s de nos revues pédagogiques,de relire <strong>le</strong>s compte-r<strong>en</strong>dus des congrès syndicaux et professionnelspour noter <strong>le</strong> souci constant de tous <strong>le</strong>s maîtres: essayer de 'remédier « auxtraits à .l'<strong>en</strong>cre rouge qui soulign<strong>en</strong>t trois fois l'appréciation catastrophique »qu'aucun éducateur digne de ce nom n'a jamais rédigée de gaieté de cœur,.qui éveil<strong>le</strong> toujours <strong>en</strong> lui des remords, qui parfois même <strong>le</strong> désespère,désespoir que l'on a devant un mal que l'on ne peut traiter. .Le pédagogue sait bi<strong>en</strong> que ce mal ne peut être soigné seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t à l'éco<strong>le</strong>et il a toujours sollicité la collaboration et l'aide de tous ceux qui peuv<strong>en</strong>tremédier à ces insuffisances .. La familie et la société lui sont peu favorab<strong>le</strong>s; la liaison avec' <strong>le</strong> corpsmédical n'est pas, <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t, organisée! Et pourtant nous sommespresque' certains que si la collaboration médecin de famil<strong>le</strong> et maître étaitchose courante, la famil<strong>le</strong> serait beaucoup plus influ<strong>en</strong>cée, moins « résistante »,que nous pourrions plus efficacem<strong>en</strong>t réclamer et peut-être obt<strong>en</strong>ir de ' lasociété el<strong>le</strong>-même <strong>le</strong>s mesures qu'el<strong>le</strong> refuse actuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t.Le docteur Degoy demande au docteur qui examine un <strong>en</strong>fant défici<strong>en</strong>tscolairem<strong>en</strong>t de se munir avant de comm<strong>en</strong>cer <strong>en</strong>quêtes et exam<strong>en</strong>s d'unbon «testing ».Nous sommes <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t d'accord avec lui, mais combi<strong>en</strong> d'<strong>en</strong>fants sont-ilsà l'heure actuel<strong>le</strong>, munis' d'un tel <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> de <strong>docum<strong>en</strong>t</strong>s? Combi<strong>en</strong> pourFontse <strong>le</strong> procurer? En vil<strong>le</strong>, dans un grand c<strong>en</strong>tre, cela doit être relativem<strong>en</strong>tfaci<strong>le</strong>, malgré <strong>le</strong>s résistances de certaines famil<strong>le</strong>s. MalS dans <strong>le</strong>s petites vil<strong>le</strong>set "âla campagne c'est sans doute actuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t presque impossib<strong>le</strong>. Je nepar<strong>le</strong>rai pas de ~a difficulté de consulter un spécialiste, mais <strong>le</strong> fait que<strong>le</strong>s tests sont souv<strong>en</strong>t employés <strong>en</strong> psychiatrie serait suffisant pour que cetexam<strong>en</strong> soit refusé par <strong>le</strong> plus grand nombre des famil<strong>le</strong>s et je p<strong>en</strong>se comm<strong>en</strong>t«serait reçu» médecin ou institUteur qui proposerait cette consultation.Le problème est donc de trouver un moy<strong>en</strong> simp<strong>le</strong> qui permettrait d<strong>en</strong>e recourir au spécialiste que dans des cas graves, un «dossier de l'<strong>en</strong>fant »qui, rempli par <strong>le</strong> maître et <strong>le</strong> médecin de famil<strong>le</strong> avec la collaboration dela famil<strong>le</strong>, donnerait <strong>le</strong>s indications nécessaires aux uns et aux autres dans<strong>le</strong>ur spécialité, qui permettrait de <strong>voir</strong> aussi <strong>le</strong>s résultats des traitem<strong>en</strong>ts.45


L'Institut Coopératif de l'Eco<strong>le</strong> Moderne, dirigé par C. FreiI1et, a étudiédepuis plusieurs années cette question.Depuis plusieurs années des groupes de travail étudi<strong>en</strong>t <strong>le</strong> profil vital.Le profil vital, un graphique simp<strong>le</strong> à établir, d'après des notes chiffréesdonnées <strong>en</strong> réponse à des questions simp<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>s « chutes» donn<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s direc;tions à suivre.Pat la suite, quelques lignes seront à modifier, permettant au médeciriet à l'éducateur de se r<strong>en</strong>dre compte du succès - ou de l'échec :- de la cure,Je ne ferai pas <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts points éudiés par <strong>le</strong> docteurDegoy et <strong>le</strong> profil vital, la simp<strong>le</strong> <strong>le</strong>cture des questions du graphique montrecomm<strong>en</strong>t médecins et éducateurs sont arrivés, chacun de <strong>le</strong>ur côté~ et bi<strong>en</strong><strong>en</strong>t<strong>en</strong>du grâce aux travaux des uns et des autres, à une similitude parlaitedes points à étudier, des causes, des effets:Alors, me direz-vous, pourquoi <strong>le</strong> proposer puisqu'il n'apporte que du connu?.Simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t parce qu'il est simp<strong>le</strong>, parce qu'il n'est point besoin despécialiste pour l'établir et pour l'interpréter. Ceci n'est point une attaquecontre <strong>le</strong>s spécialistes, car ce sont <strong>le</strong>urs travaux qui ont permis une miseau point pratique mais ils sont si peu nombreux qu'il faut bi<strong>en</strong> à la masseun moy<strong>en</strong> simp<strong>le</strong> d'appliquer <strong>le</strong>ur découverte.Examinons donc ce profil vital :Premier chapitre: élém<strong>en</strong>ts fondam<strong>en</strong>taux de la puissance.Causes qui ont influ<strong>en</strong>cé, qui influ<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t -<strong>en</strong>core <strong>le</strong> comportem<strong>en</strong>t de l'<strong>en</strong>fant:. grossesse, allaitem<strong>en</strong>t, soins par personnes étràngères, équilibre dumilieu familial, maladies graves ... je ne crois pas que l'on puisse même discuterde l'importance de ces diverses rubriques.2' chapitre: <strong>le</strong>s ins!Jffisances.a) Les recours: ces cinq points résum<strong>en</strong>t tout <strong>le</strong> comportem<strong>en</strong>t, toutes<strong>le</strong>s réactions de l'<strong>en</strong>fant dans la vie suivant <strong>le</strong>s théories de Freinet dans sonEssai de psychologie. Ce sont <strong>le</strong>s plus diffici<strong>le</strong>s à noter pour celui qui n'estpas au courant, mais quelques lignes d'explications jointes au profil permett<strong>en</strong>tune notation assez exacte.Ligne idéa<strong>le</strong>: l'<strong>en</strong>fant fait son « expéri<strong>en</strong>ce» seul,mais il est des mom<strong>en</strong>ts où il ne peut seul acquérir; devant l'échecrépété, il demande secours suivant <strong>le</strong>s possibilités :- à la famil<strong>le</strong> ;- à une individualité;- à la société, .qui doiv<strong>en</strong>t être aidantes, c'est-à-dire simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t guides-conseil<strong>le</strong>rs.Mais l'<strong>en</strong>fant peut se trouver dans l'impossibilité de faire son «expéri<strong>en</strong>cetâtonnée» seul par <strong>le</strong> fait d'une famil<strong>le</strong> (<strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t) mais aussi d'uneindividualité et même de la société, qui peuv<strong>en</strong>t être accaparantes.L'<strong>en</strong>fant ne trouve aucune aide, quand il <strong>en</strong> a besoin, ni dans la famil<strong>le</strong>,ni chez un individu, ni même dans la société : ce sont <strong>le</strong>s rejets.(Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du ces cas sont des cas extrêmes !)Le docteur Degoy note tout ceci sous une autre forme. Malgré <strong>le</strong>s motsqui chang<strong>en</strong>t, nous sommes donc d'accord sur un certain nombre de causesd'échec.b) Insuffisances physiologiques:Sept points sont successivem<strong>en</strong>t étudiés; je crois que l'ess<strong>en</strong>tiel est noté.46


