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Eau = source de vie, pas de profit<strong>cahier</strong>oxfamJUIN 2003 NUMÉRO 1L’opacité du marché international de l’eau • Le FMI oblige les payspauvres à privatiser leur secteur d’eau • Organisation mondiale ducommerce, Europe et AGCS • Entretiens avec Riccardo Petrella,Maude Barlow, Tony Clarke • L’eau, une bombe à retardement auMoyen-Orient.


Bovenkop<strong>cahier</strong>oxfam JUIN 2003sommaireL'inquiétude demillions depersonnes…OMC, AGCS et eau :quelques repèresAu sein de l’Organisation mondiale ducommerce (OMC), des négociationssont en cours sur l’AGCS. Les servicesliés à l’eau risquent d’être privatiséspartout dans le monde.• L’OMC : juge et gendarme• La pyramide du pouvoir• Bananes et bœuf aux hormones• L’AGCS: machine à privatiser• Brader les services à huis clos• Les pays du Sud désavantagés• Toujours plus loin• Jean Ziegler : "l’eau un droit humain inaliénable"• Trente mille morts par jour• Les pauvres payent l’eau 12 fois plus cher• Les géants de l’eau vivent… de la soif• L’industrie de l’eau, grande pollueuse6–>11Les multinationales cultiventle secret5Brahim Lahouel analyse le marché international de l'eau. Premierconstat : l'opacité. Les multinationales de l'eau cultivent la politiquedu secret.Coup d'oeil sur Vivendi, l'un des géants français de l'eau. Nestlé,Coca-Cola, Pepsi Cola, Procter & Gamble et Danone sont les poidslourds sur le marché de l'eau en bouteilles. Ils apprennent aux populationsà boire de l'eau trop chère.12–>172 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


sommaireLe FMI impose la privatisationau Sud"Privatisez votre secteur de l'eau ou vous n'aurez plus de prêts",telle est la devise du Fonds monétaire international. Sara Gruskypasse douze pays du Sud sous la loupe.OMC, AGCS, Europe et eau18–>20L'eau doit devenir une marchandise à l'instar du pétrole. Au sein de l'OMC, l'Union européennejoue un rôle particulièrement agressif dans ce processus. Raoul Marc Jennar dresse un bilande la situation et tire le portrait du commissaire européen Pascal Lamy.L'OMC : une menace pour ledéveloppement durable21–>26Le chercheur asiatique Martin Khor (Third World Network) considère l'OMC comme une menacepour les pays du Sud. Il dresse une série de revendications pour de réels changements ausein de l'OMC.Pour la défense de l'eau27–>30Les activistes canadiens Maude Barlow et Tony Clarke ont écrit le livre "L'or bleu". Un combatcontre la privatisation de l'eau par les multinationales. Entretien.31–>34<strong>cahier</strong>oxfam - juin 20033


sommaireLe manifeste de FlorenceLe Forum alternatif mondial de l'eau deFlorence (mars 2003) s'est conclu parune déclaration importante. On ytrouve des propositions d'actionsconcrètes pour la reconnaissance dudroit à l'eau pour tous.38–>40ING (BBL) exige desmillions à l'Etat bolivienAprès la privatisation avortée des servicesde l'eau dans la ville bolivienne deCochabamba, la banque ING réclame25 millions de dollars de dédommagementsaux autorités boliviennes.41"L'eau doit rester un biencommun"C'est la conviction profonde du professeur Riccardo Petrella,auteur du "manifeste de l'eau". Il était l'un des principaux participantsdu Forum alternatif mondial de l'eau à Florence.Interview.35–>37Des aqueducs romains auxintercommunalesChristian Legros retrace l'histoire de l'eau en Belgique. Dansnotre pays, l'approvisionnement en eau reste un servicepublic.42–>46Géopolitique de l’eau au Moyen-OrientNul par ailleurs dans le monde, la problématique de l’eau n’est aussi explosive qu’au Moyen-Orient. Le professeure belgo-palestinien Bichara Khader démontre que la région est unebombe à retardement.L'eau, enjeu stratégique47–>50Des guerres pour l'eau? Au cours de l'Histoire, le Moyen-Orient et la vallée du Nil ont déjàconnu de sérieux conflits liés à l'eau. Un aperçu.51–>594 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


L’inquiétude demillions de personnes…PAR STEFAAN DECLERCQLORSQUE LE PRÉSIDENT AMÉRICAIN GEORGE W. BUSH ET SON ALLIÉ BRITANNIQUETONY BLAIR AVAIENT MIS EN MARCHE LEUR MACHINE DE GUERRE CONTRE L’IRAK,DES MILLIONS D’HOMMES ET DE FEMMES SONT DESCENDUS DANS LES RUES, PARTOUTDANS LE MONDE, POUR PROTESTER CONTRE LA GUERRE.Oxfam-Solidarité mène lacampagne “eau = source devie, pas de profit”.Envie de collaborer ?Prenez contact avecWendy Verheyden :02 501 67 67wendy.verheyden@oxfamsol.beAucun de ces manifestants n’a cru les raisons"humanitaires" avancées par Bush et Blairpour justifier cette intervention militaire. Cette guerrea été menée pour le contrôle des immensesréserves pétrolières irakiennes et pour le renforcementde la domination de Washington dans larégion stratégique qu’est le Moyen-Orient.Une guerre pour l’eauCette guerre – nous le savons entre temps – a égalementété déclenchée pour l’eau. La multinationaleaméricaine Bechtel vient de décrocher uncontrat faramineux de 680 millions de dollars pourla reconstruction des infrastructures en eau,dévastées par les opérations militaires en Irak. En2000, cette multinationale avait dû quitter la Bolivieaprès une longue lutte de la population localecontre la privatisation des services d’eau.Un journal français a constaté non sans sarcasmeà propos de l’invasion de l’Irak : "cette guerre s’arrêteralorsque les barons de l’industrie de l’armementauront vendu assez d’armes et lorsque lesmarchands de béton seront prêts à reconstruire cequi a été détruit par ces armes…"Bientôt les 23 millions d’Irakiens seront obligésd'accepter non seulement la privatisation de leursrichesses pétrolières mais aussi celle de leurs sourcesd’eau.Résistance mondiale2003) et du sommet pour un autre monde lors dela réunion du G8 (le club des sept pays les plusriches du monde et la Russie) à Evian sont autantde signes de la naissance d’un mouvement mondialde résistance aux puissants qui considèrentnotre planète comme une simple marchandise.Pour "un autre monde"C’est de tout cela que traite ce premier <strong>cahier</strong>.Oxfam-Solidarité est activement impliquée dans cemouvement mondial. Ensemble avec les syndicatset les nouveaux mouvements sociaux, nousmenons des actions contre l’Accord général sur lecommerce des services (AGCS), que les paysriches veulent imposer au reste du monde par desnégociations nébuleuses au sein de l’Organisationmondiale du commerce (OMC).Les services sociaux de base fondamentaux sontici directement en danger : l’eau potable, les soinsde santé, l’enseignement, les transports en commun…Pour les entreprises multinationales, ainsique pour les gouvernements et institutions internationalesqui sont à leur service, tout est à vendre.Les services publics sont mondialement menacéspar la privatisation. C’est la raison de l'inquiétudede millions d’hommes et de femmes de par lemonde. Ils veulent arrêter cette évolution dangereuseet désastreuse. Avec eux, nous continuons àœuvrer avec toute notre énergie pour un autremonde.Le Forum Social Mondial de Porto Alegre au Brésil,suivi de forums locaux sur tous les continents, duForum Alternatif Mondial de l’Eau à Florence (marsStefaan Declercq est secrétaire générald’Oxfam-Solidarité.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 20035


OMC, AGCS et eau : quelques repères1 er janvier 1995 : l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) entre enapplication. L’OMC devient le lieu d’une négociation permanente sur le commerce mondial.: juge et gendarmeL’institution a quatre missions :OMCOMC• La gestion et le contrôle des accords de libre-échange internationaux – mis en placepar l’Uruguay Round, le dernier cycle de négociations du GATT (General Agreement onTariffs and Trade) en 1994. Entre 1947 et 1994, des négociations permanentes ont eulieu au sein du GATT.• L’établissement du bilan des politiques commerciales des 145 pays membres del’OMC.• L’élargissement permanent du libre-échange à de nouveaux domaines, par l’ouverturede cycles de négociations.• L’arbitrage des conflits commerciaux entre les divers Etats.Bref, l’OMC est autant juge que gendarme. L’institution a des compétences étendues luipermettant d’empiéter sur les politiques nationales des Etats, et même des régions, provinceset communes. Elle veille scrupuleusement à ce que ces politiques ne représentent"pas d’entraves" pour le commerce international des biens et des services.Une récente innovation de l’OMC est son "Organe de règlement des différends". Cetteinstance interne dispose d’un pouvoir quasi-judiciaire, valable sur le plan du droit internationalet habilité à prendre des mesures de rétorsion à l’égard des Etats qui "entravent" lelibre-échange international et la libre concurrence. C’est pourquoi l’OMC est en réalité l’organisationla plus puissante de notre planète.De plus, l’OMC se trouve au-dessus des institutions internationales et hors du systèmedes Nations Unies. L’objectif fondamental de l’OMC reste la libéralisation totale du commercemondial. Officiellement, l’institution organise la poursuite de cette libéralisation permanenteen accord avec les règles internationales en vigueur en matière sociale et environnementale.Dans la pratique, l’OMC prend rarement compte de ces règles. Elle agitsans aucune concertation avec d’importantes instances internationales commel’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Organisation internationale du travail (OIT).L’OMC est l’une des institutions internationales les moins transparentes et les moinsdémocratiques. Les pays riches y jouent un rôle déterminant. Son fonctionnement interneest un exemple d’occultisme. Les mécanismes de prise de décision y sont opaques.Enfin, l’OMC jouit d’un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.La pyramide des pouvoirsLa structure de l’OMC est une pyramide à quatre niveaux :• La Conférence ministérielle est l’autorité suprême. Elle est composée des représentantsdes 145 pays membres (en général les ministres du Commerce et pour les quinze paysde l’Union européenne, le commissaire européen en charge du Commerce, le FrançaisPascal Lamy). Cette conférence prend les décisions importantes pour toutes les questionsrelevant d’accords commerciaux multilatéraux existants. La conférence ministériellese réunit au moins tous les deux ans. Après Singapour en1996, Genève en 1998,Seattle en 1999 et Doha en 2001, elle se réunira à Cancún (Mexique) en septembre2003.6 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


OMC, AGCS et eau : quelques repères• Le Conseil général se réunit en principe tous les deux mois entre deux conférencesministérielles. Il se réunit aussi en tant qu’"Organe de règlement des différends". LeConseil a aussi pour mandat d’examiner les politiques commerciales des Etats membres.• Trois autres organes agissent sous la responsabilité du Conseil général : le Conseil desmarchandises, le Conseil du commerce des services et le Conseil des ADPIC (aspectsdu droit de propriété intellectuelle qui touchent au commerce).• Il existe également différents Comités pour chaque Conseil et pour le Conseil général,en charge de problèmes spécifiques comme les accords régionaux, le développement,la compétitivité, les marchés publics.La conférence ministérielle nomme un directeur général à la tête du secrétariat de l’OMCbasé à Genève.Le premier directeur général de l’OMC était l’Italien Renato Ruggiero, suivi en 1999 par leNéo-Zélandais Mike Moore. Depuis septembre 2002, cette fonction est occupée par leThaïlandais Supachai Panitchpakdi.www.wto.orgBananes et bœuf auxhormonesL’OMC joue le rôle de juge et gendarme. Comment ? Voici deux exemples.En 1975, l'Union européenne signe la Convention de Lomé avec une série d'anciennescolonies d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (les pays ACP). Ces pays reçoivent desgaranties pour l'accès au marché européen et pour le prix de certains produits importéscomme la banane. Sous la pression de grandes transnationales (entre autres Chiquita), lesEtats-Unis, l'Equateur, le Guatemala, le Honduras et le Mexique déposent une plainte àl'OMC (à l'Organe de règlement des différends). Selon eux, la Convention de Lomé estdiscriminatoire. L'OMC déclare la plainte recevable. Elle autorise les pays plaignants àimposer des droits de douanes supplémentaires sur les produits européens pour un montantde 191,4 millions de dollars par an (en compensation du préjudice commercial).Un autre exemple célèbre est l'affaire du bœuf aux hormones. En 1996, les Etats-Unis etle Canada portent plainte à l'OMC contre l'embargo européen sur l'importation de viandestraitées aux hormones de croissance. Les Européens doivent alors fournir la preuvescientifique de la nocivité de la viande aux hormones, sans quoi l'embargo doit être levé.En 1998, l'OMC donne raison aux Américains et aux Canadiens. L'Organe de règlementdes différends autorise les Etats-Unis à taxer tous les produits européens importés à hauteurde 116,8 millions de dollars par an. La compensation du Canada s'élève à 13 millionsde dollars par an.AGCSAGCS : la machine àprivatiserL'AGCS est l'abréviation pour Accord général sur le commerce des services. Il est entréen vigueur le 1 er janvier 1995 et est l'un des plus importants accords au sein del'Organisation mondiale du commerce.L'AGCS a l'intention de transformerun service vital comme l'eaupotable en une simple marchandise.L'Union européenne joue ici unrôle particulièrement agressif.Raoul Jennar analyse le processuspar lequel l'eau devient petit àpetit une ressource aussi précieuseque le pétrole.pages 21-26<strong>cahier</strong>oxfam - juin 20037


OMC, AGCS et eau : quelques repèresAGCSL'AGCS n'est pas un accord commercial dans le sens traditionnel du terme. Il touche auxfondements de notre société. Cet accord place tout le monde devant un choix : accepterons-nousque, dans le futur, tous les services de tous les secteurs soient assujettis auxlois du commerce (l'enseignement, les soins de santé, l'eau, la poste, les transports, lethéâtre, le patrimoine, l'environnement, etc.) ? Et : laissons-nous l'industrie des services etles diplomates commerciaux décider de tout cela seuls ?Top-down et bottom-upLa plupart des accords de l'OMCsont "top-down": des règles généralessont valables pour tous (àquelques exceptions près). Dansl'AGCS, ces règles déterminentque :• tous les pays doivent être traitésde la même manière ; c'est le principede "la nation la plus favorisée"• toutes les lois en rapport avec lesservices doivent être publiques,dans un souci de transparence• les entreprises de services peuventfaire appel contre certainesdécisions (à ne pas confondre avecla possibilité pour les gouvernementsd'intenter une action en justicequi n'existe pas dans l'AGCS).L'AGCS est aussi "bottom-up": ilexiste des règles et des restrictionsparticulières valables uniquementpour les services que le pays adésignés soi-même. Dans l'AGCS,un pays peut ainsi choisir pourquels services il accorde l'accès àson marché, sous quelles conditionset s'il leur accorde ensuite lemême traitement (national) qu'à sespropres services.• Le secteur des services est le plus grand secteur économique : il représente lesdeux-tiers du Produit national brut et de l'emploi dans le monde (le total des biens et servicesproduits).• Tous les services, même les plus essentiels, sont ici visés. La définition du secteurdes services est très large : de la construction aux services de génie et d'architecture,la comptabilité, l'informatique, la voirie, les banques et assurances, en passant par lesentreprises d'utilité publique comme le gaz, l'eau, l'électricité, les transports en commun,la poste, les télécommunications ainsi que les services de soins de santé, l'enseignement,les crèches, les maisons de repos, la sécurité sociale et tout ce qui touche à la culture.• Les services publics sont peu protégés. L'AGCS concerne en principe tous les services,sauf "s'ils sont fournis par les autorités sur base non-commerciale et sans concurrenceavec les services privés". Cette exception n'est donc pas valable si, par exemple,des soins de santé publics sont payants alors que le privé propose le même type de service.En d'autres termes, cette exception est très rarement d'application.• L'AGCS concerne surtout l'investissement et le déplacement de personnes.L'AGCS donne par contre une signification particulièrement curieuse au terme "commerce".En réalité, peu de services peuvent être vendus ou exportés en tant que simpleproduit. Un architecte peut envoyer un plan à l'autre bout du monde, mais un touriste sedéplace lui-même pour profiter de ses vacances (cela s'appelle alors "consommation àl'étranger") et une banque ouvre une filiale afin de proposer ses services à l'étranger.Ouvrir une filiale est un investissement mais dans l'AGCS cela s'appelle "commerce parprésence commerciale". Souvent d'ailleurs, la banque envoie ses propres experts surplace afin de lancer la filiale. Certaines entreprises négocient même leurs services uniquementpar l'envoi de personnel. L'accord sur les services traite aussi de l'"exportation"du travail.• L'AGCS s'immisce dans les réglementations internes des Etats. L'AGCS neconcerne donc pas seulement les marchandises qui traversent les frontières, comme lorsdes accords commerciaux traditionnels, mais aussi l'investissement et le travail. C'estpourquoi les réglementations ne concernent pas tant les tarifs douaniers que les droits desfournisseurs de services admis dans un pays. De plus, l'AGCS est ici conçu pour imposercomme règle des dispositions légales valables pour l'ensemble des fournisseurs deservices (intérieurs ou étrangers). Les réglementations intérieures en matières de services,comme par exemple les normes concernant les incinérateurs, ne peuvent former "aucunecontrainte inutile au commerce" ou n'être "pas plus défavorable au commerce quenécessaire". Mais il n'est absolument pas mentionné : être "le moins nocif possible pourl'environnement" ou "sans danger pour la santé". Le commerce est donc vu ici comme laprincipale valeur pour la société.• L'AGCS ne connaît pas de fin. L'accord dispose d'un "agenda incorporé" qui obligeles signataires à rentrer de manière permanente dans de nouvelles négociations pour lalibéralisation de plus en plus grande du secteur des services. Dans chaque nouveau cyclede négociations, les règles générales deviennent plus strictes, les pays doivent accorderplus d'accès au marché, éliminer plus de barrières au commerce, etc. En principe, il estpossible de définir quels services peuvent bénéficier de règles exceptionnelles ; en réalitél'objectif final est que tous les services soient libéralisés.• Pour l'AGCS, pas de retour en arrière. La logique de l'accord est la libéralisation progressiveet permanente. Revenir sur une décision n'est possible qu'à condition de payer.Si un gouvernement s'aperçoit que la libéralisation d'un service particulier a des effets nuisibles,il peut revenir sur ses engagements, mais doit offrir en compensation un autre serviceà libéraliser. Le niveau général de libéralisation doit rester à niveau et continuer à augmenter.8 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


OMC, AGCS et eau : quelques repèresBrader les servicesà huis closL'Union européenne a plaidé durant des années à l'OMC pour l'ouverture d'un nouveaucycle étendu de négociations sur toute une série de thèmes. Des discussions à ce sujetont eu lieu lors des conférences ministérielles de Seattle (Etats-Unis, 1999) et de Doha(Qatar, 2001). L'Union européenne a finalement obtenu ce qu'elle voulait au Qatar et le"cycle de Doha" a commencé.Comme l'AGCS a un agenda intégré, on a dû attendre le cycle de Doha alors que lesnégociations pour un nouvel accord AGCS avaient déjà démarré en février 2000. Cesnégociations comportent deux volets. Tout d'abord, la définition de nouvelles règles généralesplus restrictives – comme par exemple la limitation des subsides, des règles spécifiquesconcernant les marchés publics, la limitation des réglementations nationales afin delimiter au maximum les "entraves au commerce". Ensuite, les membres de l'OMC doiventaccorder plus d'accès au marché, plus de traitement national et laisser tomber un maximumd'exceptions.Pour fin juin 2002, les 145 pays membres de l'OMC devaient faire savoir aux autres quellesétaient leurs "requêtes" : chaque pays demande quels services il désire voir libéraliserchez les autres. Pour fin mars 2003, les membres de l'OMC devaient formuler des "offres"sur base de ces requêtes : quels services chaque pays est-il prêt à libéraliser ? Ensuite,des négociations de pays à pays (bilatérales) seront organisées afin de faire correspondrel'offre et la demande.Les pays membres de l'Union européenne et la commission européenne ont consulté largementet sur une longue période (au moins trois ans) leur industrie des services lors dela préparation des "requêtes". L'Union européenne a envoyé ses requêtes à 109 pays eta reçu des demandes d'une trentaine de pays. Aucun de ces documents n'a été rendupublic ! On ne sait pas très clairement qui pourra s'exprimer sur les "offres".Offres qui risquent d'ailleurs de ne pas être rendues publiques…Les pays du SuddésavantagésEn Belgique, l'eau reste aux mainsdes services publics. Mais le dangerde la privatisation plane aussichez nous. Christian Legros dresseun portrait du paysage belge del'eau.pages 42-46La Banque mondiale et le FMI mettentle couteau sous la gorge despays du Sud. De nouveaux prêts nesont accordés que si les gouvernementsacceptent de privatiser leursecteur de l'eau. Un constat deSara Gursky.pages 18-20Si l'Union européenne a envoyé 109 requêtes et n'en a reçu qu'une trentaine, cela signifiequ'environ 70 pays ne sont pas parvenus à formuler leur "demande". Un grand nombrede pays du Sud ne dispose effectivement pas de moyens suffisants pour défendre leurspropres intérêts ou pour prendre part à armes égales aux négociations.Cela n'est pas seulement valable pour l'AGCS mais pour l'ensemble des négociations àl'OMC. Il n'est dès lors pas étonnant que les accords de l'OMC concordent avec les intérêtsdes pays industrialisés et qu'une série de libéralisations soient imposées aux pays duSud. Les tentatives de modifier les accords existants ou de rendre certaines dispositionsavantageuses pour les pays en développement ne donnent pas de résultats concrets.Toujours plus loinAvec l'AGCS, les règles de l'OMC s'immiscent profondément dans les réglementationsnationales. Elles déterminent de plus en plus la manière dont nous organisons non seulementle commerce mais aussi la production voire l'ensemble de notre société.AGCSComment les pays du Sud peuventilsrenverser la situation au sein del'OMC ? Martin Khor mesure lesdégats que l'OMC apporte au Sudet fait une série de suggestionspour apporter de réels changements.pages 27-30<strong>cahier</strong>oxfam - juin 20039


OMC, AGCS et eau : quelques repèresL'Union européenne est la force motrice qui entraîne l'OMC toujours plus loin dans cettedirection. L'Union européenne veut étendre certaines matières qui figurent déjà dans l'accordAGCS – comme les règles en terme d'investissement, de marchés publics et deconcurrence – non seulement au secteur des services mais à tous les secteurs.Les pays du Sud ont réussi jusqu'ici à repousser cette exigence européenne mais la questionsera à nouveau d'actualité lors de la cinquième conférence ministérielle de l'OMC àCancún (Mexique) en septembre 2003. L'OMC fera alors un bilan provisoire du cycle deDoha et de nouveaux thèmes de négociations seront éventuellement ajoutés, ceux qu'onappelle les "nouvelles matières".L'eau est un droit humain fondamentalet doit rester un biencommun. C'est ce qu'affirmel'auteur du "manifeste de l'eau",Riccardo Petrella.pages 35-37Jean Ziegler: "l'eau est undroit humain inaliénable"Le sociologue suisse Jean Ziegler est rapporteur de la Commission des droits de l'Hommedes Nations Unies qui se penche sur les droits sociaux, économiques et culturels. Le 10 janvier2003, Ziegler a présenté un nouveau rapport. Dans ce document, le droit à se nourrir s'étendau droit à l'eau potable. Si les décisions de cette commission spéciale ne sont pascontraignantes, ce texte onusien n'est pas moins d'un grand intérêt pour parvenir dans unfutur proche à enregistrer le droit à l'eau dans des textes de loi internationaux et contraignants.Jean Ziegler constate dans son rapport que "plus d'un milliard de personnes dans lemonde n'a toujours pas accès à l'eau potable". Il propose en même temps de nouvellesmesures pour "protéger juridiquement le droit à l'eau". Ziegler démontre à l'aide de dizained'exemples du Sud – où il a effectué une enquête – qu'il existe un lien complexe entrele droit à se nourrir et le droit à l'eau. "C'est pourquoi il est essentiel de considérer l'eaucomme un élément du droit à se nourrir et institutionnaliser le droit à l'eau comme droithumain inaliénable".Trente mille morts par jour !2,4 milliards de personnes ne disposent pas de services sanitaires de base et 1,5 milliardsn’ont pas accès à une eau potable saine. Conséquence : un massacre quotidien. Trentemille personnes – dont six mille enfants – meurent chaque jour des suites de maladies liéesau manque d’eau potable et d'hygiène.Dans des mégapoles comme Mexico-city, Rio de Janeiro, Buenos Aires, Casablanca,Manille, Karachi, Delhi, Jakarta, Hanoï, Shanghai ou Séoul, 30 à 40% de la population sontprivés d'un accès à l'eau potable.(The new Scientist, 7 septembre 2002)Les pauvres payent l'eaudouze fois plus cherSelon les chiffres de la "Commission mondiale de l'eau pour le XXIe siècle", les habitants despays du Sud payent en moyenne douze fois plus pour l'eau potable que les usagers despays industrialisés. L'eau de distribution est généralement subsidiée dans les pays riches.10 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


