11.07.2015 Views

De L'Autonomie Proscrite à l'Autonomie Prescrite

De L'Autonomie Proscrite à l'Autonomie Prescrite

De L'Autonomie Proscrite à l'Autonomie Prescrite

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

ASAC 2002Winnipeg, ManitobaFrédérique Alexandre-BaillyESCP-EAP,European School of ManagementDE L’AUTONOMIE PROSCRITE À L’AUTONOMIE PRESCRITE : PROPOSITIOND'UNE GRILLE DE LECTURE DE LA PLACE DE L'AUTONOMIE DES ACTEURS DANSL'HISTOIRE DE LA THÉORIE DES ORGANISATIONSPour éclairer le débat entre défenseurs et détracteurs de l'augmentation de l'autonomie desopérateurs, nous proposons une grille de lecture des conceptions de l'autonomie dans lalittérature de théorie et de sociologie des organisations.Les statistiques sur les conditions de travail révèlent une augmentation sensible dans lesvingt dernières années de l’autonomie au travail (Bué et Rougerie, 1999), (Valeyre, 1998). Mais,si le sens commun comprend vaguement qu’il est question ici de libertés ou de marges demanœuvre, on ne sait pas toujours à quoi correspond cette autonomie, à quels objets elles’applique. S’agit-il de la liberté d’aller et venir dans l’atelier, de décider de ses horaires, dechoisir son poste de travail, de décider des objectifs à atteindre ou des moyens utilisables à cettefin ? Est-il question d’un abandon du contrôle ?Cette question est éminemment actuelle, même si l’autonomie a toujours été l’objet denombreuses recherches, en gestion, comme en sociologie des organisations, dans la mesure oùl’intensification perçue de la concurrence, l’élargissement des contraintes de production autourd’exigences simultanées de coûts, de délais, de qualité, de variété et de service, le tout avec desmachines plus sophistiquées et plus fragiles qu'auparavant, semblent requérir une plus granderéactivité de la part de tous les acteurs de l’entreprise (Zarifian, 1988 ; 1993 ). Ainsi apparaîtaujourd’hui plus grande la nécessité de susciter l’autonomie de tous pour effectuer le travailnécessaire et rester compétitif.Or, pour certains, prescrire l’autonomie revient à formuler une injonction paradoxale, etfrise la tentative de manipulation (Borzeix et Linhardt, 1988) ; (Terssac et Maggi, 1996a). On necherche pas véritablement à obtenir des comportements issus de décisions autonomes, mais descomportements conformes à des attentes implicites, difficilement formalisables (Terssac, 1992).Si ces auteurs admettent que les objectifs de production sont atteints grâce à l’autonomie desopérateurs, qui vient compenser par le travail réel les incomplétudes du travail prescrit (Terssac etReynaud, 1992), ils mettent en doute la possibilité de gérer cette autonomie dans la mesure où lesopérateurs refusent de faire preuve de comportements véritablement autonomes sur demande.Pour d’autres, au contraire, c’est tout à fait possible, comme le montrent, plus que lesenquêtes statistiques, quelques monographies détaillées. Quelles que soient les inquiétudes decertains sociologues du travail et autres ergonomes, il faut, selon les partisans de l’avènement del’autonomie, accepter l’aspect positif de l’accroissement demandé de l’autonomie, tant pour lessalariés que pour l’entreprise, moyennant quelques conditions (Everaere, 1999a ; 1999b). Maiscela implique au minimum une modification dans la compréhension de ce qu’est l’autonomie(Chatzis et al., 1999), voire le constat de l’avènement d’un nouveau modèle de production, danslequel les conditions de la concurrence et les systèmes techniques modifient en profondeur lesrelations de travail, ainsi que tous les outils de gestion (<strong>De</strong>sreumaux, 1996) ; (Veltz et Zarifian,1994b).Il nous semble que la question ne peut être tranchée en faveur d’une position -l’autonomie comme leurre - plutôt que d’une autre - l’autonomie comme panacée. Selon nous, lefond du débat repose sur des compréhensions différentes de la notion d'autonomie.1