~c) Insuffisances scolaires.d) Rapports avec la famil<strong>le</strong>, la société.Enfin, <strong>le</strong>s insuffisances « idéa<strong>le</strong>s» :' l'<strong>en</strong>fant <strong>en</strong> face de l'art et de la religion.Nous avons doric sous la main un dossier comp<strong>le</strong>t.Mais comm<strong>en</strong>t l'établir et qui va l'établir?Le comportem<strong>en</strong>t intel<strong>le</strong>ctuel sera faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t . noté par l'éducateur quipo~a aussi <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t indiquer quelques points du comportem<strong>en</strong>t physiologIque.Le reste demande une collaboration parfaite de la famil<strong>le</strong>; pourra-t-ila<strong>voir</strong> cel<strong>le</strong>-ci ? .Le médecin, et surtout <strong>le</strong> médecin de famil<strong>le</strong>, pourra lui, noter <strong>le</strong> premi~rehapître et bi<strong>en</strong> des points des insuffisances physiologiques. On ne s'étonnepas quand <strong>le</strong> médecin pose des questions auxquel<strong>le</strong>s on ne répondrait passi el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t posées par 'quelqu'un d'autre!Enfin «l'<strong>en</strong>quête. très discrète» m<strong>en</strong>ée <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> collaborationavec <strong>le</strong> maître, devra permettre de noter <strong>le</strong>s points <strong>le</strong>s plus délicats : il seraitextraordinaire que l'un ou l'autre, souv<strong>en</strong>t que l'un et l'autre, n'ait pas laœnfiance de la famil<strong>le</strong>.Le graphique établi, la <strong>le</strong>cture ne prés<strong>en</strong>te aucune difficulté.Une ligne régulière indique <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t que tout va bi<strong>en</strong> quand el<strong>le</strong>se trouve dans <strong>le</strong>s tranches vertica<strong>le</strong>s supérieures ou moy<strong>en</strong>nes,. que tout vamal dans <strong>le</strong>s tranches vertica<strong>le</strong>s inférieures.Mais <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t, ce sont <strong>le</strong>s « chutes» qui vont ori<strong>en</strong>ter <strong>le</strong>s recherchesdans certains s<strong>en</strong>s :- Soit surIe plan 'physiologjqut), et c'est alors au docteur d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> scène;- Soit sur <strong>le</strong> plan intel<strong>le</strong>ctuel: l'éducateur devra rep<strong>en</strong>ser son <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t;- Soit sur <strong>le</strong> plan familial et affectif: <strong>le</strong> plus délicat à traiter, mais l'actionconjuguée du médecin et du maître, avec peut-être dans certains cas, l'interv<strong>en</strong>tionde certains organismes que peuv<strong>en</strong>t . a<strong>le</strong>rter l'un ou l'autre pourraam<strong>en</strong>er une amélioration.Et si cette amélioration du milieu affectif ne peut être obt<strong>en</strong>ue, médecinet éducateur seront informés des causes du mal et qui sait si cette meil<strong>le</strong>ureconnaissance de l'<strong>en</strong>fant ne permettra pas de <strong>le</strong> sauver, dans bi<strong>en</strong> des .cas !Il est impossib<strong>le</strong> d'<strong>en</strong>visager dans <strong>le</strong> cadre d'un artic<strong>le</strong> toutes <strong>le</strong>s possibilitésdu profil vital.Nous serions heureux si des médecins examinai<strong>en</strong>t celui-ci, s'ils nousdonnai<strong>en</strong>t critiques et conseils. Freinet (bou<strong>le</strong>vard Vallombrosa, Cannes) <strong>le</strong>urfera parv<strong>en</strong>ir bi<strong>en</strong> volontiers une <strong>docum<strong>en</strong>t</strong>ation et nous répondrons, <strong>en</strong>coreplus volontiers aux demandes de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts, aux critiques et aux suggestions.~'1t1111Cette prés<strong>en</strong>tation par notre ami Cabanes, et â l'occasion ~ 'd'un intéressantartic<strong>le</strong> d'un médecin, de notre Profil Vital remplace dans ce numéro la suiteque je désirais écrire sur notre psychologie.Nous prés<strong>en</strong>terons plus <strong>en</strong> détail ùne étude de Profil Vital dans <strong>le</strong>s numérosà v<strong>en</strong>ir et nous donnerons, chemin faisant, <strong>le</strong>s explications nécessaires sur<strong>le</strong>s conceptions et <strong>le</strong>s expéri<strong>en</strong>ces qui nous ont am<strong>en</strong>és à cette réalisation.Cela nous permettra un exam<strong>en</strong> moins scolastique, plus vivant et plus uti<strong>le</strong>de notre psychologie.Nous ilvons édité pour <strong>le</strong> Profil Vital une brochure explicative et moded'emploi que nous <strong>en</strong>verrons gratuitem<strong>en</strong>t à tous nos <strong>le</strong>cteJ.trs qui <strong>en</strong> ferontla demande à Freinet, Cannes. C. F.47


ILes livresJEAN PIAGET ET BARBEL INHELDER : La g<strong>en</strong>èse des structureslogiques élém<strong>en</strong>taires (classifications et sériations), Ed. Delachauxet Niestlé.De nombreux camarades auront lu dans<strong>le</strong> numéro ,de juil<strong>le</strong>t-août du .« Courrier del'UNESCO» un reponage iptitulé «L'espritde l'<strong>en</strong>fant se mesure à la toise ».Il s'agit de l'Institut des Sci<strong>en</strong>ces del'Education de G<strong>en</strong>ève où <strong>le</strong> professeurPiaget poursuit ses travaux.Et voilà que nous recevons ce gros livrede Piaget. Nous nous sommes astreints à<strong>le</strong> consulter. Suivant <strong>le</strong>s conseils des auteurs,nous · avonS <strong>en</strong> premier lieu lu <strong>le</strong>s conclusions,puis nous avons ' étudié l'introduction.. ~ (<strong>le</strong> milieu du livre n'étant que <strong>le</strong>compte r<strong>en</strong>du des expéri<strong>en</strong>ces conduitesavec <strong>le</strong>s <strong>en</strong>fants).De notre point de vue de pratici<strong>en</strong>s, deprimarres et d'instituteurs, nous àpponeronsdeux critiques ess<strong>en</strong>tieIJes à ce livre :• Il est extrêmem<strong>en</strong>t diffici<strong>le</strong> à lire, avecune tel<strong>le</strong> profusion de mots spécialisésqu'lm <strong>le</strong>xique a été jugé nécessaire. Maispeut-être ce livre n'est-il pas écrit pournous -'--- ce que nous regretto\ls Càr noussommes directem<strong>en</strong>t intéressés par l'aideeffici<strong>en</strong>te que nous att<strong>en</strong>dons des psychologt<strong>le</strong>s. .• Les conclusions des auteurs sont-el<strong>le</strong>sjustes et n'y aurait-il pas maldonne dans<strong>le</strong>s processus de recherche et· de mesure?«Dans ce laboratoire, lisons-nous dans <strong>le</strong>« Courrier de l'UNESCO », toutes <strong>le</strong>s conversations<strong>en</strong>ire <strong>le</strong> savant et l'<strong>en</strong>fant sont<strong>en</strong>registrées sur bandes. Aux mom<strong>en</strong>ts <strong>le</strong>splus imponants du dialogue, un appareil deprises de vues <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> action. Le résultatest que, pour chaque <strong>en</strong>fant, l'Institut estcapab<strong>le</strong> de «produire» des <strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>tset un film montrant <strong>le</strong>s modifications del'attitude socia<strong>le</strong> de l'<strong>en</strong>fant, et la manièredont son esprit travail<strong>le</strong> à différ<strong>en</strong>ts stadesde sa croissance, au long des années.»Là réside justem<strong>en</strong>t un des plus gravesdéfauts des procédés employés. On pratiqueainsi l'étude de l'oiseau <strong>en</strong> cage, l'observation,dans la cage de l'escalier, de la planteverte mise <strong>en</strong> pot,' étude et observationdont on déduira des lois supposées valab<strong>le</strong>spour tous <strong>le</strong>s oiseaux, pour toutes <strong>le</strong>splantes de la nature, même ceux, innombrab<strong>le</strong>s,des vallées verdoyantes.La preuve?Nous lisons: c A dix ans, l'expéri<strong>en</strong>cecomm<strong>en</strong>ce à jouer et, comme <strong>le</strong> montr<strong>en</strong>t<strong>le</strong>s recherches effectuées, il (l'<strong>en</strong>fant) estcapab<strong>le</strong> .de «p<strong>en</strong>sée sci<strong>en</strong>tifique» dès dou-48ze ans; c'est l'âge où il comm<strong>en</strong>ce à 'échafauder, des ;théories et à rechercher des,preuves. »Puisque <strong>le</strong>s recherches de G<strong>en</strong>ève ontabouti à des nombres (dix ans, douze ans ... hnous pouvons discuter sur un terrain solide.Et nous disons : non, c'est faux!Nous avons m<strong>en</strong>é d'autres expéri<strong>en</strong>ces- non pas dans la cage de l'escalier -mais <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine vie et <strong>en</strong> p<strong>le</strong>in so<strong>le</strong>il. Delbastyet <strong>le</strong>s camarades expérim<strong>en</strong>tant l'applicationdans <strong>le</strong> domaine des sci<strong>en</strong>ces desprincipes de la méthode naturel<strong>le</strong>' de Freinet,sont parv<strong>en</strong>us à obt<strong>en</strong>ir d'<strong>en</strong>fants desept ans de réel<strong>le</strong>s théories, à m<strong>en</strong>er àbi<strong>en</strong> la recherche de preuves. Ces travaux'seront publiés.D'emblée, cette expéri<strong>en</strong>ce paraît infinim<strong>en</strong>tplus valab<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> du laboratoirede G<strong>en</strong>ève: car il s',agit, <strong>en</strong> Suisse, d'une« expéri<strong>en</strong>ce