PLUSIEURS DÉTOURNEMENTS POSSIBLESLa presque totalité des organisations se sont prononcées contre l’avantprojetde loi tel que déposé par le gouvernement. Les principaux argu -ments concernaient la nécessité de la collecte d’informations, la centrali -sation des données, l’utilité du RRS, la définition des intervenant-e-s, lecomité de surveillance, la réglementation. Nombreuses sont celles égale -ment qui estiment que l’aspect administratif prime sur l’aspect clinique,que le projet introduit une modulation des services et même une complé -mentarité public et privé. Quelques organisations ont abordé la questionde l’utilisation de la carte d’habilitation à d’autres fins comme, par exem -ple, au soutien du déploiement de l’inforoute et à l’infrastructure à cléspubliques.Premier détournementPour la Fédération le projet de carte santé, tel que présenté dans l’avant-projet deloi est loin d’être précis et clair et laisse planer des inquiétudes et des doutes quantà ses tenants et aboutissants. Même si le ministre de la Santé et la RAMQ se veulentrassurants et qu’ils clament haut et fort que la carte vise à établir un résumédes renseignements de santé qui puisse être accessible peu importe le lieu de pratique,pour la Fédération, par ses possibilités d’application, ce projet vise surtout àremplacer la carte d’assurance-maladie et à identifier les assuré-e-s pour diminuerles fraudes et mieux contrôler les coûts d’un régime jugé hors de contrôle.La carte àmicroprocesseurune carte de3 e générationAprès les cartes d’appel et lescartes à bandes magnétiques, lacarte à microprocesseur cherche às’imposer. Elle se distingue desautres cartes du fait qu’elle contientun microprocesseur, unmicro-ordinateur et qu’elle peutêtre programmée, même à distance.Jusqu’à maintenant, les principalesutilisations de ce type decarte se trouvent dans le domainebancaire, en téléphonie cellulaireet, depuis peu, dans des institutionsd’enseignement et dans certainesgrandes entreprises où ellessont utilisées comme moyend’identification.Deuxième détournementSous le couvert d’une carte santé, le gouvernement utilise cet avant-projet à la foispour compléter la Loi sur les technologies de l’information et l’inscrire dans le sillagede la mise en place de l’autoroute de l’information et de l’autoroute gouvernementale puisque la carte d’habilitation etéventuellement la carte santé pourraient être utilisées à des fins commerciales. Dans ce sens, ce projet de loi n’interpelle pasuniquement le secteur de la santé, mais il concerne l’ensemble des citoyennes et citoyens du Québec.Fédération des infirmières etinfirmiers du QuébecSiège social :2050, de Bleury, 4 e étageMontréal (Québec) H3A 2J5Tél. : (514) 987-1141Téléc. : (514) 987-7273Bureau de Québec :1260, boul. Lebourgneuf, bureau 300Québec (Québec) G2K 2G2Tél. : (418) 626-2226Téléc. : (418) 626-2111Adresse Internet :Courriel: info@fiiq.qc.caCe dossier spécial est le résultat d’unecollaboration du secteur Santé et duservice Communication-InformationAvril 2002Troisième détournementEnfin, étant donné que les objectifs liés à l’identification et à l’authentification ne se limitent pasqu’au seul secteur de la santé et des services sociaux et puisque la carte pourra être utilisée àd’autres fins que les fins initialement prévues, l’avant-projet de loi remet donc sur le tapis ledébat sur la carte de citoyen-ne, sur la carte d’identité. Cet élément doit également être pris enconsidération et clairement énoncé à la population.Un large débat s’imposeLa Fé d é ration croit que le gouve r n e m e nt du Québec a l’o b l i g ation de prés e nte rc l a i re m e nt à l’ensemble des citoye n n es et des citoyens les enjeux ento u ra nt led é p l o i e m e nt de la carte sa nté du Québec. Il s’agit de vé r i t a b l es enjeux des o c i été et, dans une société libre et démocrat i q u e, ce u x-ci doive nt primer surl es objectifs de déve l o p p e m e nt éco n o m i q u e.Co m pte tenu que les enjeux sont autant sociaux, qu’ét h i q u es ou juridiques,la Fé d é ration demande à la RAMQ de tra n s m ett re to u tes les info r m at i o n sn é cessa i res pour permett re un véritable et large débat pour ensuite pre n d red es décisions éclairé es. Co n s é q u e m m e nt, elle demande au gouve r n e m e nt desurseoir à l’implant ation du proj et carte sa nté tel qu’il est prés e nté dansl ’ava nt- p roj et de loi.__________________Le mémoire de la Fédération est disponible sur son site Internet : .