Nous nous proposons donc dans cette communication d'établir une typologie desautonomies possibles dans l'organisation ainsi qu'une grille de lecture des conceptions del'autonomie des différentes écoles de théorie des organisations, afin d'apporter notre contributionà ce débat.Typologie des formes d'autonomieLe débat portant sur la possibilité d'une autonomie dans le travail nous semble pouvoirêtre éclairé par la distinction suivante, empruntée à Valeyre (1998) selon laquelle l'autonomiepourrait relever de deux principes différents.- Soit elle est une autonomie « volée », officieuse, parallèle aux règles prescrites. Dans ce cas,elle relève de la problématique de l’opposition entre travail prescrit et travail réel. Elle peut êtreutilisée à des fins utiles ou nuisibles à l’entreprise. C’est cette autonomie que l’on retrouve enfiligrane dans les écrits de Taylor (1911), mais aussi chez les auteurs de l’école des RelationsHumaines (Roethlisberger et Dickson, 1939). C’est aussi celle que l’on retrouve en sociologie desorganisations, en particulier chez Michel Crozier (Crozier et Friedberg, 1977), puis chez Jean-Daniel Reynaud (1989) et chez Gilbert de Terssac (1992).- Soit l’autonomie est déléguée, accordée par les supérieurs hiérarchiques, valorisée, voire exigée,dans une visée de performance, selon des principes d’organisation particuliers, parce qu’onestime qu’elle est source de satisfaction et/ou de productivité (Srivasta et Salipante, 1976). Cetype d’autonomie est celui qui apparaît le plus clairement dans les écrits de l’école sociotechnique(Emery, 1993b) ; (Herbst, 1976), dès l’immédiat après-guerre puis, aujourd’hui, chez lesdéfenseurs de l’empowerment (Pfeffer et Veiga, 1999) et chez les partisans du développement del’autonomie dans le travail comme source de réactivité (Everaere, 1999a), (Chatzis et al., 1999).Mais on la retrouve aussi (Argyris, 1998), sous forme de réflexion sur la délégation et ladécentralisation, chez des auteurs comme Simon ou March (Cyert et March, 1963) , chezThompson (1967) et chez Mintzberg (1982).Ces deux principes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Mais le débat que nous avonsévoqué part à notre avis d'une confusion entre autonomie volée et déléguée. On peut rencontrerdes situations dans lesquelles il y a un peu d’autonomie déléguée et beaucoup d’autonomie volée,ou le contraire. Il nous semble même que chaque situation d’entreprise peut se caractériser par unmix particulier de ces deux types d’autonomie.Nous avons par ailleurs relevé dans la littérature portant spécifiquement sur l'autonomiedans les organisations 1 dix domaines différents d'application de l’autonomie. Le tableau 1,retrace ces 20 éventualités en les illustrant d’exemples.1 Voir notamment : Bernoux (1998); Bernoux et Ruffier, (1974) ;Breaugh et Becker (1987); Bué etRougerie (1999); Byham, (1996); Chatzis, et al., (1999); Chave, (1976); Côté et Tega, (1980); Dubois,et al., (1976); Emery, (1993); Everaere, (1999b) ;Gandz et Bird, (1996); Gollac, (1989); Henriet, (1998);Herbst, (1976); Jaques, (1965); Saussois, (1979); Semler, (1990); Srivasta et Paul F. Salipante, (1976);Terssac, (1992); Valeyre, (1998)2