à long ,terme: vingt <strong>en</strong>fantsdivisés <strong>en</strong> quatre groupes, selon <strong>le</strong>ur âge,ont été choisis dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s de G<strong>en</strong>ève.Ils apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à toutes <strong>le</strong>s classes socia<strong>le</strong>set <strong>le</strong>s exam<strong>en</strong>s auxquels ils ont été soumismontr<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>ur intellig<strong>en</strong>ce estmoy<strong>en</strong>ne. Ces <strong>en</strong>fants suiv<strong>en</strong>t sans difficulté<strong>le</strong>s cours de l'Eco<strong>le</strong>. liSi ces <strong>en</strong>fants sont soumis à des c <strong>le</strong>çonsde choses» au cours desquel<strong>le</strong>s on c observe)}<strong>le</strong>s ' différ<strong>en</strong>tes formes et <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>tescou<strong>le</strong>urs des récipi<strong>en</strong>ts ou des bouteil<strong>le</strong>s,ou bi<strong>en</strong> «la plume d'acier» et <strong>le</strong> poneplume,si l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t qu'ils subiss<strong>en</strong>t ne<strong>le</strong>ur offre aucune occasion de faire des expéri<strong>en</strong>ces,de rechercher des preuves etd'échafauder des théories, il ne nous apparaîtalors nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t étonnant que <strong>le</strong> professeurPiaget découvre fon honnêtem<strong>en</strong>tque l'<strong>en</strong>fant ne peut parv<strong>en</strong>ir à ce stadequ'à l'âge de I2 ans, alors que nous disons7 ans.Nous proposons alors très sérieusem<strong>en</strong>tà l'Institut de G<strong>en</strong>ève d'effectuer avec <strong>le</strong>s<strong>en</strong>fants de Buzet - par exemp<strong>le</strong> -,- <strong>le</strong>smêmes mesures que cel<strong>le</strong>s effectuées avec<strong>le</strong>s vingt <strong>en</strong>fants de G<strong>en</strong>ève. Les résultatsseront tout autres et <strong>le</strong>s conclusions fortdiffér<strong>en</strong>tes.Voilà qui réduit beaucoup l'imponancede ces recherches et qui rappel<strong>le</strong> , à plusde c mesures)} l'affirmation du «Courrierde l'UNESCO»: c l'esprit de l'<strong>en</strong>fant semesure à la toise ». Ce n'est pas si simp<strong>le</strong>.Nous lisons aussi: c Il s'agit <strong>en</strong>core de


,rechei"che ,pure, -mais <strong>le</strong> professeur Piagetet iesexp<strong>en</strong>s ,suisses qui travail<strong>le</strong>nt aveclui :croi<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>s résultats de ces travauxpourtont apponerune' précieuse contributionàla sci<strong>en</strong>ce de l'éducation.:t' Honnêtem<strong>en</strong>t, nous p<strong>en</strong>sons qu'il pourraitbi<strong>en</strong> s'agir uniq\Jem<strong>en</strong>t de recherchesde pure p<strong>en</strong>e. Nous croyons ' qu'avant demesurer un esprit, <strong>en</strong>core" faut-il pr<strong>en</strong>dregarde à la manière dont il s'est formé,dont il a été formé et .. déformé. «A . dixans, l'expéri<strong>en</strong>ce comm<strong>en</strong>ce à jouer:t. Non,à un jour l'expéri<strong>en</strong>ce comm<strong>en</strong>ce à travail<strong>le</strong>ret à former l'esprit de l'<strong>en</strong>fant.Avant qu'intervi<strong>en</strong>ne la psychologie, .façonnela pédagogie et avant <strong>le</strong> cartan ,de lapédagogie, il y a <strong>le</strong>s formes et <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>ursde la vie,U faut repanir du bon pied, cellri de . l~pédagogie ' moderne, ceiui qui col<strong>le</strong> à la vieet, à cette lwruère, <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s ' de Claparèderest<strong>en</strong>t valab<strong>le</strong>s: «Il faut faire upeéco<strong>le</strong> «à la mesure des <strong>en</strong>fants:t sans dé-'former <strong>le</strong> mot «mesure:t.M.-E. BERTRAND.MAX, SCHELER :La Pudeur. (Editions Aubier, 1952.)L'ouvrage de Max Sche<strong>le</strong>r que nous prés<strong>en</strong>tons'aujourd'hui offre un texte particulièrem<strong>en</strong>td<strong>en</strong>se et suggestif. Si <strong>le</strong> plan dulivre reste obscur à qui apprécie sunout <strong>le</strong>sexposés .limpides et systématiques et si l'auteurparaît se répéter ' 'avec insistance d'unchapitre à l'autre, la raison doit être cherchéedans la méthode même qui guide icil'investigation psychologique. C'est une méthodephénoménologique, c'est-à-dire unedémarche qui, s'appuyant sur la desçriptiondçs attitudes, des modes de prés<strong>en</strong>ce (sphèredu paraître) et à travers cette descriptioIl,chemine vers un c<strong>en</strong>tre de perspeGtives oùse fond<strong>en</strong>t <strong>en</strong> unité significative <strong>le</strong>s appar<strong>en</strong>cesphénoménaJ.es, extérieures ; cheminem<strong>en</strong>tlabyrinthique et riche <strong>en</strong> surprises qui,de l~appréh<strong>en</strong>sion du paraître débouche <strong>en</strong>la proximité de l'être.En ce qui concerne la pudeur, nous assistorisici au déblaiem<strong>en</strong>t, à l'élucidation progressived'une série de questions:- Qu'est-ce que la pudeur <strong>en</strong> général?- Quel<strong>le</strong>s formes peut pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tde pudeur?- Quel<strong>le</strong> est la signification de la pudeurdans la. vie sexuel<strong>le</strong>?- Existe-t~il , une pudeur typiquem<strong>en</strong>tmasculine et une pudeur typiquem<strong>en</strong>t féminine?- Comm<strong>en</strong>t se situe la pudeur sur <strong>le</strong>}l,lan des va<strong>le</strong>urs éthiques?Toutes ces questioT's r.aiss<strong>en</strong>t: <strong>le</strong>s unesdes autres, s'éclair<strong>en</strong>t mutuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, se fontécho; Le livre de Sche<strong>le</strong>r nous ouvre àmême la comp<strong>le</strong>xité du phénomène humain.La profusion des thèmes où ~'cntrecrois<strong>en</strong>td~s questions qui se greff<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s unes sur<strong>le</strong>s autres, c'est <strong>le</strong> foisonnem<strong>en</strong>t même dela yie" de l'expéri<strong>en</strong>ce vécue. Un pareil livr<strong>en</strong>e se résume pas; Je résumé serait pluscopieux que l'ouvrage! Nous ne pouvons.icique dégager l~sperspectives <strong>le</strong>s' plus marquantes,laissant plus d'une fois dans l'ombredes trésors de finesse psychologique etr<strong>en</strong>onçant à inv<strong>en</strong>torier bi<strong>en</strong> des problèmes.***La pudeur apparaît à Sche<strong>le</strong>r comme uneexpéri<strong>en</strong>ce privilégiée. El<strong>le</strong> se situe, <strong>en</strong>effet, dans <strong>le</strong> courant asc<strong>en</strong>dant de la vievers des formes supérieures, au mom<strong>en</strong>td'apparition de l'individu humain. «Les<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de 'pudeur a son lieu propre. aupoint vif où, <strong>en</strong> l'homme, l'esprit, c'est-a,..dire l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> de ,tous <strong>le</strong>s actes inaccessib<strong>le</strong>sà l'animal, p<strong>en</strong>~er, saisir intuitivem<strong>en</strong>t,vouloir, aimer, et <strong>le</strong>ur forme: lapersontJaUté, ont pris contact ' avec' desinstincts et s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts vitaux:t (p. 9). Premierthème, thème fondam<strong>en</strong>tal sur <strong>le</strong>quelSche<strong>le</strong>r revi<strong>en</strong>dra avec insistance et quiconstitue une des directions de s<strong>en</strong>s dè sarecherche: la pudeur naît au carrefour ducharnel et du spirituel, dans cette zone declair-obscur où Jes origines anima<strong>le</strong>s del'homme accèd<strong>en</strong>~brusquem<strong>en</strong>t, par mutation,à un monde où s'inscrit une destinéeéthique, esthétique et religieuse. L'animalpartage avec l'homme bi<strong>en</strong> des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts.Il connaît la peur, l'angoisse, <strong>le</strong> dégoût, lajalousie mêmè, mais il paràÎt ignorer <strong>le</strong>s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur. «Il serait par ail<strong>le</strong>ursvraim<strong>en</strong>t absurde:t, note Sche<strong>le</strong>r, «de sereprés<strong>en</strong>ter une divinité éprouvant de la pudeur»(p. 10). En effet, chez la d~vinité.tout doit être clair, pure consci<strong>en</strong>ce .de soi,pure transpar<strong>en</strong>ce. L'homme est, au contraire,<strong>le</strong> lieu d'une t<strong>en</strong>sion, d'une dia<strong>le</strong>ctiquede l'esprit et de la chair, de la consci<strong>en</strong>ceetc<strong>le</strong> l'inconsci<strong>en</strong>t, de la lumière etde l'ombre. De cette dualité témoigne lapudeur. Plus précisém<strong>en</strong>t, la pudeur surgitdès l'inl>tant où l'esprit, qui s'était livré tout<strong>en</strong>tier à son activité (p<strong>en</strong>sée, amour, con,.templation esthétique), pr<strong>en</strong>d brusquem<strong>en</strong>t' consciènce de ses assises anima<strong>le</strong>s ,et des, limites ' spatio~temporel<strong>le</strong>s qui · l'-assefYÏss<strong>en</strong>~. '.49


