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Qui sont les nouveaux conservateurs - Mission d'animation des ...

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LES 18ES CONTROVERSES EUROPÉENNES DE MARCIACL’agriculture a-t-elle le droit d’être moderne ?Les 1 er et 2 août 2012, à Marciac (Gers)TABLE RONDEQUI SONT LES NOUVEAUX CONSERVATEURS ?Table ronde avec Jean-Jacques DELMAS, agriculteur, François PURSEIGLE, sociologue,Jean-Louis RASTOIN, agroéconomiste, Arie VAN DEN BRAND, Président du Groupe deBruges.www.agrobiosciences.org<strong>Mission</strong> AgrobiosciencesEnfa BP 72 63831 326 Castanet-TolosanEdité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org1


INTERVENANTSJean-Jacques Delmas. Agriculteur depuis <strong>les</strong> années 70,après avoir été professeur d’éducation physique, Jean-Jacques Delmas dirige, avec son épouse, dans le Gers, uneexploitation en pluriactivité (vaches laitières, moutons,céréa<strong>les</strong>…) en agriculture biologique. Dans une interviewaccordée à la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences, il expliquait neplus se reconnaître dans aucun discours syndical oupolitique aujourd’hui… (Les agriculteurs à hue et à dia,juin 2011, émission radiophonique "Ça ne mange pas depain !").François Purseigle. Maître de conférences en sociologie àl’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse(INP-Ensat) et chercheur associé au Centre de recherchespolitiques de Sciences Po-Paris, François Purseig<strong>les</strong>’intéresse aux formes d’exercice, d’organisation et degestion du métier d’agriculteur mais aussi à l’engagementet au comportement politique et syndical de la profession.Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Les Mon<strong>des</strong>agrico<strong>les</strong> en politique : de la fin <strong>des</strong> paysans au retour dela question agricole » (Presses de Sciences Po, juin 2010)dirigé avec Bertrand Hervieu, Nonna Mayer, PierreMuller, et Jacques Rémy.Jean-Louis Rastoin. Agronome et économiste, professeurémérite à Montpellier SupAgro, Jean-Louis Rastoin est ledirecteur et l’initiateur de la Chaire Unesco et du réseauUnitwin en Alimentations du monde. Parmi <strong>les</strong> ouvragesqu’il a publiés ou dirigés, citons, avec Gérard Ghersi, « Lesystème alimentaire mondial : concept, métho<strong>des</strong>, analyseset dynamiques » publié aux éditions Quae, en novembre2010.Arie Van den Brand. Néerlandais, ancien députéécologiste (Green left), Arie Van den Brand est leprésident du groupe de Bruges. Fondé en 1995 suite à ladissolution du groupe de Seillac, ce think tank européenest dédié à l’agriculture et aux politiques agrico<strong>les</strong> et dedéveloppement rural européennes.Edité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org2


TABLE RONDEQUI SONT LES NOUVEAUX CONSERVATEURS ?<strong>Mission</strong> Agrobiosciences (MAA). Dans leprolongement de nos échanges sur la notion demodernité, il nous semblait pertinent, comme eneffet miroir, de décortiquer celle deconservatisme. Il faut dire que, depuis le milieudu 19 ème siècle, l’agriculture est porteuse d’uneimage conservatrice, au sens premier du termequi désigne « le gardien <strong>des</strong> droits et <strong>des</strong>privilèges ». Ainsi, à tort ou à raison, elle estpensée comme la gardienne d’une tradition,d’une ruralité menacée.Depuis quelques années, d’autres acceptations duterme émergent. Un exemple parmi d’autresextrait d’un rapport de la FAO de 2002 sur« l’éthique alimentaire et agricole » 1 . Le grouped’experts à l’origine de ce rapport explique que,dans un souci d’accroissement de la productionagricole, il faudra probablement avancer surdeux voies parallè<strong>les</strong> « en établissant unedistinction entre deux types différentsd’agriculteurs : l’agriculteur-producteur etl’agriculteur-conservateur. » Le premier étant,de manière très schématique, représenté par degran<strong>des</strong> unités de production spécialisées à fortcapital, tandis que le second correspondrait à lafigure du « petit exploitant (…) pratiquant uneagriculture plus traditionnelle » à même depréserver la biodiversité et de respecter <strong>les</strong>savoir-faire locaux.Des considérations qui nous invitent à explorertoutes <strong>les</strong> facettes du conservatisme et <strong>les</strong> figures<strong>des</strong> <strong>nouveaux</strong> <strong>conservateurs</strong>. Finalement, cesderniers <strong>sont</strong>-ils ceux que l’on croit ? Et <strong>les</strong>conservatismes se nichent-ils là où on le pense apriori ?La pire et la meilleure <strong>des</strong> chosesMAA. Dans le domaine de l’agriculture, quevous évoque spontanément <strong>les</strong> termes deconservatisme et de conservateur ?Jean-Jacques Delmas. Ces termes peuvent êtreentendus de bien <strong>des</strong> manières. Tout d’abord, j’aibeaucoup apprécié le témoignage de l’APAD sur1 http://www.fao.org/ethics/exp_fr.html’agriculture de conservation 2 , démarche àlaquelle j’adhère en grande partie. Elle indiquede nouvel<strong>les</strong> voies à explorer pour bon nombred’agriculteurs. Lorsque nous nous sommesinstallés mon épouse et moi-même dans le Gers,nous avons rapidement compris que la nature <strong>des</strong>sols de notre exploitation