OMC, AGCS et eau : quelques repèresMais dans le Sud, les habitants payent la totalité du coût. Selon la Commission, les pauvresde villes comme Port-au-Prince (Haïti) ou Nouakchott (Mauritanie) payent même jusqu'à centfois plus cher pour leur eau – qui est d'ailleurs souvent d'une qualité douteuse.(Commission mondiale de l'eau, 11 août 1999).Les géants de l'eau vivent…de la soifTrois multinationales de l'eau sont classées au top 100 des plus grandes entreprises mondiales: la Française Vivendi Universal (n° 5, en 2000 encore n° 91), le groupe RWE (n°53,en 2000 n°78) et la Française Suez (n°99, en 2000 n°118). En 2001, Vivendi a réalisé unchiffre d'affaires de 11,9 milliards de dollars avec ses activités liées à l'eau. RWE terminel'année avec 2,8 milliards de dollars et Suez avec 8,84 milliards de dollars.Suez est présente dans 130 pays. Vivendi dans 90. Ensemble, ils contrôlent 70% du marchéde l'eau dans le monde.Le Français Bouygues est présent dans 80 pays avec sa filiale SAUR et réalise un chiffred'affaires de 2,18 milliards de dollars.Le monopole Vivendi-Suez est fortement menacé par le groupe allemand RWE. Ce groupea successivement racheté la grande société privée britannique Thames Water (en2000) et la société américaine Water Works Company (en 2001) qui a conquis une bonnepartie du marché américain.Un autre acteur important est l'Américain Bechtel (une multinationale provenant du secteurde la construction). Bechtel travaille en collaboration avec l'Italien Edison. Ils ontracheté ensemble la société britannique International Water, qui était propriétaire de UnitedUtilities, une des plus grandes sociétés privées de l'eau au Royaume Uni.Enfin, trois petits frères britanniques jouent également un rôle sur le marché internationalde l'eau : Severn Trent PLC (c.a. 1,28 milliards de dollars), Anglian Water PLC (c.a. 1,03milliards de dollars) et Kelda Group (0,8 milliard de dollars).(Polaris Institute, Canada)A quoi ressemble le marchéinternational de l'eau?Découvrez-le dans l'article deBrahim Lahouel.pages 12-17L'industrie de l'eau,grande pollueuseLes filiales des trois géants Vivendi, Suez et RWE semblent être de grandes pollueuses. Enjuillet 1999, Northumbrian Water (Suez) avait fourni en Angleterre et au pays de Galles del'eau contenant un taux excessif en fer et en manganèse. En juillet 1994, la Générale desEaux (Vivendi) a été condamnée après avoir fourni de l'eau polluée aux habitants de Tregeux(France). L'eau de la Générale contient souvent trop de nitrates et de pesticides. Entre 1990et 1993, les clients de la Générale ont reçu de l'eau contaminée durant pas moins de 476jours. A Puerto Rico, la filiale de Vivendi a reçu une amende de 6,2 millions de dollars pouravoir enfreint les lois environnementales entre 1995 et 2000. Thames Water (RWE) est aussiun énorme gaspilleur d'eau. OFWAT, l'agence britannique officielle de l'eau, a calculé qu'entreavril 1999 et avril 2000 l'entreprise avait perdu une quantité d'eau quotidienne équivalentau volume de 300 piscines olympiques du fait des innombrables fuites dans les canalisations.Entre 1987 et 1997, cinq entreprises d'eau britanniques (Anglian, Severn Trent,Northumbrian, Wessex et Kelda Group) ont été accusées pas moins de 128 fois pour nonrespect de l'environnement. Dans le top 10 des entreprises les plus pollueuses du RoyaumeUni figuraient en 1998 Wessex Water (4ème position) et Anglian Water (6 ème position).Les entreprises d'eau privées sontmal placées pour garantir un servicede qualité. C'est la conclusion des"activistes de l'eau" canadiensMaude Barlow et Tony Clarke.pages 31-34<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200311


L'opacité du marché international de l'eauLes multinationalescultivent le secretPAR BRAHIM LAHOUELCELA PARAÎT PEUT-ÊTRE INCROYABLE MAIS À L'HEURE ACTUELLE PERSONNE NE DISPOSE DEDONNÉES STATISTIQUES NI D'INDICATEURS PRÉCIS ET FIABLES POUR ANALYSER LES RÉALITÉSCOMPLEXES ET DIVERSIFIÉES DU MARCHÉ INTERNATIONAL DE L'EAU.De l’avis même du Programme mondial pour l’évaluationdes ressources en eau (World Water AssessmentProgram, WWAP) lancé en 2000, "la mise au point d’indicateursest un processus lent et complexe, qui nécessite demultiples consultations". Riccardo Petrella avait déjà attirél’attention auparavant sur cette lacune : "On ne connaît pasassez bien l’industrie de l’eau. Alors que l’industrie des télécoms,le secteur énergétique, l’industrie de la santé, le secteurdes transports (…) font l’objet de statistiques nationaleset internationales, d’analyses économiques stratégiques etde comparaisons internationales, rien de tout cela, dans lesmêmes proportions, en ce qui concerne l’eau (…) Aucunedes grandes conférences organisées ces dernières annéesn’a dédié une attention particulière à l‘industrie de l’eau, auxentreprises d’eau, à leur marché, à leurs stratégies" (1) .Pas même les grandes transnationales spécialisées dans lesmétiers de l’eau ne fournissent de données statistiques oucomptables précises et globales intégrant celles détenuespar leurs filiales, agences ou autres représentations implantéesdans différents pays du monde. Juridiquement, toutemultinationale implantée dans un pays quelconque opère entant que société anonyme indépendante de la société mère.C’est pourquoi les bilans comptables ne renseignent que surles activités réalisées dans un cadre juridique national biendéfini.L’eau : entre offre et demandeUne donnée est fondamentale : la quantité d’eau disponibleest quasi constante. Autrement dit, l’offre d’eau est pratiquementinvariable alors que la demande croît à un rythmesoutenu. Cela est dû en premier lieu à la croissance démographique.Mais pas uniquement. Au cours de ces cinquantedernières années, la demande a été deux fois plus élevéeque la croissance démographique. La surexploitation agricole,la course effrénée à la croissance économique et la pollu-12<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


quasi tous les spécialistes, cette quantité serait suffisantepour alimenter le double de la population mondiale. L’eauprélevée est répartie comme suit : 70% pour l’agriculture,22% pour l’industrie et 8% pour l’utilisation domestique (eaupotable, tâches ménagères). Les disparités sont importantes.Un massacre quotidienSelon l’Organisation des Nations-Unies, la moitié de lasuperficie terrestre souffre de divers problèmes d’eau.L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quant à elle,estime que sur les 6 milliards d’êtres humains qui peuplentnotre planète, 1,4 milliards n’ont pas accès à l'eau potable.Si rien ne change, ce chiffre atteindra les 4 milliards en 2025.Nous serons alors 9 milliards à peupler la terre. Dans leszones rurales de l’Afrique, 2 habitants sur 3 n’ont pas accèsà l’eau potable. Le temps utilisé chaque année par ces femmeset ces enfants pour se procurer l’eau nécessaire, audépart de sources souvent distantes et fréquemment contaminées,dépasse les 10 millions d’années. De par le monde,1,9 milliards de personnes sont dépourvus de moyens d'assainissement.La moitié de la population des pays en voie dedéveloppement est exposée à des sources d’eau polluées.Les infections liées à la pollution et à la mauvaise qualité del'eau affectent plus de 3 milliards d’êtres humains. Plus de 5millions par an en meurent. Un enfant meure toutes les 8secondes suite à une maladie d'origine hydrique. Deux foisplus que les victimes du SIDA…De conférence en conférence…La moitié de la population dans les pays du Sud nedispose que de sources d’eau polluées.tion industrielle sont autant de facteurs qui ont pesé lourdementsur l’explosion de cette demande. Selon l’organisationdes Nations unies pour le développement industriel (ONUDI),les activités industrielles pourraient absorber deux fois plusd’eau d’ici 2025, tandis que la pollution industrielle pourraitquadrupler. Si on estime la consommation individuelle à 100litres par jour, la quantité d'eau nécessaire pour fabriquer 1kgde papier est de 700 litres, une automobile 400.000 litres etpour produire une tonne d’acier 280.000 litres. Les pertes nesont pas négligeables : le système d’irrigation agricole perden moyenne 40% de l’eau qu’il consomme et 50% de l’eaupotable dans le monde se perdent dans des fuites provenantdes systèmes d’alimentation.On retrouve l'eau dans sept dixièmes de la surface de la planètebleue. Seulement 3% de cette eau est douce et 99%de cette eau douce se trouve enfouie dans les glaciers oudans les couches profondes de la terre. L’humanité n’a doncaccès qu’à 1% des ressources d’eau douce. De l’avis deToutes ces préoccupations étaient présentes en 1977 lorsde la première Conférence internationale sur l’eau, organiséepar les Nations unies à Mar del Plata en Argentine. A cetteConférence, l’eau fut définie comme "bien commun", un bienauquel chacun devrait pouvoir accéder. La décennie 80 futbaptisée "Décennie pour l'eau potable et l'assainissement(DIEPA)". Objectif : permettre à tous les habitants du Sudd’accéder à l’eau potable à des conditions sanitaires convenablespour 1990. Moyens : 134 milliards de dollars. Dix ansaprès, le résultat s’avéra très limité. Dublin, 1992, laConférence internationale sur l'eau et l'environnement (26-31 janvier 1992) recommandait : "l'eau, utilisée à de multiplesfins, a une valeur économique et devrait être reconnuecomme un bien économique". Or, comme le souligneRiccardo Petrella dans le "Manifeste de l’eau" : "L’idée selonlaquelle l’eau doit être désormais considérée principalementcomme un bien économique, une source monnayable etque, par conséquent les lois du marché permettront derésoudre les problèmes de pénurie et de raréfaction, voireles guerres inter-étatiques, est une idée fort simpliste. Elle sebase sur un choix de nature purement idéologique quiconsiste à privilégier, parmi les multiples dimensions spécifiquesde l’eau, la valeur relative à la dimension économiqueau détriment de toutes les autres valeurs" (2) ."Tout ce qui a un coût doit avoir un prix" : logique sourde qui<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 13


L'opacité du marché international de l'eaun’a que faire de l’enrayement de la pénurie, des pollutions etdes conflits. Le prix "vérité" inclura traitement, transport,énergie, charges salariales, entretien… A l’utilisateur final des’acquitter de la facture. Comme le souligne le chercheurtanzanien Mwanza wa Mwanza : "Répercuter intégralementles coûts du traitement et de distribution d’eau sur lesconsommateurs se traduira inévitablement par une dualisationsociale, entre les ménages susceptibles d’assumer leprix de l’eau et les autres, c’est-à-dire deux tiers des urbainsqui vivent sous le seuil de la pauvreté" (3) .Terrain de chasse des multinationalesLes principaux "offreurs" de service de l’eau sont deux multinationalesfrançaises, Ondeo (Suez-Lyonnaise des Eaux) etVivendi (Générale des Eaux), qui se partagent plus des troisquarts de la part du marché mondial de l’eau.Suez est une transnationale de services, spécialisées dansl’Énergie, l’Eau et l’assainissement. Pour 2001, le Groupe apublié les chiffres suivants : 190 000 salariés répartis dans130 pays avec un chiffre d'affaires s'élevant à 42,4 milliardsOn ne connaît pas suffisamment l'industriede l'eau. Il existe des statistiques pourl’industrie des télécoms, le secteur énergétique,l’industrie de la santé, le secteur destransports… Pas pour le secteur de l'eau.d'euros dont 54,6% réalisés en dehors de la France.Ondeo, le pôle Eau de Suez, est présenté comme le "leadermondial" des services liés à l'eau. Toujours selon Suez, ilgère l'eau et l'assainissement de 125 millions de consommateurs,apporte ses services à 60 000 clients industriels eta construit plus de 10 000 usines de traitement d'eau à traversle monde. Les principales entités au sein de Ondeo sont :Ondeo Services (eau et assainissement), Ondeo Degrémont(ingénierie des usines de traitement d'eau), Ondeo Nalco(conditionnement de l’eau) et Ondeo Industrial Solutions(gestion de la totalité du cycle d'eau pour les industriels).Ondeo est une filiale à 100% de Suez. United Water, filiale à100% de Ondeo, est "leader" dans les services d'eau enAmérique du Nord. Ondeo et United Water ont été sélectionnésen début d’année pour l’exploitation et la gestion dessystèmes d’eau et d’assainissement de près de 4 millionsd’habitants à Porto Rico.En 1999, Vivendi Environnement acquiert US Filter, premièresociété dans le domaine de l'eau aux Etats-Unis. Née d’unefusion Générale des Eaux et US Filter, Vivendi Water se présentecomme "numéro un mondial" dans le secteur de l'eau.Avec 69.000 salariés à travers le monde, il dessert 110millions d'habitants à travers une centaine de pays. En 2000,son chiffre d'affaires était de 12,8 milliards d'euros (dont56% réalisés hors de France) représentant 48,5% de celuidu groupe Vivendi Environnement.Ces deux transnationales sont devenues les partenaires privilégiésde la Banque mondiale dans les pays en développement.L’eau devient marchandisePour permettre la marchandisation de l’eau, les défenseursde cette option avaient entamé un long processus de déréglementationdes dispositifs juridiques qui attribuaient àl’Etat l’exploitation, la fourniture et la distribution de l’eau.Cette déréglementation, à la base de la restructuration dusecteur, repose essentiellement sur trois principes : ledémantèlement des monopoles publics existants, la séparationentre les infrastructures debase et les services à fournir auxconsommateurs et la libéralisationdu secteur conformémentaux critères dictés par l'OMC.Pour atteindre ces objectifs, unevraie unité de commandement aété mise sur pied. Les institutionsfinancières internationales(IFI) (Banque mondiale, Fondsmonétaire international et leursassociés) y ont joué un rôle prépondérant.D’une part, en investissantavec force toutes les tribunesinternationales et lesenceintes significatives où sedéroulent les débats autour de laproblématique de l’eau et où se préparent les recommandationset les décisions finales pour ce secteur. D’autre part, enimposant aux pays en développement, en tant que prêteursde dernier recours, des conditionnalités imposant la libéralisationet la privatisation des entreprises publiques d’eau.Commission mondiale de l'eauPour le premier volet, la présence de la Banque mondiale dansles organes de décision de la Commission Mondiale de l’Eaua fondamentalement marqué les orientations de cet organisme(4) .Lorsqu’en mars 2000, la Commission Mondiale de l’Eau s’alignasur les positions des grands acteurs économiques pourconsidérer l’eau comme un "besoin humain et social debase" et non comme un "droit fondamental humain" commele proposaient les représentants de diverses organisationscitoyennes, elle savait pertinemment qu’elle venait d’arracherune ardente victoire sur le chemin de la privatisation des14 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Le géant VivendiS’il est vrai que les privatisations de l’eau demeurentdu ressort des Etats, en principe souverains,il n’en demeure pas moins que l’influence de laBanque mondiale est bel et bien déterminante. Déslors, il est difficile de distinguer les politiques gouvernementalesde celles de la Banque mondiale qui a faitde la privatisation de l’approvisionnement en eau etde l’assainissement une condition du renouvellementde prêts aux pays en développement.La multinationale Vivendi Water est déjà bien présenteen Afrique : Maroc, Tunisie, Niger, Burkina Faso,Tchad, Gabon, Namibie et Afrique du Sud. Elle prévoitd'élargir sa présence aux autres pays anglophones.Son ambition : devenir le premier groupe dans les"métiers de l'eau" en Afrique.Privatisation au NigerAu Niger, par manque de moyens financiers, la couvertureen eau potable est passée de 54% en 1995 à52% en 2000. Seuls 42% de Nigériens ont accès àl'eau potable, 6% disposent d'un robinet privé et 52%s'approvisionnent en eau à partir des bornes fontaines.Le reste de la population se sert directementdans les fleuves ou les réserves pluviales naturelles oùle taux de contamination de l’eau est fortement élevé.Imposée par la Banque mondiale, la privatisation de laSociété Nationale des Eaux, devenue en 2001 laSociété d'Exploitation des Eaux du Niger contrôléepar Vivendi Water, a entraîné une hausse des tarifs deplus de 20% alors que 60% des Nigériens vivent endessousdu seuil de pauvreté. En 2001-2002, unProjet Sectoriel eau (PSE), visant à accroître le taux dedesserte en eau potable, a été mis en place, financépar la Banque mondiale, la Banque ouest-africaine dedéveloppement et la France. Mais ses effets tardent àse faire sentir. D’après Sidiki Baka, président de laFédération internationale des droits de l'Homme(FIDH) : "les conditions d'attribution de quelque11 000 branchements sociaux et 600 nouvelles bornesfontaines sont en contradiction avec toute logiquesociale : pour en bénéficier, vous devez pouvoir payerla caution d'abord et votre facture tous les mois".Vivendi a l’ambition de devenir numéro un enAfrique.Vivendi veut toute l'AfriqueAu Maroc, Vivendi Water a arraché deux contratspour la distribution de l'eau et de l'électricité et la gestiondes eaux usées à Tanger et à Tétouan. A traverssa filiale Onyx qui gère la collecte des ordures ménagères,Vivendi Water est aussi présente à Fès au centredu Maroc. En plus, elle vient de démarrer la constructiond'une usine de traitement des déchetsurbains à Marrakech et Agadir.Vivendi Water n'a pas encore réussi à consolider saprésence en Afrique anglophone. D’après YvesPicaud, responsable de Vivendi Water pour l'Afriquedu Sud : "ceci est dû au caractère particulier de cespays, traditionnellement peu enclins aux concessions".Devant cette situation, Vivendi Water préfèreagir au cas par cas par des opérations de proximitéou même se cantonner dans la réalisation d'unités dedesserte en eau. Tel est le cas à Durban en Afriquedu Sud, où cette dernière a installé l'une des premièresusines de traitement des eaux usées à réinjectiondans le réseau d'eau potable. Cette usine permet derécupérer près de 30% de l'eau usée pour la remettredans le circuit de distribution d'eau potable.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 15


L'opacité du marché international de l'eauressources aquatiques. Ainsi, l’eau est devenue une marchandise,un bien de consommation soumis aux lois du marché.En dispensant les acteurs économiques privés des obligationset des contraintes inhérentes au respect de ce droit,elle les libère des considérations éthiques, morales, socialesou politiques. Autrement dit, non mercantiles. Etroitementcontrôlée par la Banque mondiale, cette Commission mondialede l’Eau est une émanation directe du Conseil Mondialde l’Eau. Celui-ci est né en 1996 conformément à unerecommandation de la Conférence internationale de Dublinsur l'eau et l'environnement (26-31 janvier 1992).Ismail Serageldin, Président de la Commission et par ailleurs,Vice-Président de la Banque Mondiale et Président duConsultative Group on International Agricultural Researchand Global Water Partnership, a une conception très particulièrede ce que devrait être le rôle des gouvernements etdes pouvoirs publics en général : "les gouvernements doiventse retirer de leur rôle de fournisseurs de services ettransmettre cette responsabilité aux usagers et au secteurprivé. Par dessus tout, ils seront responsables de la créationd'un environnement dans lequel les incitations aux investisseurset aux innovateurs seront assurées et dans lequel lesintérêts du public seront sécurisés". Exit le pouvoir public…Privatiser les profits, collectiviser lapauvretéEmboîtant le pas à son président, cette Commission estimeque : "les gouvernements des pays en développement nepeuvent déjà faire face aux besoins d'investissement aujourd'hui,ils pourront encore moins le faire dans le futur (...) Laprincipale alternative est d'attirer l'investissement privé".Ils ont appris aux gens à boirede l'eau chère…Grâce à de gigantesques campagnes publicitaires, les géants de l'industriedes boissons et de l'alimentation, Nestlé, Coca-Cola, Pepsi Cola, Procter &Gamble et Danone, sont parvenus à convaincre les consommateurs du mondeentier que leur "eau en bouteilles" était beaucoup plus sûre et donc meilleurepour la santé. Nestlé, leader mondial absolu de l'eau en bouteilles, vend pasmoins de 68 marques, dont les plus connues sont Perrier, Vittel et SanPellegrino."Alors que l'eau embouteillée semble avoir commencé sa carrière pour satisfaireun caprice des consommateurs occidentaux, c'est en fait dans les pays nonindustrialisés, où l'eau du robinet potable est rare, sinon inexistante, que la compagnieNestlé s'est taillé un créneau grandissant", écrivent Maude Barlow et TonyClarke dans leur livre "L'or bleu". L'eau en bouteilles est l'un des marchés les plusfoisonnant dans le monde. Dans les années 70, environ un milliard de litres d'eauont été mis en bouteilles par an. En 1980, ce chiffre est passé à 2,5 milliards delitres pour en arriver à la fin de la décennie à 7,5 milliards de litres. Ces dernièresannées, la vente a littéralement explosé : 84 milliards de litres d'eau en bouteillesen l'an 2000. Les multinationales ont réalisé ainsi un chiffre d'affaires de 36milliards de dollars dans 53 pays. Pepsi Cola (avec sa filiale Aquafina) et Coca-Cola (avec la marque internationaleBon Aqua) se livrent une grande bataille concurrentielle.La perversion n'échappe à personne : l'industrie des boissons vend de l'eau en bouteilles avec une image de"pureté" et de "santé". Mais l'eau embouteillée n'est pas toujours plus seine que l'eau du robinet. Au contraire.Le "Natural Resources Defense Council" américain a découvert en mars 1999 qu'un tiers des 103 marques d'eautestées étaient contaminées (entre autres par des traces d'arsenic).Maude Barlow et Tony Clarke avancent qu'un quart de toutes les bouteilles aux Etats-Unis "ne contient en faitque de l'eau du robinet, mais traitée et purifiée à un certain degré". "Dans un grand nombre de pays, l'eau enbouteilles est soumise à des tests et à des critères de pureté moins rigoureux que pour l'eau du robinet".L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estimait en 1997 que l'eau embouteilléen'était pas meilleure, sur le plan de la valeur nutritionnelle, que l'eau du robinet. "L'idée selon laquelle l'eau"de source" ou "naturelle" aurait des qualités quasi miraculeuses et serait d'une grande valeur nutritionnelle estfausse" selon la FAO. Entre-temps, Nestlé et les autres géants de l'eau ont appris à la population mondiale àboire de l'eau en bouteilles. Problème supplémentaire : chaque année, l'industrie de l'eau produit un million etdemi de tonnes de bouteilles en plastique ; ce qui est particulièrement dévastateur pour l'environnement.16 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Concernant les pauvres, les non-solvables, les désargentésqui, selon les estimations de la Banque mondiale dépassentles deux milliards deux cent millions de personnes, laCommission a sa petite idée : "La protection des plus pauvreset de l'environnement est la responsabilité des gouvernements".Cela a le mérite d’être limpide.En réalité, ce discours n’est pas nouveau.Les Institutions financières internationalesl’avaient développé au milieudes années 80. Privatiser les profits etcollectiviser la pauvreté.Qui d’autres prennent les décisions ?Riccardo Petrella, fondateur et secrétairedu Comité pour le Contrat mondialde l'eau, auteur du Manifeste de l'eau :"On a assisté, depuis le début desannées 90, à la mise en place d'unesorte d'état-major mondial de l'eau.Même si formellement, les entreprisesprivées sont seulement représentéesdans les différentes structures – leConseil Mondial de l'Eau, puis laCommission Mondiale de l'Eau pour le 21ème siècle, et leGlobal Water Partnership (GWP) – le monde des affaires etde la finance est omniprésent par l'intermédiaire d'"experts"qui, dans la plupart des cas, lui sont liés. Le capital privé estainsi solidement installé dans les sphères de décision..."Les pauvres sontprévenus…En 2002, la Société nationale de distribution d'eau (SNDE)du Congo a été privatisée au profit de l’entreprise britanniqueBiwater. Celle-ci a obtenu l'administration, le traitement,la production, la distribution et la commercialisation del'eau pour une durée de 25 ans.Les déconvenues de la privatisation pèsent surtout sur lescouches populaires les plus modestes. Qu’on se le rappelle,en 2000, à Cochabamba, troisième ville de la Bolivie, l’augmentationdu prix de l’eau par Aguas del Tunari une filiale dela multinationale américaine Bechtel, avait provoqué desémeutes violentes qui ont poussé le gouvernement à romprele contrat de concession de 40 ans et à réduire le prix del’eau. Aguas del Tunari a déposé plainte et réclame au gouvernementbolivien une compensation de 25 millions de dollarspour préjudice subi.En Argentine, en 1998, le gouverneur de la province deTucuman, pressé par la population a dû annuler la concessionaccordée à Aguas de Aconquija, contrôlée par Vivendi,pour tarifs trop élevés. Vivendi a porté plainte.Buenos Aires, 2001, pour compenser les pertes financièresLes institutions financières internationalesont développé l'idée suivante aumilieu des années 80 : privatiserles profits et collectiviser lapauvreté…subies suite à l’abandon de la parité 1 peso pour 1 dollar etnon à des problèmes de recouvrement des factures, AguasArgentinas, le consortium contrôlé par Suez-Lyonnaise deseaux, avait réclamé une augmentation de ses tarifs de 10%.Aguas Argentinas avait repris en 1993 le service de distributionet d’assainissement d’eau de la capitale argentine pourune durée de trente ans. A suivre.Ce n’est pas l’eau qui manque mais les moyens financierspermettant de construire des usines d’eau potable, desréseaux de canalisation et des centrales d’épuration.Paradoxalement, les pays en développement n’ont pas lesmoyens de tels investissements. Le déclin de l’aide publicpour le développement et le peu d’empressement des paysindustrialisés pour la ramener à 0,7% de leurs PNB conformémentà leurs engagements antérieurs offrent de nouvellesopportunités d’investissement aux capitaux privés. Mais, cescapitaux doivent dégager des profits et rémunérer desactionnaires. Dans un interview parue dans le Figaro (7 janvier2003), Jean-Luc Trancart, directeur général adjoint deSuez Environnement, est très explicite : "notre groupe privilégieles investissements rentables dans des pays où le marchéde la distribution de l’eau est mûr, c'est-à-dire où il y aune tradition de paiement et une véritable politique tarifaire".Les pauvres sont avisés!Brahim Lahouel est chercheur auprès du GRESEA, leGroupe de recherche pour une stratégie économiquealternative.www.gresea.be(1) Riccardo Petrella, Manifeste de l’eau, Préface de Mario Soares, Ed. Labor, Collection La Noria, Bruxelles, 1998.(2) Op, cit.(3) Mwanza wa Mwanza, L’accès à l’eau dans les villes africaines, in Alternatives Sud, L’eau, patrimoine commun de l’humanité, CETRI-L’Harmatan, Vol. VIII (2001)4.(4) La Commission Mondiale de l'Eau est parrainée par : le FAO, l'OAS - Organization of American States - le PNUD - Programme des Nations Unies pour leDéveloppement, le PNUE - le programme des Nations Unies pour l'Environnement, l'UNESCO, l'UNICEF, l'UNU - United Nations University (UNU), l'OMS - OrganisationMondiale pour la Santé, la WMO - World Meteorological Organization - et la Banque Mondiale.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200317