« Une mère qui, lors d'un inc<strong>en</strong>die, parexemp<strong>le</strong>, veut sauver son <strong>en</strong>fant, ne comm<strong>en</strong>cerapas par se vêtir, mais même <strong>en</strong>chemise ou nue, se précipitera hors de lamaison; mais dès que <strong>le</strong> pén1 est conjuréet qu'el<strong>le</strong> fait retour sur el<strong>le</strong>-même, la pudeursurvi<strong>en</strong>t. Ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>core une femmetrès pudique peut, pàr mom<strong>en</strong>ts, aimer unhomme au point de se perdre <strong>en</strong> lui tout<strong>en</strong>tière, de consacrer toute sa s<strong>en</strong>sibilité à<strong>le</strong> contemp<strong>le</strong>r, bi<strong>en</strong> qu'el<strong>le</strong> se 'trouve <strong>en</strong>une situation fort impudique; mais quecette extase amoureuse se relâche un tantsoit peu, que cette femme comm<strong>en</strong>ce àpr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce d'el<strong>le</strong>-même et de soncorps, et la pudeur apparaît aussitôt y (p.30); La , pudeur possède donc cette dim<strong>en</strong>sioncaractéristique d'un retour sur soi.Sans doûte, eil toute expéri<strong>en</strong>ce' humaine,même la plus spirimel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> corps resteéprouvé, ne seraît-ce que d'une manièretrès confuse. Mais dans <strong>le</strong> cas de la pudeur,nous assistons à nne véritab<strong>le</strong> chute de niveau.Le corpsacqui<strong>en</strong> <strong>en</strong>, la circonstanceline int<strong>en</strong>sité de prés<strong>en</strong>ce qui va jusqu'à lagêne la plus pénib<strong>le</strong>, la plus insupportab<strong>le</strong>;ainsi, dans <strong>le</strong> récir de 'la G<strong>en</strong>èse, après ladésobéissance originelIe, <strong>le</strong> premier hommeet la première femme : «Leurs yeux à tousdeux ' s'ouvrir<strong>en</strong>t et ils c6nnur<strong>en</strong>t qu'ilsétai<strong>en</strong>t nus» (111-7).'n (aut dop.c par<strong>le</strong>r d'une origine métaphysiquede la pudeur qui , met <strong>en</strong> av~ntune nature humaine radica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t divisée,une ess<strong>en</strong>ce bipolaire de l'être humain :« Fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, l'homme a honte de lui-mêmeet devant <strong>le</strong> dieu ,qui l'habite» (p. r'3).***C'est donc avec l'homme qu'apparaît <strong>le</strong>s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur. Mais' celui-ci est commepréparé et annoncé par un c<strong>en</strong>ain nombrede phénomènes que dévoi<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s 'sci<strong>en</strong>cesnaturel<strong>le</strong>s. Dans l'évolution des êtresvivants, il mesure que l'on s'approche desespèèes- supérieures, ' la sexualité devi<strong>en</strong>t deplus ' <strong>en</strong> plus 'différ<strong>en</strong>ciée. Cette différ<strong>en</strong>ciationse traduit, par exemplé, dans ' <strong>le</strong>choix du part<strong>en</strong>aire sexuel, dans des Conduitesde coquetterie (danses nuptia<strong>le</strong>s); el<strong>le</strong>se traduit, aussi paf <strong>le</strong> fait que la' s<strong>en</strong>sibilitésexuel<strong>le</strong>' se spécifie, s'affranchit' (relativem<strong>en</strong>t)de la· s<strong>en</strong>sibilité de t'


vant <strong>le</strong> " médecin qui l'examine ou même<strong>le</strong> serviteur qui assiste à wn bain, qu'<strong>en</strong>prés<strong>en</strong>ce de l'être aimé dont la vue l'absorbaittout <strong>en</strong>tière, Si el<strong>le</strong> se s<strong>en</strong>t donnéeau peintre comme un lieli de phénomènesesthétiques, comme un objet visuel qui aune va<strong>le</strong>ur artistique, ce retour sur soi nepeut se produire; et il n'est pas possib<strong>le</strong>non plus, si el<strong>le</strong> 'se sait donnée au médecinà titre de cas, ou au serviteur comme lamaîtresse. La raison est ici partout la même:el<strong>le</strong> ne se s<strong>en</strong>t pas donnée commeindividu. Mais il est clair éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'il'inverse, si el<strong>le</strong> se sait donner seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tcomme individu, il n'y a pas là non plusde motif de pudeUr. Car c'est justem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>cas quand el<strong>le</strong> est <strong>en</strong>' prés<strong>en</strong>ce de l'hommeaimé . . Cet exemp<strong>le</strong> nous r~vè<strong>le</strong> un facteurconstitutif de la pudeur <strong>en</strong> tant qu'il concernel'état de fait qui <strong>en</strong> fonde l'apparition.Qu'un instant la p<strong>en</strong>sée du peintre,du médecin, du serviteur, s'égare sur l'as- 'pect individuel de la femme, de sorte que<strong>le</strong> modè<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cas, la maîtresse disparaisseà '<strong>le</strong>urs yeux: si la femme s'aperçoit de cechangem<strong>en</strong>t d'attitude, el<strong>le</strong> opèrera ce retoursur el<strong>le</strong>-même.. et aura une vive réactionde pudeur. Mms inversem<strong>en</strong>t, que laiemme remarque. que sonarnant la compareà une autre femme, ou se souvi<strong>en</strong>t d'uneautre, bref que l'int<strong>en</strong>tion' de l'être aimé 'vi<strong>en</strong>ne à ne plus viser l'individualité de lafemme, ou <strong>en</strong>core qu'il la reluque <strong>en</strong> tantque bel<strong>le</strong> femme ou beau modè<strong>le</strong>, commetout à l'heure dans l'exemp<strong>le</strong> du peintre,- la femme, alors, dès qu'el<strong>le</strong> s'<strong>en</strong> apercevra,réagira par un mouvem<strong>en</strong>t de pudeur})(p, 30-31).SI nous avons t<strong>en</strong>u à citer in ext<strong>en</strong>soce long passage, c'est qu'il marque un'mom<strong>en</strong>t décisif dans <strong>le</strong> projet de Sche<strong>le</strong>r.L'analyse de l'expéri<strong>en</strong>ce vécue tel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong>est rapportée ici, laisse perce<strong>voir</strong> que lapudeur advi<strong>en</strong>t à travers un conflit d'int<strong>en</strong>tions- lorsque ton regard cesse de répondreà ce que j'<strong>en</strong> att<strong>en</strong>ds. La 'femmeattènd de son amant qu'il l'accueil<strong>le</strong> <strong>en</strong> sonirremplaçab<strong>le</strong> unicité, non qu'il la situecomme une femme parmi d'autres; el<strong>le</strong> att<strong>en</strong>ddu peintre qu'il la saisisse à traversson éternité (liquide ou tectonique) comme<strong>le</strong> chiffre, l'énigme ou la dynamique mêmedu monde (Vinci, Titi<strong>en</strong>, Cézanne, R<strong>en</strong>oir)- mais s'il l'appréh<strong>en</strong>de comme un simp<strong>le</strong>?bj~t. chamel limité à ses caractéristiquesmdivlduel<strong>le</strong>s, , conting<strong>en</strong>tes, c'<strong>en</strong> est fait del'art, - au lieu de sc transc<strong>en</strong>der, <strong>le</strong>' corpss'empâte. Malaise aux confins du charnel etdu spirituel: réaction pudique, mouvem<strong>en</strong>tde' couverture, de protection de soi-même.* * *Nous ne sùivrons pas Sche<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> détaildu chapitre où il caract<strong>en</strong>se )a pudeurpar rapport à des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts appar<strong>en</strong>tés tels,que la fierté, l'humilité, <strong>le</strong> rep<strong>en</strong>tir, <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tde l'honneur, <strong>le</strong> x:espect, <strong>le</strong> dégoût'ou l'aversion,. - autant de formes du s<strong>en</strong>-'tÏDieiu .de soi-même. .Ces analvse~ . p<strong>le</strong>ines,de finesse ont l'avantage de préciser la notionde pudeur <strong>en</strong>m~me tempsqu'e1fes.élargiss<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s horizons .de la ,.psychplogiemora<strong>le</strong>. Mai~ toutes nous ramèn<strong>en</strong>t à cec<strong>en</strong>tre de perspectives que nous avons déjàindiqué: l'expéri<strong>en</strong>ce d'un , retour sur sOLexprimant une t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre deux niveaux:de la consci<strong>en</strong>ce.'