appelait d’autres mo<strong>des</strong>de gestion. Alors que bon nombre d’agriculteursgersois cultivent du maïs et l’irriguent, nousavons opté pour d’autres cultures et d’autrespratiques, avec <strong>des</strong> systèmes mobilisant <strong>des</strong>légumineuses tel<strong>les</strong> que la luzerne, etc. Cessystèmes ne <strong>sont</strong> pas <strong>nouveaux</strong> ; ils <strong>sont</strong> héritésdu passé. Sommes-nous pour autant <strong>des</strong><strong>conservateurs</strong> ? Oui si l’on considère <strong>les</strong> chosessous l’angle de la conservation d’un patrimoinebiologique et humain. D’un autre point de vue,on peut penser que le conservatisme se trouveplutôt du côté de l’agriculture conventionnelle.Face aux tensions croissantes sur la gestion <strong>des</strong>ressources en eau comme aux dégâts engendréspar l’agriculture conventionnelle, ne devonsnouspas rompre avec <strong>les</strong> modè<strong>les</strong> établis et nousengager dans une autre voie ? En posant cesquestions, j’ouvre le champ à plusieurspossibilités…Jean-Louis Rastoin. C’est, pour moi, un grandplaisir de participer à ces Controverses, qu’onqualifie souvent de laboratoire de penséesutopiques mâtinées de pragmatisme rural. Pourrépondre à votre question, je ferai appel à lamythologie romaine et à la figure, bien connue,de Janus 3 . De mon point de vue, tout commeJanus, le conservatisme revêt deux facesopposées. La première, sombre, serait, en forçantun peu le trait, le conservatisme politique marquépar la préservation <strong>des</strong> droits et <strong>des</strong> privilèges.Or ces derniers résultent souvent d’inégalités ou2 « L’agriculture de conservation, une technicitédésavouée », témoignage de Gérard Rass, Secrétairegénéral de l’Association pour la Promotion d’uneAgriculture Durable (APAD).http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=34473 Dieu de la mythologie romaine, représenté par deuxfaces opposées.Edité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org3


La modernisation écologique est en marcheMAA. Comment est entendue cette notion auxPays-Bas ?Arie Van den Brand. C’est une questioncompliquée. Précisons d’emblée que <strong>les</strong> Pays-Bas <strong>sont</strong> un pays très urbanisé, à forte densité depopulation, et que ce <strong>sont</strong> <strong>les</strong> modè<strong>les</strong> trèsintensifs qui prévalent en agriculture et enhorticulture. Autre singularité notable : 35% dela population urbaine est membre d’uneassociation ou d’une ONG environnementale, cequi vous donne une idée du poids politique <strong>des</strong>mouvements écologistes.Où en sommes-nous sur cette question de lamodernité et du conservatisme ? La premièrechose importante est que nous nous situons dansune période de transition de nos modè<strong>les</strong>agrico<strong>les</strong> et agroalimentaires. Depuis 20 ans,ceux-ci s’articulaient autour de deux notions,d’un double P : people and profit. Désormais,une autre dimension s’impose : the planet. AuxPays-Bas, la modernisation écologique est enmarche. Peut-être ce mouvement est-il facilitépar notre bain culturel et historique, plus enclin àfavoriser <strong>les</strong> démarches entrepreneuria<strong>les</strong> que laculture française. Quoi qu’il en soit, la transitionest amorcée. Un exemple parmi d’autres. Vousconnaissez tous le groupe Heineken.Récemment, ce célèbre brasseur s’est engagé,avec une quarantaine d’agriculteurs néerlandais,à mettre en place une filière de production d’orgedurable 5 . Dans <strong>les</strong> années 60-70, <strong>les</strong> paysanssuivaient un plan de développement ;maintenant, ils respectent <strong>des</strong> plans dedéveloppement durable.Il faut dire que l’influence de la société civile esttrès importante aux Pays-Bas. Il s’agit du secondélément notable : le modernisme, en agriculture,n’est plus défini par le monde agricole mais parle monde urbain. Le droit <strong>des</strong> paysans à produireest un droit octroyé par la société ! Celatransparaît notamment autour <strong>des</strong> débats sur le5Le groupe a par exemple lancé un programme« Skylark », défini comme « une approchepartenariale avec <strong>des</strong> agriculteurs néerlandais,reposant sur la recherche d’une agriculture durable àpartir de dix indicateurs et d’un plan d’actions. »Rapport Développement Durable de Heineken France,2009.http://www.developpementdurable.heinekenfrance.fr/donnees/pdf/rapportDD2009.pdfbien-être <strong>des</strong> animaux, question primordiale auxPays-Bas. Comme au Danemark, celle-ci figureen tête de l’agenda politique et influenceconsidérablement l’orientation de l’agriculture.Elle supplante même certains "clivages" : ilexiste ainsi <strong>des</strong> groupes d’agriculteurs bio etconventionnels qui réfléchissent à l’élaborationde nouvel<strong>les</strong> étab<strong>les</strong> plus respectueuses du bienêtre<strong>des</strong> animaux. A l’inverse, la construction deméga-étab<strong>les</strong> dans <strong>les</strong> secteurs bovin et porcin,avec <strong>des</strong> capacités pouvant aller jusqu’à 1000bêtes, a fait l’objet de vifs débats parlementairesquant à l’acceptabilité de ce type d’élevage.Je terminerai avec un dernier exemple. Vousconnaissez tous <strong>les</strong> paysages <strong>des</strong> Pays-Bas, cesvastes prairies où paissent de paisib<strong>les</strong> vaches,ainsi que l’illustrent <strong>les</strong> peintures du 17 ème siècle.Avec l’industrialisation <strong>des</strong> pratiques d’élevages,<strong>les</strong> animaux <strong>sont</strong> de plus en plus souvent àl’étable, et de plus en plus rarement dans <strong>les</strong>champs. Conséquence : <strong>les</strong> paysages s’entrouvent modifiés, ce qui n’est pas du tout dugoût <strong>des</strong> citoyens. Pour contrebalancer lephénomène, deux coopératives ont créé unsystème de bonus financier pour <strong>les</strong> éleveurs quiconduisent régulièrement leurs troupeaux auxprés. C’est dire tout le poids de la sociétécivile…Jean-Jacques Delmas. Je voudrais réagir enpartageant une expérience de terrain. Je me suisretrouvé en conflit sur diverses positionsnotamment en ce qui concerne l’agriculturebiologique. Il y a de cela quelques années,plusieurs ouvrages ou documentaires ont avancél’idée que l’agriculture biologique pouvaitnourrir la planète entière et se substituer àl’agriculture conventionnelle. En tant queproducteur bio, ce type de discours a commencéà me poser <strong>des</strong> problèmes de crédibilité vis-à-visde la population, <strong>des</strong> commissions… Car, on <strong>les</strong>ait, <strong>les</strong> niveaux de rendement entre l’AB etl’agriculture conventionnelle ne <strong>sont</strong> paséquivalents. On ne peut donc pas prétendrenourrir tout le monde. Entendons-nous bien : jene dis pas que l’agriculture conventionnelle est lasolution, loin de là. Ce que je déplore, c’estl’utilisation de pseudo-vérités qui, finalement,<strong>des</strong>servent une idée plus qu’el<strong>les</strong> ne la portent.Edité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org5


Nous sommes tous formatésMAA. Fort de ces analyses, où se nichent <strong>les</strong>conservatismes ? Par quoi <strong>sont</strong>-ils alimentés ?Jean-Jacques Delmas. Je pense que notreéducation, notre bain culturel quel qu’il soit,entretient <strong>les</strong> conservatismes. Tel un mouleduquel il est difficile de s’extraire sans se faire<strong>des</strong> ennemis ou s’isoler. De manière plusgénérale, la société, de part son fonctionnement,le poids <strong>des</strong> normes, favorise ce formatage. Dansnos sociétés occidenta<strong>les</strong>, toutes dédiées auconfort et à la défense d’un certain style de vie,la prise de risque ou le changement ne <strong>sont</strong> guèrevalorisés.Sur cette question du formatage, Gérard Rass, del’APAD, évoquait précédemment le cas <strong>des</strong>Mesures agro-environnementa<strong>les</strong> (MAE) endisant que cel<strong>les</strong>-ci étaient pensées « pour <strong>des</strong>systèmes normés, connus, standardisés ». Jerejoins son point de vue : ces mesures existent enagriculture biologique et el<strong>les</strong> posent de réelsproblèmes. El<strong>les</strong> nous inscrivent dans un cadrerigide qui contraint la conduite <strong>des</strong> exploitations.Pire, el<strong>les</strong> ont été imposées à tous parl’agriculture conventionnelle, au nom de la fuite<strong>des</strong> nitrates, de la réduction <strong>des</strong> pestici<strong>des</strong>, etc,alors que l’agriculture biologique n’y est pourrien ! On se retrouve dans une situationtotalement paradoxale…Enfin, on peut poser la question <strong>des</strong> relationsintersyndica<strong>les</strong>. J’ai connu plusieursorganisations – <strong>les</strong> CNJA 6 , la confédérationpaysanne – mais aussi <strong>les</strong> GAB, <strong>les</strong> groupementsd’agriculteurs biologiques. Partout, on rencontrele même conformisme comme si le changementrisquait de mettre à mal le dénominateurcommun nécessaire à toute entente et de fairevoler en éclat le groupe. Conséquence : chacunreste sur ses positions ; rien ne bouge…Minoritaires et isolésMAA. François Purseigle, vous nous avezexpliqué que le monde agricole a été enrupture <strong>les</strong> conservatismes de la fin du 19 èmesiècle et du début du 20 ème . Quel<strong>les</strong> <strong>sont</strong>, dèslors, <strong>les</strong> sources du conservatisme actuel ?François Purseigle. J’aimerais vous faire partd’une réflexion que nous menons avec BertrandHervieu, dont l’essence tiendrait dans ce terme :6 Centre national <strong>des</strong> jeunes agriculteurs.basculement. En l’espace d’une cinquantained’années, le monde agricole a profondémentchangé. Sans entrer dans le détail, on peutsouligner ceci : si hier <strong>les</strong> agriculteursconstituaient la majorité du corps social, ils <strong>sont</strong>désormais minoritaires. On pourrait croire qu’ens’amenuisant, ce corps social allaits’homogénéiser. Fait paradoxal, loin d’êtreuniforme, le monde agricole est pluriel. Eclaté,segmenté, clivé <strong>sont</strong> quelques-uns <strong>des</strong> termesutilisés pour qualifié ce dernier, face àl’élargissement <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de vie comme <strong>des</strong>revenus.Pour autant, <strong>des</strong> points de convergence existent.Ainsi, ce passage d’une majorité à une minorité,ce basculement complètement atypique dans lasociété française est à l’origine du