Le FMI met le couteau sous la gorge des pays du SudPas de privatisation…pas de prêts!PAR SARA GRUSKYUNE ANALYSE ARBITRAIRE DES PRÊTS OCTROYÉS À QUARANTE PAYS PAR LE FONDS MONÉTAIREINTERNATIONAL EN 2000 FOURNIT DES RÉSULTATS ÉTONNANTS : LE FMI A IMPOSÉ À DOUZEPAYS DEPRIVATISER LEUR SECTEUR DE L'EAU OU DE FOURNIR L'EAU AUX USAGERS À UN PRIXQUI COUVRE TOUS LES <strong>FR</strong>AIS DE PRODUCTION (FULL COST RECOVERY).Généralement, les petits Etats africains sont extrêmementpauvres et traînent une très lourde dette extérieure.Cette dette les rend dès lors dépendants du FMI et deses conditions. Ironie du sort, la plupart des nouveaux prêtsont été octroyés dans le cadre du nouveau programme duFMI appelé "Poverty Reduction and Growth Facility" (Facilitépour la réduction de la pauvreté et pour la croissance,<strong>FR</strong>PC), lancé en grandes pompes en 1999.Lutte contre la pauvreté ?La direction du FMI a prétendu que cette nouvelle politique<strong>FR</strong>PC était une révision importante des "programmesd'ajustement structurel" très controversés. Dans les pays quireçoivent les prêts du FMI, ces nouvelles mesures contribueraientdorénavant à la lutte contre la pauvreté. Mais enpratique, la privatisation du secteur de l'eau et la hausse duprix de l'eau potable ne favorisent certainement pas unediminution de la pauvreté. Au contraire, ces mesures mettentsérieusement en danger l'accès à l'eau potable et la possibilitéde se la payer pour les personnes disposant de peu derevenus – soit la majorité de la population des pays en voiede développement. Les femmes et les enfants sont les premierstouchés par les conséquences directes d'une limitationd'accès et d'une hausse des prix de l'eau. Plus de deuxmillions d'enfants meurent chaque année de maladies liées àla consommation d'eau de mauvaise qualité. Si l'eau potabledevient plus chère et moins accessible, les femmes et lesenfants, qui gèrent souvent les plus lourds travaux ménagers,seront obligés de parcourir de plus longues distanceset donc de travailler plus pour ramener de l'eau à la maison.Souvent, ils sont même obligés de puiser l'eau dans descours d'eau et des rivières pollués.De plus en plus de contraintesPour l'octroi des prêts, le FMI impose de nombreuses conditionssur le plan de la privatisation de l'eau et de la politique18 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Sous couvert de lutte contre la pauvreté, le FMI exige la privatisation du secteur de l’eau dans les pays du Sud.de prix. Elles ont un double effet. Tout d'abord, le FMI sesitue au sommet de la hiérarchie des institutions financièresinternationales. Les gouvernements qui se plient aux conditionsdu FMI reçoivent une sorte de "label de qualité" qui leurouvre les portes d'autres bailleurs de fonds et d'investisseurs.En d'autres termes, les conditions du FMI pèsent particulièrementlourd sur les pays qui sont amenés à faire desemprunts. Ensuite, une pratique courante : les prêts de laBanque mondiale ne sont souvent accordés qu'à conditionque les pays acceptent une série d'exigences du FMI. Dansle jargon, cela s'appelle la "cross conditionality" (conditionnalitécroisée). Dans la répartition du travail entre les deuxLes petits pays très pauvres dont ladette extérieure est élevée sont souventcontraints par le FMI à privatiserleur secteur d’eau.institutions internationales, la Banque mondiale a la responsabilitéfinale pour les questions "structurelles", comme laprivatisation des entreprises d'Etat. Dans les pays où le FMIa imposé des conditions sur le plan de la privatisation dusecteur de l'eau et des prix de l'eau potable, on peut doncenvisager qu'il existe des conditions similaires de la Banquemondiale, couplées aux projets dans le domaine de l'eau,qui appliquent ces "restructurations" dans les moindresdétails (financements, gestion, technique et équipement).L'analyse effectuée sur les prêts du FMI à quarante pays –dont douze pays africains – est révélatrice. Dans six des cespays africains, le FMI impose commecondition à l'octroi de prêts l'une oul'autre forme de privatisation. Dansquatre pays, il exige la privatisation etune couverture des coûts. Dans deuxpays enfin, il insiste uniquement sur lacouverture des coûts.Sara Grusky est journaliste d'investigationpour "GlobalizationChallenge Initiative".www.challengeglobalization.org<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200319


Le FMI met le couteau sous la gorge des pays du SudDouze pays sous la loupeDans quels pays le FMI impose-t-il la privatisation du secteur de l'eau et le principe de couverture des coûts ?Sara Grusky nous livre un aperçu.PaysProgramme du FMIConditionsApplicationAngolaProgramme de dialogue etsurveillanceMesure structurelle : ajustement des tarifs enélectricité et en eau en accord avec les formuless'accordant avec la Banque mondiale.Les entreprises d'eau et d'électricité doivent mieuxrecouvrir leurs factures impayées. Ces retardsdoivent être limités à un mois maximum par rapportaux revenus de la vente.Ajustement périodique des tarifs en eau pour couvrirles coûts.BéninFacilité pour la réductionde la pauvreté et pour lacroissance, (<strong>FR</strong>PC)Le gouvernement prévoit l'achèvementde la privatisation pour la fin du troisièmetrimestre 2001.Privatisation de la société d'eau et d'électricité SBEE.Guinée-BissaoProgramme d'urgencepost-conflitMesure structurelle : transfert de la gestionde la société d'eau et d'électricité versle secteur privé.Transfert de la gestion de la société d'eau etd'électricité vers le secteur privé.Honduras<strong>FR</strong>PCApprobation de la loi-cadre pour le secteur de l'eauet des égouts avant décembre 2000.Promotion des concessions privées dans les servicesd'eau potable et d'égouts.Nicaragua<strong>FR</strong>PCMesure structurelle : poursuite de l'ajustement destarifs d'eau et d'égouts de 1,5% par mois.Concessions pour le secteur privé pour les servicesd'eau et d'égouts à Leon, Chinandega, Matagalpa etJinotega.Ajustement des tarifs d'eau et d'égouts pour couvrirles coûts.Concessions pour le secteur privé pour les servicesd'eau et d'égouts dans les régions importantes.Niger<strong>FR</strong>PCDésinvestissement dans les plus grandes entreprisesd'Etat, dont la société d'eau SNE.Privatisation des quatre grandes entreprises d'Etat(télécommunications, électricité, eau et pétrole)comme convenu lors des négociations avec laBanque mondiale sur la dette extérieure du pays.PanamaAccord Stand-ByMesure structurelle : une révision profonde du systèmede facturation et de comptes de l'entreprised'eau d'Etat IDAAN. Ouverture du secteur de l'eauaux entreprises privées. Hausse des tarifs. Tarifs différenciéspour les clients.Une profonde révision du système de facturation etde comptes. Le gouvernement doit pouvoir concluredes contrats avec le secteur privé. Une profonderévision des tarifs.Rwanda<strong>FR</strong>PCMesure structurelle : la direction d'Electrogaz (l'entreprised'Etat en charge de l'eau, du gaz et de l'électricité)doit être aux mains du privé pour juin 2001.Le management privé d'Electrogaz doit être un préambuleà la privatisation.Sao Toméet Principe<strong>FR</strong>PCMesure structurelle : un décret sur le nouveau mécanismed'ajustement pour l'entreprise publique d'eauet d'électricité. La structure de prix doit couvrir tousles coûts de production et de distribution.L'équilibre entre la consommation et les réservesd'eau doit être atteint sans subsides de l'Etat.Le gouvernement a lancé en mai 2000 une étude encollaboration avec la Banque mondiale afin de définirles futures alternatives pour la société d'eau etd'électricité (restructuration, leasing, concessions ouprivatisation complète). En décembre, cette étudedevait arriver à la décision de lancer un plan financierde restructuration et d'arriver à un meilleurrecouvrement des factures non-payées jusqu'alors.Sénégal<strong>FR</strong>PCUne agence devait être opérationnelle pour fin 2000afin de réglementer les services d'eau des villes. Lescoûts pour les installations de pompage et de distributiondoivent être payés par les communes.Augmentation de l'accès au secteur de l'eau pour lesentreprises privées.La participation des entreprises privées dans le secteurde l'eau doit être encouragée. Afin de couvrir àlong terme les besoins en eau de la capitale Dakar,de nouvelles possibilités doivent être créées pour lesentreprises et les investisseurs privés.Tanzanie<strong>FR</strong>PCCondition pour l'allègement de la dette : les installationsde la Dar es Salaam Water and SewageAuthority (DAWASA) doivent être vendues au secteurprivé.Les installations de la DAWASA doivent être venduesau secteur privé.Yémen<strong>FR</strong>PCMesure structurelle: ajustement des tarifs d'eau,d'eaux usées et d'électricité pour parvenir à unecouverture totale des coûts.Mesures d'ajustement automatique des tarifsincluant l'ensemble des coûts de production pourparvenir à une couverture totale de ces coûts.Fondation de secteurs de l'eau régionaux avec participationdu secteur privé. Ce dernier doit pouvoirdécider en toute indépendance des structures tarifairesrégionales.20 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


OMC, AGCS, Union européenne et eaudé à Doha, cette affirmation relève désormais de la théorie,puisque chaque Etat est soumis aux demandes de libéralisationdes autres et est lui-même obligé d’"offrir" (c’est le termeutilisé) des secteurs de services au moloch du libre-échangeabsolu.Ainsi donc, en agissant à la fois par le biais du programme deDoha et par celui de l’AGCS, l’UE s’est assurée que des progrèssubstantiels dans le processus de "pétrolisation" de l’eauseront atteints.Pour mesurer les risques réels de le voir devenir réalité, il fautgarder à l’esprit l’idéologie dominante qui inspire les Accordsde Marrakech, la puissance de l’OMC et le caractère contraignantde l’AGCS.Commerce et idéologieL’AGCS est un accord international dontl'objectif explicite vise la dérégulationmassive des normes et règlements quiconcernent la fourniture d’un service.Avec les Accords de Marrakech que gère l’OMC, on est entrédans une transformation globale des rapports en tous genresqui régissent la vie des humains. La doctrine qui s’impose autravers de ces accords est celle d’un libre échange sans limites.Les rapports humains sont assimilés à des rapports marchands.Ils sont soumis aux règles du commerce qui exigentl’absence de toute forme de discrimination, c’est-à-dire l’absencede toute prise en considération des particularités individuellesou collectives.A terme si on n’y prend garde, plus aucun Etat n’aura le droitde mettre en oeuvre des politiques spécifiques qui tiennentcompte des particularités, des besoins et des priorités nationalesou qui expriment un mode précis de vouloir vivre ensemble.Des choix économiques et fiscaux, des préférences sanitaires,sociales, environnementales et éthiques seront assimilésà des "entraves au commerce". C’est vrai dans les paysriches comme dans les pays en développement. Tous lesEtats devront renoncer à leurs législations propres et soumettreleurs ressortissants aux règles de la concurrence commercialequi privilégient ipso facto les intérêts particuliers les pluspuissants.A terme, si on n’y prend garde, tout, le solide comme le liquide,le minéral, le végétal, l’animal, l’humain et ce que l’humaincrée et produit, tout sera à vendre et à acheter. Tout.L’OMC est aujourd’hui l’organisation internationale la pluspuissante du monde parce qu’elle concentre le pouvoir defaire les règles, de les appliquer et de sanctionner les pays quine les respectent pas, parce qu’elle est la seule institutioninternationale qui dispose du pouvoir d’imposer le respect desrègles qu’elle gère, parce que ces règles dépassent très largementles questions strictement commerciales et parce quel’OMC fonctionne dans des conditions d’opacité et d’oligarchiequi soumettent les pays qui en sont membres à la volontédes plus puissants (Europe, Etats-Unis, Japon, Canada).Avec l’OMC et les pouvoirs qu’elle est la seule à détenir, ledroit de la concurrence l’emporte sur tous les autres droits eten particulier les droits économiques, sociaux et environnementauxreconnus aux citoyens par les dispositions constitutionnellesou légales adoptées dans le cadre national ou dansle cadre de pactes internationaux.L’AGCS est l’instrument juridique international par lequel, ausein de l’OMC, les pays industrialisés entendent appliquerradicalement la doctrine du libre échange au secteur tertiaire,le secteur de la vie économique et sociale qui regroupe l’ensembledes services. Tous les Etats membres de l’OMC sonttenus d’appliquer les dispositions contenues dans l’AGCS.L’AGCS, une machine à privatiser l’eauL’AGCS est un traité international dont la cible, explicitementindiquée, est formée par "les mesures qui affectent le commercedes services" (article 1,1 – portée), le terme "mesures"signifiant pudiquement les législations, réglementations et procédureset toutes les décisions administratives nationales,régionales et locales (article 28 – définitions) prises par "desgouvernements ou administrations centraux, régionaux oulocaux et par des organismes non gouvernementaux lorsqu’ilsexercent des pouvoirs délégués" par les pouvoirs publics (article1,3 a).L’AGCS entend donc agir sur les législations et les réglementationsnationales et locales en ce comprislorsqu’elles concernent des institutionsprivées qui remplissent des missions d’intérêtgénéral.Dans quel but ? Comme l’affirment lesconsidérants 2 et 3 du texte ainsi que sonarticle 19 : "élever progressivement leniveau de libéralisation du commerce desservices".Comment ? Par "des séries de négociationssuccessives qui auront lieu périodiquement".Lors de chaque série de négociations,chaque Etat sera invité à procéderà de nouvelles libéralisations de secteursde services qu’il ne s’était pas jusqu’alorsengagé à libéraliser (article 19).De quels services s’agit-il ? Le texte est très clair : il s’agit de"tous les services de tous les secteurs à l’exception des servicesqui ne sont fournis ni sur une base commerciale, ni enconcurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services"(article 1, 3 b et c). On s’en rend compte, à l’exception de cer-22 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


L’Organisation mondiale du commerce est devenue la plus puissante institution internationale.tains services régaliens de l’Etat (la défense, la justice, les servicesadministratifs des pouvoirs centraux et locaux), tous lesservices sont soumis à l’AGCS. De l’éducation aux parcsnaturels en passant par les services liés à la politique de l’eau,l’OMC a inventorié pas moins de 160 secteurs de services différents.L’AGCS est donc l’instrument international par lequel va êtreimposée une dérégulation massive des normes, règlements etprocédures nationaux et locaux dès lors qu’ils concernent lafourniture d’un service. La prospection, la protection et la gestiondes nappes aquifères, la captation, la purification et lestockage de l’eau, sa distribution et le traitement des eauxusées sont des activités qui tombent sous le couperet del’AGCS.Pas d'obstacles inutiles au commerceA tous les Etats membres de l’OMC, l’AGCS impose en particulierdeux obligations générales : le traitement de la nationla plus favorisée et la transparence.Le traitement de la nation la plus favorisée oblige chaque Etatà accorder à tous les fournisseurs de services de tous lesEtats membres le même traitement que celui qu’il accorde aufournisseur de service de l’un d’entre eux. Un Etat A qui aconcédé des immunités fiscales à une entreprise de pompaged’eau d’un pays B, est obligé de faire une concession identiqueaux entreprises de pompage d’eau de tous les Etatsmembres de l’OMC.Au titre de la transparence, chaque Etat doit fournir à l’OMCl’ensemble de ses législations, réglementations et procéduresnationaux et locaux en rapport avec la fourniture de services.Les Etats-Unis proposent que ces "mesures" soient soumisesà l’OMC avant d’être approuvées par les institutions nationalesou locales compétentes. Un certain nombre d’acteurs politiqueseuropéens ne sont pas du tout hostiles à cette propositioncomme le démontre la réaction du président de laRégion de Bruxelles, François-Xavier de Donnéa, à la propositionde privilégier des produits provenant du "commerceéquitable" (entre autres des Magasins du monde-Oxfam) pourles cantines des écoles et des administrations et qui a estiméqu’une telle proposition devait être préalablement soumise à laCommission européenne et à l’OMC.L’AGCS entend aussi soumettre les Etats à des "disciplines"en matière de subventions afin que celles-ci n’exercent pasdes effets de distorsion sur le commerce des services (article15). Ces "disciplines" seront élaborées au sein de l’OMC.Dès lors qu’un Etat prend l’engagement de libéraliser un secteurde services donné, l’AGCS impose des obligations spécifiques.Elles concernent la transparence, les législations etréglementations intérieures, l’accès au marché et le traitementnational.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200323


OMC, AGCS, Union européenne et eauMais que signifie prendre un engagement ? Cela veut dire toutd’abord que, lors d’une phase de négociations, l’Etat indique,pour le secteur concerné, l’état de libéralisation. Cela signifie,automatiquement, que cet état de libéralisation est protégécontre toute nouvelle forme d’intervention des pouvoirspublics. L’engagement porte ensuite sur les intentions del’Etat par rapport à ce secteur : ce qu’il se propose à libéraliserdavantage, pour quel mode de fourniture de services et,éventuellement, les limites qu’il impose à ce processus, ceslimites au processus de libéralisation étant susceptibles d’êtrerevues lors d’une autre phase de négociations.Pour chaque secteur engagé dans le processus de libéralisation,les obligations spécifiques auxquelles est soumis chaqueEtat se présentent comme suit :• au titre de la transparence, fournir à l’OMC au moins chaqueannée, les nouvelles dispositions normatives et réglementairesainsi que les modifications aux dispositions existantes en rapportavec le secteur concerné ;• en ce qui concerne les législations, réglementations et procédureslégales et administratives des pouvoirs centraux,régionaux et locaux des Etats, celles-ci ne pourront pas être"plus rigoureuses que nécessaires" afin de ne pas constituerdes "obstacles non nécessaires au commerce des services"(article 6.4). L’AGCS confie à l’OMC le soin d’élaborer des"disciplines" qui identifieront ces obstacles. Parmi les propositionsen discussion : les critères de définition de l’eau potable,les normes de qualification professionnelle, les normes desécurité sur les lieux de travail, les tarifs préférentiels imposéspar les pouvoirs publics en faveur des personnes nécessiteusespour l’eau, l’électricité, le gaz et le téléphone, le salaireminimum garanti… ; on notera qu’en vertu de l’article 6.5, cesdisciplines se substitueront aux "normes internationales desorganisations internationales compétentes" une fois quel’OMC les aura adoptées ;• si des engagements sont pris en matière d’accès aux marchéspour un secteur donné, l’Etat n’a plus le droit d’imposerune série de limitations portant sur le nombre de fournisseurs,sur la valeur des transactions, sur le nombre total d’opérations,sur le nombre de personnes physiques employées, surles types d’entités juridiques, sur le volume du capital étrangerinvesti ;• pour tout secteur pour lequel un engagement est pris, larègle du traitement national s’applique. Elle consiste à accorderaux fournisseurs de services étrangers le même traitementqu’aux fournisseurs de services nationaux.Coup dur pour la démocratieCes obligations spécifiques ont des conséquences importantes.Quand un pays prend un engagement d’accorder, sansrestrictions, un accès au marché aux fournisseurs de services,cela signifie qu’il doit renoncer au monopole de service publicdans les secteurs concernés.Quand un pays prend un engagement d’accorder sans restrictionle traitement national à un secteur de services, celasignifie que dans ce secteur, toute forme de distinction entresecteur marchand et secteur non-marchand doit disparaître,car il est interdit d’accorder à des services de ce secteur dessubventions, des prêts, des garanties sur prêts, des dons ouquoi que ce soit qui pourrait altérer la libre concurrence.L’application du principe du traitement national conduit, quasimécaniquement, de la libéralisation à la privatisation, car lespouvoirs publics seraient financièrement asphyxiés s’ilsdevaient respecter ce principe.Ces engagements mettent fin au libre choix démocratique. Eneffet, les règles relatives à l’accès au marché et au traitementnational vont enlever aux institutions démocratiques tout pouvoird’adopter des politiques conformes aux besoins particuliersde la localité, de la province, du département, de la régionou de l’Etat. En outre, une fois un engagement pris, il est irréversible.En effet, l’article 21 de l’AGCS précise que tout Etatqui voudrait modifier ses engagements dans un sens qui ne vapas vers plus de libéralisation aurait à négocier avec tous lesautres Etats membres de l’OMC des compensations financièresqu’ils seraient en droit d’exiger. En cas de désaccord, c’estl’Organe de règlement des différends de l’OMC qui trancherait.Ce qui signifie très clairement que les citoyens, au traversLes lois existantesbalayéesL’AGCS agit sur les législations, réglementations etprocédures existantes par diverses approches. Ilimpose des obligations à tous les Etats membres del’OMC et aux pouvoirs subordonnés au travers dequatre modes de fourniture des services (article 1,2) :• Mode 1 : la fourniture transfrontalière de services ;exemple : un fournisseur (public, semi public ouprivé) d’eau potable dans un pays A qui en fournitégalement dans un pays B ;• Mode 2 : la consommation transfrontalière de services; exemple : un citoyen, un groupe de citoyensou une entreprise d’un pays A qui consomment del’eau dans un pays B ;• Mode 3 : un fournisseur de services d’un pays Aqui s’installe sur le territoire d’un pays B ; une firmeprivée d’un pays A spécialisée dans le traitementdes eaux usées qui s’implante dans un pays B (onnotera qu’on se trouve ici en présence d’un accordmultilatéral sur l’investissement dans le domaine desservices) ;• Mode 4 : la possibilité pour un fournisseur de servicesd’un pays A de faire appel à du personnel d’unpays B, pour une période déterminée, avec les règlessalariales et sociales du pays B ; exemple : uneentreprise de traitement des eaux usées d’un paysdoté de règles en matière de salaires, de conditionsde travail, de protection sociale qui fait appel pour unan à du personnel venant d’un pays où ces règlessont inexistantes ou moins avantageuses.24 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


OMC, nouvelles matières et pays du SudBref aperçu de ces problèmes :• les subsides ainsi qu'une politique en faveur des investissementslocaux sont interdits. Le développement de l'industrielocale devient dès lors de plus en plus difficile.• les importations se libéralisent alors que les subsides auxproducteurs alimentaires locaux menacés dans leur surviesont de plus en plus limités. Ces prochaines années, lespetits paysans devront faire face à une forte concurrenced'aliments importés (et souvent subsidiés).• suite à l'accord de l'OMC sur les droits de propriété intellectuelleen lien avec le commerce, les pays en voie de développementdevront payer des prix plus élevés pour leursLes pays du Sud ont intérêt à suivre unevéritable stratégie nationale afin d'éviter queces nouvelles matières ne soient prises encompte dans les négociations.médicaments, logiciels informatiques et autres biens deconsommation. Les entreprises et institutions étrangèresdéposeront des brevets sur le matériel biologique originairedes pays en développement. Les coûts pour les entrepriseslocales pour l'introduction de la technologie industrielle augmenterontsuite à l'augmentation des royalties.• Les pressions pour que les pays du Sud ouvrent leur secteurdes services aux entreprises étrangères augmentent.Ces problèmes sont graves et mettent les futures chances etstratégies de développement des pays du Sud en hypothèque.Dès lors, de nombreuses interrogations se posent :ces pays seront-ils à même de développer leur industrialisation,de renouveler leur technologie, de veiller à la survie et àla croissance de l'agriculture locale, de mettre sur pied unesécurité alimentaire, de répondre aux besoins de la populationen termes de santé ?Payer deux, trois, quatre foisAvant et pendant les conférences ministérielles de l'OMC deSeattle (1999) et de Doha (2001), les pays du Sud ont exigéfermement que ces différents problèmes soient traités enpriorité dans l'agenda, et cela avant que l'on ne parle desactivités futures de l'OMC. Selon eux, les nouvelles matièresne pouvaient pas figurer dans les nouvelles négociations, dumoins pas dans la phase actuelle.Les pays riches sont en désaccord avec cette vision. Ils proposentau contraire de démarrer les négociations sur lesnouvelles matières après la cinquième conférence ministériellede Cancún. Et ils attendent que les pays en développementacceptent ces nouvelles négociations. Si tel est lecas, les pays du Sud ne payeront pas deux fois, mais trois àquatre fois. Ils considèrent en effet qu'ils ont déjà payé par lepassé un prix très élevé pour avoir accepté trop de concessions,comme par exemple lors des négociations sur la propriétéintellectuelle, l'investissement et les services lors del'Uruguay Round. Les avantages promis – un accès plus aisépour leurs produits agricoles et textiles aux marchés du Nord– n'ont jamais été concrétisés.On a affirmé aux pays du Sud que leurs revendications faceà l'application des accords de l'Uruguay Round et l'accèsaux marchés du Nord faisaientpartie d'un "packagedeal" après la conférence deDoha, en échange de quoi ilsdevaient accepter les négociationssur les nouvellesmatières. Ces nouveauxaccords et obligations neseront pas à l'avantage duSud. Ils nuiront au contraireencore davantage à leurschances de développement.Mais il n'est pas questiond'un meilleur équilibre dans lesystème et dans les réglementationsde l'OMC. C'est pourquoi la plupart des pays duSud sont clairement contre de nouvelles négociations sur lesnouvelles matières.Plus aucun freinLe thème commun aux trois premières nouvelles matièresest la tentative d'étendre au maximum les droits des entreprisesétrangères sur le plan de l'accès aux marchés despays du Sud pour leurs produits et leurs investissements.En même temps, les droits des pays d'accueil à réguler lesinvestissements étrangers sont réduits au strict minimum.Ils est interdit à ces pays de promulguer des mesures desoutien à leurs entreprises locales. Si ces accords sontacceptés au sein de l'OMC, les pays du Sud auront encoreplus de difficultés à mener leurs propres politiques de développementet à renforcer la concurrence de leurs entrepriseslocales. Durant les négociations, le principe du "traitementnational" (1) sera appliqué à toutes les nouvelles matières.Les pays riches mettront tous leurs moyens existants àdisposition pour obtenir de nouveaux accords, en faveur deleurs intérêts, mais soulèveront d'énormes obstacles pourle développement voire la survie des entreprises locales.Suivre une stratégie nationalePar contre, il faut être intransigeant : ces matières n'ont enfait rien à voir avec le commerce et n'ont donc pas leur placeau sein de l'OMC. L'application du principe du "traitementnational" sur ces nouvelles matières est totalement déplacée28 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