***Dans <strong>le</strong> chapitre suivant, S.che<strong>le</strong>r réfute'la théorie extrêmem<strong>en</strong>t répandue qui «représ<strong>en</strong>te<strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de la pudeur comm!!un produit de , l'éducation et, au lieu de<strong>voir</strong> <strong>en</strong> lui une des racines de la morà<strong>le</strong><strong>en</strong> fait la conséqu<strong>en</strong>ce d'une éducationd'après des principes moraux, qui domin<strong>en</strong>tdans une société}) (p. 52). Cette théorie"nous dit-il, repose sur une série de confusions.Il est évid<strong>en</strong>t que <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeurpr<strong>en</strong>d toutes sortes de formes, d'expressions.dans l'espace et dans <strong>le</strong> temps. Nous sommesalors <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de phénomènes qwrelèv<strong>en</strong>t beauèoup plus de la tradition, ' dela consci<strong>en</strong>ce col<strong>le</strong>ctive, què de l'éducationproprem<strong>en</strong>t dite. Mais ces aspeci:s contin-·g<strong>en</strong>ts du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur n'<strong>en</strong> épuis<strong>en</strong>tpas l'ess<strong>en</strong>ce. L'ess<strong>en</strong>tiel, <strong>en</strong> effet, «consisteseu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce que, étant donnéestel<strong>le</strong>s formes de l'expression de pudeur,.tout écart par rapport à l'une d'el<strong>le</strong>s occasionneceteris paribus un mouvem<strong>en</strong>t depudeur, parce qu'il attire anormruem<strong>en</strong>tl'att<strong>en</strong>tion sur <strong>le</strong> corps de l'individu, c'està-dire<strong>le</strong> souligne et <strong>le</strong> r<strong>en</strong>d frappant» CP-53). De la nudité du primitif, il ne fautpas conclure à son abs<strong>en</strong>ce de: pudeur :«La négresse qui ne dissimu<strong>le</strong> pas sou.st:'xe possède pourtant un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pu'­deur, même très nettem<strong>en</strong>t caractérisé: on.<strong>le</strong> voit à ce qu'invitée par <strong>le</strong> missionnaireà couvrir ses parties honteuses, el<strong>le</strong> se 'recfusevivem<strong>en</strong>t à <strong>le</strong> faire, <strong>en</strong> donnant ' tous<strong>le</strong>s signes de l'expression naturel<strong>le</strong> dèlapudeur, et . dans <strong>le</strong> cas bù el<strong>le</strong>' ohéliàcontre-cœur, el<strong>le</strong> s'<strong>en</strong>fuit <strong>en</strong> courant ei ' ~ecache derrière des " buiss6iis où dans : sa'hutte, et d'abord orine peut ' l'am<strong>en</strong>er ,'à.se montrer <strong>en</strong> public àvet' ée cache~seie .C'est qu~el<strong>le</strong> s<strong>en</strong>t sa ' peau comme. son v.êre:m<strong>en</strong>t, et <strong>le</strong>s poils du .pubis ,çomme-"son',pagne, .. et. . el<strong>le</strong> ne peut considérer <strong>le</strong> ,paineoula. robe ql.l'on lui donne .. .que, ,comme>quelque chose' qui va: justem<strong>en</strong>t attirer nat,.. ,t<strong>en</strong>tion d'autrui sur. ses· parties- honteuSes»(p. 26) ..51"


Ce n'est donc pas l'éducation qui ' crée<strong>le</strong>s ·formes de pudeur, mais la tradition. Ceqùi se passe, cep<strong>en</strong>dant, c'est que l'éducation.interprète ces formes et <strong>le</strong>s soumet à unjugem<strong>en</strong>t de va<strong>le</strong>ur. C'est ainsi que, auœurs de son développem<strong>en</strong>t historique,j'Eglise chréti<strong>en</strong>ne a souv<strong>en</strong>t donné de lapudeur sexuel<strong>le</strong> une interprétation purem<strong>en</strong>tnégative dans <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s d'une surestimation.de la chasteté. La pudeur apparait alors-comme une invitation au ' célibat, l'indica­'tion naturel<strong>le</strong> d'un interdit sexuel, la sexua­' lité étant directem<strong>en</strong>t assimilée au mal (1 ).Autre type d'interprétation: la pudeur neserait «qu'une t<strong>en</strong>dance qui pousse chacun.à dissimu<strong>le</strong>r ce qu'il y a de laid dans son.corps l) (p. 60) ou <strong>en</strong>core l'interprétation(reudi<strong>en</strong>ne; selon laquel<strong>le</strong> la pudeur est·c une force organique qui réapparaît toujourschez l'individu à l'époque seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,de la puberté et qui limite et refou<strong>le</strong> lalibido» (p. 60) (2~.Interprétations chréti<strong>en</strong>ne ou POSItIVIste'sont véhiculées par l'éducation et n'<strong>en</strong>g<strong>en</strong>".dr<strong>en</strong>t fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'une niaise pruderie etun cynisme faci<strong>le</strong>. Le christianisme cléri­.cal qui maudit la vie et <strong>le</strong> monde, alim<strong>en</strong>ts·de la concupisc<strong>en</strong>ce, <strong>le</strong> rationalism.e sci<strong>en</strong>tistequi élimine de la vie et du mondetout mystère et toute sacralité, voilà deuxformes d'éducation qùi finiss<strong>en</strong>t par dénaturerou par extirper <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pu­.deùr chez la jeunesse.Selon Sche<strong>le</strong>r, la voie d'une saine édu­-cation consistera à , « laisser se développerlibrem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur l) et à·c éviter avec <strong>le</strong> plus grand soin de <strong>le</strong> b<strong>le</strong>s­·ser et de l'humilier ». c Il faut ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tmaint<strong>en</strong>ir <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur.dans sa naiveté et indép<strong>en</strong>dant des inter­'Prétations, r<strong>en</strong>dre l'individu att<strong>en</strong>tif à son.exist<strong>en</strong>ce et à ses réactions, et veil<strong>le</strong>r à·ce qu'il ne soit pas prématurém<strong>en</strong>t. étouffédans son libre exercice par des considér·a­'tions d'utilité ou par la crainte de la ma-1adie Ji (p. 62) (3). .Sche<strong>le</strong>r <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t alors à caractériser la''Pudeur par rapport à ses formes illusoires;,<strong>en</strong> particulier la coquetterie. Son analysephénoménoJogique de la conduite coquetteserait à citer <strong>en</strong> <strong>en</strong>tier tant el<strong>le</strong> témoigne.de perspicacité psychologique. Nous devons.éep<strong>en</strong>dant nous conteriter ici de quelquesindications ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s.La coquetterie simu<strong>le</strong> la pudeur. c Laeoquette, comme la femme pudique, sedérobe, et l'·une et l'autre abaiss<strong>en</strong>t et élè­'V<strong>en</strong>t. alternativem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> regard ». Cep<strong>en</strong>dant·cette commune attitude recè<strong>le</strong> un monde.de différ<strong>en</strong>ces: c La coquette, au mom<strong>en</strong>t>Où,'eDe baisse <strong>le</strong>s yeux, ne 'SOnge ' déjà qu'à<strong>le</strong>s re<strong>le</strong>ver 'et à <strong>voir</strong> l'effet produit, et el<strong>le</strong>ne connaît point ce mouvem<strong>en</strong>t de · retour(J) « Si <strong>le</strong>s conceptions modernea de , lApudeur conduis<strong>en</strong>t à suscitér artificiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tune impudeur fort nuisib<strong>le</strong> aux fins bio<strong>le</strong>>.giques, l'idée propre à l'Eglise, que la pu~deur est une injonction de chasteté, ne'prés<strong>en</strong>te pas de moindres dangers. Commela pudeur sexuel<strong>le</strong> est alim<strong>en</strong>tée par l'instinctsexuel, el<strong>le</strong> ne peut ja~is l'étoufferlui-même, ni ses réactions, el<strong>le</strong> peut tout auplus détourner de <strong>le</strong>s observer ou d'y êtreatt<strong>en</strong>tif, et empêcher qu'on se <strong>le</strong>s avoue,T àndis qùe l'effort pour étouffer purem<strong>en</strong>tet simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t (sans fin positive) cet instinct,ne saurait aboutir qu'à r<strong>en</strong>dre la sexualitéhyper-s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong> à l'<strong>en</strong>droit de tous <strong>le</strong>s ex;ploitants, quels qu'ils soi<strong>en</strong>t, même n'ayantavec <strong>le</strong> domaine sexuel qu'un rapport extr&­mem<strong>en</strong>t lointain, et d'autre part, <strong>en</strong> détournantces réactions de <strong>le</strong>ur but positif desé<strong>le</strong>ction. sexuel<strong>le</strong>, il <strong>le</strong>s ori<strong>en</strong>te ' nécessairem<strong>en</strong>tvers