Constitution d'une grille de lecture des conceptions de l'autonomie dans les organisationsCette typologie des autonomies ne dit rien encore de la valeur accordée à ce types decomportements. On peut en effet rencontrer des auteurs qui valorisent l'autonomie volée alors qued'autres la fustigent. Or l'histoire de la théorie des organisations ne montre pas une évolution nettepassant d'une position à une autre. Il a toujours existé à chaque époque des adversaires et despartisans de l'autonomie dans le travail, chacun présentant pourtant des arguments différents. Ilnous a semblé intéressant de proposer une grille de lecture de ces conceptions divergentes quipermettrait à toute personne intéressée par la question de l'autonomie dans le travail de situer lesdifférents arguments évoqués par tel ou tel auteur. Pour ce faire, nous sommes partis de la seuletypologie explicitement axée sur le concept d'autonomie que nous ayons trouvé dans la littérature,celle de Terssac et Maggi (1996b) et nous avons tenté de l'enrichir à partir de nos travaux dedéfinition évoqués plus haut.Tableau 1 :Typologie des domaines d'application de l'autonomie et exemples de comportementsLiberté de déplacementLiberté de parole/RespectChoix des horaires et des postesAbsence de surveillanceAutonomie procéduraleModification/Elaboration desrèglesAutonomie/cadencesAutonomie face aux incidentsAuto-organisation. Autonomiede gestionAutonomie dans la gestion de sacarrièreAutonomie voléeArrangements entre collèguespour aller rencontrer l'équipe del'aciérie et régler les problèmesdirectementRelations personnelles entrecertaines personnes permettantde diffuser les messagesEchanges officieux la nuit quipermettent de se libérer pourd'autres tâchesArrangements locaux avec lechef de posteNégociation tacite avec le chefde poste pour faire comme on lesouhaite et ne pas suivre laconsigneNégociation syndicale, soutenuepar une épreuve de force localeFaire varier son rythme detravail : travailler moins vitequand on le souhaite, mais plusvite que la cadence officiellequand il faut boucler(Terssac,1992)Risques personnels, pourrésoudre les problèmes tout seulImpossiblePar démission, et candidatureexterne, ou alors par réseaupersonnelAutonomie déléguéeEncouragement à aller dans lesservices proches pour faciliter letravailOrganisations de réunionsd’échange d’expérienceEncouragement au libre choixdes horaires et à l'autogestiondes rotations sur les postesModification des rôles del’encadrement de premier niveauMarge de liberté laissée sur lesmoyensCercles de qualité aboutissant àla rédaction de nouvelles règlesDécisions en équipe sur lesrythmes de travail en fonctiondes urgences et des autres tâchesValorisation de la réactivité,traçage, reprise en équipeLibre choix collectif des congés,recrutement par les équipes,partages de primes …Choix de progression et deformations, évolution interne ouexterne à l’entreprise, aidée parle management3


Une grille de lecture issue des travaux de (Terssac et Maggi, 1996a et 1996b)Selon ces auteurs, il existe quatre postures vis à vis de l’organisation qui relèvent ellesmêmesde postures épistémologiques sur deux axes que sont la relation entre l’individu etl’organisation d’une part et la rationalisation d’autre part. Elles engendrent des conséquences auniveau des représentations et des valorisations possibles de l’autonomie des individus et descollectifs de travail, visibles dans la figure 1 ci-dessous.Figure 1 :Matrice des conceptions de l'autonomie d'après (Terssac et Maggi, 1996a)C.H.Marges de manœuvre niées1MODELE CLASSIQUEMarges de manœuvre survalorisées3MODELE INTERACTIONNISTEc.H.2MODELE FONCTIONNALISTEc.A.4MODELE REGULATIONNISTEDiscrétion valoriséeC.A.Régulation conjointe desmarges de manoeuvreLégende : c = coopération ; C = coordination ; A = autonome ; H= hétéronome- Dans le modèle classique, les marges de manœuvre sont niées. La rationalité y est parfaite, surle modèle des travaux de l’économie classique et néo-classique. Le one best way suppose qu’unordre parfait peut être mis en place a priori et que l’exécution des tâches ne pose aucun problème.Les individus s’adaptent aux prescriptions, sans qu’aucun accent ne soit mis sur la coopération. Iln’y a alors aucune place, ni pour la discrétion, ni pour l’autonomie. Les marges de manœuvre desindividus sont totalement niées. Lorsque l’autonomie est utilisée par les agents, elle est perçuecomme « une infraction illégitime » (Terssac et Maggi, 1996a) (p. 255).- Dans la vision fonctionnaliste, présentetant dans l’école des Relations Humaines que dansl’école socio-technique et dans leurs conséquences, la discrétion est au contraire perçue commeutile. Cette posture relève de la systémique. Elle suppose que « chaque sous-système contribue àla satisfaction des conditions fonctionnelles requises par le système de niveausupérieur. »(Terssac et Maggi, 1996b) p. 93. Dans une telle vision, les programmes de travail nesont plus rigides, car la flexibilité permet d’atteindre des solutions plus fonctionnelles. En ce sens,l’informel est reconnu s’il contribue à l’efficacité. C’est donc la logique du système global quil’emporte sur les individus qui le composent. C’est dans ce contexte que la discrétion apparaîtcomme un levier d’efficacité, dans les situations d’incertitude. Elle dispose d’une« reconnaissance conditionnelle » (Terssac et Maggi, 1996a) p.256, proportionnelle à l’incertitudeperçue. La coordination, quant à elle n’est pas touchée par cette possibilité de liberté.Cette vision, comme la précédente relève du positivisme.4