car celui-ci empêche les gouvernements de mener une politiquenationale propre axée sur le développement et desobjectifs nationaux spécifiques, leurs permettant par exemplede décréter des mesures afin de renforcer la cohérencenationale et l'harmonie entre les différents groupes ethniques.Les pays du Sud ont intérêt à suivre une véritablestratégie nationale afin d'éviter que ces nouvelles matièresne soient prises en compte dans les négociations et que denouveaux accords soient réellement d'application sous peu.Au sein de l'OMC, le terme "négociations" – certainement s'ils'agit des nouvelles matières – signifie qu'un engagement aété conclu pour arriver à de nouveaux accords et réglementations.L'histoire nous apprend que les pays riches ont unimmense avantage lors de ces négociations : ils déterminenteux-mêmes l'agenda, les procédures et les clauses desaccords. Le résultat final ira donc contre les intérêts despays du Sud. Il est donc vital de bloquer les décisions quantau début des négociations sur les nouvelles matières.Des revendications claires à l'OMC• Commerce et investissement : l'objectif principal del'accord sur l'investissement est une législation internationalecontraignante qui accorde aux investisseurs étrangerstoute liberté de s'installer et d'opérer dans les pays d'accueilsans aucune limitation ni réglementation. Les exigences deces pays face aux prestations des investisseurs étrangers(limites à l'acquisition de patrimoine, obligations de transfertdes technologies, production axée sur l'exportation, implantationgéographique, etc.) et les limitations aux flux de capitauxseront interdites. Des règles strictes seront imposéesafin de protéger les "droits des investisseurs" – par exempleconcernant les expropriations. Une définition très large seradonnée au terme "expropriation". L'expérience de l’ALENA(Accord de libre-échange nord-américain) est ici révélatrice :l'expropriation compte aussi pour chaque décision gouvernementale(comme les mesures en rapport avec la santépublique et l'environnement) qui pourrait mettre en dangerles futurs revenus et profits de l'investisseur. L'investisseurdoit pouvoir jouir d'une indemnisation totale.• Que faire ?L'investissement n'a rien à voir avec des négociations sur lecommerce. C'est le point de vue à défendre au sein del'OMC. Compter l'investissement dans les compétences del'OMC est absurde et peut mener à une sérieuse désarticulationdu système commercial mondial. Il n'est pas du toutévident que les principes de l'OMC (comme le traitementnational) en vigueur pour le commerce des marchandisessoient aussi applicables pour l'investissement. Et s'ils étaientapplicables, il faudrait encore voir si cela l'est dans l'intérêtdes pays du Sud. Ceux-ci ont toujours eu la liberté et le droitde réguler les conditions d'installations et les activités desinvestisseurs étrangers sur leur territoire. Une limitation deces droits peut avoir de sérieuses conséquences sur lespays du Sud.• Commerce et concurrence : dans le contexte de l'OMC,il n'existe en ce moment ni unanimité ni accord entre les différentspays sur la définition précise du terme "concurrence".La concurrence, la législation et la politique qui s'y rapportentainsi que leur lien au commerce et au développementrestent des matières extrêmement complexes. Les défenseursd'un accord sur les investissements proposent desrèglements multilatéraux qui empêchent les Etats membresde définir leurs propres lois et de mener leur propre politiqueen matière de concurrence. Les lois nationales devront dorénavantprendre en compte les "principes-clé" de l'OMC,comme la transparence et la non-discrimination (traitementnational et traitement de la nation la plus favorisée). Une politiqueadaptée en matière de concurrence peut aussi êtrefavorable pour les pays en développement. Mais chaquepays doit pouvoir disposer d'une flexibilité suffisante afin dechoisir un modèle viable qui puisse être modifié selon les circonstances.• Que faire?Il n'existe aucun argument convainquant pour défendre l'optiond'une politique concurrentielle entre les différents paysbasée sur une série de lois multilatérales contraignantes. Detels accords dans le cadre de l'OMC poussent au contraireà s'inquiéter pour de nombreuses raisons. Les partisans deces accords veulent y voir appliqués les principes-clé del'OMC par lesquels le développement des pays du Sud seraune fois de plus mis à l'écart. S'il était urgent de développerune approche multilatérale à la concurrence, il existe demeilleures réglementations, comme les principes d'entravesau commerce de la Conférence des Nations-Unies sur lecommerce et le développement (CNUCED). Si l'objectif estde parvenir à une coopération entre les pays et autoritésconcurrents, il est inutile et inadapté de donner cette compétenceà l'OMC.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 29


OMC, nouvelles matières et pays du Sud• Transparence des marchés publics : durant la conférencede l'OMC à Singapour (1996), il a été décidé de mettreen place un groupe de travail pour établir une étude surla transparence des législations, réglementations et procéduresnationales des gouvernements. L'objectif était de tirerdes éléments de cette étude pour parvenir à un accordadapté. La conférence ministérielle n'a cependant pas décidéqu'un accord devait être conclu. La mission du groupe detravail était limitée à une étude de la transparence des marchéspublics. Cette mission limitée a encore été affirmée lorsde la conférence ministérielle de Doha (2001). Les marchéspublics ne faisaient alors donc pas partie de la réglementationsur l'accès au marché. Les pays riches veulent cependantpoursuivre ce processus. Si les marchés publicsdevaient tomber sous la compétence de l'OMC, les gouvernementsne seraient bientôt plus à même de favoriser leursentreprises locales pour la fourniture de biens et de services.Ce qui aura des conséquences particulièrement graves pourles pays du Sud.Les marchés publics remplissent un rôle économique, socialet même politique très important. L'attribution aux producteurslocaux de la livraison de biens et de services est uninstrument macro-économique important, particulièrementen période de récession. La politique nationale qui vise àfavoriser les entreprises et fournisseurs locaux relance l'économieet permet à la population locale de participer au développementéconomique et aux profits. Des groupes et communautésspécifiques qui rencontrent de grandes difficultéséconomiques peuvent profiter de ce traitement de faveur. Siles marchés publics sont investis par des entreprises étrangères,certains pays peuvent d'être favorisés (par exempled'autres pays du Sud ou des pays riches avec lesquels existentdes relations commerciales ou politiques particulières).Si les marchés publics tombent aux mains de l'OMC, lesgouvernements n'auront que très peu de marge de manœuvrepour utiliser cette politique comme instrument de développement.Si l'actionnariat est en grande partie étranger, lesgouvernements seront sérieusement handicapés pour utiliserleurs marchés publics pour relancer l'économie en tempsde crise. Les possibilités de favoriser les entreprises locales,les groupes sociaux ou ethniques et certains pays seront,elles aussi, sérieusement limitées.• Que faire ?Une décision stratégique doit être prise afin d'éviter que lesmarchés publics ne deviennent un thème de négociation ausein de l'OMC. Si cela devait tout de même être le cas, il fautrefuser tout accord sur la transparence. Un tel accord sur latransparence rendra très difficile à l'avenir l'opposition à unaccord sur l'ouverture totale des marchés.• Facilitation des échanges : des décisions seront prisesà ce sujet lors de la cinquième conférence ministérielle deCancún. Si le terme "facilitation des échanges" peut paraîtreinnocent, l'imposition de règles multinationales sur ce terrainsera particulièrement désavantageux pour les pays du Sud.L'objectif principal de ses partisans est d'imposer aux paysen développement les mêmes réglementations et procéduresque celles des pays riches. Aucune distinction n'est icifaite entre les différences énormes qui existent entre le Nordet le Sud sur le plan des moyens administratifs, financiers ethumains et des conditions de vie et de travail. Les paysriches proposent ainsi de limiter le contrôle douanier desmarchandises à une série de produits choisis arbitrairement,afin d'accélérer les flux de marchandises aux frontières. Cesmesures risquent d'augmenter grandement la fraude destaxes d'importation. Si pour la plupart des pays riches lerisque de perte est négligeable, il est pourtant très élevé pourles pays du Sud.• Que faire ?Aucune négociation sur la facilitation des échanges ne peutcommencer après la cinquième conférence ministérielle del'OMC. De nouvelles règles mèneront à de nouvellescontraintes pour les pays en développement au sein del'OMC. La facilitation des échanges commerciaux peut êtreaméliorée par des efforts nationaux et par une assistancetechnique aux pays demandeurs plutôt que par de nouvellescontraintes au sein de l'OMC.Martin Khor est directeur du "Third World Network"basé en Malaisie. Il est l'auteur de nombreux travauxet articles sur les problèmes de développement etd'environnement. Il est l'ancien vice-président dugroupe de travail pour le droit au développement dela Commission Droits de l'Homme des Nations Unies.(1) le "traitement national" signifie que les entreprises étrangères doivent recevoir le même traitement que les entreprises locales. Elles ne peuventen aucun cas être discriminées ou soumises à d'autres conditions ou contraintes que les entreprises nationales.30 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Maude Barlow & Tony Clarke, militants activistesPour la défencede l’eauPAR FABRICE KADAMAUDE BARLOW ET TONY CLARKE LUTTENT POUR LA PROTECTION DE L'EAU DOUCE.BRUXELLES ÉTAIT LEUR DERNIÈRE ESCALE AVANT KYOTO, OÙ SE TENAIT FIN MARS LE SOMMETMONDIAL DE L'EAU.Maude Barlow et Tony Clarke, respectivement présidentedu Conseil des Canadiens et directeur de l'Institut Polarisdu Canada, sont militants et activistes convaincus. Tous deuxsont impliqués dans différents réseaux tels que le projet PlanèteBleue, "Notre monde n'est pas à vendre" ou encore le Foruminternational sur la mondialisation.Dans votre livre, le constat que vous tirez sur la situationde l'eau dans le monde est alarmant. N'est-ce pasquelque peu exagéré ?Maude Barlow : Non. Notre objectif est effectivement de nepas ménager le lecteur mais il faut se rendre compte que lasituation est grave. Si nous agissons modérément, l'eau nemanquera jamais sur terre. Malheureusement, la tendanceactuelle est à l'exploitation intensive des ressources encoredisponibles. Les aquifères et les cours d'eau sont pompéssans relâche. L'aquifère d'Ogallala par exemple, la réserved'eau douce la plus vaste d'Amérique du Nord (plus d'undemi-million de km 2 ), s'épuise 14 fois plus rapidementqu'elle ne se reconstitue. On estime que son volume a déjàdiminué de moitié. Des exemples comme celui-ci sont nombreux.Nous gaspillons l'eau douce de la terre à une tellevitesse que les deux-tiers de la population mondiale manquerontd'eau d'ici 20 ans.Le monde se dessèche. Des régions comme le Moyen-Orientou le Nord de la Chine sont en crise d'eau. 22 pays africainssont également en crise, sans parler de régions entières del'Inde ou de villes comme Mexico City. Même aux Etats-Unis,l'Etat de Californie manquera d'eau d'ici une vingtaine d'années.Nous devons reconnaître l'ampleur des conséquencesdes actes que nous posons.D'autres chiffres font frémir : l'OMS avance qu'un enfant meurttoutes les 8 secondes d'une maladie hydrique. L'urbanisationréduit la part d'eau potable dans le cycle de l'eau. L'eau depluie ne peut plus pénétrer dans la terre et s'écoule donc directementdans l'océan. Et il n'y a pas de solution technologiqueau problème, le dessalement des océans est un leurre.La solution c'est la protection, la conservation. Nous devonsdévelopper une relation fondamentalement différente avecl'eau.Quel est le plus grand danger qui menace l'eau à l'heureactuelle ?Maude Barlow : Un des principaux dangers est la privatisationdes services liés à l'eau. La plupart de nos gouvernementssont déjà engagés dans le processus dit "de Washington" quiaffirme que tout peut être solutionné par le marché.Aujourd'hui, presque tout est à vendre. Avant, les accords decommerce concernaient les marchandises ; ils incluent maintenantles soins de santé, l'éducation, les semences, les gènes...<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 31


Maude Barlow & Tony Clarke, militants activistesQuels sont les principaux acteurs de ce processus ?La privatisation se trompe carelle ne se base pas sur desconcepts durables. Les deuxpiliers sont la conservation etl'équité. Et cela, seuls lesgouvernements peuvent legarantir, pas les entreprises.et l'eau. Les biens sociaux fondamentaux sont à présent considéréscomme des marchandises. Les premières victimes danstout cela sont évidemment les populations pauvres ou isoléesqui n'ont pas les moyens d'accéder à ce marché mondialisé.Tony Clarke : Nous en distinguons trois. Tout d'abord, lesgrandes entreprises de l'eau, ce que nous appelons l'industriemondiale de l'eau. Elles sont en pleine expansion. Ce créneauest très lucratif puisqu'il concerne les différents serviceshydriques urbains, l'eau en bouteille, les transferts et les exportationsd'eau par pipelines ou par bateaux. Au total, cela représente3.000 milliards de dollars de chiffre d'affaire. Citons lesentreprises françaises Suez et Vivendi ainsi qu'une troisièmebasée en Allemagne, RWE. Avec plus de 75% de parts demarché, ces trois multinationales européennes dominent largementle marché de l’eau (distribution et assainissement) dans lemonde. D'autres entreprises tentent également d'acquérir unepart du gâteau comme Coca-Cola, Pepsi ou Nestlé (Perrier).Coca-Cola intensifie sa production d'eau en bouteilles. Ellevient par exemple d'acquérir la concession de rivières entièresen Inde. C'est un désastre pour les populations locales : ellessont à présent obligées de payer des royalties à Coca-Colapour pouvoir faire usage de l'eau qu'elles utilisaient gratuitementdepuis des générations…Ensuite, les institutions financières internationales : Banquemondiale, Fonds monétaire international, Banque américainede développement… Leurs méthodes de financement influencentgrandement les politiques des gouvernements du Sud,notamment par l'ajustement structurel. Les gouvernements deces pays se verront par exemple octroyer un prêt à conditionqu'ils privatisent leur secteur de l’eau. De plus, ces institutionssubventionnent indirectement les entreprises privées. Voyez cequ'il se passe notamment à Buenos Aires.Enfin, les organisations commerciales internationales, avec entête l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elles déterminentdes règles en matière de protection des servicespublics qu'elles imposent ensuite aux gouvernements. Denouvelles règles sont actuellement définies au sein de l'Accordgénéral sur le commerce des services, notamment pour l’eau.Si ces pays acceptent, ils n'auront plus aucun moyen de réguleret d'organiser leur secteur de l'eau. Lorsque les règlesseront instaurées, des sanctions pourront être imposées encas de non-respect par les gouvernements. Il sera bientôtimpossible de faire marche arrière.Face à la privatisation, il reste les services publics quiappartiennent aux collectivités et sont dès lors moinssoumis à la logique du profit. Mais la lourdeur de leurfonctionnement n'est-elle pas un sérieux handicap ?Maude Barlow : Nous ne disons pas que les gouvernementset leurs services ont fait de l'excellent travail jusqu'ici. AuCanada, nous sommes de grands gaspilleurs d'eau et notregouvernement ne fait rien pour changer ce mode de consommation.Vous avez aussi probablement entendu parler durécent rapport des Nations-Unies qui classe la Belgique parmiles pays dont l'eau est de moindre qualité. Il faut pourtantinvestir dans le renforcement des services publics.Pareil pour les gouvernements des pays en voie de développementqui n'investissent pas assez dans les services sociaux32 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


de base pour leur population. Mais la plupart de ces pays ontune dette énorme vis-à-vis de l'Occident et n'ont pas lesmoyens d'investir. Ils sont contraints d'accepter la privatisationpour pouvoir recevoir des fonds supplémentaires.Le FMI et la Banque mondiale utilisent des fonds pour encouragerles grandes multinationales de l'eau à infiltrer les marchésdu Sud. Ils pourraient investir la même somme pour développerles infrastructures publiques de ces pays.La privatisation se trompe car elle ne se base pas sur desconcepts durables. Les deux piliers sont la conservation etl'équité. Et cela, seuls les gouvernements peuvent le garantir,pas les entreprises.ce Forum n'a absolument rien à voir, malgré les apparences,avec un sommet des Nations Unies. Les principaux organisateursdu Forum sont le World Water Partnership et le WorldWater Council, largement sous contrôle des multinationales del'eau. Tout ce Forum n'est qu'un simulacre dont l'objectif estl'augmentation de la marchandisation de l'eau et la libéralisationdes services qui lui sont liés. En 2000, l'eau y a été définiecomme un besoin et non un droit. Bien plus qu'une nuancesémantique, cela signifie la porte ouverte à sa marchandisationQuelle est dès lors la meilleure parade contre l'influencede plus en plus grande que le monde des affaires exercesur nos vies ?Maude Barlow : Nous avons besoin de démocratie. Soyonslucide. Nous ne vivons pas dans une démocratie dans nospays industrialisés. Je vis au Canada et dans mon pays personnen’est jamais venu me demander – ni à n’importe quid’autre – si j’étais favorable ou non à un système privé pour lasanté. Or, des décisions sont prises dans ce sens ! Ce sont lesintérêts économiques qui gouvernent le monde. Nous devonsdire à nos gouvernements que ce n’est plus acceptable. Il fautaussi que les responsables politiques prennent plus leursresponsabilités et qu'ils agissent au nom de tous. Mais où quece soit dans le monde et peu importe son orientation politique,une personne qui accède au pouvoir oublie presque toujoursses belles promesses. C’est pourquoi nous devons créer unmouvement de société civile afin de faire pression pour défendrenos droits et offrir des alternatives.Selon vous, la participation des citoyens à la gestion estune bonne alternative ?Tony Clarke : Le meilleur exemple est celui de Porto Alegre oùles citoyens, de quartier en quartier, sont de plus en plus impliquésdans la gestion de la ville, notamment dans la décision dubudget annuel. C'est ce qu'on appelle le budget participatif.Les citoyens ont ainsi leur mot à dire sur les fonds consacrésnotamment à la gestion de l’eau. La compagnie d’eau de laville a décidé d’impliquer davantage les citoyens dans les décisions.Ce nouveau type de partenariat est devenu un modèle :les services d’eau sont excellents, et les communautés s'assurentelles-mêmes que la compagnie remplit son rôle de serviceà la population de manière satisfaisante. Les communautéssont capables d’identifier les nouveaux problèmes, les nouvellespriorités, les nouveaux besoins. Je pense que ce modèlea de l’avenir dans les pays en voie de développement.Vous vous rendez à Kyoto pour le troisième Forum mondialde l'eau. Quelles leçons tirez-vous de votre participationau Forum précédent ?Tony Clarke : Le deuxième Forum mondial de l'eau a eu lieuà La Haye en 2000. Mais il faut tout de suite faire une précision :Les grandes entreprises del’eau connaissent une croissanceexceptionnelle. Elles setrouvent sur une mine d’oravec un chiffre d’affaires de3.000 milliards de dollars.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200333


Maude Barlow & Tony Clarke, militants activistesDessalement de l'eau de mer :une solution ?Tony Clarke : C'est une évidence, le dessalement n'est pas une solution à la crise actuelle. Appliquer cette méthodeéquivaut à vendre son âme au diable. Si elle permet d'alimenter certaines collectivités et certains pays, si elle estamenée à se développer dans les prochaines années, elle ne résoudra en aucun cas la crise mondiale de l'eau.Le coût du dessalement est très élevé et seuls les pays riches sont à l'heure actuelle en mesure de se permettre de tellesdépenses. Mais même si les coûts venaient à baisser, cette technique impliquerait toujours le gaspillage d'énormesquantités de combustibles fossiles. Et l'utilisation de ces combustibles contribue en grande partie au réchauffement dela planète, ce qui menace déjà aujourd'hui les sourcesd'eau douce.De plus, le dessalement engendre la production d'unsous-produit létal. Chaque litre d'eau traité donne untiers d'eau douce et deux tiers de saumure. Si elle estrejetée dans la mer à température élevée, cette saumureest un facteur majeur de pollution marine.Quoi qu'il en soit, il serait plus facile de renoncer auxpratiques actuelles qui provoquent la salinisation desressources d'eau douce que de mettre en œuvre desméthodes coûteuses et pollueuses de dessalement.sans plus aucune responsabilité des Etats. La privatisation esten marche.Avec une petite équipe d'une trentaine de militants, nous avonsvécu une expérience enrichissante à l'époque. Vu que nousn'avions aucun espace d'expression, nous nous sommesrépartis dans l'auditoire lors des séances plénières. Chacun ànotre tour, nous avons interpellé les dirigeants des grandesmultinationales par des remarques critiques. Cela a provoquéune certaine confusion parmi les 2.000 participants. Par cesactions, nous cassons le "consensus industriel" au profit de laprivatisation. Nous apportons des études, des cas concrets oùla privatisation est un échec. En même temps, nous apportonsdes alternatives à la gestion de l’eau. Nous tentons de fairecomprendre dans les sessions importantes qu'il y a d'autresmanières de voir les choses, qu'il existe d'autres points de vue.Ce type d'action directe est l'un de nos moyens de lutter, lorsde la conférence de Kyoto aussi.Mis à part votre présence dans ces grands événements,comment s'organise la résistance ?Tony Clarke : Nous travaillons en réseau avec de nombreusesmouvements et organisations à travers le monde en luttepour la même cause. Nous essayons d’identifier et de réunirtoutes ces personnes. En juillet 2001, quelque 1.200 personnesse sont réunies à Vancouver pour la conférence "De l'eaupour les gens et la nature". Ce fut un grand événement car desmilitants du monde entier ont pu se rassembler pour coordonneret renforcer leur lutte.Des exemples de résistance sont aujourd'hui mondialementconnus. Je pense par exemple à la mobilisation des habitantsde Cochabamba en Bolivie qui ont remporté une victoire historiquecontre un consortium d'entreprises qui avait pris encharge le réseau de distribution et d'assainissement en eau dela ville. La gestion est à présent assurée par l'administrationcommunale en concertation avec les usagers. Mais d'autresexemples sont également éloquents : des citoyens se mobilisentcontre la privatisation en Afrique du Sud, aux Philippines.Dans l'Etat indien du Kerala, la population s'est fortementmobilisée contre Coca-Cola. La lutte se passe aussi dans lespays industrialisés comme à Atlanta, où les usagers se sontunis pour lutter contre Suez qui leur fournissait une eau brunâtre.L'entreprise d'eau locale est ensuite redevenuepublique. Plus près de chez vous, il y a l'exemple français deGrenoble où les usagers ont obtenu gain de cause suite à unelongue protestation contre la privatisation de l'eau par Suez etune sombre affaire de corruption.Maude Barlow : Nous cherchons à rassembler les énergieset les compétences afin de créer un véritable mouvementinternational de résistance à la privatisation et de défense del'eau douce. Nous devons défendre nos droits et offrir desalternatives. Nous sommes persuadés qu’un autre monde estpossible…34 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Entretien avec Riccardo PetrellaL'eau est un biencommun et doit le resterPAR FABRICE KADAECONOMISTE, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN ET CONSEILLER À LACOMMISSION EUROPÉENNE, RICCARDO PETRELLA EST L'UN DES PIONNIERS DU MOUVEMENTMONDIAL POUR LA DÉFENSE DE L'EAU. IL EST FONDATEUR ET SECRÉTAIRE DU COMITÉ MONDIALDE L'EAU ET AUTEUR DU MANIFESTE DE L'EAU. ALORS QUE LA PRIVATISATION DE CETTE RES-SOURCE ESSENTIELLE À LA VIE S'INTENSIFIE, IL MET SUR PIED DES ALTERNATIVES.Dans quelles circonstances avez-vous été amené àtravailler sur le thème de l'eau ?Riccardo Petrella : L'idée est partie du travail réalisé ausein du groupe de Lisbonne. Nous réfléchissions à l'époquesur les limites à la compétitivité. Notre critique de l'économiede marché, du capitalisme et de la compétitivité nous apoussé à définir des propositions d'alternatives à ce modèle.C'est ainsi que nous avons élaboré en 1991 le conceptdu contrat social mondial. Basé sur le principe de la coopérationplutôt que sur la compétitivité, il est structuré en quatreparties : le droit à la vie ou l'accès aux ressources essentielles(dont l'eau), la culture, la démocratie et le développementdurable. C'est à travers les thèmes du droit à la vie etdu développement durable qu'a émergé le thème spécifiquede l'eau.Face aux limites à la compétitivité, nous avons affirmé l'existencede biens et services essentiels à la vie individuelle et collective.Ceux-ci doivent donc être considérés comme appartenantà la "res publica". Ce sont des "biens communs".Ces réflexions ont débouché en 1996 sur la rédaction dulivre "Le bien commun – Eloge de la solidarité". Afin de clarifierce concept théorique, je me suis basé sur des exemplesconcrets. Il me fallait une illustration évidente d'un bienessentiel à la vie, dont la gestion à des conséquences sur leplan politique et sur l'organisation de la société. C'est ainsique j'ai écrit une vingtaine de pages sur le thème de l'eau.Ensuite, tout a été très vite. On peut dire que je suis un économiste"tombé dans l'eau".Le contrat social mondial a donc ensuite débouché surun contrat mondial de l'eau. Avec quels objectifs ?Riccardo Petrella : L'un des engagements du groupe deLisbonne est de ne pas se limiter à l'analyse mais de ladépasser pour parvenir à la réalisation concrète des prioritésque nous définissons. Les analystes, les chercheurs, lesintellectuels du groupe veulent passer à l'action et organiserla lutte. Or, les bases de la théorie étaient jetées. Il fallait àprésent s'engager dans la lutte pour la légalisation des bienscommuns et du droit à la vie. Avant d'élargir la réflexion et<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 35