sur soi, ,qui a lieu d.ans ' la pudeur er qui,<strong>en</strong> se , dévçloppànt, donne naissance au désirde r<strong>en</strong>trer, sous terre et de mourir dehonte» (p. 75).La pudeur est porteuse et gardi<strong>en</strong>ne deva<strong>le</strong>urs.La coquetterie n'est que « simulationd'un amour qu'on n'éprouve pas et deva<strong>le</strong>urs ' qu'on ne possède pas» (p. 74)·L'analyse de la pudeur, au contraire decel<strong>le</strong> de la coquetterie, débouche sur l'auth<strong>en</strong>ticitéde l'amour vécu comme réciprocité.La littérature exist<strong>en</strong>tialiste de Sartreou de S. de Beau<strong>voir</strong>, s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong> uniquem<strong>en</strong>tà l'échec de l'amour, au .,m<strong>en</strong>songe et au<strong>le</strong>urre' de la r<strong>en</strong>contre et de la coexlst<strong>en</strong>ce,nous a habitués à ne <strong>voir</strong> dans l'amourqu'un conflit de puissances aboutissant àl'asservissem<strong>en</strong>t du plus faib<strong>le</strong> par <strong>le</strong> plusfort. Dans cette perspective, l'amour seramène peu ou prou à un , commerce sadomasochisteoù <strong>le</strong>s corps s'C:;Jlglu<strong>en</strong>t et <strong>le</strong>scœurs s'exaspèr<strong>en</strong>t."FOUt 'autre est l'expéri<strong>en</strong>ce à laquel<strong>le</strong> seréfère Max Sche<strong>le</strong>r. Si la pudeur sexuel<strong>le</strong>de la femme agit comme une ret<strong>en</strong>ue etune mise <strong>en</strong> garde, ce n'est pas <strong>en</strong> vain;ce n'est ni <strong>en</strong> vertu d'un refou<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t nipar obéissacne à des impératifs sociaux.C'est que «,la femme ne cons<strong>en</strong>t à s'abandonnerque lorsqu'el<strong>le</strong> a l'évid<strong>en</strong>ce indiscutab<strong>le</strong>de pou<strong>voir</strong> aimer ». Quant à la pudeursexueT<strong>le</strong> de l'homme, «el<strong>le</strong> consiste <strong>en</strong>ce qu'il ne se fait plus <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ant quesi et dans la mesure où il croit être aimé:au,ssi... L'homme, dans la mesure où il ai­'me,ne peut qu'àpprouver la pudeur de la'femme, 'et ne saurait ri<strong>en</strong> <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre'contre die» (p. 69): Par là se marque laréciprocité de l'amour. Par là nous compr<strong>en</strong>onsaussi que la pudeur exprime ie triomphede l'amour sur l'instinct: El<strong>le</strong> laisse'l'instinct <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s et <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te. Atteritequi se change <strong>en</strong> ferveur et nous ouvre l'accèsà un- monde de va<strong>le</strong>urs éthiques supérieures.***,Après a<strong>voir</strong>"ainsi analysé <strong>le</strong>s fondem<strong>en</strong>tsde' la pudeur <strong>en</strong> général, Sche<strong>le</strong>r s'interrogesur la _ fonction du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeursexuell< Cette fonction est trip<strong>le</strong>.Tout 'd'abord, la pudeur participe à laformation d'un instinct sexuel normal. Déjàbi<strong>en</strong> avant l'éveil d'une sexualité précise,dès la petite <strong>en</strong>fance, la pudeur corporel<strong>le</strong>t<strong>en</strong>d à détourner l'att<strong>en</strong>tion des s<strong>en</strong>sationset impulsions liées aux fonctions d'évacuation.' Il y a là une sorte de terram sur<strong>le</strong>quel pr<strong>en</strong>dra assise la pudeur sexuel<strong>le</strong>proprem<strong>en</strong>t- dite. Cel<strong>le</strong>-ci est. immédi~tem<strong>en</strong>tprécédée 'par cette expresslon parnculièrede la lJUdeur que Sche<strong>le</strong>r appel<strong>le</strong> ,pudeurrelative à la libido; el<strong>le</strong>, se cQnc<strong>en</strong>tresur <strong>le</strong>s organes selmels avant l'apparition.de la sympathie seJaJel<strong>le</strong>, c'est-à. dÏ!e avan!la puberté - stade qui correspond à lapériode de lat<strong>en</strong>ce (<strong>en</strong>tre huit et treize ans<strong>en</strong>viron) décrite par <strong>le</strong>s psychanalystes. -'Cette forme de la pudeur apparaît avecl'excitation des zones génita<strong>le</strong>s dont elléécarte l'att<strong>en</strong>tion affective et inte11ectùel<strong>le</strong>de l'<strong>en</strong>fant (4).Avec la puberté « disparaît l'innoc<strong>en</strong>cedans <strong>le</strong> rapport des sexes» (p. 82). La pudeurdevi<strong>en</strong>t pudeur sexuel<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong>-ci «estd\me importance émin<strong>en</strong>te pour la santé del'individu et de l'espèce, pour It: meil<strong>le</strong>urchoix possib<strong>le</strong> du part<strong>en</strong>aire sexuel par l'intermédiairede l'amour» (p. 83). Mieux <strong>en</strong>~core, il faut reconnàître qu'el<strong>le</strong> joue lé rô<strong>le</strong>d'une «condition indisp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong>» à la for-'mation, de l'instinct sexuel. Sans el<strong>le</strong>, <strong>en</strong>.effet, l'individu resterait bloqué au stadeauto-érotique, captivé par la pure jouissancede soi. C'est parce que la pudeur luiassure la maîtrise de s'a libido que l'individud~vi<strong>en</strong>t disponib<strong>le</strong> pOur la sympathiesexuel<strong>le</strong> - sympathie au s<strong>en</strong>s fort, c'est.,.à-dire «participation affective au vécu del'autre» (p. 85). Il Îaut donc par<strong>le</strong>r d'unefonction intra-psychologique de la pudeur yqui consiste <strong>en</strong> ~ce que <strong>le</strong>s impulsionssexuel<strong>le</strong>s non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ne devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pasobjets d'observation, mais ne sont mêmepas discernées par la consci<strong>en</strong>ce. La pudeurempêche donc la thématisation du sexuel,- thématisation qui' constitue la dim<strong>en</strong>sionmême des civilisations érotomaniaques. Etcep<strong>en</strong>dant, comme Sche<strong>le</strong>r <strong>le</strong> souligne fortem<strong>en</strong>t,,la pudeur ne nie pas l'érotisme;el<strong>le</strong> <strong>en</strong> assure, au contraire, là, va<strong>le</strong>ur. Avecla pudeur, l'eros ne se fixe pas à quelqueszones sexuellès, mais à la totalité expressivede l'être: la prés<strong>en</strong>ce.Cette pudeur sexuel<strong>le</strong> persiste bieF! audelàde l'adolt"sc<strong>en</strong>ce. Sche<strong>le</strong>r y' voit undes moteurs de l'expéri<strong>en</strong>ce adulte du monde,<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu'el<strong>le</strong> favorise l'objectivitéintel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> et la conc<strong>en</strong>tration volontaire.(4) La pudeur relative à la Libido noussemb<strong>le</strong> indép<strong>en</strong>dante de la conspiration dusi<strong>le</strong>nce par laquel<strong>le</strong> par<strong>en</strong>ts et éducateursélud<strong>en</strong>t généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s problèmes sexuelsdes <strong>en</strong>fants. Au contraire, il faut reconnaîtreque ce si<strong>le</strong>nce ne fa~orise nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t lapudeur. Il ori<strong>en</strong>te presque infaillib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tl'<strong>en</strong>fant vers des informations erronées ou,bruta<strong>le</strong>'s et vers <strong>le</strong>s pratiques homosexuel<strong>le</strong>sou auto.érotiques.53, ! 2


.La pudeur, comn'<strong>le</strong> resistance aux ' impulsionsde la libïdo, f:rée un climat spirituelpropice pour la création intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>. D'oùcette conclusion: c Une pudeur vigoureuseet bi<strong>en</strong> caractérisée contribue pour unegrande' part à la santé physique et psychique,.