sentimentd’isolement qui traverse aujourd’hui laprofession. Il n’est pas étranger non plus à lacrainte de l’amenuisement, de la disparition <strong>des</strong>agriculteurs, ou encore à la peur dudéclassement. Cette dernière est réelle : <strong>les</strong>agriculteurs redoutent de perdre la positionsociale acquise pendant la modernisation, alorsmême qu’il n’y a pas nécessairement dedéclassement en agriculture, du moins pas danstous <strong>les</strong> secteurs.Tout ceci contribue à consolider un ancrage dumonde agricole à droite, de même qu’il expliquela forte pénétration <strong>des</strong> thèses de l’extrême droiteau sein <strong>les</strong> jeunes générations.Je terminerai par cette remarque. Nous l’avonsdit, <strong>les</strong> mon<strong>des</strong> agrico<strong>les</strong> <strong>sont</strong> pluriels dans leurspratiques, leurs attentes, leurs mo<strong>des</strong> de vie…Dans cette perspective, ne doit-on pas inventerde <strong>nouveaux</strong> dispositifs pour penser la coexistencede tous ces modè<strong>les</strong> ? Jusqu’à présent,il est clair que <strong>les</strong> organisations comme <strong>les</strong>décideurs publics ont montré leur incapacité àpenser cette co-existence.L’agro-industrie ?Un modèle conservateurMAA. Poursuivons avec Jean-Louis Rastoin,spécialiste <strong>des</strong> questions alimentaires et degouvernance <strong>des</strong> filières. On parle beaucoupdepuis tout à l’heure <strong>des</strong> agriculteurs euxmêmes.Finalement sur cette question <strong>des</strong>conservatismes, ne faudrait-il pas un peuélargir notre horizon ?Jean-Louis Rastoin. Effectivement. Pour vousrépondre, je ferai appel aux propos de LouisEdité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org6


Malassis, économiste et fondateur d’Agropolis.Ce dernier disait deux choses, toujoursd’actualité. Tout d’abord, l’agriculture reste etrestera la racine du système alimentaire quelsque soient <strong>les</strong> mo<strong>des</strong> de production choisis, aussifuturistes soient-ils que <strong>les</strong> fermes vertica<strong>les</strong>. Laseconde chose que l’on peut rappeler est qu’iln’y a pas d’explication agricole à l’agriculture.Comprenez : la société dans son ensembleoriente l’activité agricole, en ce sens que cettedernière est insérée entre, en amont,l’agrofourniture et en aval, l’industriealimentaire, la distribution et le consommateur.Prenons le cas de la sécurité alimentaire qui agitegrandement <strong>les</strong> milieux intellectuels etpolitiques. Cette problématique ne pourra êtrerésolue que par une approche systémique,impliquant un décloisonnement sectoriel ; uneapproche strictement agricole est, d’avance,condamnée à l’échec. A la lumière de cesconsidérations, la réponse à votre question esttrès claire : <strong>les</strong> conservatismes se nichent toutautant dans le monde agricole que dans sonenvironnement.Quel est-il, cet environnement ? Si l’on sepenche sur l’histoire récente du systèmealimentaire, on constate que, depuis un peumoins d’un siècle en Amérique du Nord,soixante ans en Europe ou au Japon, et dix ansdans <strong>les</strong> pays émergents, le modèle agroindustrieltend à devenir hégémonique, à sediffuser et à s’implanter un peu partout à lasurface du globe. Du côté de la production,Hélène Tordjman a montré combien ce modèleest non seulement normalisé et standardisé maisconcentré, spécialisé, financiarisé et mondialisé.Pour ce qui concerne la consommation, on peutdire que ce modèle est à la fois massifié etindividualisé. Bien qu’il soit, selon certains, à lapointe du modernisme contemporain, ce modèleagro-industriel est de mon point de vue porteurd’un grand conservatisme. Ceci, aussi bien ducôté du producteur, de la filière productive dansson ensemble, que du côté du consommateur.Ainsi dans le premier cas, le producteur estengagé dans une course à la taille critique pouracquérir ce que l’on nomme le pouvoir demarché. Conséquence : <strong>les</strong> leaders de ces filières<strong>sont</strong> toujours plus gros. Ils fonctionnent commeun club fermé dont l’unique but est laconservation <strong>des</strong> parts de marché. Quant auxconsommateurs, ceux-ci <strong>sont</strong> pressés par le modede vie du salarié urbain. Ils <strong>sont</strong> égalementformatés, pour reprendre le terme de Jean-Jacques Delmas, tant par <strong>des</strong> campagnespublicitaires aux budgets mirobolants que par <strong>des</strong>institutions tel<strong>les</strong> que l’école. Partout où lemodèle agro-industriel se développe, <strong>les</strong>consommateurs présentent <strong>des</strong> comportementsmimétiques. D’après mes estimations, près de lamoitié de la population de la planète, soit 3milliards et demi d’individus, baigne dans cemodèle.Nous devons imaginer un modèlealternatifJe l’ai dit, ce dernier est profondémentconservateur, parce qu’il est notamment fondésur un processus de standardisation etd’industrialisation. Par exemple, il ne repose quesur une dizaine de gran<strong>des</strong> plantes comestib<strong>les</strong> etquelques espèces anima<strong>les</strong> dont la productionpeut être aisément industrialisée. Cependant delour<strong>des</strong> externalités négatives pèsent sur cemodèle en termes de santé