Entretien avec Riccardo Petrellad'échanger des propositions avec d'autres acteurs, j'ai rédigéun document de travail : "Le manifeste de l'eau". Suite àla parution de cet essai, nous avons créé en novembre 1997le Comité international pour un contrat mondial de l'eau. Lepremier manifeste m'était personnel. Le manifeste pour uncontrat mondial de l'eau qui a ensuite vu le jour était aucontraire une aventure collective. Des sessions ont étécréées dans plusieurs pays, ce qui a entre autres débouchésur la rédaction de manifestes nationaux. La problématiquede l'eau n'est en effet pas le même en Italie qu'au Brésil ouqu'en Belgique. Le manifeste international est une base.Mais les déclinaisons nationales (manifeste belge, italien,français, américain, québécois…) sont indispensables pourl'action.Nous nous sommes fixés plusieurs grands objectifs. Toutd'abord, faire reconnaître l'accès à l'eau comme un droithumain inscrit dans la constitution. Aucune constitution despays qui se disent démocratiques ne reconnaît l'accès àl'eau. Ce n'est que fin 2002 qu'un Comité des Nations Uniesa déclaré le droit à l'eau. Ce "Comité des droits économiqueset sociaux" n'a malheureusement pas de pouvoirEnsuite, l'eau doit être reconnue comme un bien commun.Si elle est un droit pour tous, elle ne peut être considéréecomme une marchandise. Nous contestons la gestion privéeet la propriété privée. L'eau doit rester aux mains d'organismespublics. Ce service ne peut être divisé. Il est absolumentincorrect d'affirmer que le secteur privé serait naturellementet structurellement mieux à même de gérer cette ressourceque le secteur public. Même si le secteur privé effectue unemeilleure gestion que le public dans certains pays, il ne peuten aucun cas être compétent pour gérer une ressourceessentielle à la vie, dont chacun à droit.Le financement de tous les investissements nécessairespour garantir l'accès à ce droit doit être garanti et protégé. Ildoit revenir à la collectivité car elle seule peut avoir une cultureà long terme. La logique du profit est contraire à unetelle vision. La gestion doit être démocratique. Or, il n'y a pasde démocratie dans la logique de marché. Comment pouvons-nousdonner la gestion d'une ressource aussi fondamentaleà des mécanismes non-démocratiques ? C'estpourquoi il faut également renforcer la démocratie.“Ce n'est que fin 2002 qu'unComité des Nations-Unies a déclaréque l'eau est un droit. Ce "Comitédes droits économiques et sociaux"n'a malheureusement pas depouvoir réel. Il s'agit d'un Comitéconsultatif.”réel. Il s'agit d'un Comité consultatif. Les Etats peuvent yadhérer sans engagement. C'est pourquoi il faut faire inscrirece droit dans la déclaration universelle des droits del'Homme. Pour cela, un grand travail est nécessaire sur leplan du droit international, du droit public, du droit humain.La politique de l'eau n'est pas seulement une question environnementale.Le vrai sens de cette politique est le droit à lavie. Il s'agit d'une politique de transformation de la société àpartir de l'exemple de l'eau. Nous ne luttons pas pour ladéfense de l'environnement. Nous voulons une révolutionsociale sur base du droit à la vie. Ce changement doit êtreopéré aujourd'hui, car nos sociétés sont en train d'abandonnerla culture de droits.Le 3 ème Forum mondial de l'eau de Kyoto a des apparencesde conférence officielle. Ce sont pourtant principalementles grands acteurs privés et non lesNations Unies qui l'organisent. Quel rôle l'ONU joue-telleencore dans la question de l'eau ?Riccardo Petrella : Les grands pouvoirs politiques et économiquesprivés dans le monde ne veulent plus être limitésdans leur action par le droit international et la mainmise desgouvernements. Ils ne veulent plus de traité ni de conventionsuniverselles. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne parexemple font pression dans ce sens. Au cours de la dernièredécennie, ils sont parvenus à imposer l'idée que la gou-36 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


vernance mondiale doit être autorégulée sur base decontrats privatisés. Ce message était très clair au Forummondial sur le développement durable à Johannesburg (septembre2002).Les Nations Unies ont également besoin de l'argent et del'appui des entreprises. C'est ainsi qu'est née l'idée du"Pacte mondial", un contrat entre les Nations Unies et lesentreprises multinationales. Les entreprises poussent pourobtenir des partenariats public-privé à l'échelle mondiale.Elles veulent des mécanismes non gouvernementaux qui nesoient pas dirigés par les Nations Unies mais par des acteursprivés qui en auraient le mandat comme la Banque mondiale,le Fonds monétaire international...Les Nations Unies sont présentes dans le Conseil mondialde l'eau (principal organisateur du Forum mondial de l'eau)mais n'y occupent aucun poste-clé. Ce conseil définit unevision globale pour l'eau, mobilise les agences spécialiséescomme l'UNESCO, la FAO, la Banque mondiale. Cette visionde l'eau est ensuite traduite en action par des techniciensformés dans des universités subventionnées par des entreprisesmultinationales comme Suez. Au niveau de l'environnementpar exemple, le PNUD n'a quasi plus rien à dire.C'est le Conseil mondial de l'eau qui décide. Ce Forum n'aaucun statut officiel, il se clôture pourtant par uneConférence ministérielle. Il acquiert donc une valeur politique.C'est ce que j'appelle l'oligarchie mondiale de l'eau.On constate donc à regret que les Nations Unies ont demoins en moins de place dans ces négociations.Vous vous rendez d'ici quelques jours au premierForum alternatif mondial de l'eau à Florence. Vous n'irezdonc pas au Forum mondial de l'eau de Kyoto ?Manifestation à Porto Alegre, janvier 2003.Riccardo Petrella : Pour ma part, il est inutile de se rendreà Kyoto. Les acteurs économiques majeurs qui organisentce Forum biaisent le débat. Lors du dernier Forum mondialde l'eau à La Haie (en 2000), l'eau a été définie comme unbesoin et non un droit. A l'agenda de Kyoto, aucun débatn'est prévu pour remettre en cause cette définition. Voici unepetite anecdote très révélatrice : lors de l'inscription auForum mondial de l'eau, les participants doivent choisir entre52 mots-clé. Le mot-clé "water right" (droit à l'eau) ne figurepas dans cette liste. J'ai donc écrit aux organisateurs pourleur demander ce qu'ils comptaient faire de ce thème essentiel.Mais pour les entreprises, ce débat est clos. Il n'est pasquestion d’un droit mais d'un besoin, point final.C'est l'ensemble de ces forces qui fait changer le monde.Protester et porter le trouble est important, programmer politiquementla réalisation de nos objectifs l'est tout autant.Dans le domaine de l'eau, il est grand temps d'adopter lamême démarche qu'à Porto Alegre. Il nous faut un agenda,des objectifs et des lieux propres.Je ne vais donc pas à Kyoto. Il me paraît beaucoup plus pertinentde réunir des forces dans un objectif d'action. De fairedes propositions concrètes d'alternatives au modèle dominantplutôt que de dépenser toute mon énergie à jeter letrouble chez les dominants. Mais d'autres gens s'en chargent.Dans l'histoire des mouvements de transformation desociété, il y a toujours eu un large éventail de personnalitésallant du réformiste modéré au révolutionnaire extrémiste.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200337


Manifeste du Forum Alternatif Mondial de l’EauPour une autrepolitique de l'eauLE FORUM ALTERNATIF MONDIAL DE L'EAU, ORGANISÉ LES 21 ET 22 MARS DERNIERS ÀFLORENCE, A DÉBOUCHÉ SUR UN MANIFESTE DANS LEQUEL LES LIGNES DE FORCE D'UNE AUTREPOLITIQUE DE L'EAU SONT DÉTAILLÉES.Dans l'introduction du manifeste, les participants déclarentclairement que la politique actuelle de l'eau doit êtrecombattue par tous les moyens. "Les acteurs principaux decette politique sont la Banque Mondiale, les entreprises privéesde l'Eau (Vivendi Environnement, Suez, RWE, ThamesWater, Southern Water, Saur-Bouygues, Bechtel et d'autres,mais aussi Nestlé, Danone, Coca-Cola) et les institutionscréées par elles en 1996 – avec le soutien des organisationsspécialisées des Nations Unies – : le Conseil Mondial del'Eau et le Global Water Partnership.La politique actuelle de l'eau promue par les partisans de lamondialisation de l'économie capitaliste de marché se basesur trois principes fondateurs : l'eau est un bien économiquecomme le pétrole, le blé ou d'autres marchandises ; l'eau estun besoin vital et non un droit humain ; elle est une ressourceprécieuse destinée à devenir toujours plus rare et doncstratégiquement importante".Le manifeste de Florence prend radicalement position contrela privatisation du secteur de l'eau. "La politique actuelle del'eau ne permet pas de garantir un accès – de qualité et enquantité suffisante – à l'eau potable pour chaque citoyen dela planète. Elle ne veille pas non plus à utiliser les sourcesd'eau de manière durable ni à prévenir les "guerres de l'eau".L'eau est un droit• Le manifeste se poursuit par la définition d'une série deprincipes. "Nous proposons comme point de départ ledroit à la vie pour tous en 2020 au plus tard. Notre objectifest de garantir le droit à l'eau aux 8 milliards de personnesqui habiteront la Terre en 2020, à toutes les espècesvivantes et aux générations futures. De même, la durabilitédes écosystèmes doit être garantie. En ce sens, nousaffirmons la valeur "sacrée" de l'eau au niveau symbolique.Elle est l'expression de la vie, de la dignité humaine et dela nature, de la culture des peuples et de l'histoire humaine.• L'accès à l'eau en quantité (40 litres par jour pour usagesdomestiques) et de qualité suffisantes à la vie doit êtrereconnu comme un droit constitutionnel humain, social etuniversel. A ce propos, nous saluons avec satisfaction le"commentaire général" exprimé par le Comité des droitséconomiques, sociaux et culturels des Nations Unies,selon lequel l'accès à l'eau doit être considéré comme undroit humain.• L'eau doit être traitée comme un bien commun appartenantà tous les êtres humains et à toutes les espècesvivantes de la Planète. Les écosystèmes doivent êtreconsidérés comme des biens communs. L'eau est unbien disponible en quantité limitée au niveau local et global.Aucun profit ne peut justifier un usage illimité du bien.Les gaspillages actuels constituent un vol perpétré auxdépens de la vie. C'est pourquoi, la propriété, la gestionet le contrôle politique de l'eau (en particulier la gestion deses services) doivent rester publics, sous la responsabilitédirecte des pouvoirs publics. C'est la tâche des pouvoirspublics d'assurer et de promouvoir l'usage de l'eau dansle respect des droits humains, y compris ceux des générationsfutures et de la sauvegarde des écosystèmes.• Les collectivités (le secteur public des communes, de38 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Le manifeste de Florence veut déclarer la pauvreté illégale.l'Etat jusqu'aux unions continentales et à la Communautémondiale) doivent assurer le financement des investissementsnécessaires pour concrétiser le droit à l'eau potablepour tous et un usage durable du bien eau. L'instrumentle plus approprié est la mise en oeuvre d'un système fiscalprogressif à finalité redistributive à tous les niveaux, dulocal au mondial. Cette fiscalité est nécessaire afin derécolter les moyens suffisants pour les investissements.Pour cela, il est indispensable de revoir le rôle et le fonctionnementdes institutions financières multilatérales(Banque Mondiale, Fonds monétaire international, Banqueeuropéenne pour la reconstruction et le développement(BERD), Banque européenne d'investissement (BEI) etd'autres) et de définir de nouvelles institutions de financementde type coopératif, basées sur un partenariat entreles services publics et les usagers.• Les citoyens doivent participer directement à la définitionet à la réalisation de la politique de l'eau, du niveau localau niveau mondial. La démocratie doit être au centre du"vivre ensemble" au niveau mondial. On ne peut pasadmettre que la mondialisation puisse être globale et réelleen ce qui concerne le commerce, la finance, la production,la consommation, les modes de vie, les flux culturels,alors que la démocratie s'arrêterait au niveau des Etatsnationaux ou des continents. Le concept de "gouvernancemondiale", mis en vogue par les dominants du Nord estune grande mystification.Nos objectifsDans le but de rendre effective et concrète l'application desprincipes énoncés, nous nous engageons à promouvoir laréalisation des objectifs prioritaires suivants:• La campagne "Soif zéro". Tous les habitants de la Terredoivent avoir accès à l'eau potable pour 2020. "Soif zéro"doit devenir un objectif écrit, un engagement politique formel,reconnu par les différents Etats et par les organisationsspécialisées des Nations Unies. Dans ce sens, un"Contrat Mondial de l'Eau" devra être signé avant la fin del'Année Internationale de l'Eau (2003). Si les Nations Uniessnobaient cette proposition, les promoteurs du ForumAlternatif Mondial de l'Eau s'engagent à convoquer, endécembre à Bruxelles, un groupe mondial de parlementairespour "une assemblée des citoyens" pour la signaturedu Contrat. Ce contrat sera présenté dans l'esprit de ladéclaration du deuxième Forum social mondial de PortoAlegre, qui fut à la base de la constitution de la "Coalitionmondiale contre la privatisation et la marchandisation del'eau". La campagne "soif zéro" ne signifie pas réduire ledroit à l'eau à des mesures d'assistance sociale en faveurdes plus démunis ni donner la priorité aux investissementspour de grands travaux d'infrastructures.• La pauvreté doit être déclarée illégale. Un lien étroit existeentre pauvreté et non-accès à l'eau. La proposition "soifzéro" signifie donc pratiquement "pauvreté zéro". Au dix-<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200339


Manifeste du Forum Alternatif Mondial de l’Eauneuvième siècle, l'abolition de l'esclavage a ouvert une èrede développement considérable des droits humains, civils,sociaux et politiques. Déclarer la pauvreté illégale est l'un desobjectifs prioritaires de la construction d'un "autre monde".• Le soutien aux luttes en cours contre la constructionde grands barrages (en Amérique Latine, en Chine, enAfrique, en Russie, en Asie Mineure (en particulier dans leKurdistan), en Europe de l'Est). Il faut lutter contre les politiquesde financement pour ces projets de la BanqueMondiale et des autres institutions financières internationales.Les gouvernements, les parlements, les autoritéslocales, les entreprises doivent appliquer les recommandationsfaites par la Commission Indépendante Mondialesur les Barrages.• Contre la logique industrialiste et productiviste del'agriculture actuelle, la promotion de systèmes agricolesdiversifiés liés aux territoires, au cycle court production-consommation,à la sauvegarde et à la protection desprocessus écologiques, au développement. Là où c'estpossible, favoriser les cultures peu exigeantes en eau. Lesactivités agricoles doivent servir les intérêts des citoyenset non ceux de l'agrobusiness. C'est pourquoi nous proposonsde placer l'agriculture et l'alimentation en dehorsdes négociations au sein de l'Organisation mondiale ducommerce. La politique agricole de l'Union européenne,des Etats-Unis, du Canada et des autres pays de l'OCDEdoit être révisée d'urgence. Les subsides aux exportationsagricoles et à la monoculture industrielle doivent être interrompuset réorientés en faveur de l'agriculture paysannesoutenable. Les systèmes d'élevage actuels doivent êtredésintensifiés et reconvertis en faveur de modèles durablessur le plan social, économique et environnemental. La "souverainetéalimentaire" des peuples doit être défendue : lespeuples doivent pouvoir décider eux-mêmes la manièred'utiliser leurs ressources naturelles pour une agriculture etune économie durables, justes et démocratiques.• L'établissement et le respect de standards et de normesvisant à réduire et à éliminer les inacceptables niveaux actuelsde pollution et de contamination de la planète provoqués parles activités industrielles et tertiaires (énergie, tourisme…) Leprincipe "qui pollue paie" ne doit plus être interprété dans lesens de "qui paie peut se permettre de polluer". A cet égard,nous proposons la définition et la mise en oeuvre d'un systèmemondial de certification sociale et durable de l'eau. Un telsystème constitue un instrument essentiel pour définir et suivreles mesures indispensables et urgentes qu'il faut prendrepour éliminer les prélèvements d'eau excessifs et les énormesgaspillages (surtout par l'agriculture, l'industrie, certainsusages domestiques ou encore le tourisme).• La lutte contre la privatisation des services d'eau.Ceux-ci doivent rester dans le domaine des services publics.L'eau est un droit et les services qui lui sont liés doivent dèslors rester sous la responsabilité de la sphère publique. Lesecteur ne peut être ouvert au capital privé. Il doit cependantêtre amélioré à tous points de vue (gestion, contrôle, financement,technologie, administration, qualité, sûreté, participationdes citoyens). L'alternative à la privatisation, c'est ladémocratisation des services d'eau. L'alternative à l'ancienPPP (Partenariat Public Privé), c'est le nouveau PPP(Partenariat Public Public), c'est-à-dire le partenariat fondésur des processus innovateurs de coopération entre institutionset organismes publics, avec la participation directe descitoyens, dans le contexte de la démocratie participative.Ceci devra ouvrir de nouvelles perspectives en termes d'économiepublique et d'économie sociale.• La démocratie des rivières. L'eau est un bien démocratique,à tous les niveaux. Nous nous donnons comme objectifde promouvoir cette démocratie de l'eau en particulier auniveau des bassins. Sur 262 bassins mondiaux, 260 sonttransnationaux. Il est essentiel d'instaurer la démocratie desrivières et de permettre aux citoyens des différents paysappartenant au même bassin hydrologique de déciderensemble, sur des bases coopératives et solidaires, enmatière de gestion et d'usage de l'eau.Actions concrètesVingt ans est une courte période. Mais cela peut être suffisantpour construire les bases d'un "autre monde" et garantirle droit à la vie pour tous et la protection de l'eau en tantque bien commun de l'humanité.Pour mettre en pratique les objectifs mentionnés, nous nousengageons pour les actions suivantes :• Les services d'eau doivent être mis hors des mains de l'industrie.• L'eau doit être retirée des négociations de l'Accord généralsur le commerce des services (AGCS) et n'est pas unecompétence de l'Organisation mondiale du commerce.C'est pourquoi une mobilisation active des citoyens estnécessaire. Les services publics (l'eau, la santé, l'éducation,les transports en commun…) ne peuvent être transformésen services marchands. Il faut, au contraire, agir enfaveur de la création de services publics mondiaux à partirde la promotion de services publics continentaux internationaux,par exemple au niveau de l'Union européenne.• L'Union européenne doit retirer immédiatement sesdemandes de libéralisation des services essentiels, enparticulier l'eau, aux pays tiers. Nous demandons à tousles parlementaires européens que le droit à l'eau soitinscrit dans la nouvelle charte constitutionnelle en phased'élaboration par la Convention européenne.• Le Forum Alternatif Mondial de l'Eau propose la constitutiond'un Service Public Européen financé par l'Union européenne,sous contrôle permanent et transparent duParlement européen en étroite coopération avec les différentescomposantes de la société civile et des mouvementssociaux. Dans la même ligne d'action, on doit oeuvrer pourla formation d'un Service Public Africain, de la Méditerranée,de l'Amérique Centrale, de l'Amérique du Sud…• Enfin, nous proposons d'instituer une Autorité Mondialede l'Eau, composé d'un Parlement Mondial de l'Eaudisposant d'un pouvoir législatif, d'un Tribunal Mondial del'Eau disposant d'un pouvoir juridictionnel et d'uneAgence d'Evaluation exerçant un contrôle permanent.40 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Suites d'une privatisation ratée à CochabambaING (BBL) réclame desmillions à l’Etat bolivienPAR THIERRY KESTELOOTLA BBL (BANQUE BRUXELLES LAMBERT) CHANGE DE NOM ET DEVIENT ING. POUR LA BBL CECHANGEMENT NE SIGNIFIE "RIEN QUE DES AVANTAGES!". C'EST FAIRE PARTIE D'UN GROUPE INTER-NATIONAL FORT (PRÉSENT DANS UNE SOIXANTAINE DE PAYS), DONT LE SIÈGE SE TROUVE AUXPAYS-BAS. POURTANT ING N'A PAS BONNE PRESSE EN BOLIVIE.La distribution de l'eau de Cochabamba (troisième ville deBolivie) a été privatisée en 1999, suite aux exigences dela Banque Mondiale de vendre les services d'eau de la villeau secteur privé. Un consortium d'entreprises, InternationalWater Holding BV (IWB), dirigé par Bechtel a obtenu laconcession par des négociations secrètes.Après des augmentations de tarifs exorbitantes – autre exigencede la Banque Mondiale –, la population deCochabamba a exigé l'annulation de cette privatisation et larévision de la loi sur l'eau, ce qui a été obtenu après de sanglantesmanifestations. L'accès à l'eau potable était en effetdevenu impossible pour de nombreux habitants de la ville.ING réclame aujourd'hui une compensation de 25 millionsde dollars pour IWB auprès du gouvernement bolivien. Cettecompensation est bien supérieure aux investissements duconsortium. Selon l'accord bilatéral d'investissements entreles Pays-Bas et la Bolivie, la société a le droit de demanderune compensation pour la perte de bénéfices potentiels augouvernement bolivien. Pas étonnant que le consortium sesoit domicilié aux Pays-Bas, afin de pouvoir bénéficier de laprotection maximale pour ses investissements… Et peuimporte le respect du droit à l'accès à l'eau pour la populationde la ville de Cochabamba. C'est ING qui gère les intérêtsdu holding et qui donne dès lors le droit à IWB de réclamerau gouvernement bolivien une compensation sur desbénéfices non perçus. Un profit rapide pour un investissementminimal.L'ironie veut que selon l'accord bilatéral d'investissementsentre les Pays-Bas et la Bolivie, le recours de IWB soit portédevant le Centre international de règlement des différentsrelatifs aux investissements (CIRDI)… de la BanqueMondiale, idéologue des privatisations de l'eau. Le CIRDI aexplicitement refusé de rendre toute délibération publique oud'accepter que des organisations de la société civile, dontles organisations d'utilisateurs d'eau de Cochabamba soiententendues lors du débat. Si le montant reste relativementsymbolique pour Bechtel – qui a engrangé des bénéfices de12 milliards de dollars ou qui a distribué 1,3 milliards de dollarsaux campagnes électorales fédérales aux Etats-Unisentre 1999 et 2002 –, il est plus que significatif pour la Boliviedont le PIB atteint 8 milliards de dollars et dont la dette extérieureest de 6 milliards de dollars. La compensation demandéereprésente la mise sur réseau de distribution d'eau de125.000 familles… Mais Bechtel ne peut se permettre unprécédent, ses investissements laissant souvent un goûtamer en termes de respect de droits sociaux, économiquesou environnementaux.ING "regrette les événements tragiques" liés à Cochobamba,mais agit "en conformité à la législation néerlandaise et lestraités internationaux". Pourtant l'accès à l'eau est un droitfondamental : ce droit est inscrit dans l'article 11 et 12 duPacte International relatif aux droits économiques, sociaux etculturels des Nations Unies. ING se veut garante d'une"éthique rigoureuse", mais pas au prix de perdre un clientimportant. Une vision singulière du droit international et del'éthique.Thierry Kesteloot dirige la campagne souveraineté alimentaired’Oxfam-Solidarité.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200341


En Belgique, l'eau est un service publicDes aqueducsromains auxintercommunalesPAR C<strong>HR</strong>ISTIAN LEGROSLES PREMIÈRES TRACES D'IN<strong>FR</strong>ASTRUCTURES DE CAPTAGE ET DE DISTRIBUTION D'EAU ENBELGIQUE REMONTENT À LA PÉRIODE DE L'EMPIRE ROMAIN. PLUSIEURS TRONÇONSD'AQUEDUCS ONT ÉTÉ RETROUVÉS DANS NOS RÉGIONS. DES ARCHÉOLOGUES ONT DÉCOUVERTLES VESTIGES D'UN SYSTÈME DE DISTRIBUTION D'EAU À TOURNAI.Il était constitué de conduites en plomb et d'une conduiteprincipale maçonnée en pierre. Ce savoir-faire techniqueimpressionnant a été occulté durant une longue période à lachute de l'Empire romain et n'est réapparu qu'au Moyen-Age. La distribution d'eau des Pays-Bas était alors principalementbasée sur l'usage des puits. Dans les régions au reliefplus accidenté, comme dans le bassin liégeois, mais égalementdans certaines villes du Sud de la Flandre et àBruxelles, des sources émergeant à flanc de colline ont étécaptées, ou des galeries ont été creusées en vue de récolterles eaux souterraines, souvent en liaison avec l'exploitationde la houille. Les réseaux ainsi constitués servaient essentiellementà alimenter les fontaines publiques.Abonnés fortunés et cervoiseAu quatorzième siècle, une centaine d'abonnés fortunés deLiège étaient alimentés par la Société Richefontaine. LaSociété des Fontaines Roland fut constituée en 1687. Elleexploita un réseau de conduites en plomb alimentant desfontaines publiques et privées. Il existe également plusieursexemples de réseaux privés, propriétés d'abbayes.En Flandre, les eaux de surface ont également été exploitéeset quelquefois stockées dans des étangs naturels ou artificiels.Mais la qualité de ces eaux était souvent médiocre enraison de la pollution, car la région était déjà fortement peupléeau Moyen-Age. Il convient de se rappeler que l'eau n'étaitgénéralement pas consommée pour la boisson : les gensbuvaient principalement une bière légère, la cervoise. Lesfontaines publiques servaient surtout à assurer la sécurité etpermettre la lutte contre les incendies qui ravageaient lesvilles car la plupart des maisons étaient construites en boiset recouvertes de paille.Un spectre plane sur l'EuropeC'est vers le milieu du dix-neuvième siècle que la nécessitéde réseaux publics de distribution d'eau devint cruciale dansles grandes villes. Le développement de l'industrie a créédes besoins inconnus jusqu'alors. L'extension des villes àpartir de 1860 et la création de quartiers résidentiels a développéde nouveaux besoins, notamment en termes de42 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


confort et de lutte contre l'incendie. A partir de 1832, les épidémiesde typhus et de choléra firent de terribles ravagesparmi les populations des villes d'Europe. Ainsi, Anvers adénombré 2.961 morts lors de l'épidémie de 1866. Bienavant que Pasteur et Koch n'aient jeté les bases de labactériologie, le caractère contagieux des maladies quifrappaient surtout les quartiers populaires aux conditionsd'hygiène lamentables avait été établi. En 1848 - année desoulèvements populaires dans plusieurs pays d'Europe et dela publication du "Manifeste du Parti Communiste" par K.Marx - apparurent les notions d'hygiène publique, de santépublique et de salubrité publique.Premières conduites d'eauLes progrès des techniques – notamment dans la sidérurgieet les machines – ont permis la création de réseaux de distributiond'eau de grandes dimensions et à haute pression.Le recours à la filtration d'eau de surface sur lit de sable etl'utilisation de produits chimiques pour le traitement de l'eauont multiplié les ressources disponibles. C'est égalementdans la seconde moitié du 19e siècle que la construction deA l'origine, les communes étaient responsables de la distributiond'eau potable, suivant le principe du décret de laRévolution française de 1790, qui confiait la sécurité et lasalubrité publique aux communes. La création et la gestiondes services d'eau n'étaient cependant pas systématiquementréalisées en pleine propriété par les pouvoirs publicslocaux. Si tel était bien le cas, par exemple à Bruxelles et àLiège, l'exploitation du service de distribution d'eau de Ganda été entamée en 1879 par une société franco-belge. Cen'est que suite à sa mise en faillite en 1885 que la Ville repritle service des eaux en régie. La présence d'une société privéea été encore plus évidente dans le cas d'Anvers, dont ladistribution d'eau a été créée en 1881 par la compagnieanglaise Antwerp Water Works Cy Ltd. Ce n'est qu'en 1930qu'une intercommunale mixte fut créée entre cette sociétéavec laquelle la Ville était liée et certaines communes de lapériphérie. Après la seconde guerre mondiale, la Ville aracheté les parts de la compagnie privée. A Louvain, le servicedes eaux a été assuré dès 1890 par une firme hollandaisejusqu'à sa reprise par la Société nationale desDistributions d'eau en 1950. Cette société hollandaise aégalement créé le service de distribution d'eau de Namur,opérationnel en 1891.Après la seconde guerre mondiale, la distributiond'eau a été étendue à l'ensemble dupays. Les initiatives privées ont disparu et lagestion de la distribution d'eau a été assuréeexclusivement par le secteur public.grands barrages fut entreprise, comme celui de la Gileppe.Les communes les plus prospères ont disposé des moyensfinanciers nécessaires - considérables dans le contexte del'époque - pour la construction des installations de captageet des réseaux de distribution d'eau. Bruxelles fut, en 1858,la première ville belge à disposer d'une distribution d'eaupublique moderne. En 1890, on dénombrait déjà 407 sociétésde distribution d'eau, majoritairement situées en Wallonie.La plupart des communes de la province de Luxembourg, oùles nombreuses sources permettaient un captage d'eau aisé,possédaient un réseau de distribution d'eau à la fin du 19esiècle. Dans les régions rurales de Flandre, les difficultés techniqueset le manque de moyens financiers ont longtempsretardé le développement de la distribution d'eau.Du secteur privé au publicLa loi du 18 août 1907 a permis aux communes de créer uneintercommunale pour la mise en place et l'exploitation deservices de distribution d'eau. La première du genre fut laCompagnie Intercommunale Bruxelloise des Eaux. La loi de1907, qui a connu plusieurs modifications par la suite et estactuellement dans le champ de compétence des Régions,autorisait notamment à procéder à des expropriations dansun but d'utilité publique.Lente expansionCependant, peu de communes profitèrent des avantages dela loi de 1907, si bien que le législateur vota la loi du 26 août1913, autorisant le gouvernement à créer une SociétéNationale des Distributions d'Eau en vue de l'étude, de lamise en place et de l'exploitation de la distribution d'eaudans toutes les communes qui n'en prenaient pas l'initiativeelles-mêmes. Les premiers chantiers de travaux ne furent<strong>cahier</strong>oxfam - juin 200343