(p. 87).'La fonction primaire de la pudeur sexuel<strong>le</strong>r~side , donc dans sa participation à laformation de l'mstinct sexuel. S~ fOIictionsecondaire consiste à différer et à rég<strong>le</strong>m<strong>en</strong>terla satisfaction de cet mstinct. En ce s<strong>en</strong>s,la pudeur peut se définir comme « consci<strong>en</strong>cede ('amour» (p. 105). El<strong>le</strong> t<strong>en</strong>d alors àinhiber <strong>le</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts de l'mstinct sexuel«s'il ri'existe pas d'abord une inclinationprononcée et, sur <strong>le</strong> mom<strong>en</strong>t, un éland'amour ... Aussi, quand la pudeur apparaîtsous une forme accusée, el<strong>le</strong> témoigne toujourséga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de la prés<strong>en</strong>ce de la passionet de l'esprit» (p. 105). Ces notationsde, Sche<strong>le</strong>r se .fond<strong>en</strong>t évidemm<strong>en</strong>t 'sur unedistinction radica<strong>le</strong> <strong>en</strong>tre instinct sexuel etamour sexuel. L'amour s'appuie sur l'mstinct,mais il <strong>en</strong> transforme la va<strong>le</strong>ur <strong>en</strong> <strong>en</strong>modifiant l'ori<strong>en</strong>tation. ' L'mstinct n'exigeque ' sa propre satisfaction; J'amour exige lacommunion dans une même joie. L'instinctn'a pas un caractère sé<strong>le</strong>ctif aussi pousséque J'amour. L'mstinct profite des occasions.L';unour. naît de la r<strong>en</strong>contre qui révè<strong>le</strong>l'alltre <strong>en</strong> ce qu'il a d'unique ,au mocùe etd'irremplaçab<strong>le</strong>. L'amour est choix. Et dansson choix il témoigne de sa propre va<strong>le</strong>ur,tout au moins des va<strong>le</strong>urs qu'il. press<strong>en</strong>t (5).Enfin, la troisième fonction de la pudeurintervi<strong>en</strong>t dans l'acte sexuel lui-même. El<strong>le</strong>empêche que cet acte ne soit pris lui-mêmecomme, fin (qu'il s'agisse d'une mt<strong>en</strong>tion dejouissance ou d'une int<strong>en</strong>tion de reproduction)et <strong>le</strong> subordonne à J'élan d'amour 'visant à la communion de l'être total Lapudeur empêche, <strong>en</strong> outre, là thématisâtiondes organes sexuels, <strong>le</strong>ur iso<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de la' totalité charnel<strong>le</strong> et spirituel<strong>le</strong> de l'mdividu.Enfil)., el<strong>le</strong> exclut, dans l'union sexuel<strong>le</strong>,toute c int<strong>en</strong>tion» consci<strong>en</strong>te portant sur lasimp<strong>le</strong> . s<strong>en</strong>sation de volupté personnel<strong>le</strong>.Nous voyons donc ici, une fois <strong>en</strong>core,'que la pudeur exprime l'ess<strong>en</strong>ce même del'amour: la réciprocité, la coexist<strong>en</strong>ce in­_dissolub<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t charnel<strong>le</strong> et spirituel<strong>le</strong>.***Une dernière question reti<strong>en</strong>t l'att<strong>en</strong>tionde l'auteur : comm<strong>en</strong>t se spécifie la pudeurdans <strong>le</strong> èas de l'homme et dans <strong>le</strong> cas de'la femme? Pour y répondre, il ne faut passe laisser influ<strong>en</strong>cer par <strong>le</strong>s opinions couranteset d'ail<strong>le</strong>urs contradictoires qui refus<strong>en</strong>td'accorder la pudeur à l'un ou l'autre54sexe. Ce qu'on peut dire seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, c'estque <strong>le</strong>s formes d'expression du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tde pudeur diffèr<strong>en</strong>t selon <strong>le</strong> sexe. Chezl'honuD.e, la pudeur apparaît plus nettem<strong>en</strong>tliée aux fonctions psychiques et se traduitpar <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s de l'honneur, <strong>le</strong> respect du secret,la t<strong>en</strong>dance à l'objectivité. Chez , laferrime, la pudeur comporte beaucoup plusd'implications charnel<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> ,est moins discrète,plus bavarde et plus subjective quel'homme. Mais el<strong>le</strong> possède un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tvital qui a plus 'd'unité et qui s'exprimedans son mode instinctif et. mtuitif deconnaître. Chez el<strong>le</strong>, la pudeur devi<strong>en</strong>t <strong>le</strong>tact.Nous n'avons pu indiquer ici que <strong>le</strong>spoints de repère <strong>le</strong>s plus importants de l'ouvragede Sche<strong>le</strong>r. Nous <strong>en</strong> conseillons vivem<strong>en</strong>tla <strong>le</strong>cture à tous ceux qui s'interrog<strong>en</strong>tsur <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s de l'amour et 'qui voudrai<strong>en</strong>treplacer la dia<strong>le</strong>ctique du charnel etdu spirituel dans l'espace de notre civilisation.C. COMBET.(5) Sche<strong>le</strong>r greffe sur ce développem<strong>en</strong>tune théorie aristocratique et raciste des formesculturel<strong>le</strong>s de la pudeur, très nettem<strong>en</strong>tinspirée de NietzsChe ; mais comme il arrivesouv<strong>en</strong>t la p<strong>en</strong>sée du discip<strong>le</strong> est beaucoupmoins nuancée que cel<strong>le</strong> , du maître.« Tout observateur lucide de r Al<strong>le</strong>magne,trouvera que <strong>le</strong> type al<strong>le</strong>mand du Nord, dehaute tail<strong>le</strong>, d'un blond clair aux yeux b<strong>le</strong>ulI>à la tête allongée, possède aussi la pude~la plus délicate et la plus s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>. » (p. 116)On sait <strong>le</strong> peu de considération que Nietzs-' che apportait aux Germains et sa hant!sedu Midi méditerrané<strong>en</strong>.« C' est par exemp<strong>le</strong> sûrem<strong>en</strong>t une supérioritéde culture, qui permet à la femmeeuropé<strong>en</strong>ne de montrer son visage, .es bras,et même dans <strong>le</strong>s couches supérieures, sapoitrine '(<strong>le</strong> décol<strong>le</strong>té), à la différ<strong>en</strong>ce de lafemme ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> qui voi<strong>le</strong> même son visage'et ses bras, et qui ne paraît pas ress<strong>en</strong>tir·pour <strong>le</strong> reste du corps une 'pudeur aussi exig<strong>en</strong>te._ (p. 117)Il est évidet:J.t que ~e tel<strong>le</strong>s affirmations nerepos<strong>en</strong>t fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que sur un' acte de foi- d ' une foi nourrie de préjugés. .,/


-CAHIERS PIERRE T&ILHARD DE CHARDIN: L Construirela terre (Edition,_dans <strong>le</strong> même volume; <strong>en</strong> français, anglais,al<strong>le</strong>mand, russe, arabe), Ed. du Seuil.Nous avons déjà dit comm<strong>en</strong>t ' Teilhard,de Chardin analyse <strong>le</strong>s élém<strong>en</strong>ts actuels, des civilisations pour <strong>le</strong>s considérer dansIF ,dev<strong>en</strong>ir, à une altitude où seuls <strong>le</strong>ssoIIUÎ<strong>le</strong>ts majestueux impos<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur structûreet permett<strong>en</strong>t d'oublier <strong>le</strong>s reliefs pastoujours exaltants de notre pauvre vie humaine,.Il <strong>le</strong> fait avec un esprit de progrès, sans-dogmatisme, avec à peine çà et là un petit,coup de chapeau ' à la religion formel<strong>le</strong>,,comme pour se' faire pardonner son audace.On donne dans cet ouvrage quelques extraitscaractéristiques de ceux de ses écritsqui concern<strong>en</strong>t l'Av<strong>en</strong>ir de l'Homme etl'Energie Humaine.«L'âge des nations est passé, dit-il. Ils'agit maint<strong>en</strong>ant pour nous, si nous ne vou­]ons pas périr, de construire la Terre.»c Les forces politiques qui s'affront<strong>en</strong>tautour de nous, ajoute-t-il, ne sont pas despuissances purem<strong>en</strong>t destructives, el<strong>le</strong>s con­-ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t chacune des composants positifs»,qu'il faut unir dans une totalité exaltl\1lt <strong>le</strong>sva<strong>le</strong>urs individuel<strong>le</strong>s. «Tous voudrai<strong>en</strong>t,quelque chose de plus large, de plus com­'préh<strong>en</strong>sif et de plus beau.»Le chapitre L'Esprit de la Terre est com­:me un résumé des cpnceptions de l'auteur,une sorte de message optimiste et confiant-qui nous donne à nous-mêmes optimismeet confiance dans notre œuvre.c Sous l'excitation des découvertes répétéesqui, <strong>en</strong> l'espace d'un sièc<strong>le</strong>, ont révélé ,.coup sur coup à notre génération, d'abord, <strong>le</strong>s profondeurs et la signification de la,durée, - puis <strong>le</strong>s ressourœs illimitées dela matière - et <strong>en</strong>fin la puissance des vi­'vants associés, il semb<strong>le</strong> que notre psychlogiesoit <strong>en</strong> train de changer.»Sans partager <strong>le</strong>s croyances de Teihard,de Chardin <strong>en</strong> une conception transc<strong>en</strong>dante,del'Amour, nous constatons avec quel<strong>le</strong>obstinati"m et avec quel<strong>le</strong> foi l'auteur espère<strong>en</strong> la grande force universel<strong>le</strong> d'unificationet de projets.c Le mom<strong>en</strong>t est v<strong>en</strong>u de nous aperce<strong>voir</strong>que la recherche est la plus haute des fonctionsbumaines,absorbant <strong>en</strong> soi l'esprit dela guerre et resp<strong>le</strong>ndissant de l'esprit desreligions.