L’éventuelle adoption du projet de loi sur la carte santé du Québec soulèvedes enjeux multiples qui peuvent se regrouper en trois catégories, soit d’ordre :CLINIQUE, ADMINISTRATIF et COMMERCIAL, auxquelles il faut ajouter cellede l’instauration d’une carte d’identité. Dans cet avant-projet de loi, il est trèsclairement établi que la carte-soleil qu’on connaît aujourd’hui et qui a fait sespreuves depuis de nombreuses années, disparaîtrait au profit d’une carte obliga -toire, une carte à microprocesseur qui permettrait aux professionnel-le-s de lasanté, peu importe où l’on se trouve au Québec, d’avoir accès au résumé derenseignements de santé.On dit que la carte aurait deux grandes fonctions : emmagasiner de l’informationnumérique et donner accès aux systèmes de données ou de renseignements per -sonnels dont la RAMQ assure la gestion. Or, on sait que la RAMQ administremaintenant plus de 40 programmes en plus de l’assurance maladie et de l’assu -rance médicaments. Donc, l’accès, par cette carte, serait beaucoup plus large quece qu’on connaît aujourd’hui. Des questions se posent sur la centralisation desdonnées et quant au fait que la banque centrale de données soit détenue par laRAMQ qui est l’organisme assureur. L’avant-projet de loi va bien au-delà del’objectif initial d’améliorer la circulation de l’information pour augmenter laqualité des services et des soins à la population.Par ailleurs, la réglementation du commerce électronique par l’adoption de la Loisur les technologies de l’information (2001, c. 32) en juin 2001, a pour effet de con -sidérer comme un document une banque de données, une carte, un électrocardio -gramme, notamment. Quelles conséquences cette nouvelle définition peut-elleavoir par rapport aux banques de données en santé? Par rapport à un dossiermédical complet centralisé? On ne connaît toujours pas la réponse à ces questions.Une chose est sûre toutefois, c’est que la centralisation des données constitue unenjeu fondamental.L’ASPECT ADMINISTRATIFJusqu’à maintenant le débat sur le projet de carte santé a porté presque exclusivementsur l’aspect clinique. Bien que réels, les enjeux cliniques ont dominé le débat et ont servide paravent aux enjeux administratifs et commerciaux qui sont plutôt restés dans l’ombre.En implantant une carte d’assurance-maladie à microprocesseur, obligatoire et nonplus facultative, le gouvernement vise clairement des objectifs administratifs. Toutefois,ces derniers sont sans aucun doute les plus subtils, les plus difficiles à cerner.Toutefois, dans les documents, on parle de moderniser le système de santé et les mécanismesde gestion, de nouvelles modulations de couvertures et de services, d’admissibilitéà la totalité ou à une partie des services assurés. Avec les capacités technologiquesqu’offrirait cette nouvelle carte, il est permis de penser que si tel était le voeu du gouvernement,il pourrait instaurer et valider des mécanismes de co-assurance, décider dedésassurer certains soins ou services, et même permettre la gestion de services privés desanté.Quoique la RAMQ se fasse rassurante à cet égard, lorsqu’on connaît l’état actuel duréseau de la santé et les débats qui ont cours sur la privatisation, lorsqu’on se réfère auxdeux mémoires ministériels, au rapport de la commission Clair et aux possibilités qu’offrela carte elle-même, il y a lieu de s’inquiéter !De plus, la définition d’intervenant-edans l’avant-projet de loi permettrait de couvrir un professionnel désengagé et le passagede la notion de personne assurée à celle de personne inscrite permettrait de