En Belgique, l'eau est un service publictoutefois lancés qu'en 1922 dans le Limbourg et dans leBorinage. L'approvisionnement des régions rurales n'a étéréalisé que tardivement. En 1942, seules 11% des communesflamandes et 53% des communes wallonnes disposaientd'une distribution d'eau. En effet, les jeunes sociétéss'étaient fixé comme premier objectif d'alimenter les villes,rassemblant la majeure partie de la population.Pour ce qui est de la Région flamande, un syndicat d'étudea été créé en vue de la réalisation accélérée de l'infrastructured'approvisionnement en eau dans la Région. Ce syndicatd'étude a été constitué en 1989 avec la participation dela Région flamande, de la GIMV (Gewestelijke Investeringsmaatschappijvan Vlaanderen, holding public ) et des 4 grandessociétés de distribution d'eau (VMW, AWW, PIDPA etTMVW). Le 26 juillet 1994, un protocole instaurant uneconcertation flamande en matière d'eau "Vlaams Wateroverleg"(VWO) a été conclu.Après la seconde guerre mondiale, la distribution d'eau a étéétendue à l'ensemble du pays. Les initiatives privées ontdisparu et la gestion de la distribution d'eau a été assuréeexclusivement par le secteur public jusque dans les années1980, au cours desquelles s'est développée une tendance àla participation du secteur privé. C'est ainsi que les intercommunales"mixtes", déjà bien connues dans le secteur del'énergie (gaz-électricité), y ont également fait leur entrée.Durant les toutes dernières années, on assiste cependant àun certain reflux en la matière, principalement par l'absorptionde plusieurs services d'eau (Gand, Ostende, Termonde),gérés durant quelques années par une société privée, ausein de l'Intercommunale publique TMVW (TussengemeentelijkeMaatschappij voor Watervoorziening).Initiatives récentes des RégionsLe Gouvernement wallon encourage l'harmonisation et larationalisation du secteur de la distribution d'eau en tenantcompte des intérêts des communes. La création, en l'an2000, de la SPGE (Société publique de gestion de l'eau),dont une des missions essentielles consiste en la réalisationd'un vaste plan d'épuration des eaux usées dans les zonesprioritaires, s'inscrit dans cette démarche. Le financementSi le secteur de l’eau est très majoritairementaux mains du secteur public en Belgique, lasituation est fort fifférente dans certains autrespays européens.Assainissement des eaux uséesEn Région wallonne, la collecte et l'épuration des eaux uséessont réalisées par 8 sociétés intercommunales pures, couvrantchacune une partie du territoire. Le financement desinstallations nouvelles est, depuis la création de la SPGE,réalisé au moyen d'un système de location-financement, alimentépar les recettes du coût-vérité de l'eau de distributionet des redevances d'épuration perçues par la Région. Auterme de ces contrats, d'une durée de 20 ans, la pleine propriétéen reviendra aux intercommunales, moyennant rachatà la valeur résiduelle des équipements.En Région flamande, un contrat d'une durée de 30 ans a étéconclu en 1991 entre la Région et la s.a. Aquafin, dont lesactionnaires sont le Vlaamse Milieuholding (secteur public), lasociété privée anglaise Severn-Trent et des institutions financières.Aquafin est chargée d'exécuter les plans d'épurationdéfinis par les autorités en réalisant les études, le financement,la construction et l'exploitation des collecteurs et stationsd'épuration. Elle est rémunérée sur base des coûtsréels admis par la Région, augmentés d'une marge bénéficiairefixée contractuellement. Des discussions sont actuellementen cours pour modifier le cadre d'interventioncontractuel d'Aquafin en l'élargissantéventuellement àdes missions d'appui auxcommunes en matière deplans d'égouttage.Dans ce domaine, plusieurscommunes envisagent derecourir à des formules decross-border leasing de leursinstallations en vue de mobiliserles moyens financiersnécessaires pour compléteret/ou rénover les réseauxd'égouts.de ces travaux sera réalisé de manière croissante par le prélèvementd'une cotisation versée par les consommateursd'eau au titre de "coût-vérité", suivant les principes de laDirective-cadre pour une politique européenne de l'eau.En Région de Bruxelles-Capitale, la propriété et lagestion des infrastructures d'assainissement est aux mainsd'organismes du secteur public: la Région (station d'épurationSud, bassins d'orage), des communes (égouts) et d'uneintercommunale (IBRa) (égouts et collecteurs). L'étude, laconstruction et l'exploitation durant 20 ans de la future stationd'épuration Nord ont été confiées à un consortium privé(Aquiris). Le contrat prévoit la rémunération des prestationseffectives.44 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


Ils fournissent l'eau du robineten BelgiqueSociétés régionalesDeux institutions de droit public chargées de l'alimentationen eau ont été créées en 1984 par décisionunilatérale de l'autorité (en l'occurrence la Région).Ces institutions se substituaient à la Société Nationaledes Distributions d'Eau. Il s'agit de la "VlaamseMaatschappij voor Watervoorziening" (VMW) et de la"Société Wallonne des Distributions d'Eau" (SWDE).Ces sociétés ont adopté la forme juridique de sociétéscoopératives. Les associés sont la Région, lesProvinces, les Communes et autres institutionspubliques (par exemple: intercommunales, CPAS...)En ce qui concerne la SWDE, le décret et les statutsprévoient explicitement la participation possible departiculiers. Les communes interviennent dans les fraisd'investissements sur leur territoire par souscription decapital. Les communes reçoivent un dividende dont lemontant est fonction des annuités de leur cofinancement.IntercommunalesLes intercommunales sont des institutions de droitpublic créées par des communes qui s'associent envue de satisfaire des besoins communaux spécifiques.Les intercommunales peuvent adopter la formejuridique d'une société anonyme, d'une coopérative oud'une association sans but lucratif. En dehors descommunes, d'autres personnes de droit public (parexemple les provinces ou d'autres intercommunales)ou privé peuvent faire partie d'une intercommunale.Les statuts des Intercommunales diffèrent essentiellementdans la répartition des résultats (profit ouéventuellement perte) : entre autres la répartition desbénéfices aux associés (après affectation au fonds deréserve légal), l'attribution d'un dividende aux communesuniquement en proportion de leur contribution aufinancement, la mise en réserve de l'ensemble desbénéfices. Ces différences sont souvent fonction desactivités prises en exploitation et du financement desinvestissements (éventuellement avec participationfinancière des communes) et des pouvoirs publics.Jusqu'il y a quelques années, il existait uniquement desintercommunales pures en matière de distributiond'eau. En 1988 fut créée une première intercommunalemixte, à savoir la "Intercommunale voor waterbedelingin Vlaams Brabant" (IWVB) par cinq communes encoopération avec la Compagnie IntercommunaleBruxelloise des Eaux (CIBE) et la société privée s.a.Aquinter. Cette société privée fut créée par la s.a.Tractebel et par la Société française Suez-Lyonnaisedes Eaux et a été depuis reprise par Electrabel.Quelques années après, furent créées les intercommunalesmixtes de distribution, IWOW et IMWV. L'IWOV atoutefois été dissoute en juin 2000 et les communesconcernées ont à nouveau rejoint la TMVW, de mêmeque les Services des Eaux de Gand et d'Ostende(gérés précédemment par Electrabel).Une déclaration d'intention a été signée début 2003 parles Conseils d'Administration des AWW et de la PIDPAen vue de fusionner ces deux intercommunales, confortantde cette manière leur caractère public.Entreprises communalesDans certaines villes et communes, la production et/oula distribution d'eau potable est assurée par une entreprisecommunale.Ces entreprises sont gérées de façon industrielle etcommerciale en dehors des services généraux descommunes. Elles ont une autonomie technique et financière,mais n'ont pas de personnalité juridique propre.Services communauxCes services font partie des services généraux descommunes. Ils n'ont aucune autonomie financière. Ilsubsiste encore un grand nombre de services de cetype, souvent de taille réduite et disposant de moyenstechniques limités, surtout en Région wallonne.ConcessionsLa concession est un contrat à caractère administratifconclu entre un service public et un particulier ouorganisme public, par lequel ce dernier est chargé del'exploitation d'un service public, conformément auxconditions prévues dans l'acte de concession. Etantdonné l'intérêt manifesté depuis une vingtaine d'annéespar le secteur privé pour la distribution d'eau, desconventions de concession ont été conclues par exempleà Gand, Ostende, Tournai et Malmédy. Depuis la fin2001, les concessions de Gand et Ostende ont étéreprises par l'Intercommunale publique TMVW.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 45


En Belgique, l'eau est un service publicEn France, le service est assuré dans près de 70% des communespar un système de gestion déléguée à des sociétésprivées (trois grands groupes : Suez-Ondéo, VivendiEnvironnement et Saur-Bouygues se partagent l'essentiel dumarché). Dans les autres communes, des services municipauxou de syndicats de communes gèrent le service public.Les principales critiques émises contre le système de gestiondéléguée sont le coût exagéré du service – en raison denombreux cas de collusion entre opérateurs et du systèmede corruption très répandu jusqu'au milieu des années 1990,le manque de transparence de la gestion et le risque pour lapérennité à long terme des installations. En effet, les contratsde service sont généralement de durée assez courte oumoyenne – au maximum 15 ans – afin d'assurer un niveaude concurrence suffisant en principe – ce qui apparaîtcontraire au principe de gestion patrimoniale des infrastructures,dont l'horizon économique est d'au moins 50 ans.Le système de gestion déléguée a été introduit avec plus oumoins de succès dans d'autres pays européens, quelquefoisà l'occasion de changements du contexte politique : enEspagne, en Italie et dans plusieurs pays d'Europe centraleet orientale après les libéralisations de 1989.L'évolution la plus récente indique toutefois qu'on assiste àune certaine redistribution des cartes. Dans plusieurs payseuropéens, un mouvement d'opinion – confirmé parfois pardes décisions politiques – réaffirme la nécessité de maintenirle caractère public du service d'eau. C'est largement le casdans les pays germanophones, en Scandinavie et auBenelux.Dans notre pays, l’eau reste une compétence desservices publics.Le contexte européenSi le secteur de l'eau est très majoritairement aux mains dusecteur public en Belgique, la situation est toutefois très différentedans certains pays européens.En Angleterre et au Pays de Galles, les services d'eau ontété privatisés en 1989, dans le cadre de la politique du gouvernementThatcher. Une dizaine de grandes sociétés separtagent le territoire. Elles sont propriétaires des installations.Les privatisations ont suscité le mécontentementd'une large partie des consommateurs: les tarifs ont été substantiellementaugmentés dans la période suivant le rachat– à bon compte – des réseaux, le niveau de service estgénéralement perçu comme médiocre et les salaires et bonificationsque se sont attribués les nouveaux dirigeants descompagnies privées ont donné lieu à de nombreux commentaires.En contrepartie de la privatisation, un système decontrôle renforcé – Drinking Water Inspectorate – a été misen place.Les déboires subis par certains grands opérateurs dansleurs investissements en dehors du secteur de l'eau – particulièrementdans le cas de Vivendi – ou leur volonté de privilégierd'autres axes stratégiques de développement – servicesénergétiques pour le groupe Suez – freinent fortementleurs ambitions. Les filiales "eau" de ces groupes ont étéconsidérées durant les dernières années comme des sourcesde liquidités, ce qui provoque mécontentement et frustrationparmi leurs cadres techniques. Diverses sociétés ouparticipations importantes ont été revendues à d'autresgroupes privés au cours de ces dernières années.Les crises subies dans plusieurs pays du Tiers-monde parcertains groupes – le cas le plus spectaculaire étantl'Argentine – ou les oppositions croissantes des populationslocales et des mouvements altermondialistes les ont parfoiscontraints à inscrire de lourdes provisions et freiné leurexpansion dans ces régions.L'avenir indiquera s'il s'agit d'un simple temps de pausedans une évolution inexorable vers une mainmise des groupesprivés sur les services d'eau à l'échelle planétaire ou sinous assistons aux prémisses d'une véritable alternative,plus respectueuse de droits et des intérêts des populations.Christian Legros est directeur de BELGAQUA,la Fédération belge du secteur de l'Eau.www.belgaqua.be46 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


L'eau, source de conflits et de guerresGéopolitique de l’eauau Moyen-OrientPAR BICHARA KHADERLA RARETÉ ET LA BAISSE DE LA QUALITÉ DE L’EAU CONSTITUENT AUJOURD’HUI DES DÉFIS ÀL’ÉCHELLE MONDIALE ET FONT L’OBJET DE NOMBREUSES CONFÉRENCES ET ÉTUDES TRÈSFOUILLÉES. LA SITUATION SEMBLE PARTICULIÈREMENT PRÉOCCUPANTE AU MOYEN-ORIENT ETEN A<strong>FR</strong>IQUE DU NORD. CES RÉGIONS REPRÉSENTENT 5% DE LA POPULATION MONDIALE, MAISNE DISPOSE QUE DE 1% DES RESSOURCES RENOUVELABLES EN EAU.Parmi les institutions financières, la Banque mondiale (1)s’est montrée particulièrement entreprenante en termesde réflexion sur cette problématique. Son rapport sur l’eauau Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) (2) est un vraicri d’alarme. A défaut d’une maîtrise de la demande, d’unediversification de l’offre, d’un nouvel arbitrage entre les différentesutilisations de l’eau, d’une gestion rationnelle etconjointe des pays riverains des bassins hydrauliques, d’uneentente entre les pays en amont et en aval d’un même fleuve,la région va au devant de conflits "annoncés". Des voixs’élèvent donc de partout pour alerter les gouvernements etles opinions publiques sur les dangers que recèle la continuationdes tendances actuelles de gestion et d’exploitationde l’eau. De multiples propositions sont rendues publiques,allant dans tous les sens : la Banque mondiale tendrait àsoumettre l’eau, tel un produit comme un autre, au libre jeude l’offre et de la demande et à en privatiser la gestion nationaleet régionale; l’Union européenne insisterait davantagesur la "communauté de l’eau", surtout au Proche-Orient.Quant aux Etats, ils défendent les droits acquis ou prônentun partage équitable, mettant en exergue le rapport eaupopulation-besoinsfuturs.A défaut d’un cadre réglementaire précis, l’évolution de lademande et le partage des ressources hydriques rares risquentfort bien de transformer la région MENA et surtout sonversant est, le Moyen-Orient, en une zone éminemmenthydro-conflictuelle, dominée par les pays en amont (laTurquie) ou par des pays en aval mais dotés d’une supérioritémilitaire (Israël).Après avoir passé en revue les données statistiques concernantles ressources hydriques, surtout au Moyen-Orient, cetexte tend à démontrer combien l’eau, qui est source de vie,peut être source de conflit à moins, naturellement, qu’on nes’attèle rapidement à mettre en place des mécanismesrégionaux de concertation et de coopération.L’eau : une ressource rareLa région MENA se situe entre le 42ème et le 12ème parallèleen zone aride pour les 3/4 et où les pluies sont insuffisantes,mal réparties, irrégulières et quelques fois violentes(allant de plus de 1.000 mm dans certaines parties du Haut-Atlas au Maghreb et du Mont-Liban à moins de 100 mmdans les immenses zones désertiques).Comparée à d’autres régions du monde, la région duMoyen-Orient et de l’Afrique du Nord est la "moins bénie duciel" au sens propre du terme puisque les ressources renou-<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 47


L'eau, source de conflits et de guerresvelables en eau oscillent autour de 1.230 m 3 par habitantcontre 36.619 en Océanie, 23.103 en Amérique latine et7.485 en Afrique. L’eau est déjà pour beaucoup de pays laprincipale contrainte qui pèse sur les politiques de développementet d’environnement, voire la survie des populations.Le cas des pays arabes est particulièrement alarmant. Audébut des années 90, neuf de ces pays consommaient déjàplus de 100% de leur stock renouvelable. Huit pays arabes(plus les territoires palestiniens) sont passés sous la barre de500 m 3 par habitant par an, considérée comme le seuil d’unepénurie aiguë. Parmi ces derniers, certains Etats (surtoutdans le Golfe) doivent faire appel à des ressources nonconventionnelles (comme le dessalement ou le traitementdes eaux usées). D’autres doivent opérer des prélèvementsimportants dans leurs nappes phréatiques, occasionnantdes dommages irréversibles en termes de salinité, d’épuisementdes nappes ou de baisse de la qualité de l’eau(Jordanie, Yémen, région de Gaza).Parmi les autres pays arabes, huit se situent au-dessus de labarre de 1.000 m 3 par habitant par an (Oman, Syrie, Liban,Irak, Egypte, Somalie, Maroc, Mauritanie). Mais d’ici l’an2000, de ces huit pays, seulement cinq resteront excédentairespar rapport à la limite de la pénurie, soit 1.000 m 3 parhabitant par an (Mauritanie, Irak, Liban, Syrie, Oman). Et àl’horizon de l’an 2025, trois pays disposeront de ressourcesallant au delà de 1.000 m 3 par habitant par an (Mauritanie,Irak, Liban).Ces chiffres se fondent sur des estimations des disponibilitésen eaux de surface et en eaux souterraines. Mais si ondevait se limiter aux ressources annuelles renouvelables,tous les pays du Moyen-Orient arabe (à l’exception de l’Irak)et de l’Afrique du Nord seraient déficitaires à l’horizon de2025.Certes, on peut mettre en doute la précision des estimations,mais les écarts sont rarement très importants et renvoientà l’opacité des termes utilisés (eaux renouvelables,eaux disponibles, eaux de surface, eaux fossiles). Mais audelàdes chiffres, la raréfaction des ressources en eaurenouvelables est une donnée incontestable et doit être priseen considération dans la recherche des solutions possibles,à l’échelle des Etats et de la région dans son ensemble. Elleva d’ailleurs en s’amplifiant sous les effets conjugués d’unecroissance démographique soutenue (2,8%), quoiqu’enbaisse par rapport aux années 70 (3) , des taux élevés d’urbanisation(de 4,5 à 5% par an), du développement prévisibledu tourisme, des implantations industrielles en milieuurbain, de la part croissante de l’agriculture irriguée et ducoût des solutions alternatives de mobilisation de ressourcesnon conventionnelles (achat, transfert, aqueducs, dessalement,retraitement, pluies artificielles, etc.)Une ressource inégalement répartieIl y a lieu de distinguer ici trois formes de répartition des ressourcesen eau : une répartition en termes de ressources etde demandes, une répartition sectorielle en termes d’utilisationdes eaux et une répartition entre pays à surplus et paysà déficit.Les inégalités en termes de ressources et de demandesdéterminent les stratégies présentes et futures d’exploitationallant du laisser-faire là où les prélèvements sont nettementinférieurs aux ressources, comme en Turquie (avec un tauxde prélèvement de 16%) et au Liban (avec un taux de prélèvementde 8%) (4) , à une gestion de la pénurie. Déjà, certainspays du Moyen-Orient, ainsi que la Libye, utilisent à présentpresque que tout leur "revenu" en eaux renouvelables, oumême vivent sur leur "capital-eau" (comme c’est le cas de laJordanie, du Yémen, de la Bande de Gaza et des pays duGolfe). Pour combler leur déficit, certains pays sontcontraints de retraiter les eaux usées ou de recharger lesnappes au risque tout naturellement de voir diminuer constammentla qualité de l’eau.Les inégalités sectorielles se réfèrent aux utilisations de l’eau.Ici aussi, le paradoxe est frappant : plus de 75% de l’eau auMoyen-Orient et en Afrique du Nord est utilisée dans l’agriculture,alors que la contribution de l’agriculture au PIBdépasse rarement les 24% (Syrie) et les 35% à l’emploi. Ilfaut rappeler que, par le passé, l’eau a été un élémentessentiel de l’essor des "civilisations hydrauliques" commel’Egypte et l’Irak, mais, à l’époque, elle était abondante et lespopulations moins denses. Aujourd’hui, l’utilisation excessivede l’eau dans le secteur agricole paraît irrationnelle, surtoutquand on sait que des millions d’Arabes n’ont pasaccès à l’eau potable. On sera donc amené, tôt ou tard, à seposer la question de savoir s’il faut continuer à consacrertant de ressources en eau rares à des utilisations à faiblevaleur ajoutée. Mais une population ne doit pas seulementboire, elle doit aussi manger. Il y a donc toujours un arbitrageà faire entre les deux besoins.La gestion de la rareté sera également déterminée par lesTableau 1 — Ressources annuelles renouvelablesPays m 3 /habitant/an eaux disponiblesen 2025Maroc 1083 651Algérie 655 354Tunisie 489 319Egypte 1005 645Jordanie 213 91 (50)Syrie 385 161Liban 1200 809Cisjordanie (485) (130)+ Gaza (71) (35)Sources : WORLD BANK, Resources 1992-93 & World Bank Estimates. Les chiffresentre parenthèses sont fournis par Henri TORENT (ANTEA), octobre 1995, polycopié.48 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


concentrations urbaines, surtout celles du littoral. Ici aussi,on devra s’interroger sur leur accaparement excessif desressources en eau des arrière-pays, contribuant ainsi à leurdésertification humaine et physique, étant donné la partcroissante des émissions finales déversées en mer et doncnon réutilisées. On devra s’interroger par conséquent sur larationalité des projets touristiques du littoral, particulièrementgourmands en eau, car il s’agit le plus souvent de tourisme"sun and fun" très dense et fortement localisé dans l’espace(le littoral) et dans le temps (fin du printemps et été).C’est dire qu’à l’intérieur de chacun des Etats à déficit, il va falloirassurer un arbitrage entre les eaux superficielles et les eauxsouterraines (quel sens y a-t-il à produire du blé très cher enépuisant les nappes phréatiques ?), entre la qualité et la quantité,entre les ressources et les demandes, entre l’agriculture etla consommation domestique, entre le littoral et l’arrière-pays.L’inégale répartition des ressources en eau à l’échelle de larégion, surtout du Moyen-Orient, est de loin la plus conflictuelle,car elle met face à face des Etats en amont et en avaldes aquifères et des cours d’eau et des Etats riverains d’unmême bassin, et est souvent l’occasion de litiges répétés,voire de conflits ouverts.En parlant des ressources, on se réfère ici aux eaux de surface(notamment les fleuves-frontières ou les fleuves qui traversentle territoire de plusieurs pays), aux eaux souterraines,notamment les aquifères, et aux bassins hydrographiques.La région du Moyen-Orient comprend les trois types de ressources.C’est sans doute pour cela qu’elle est éminemmenthydro-conflictuelle.Ainsi, en ce qui concerne toute la région, la Turquie, maisaussi le Liban et le Golan syrien, apparaissent comme leschâteaux d’eau. C’est en Turquie que prennent leurs sourcesl’Euphrate et le Tigre. Quant aux sources du Jourdain, ellesse trouvent au Liban, en Israël et sur le Golan. Le bassinhydrographique du Jourdain implique donc quatre Etats etbien sûr la Cisjordanie.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 49