- Dans la vision du système construit, issue de courants anti-positivistes tels quel’interactionnisme, la phénoménologie sociale ou l’ethnométhodologie, les marges de manœuvressont non seulement reconnues mais encore survalorisées. Le système est considéré commeproduit par les interactions des sujets. La réalité est une construction sociale. Il n’y a donc pas derationalité du système a priori. La seule rationalité possible est a posteriori et elle emprisonnealors les sujets qui vont chercher à s’opposer au système. Dans ce contexte, l’autonomie estperçue comme une lutte contre le système, comme une résistance, « une réaction à desprescriptions, fondée sur la décision de mettre en place un autre cadre de conduite et del’imposer. » (Terssac et Maggi, 1996a) (p. 257).- Enfin, la vision du processus d’action propose une régulation des marges de manœuvre. Ledébat épistémologique entre les deux visions de la rationalité a priori et a posteriori a donné lieu àun troisième choix, qui « consiste à concevoir le système social comme un processus d’actions etde décisions » (Terssac et Maggi, 1996b) p. 94. Le processus s’auto-produit, selon une rationalitéintentionnelle et limitée. Le système social est ainsi sans cesse amendé en fonction de lapossibilité de « rendre compatibles les résultats de l’action sociale avec le bien-être des sujetsconcernés. » (p.95). Dans cette vision, sujet et système ne sont plus opposables. Les sujetsparticipent à la régulation du système. Leur autonomie touche donc aux deux aspects de lacoopération et de la coordination, selon la distinction faite par (Maggi, 1997) entre coopération etcoordination autonomes et hétéronomes,Cette typologie est intéressante, mais comme elle est relativement implicite dans les deuxarticles à partir desquels nous l’avons reconstituée, les axes utilisés ne nous semblent pas trèsclairs. <strong>De</strong> plus nous voudrions tenter de la relier à notre distinction entre les types d’autonomie :volée ou déléguée.Elaboration de notre grille de lecture. <strong>De</strong>ux dimensions nous semblent pertinentes pour classerles représentations de l'autonomie dans le travail. C’est à partir de notre vision de l’homme et dumonde que nous bâtissons des théories sur l’action de l’homme dans le monde. La théorie desorganisations consiste pour nous en une vision des actions possibles des hommes dans unestructure. Ainsi nous avons défini deux axes, en nous inspirant des travaux de (Scott, 1992)amendés par (Aubert, et al., 1999), qui permettent de dérouler une façon de concevoirl’organisation. Inversement les types de théories des organisations relèvent des types de vision del’homme et de rapport à la vérité.La vision de l’homme : unité ou diversité ? La première dimension concerne la conception del’homme que les théories se donnent. Elle est assez proche de celle de Aubert et al. (1999).En haut, la vision de l’homme met en avant sa seule raison. Elle relève à la fois du cartésianismeet de l’économie néo-classique. Peu importent les débats internes à la conscience, c’est la raisonqui fait l’unité de l’homme et de ses semblables, c'est pourquoi nous nommons cette conception"l'homme uni". Les auteurs proches de cette conception nous présentent un homme modèle censéreprésenter tous ses semblables. Cet homme est à la fois uni dans sa personnalité, sanscontradictions, sans réelle tension, d’un abord global, massif, compact. Il est un. Selon lesauteurs, il sera unanimement bon, ou unanimement mauvais, et donc à contrôler fortement. Et enmême temps qu’uni, il est comparable à tous les autres. Il existe un lien entre les aspects extérieuret intérieur de l’homme uni : c’est parce qu’il n’y a pas de conflit interne que tous les hommessont semblables. On ne les regarde que de l’extérieur, d’après ce que l’on peut voir de leurdiscours, de leur action, de leur être-au-monde. Cette première vision est celle de l’économie néoclassique,celle de l’homo economicus. L’homme est un, parce qu’il est détenteur de la raison, quifait lien entre tous et unité. C’est donc la vision de l’organisation classique, vision qui permet deconcevoir des structures dans lesquelles les hommes seront interchangeables, puisqu’ils sont toustoujours pareils.A l’opposé, la conception de l’homme met en avant ses divergences internes ainsi que lesdifférences interindividuelles. Elle relève de la psychanalyse qui met l’accent sur les divergencesinternes à l’inconscient, et des philosophies morales et politiques du vingtième siècle qui insistentsur les différences interindividuelles. Nous l'appelons "l'homme pluriel". Cet homme est vu dans5