« Mais vi<strong>en</strong>ne <strong>le</strong> temps - et il vi<strong>en</strong>dra -()ù la masse se r<strong>en</strong>dra compte que <strong>le</strong>s vraissuccès humaIns sont ceux qui triomph<strong>en</strong>tdes mystères de la matière et de la vie.Alors sonnera pour l'homme une heure décisive:cel<strong>le</strong> de l'esprit de la découverteabsorbera toute la force vive cont<strong>en</strong>ue dansl'esprit de la ,gUerre. »Et nous terminerons <strong>en</strong> citant saconcl~sion,sous <strong>le</strong> titre: La marche <strong>en</strong> avant;«Le Progrès, s'il doit continuer, ne sefera pas tout seul. L'évolution de par <strong>le</strong>mécanisme même de ses synthèses se chargetoujours plus de liberté.Quel<strong>le</strong>s doiv<strong>en</strong>t être, pratiquem<strong>en</strong>t, nosdispositions par rapport à cette marcheavant tout? ' 'J'<strong>en</strong> vois deux, qui peuv<strong>en</strong>t se résumer<strong>en</strong> cinq mots : une grande espérance, <strong>en</strong>commun.a) Une grande espérance d'abord. Cel<strong>le</strong>-cidoit naître spontaném<strong>en</strong>t, dans toute âmegénéreuse <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de l'œuvre att<strong>en</strong>due;et el<strong>le</strong> représ<strong>en</strong>te aussi l'élan ess<strong>en</strong>tiel sans<strong>le</strong>quel ri<strong>en</strong> ne se fera. Un goût passionnéde grandir, d'être, voilà ce qu'il nous faut.Arrière donc <strong>le</strong>s pusillanimes et <strong>le</strong>s sceptiques,<strong>le</strong>s pessimistes et <strong>le</strong>s tristes, <strong>le</strong>s fatiguéset <strong>le</strong>s immobilistes !b) En i commun. Sur ce point <strong>en</strong>core,l'Histoire de la Vie est décisive. Une seu<strong>le</strong>direction fait monter cel<strong>le</strong> qui, par plusd'organisation, mène à plus de synthèse etd'unité. Arrière donc ici <strong>en</strong>core <strong>le</strong>s pursindividualistes, <strong>le</strong>s égoïstes quip<strong>en</strong>s<strong>en</strong>i: grandir<strong>en</strong>excluant ou <strong>en</strong> diminuant <strong>le</strong>Urs frèresindividuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, nationa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ou racia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t.La vie se meut vers l'unification.L'av<strong>en</strong>ir de la Terre est <strong>en</strong>tre nos mains.Qu'allons-nous décider?Une sci<strong>en</strong>ce commune ne rapproche quela pointe géométrique des intellig<strong>en</strong>ces. Unintérêt commun, si passionné soit-il, ne faitse toucher <strong>le</strong>s êtres qu'indirect~m<strong>en</strong>t et surun impersonnel dépersonnalisant.Ce n'est pas d'un tête-à-tête, ni d'uncorps à corps, mais d'un cœur à cœur qu<strong>en</strong>ous avons; besoin. » .Paro<strong>le</strong>s d'un grand sage s'appar<strong>en</strong>tant aux<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts des grandes sages , de l'Inde,paro<strong>le</strong>s d'un laïque, qui ne cite pas mêmeDieu dans de tel<strong>le</strong>s données, son' Dieu sesituant d'ail<strong>le</strong>urs dans une tel<strong>le</strong> altitudeidéa<strong>le</strong> qu'il ne saurait a<strong>voir</strong> ri<strong>en</strong> de commun'avec <strong>le</strong> Dieu usuel des religions.C. F.55


OSWALDSPENGLER . ' L'HoIDID€ et ' la technique ( tradult del'al<strong>le</strong>mand par A. ,Petrowsky, Ed. Gallimard)., Teilhard de Chardin est un incorrigib<strong>le</strong>idéaliste;: trop idéaliste, serions-nous t<strong>en</strong>tésde dire parfois, un homme' qui négligesystématiquem<strong>en</strong>t ce qu'il y a dans nosvies de vulgaire et de vil pour nous é<strong>le</strong>versans, ,cesse vers un coin de ciel b<strong>le</strong>u. O.Sp<strong>en</strong>g<strong>le</strong>r est <strong>le</strong> pessimiste décourageant quinous ramène cruel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t aux rigueurs dela matière et de la vie, et qui <strong>le</strong> fait avecun parti-pris qui apparaît de prime abordcomme inattaquab<strong>le</strong> mais qui n'<strong>en</strong> est pasmoins un aspect immobiliste de la grandeaveItture ' de .la vie.«L'homme est un animal de' proie Lesidéals sont lâcheté.:Il Cela nous â unarrière-goût d'hitlérisme qui nous fait frémir.«Il y a une éthique de carnivore etune éthique, d'herbivore. Personne ne peutri<strong>en</strong> y changer. Cela est inhér<strong>en</strong>t à la forme,au s<strong>en</strong>s et à la tactique intérieure detoute vie. , C'est tout simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un fait.Nous pouvons supprimer la vie mais noussorrirnes impuissants à <strong>en</strong> altérer la natureess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>. Soumise et captive, une bête deproie ' est mutilée, p<strong>le</strong>ine de nostalgie cosmique,intérieurem<strong>en</strong>t ariéantie (et ne sereproduit plus) ... Les herbivores ne perd<strong>en</strong>tri<strong>en</strong>, eux, à être domestiqués.:Il:« Il y a des peup<strong>le</strong>s dont la race vigoureusea perpétué <strong>le</strong> caractère d'animal deproie, qui sont férus du combat contre deshonimes, qui ' <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t, conquièr<strong>en</strong>t etasserviss<strong>en</strong>t d'autres peup<strong>le</strong>s. Ils laiss<strong>en</strong>t àceux-ci la lutte économique contte la naturepour, v<strong>en</strong>u <strong>le</strong> mom<strong>en</strong>t propice, <strong>le</strong>spil<strong>le</strong>r et <strong>le</strong>s soumettre... , '... L'âme de cette bête de proie est sanscesse avide, sa volonté jamais apaisée.Tel<strong>le</strong> est la malédiction qui s'-attache àcette sorte de vie, mais là est aussi lagrandeur' inhér<strong>en</strong>te à sa destinée. Ce sontprécisém<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s individus d'élite qui connaiss<strong>en</strong>t<strong>le</strong> moins <strong>le</strong> calme, <strong>le</strong> bonheur etla dét<strong>en</strong>te.»QueUte conclusion à une tel<strong>le</strong> conceptionde la vie: «Mieux vaut une vie brèvep<strong>le</strong>ine d'action et d'éclat, plutôt qu'uneexist<strong>en</strong>ce prolongée mais vide... L'espéranceest lâcheté.:IlDate de cet écrit: Munich 1931.Nous 's'~von; <strong>le</strong> reste qui nous dit <strong>le</strong>s,dangers d'une tel<strong>le</strong> philosophie.Que devi<strong>en</strong>t la technique dans un telétat d:esprit?Il est diffici<strong>le</strong> de suivre l'auteur dans sesraisonnem<strong>en</strong>ts qui' ne sont pas toujours fondésSUI des faits réels indéniab<strong>le</strong>s. c Latechnique ne s'interprète pas <strong>en</strong> fonction del'instrum<strong>en</strong>t. Ce qui importe n'est nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tla forme des choses, ni comm<strong>en</strong>t on<strong>le</strong>s fabrique, mais bi<strong>en</strong>' ce que l'on faitaveç el<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>ur utilisation.:Il Ce qui n'estpas tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fanx, ll1ais pas tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tjuste non plus. La fonne des choses, l'outilinflu<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t et de façon décisivesur <strong>le</strong> comportem<strong>en</strong>t des individus qui <strong>en</strong>bénéfici<strong>en</strong>t.'« Trop d'importance est accordée aux piècesde musées, pas assez aux processus in,.nombrab<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t a certai~nem<strong>en</strong>t eu lieu, même si toute trace <strong>en</strong>aaujourd'hui disparu. Toute machine instrum<strong>en</strong>teun processus quelconque, <strong>le</strong> sert etdoit son exist<strong>en</strong>ce àux délibérations concernantce processus.:IlCe qui veut bi<strong>en</strong> dire qu'il y a influ<strong>en</strong>ceréciproque. La technique fait faillite et nousconduit dans des impasses quand el<strong>le</strong> estarbitrairem<strong>en</strong>t dépouillée de ces processushumains qu'el<strong>le</strong> doit se~.r. Mais il ne sauraity ,a<strong>voir</strong> progrès si l'homme ne se saisissaitdes techniques comme d'étapes, d'échelonsexpérim<strong>en</strong>tés et assurés qui p<strong>en</strong>nett<strong>en</strong>td'al<strong>le</strong>r plus avant.Le différ<strong>en</strong>d vi<strong>en</strong>t d'ail<strong>le</strong>urs, par-delà cettefausse idéologie de l'opposition radica<strong>le</strong> del'auteur, de la réalité d'un processus évolutif.«Le sque<strong>le</strong>tte humain a toujours été,depuis qu'il est apparu, exactem<strong>en</strong>t ce qu'i<strong>le</strong>st aujourd'hui.:IlCe que contest<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s démonstrations deTeilhard . de Chardin, explique <strong>le</strong> pessimismetragique de l'un, l'optimisme constructifde l'autre.C. F.56


TECHNIQUES DE VIEADMINISTRATION ET RÉDACTIONI.C.E.M. - Place Bergia - CANNES - C.C.P. MARSEILLE 1145.30France et EtrangerCommunautéPrix annuel de l'abonnem<strong>en</strong>t (s numéros) . . . .. .. 1.000 1.300Le numéro: 250 fr.Le gérant: C. FREINETImprimerie ltGITNA - CANNES (A.-M.)

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!