publique,d’environnement, de délocalisation et dechômage. Dès lors, ce contexte négatif devraitinciter <strong>les</strong> acteurs – entrepreneurs etconsommateurs – à modifier leurs pratiques,leurs stratégies. S’il est conservateur dans sescaractéristiques, le modèle agro-industriel n’endispose pas moins d’une faculté d’adaptation,inhérente au capitalisme. Le cas <strong>des</strong> Pays-Bas,détaillé par Arie Van den Brand en est la parfaiteillustration. Les lignes bougent, le modèleévolue. Ce constat ne prévaut cependant pas pourtous <strong>les</strong> pays. Je serais ainsi bien plus pessimistesur <strong>les</strong> capacités d’adaptation de ce modèle dans<strong>les</strong> pays du Sud. De même on peut craindre queces changements se heurtent à la résistance <strong>des</strong>marchés financiers dont la logique est paressence court-termiste et spéculative.Nous devons donc imaginer un modèle alternatif,qui rompt avec <strong>les</strong> mouvements néo<strong>conservateurs</strong>que j’évoquais précédemment. Cemodèle existe. Il repose sur <strong>des</strong> innovations tel<strong>les</strong>que l’organisation en réseaux, le partage <strong>des</strong>ressources, la proximité, la solidarité. Reste que,pour pouvoir prospérer, il va nécessiter de<strong>nouveaux</strong> mo<strong>des</strong> de gouvernance, pluséquilibrés. Au cours de ces journées, nous avonsévoqué le poids et le pouvoir considérab<strong>les</strong> <strong>des</strong>lobbys, notamment financiers. A contrario,certaines initiatives ou démarches restentméconnues faute de "porte-voix". Ainsi en vat-il,par exemple, de l’APAD dont nous venonsd’entendre le témoignage. Cette associationEdité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org7


propose <strong>des</strong> solutions origina<strong>les</strong>, mais si on nelui donne pas la parole, ces initiatives resterontlettre morte… En définitive, la questionfondamentale est bien celle du changement devaleurs et de paradigmes auxquels nous sommesappelés en ce début de 21 ème siècle.Food is sexyMAA. Arie Van den Brand, une réaction vue<strong>des</strong> pays d’Europe du Nord ? Quels <strong>sont</strong> <strong>les</strong>points de convergence, de divergence ?Arie Van den Brand. Il est vrai que <strong>les</strong> pays duNord <strong>sont</strong> plus sensib<strong>les</strong> aux questionsenvironnementa<strong>les</strong> et écologiques que leursvoisins du Sud, quoique ces questions émergentaussi fortement dans ces contrées.J’aimerais évoquer quatre tendances quifleurissent aux Pays-Bas. Tout d’abord, depuis 3ou 4 ans, le regard posé par <strong>les</strong> urbains surl’alimentation change : s’alimenter et cuisiner estdésormais « sexy ». L’association Slow Food,bien implantée aux Pays-Bas, mène plusieursactions de communication en ce sens, pour que<strong>les</strong> questions alimentaires occupent le devant dela scène. Elle a ainsi collaborée avec l’équivalenthollandais du CNJA à l’occasion d’unecampagne de communication vidéo à <strong>des</strong>tinationdu grand public. Certes, le CNJA ne partage pastoutes <strong>les</strong> convictions de Carlo Petrini, lefondateur de Slow Food. Mais ce rapprochementconstitue un nouvelle forme de dialogue entre <strong>les</strong>mon<strong>des</strong> urbains et ruraux, autour <strong>des</strong> enjeuxagrico<strong>les</strong> et alimentaires et de la nécessité demaintenir vivant le tissu agricole.De manière plus générale, le regard surl’agriculture a lui aussi changé – ce sera mondeuxième point. Il y a de cela cinq ans, <strong>les</strong> ONG– Greenpeace, <strong>les</strong> Amis de la Terre et Bird lifeinternational – qui ont un poids considérable auxPays-Bas et auprès <strong>des</strong> verts européens, étaienttrès critiques vis-à-vis de l’agriculture et de laPAC. El<strong>les</strong> n’en voulaient pas. Désormais, leurdiscours a changé : il ne s’agit plus de supprimerla PAC et le budget alloué à l’agriculture mais del’orienter différemment, en mettant l’accent surla durabilité, l’environnement. Voilà unchangement de taille.Troisièmement, il y a le rapport à la professionelle-même, l’image de l’agriculture et <strong>des</strong>agriculteurs. Actuellement, le programmetélévisé le plus populaire aux Pays-Bas n’estautre que la déclinaison hollandaise de « l’amourest dans le pré ». Dans le casting de l’année2012, l’un <strong>des</strong> 8 candidats est homosexuel. Onpeut sourire à l’évocation de ce programme.Reste que, désormais, <strong>des</strong> agriculteurshomosexuels peuvent chercher <strong>des</strong> compagnonssur la télé publique là où, auparavant, c’était unechose taboue, cachée.Pour terminer, j’aimerais aborder la question dela préservation de la biodiversité, et avec elle,celle <strong>des</strong> biens communs. C’est, je crois, unélément important de ce débat entre modernité etconservatisme. Dans le cadre de la réforme de laPAC et de son verdissement, l’Union européenneréfléchit à la mise en place d’ « Ecological FocusArea », <strong>des</strong> zones de préservation de labiodiversité 7 . Mais, comme souvent, cecipasserait par un contrat individuel entre l’UE etl’agriculteur, et non pas par <strong>des</strong> mécanismescollectifs. Or, aux Pays-Bas, cette