sa singularité, mis en relief par ses différences, valorisé jusque dans ses absences et ses manquesqui contribuent à faire sa richesse. Mais cette richesse n’est possible que s’il s’allie à un autre, entant qu’alter, essentiellement différent. Les hommes sont donc regardés comme des être sociaux,mais d’abord dans la mesure où ils sont incomplets, ou se complètent, selon le point de vuechoisi. Cette pluralité est aussi bien interne qu’externe. A l’intérieur, l’homme pluriel est traversépar des courants contradictoires, par des intérêts divers, des attaches différentes, des coucheshistoriques et identitaires superposées. Ceci explique qu’il soit tantôt bon, tantôt mauvais, qu’onait une conception ambivalente de son essence et de son comportement. A l’extérieur, cetteidentité complexe le différencie radicalement des autres, le rend non seulement particulier, maisinclassable, imprévisible. En matière d’organisation, cette vision de l’homme poussée à sonextrême, est difficilement praticable, car elle rend difficile toute formalisation a priori, facilementcalculable et intégrable dans des tableaux de gestion. Pourtant, il nous semble que cette visions’impose de plus en plus à l’esprit de certains qui voient dans le rejet de l’uniformité la source dusuccès. Sans aller jusqu’à parler du chaos management qui se fonde sur la personnalité de chacun,nous pouvons citer en gestion des ressources humaines l’émergence du modèle de la gestion descontradictions (Brabet, 1993), et, en tendance, son application dans les pratiques à travers ledéveloppement de classifications fondées sur la personne et non plus sur le poste, qui représentaitle paradigme de l’uniformisation.Le rapport de l’homme au monde et à la vérité : une fois la conception de l’homme précisée,encore faut-il l’appliquer à son action sur le monde. La seconde dimension concerne donc le typede relations que l’on envisage entre l’homme et le monde. Cette relation est issue de laconception de la place de l’homme dans l’univers, mais surtout de la force de la raison dans sacapacité à comprendre et à maîtriser le monde. Pour construire cette dimension, nous avons opéréune synthèse entre la conception épistémologique des auteurs : leur rapport à la vérité, et laversion organisationnelle de déterminisme empruntée à Astley et Van de Ven (1983).Il y a trois grands types de rapport à la connaissance : soit on considère que le réel est totalementconnaissable et abordable par des lois universelles, position positiviste ; soit on considère que leréel n’est pas connaissable, qu’il relève de lois inaccessibles à notre esprit ou qu’il ne relève quedu hasard, position que nous nommons ici nihiliste ; soit enfin on considère qu’il n’y a pas de réelet pas de vérité, et que ce sont les hommes qui les construisent, avec leurs esprits, position quirelève de la phénoménologie, mais qui s’appelle plutôt constructiviste en sciences de gestion(Martinet et al., 1990). Ces trois types de rapports à la vérité peuvent se trouver en proportionvariable dans chaque théorisation.Pour construire notre axe, nous situons, plus simplement, d’un côté les penséespositivistes, qui posent que l’homme peut connaître la nature par sa raison et donc la maîtriser.Paradoxalement ces pensées ont une orientation déterministe dans la logique de Astley et Van deVen (1983), dans la mesure où la notion de maîtrise du monde touche à l’instrumentalisme. Danscette perspective, l’organisation est bâtie de façon scientifique, selon des lois naturelles, et leshommes qui y travaillent ne peuvent pas influencer sa structure.A l’opposé, nous situons les conceptions du rapport au monde qui relèvent plus durelativisme lié au constructivisme, sans aller jusqu’au nihilisme. Cette conception se rapprochealors des approches faiblement déterministes, dans lesquelles les hommes peuvent agir en partiesur l’organisation, car les structures ne sont pas perçues comme relevant d’une loi naturelleinébranlable et universelle.Le croisement des deux dimensions permet alors de se donner une idée des conceptionsimplicites ou explicites de l’autonomie au travail, de chaque école théorique :• Si nous considérons l’homme comme uni et que nous avons une posture positiviste, alorsla question de l’autonomie ne peut même pas émerger. En effet, un homme sans intériorité nese pose pas de questions éthiques qui lui permettent de se déterminer pour l’action. Il agitautomatiquement, de la même façon que tous les autres, motivé par son seul intérêt. Selon letype d’intérêt qu’on lui prête, financier ou d’appartenance, on en déduira le comportementuniforme que chacun de manquera pas de montrer. Dans la version purement économique de6