couvrirtoute la population du territoire du Québec peu importe son droit à des servicespublics. Là aussi, il y a lieu de s’inquiéter!De plus, la définition d’intervenant dans l’avant-projet de loi permettrait de couvrir unprofessionnel désengagé et le passage de la notion de personne assurée à celle de personneinscrite permettrait de couvrir toute la population du territoire du Québec peuimporte son droit à des services publics. Là aussi, il y a lieu de s’inquiéter!des enjeux multiplesL’ASPECT CLINIQUESur le plan clinique, cela soulève plusieurs questions en regard du résumé des renseignementsde santé, du consentement des usagers et des usagères, de la protection, de l’accèset de la surveillance de ces dits renseignements.Le résumé des renseignements de santé (RRS)Les intervenant-e-s ont questionné l’utilité et la fiabilité du RRS. Le conseil d’administrationde la RAMQ et le Conseil des ministres, à l’encontre de la recommandation du comitéd i re c t e u r, ont retenu l’«opting out» plutôt que l’«opting in». Concrètement, cela signifie quel ’ u s a g e r- è re doit manifester son intention à la RAMQ de ne pas avoir de RRS.Le consentement de l’usager-èreIl existe en réalité trois situations où l’usager-ère aura à donner son consentement :• l’établissement du résumé des renseignements de santé;• l’inscription des données;• la consultation de celui-ci.Dans les deux premières situations, il s’agit de manifester son non-consentement à laRAMQ. Quant à la dernière, trois options sont possibles :• donner un consentement général préalable;• donner un consentement unique à un intervenant• donner un consentement pour un-e intervenant-e à chaque occasion.Devant une telle complexité de situations peut-on parler d’une consentement manifeste,libre et éclairé et donné à des fins spécifiques, surtout quand on sait que le RRS pourra êtreimprimé et versé au dossier?L’accès aux renseignementsL’ a v a n t - p rojet de loi prévoit une deuxième carte, la carte d’habilitation, celle quedétiendraient les professionnel-le-s de la santé afin d’avoir accès au dossier. Cette carteauthentifierait l’intervenant et lui permettrait, avec la carte de l’usager-ère, d’accéder audossier de celui-ci-celle-ci. Mais qui seraient ces intervenants ? Dans le seul réseau de lasanté, il y aurait plus de 12 catégories, incluant des groupes communautaires, desressources intermédiaires, des ressources de l’économie sociale. Des dispensateur-trice-sde biens et services, qui ont un programme géré par la RAMQ, et des personnes travaillantau palier administratif du réseau de la santé et des services sociaux pourraient égalementavoir une carte d’habilitation pour accéder à certains aspects du dossier de l’usager-ère.Lorsqu’un usager-ère donnera son consentement, saura-t-il-elle qui a vraiment accès à sondossier ? On peut en douter !La protection des renseignementsLe résumé des renseignements de santé ne vise pas à remplacer le dossier du-de la professionnel-le,ni celui de l’établissement. De plus, en proposant de le centraliser à la RAMQdans une banque de données, le RRS ne serait pas sous la protection de la Loi sur la santéet les services sociaux mais serait assujetti à la Loi d’accès sur l’information. Ainsi, le RRS bénéficieraitd’une protection légale moins importante que le dossier médical complet. De plus,comme le RRS n’aura pas la même valeur que le dossier papier, sa fiabilité et son utilitésont remises en question par les professionnel-le-s.Enfin, outre les catégories de renseignements mentionnées, le RRS pourra comporterd’autres renseignements dont le contenu reste à déterminer par règlement. L’ajout d’informationssur les déterminants de la santé n’est pas à exclure de même que la transformationdu résumé des renseignements de santé en un dossier médical complet centralisé à laRAMQ.La surveillance des renseignementsIl est prévu qu’un comité de surveillance sera mis sur pied pour surveiller le cloisonnementdes résumés des renseignements de santé, assurer la protection des