question de lapréservation de la biodiversité est gérée demanière collective, entre <strong>les</strong> collectivités loca<strong>les</strong>,la société civile, <strong>les</strong> agriculteurs ou <strong>les</strong>coopératives. Un très grand nombre de surfacescultivées <strong>sont</strong> impliquées dans ce mode de cogestion,dont l’objectif n’est pas seulement demaintenir mais d’accroître la biodiversité <strong>des</strong>plantes, <strong>des</strong> animaux, <strong>des</strong> sols. Dans ce contexte,l’agriculture bio n’est plus aussi marginale quepar le passé. Hier, la profession agricoleconsidérait que <strong>les</strong> agriculteurs bio étaient <strong>des</strong>gnomes barbus et chevelus. A présent,l’équivalent <strong>des</strong> CNJA et de la FNSEA regardentcette agriculture comme un laboratoireintéressant. Les savoirs circulent entre <strong>les</strong>conventionnels et <strong>les</strong> bio. C’est un élémentimportant.7 Il s’agit d’une mesure agro-environnementale alorsen discussion au Parlement européen, en juillet 2012.Concrètement elle obligerait <strong>les</strong> agriculteurs àconsacrer 7 % de leurs terres agrico<strong>les</strong> à lapréservation de haies, de bocages, de petites mares oude zones tampons.Edité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org8


DÉBATJacques Berthelot, économiste.Arie Van den Brand a montré que <strong>les</strong>agriculteurs néerlandais avaient élargi leurhorizon, en intégrant notamment <strong>les</strong> questionsenvironnementa<strong>les</strong> et de bien-être animal. L’ontilségalement étendu aux pays du Sud ? Je songenotamment aux pays d’Afrique subsaharienne,comme le Kenya, où <strong>sont</strong> cultivées <strong>des</strong> fleurs à<strong>des</strong>tination du marché européen. Ces fleurs <strong>sont</strong>très majoritairement commercialisées par <strong>les</strong>Pays-Bas, qui détiennent quasiment le monopolede distribution… Dans quelle mesure cescultures s’inscrivent-el<strong>les</strong> dans un processus dedéveloppement respectueux de l’environnementet <strong>des</strong> paysans ? Je cite cet exemple mais il enexiste d’autres.Arie Van den BrandOn pourrait citer le cas du vin français enChine… Il existe une foule d’exemp<strong>les</strong> similairesà celui <strong>des</strong> fleurs. Personnellement, je ne suis pascontre le commerce. De mon point de vue, lecœur du problème n’est pas là : il réside dansnotre capacité à changer de paradigme et à entrerdans l’ère de l’agroécologie. Ceci, aussi bien auNord qu’au Sud, <strong>les</strong> sols s’érodant ici commeailleurs. Au Costa Rica, la culture intensive del’ananas est responsable de la disparition de 4%de la surface agricole par an ! D’où l’urgence depréserver <strong>les</strong> écosystèmes et de modifier nosmo<strong>des</strong> de production. C’est un vaste chantier quinous attend, car d’un point de vue scientifique,nous ne savons pas grand chose de la dynamique<strong>des</strong> sols. Pour <strong>les</strong> chercheurs, la tâche esténorme.Une dernière chose. Nous n’avons pas parlé dugaspillage alimentaire : une boîte de conserve surcinq finit à la poubelle. Les consommateurs ontaussi une responsabilité.Tomas Garcia Azcarate, fonctionnaire à laCommission européenne.Permettez-moi une remarque. Ce matin, j’ai vu lasalle enthousiasmée par le témoignage <strong>des</strong>Producteurs Plaimont partis à la conquête dumarché chinois ; hier, j’ai vu la même salleemballée par <strong>les</strong> circuits-courts…Un participant.J’aimerais réagir suite au témoignage del’APAD, concernant ses difficultés d’extension.« La norme est l’ennemi de l’innovation » nous adit en substance son représentant. J’ai vécu auBrésil au moment où l’agriculture deconservation a littéralement explosée. Dans cecadre, je me demande s’il ne serait pas judicieuxde revoir cette question <strong>des</strong> normesenvironnementa<strong>les</strong>, obligatoires dans le régimede subvention de la PAC. Ceci pour permettre ladiversité <strong>des</strong> expériences et la coexistence dedifférents systèmes agrico<strong>les</strong>. Actuellement, on al’impression que l’Europe est bloquée, qu’on nesait pas appréhender cette question de ladiversité.Jean-Jacques Delmas.Ces normes se <strong>sont</strong> mises en place avec <strong>les</strong>premiers CTE – <strong>les</strong> Contrats Territoriauxd’Exploitation – initiés par Jean Glavany 8 . Selon<strong>les</strong> termes du ministre lui-même, il s’agissaitd’une première approche d’une certainerévolution agricole et rurale. Aux CTE, balayéspour x raisons, ont succédé <strong>les</strong> CAD – <strong>les</strong>Contrats d’agriculture durable – puis, aprèsquelques années de vacuité, <strong>les</strong> MAE. On peutcomprendre que l’Etat ait mis en place unsystème de normes standardisées, applicab<strong>les</strong> àtous et en tout lieu, pour simplifier <strong>les</strong> choses.Reste que cel<strong>les</strong>-ci <strong>sont</strong> inapplicab<strong>les</strong>. Pour s’enconvaincre, il suffit d’aller sur le terrain. Prenonspar exemple <strong>les</strong> inscriptions. Chaque agriculteurest censé noter dans un cahier ce qu’il fait, ladate à laquelle il a réalisé ses épandages, etc.Tout