performances. Dans ce modèle, les opérateurs ont intérêt à faire preuve d'autonomie car cela leurpermet d'obtenir une reconnaissance source d'identité selon les modalités définies par(Sainsaulieu, 1985). Reconnue officiellement a priori, l'autonomie perd alors tout intérêt pour lesacteurs et se réduit alors, selon les détracteurs de sa mise en avant à une captation néo-tayloriennedes savoir-faire et des secrets de fabrication des opérateurs.Il nous semble donc nécessaire de nous référer au quatrième type, celui de l'autonomied'engagement, pour mettre en avant les avantages réels de l'autonomisation des acteurs, qui seulepermet de faire face à des contextes complexes et incertains. Ce qui appelle alors des modesd'organisation et de gestion adaptés, prenant en compte les inconvénients liés à l'augmentationdes responsabilités portées par les individus, notamment le stress (Everaere, 1995), soulignés parles détracteurs de l'autonomisation.ReferencesArgyris, C. (1998) "L'empowerment ou les habits neufs de l'empereur", L'Expansion ManagementReview, vol septembre n° pp. 25-30.Astley, G. et Ven, A.V.d. (1983) "Central perspectives and debates in organization theory",Administrative Science Quarterly, vol n° N°28, pp. 245-273.Aubert, N., Michel, S., Laroche, H., Gruère, J.-P. et Jabes, J. (1999) Management, Aspectshumains et organisationnels, Paris, PUF, 656 p.Bernoux, P. (1998) "Contrainte et domination sans autonomie ni acteurs ?", Sociologie du travail,vol n°3, pp. 393-405.Bernoux, P. et Ruffier, J. (1974) "Les groupes semi-autonomes de production", Sociologie dutravail, vol n° pp.Borzeix, A. et Linhardt, D. (1988) "La participation : un clair-obscur", Sociologie du travail, voln° pp.Brabet, J. (1993) Repenser la gestion des ressources humaines ?, Paris, Economica.Breaugh, J.A. et Becker, A.S. (1987) "Further examinations of the work autonomy scales : threestudies", Human Relations, vol 40 n° 6, pp. 381-400.Bué, J. et Rougerie, C. (1999) "L'organisation du travail : entre contrainte et initiative : Résultatsde l'enquête Conditions de travail de 1998", Premières Synthèses de la DARES, vol Août n°32.1Byham, W. (1996) "L"empowerment", défense et illustration", L'Expansion Management Review,vol n° pp. 70-77.Chatzis, K., Mounier, C., Veltz, P. et Zarifian, P. (1999) L'autonomie dans les organisations.Quoi de neuf ?, Paris, L'Harmattan.Chave, D. (1976) "Néo-taylorisme ou autonomie ouvrière? Réflexion sur trois expériences deréorganisation du travail", Sociologie du travail, vol n°Côté, M. et Tega, V. (1980) Démocratie industrielle, Montréal, Les presses HEC. ARC., 518 p.Crozier, M. et Friedberg, E. (1977) L'acteur et le système, Paris, Seuil.Cyert et March, J. (1963) A behavioral theory of the firm, New York, Prentice Hall.9