L'eau, source de conflits et de guerresEn ce qui concerne les eaux souterraines,deux aquifères cisjordaniens s’écoulentvers Israël, un autre vers l’est.D’autres écoulements souterrains sefont d’Israël à Gaza, du Sinaï vers leNéguev, de l’Arabie Saoudite vers laJordanie.Les conflits politiques entre Israël et sesvoisins arabes sur le partage des eauxde surface, des flux d’eau transfrontalierset sur la gestion du bassin hydrographiquedu Jourdain ont été fréquentset continuent jusqu’à maintenant et, en dépit de lasignature d’un traité de paix entre Israël et la Jordanie et del’accord économique entre Israël et l’Autorité palestinienne,à envenimer les relations, rendant très difficile une gestioncommune et un partage équitable des ressources hydriques.De même, l’utilisation de l’atout de l’eau par la Turquie a étél’objet de multiples différends entre ce pays et les pays enaval, la Syrie et l’Irak, et entre les pays en aval eux-mêmes (5) .Une situation alarmanteLes ressources en eau dans la région du Moyen-Orient seraréfient et sont inégalement réparties entre les usages ausein de chaque pays. Avec la croissance démographique, laconcentration urbaine, le développement du tourisme demasse et l’expansion de l’économie, la situation ira en empirant.Déjà, on peut distinguer au Moyen-Orient quelquesrares pays encore excédentaires (Turquie, Irak, Liban), jouxtantdes pays menacés de pénurie, tandis que d’autres payssont déjà fortement déficitaires.Au Maghreb, la situation est pour l’heure gérable. Mais sipour le Maroc, la pénurie n’est pas pour sitôt, la Tunisie enrevanche a déjà largement entamé son potentiel. On estimequ’à l’horizon de l’an 2040, la totalité du potentiel mobilisabledes eaux de surface et des eaux souterraines sera àpeine suffisant pour couvrir sa seule consommation urbaine 6) .Quant à l’Algérie, on s’acheminerait vers une véritable pénuriesi le pays ne parvient pas à multiplier les équipementsexistants pour répondre à la demande (7) et surtout à améliorerla gestion de l’eau.Ainsi, en ce qui concerne les pays arabes, le bilan ressources- besoins est déjà déséquilibré. A la pénurie s’ajoute labaisse de la qualité des ressources en eau, compte tenu del’utilisation intensive des produits chimiques qui polluent lescours d’eau et les nappes, le recours au retraitement deseaux usées, à la surexploitation des ressources souterrainesou à la recharge des nappes.Que faire dans ces conditions pour satisfaire une demandequi ira en s’accroissant ? Agir sur la demande, en relevant lesprix (8) ? Ou, au contraire, agir sur l’offre, en modernisant lesréseaux d’adduction en acheminant de l’eau par aqueducs,Tableau 2 — Un exemple de consommation déséquilibrée (en millions m 3 )Consommation Israël Cisjordanie Gaza Jordanie Totalusage domestique 400 48 30 179 657usage industriel 85 5 2 43 137usage agricole 1275 100 92 652 2119Total 1760 153 124 874 2911Total population 5.120.000 1.475.000 932.000 930.000 11.827.000Source : Henri TORRENT, "Les eaux du bassin du Jourdain", polycopié, octobre 1995, p. 6en transportant l’eau par bateau ou par les "Medusa bags",en recourant à des techniques nouvelles de dessalement ouen suscitant des pluies artificielles, en procédant à de grandsaménagements hydrauliques pour ajuster l’offre à la demande,ou en privatisant la gestion de la ressource pour en améliorerl’efficience ?Sans doute serait-il erroné de poser le problème en termesunivoques. La solution résiderait davantage dans une gestiondécentralisée et proche des citoyens à l’intérieur de chacundes Etats et dans une sorte de "communauté de l’eau"à l’échelle de la région. Mais, au sein de chacun des Etatscomme à l’intérieur de toute la région, une idée doit prévaloir :il faut gérer l’eau désormais davantage en termes de conservationet d’économie qu’en termes de distribution.Cette idée est particulièrement chère à l’Union européenne,qui a contribué avec l’ensemble des pays méditerranéens àla rédaction d’une "Charte méditerranéenne de l’Eau", adoptéeà Rome en 1993, et qui a participé activement aux négociationsmultilatérales sur l’eau dans le cadre du processusde paix israélo-arabe. Il s’agirait, du point de vue européen,à travers une concertation régionale, de coordonner les politiquesde protection quantitative et qualitative de la ressource,de mettre en commun des moyens techniques pourcréer une banque de données sur l’eau, modéliser au niveaurégional la dynamique ressources - consommations, de semettre d’accord sur des aménagements communs et l’utilisationde capacités de régulations régionales et peser sur lesdécisions de financement des grandes institutions bancaires (9) .Mais il y a un hic. Une "communauté de l’eau" n’est possiblequ’entre partenaires réconciliés, désireux de travaillerensemble et soucieux d’affronter en groupe les problèmesaigus qui se posent à la région. Tel n’est malheureusementpas le cas aujourd’hui.50 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


L’eau, une bombe à retardement au Moyen-OrientL’eau comme enjeustratégiqueLE PARTAGE DES RESSOURCES EN EAU AU MOYEN-ORIENT ET DANS LE BASSIN DU NIL ONTDÉJÀ DONNÉ LIEU À DE GRAVES INCIDENTS, VOIRE À DES GUERRES OUVERTES (LE CONFLITENTRE L’IRAK ET L’IRAN) ET POURRAIENT, ÀL’AVENIR, SI ELLES NE SONT PAS MAÎTRISÉES,ENGENDRER DES SITUATIONS CONFLICTUELLES GRAVES. LE MAG<strong>HR</strong>EB SERA PEUT-ÊTREÉPARGNÉ. MAIS, EN 1989, LA MAURITANIE S’EST DÉJÀ TROUVÉE EMPÊTRÉE DANS UN CONFLITGRAVE AVEC LE SÉNÉGAL CONCERNANT LE CONTRÔLE DES RIVES DU FLEUVE SÉNÉGAL.C’est au Moyen-Orient et dans le bassin du Nil qu’ontrouve ce que Sironneau appelle les "zones hydroconflictuelles"majeures (10) . Déjà en 1979, le Président Sadateaffirmait sans détours : "la seule question qui pourraitconduire l’Egypte à refaire la guerre, c’est bien l’eau" (11) .C’est dire combien l’eau, au Moyen-Orient comme auMaghreb, est considérée comme un problème relevant de la"sécurité nationale". Au demeurant, les analyses stratégiquesarabes consacrent une place importante à la "sécuritéhydraulique" ("al-’amn al-mâ’i al-’arabi") (12) .Guerres pour l'eauLe caractère "conflictuel" de l’eau est une donnée universelle(13) et n’est donc pas spécifique à la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Mais il prend ici un tour particulièrementgrave dans la mesure où il se greffe sur des problèmespolitiques particulièrement épineux et se développedans une région qui est le lieu de condensation d’identitésmeurtries et d’oppositions irrémédiables. Si jusqu’ici,l’Egypte, pays en aval, n’a pas dû déclarer la guerre pourfaire respecter ses droits sur le Nil, rien n’exclut à l’avenir unetelle éventualité. En revanche, on s’est déjà fait la guerrepour la fixation de la frontière du Chatt El-Arab entre l’Irak etl’Iran (1980-89), pour la délimitation des superficies irriguéesde part et d’autre du fleuve Sénégal (1989), pour le détournementdes eaux du Jourdain ou la rétention des eaux duYarmouk (1966-67). Quant au partage des eaux du Tigre etde l’Euphrate, il a déjà donné lieu à plus d’une crise entre laSyrie et l’Irak (deux pays en aval) et entre ces deux pays arabeset la Turquie (pays en amont). En nous limitant auMoyen-Orient, il y a lieu d’épingler, à titre d’illustration, troisexemples d’hydrogéopolitique (14) : le Nil, l’Euphrate et leJourdain.Le bassin du NilFormé de la jonction du Nil Blanc, qui prend sa source auBurundi, et du Nil Bleu, alimenté par le lac Tara en Ethiopie,le Nil s’étend sur une longueur de 6671 km et son bassinreprésente 3 millions de km2 incluant neuf pays (le Burundi,le Rwanda, la Tanzanie, le Congo-Kinshasa, le Kenya,l’Ouganda, le Soudan, l’Ethiopie et l’Egypte, où il a sonembouchure).Hérodote avait sans doute raison lorsqu’il disait que l’Egypteétait un "don du Nil". Et, de fait, sans le Nil, l’Egypte ne seraitpas l’Egypte (15) . L’importance de cette veine jugulaireexplique sans doute l’acharnement avec lequel les Egyptiens<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 51


L’eau, une bombe à retardement au Moyen-Orientont tenté de garder leur empire sur le Soudan et la place primordialeque continue d’occuper ce pays dans la politiqueextérieure de l’Egypte d’aujourd’hui. Elle explique aussipourquoi l’Egypte considère que toute atteinte sérieuse à sasécurité hydraulique constitue un "casus belli". C’est pourcela que l’Egypte a toujours veillé à faire reconnaître sesdroits légitimes sur le Nil en tant que pays riverain. Avantmême son indépendance formelle en 1922, plusieurs protocoleslui reconnaissaient ces droits, notamment le protocolede 1891 signé par l’Angleterre (représentant l’Egypte et leSoudan) et l’Italie (représentant l’Ethiopie), et le traité de1902 entre l’Italie, l’Angleterre et l’Ethiopie, aux termesduquel celle-ci s’engageait à ne rien entreprendre qui puisseaffecter le débit du Nil (16) .Après son indépendance, l’Egypte signe, en 1929, un traitéavec la Grande-Bretagne, qui représentait le Soudan,l’Ouganda, le Kenya et le Tanganyika. Tous ces traités interdisaientaux autres Etats riverains de procéder à tout acteunilatéral pouvant porter préjudice aux intérêts égyptiens.Sitôt devenu indépendant, le Soudan remet en cause lesaccords "coloniaux" et entreprend unilatéralement en 1957la construction sur le Nil Bleu du barrage de Roseires. En1959, un nouvel accord règle le partage des eaux entre lesdeux pays (55 milliards de m 3 /an pour l’Egypte et 18,5 pourle Soudan). Entre-temps, l’Egypte avait mis en chantier lebarrage d’Assouan.Soucieuse de prévenir de graves conflits entre les pays riverainsdu Nil, l’Egypte cherche à mettre sur pied un mécanismeinstitutionnel et permanent de coopération entre les paysdu bassin du Nil (17) , à l’instar des pays riverains du Rhin enEurope. Et, de fait, lorsqu’en 1977, les pays du bassin de laKagera (un affluent important du Nil) — la Tanzanie, leRwanda, le Burundi — ont décidé de constituer leur propreorganisation, à laquelle l’Ouganda s’est joint en 1981,l’Egypte y a vu le risque d’un morcellement des intérêts despays du bassin et a proposé, depuis 1983, de mettre surpied une organisation pan-nilotique appelé "Undugu" (termeswahili signifiant "fraternité") (18) . Toutefois les guerres internesqui ont ravagé l’Erythrée et l’Ethiopie ou qui ravagent encorele Soudan, le Rwanda et le Burundi, ainsi que les tensionsrécentes entre l’Egypte et le Soudan, accusé de constituer labase arrière des intégristes égyptiens, rendent problématiquele bon fonctionnement d’une organisation de ce genre.Aussi est-il à craindre que les crises économiques, les périodesprolongées de sécheresse et les besoins de développementne provoquent à l’avenir une poussée de fièvre danscette région sensible de l’Afrique et de la Méditerranée.Théoriquement, un pays en aval, comme c’est le cas del’Egypte, devrait se trouver dans une position faible par rapportaux pays en amont. En réalité, c’est le contraire qui sepasse (19) , l’Egypte a réussi jusqu’ici à imposer un rapport deforce qui lui est favorable, recourant tour à tour à la concertationet à l’agitation de la menace. Le 5 juin 1997, le Ministreégyptien de l’Agriculture Youssef Wali n’hésitait pas à déclarerque "l’Egypte a l’intention de demander des comptes auxpays riverains du Nil au sujet des eaux du Nil" (20) , ajoutantque "la part de l’Egypte des eaux du Nil s’élève à 55,5milliards de m 3 par an, alors que les pluies qui tombent surles hauteurs d’Ethiopie – où se trouvent les sources du fleuve– sont estimées à 1.600 milliards de m 3 ".L’avertissement est à peine feutré surtout que l’Ethiopieréclame depuis quelque temps la modification des accordssur le partage des eaux du Nil. Un responsable éthiopienavait indiqué en février 1997 que son pays ne voulait pas"rester le château d’eau d’Afrique et n’utiliser qu’une petitepartie de ses ressources abondantes" (21) .La dépendance de l’Egypte à l’égard du Nil est une composanteessentielle de ses relations avec le Soudan. Elle anotamment conduit en 1982 à la signature d’une charte d’intégrationentre les deux pays, abrogée au lendemain de lachute de Gaafar Al-Numeiry pour être remplacée en février1987 par une charte de fraternité (22) , aujourd’hui en veilleuse.C’est donc l’accord de 1959 qui reste toujours en vigueur.Mais il est clair que "la pression sur les eaux du Nil va accroîtreinéluctablement les tensions dans la région, notammentle jour où l’Ouganda, la Tanzanie et le Kenya - pays qui enregistrentl’un des plus forts taux de croissance démographiqueau monde - se décideront à tirer un meilleur profit deseaux du lac Victoria où le Nil blanc prend sa source".Avec ses 61 millions d’habitants (recensement de 1996),dont 95% sont concentrés dans la vallée du Nil, la survie del’Egypte dépendra des eaux de ce fleuve. Aussi les déclarationsde ses dirigeants selon lesquelles "tout empiètementsur ses droits acquis constitue un "casus belli" ne sont-ellespas pure rhétorique.Le bassin de l’Euphrate et du TigreLong de 2.350 km, l’Euphrate prend sa source en Turquie,qu’il parcourt sur 550 km. Il traverse ensuite le nord-est dela Syrie (700 km), avant de passer en Irak (1.100 km), faisantjonction, plus au sud, avec le Tigre (1.899 km) (23) , formant leChatt Al-Arab (sur 200 km), qui se jette dans le Golfe.Trois pays sont donc concernés par le débit de ces deuxfleuves : la Turquie, bien sûr (puisqu’ils prennent leur sourcedans les montagnes turques), l’Irak et la Syrie. A l’heureactuelle, toutefois, aucun d’eux n’est situé dans la "Waterstress zone" puisqu’ils disposent respectivement de 4.500,de 4.400 et de 1.300 m 3 par an et par habitant.Mais tous les trois sont confrontés à une croissance démographiquegalopante (2,5% en Turquie, 3,3% en Irak et 3,6%en Syrie) et doivent, dès lors, accroître la production agricolepour nourrir la population.Devant faire face à la double nécessité d’irriguer les cultureset de maîtriser les crues du Tigre et de l’Euphrate, l’Irak a été52 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


le premier des trois Etats riverains à mettre en valeur les 30km 3 /an de l’Euphrate et les 50km 3 /an du Tigre. Tout unréseau de canalisations de drainage et plusieurs barragesfurent construits : celui de Mossoul (sur le Tigre) et celui deHaditha (sur l’Euphrate) mis en service en 1985. Un "troisièmefleuve", un canal de 585 km de long, baptisé "canalSaddam Hussein" et reliant le Tigre à l’Euphrate en basseMésopotamie, fut inauguré en décembre 1992. Il devait aiderau drainage des terres irriguées, limiter les inondations enpériode de crue et améliorer la navigation en direction duChatt-el-Arab. Ce canal a été suivi de deux autres : un canalde 140km baptisé "Al-Qadissiyah", reliant la province deNadjaf à la province de Zi-Qar (mars 1992) et un canal de36,5km dans la province de Missan au sud du pays (avril1992), appelé "la couronne des combats". Le creusementd’un quatrième canal, long de 120km et baptisé "la mère desbatailles" a été également entrepris.La Syrie, de son côté, s’est lancée dans le développementde la vallée du Tigre et de l’Euphrate, avec l’extension de l’irrigation,puisqu’elle a notamment construit le barrage "al-Thawra" à Taqba entré en fonction en 1974 (24) , qui fournit àlui tout seul 60% de la production d’électricité du pays, lebarrage régulateur "al-Ba’th" et le barrage d’énergie hydroélectrique"Tichrin" en 1991. En outre, le plan quinquennalprévoit une extension des surfaces irriguées à partir duKhabour, du Sajour et du Balik, ainsi que du Tigre et del’Oronte.Pays en amont, la Turquie a toujours considéré l’eau commeun atout stratégique et un levier de puissance dans ses rapportsavec ses voisins arabes. Aussi, la négociation s’est-elletoujours avérée très difficile.Dès 1964, la Turquie propose à la Syrie un accord sur tousles cours d’eau communs aux deux Etats, c’est-à-dire nonseulement l’Euphrate, mais aussi l’Oronte, qui, lui, prend sasource au Liban et en Syrie et se jette dans le Sandjakd’Alexandrette. Or, cette région est à l’origine syrienne, mais,sous le mandat français, en 1939, la France a cédé ce territoiresyrien à la Turquie. La Syrie n’a jamais reconnu ce quilui apparaît comme une mutilation. Négocier avec la Turquiesur l’Oronte eût été par conséquent une reconnaissance defait de la souveraineté turque sur Alexandrette, ce que lesSyriens ont toujours refusé catégoriquement.Après la construction du barrage "Al-Thawra", la Turquie apromis à la Syrie, en 1982, 15,75 milliards m 3 par an (soit500 m3 à la seconde), mais continue, au début des années80, à rechigner à l’idée de conclure un accord sur le partagedes eaux. Lors d’une visite à Damas, en 1987, l’ancienPremier Ministre turc, Turgut Özal, pose ses conditions pourun accord avec la Syrie : interdiction pour la Syrie de touteactivité anti-turque, expulsion des responsables du Parti desTravailleurs kurdes (PKK) et fermeture des camps d’entraînementde l’Armée de Libération de l’Arménie (ASALA). Enéchange de sa renonciation à soutenir les groupes sépara-Tableau 3 — La géopolitique du bassin du Tigre et de l’EuphrateFleuves Longueur Miljards m 3 / Estuaire Surface du Bassin partagékm sec/an bassin en km 2 et part du paysen %Tigre 1950 43 Golfe Persique 378.834 Irak (58)Iran (28,8)Turquie (13)Syrie (0,2)Euphrate 2780 32 Golfe Persique 400.000 Irak (60)Syrie (13,7)Araxe Caspienne 225.000 URSS (62,3)Turquie (25,3)Iran (12,4)Coruh Mer Noire 21.000 Turquie (91)URSS (8,1)Seyhan Méditerranée TurquieCeyhan Méditerranée TurquieKaroun Tigre Iran, IrakOronte 610 790 mcm Méditerranée 13.000 Syrie (73)Turquie (15)Liban (12)Sources : ONU : "Register of International Rivers", Water Supply and Management, vol.2, 1978;T. NAFF et R.C. MATSON, Water in the Middle East : Conflict or Cooperation, Shoulder, Westview, 1984.B. d’ARMAILLE : "L’eau : un levier de puissance pour la Turquie", Stratégique, n° 55, 3/92, p.176.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 53


L’eau, une bombe à retardement au Moyen-Orienttistes kurdes et arméniens, la Syrie se voit garantir la quotepartde 12 milliards m 3 par an (25) . Mais, pour elle, il s’agissaitd’un accord temporaire qui devait paver la voie, le momentvenu, à un accord trilatéral.Cet accord de juillet 1987 suscite une levée de boucliers enIrak, pour lequel cet accord bilatéral "bafoue les règles internationales",car il exclut l’Irak, autre pays riverain, en mêmetemps qu’il pénalise ce pays, dont la part des eaux del’Euphrate est diminuée à 3 milliards m 3 , débit bien inférieurau niveau normal (9 milliards m 3 ). Outre la limitation du débitde l’Euphrate, l’Irak craint également que l’ambitieux projetturc (GAP) ne conduise à la diminution de la qualité de l’eauen raison du recours excessif à l’utilisation des engrais.Déjà en 1974, le remplissage du grand barrage de Tabqaavait provoqué une grave crise entre la Syrie et l’Irak : le débitde l’Euphrate avait baissé d’un quart, suscitant des émeutespaysannes en Irak. La médiation saoudienne avait alors permisd’éviter un affrontement armé. Le 18 avril 1990, unaccord a été signé fixant la quantité d’eau que la Syrie devaitécouler en Irak (soit 9 Km 3 ).Le partage des eaux du Chatt-el-Arab avait longtemps enveniméles relations entre l’Irak et son voisin iranien. L’accordde 1913 signé à Constantinople délimitait la frontière au profitde l’Irak (selon la ligne des basses eaux du côté iranien).Le Pacte d’amitié irako-iranien de 1937 déplaçait la frontièrecarrément à la rive iranienne. Cet accord fut abrogé unilatéralementen 1959 par le Chah d’Iran. Au faîte de sa puissance,le Chah d’Iran a réussi à imposer à l’Irak la ligne du "thalweg"(ligne médiane) (Accord d’Alger, 6 mars 1975). Cinqans plus tard, éclatait la guerre la plus sanglante entre lesdeux pays. Le contrôle du Chatt-el-Arab en a été probablementle principal enjeu.Les disputes sur l’eau ont été à nouveau ravivées avec le projetturc du GAP. L’achèvement par la Turquie du barrageAtatürk (1987-1990) sur l’Euphrate est une étape importantedu projet du GAP (Guneydogu Anadolu Projesi : Projetd’Anatolie du Sud-Est). Le souci de la Turquie de garder l’eausur son territoire n’est pas nouveau et elle a ainsi construitdepuis de nombreuses années d’immenses barrages et réservoirsdans ce but. Le projet du GAP est le plus récent et le plusambitieux avec pas moins de 22 barrages et 17 centraleshydroélectriques en prévision sur les deux fleuves, dont lamoitié est pratiquement réalisée. C’est dans les années 80que la Turquie a décidé de mettre sur pied ce grand projetindustriel, agricole et hydroélectrique permettant la mise envaleur des hautes vallées du Tigre et de l’Euphrate en irriguantune zone de 1,8 millions d’hectares. Cela devrait permettre àla Turquie de devenir un grenier à céréales et lui assurer la moitiéde ses besoins en électricité.Les grands aménagements turcs ont évidemment des conséquencessur la Syrie et l’Irak. Ainsi, la construction du barrageAtatürk, quatrième barrage du monde par son ampleur (48milliards de m 3 ). Son remplissage en juillet 1992 a fait baisserle débit de l’Euphrate de près de 50% et rien n’empêche vraimentla Turquie d’augmenter ou de baisser ce débit. Or laSyrie dépend à 90% de l’Euphrate pour ses besoins en eau.La Turquie cumule l’avantage de contrôler les sources del’Euphrate et du Tigre et d’être une puissance démographiqueet militaire. De sorte que les commissions bi- ou trilatéralesqui se succèdent depuis vingt ans entre Ankara,Damas et Bagdad ne voient pas leurs conclusions appliquéesmalgré les accords de principe comme en 1987,1990 (26) et encore au printemps 1992. Elles sont souvent suiviesde mesures unilatérales de la part de la Turquie. LaTurquie a compris qu’elle pouvait négocier en position deforce, notamment négocier ses approvisionnements enpétrole contre l’eau (avec l’Irak surtout). Et puis, elle fait pressionsur la Syrie (et, dans une moindre mesure, sur l’Irak)pour qu’elle musèle les indépendantistes kurdes (notammentles séparatistes du PKK) ou, au moins, cesse de lesabriter et de les soutenir. L’Irak a protesté à maintes reprisesauprès de la Ligue Arabe contre la Turquie, l’accusant, ainsique la Syrie, de ne pas tenir compte de l’avis et des intérêtsde l’Irak. La Turquie se serait engagée à se conformer auxaccords de 1987 prévoyant de laisser passer 500 m 3 d’eaupar seconde. Mais l’accord définitif tarde à venir.En attendant, la Turquie propose à ses voisins arabes de leurvendre des produits agricoles et de l’eau et de leur fournir del’électricité. Déjà plusieurs réunions techniques ont été organiséespour étudier le projet d’interconnexion des réseauxélectriques turc et arabes jusqu’au réseau égyptien. Et laTurquie a été plus loin encore en offrant, en avril 1987, devendre au prix de 1,5 dollars le m 3 l’eau des rivières Ceyhanet Seyhan transportées par deux "peace pipelines" acheminantl’eau vers les Etats du Moyen-Orient arabe et Israël.Ce projet est resté lettre morte à cause de son coût prohibitif(20 milliards de dollars), de sa vulnérabilité à des attaquesterroristes et de la peur des pays arabes de se retrouverdans une situation de dépendance vis-à-vis du fournisseurturc. Au-delà de ces objections, il y avait une question deprincipe que soulève fort justement Elisabeth Picard : "étaitiljuste d’offrir de vendre de l’eau (comme le pétrole) alorsqu’on en prive délibérément les Etats riverains du Tigre et del’Euphrate? (27) " Enfin, était-il réaliste de faire une telle propositionalors que le Conflit israélo-arabe n’avait pas encoretrouvé une issue heureuse ? Question fort opportune quandon sait qu’Israël avait envisagé, selon le Wachtel Plan, d’utiliserle canal de bifurcation qui traverserait les hauteurs duGolan comme "tranchée anti-tank", intégrant ainsi ce quidevait être un "pipeline de la paix" dans sa stratégie militaire.Les relations fort tendues entre les riverains du Tigre et del’Euphrate démontrent les conséquences de l’absenced’une véritable législation internationale sur l’eau. Pour l’heure,l’avantage de fait est au pays riverain d’amont. C’est lecas de la Turquie.Jusqu’ici, celle-ci n’a pas voulu accéder à la demande deses co-riverains de conclure un accord multilatéral sur les54 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


quotas de répartition. "Pour elle, les déficits en eau en avalsont liés à une mauvaise gestion et ne relèvent pas dudomaine juridique (28) ".Certes, il y a ici et là des tentatives pour combler ce vide juridique.C’est le cas notamment de l’ONU qui a soumis àl’Assemblée Générale un "Projet d’articles de loi sur l’utilisationdes voies d’eau internationales en dehors de la navigation"(assez bien réglementé). On assiste à l’émergence deprincipes généraux du droit international fondés sur l’obligationde ne pas léser les droits d’autrui ("Sic utere tuo ut alienumnon laedos"). Une commission des Nations Unies travailleà élaborer une nouvelle approche remplaçant la notionde "souveraineté" qu’a chaque Etat sur ses cours d’eau parcelle de "bassin de drainage international". Il s’agirait deprendre en compte un territoire géographique plus large, quidépasserait le simple cours du fleuve, mais tiendrait comptede l’ensemble des pays de la région concernée par le fleuve.L’usage fait par chaque pays du cours d’eau serait ainsiapprécié selon le critère de "l’utilisation raisonnable" des ressourcescommunes. Est-il raisonnable, par exemple, deconstruire tel ou tel barrage, d’un point de vue économique,écologique, humain, etc ? On arriverait ainsi à une notion de"souveraineté territoriale limitée" sur des ressources partagées.Mais toutes ces notions sont encore loin de faire l’unanimitéentre les Etats et n’ont dès lors aucune valeur juridiquecontraignante.Un tel flou juridique n’est pas sans poser de graves problèmes.En fait, pour l’instant, le seul droit qui compte c’est le"droit acquis". La Turquie le sait; c’est pour cela qu’elle n’hésitepas à recourir à l’arme de l’eau comme levier de sa politiqueétrangère (29) .Le bassin du JourdainLa question du partage des eaux du Jourdain et de sesaffluents a été et reste source de tension entre les Etats riverains,surtout entre Israël et ses voisins arabes. Il est donc àpeine étonnant si la question de l’eau a été centrale danstous les projets sionistes depuis la publication par TheodorHerzl en 1896 du livre fondateur "L’Etat juif".Depuis le début des années 80, des dizaines de livres etd’articles ont été consacrés au bassin du Jourdain (30) . Outrel’effet de mode, je crois qu’il faut y voir l’extrême sensibilitéde la région à ce facteur déterminant de la paix et de laguerre.Les ressources en eau des pays riverainsQuatre pays et l’Autorité autonome palestinienne se partagentle bassin du Jourdain :• le Liban est le pays le mieux doté de ressources. Ses ressourcessont estimées à 3.000 m 3 par an par personne(1306 selon H. Torrent) pour une consommation totaleannuelle de l’ordre de 900 millions m 3 . Il est traversé par leLitani, dont le débit à l’embouchure est de 950 millions m 3 ,et de l’Oronte (partie amont) avec 370 millions m 3 et duHasbani, une des sources du Jourdain.• la Syrie est également bien pourvue (1.200 m 3 par an parpersonne). Sa partie occupée par Israël en 1967, le Golan,est une des sources du Jourdain. Mais le pays compte surtoutsur les ressources de l’Euphrate, de l’Oronte et les sourcesde l’Anti-Liban.• la Jordanie est un pays largement déficitaire, avec uneconsommation de 800 millions m 3 par an, (512 m 3 /an, de ressourcesrenouvelables, selon H. Torrent) mais dont au moins210 proviennent de nappes fossiles non renouvelables.• Israël consomme une quantité d’eau (entre 1900 et 2000millions de m 3 ) supérieure à ses ressources renouvelables(± 1.700 millions) (31) .• Les Palestiniens sont de loin les plus lésés dans la mesureoù leur consommation est une des plus faibles dans la régionalors que leurs ressources sont largement utilisées par les<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 55