le monde ment ! Les normes <strong>sont</strong> balayéescar trop étroites, trop diffici<strong>les</strong> à respecter.Il faut introduire de la soup<strong>les</strong>se, revenir àl’échelle régionale ou départementale, pour quechaque territoire puisse définir ses normes enfonction <strong>des</strong> types de sols, <strong>des</strong> cultures… C’est àcette condition que l’on empêchera <strong>les</strong> dérivescomme <strong>les</strong> excès. Certes, cela suppose du travailet de la discipline, mais j’y crois.Un participant.Je suis conseiller agricole. Cette fonction a été lagrande absente de nos débats alors même qu’elleest à l’interface <strong>des</strong> différents acteurs. Arie Vanden Brand évoquait la co-construction, <strong>les</strong>actions menées collectivement par <strong>les</strong>agriculteurs et la société civile. Desprofessionnels <strong>sont</strong> dans cet espace de dialogue.8 Ministre de l’agriculture d’octobre 1998 à février2002, dans le gouvernement Jospin.Edité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org9


François Colson, économiste.Plusieurs expériences sur <strong>des</strong> approchesécologiques de sciences participatives sedéveloppent en ville 9 . Les agriculteurs nepourraient-ils pas être associés à ce type dedynamique ?Léornard Cordier, étudiant à VetAgroSup.Deux remarques et une question. FrançoisPurseigle a expliqué que le vote <strong>des</strong> agriculteurs enfaveur de l’extrême droite trouvait son origine dansla peur du déclassement. Au risque d’avancer unargument un peu philistin, je voudrais dire qu’ils’agit peut-être tout simplement d’uneméconnaissance <strong>des</strong> programmes. Les agriculteursqui ont voté pour le Front National ont-ils bien vuque ce dernier proposait d’abonner la politiqueagricole européenne au profit d’une politiquenationale ? Et, le cas échéant, ont-ils envisagé <strong>les</strong>conséquences économiques d’un tel choix ?Ma seconde remarque s’adresse à Jean-JacquesDelmas. Je ne suis pas partisan de ceux quiprétendent que l’agriculture biologique peut nourrirl’humanité. Cependant, je serai plus prudent sur laquestion de la baisse <strong>des</strong> rendements observée enagriculture biologique, en ce sens que cela dépendgrandement <strong>des</strong> types de cultures. Certainsmaraîchers montpelliérains cultivent <strong>des</strong> sala<strong>des</strong> enagriculture biologique avec <strong>des</strong> rendements àl’hectare comparab<strong>les</strong> à ceux obtenus enconventionnel…Enfin, il me semble que la question de lapluriactivité n’a pas été abordée. Qu’en penser ?Est-elle moderne ou non ? La précédentecommissaire européenne à l’agriculture, MariannFischer Boel avait déclaré, de façon un peupéremptoire, qu’il fallait que <strong>les</strong> agriculteurseuropéens s’engagent dans la pluriactivité carl’activité agricole seule n’était plus rentable.Comment la considérer ? Comme la conséquence,en quelque sorte naturelle, d’une agriculture quin’est plus rémunératrice ou comme une pratiqueinnovante ?François Purseigle.De mon point vue, l’explication ne tient pas dans lefait que <strong>les</strong> agriculteurs n’aient pas lu <strong>les</strong>programmes, mais bien dans cette réalité : l’Europene fait plus valeur chez eux. Ils ont peur du monde,peur de cette Europe qui, hier, <strong>les</strong> a pourtant portés.On peut en penser ce que l’on veut mais c’est ainsi.9 On peut citer par exemple <strong>les</strong> ateliers conduits parcertains Centre Permanents d’Initiatives pourl’Environnement.Jean-Jacques DELMAS.Je partage votre remarque concernant <strong>les</strong>rendements en agriculture biologique et <strong>les</strong> typesde culture. Ceci étant, ce qui abaisse <strong>les</strong>rendements, c’est l’obligation de conduire <strong>des</strong>assolements très longs. Sur une parcelle donnée,on ne peut cultiver du blé qu’une année sur six,afin de préserver la matière organique et delimiter le développement <strong>des</strong> adventices. Il n’enva pas de même en conventionnel, où l’on peutsemer du blé plusieurs années de suite.Jean-Louis Rastoin.La remarque de François Colson est tout à faitpertinente. Nous devons passer <strong>des</strong> « 3P » aux« 5P ». Comme l’expliquait Arie Van den Brandtout à l’heure, le développement durable reposesur trois piliers : la planète, le peuple, le profit. Ilfaut en ajouter deux autres : la participation et lapluriactivité. Concernant le premier, on ne peutplus gérer <strong>les</strong> entreprises et diriger <strong>les</strong> citoyenscomme on le faisait par le passé ; nous devonsnous engager dans la voie d’une gouvernanceparticipative. Quant au second, il esteffectivement l’avenir de l’agriculture. Larevitalisation et le développement rural localpassent nécessairement par la pluriactivité.Dominique Pélissié, ministère de l’agriculture,ancien DRAAF de Midi-Pyrénées.Les agriculteurs vivent une situation particulière.D’un côté, leurs revenus dépendent <strong>des</strong> primesqui leur <strong>sont</strong> accordées dans le cadre de la PAC ;de l’autre, avec ce système de prime, noussommes passés d’une logique d’obligation derésultats à une logique d’obligations de moyens.Autrement dit, nous sommes entrés dans