<strong>De</strong>sreumaux, A. (1996) "Nouvelles formes d'organisation et évolution de l'entreprise", RevueFrançaise de Gestion, vol janv-fév n° N°1, pp. 86-108.Dubois, P., Durand, C., Chave, D. et Maître, G.L. (1976) L'autonomie ouvrière dans lesindustries de série, Lyon, Groupe de sociologie du travail.Emery, F. (1993) "The second design principle : participation and the democratization of work"in E. Trist etH. Murray : The social engagement of social science, vol II : the sociotechnicalperspective, pp. 214-233, Philadelphia, University of Pennsylvania Press.Everaere, C. (1995) Management de l'autonomie et des collectifs de travail, rapport A.G.R.H.-F.N.E.G.E.Everaere, C. (1999a) Autonomie et collectifs de travail, Lyon, ANACTEveraere, C. (1999b) "L'autonomie dans le travail : sens et contresens" in : La GRH : autonomieet contrôle; actes du 10 e congrès de l'AGRH, pp. 469-480, Lyon.Gandz, J. et Bird, F.G. (1996) "The ethics of empowerment", Journal of Business Ethics, vol 15n° pp. 383-392.Gollac (1989) "Les dimensions de l'organisation du travail : communication, autonomie, pouvoirhiérarchique", Economie et Statistiques, vol septembre n° 224, pp. 27-44.Henriet, B. (1998) "Nouvelles organisations : pari sur l'autonomie et rôle de la confiance",Personnel - ANDCP, vol n° 395, pp. 50-55.Herbst, P.G. (1976) Alternatives to hierarchies, Leiden, Hollande, Martinus Nijhoff SocialSciences Division, 111 p.Jaques, E. (1965) Manuel d'évaluation des fonctions, Paris, Editions hommes et techniques, 134p.Maggi, B. (1997) "Coopération er coordination dans et pour l'ergonomie : quelques repères",Performances Humaines et Techniques, vol septembre n° N° spécial : Séminaire <strong>De</strong>sup/<strong>De</strong>ss deParis I, pp. 11-15.Martinet, A.-C., Micallef, A., Mouchot, C., Girin, J. et Moigne, J.-L.L. (1990) Epistémologie etsciences de gestion, Paris, Economica, 249 p.Mintzberg, H. (1982) Structure et dynamique des organisations, Paris, Les éditionsd'Oganisation, 434 p.Pfeffer, J. et Veiga, J.F. (1999) "Putting people first for organizational success", The Academy ofManagement Executive, vol 13 n° 2, pp. 37-48.Reynaud, J.-D. (1989) Les règles du jeu ; l'action collective et la régulation sociale, Paris,Armand Colin.Roethlisberger, F.J. et Dickson, W.J. (1939) Management and the worker, Cambridge, HarvardUniversity Press.Sainsaulieu, R. (1985) L'identité au travail, Paris, PFNSP.Saussois, J.-M. (1979) "Le sommet devant l'autonomie de la base", Sociologie du travail, vol n°pp. 62-75.Scott, W.R. (1992) Organizations, Rational, Natural and Open Systems, ?, Prentice Hall.10


Semler, R. (1990) "Une entreprise sans chefs", Harvard l'Expansion, vol n° pp. 44-54.Srivasta, S. et Paul F. Salipante, J. (1976) "Autonomy in work" in L. Spray : Organizationaleffectiveness : theory, research, utilization, pp. 49-60, Kent, KenState University Press.Taylor, F.W. (1911) La direction scientifique des entreprises, Paris, Dunod, 309 p.Terssac, G.d. (1992) Autonomie dans le travail, Paris, P.U.F.Terssac, G.d. et Maggi, B. (1996a) "Autonomie et conception" in G. d. Terssac etE. Friedberg :Coopération et Conception, pp. 243-266, Toulouse, Octares.Terssac, G.d. et Maggi, B. (1996b) "Le travail et l'approche ergonomique" in F. DANIELLOU :L'ergonomie en quête de ses principes, pp. 77-102, Toulouse, Octares.Terssac, G.d. et Reynaud, J.-D. (1992) "L'organisation du travail et la régulation sociale" in : Lesnouvelles rationalisation de la production, pp. 169-187, Paris, CEPAD.Thompson, J.D. (1967) Organizations in action, New York, Mc Graw Hill, 192 p.Valeyre, A. (1998) "Les formes d'autonomie procédurale dans le travail individuel, disparitéssectorielles et déterminants organistionnels, cognitifs et marchands", Travail et Emploi, vol Marsn° N°76, pp. 25-36.Veltz, P. et Zarifian, P. (1994) "Vers de nouveaux modèles d'organisation de la production?",Problèmes Economiques, vol n° pp. 1-10.Zarifian, P. (1988) "L'émergence du modèle de la compétence" in F. Stankiewicz : Les stratégiesd'entreprises face aux ressources humaines - L'après taylorisme, pp. 77-82, Paris, Economica.Zarifian, P. (1993) Quels modèles d'organisation pour l'industrie européenne ? L'émergence de lafirme coopératrice, Paris, L'Harmattan, 286 p..11

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!