L’eau, une bombe à retardement au Moyen-OrientIsraéliens (qui surexploitent les acquifères montagneux) et lescolons juifs installés dans leurs territoires qui leur disputentles eaux souterraines et de surface.Tel est globalement le tableau de bord de la région : deuxpays excédentaires (Liban, Syrie), trois autres largement déficitaires(Jordanie, Territoires palestiniens) et Israël qui parvientnéanmoins à couvrir ses besoins en exploitant les ressourcesdes Territoires Occupés.A l’horizon de l’an 2025, la situation de ces trois entités serapratiquement insoutenable.Tableau 4 — L’eau au Proche-Orient(minimum vital 1.000 m 3 /an/personne) (32)1992 1995Liban 1306 945Israël 327 200Jordanie 231 50Cisjordanie) 485 ) 556 130 ) 165Gaza) 71 ) 35 )Ainsi, seul le Liban peut espérer faire face à l’accroissementde ses besoins sans devoir recourir à des méthodes nonconventionnellesde mobilisation de nouvelles ressources eneau. Pour les autres, le plus dur est à venir.La raréfaction des ressources en eau, déjà bien réelle, maisqui ira en s’amplifiant, a déjà provoqué de nombreux conflitsdans le passé (destruction par Israël d’un barrage syro-jordanien,Khaled Ibn al Walid en construction sur le Yarmouken 1967 (33), guerre des six jours le 5 juin 1967 avec occupationdu Golan et de la Cisjordanie, occupation du SudLiban en 1982). Et il ne fait aucun doute qu’en l’absenced’une paix équitable, durable et globale, permettant unegestion concertée du bassin du Jourdain, d’autres conflitséclateront, mettant toute la région à feu et à sang.Le Jourdain israélienLe Jourdain prend naissance dans le Mont Hermon (Djabal Al-Cheikh) et est alimenté par trois rivières : le Hasbani, le Dan etle Banyas. Son débit annuel après la confluence des 3 rivièresest de 500 millions de m 3 (soit la moitié du débit du Litani à sonembouchure méditerranéenne). Le Haut Jourdain parcourt untrajet de 17 km avant de rejoindre le lac de Tibériade, situé à210 mètres au-dessous du niveau de la mer.Entre le lac de Tibériade et la Mer morte où il se jette après 320km de méandres, le Jourdain reçoit son principal affluent : leYarmouk, un fleuve commun à la Jordanie et à la Syrie.En cours de trajet, d’importants prélèvements sont opérés, cequi explique que ce sont seulement 1.850 millions de m 3annuels qui sont déversés dans la Mer Morte, dont seulement23% est originaire d’Israël dans ses frontières de 1967 (34) .Et pourtant, très tôt après sa création, l’Etat d’Israël va secomporter comme si le bassin du Jourdain était presque une"affaire intérieure". En 1953, les autorités israéliennes entreprennentla construction d’un canal (National Water Carrier)pour détourner l’eau du Jourdain vers le désert du Néguev.L’émotion et la colère sont telles dans les pays arabes que leprésident Eisenhower dépêche dans la région Eric Johnston,pour désamorcer la crise. Son plan (1955) répartit les eauxdu Jourdain selon les quotas suivants : 56% à la Jordanie,31% à Israël, 10% à la Syrie et 3% au Liban.Tableau 5 — Plan Johnston, 1955 (en millions de m 3 ) (35)Liban Syrie Jordanie Israël TotalHasbani 35 35Banias 20 20Jourdain 22 100 375 497Yarmouk 90 377 25 492autresaffluents de lavallée du Ghor. 243 243Total 35 132 720 400 1287% 2,70% 10,25% 56% 31,03% 100%Si le plan Johnston fut accepté par le comité techniquearabe, il fut néanmoins rejeté par le Conseil de la Ligue arabequi considère que le plan fait la part belle à Israël. Celui-cireprend donc, en 1963, ses grands travaux pour capter l’eaudu Jourdain. Par mesure de rétorsion, les Etats décident, auSommet du Caire de janvier 1964, le détournement des eauxdes deux fleuves Hasbani et Banyas vers le Yarmouk (36) .L’exécution du projet débute en 1965, enclenchant lesattaques militaires d’Israël en 1965 et 1966. En avril, puis enjuin 1967, Israël va occuper tous les rivages syriens sur leshauteurs du Golan. Ainsi la guerre de 1967 doit être luecomme une guerre pour le contrôle de l’eau (37) .En effet, depuis 1967, Israël contrôle non seulement lessources du Banyas, affluent syrien du Jourdain, ainsi que letriangle du Yarmouk, mais aussi les aquifères montagneuxcisjordaniens et leurs aires de recharge. Depuis 1982, Israëloccupe le sud du Liban, ce qui lui assure le contrôle d’autresaffluents du Jourdain : le Wazzani et le Hasbani, ainsi quele cours supérieur du fleuve Litani.Tout ceci démontre l’enjeu politique du contrôle de l’eau etéclaire sous un jour nouveau la difficulté de dénouer l’écheveauisraélo-arabe et plus particulièrement israélo-palestinien.L’eau dans les rapportsisraélo-palestiniensA partir de 1967, la Cisjordanie et Gaza sont placés sousoccupation israélienne. Les négociations de paix ont permisl’installation de l’Autorité Nationale Palestinienne, l’évacua-56 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


L’eau, une bombe à retardement au Moyen-Orientsouveraineté jordanienne, tout en "appartenant" à des propriétairesprivés israéliens. Il en découle une confusion juridiquequi frise l’absurde car les propriétaires israéliens restentsoumis à la loi israélienne pour tout ce qui concerneleurs activités extra-territoriales. Comme l’écrasante majoritéde la population est israélienne, on se trouve donc dans unesituation paradoxale où le drapeau jordanien flotte à Al-Baqûra mais celle-ci demeure sous un contrôle de fait israélien.Les Israéliens peuvent y résider sans autorisation et yexploiter comme bon leur semble toutes les ressources eneau.Analysant la question de l’eau dans le traité jordano-israélien,certains auteurs s’étaient trop vite félicités de l’attitudecoopérative qui a caractérisé les négociations et qui aurait"mis fin aux tensions ... entre la Jordanie et Israël" (39) . C’estsans doute aller trop vite en besogne. Bâti sur l’ambiguïté,cet accord donnera lieu à des interprétations divergentes etnul doute que la partie la plus lésée, en l’occurrence laJordanie, cherchera à l’avenir à le remettre en cause.L’eau et la stratégie israélienneToutes les analyses sérieuses le disent clairement : Israël faitface à un sérieux manque d’eau qui ira en s’aggravant. Etpourtant son agriculture consomme plus de 70% des eauxdisponibles. Cela ne s’explique pas par le seul souci de rentabilitémais par la fonction idéologique du développementagricole dans le mouvement sioniste. En effet, l’agriculturedevait enraciner sur le sol palestinien des migrants souventd’origine urbaine, recréer un lien affectif entre les juifs et leur"terre promise", occuper le territoire pour y créer d’abord laYishouv puis l’Etat d’Israël, disséminer les colonies à traverstout le territoire (y compris, après 1967, les territoires palestiniensoccupés), faire fructifier tout l’espace y compris leNeguev. L’eau permettait tout cela : le développement agricole,la dispersion de la population, la "rédemption du sol"(to redeem the land). Ainsi l’eau a eu, et a encore, une fonctionsociale et idéologique qui n’échappe à personne.Cette politique, sans doute compréhensible du point de vuesioniste, n’est plus tenable pour Israël et n’est plus acceptablepar ses voisins. D’abord en Israël, il n’y a plus de nouvellessources disponibles sur son territoire. Quant aux procédésmodernes de dessalement et de traitement des eauxusées, ils demeurent onéreux et ne fournissent à Israël quedes quantités limitées. Donc Israël est contraint de surexploiterles ressources provenant des nappes aquifères montagneusespalestiniennes, couvrant ainsi entre 30 à 50% deses besoins.A l’intérieur des territoires palestiniens, les colonies ont proliféré,pompant l’eau à volonté et irriguant les terres expropriées.Les chiffres sont éloquents : Déjà en 1989, 90% desterres occupées par les colons israéliens en Cisjordanie et àGaza sont irriguées contre seulement 2,5% des terresappartenant aux Palestiniens.L'eau : source de colèreQuand on a ces chiffres devant les yeux, on comprend aisémentla frustration et la colère des Palestiniens qui, à Gaza,doivent boire de l’eau "saumâtre" car il leur a été pendantplus de 25 ans interdit par décret militaire (n° 92) "de mettreen place, d’assembler, de posséder ou de faire fonctionnerune installation d’eau à moins qu’on ait obtenu au préalableun permis du commandant de la région". Or, pour lesPalestiniens, ces permis ont été donnés, si j’ose dire, aucompte-gouttes.De plus, le forage de nouveaux puits, plus profonds, par lesIsraéliens, a provoqué, dans certains cas, une baisse duniveau des aquifères, l’assèchement de sources ancienneset de puits peu profonds habituellement utilisés pour l’usagedomestique.Pour conclure, cette situation marquée non seulement par legaspillage mais surtout par l’injustice sera de moins enmoins soutenable. Et en dépit des accords conclus, les tensionssur l’eau continueront à crisper les relations entre Israëlet ses voisins.L’équation "eau-démographie" dans toute la Méditerranéese posera donc de manière aiguë au cours de la prochainedécennie. Et on voit mal comment on pourra éviter les "guerrespour l’eau", en dehors d’un nouvel ordre hydraulique prenanten compte les besoins légitimes de chaque acteur dusystème régional. Cet ordre hydraulique devra se fonder surles principes de l’unité de gestion (intégration des eaux souterrainestransfrontalières), de la "communauté d’intérêts" etdu partage "équitable et raisonnable".Mais tout cela présuppose naturellement de démêler l’écheveauisraélo-arabe. D’ici là "beaucoup d’eau coulera sous lepont Mirabeau", comme le dit le dicton français.Bichara Khader est chargé de cours à l'UniversitéCatholique de Louvain-la-Neuve et directeur du Centred'Etudes et de Recherches sur le Monde arabecontemporain.58 <strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003


L’eau, une bombe à retardement au Moyen-OrientNotes :(1) WORLD BANK, From Scarcity to Security : Averting a Water Crisis in the Middle East and North Africa, Washington, 1994, 32 p. WORLDBANK, A Strategy for Managing Water in the Middle East and North Africa, Washington, 1994, 72 p.(2) D'après la Banque Mondiale, la "MENA Region" comprend les pays arabes (sans le Soudan, Djibouti, la Somalie et la Mauritanie), l'Iran,Israël et Malte (mais sans Chypre et la Turquie). Un découpage bien arbitraire.(3) Les démographes insistent sur l'hétérogénéité des trajectoires démographiques des pays arabes en soulignant le fléchissement sensibledes indices synthétiques de fécondité au Maghreb, alors que le nombre d'enfants par femme demeure élevé dans les pays du Golfe, à Gaza,en Jordanie, en Syrie et au Yémen. Cf. Bichara KHADER, Démographie, marché du travail, coopération en Méditerranée, Rapport présentéà la Conférence CSCM, Union interparlementaire, Monaco, 3-4 juillet 1997(4) C'est ce que l'on appelle l'indice d'exploitation, qui représente le rapport entre les prélèvements en eau totaux et les ressources en eaunaturelles globales. Il est à différencier de l'indice de consommation, qui est le rapport des quantités d'eau consommées par les usagers(donc non retournées au milieu naturel) aux ressources globales. Cf. les Fascicules du Plan bleu, n°6, Paris, Economica, 1992(5) B. d'ARMAILLE, "L'eau : un levier de puissance pour la Turquie", Stratégique, n°55, 3 / 92(6) George MUTIN, "L'eau : une ressource rare", in R. ESCALLIER, pp. 85 et suivantes.(7) Mohamed EL-FAIZ, Dossier sur l'eau au Maghreb in Maghreb-Magazine, n°19, novembre 1993(8) ... comme le suggèrent la Banque mondiale et certains experts s'inspirant de la même philosophie libérale. Cf. Gershon FEDER & GuyLE MOIGNE, "Une gestion équilibrée des ressources en eau", Finances et Développement, juin 1994, pp. 24-27(9) Cf. TORRENT, op.cit.(10) J. SIRONNEAU, "l'eau : ressource stratégique", in Géopolitique, automne 1993, n° 43, p.49.(11) "The only matter that could take Egypt to war again is water." : in Joyce STARR, "Water Wars", Foreign Policy, n°82, Spring 1991, pp.17-30(12) Cf. Al-Abdallah, La sécurité hydraulique arabe, (en arabe), Centre d'Etudes Stratégiques et de documentation, Beyrouth, 1992.(13) Peter GLEICK : "Water and conflict" in International Security, vol.18, n° 1, pp.79-112.(14) Cf. René MAURY, "Idropolitica : un nuovo capitolo della geografia politica e economica", Rivista geografica italiana, n°99, 1992, pp. 712-727(15) Jacques BESANCON, L'homme et le Nil, Gallimard, Paris, 1957.(16) Abbas KASSEM : "La convoitise sur les eaux arabes : la dimension géopolitique" (en arabe), in Al-Mustaqbal Al-Arabi, 174, août 1993,pp.15-52.(17) Pour plus d'informations, voir l'excellent livre de John Waterbury, Hydropolitics in the Nile Valley, Syracuse University Press, 1979, 254p.(18) L'Ethiopie refuse d'adhérer à cette organisation, sous le prétexte que la négociation sur l'eau doit se dérouler à trois (Egypte, Soudan,Ethiopie) et non à neuf.(19) Jeroen WARNER, Tightropes across the river : managing conflict in Middle East river basins", Occasional Paper, n°17, April 1993. JohnWaterbury résume bien la situation en décrivant l'Egypte comme un "quasi-hegemon" : "It cannot impose a solution but it can coax and threatenits neighbors convincingly"(20) El-Akhbar, 5 juin 1997(21) Marchés tropicaux et méditerranéens, 13 juin 1997, p. 1292(22) Dossier préparé par Arabies, "Fleuves et politique dans le monde arabe : l'eau et le feu", juillet-août 1990, pp. 45-47(23) Le Tigre prend naissance au sud du lac Van, coule en Turquie, mais ne pénètre pas en Syrie.(24) Le barrage crée une retenue, le lac Assad, couvrant 640km2 et emmagasine 12 milliards de m3. La puissance retenue permet de produire5,6 milliards de Kwh et d'irriguer la moitié des terres agricoles syriennes. En réalité, le barrage ne fournit que la moitié des mégawattsprévus et n'irrigue que 20.000 hectares des 100.000 hectares équipés. (Jean DEBAGHY parle de 240.000 hectares "L'Euphrate : difficilerègle de trois", in Arabies, juillet-août 1990, p.50.(25) La moyenne du débit de l'Euphrate à l'entrée de la Syrie jusqu'au début des années 80 était de 30,7 milliards de m3.(26) Le 13 janvier 1990, la Turquie a commencé le remplissage du barrage Ataturk. Cette opération a duré un mois entier. Elle a fait la sourdeoreille aux appels répétés, surtout de l'Irak, d'écourter la période de remplissage. Philip ROBINS, Turkey and the Middle East, Printer,London, 1991, pp.90-92.(27) Elisabeth PICARD, art.cit., p.78.(28) George MUTIN, art.cit., p.113.(29) "Although Ankara has formally stated that the rivers will not be used as a political weapon, in reality, it is difficult to imagine that water willnot be used, whether explicitly or implicitly, as a lever of its foreign policy". Philip ROBINS, Turkey and the Middle East, Printer, London, 1991,p.99.(30) Epinglons les titres suivants :N. BESCHORNER, "L'eau et le processus de paix israélo-arabe", Politique étrangère, hiver 1992, pp. 848-849;Abdennour BENANTAR, "La question de l'eau dans les négociations arabo-israéliennes", Revue d'Etudes palestiniennes, n°47, printemps1993, pp. 81-99;Kali AL-BACHI', L'eau et la paix : point de vue israélien (en arabe), Institut d'Etudes palestiniennes, Beyrouth, 1991;Sobhi KAHKALA, La question de l'eau en Israël et ses implications sur le conflit israélo-arabe (en arabe), Institut d'Etudes palestiniennes,Beyrouth, 1986;Bernadette KUBORNE, Les négociations multilatérales israélo-arabes : le cas de l'eau, Mémoire de licence (dir. B. KHADER), Universitécatholique de Louvain, 1996Eugenia FERRAGINA, René MAURY & Maria Luisa TUFANO, Alcune considerazioni sulla gestione delle risorse idriche nei paesi medio-orientali: il caso della Giordania, Communication au Colloque sur la Jordanie, Naples, 13-14 octobre 1989Julie TROTTIER, "L'eau, la Jordanie et l'entité palestinienne naissante", Les Cahiers du Monde arabe, CERMAC, Université de Louvain-la-Neuve, n°122-123, 1995M. R. LOWI, Water and Power : The Politics of a Scarce Resource in the Jordan River Basin, Cambridge University Press, 1993N. KLIOT, Water Resources and Conflict in the Middle East, London, Routledge, 1994Masahiro MURAKAMI, Managing Water for Peace in the Middle East, Tokyo, UN University Press, 1995(31) Georges MUTIN, art. cit., p.112.(32) Henri TORRENT, art.cit., p.3.(33) Un accord syro-jordanien de 1987 a prévu l'édification d'un barrage de l'unité (Al-Wahda) sur le Yarmouk.(34) Georges MUTIN, p.114.(35) Avant le plan Johnston de 1955, il y a eu, entre autres, le Plan Mac Donald (1951), le plan Banger (1952), le plan Baker et Herza (1953-55), le plan Meen (1953) le plan Kuton (1954-55) - cf. "El agua : un factor para el conflicto o la paz en el Medio Oriente", in Revista deSodepaz, n° 9, juin-septembre 1992, pp.59-60.(36) C'est au cours de ce sommet que la Ligue des Etats Arabes met sur pied l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP).(37) Ariel Sharon le confirme sans détours : "... En réalité, la guerre des six jours (1967) a commencé deux ans et demi plus tôt lorsque Israëla décidé de contrer le détournement du Jourdain" (On the day Israël decided to act against the diversion of Jordan), in John Bullock & AdelDarwish : Water wars : coming conflicts in the Middle East, London, Victor Gollanez, ed. 1993, p.50.(38) Cf. Julie TROTTIER, art.cit., pp.19-20.(39) Pina AUTIERO : "La coopération dans la gestion du bassin du Jourdain : l'exemple d'Israël et de la Jordanie", in Rive, n° 1, 1996, p.54.<strong>cahier</strong>oxfam - juin 2003 59


Livres, Revues et InternetLivres• Maude Barlow et Tony Clarke, "L'or bleu – L'eau, le grandenjeu du XXIe siècle", Ed. Fayard, 2002, 377 pages.• Belgaqua, "Le livre bleu de Belgaqua – Tout ce que vous aveztoujours voulu savoir sur l'eau potable et l'assainissement deseaux usées", Belgaqua, 1998, 80 pages.• Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides, "OMC, le pouvoirinvisible", Editions Fayard, Paris, 2002, 342 pages.• Pierre Cornut, "Histoires d'eau – Les enjeux de l'eau potable auXXIe siècle en Europe occidentale", Ed. Luc Pire, Bruxelles, 2003,142 pages.• Marc Laimé, "Le dossier de l'eau. Pénurie, corruption, pollution",Le Seuil, 2003, 396 pages.• Riccardo Petrella, "Le manifeste de l'eau. Pour un contrat mondial",Ed. Labor, Bruxelles, 1998, 152 pages.• Riccardo Petrella (sous la direction de), "L'eau, res publica oumarchandise?", La Dispute, Paris, 2003, 219 pages.• Vandana Shiva, "La guerre de l'eau. Privatisation, pollution etprofit", Ed. Parangon, 2003, 166 pages.Revues• "L'AGCS ou comment revenir sur 200 ans de conquêtes politiqueset sociales et recoloniser le Sud" par Raoul Marc Jennar,Oxfam-Solidarité / Urfig, mai 2003, 30 pages.• "Les enjeux de Cancún" par Raoul Marc Jennar, Oxfam-Solidarité/ Urfig, mai 2003, 46 pages.• "La ruée vers l'eau", Manière de voir (Le Monde diplomatique)n°65, septembre-octobre 2002.• "L'eau, patrimoine commun de l'humanité", Alternatives Sud vol.VIII (2001), n°4, Ed. Centre tricontinental – L'Harmattan, 308pages.• "Géopolitique de l'eau", Hérodote n°102, Paris, La découverte,2001, 169 pages.Internet• www.oxfamsol.be/fr/eau : dossier de la campagne "eau = sourcede vie, pas de profit" d'Oxfam-Solidarité.• www.pouruncommerceequitable.com : campagne d'OxfamInternational pour un commerce mondial plus équitable. Ce site areçu le "One World new media award" 2003.• www.gatswatch.org : informations critiques et régulières surl'Accord général sur le commerce des services.• www.psiru.org : "Public Services International Research Unit",un département de l'Université anglaise de Greenwich spécialisédans la recherche sur la privatisation et la restructuration des servicespublics dans le monde et en particulier les services d'eau.• www.ourworldisnotforsale.org : le réseau "Notre monde n'estpas à vendre" lutte contre les méfaits de la mondialisation de l'économiepar les multinationales.• www.acme-eau.com : association pour le contrat mondial del'eau.• www.leaupourtous.be : association belge pour un contrat mondialde l'eau• www.contrattoacqua.it : forum alternatif mondial de l'eau.• www.belgaqua.be : fédération belge du secteur de l'eau.• wb.attac.be/rubrique2.html : campagne d'ATTAC-Belgique surl'AGCS.• www.blueplanetproject.net : site du Projet Planète Bleue, uneinitiative du Conseil des Canadiens (Maude Barlow).• www.h2o.net : un journal de l'eau en ligne.• www.seaus.org : site collectif de la coordination nationale françaisedes associations de consommateurs d'eau (CACE).• www.fgtb.be/code/fr/Documents/2003/AGCS/c15_03e01Idx.htm :brochure "AGCS - Nous ne sommes pas des marchandises !" dusyndicat belge socialiste FGTB.• www.acv-csc.be/newacv/fr/actualite/nouvelle/2003/Memorandum FSCSP 2003.pdf : brochure "Nos priorités pourun meilleur service public" du syndicat belge chrétien CSC.• www.wdm.org.uk/campaign/GATS.htm :Stop the GATSastrophe! Une campagne menée par le WorldDevelopment mouvement.• www.polarisinstitute.org : Polaris Institute, dont Tony Clarke estdirecteur.• www.cdc.org.sv : le Centre pour la défense des consommateurs(Salvador), partenaire d'Oxfam-Solidarité (en Espagnol).<strong>cahier</strong>oxfamOnt collaboré à ce numéro: Stefaan Declercq, Wim de Neuter,Sara Grusky, Raoul M. Jennar, Fabrice Kada, Thierry Kesteloot,Bichara Khader, Martin Khor, Brahim Lahouel, Christian Legros.Rédaction finale : Fabrice KadaMise en pages : ImaginePhotos : Eric de Mildt et Tineke D’haese<strong>cahier</strong>Oxfam est édité par Oxfam-Solidarité,rue des quatre vents 60 – 1080 BruxellesRédaction : 02/ 501 67 58redaction@oxfamsol.besite Internet : www.oxfamsol.be

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