renseignementspersonnels et l’administration des profils d’accès. Les représentant-e-s de la populationà ce comité seront choisis après consultation desg roupes socio-économiques. Qui sont-ils? L’ e x p é r i e n c edu milieu de la santé permet de constater que les banques,les compagnies d’assurances et les compagniespharmaceutiques ont été les groupes les plus actifs ontété retenus pour l’application de la Loi sur la santé et lesservices sociaux. La FIIQ a dénoncé ce choix et a re c o m-mandé que la Commission d’accès à l’information et laCommission des droits de la personne et des droits de la jeunesseassument ce mandat.L’ASPECT COMMERCIALC’est d’abord par le biais de la carte d’habilitation, soit celle de l’intervenant, que legouvernement vise à introduire le volet commercial du projet. La Loi sur les technologiesde l’information a été adoptée en juin 2001 pour faire écho à l’adoption, par l’ONU en1996, de la Loi type sur le commerce électronique, dont l’objectif était de promouvoir ce typede commerce qui voit sa progression stagner.Les infrastructures à clés publiques (ICP), prévues à la Loi sur les technologies de l’informationet que l’avant-projet de loi sur la carte santé a pour but de mettre en application(art. 2, par. 3), ont été développées à grands frais par le secteur privé afin de sécuriserl’information transmise dans le cadre des échanges commerciaux. Des millions de dollarsy ont été investis, mais il n’y a pas de marché. De plus, il existe des obstacles sociauxconcernant l’identification des individus puisqu’une transaction, associée à un individu,ne peut être désavouée.À la lumière du plan d’ensemble de la politique de l’autoroute de l’information, l’avantprojetde loi sur la carte accès santé prend une autre dimension. Selon le Secrétariat del’autoroute de l’information, il faut identifier les usager-ère-s, il faut disposer d’unemasse critique suffisante et d’un système d’identification sécuritaire, polyvalent, universel.Quel réseau mieux que le réseau de la santé couvre l’ensemble de la populationquébécoise et détient cette masse critique?C’est donc un des objectifs de l’avant-projet de loi que d’authentifier et d’identifier lescitoyens, en commençant par les professionnels de la santé, le personnel du réseau et lesintervenants au sens large de ce réseau, après quoi le gouvernement pourra passer aureste de la fonction publique et éventuellement à l’ensemble de la population. Encoreune fois, il y a lieu de s’inquiéter!La carte d’identitéLes intervenants, dont on dénombre 18 catégories et qui pourraient s’étendre à l’ensemblede la population du Québec tellement leur description est vaste, seront munis d’unecarte d’habilitation. Cette carte est en réalité une carte d’identité à microprocesseur leurpermettant de s’identifier et de signer électroniquement leurs transactions dans leréseau de la santé d’abord et, possiblement, des transactions financières personnelles.Leur carte sera munie d’une clé privée (signature électronique) et d’un certificat servantà les identifier. Environ 200 000 personnes sont visées dans une première étape. Cesinformations ont d’ailleurs été confirmées par la RAMQ et le Centre de recherche endroit public de l’Université de Montréal.À plus longue échéance, la carte d’assurance-maladie qui a les mêmes caractéristiquesque la carte d’habilitation pourrait être munie des clés et des certificats d’identificationet devenir, pour le reste de la population, une carte servant au commerce électronique.Le mémoire ministériel soulève déjà cette avenue. L’avant-projet de loi en stipulant quela carte doit servir à authentifier et identifier son titulaire, en choisissant le numéro d’assurance-maladie(NAM) comme identifiant unique et en créant un registre de population(population inscrite et non celle assurée) fait déjà de cette carte une carte d’identité.C’est donc le débat sur la carte d’identité, entrepris en 1997 à la Commission de la culture,que remet sur le tapis l’instauration de cette carte. Pourtant, on prétend que non!