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AUPELF #4 - Le français à l'université - AUF

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COUP D’ŒILL’Agence universitaire de la Francophonie aorganisé à l’occasion de son Assemblée généraleextraordinaire, qui s’est tenue à Québecles 18 et 19 mai dernier, une conférence-débatsur le thème: «le français: une langue pour lascience».Nous reproduisons ci-dessous l’interventiond’Aminata Sow Fall.Professeur de lettres modernes et fondatriced’organismes africains d’animation, d’échangeset de recherche sur la littérature, les arts etla culture, Aminata Sow Fall est aussi un écrivainde renom, auteur de romans primés.La table ronde accueillait cinq autres participants:• Jean-Claude Guédon, le conférencier principal,qui est professeur à l’université de Montréal.• Michèle Gendreau-Massaloux, Rectrice del’Agence universitaire de la Francophonie.• Robert Chaudenson, professeur à l’universitéd’Aix-Marseille 1.• Charles Durand, professeur à l’université deBelfort-Montbéliard.• Philippe Lazar, Conseiller maître à la Cour descomptes.L’ensemble des contributions à la table rondefera l’objet d’une publication qui sera disponibleauprès de l’Agence universitaire de laFrancophonie.La langue française, langue vivanteMadame le Recteur,Mesdames, Messieurs,Tout d’abord je saisis maintenant l’occasionde remercier Madame Gendreau– Massaloux,Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie,de m’avoir invitée et de m’offrirainsi l’occasion d’échanger des points de vuesur une problématique importante: la languefrançaise comme outil de communicationscientifique.Avant d’entrer dans le vif du sujet et en raisondes facettes multiples de la Francophonie, jepense devoir apporter quelques précisions.• Je n’évolue pas dans le domaine des sciencesexactes. J’aborderai la question sous unangle plutôt humaniste.• Je suis d’ethnie de la langue wolof et ai étéélevée dans cette langue qui au Sénégal estparlée par près de 90% de la population etcôtoie d’autres langues – égales en dignité– comme le pulaar, le sereer, le mandingue,le diola, le soninké pour ne citer que celleslà.J’ai acquis la langue française dans les conditionshistoriques que vous savez, à une époqueoù, en trois siècles de présence à Saint-Louisma ville – mon île – mon pays, elle avait déjàfini de marquer son empreinte sur les lieux(l’architecture) ainsi que dans l’âme et le cœurde nombreuses générations d’hommes et defemmes. Je l’ai intégrée dans mon patrimoinesans déchirement et sans ambiguïté pour avoirappris très tôt que l’identité se fortifie ets’enrichit des souffles qui animent ici-bas lesêtres humains dans leur quête de survie, d’idéalet permanence. Avant l’école française, j’avaisdéjà entendu et senti le chant épique du griot,entendu et compris la leçon du conte, écoutéla parole de l’aîné.Je vivais dans un contexte de bouillonnementculturel et intellectuel à mille voix, mille tonalitéset accents, parmi des gens de toutesconditions armés de la conscience de leur identitéet d’une certitude enseignée par le proverbeque Léopold Sédar Senghor aime si bienciter : nit, nit ay garabam (l’homme est leremède de l’homme). Pour dire ce que chaquehomme (ou femme) peut donner et gagner enbien auprès de son prochain.Dans ma langue maternelle, j’ai appris à vivrema culture avec émotion, avec bonheur aussi,à travers les traditions et la littérature orales,parmi des générations d’hommes et de femmesqui déjà, alors que j’étais enfant, possédaientune double culture: celle de notre authenticitéet la culture française, sans cesser de semaintenir dans un équilibre parfait. Ils avaienteu la chance de comprendre que l’on peutdigérer d’autres cultures sans cesser d’être soimêmetout en revalorisant son propre héritage.La langue française est donc mienne, à cetitre. Bien que n’étant pas une spécialiste dessciences exactes, j’entre dans le débat parceque tout simplement il s’agit de la langue etque la langue que les scientifiques utilisentpour leurs communications scientifiques estla langue de tout le monde. Il s’y ajoute que lalangue pose et posera toujours problème, etc’est tant mieux pour sa survie, car les languesmortes ne seront jamais plus chahutées.La langue est la vitrine par excellence de l’identité;elle est le moteur essentiel de notre existenceparce qu’elle exprime les quêtes, lesidéaux, les sentiments et les créations. Touten l’homme (et la femme, bien sûr) se déclinedans la langue sur le long chemin de l’aventurehumaine. Jamais figée – sous peine de mourir– la langue suit l’évolution du temps.Elle doit être capable de traduire ce qui bougedans le corps et dans l’âme et ce que l’intelligencea donné à voir. La science est en ce sensune potentialité inscrite dans le destin dugenre humain. Il faut bien sûr y arriver, il fautbénéficier de la grâce d’accéder aux lumières.<strong>Le</strong> chemin est souvent très ardu.Tous les peuples ne marchent pas au mêmerythme, mais partout où la science se découvre,la langue doit pouvoir la prendre en chargecomme elle le fait de toutes les aspirations etde tous les projets de ceux qui la parlent, entout temps, en tout lieu, en toute circonstance,pour la bonne raison que la langue secrée et se recrée sans cesse dans un processusinéluctable de destruction et de re-composition.La langue scientifique s’invente commedu reste la langue littéraire, la langue commercialeou industrielle. <strong>Le</strong> «jargon» médicalou militaire … indique que l’on s’est taillé undomaine réservé sur un patrimoine commun.Chacun cherche sa langue : l’écrivain toutautant que l’homme de science qui veut transmettreet partager son savoir.La réponse est donc oui, à mon avis. La languefrançaise est une langue pour la science parcequ’elle est une langue vivante faite pour captertous les soubresauts de la vie, toutes lesrecherches et aussi les conquêtes qui anoblissentl’espèce humaine lorsqu’elle maîtrise lessecrets de l’univers. Elle a déjà une longue traditionde communication scientifique.<strong>Le</strong> débat n’est donc pas là, mais dans lesmoyens à mettre en œuvre afin que, en cetteère de mondialisation où sévit impitoyablementla loi du marché, la langue française puisses’épanouir à l’échelle du monde dans un systèmeéquilibré ouvert à toutes les voix, toutesles sensibilités, toutes les cultures.La richesse du monde se consolide dans ladiversité des perceptions et des expressions.Même dans la communication scientifique, lesaccents et les émotions doivent trouver leurjuste place pour nous sauver d’une uniformisationdésastreuse et sauvegarder notre humanité.Celle-ci, en effet, se conforte dans laconfrontation pacifique (!) et fructueuse denos visions différentes mais convergeant versl’idéal unique de notre dignité.Chaque langue (et la culture qu’elle véhicule)doit pouvoir éclairer de sa vision particulièrela vérité scientifique qui n’en demeurera pasmoins une réalité universelle servie à la fois parla raison et l’intuition.3

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