unsystème extrêmement normatif qui est tout à lafois moderne et conservateur. Par exemple, lamise en place <strong>des</strong> ban<strong>des</strong> enherbées dans le cadrede la conditionnalité <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> de la PAC est unvéritable progrès. Mais quid de l’innovation ? Laquestion a été maintes fois soulevées au fil <strong>des</strong>échanges. Tant que l’on persistera à concevoir<strong>des</strong> politiques publiques centralisées, qui laissentpeu de place aux dynamiques collectives, qui nefavorisent pas l’adaptation aux réalités loca<strong>les</strong>,on bloquera l’innovation.François Durand, agriculteur.Au bout d’une journée et demi de débat, j’avoueêtre encore perplexe sur ce qu’est êtreconservateur ou moderne. Tout d’abord, FrançoisPurseigle a associé conservatisme et vote enfaveur de l’extrême droite, mais il me sembleEdité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org10


qu’il existe aussi un conservatisme de gauche.Ainsi, dans <strong>les</strong> ex-pays du bloc de l’Est, certainsregrettent l’époque communiste. Si l’on prend lecourant écologiste, on peut opérer le mêmeconstat, celui de la co-existence de deuxcourants, l’un moderniste, l’autre conservateur.Deux tendances qui expliquent le fait que <strong>les</strong>écologistes aient tant de mal à accorder leursviolons. Finalement, qu’est-ce que cela signifieêtre conservateur ?Revenons aux agriculteurs. Il est vrai que le vote<strong>des</strong> agriculteurs en faveur du Front National a puparaître paradoxal, ceux-ci n’étant pas concernéspar <strong>les</strong> problèmes de sécurité par exemple. Pourautant, ceux qui votent à l’extrême droite <strong>sont</strong>-ilsnécessairement <strong>des</strong> <strong>conservateurs</strong> ? Comprenez :ne peut-on être moderne dans son métier,novateur, et conservateur dans ses idéespolitiques ? Je ne crois pas qu’être moderne ouconservateur soit une attitude fondamentale del’être.François Purseigle.Vous avez parfaitement raison : il existe <strong>des</strong>conservatismes de gauche. Pour autant, je n’aijamais dit que tous <strong>les</strong> agriculteurs avaient votépour le Front National ; ce vote concerne 22%d’entre eux. Or ce chiffre est plus important quepar le passé et c’est bien cet accroissement quiinterroge, car il révèle un basculement. Jadis, aumoment même où <strong>les</strong> agriculteurs portaient leprojet modernisateur, <strong>les</strong> idées de la Jeunesseagricole catholique, ou pour le dire autrement,<strong>les</strong> représentations socia<strong>les</strong> portées par lecatholicisme social progressiste, faisaientrempart aux <strong>conservateurs</strong> et aux idées d’extrêmedroite. Ce verrou a sauté.Jean-Pierre Tillon, directeur scientifique <strong>des</strong>coopératives In Vivo.Quelle est la part de la science dans cettemodernité agricole ? Je suis très impressionnépar <strong>les</strong> dernières découvertes qu’el<strong>les</strong> aient trait àla technologie ou à la matière « intelligente ».Nous sommes véritablement à l’orée d’un mondenouveau, dans lequel <strong>les</strong> lois de la biologie et dela physique se rejoignent. Par exemple, j’airécemment visité <strong>des</strong> serres entièrementautomatisées où l’on produit 500 tonnes detomates par hectare, sans aucun impact surl’environnement. Y a-t-il de la place pourl’artificialisation dans l’agriculture moderne ?Jean-Louis Rastoin.Je répondrai par la négative. Certes, la science, latechnologie et le marché nous proposent <strong>des</strong>modè<strong>les</strong> très séduisants sur <strong>les</strong> plans technique etéconomique. Néanmoins, ils ne répondentnullement aux enjeux sociaux, alors que cesderniers <strong>sont</strong> considérab<strong>les</strong>. Le premier défi quise présente à notre porte n’est pas leréchauffement climatique mais l’emploi.Dans le cadre de l’élaboration de plusieursscénarios prospectifs sur <strong>les</strong> modè<strong>les</strong>alimentaires à l’horizon 2050, j’ai réalisé uncalcul très simple. Techniquement etéconomiquement, 500 000 exploitationsagrico<strong>les</strong> suffisent pour nourrir <strong>les</strong> 9 milliardsd’êtres humains que comptera alors la Terre.Imaginez : 500 000 exploitations à l’échelle duglobe. On en recense aujourd’hui 500 millions,ce qui signifie qu’il faudrait diviser leur nombrepar 1000 ! Pour transformer la production de cesexploitations, 100 firmes agroalimentairessuffisent. Nous n’en sommes pas loin. Si <strong>des</strong>points de vue technique et économique, cemonde est possible, est-il pour autantsouhaitable socialement ? Espérons que ledevenir agricole et alimentaire suscite la mêmeprise de conscience citoyenne et politique qu’auxPays-Bas. <strong>Qui</strong> sait, le salut viendra peut-être <strong>des</strong>Vikings ?Retrouver toutes <strong>les</strong> interventionspubliées dans le cadre <strong>des</strong> 18èmesControverses européennes de Marciac– L’agriculture a-t-elle le droit d’êtremoderne ? » - à cette adresse :http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=3359Edité par la <strong>Mission</strong> Agrobiosciences. Février 2013www.agrobiosciences.org11

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