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MAQ PETIT BULLETIN_GRENOBLE - Le Petit Bulletin

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P04_05 — LE <strong>PETIT</strong> <strong>BULLETIN</strong> N°714 — DU 29.05 AU 04.06.13À LA UNEAmis public n°1— PORTRAIT — FÉROCE CONTEMPTEUR DELA GRANDEUR PERDUE DE L’ANGLETERRE,MARTIN AMIS EST L’UN DES PLUS GRANDSÉCRIVAINS BRITANNIQUES DE SON TEMPS.IL EST AUSSI L’UN DES PLUS RARES ETSA VENUE AUX ASSISES, DE FAIT, UNÉVÉNEMENT EN SOI. STÉPHANE DUCHÊNEPARMI LES NOMBREUX AUTEURS INVITÉS CETTE ANNÉE AUXASSISES INTERNATIONALES DU ROMAN, NOUS AVONS CHOISI DEMETTRE EN AVANT L’ISLANDAIS JÓN KALMAN STEFÁNSSON. PARCEQU’IL ÉCRIT DE FORTS BEAUX LIVRES. ET PARCE QUE SES MOTS NESONT PAS SACRIFIÉS À UN IMAGINAIRE STÉRILE, MAIS FORENT ETFORGENT LES PUISSANCES DU RÉEL.Notre besoinde poésie— RENCONTRE —TEXTE : JEAN-EMMANUEL DENAVE© C. Hélie GallimardSon père, Sir Kingsley Amis, faisait partie des “AngryYoung Men“, un courant littéraire emblématique del’Angleterre des années 50. Est-ce donc par atavisme,ou parce que la réalité ne lui a jamais permis de faireautrement, que Martin Amis a toujours été, lui aussi,un jeune homme en colère ? Atrabilaire, antipathique,volontiers réac mais au regard particulièrement acéréet sans concession sur la société anglaise – «Un Anglaisn’a pas besoin de mentir», dit-il. C’est plus vrai quejamais dans son dernier livre, terrifiant et truculent :Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre. Cet «état de l’Angleterre»,Martin Amis le passe également en revue dansle documentaire proposé par Arte et présenté auxAssises en avant-première, L’Angleterre de Martin Amis,prévenant : «un portrait national exige des généralités».DÉSHONNEUR AUX VAINCUSCe sont pourtant les contradictions qui sautent auxyeux, sans doute amplifiées par le rapport compliquéqu’entretient l’auteur avec son pays, à la psychéfaçonnée, pense-t-il, par un climat insulaire, changeantet «masochiste». Soit un pays à la fois nostalgique ethonteux de son passé impérial, sauvé moralement parle multiculturalisme mais, au contraire des États-Unis,incapable de l’assumer. Pas plus que son passage d’unesociété de classe hermétique à une société de l’argentroi et fou. Une nation fière d’avoir résisté à l’humiliationd’une invasion nazie mais en ayant payé le prixfort : «L’Angleterre a longtemps ressemblé à un paysvaincu, dit Amis. Ce qu’Orwell décrit dans 1984 est enfait la réalité de 1948». Or, pour l’auteur, l’hostilité etle sentiment de supériorité des Anglais vis-à-vis ducontinent résultent moins des certitudes d’une nationsans peur et invincible, déjà louée par John Milton en1642 dans Aeropagitica, que d’un complexe... d’infériorité.Compliqués les Anglais ? Un peu oui : desgentlemen réservés, sentimentaux et attachés auxvaleurs du fair-play doublés d’ivrognes qui noient leurdésespoir et leurs inhibitions dans de terribles soûleries,voire le hooliganisme, enfant taré de l’impérialisme.Ce que l’auteur explique par cet aphorisme : «lasenti-mentalité est la face cachée de la brutalité».Voilà tout Martin Amis inconsciemment résumé parlui-même : un sentimental qui dissimule son désespoirderrière l’ironie grinçante et violente d’une écrituredont le sadisme apparent traduit en fait le masochismed’une Angleterre qui n’a de cesse de se punir.> Parcours d’une œuvre : Martin AmisAux Subsistances, samedi 1 er Juin© Maximilian SchoenherrJack London, Jules Verne, Alexandre Dumas,Herman Melville… Comme beaucoup de gosses,la littérature nous a pris, d’abord, dans les filetsde ses grands espaces, de ses aventures, de ses personnageshauts en couleurs. Alors quand l’IslandaisJón Kalman Stefánsson nous embarque avec le capitainePétur et son équipage pour une longue partie depêche à la morue, nous retombons en enfance oupresque. À tel point, qu’en un sursaut critique, nousnous demandons, au début du premier volume de satrilogie dite du “gamin“, si Entre ciel et terre n’est pas,au fond, destiné à un public adolescent. D’autant plusque Stefánsson use abondamment d’images naïves etn’hésite pas à nous plonger dans un lyrisme des plusétonnants pour un auteur du XXI e siècle. À ce propos,l’auteur répond dans une interview (<strong>Le</strong> Matricule desanges de janvier 2013) : «Je ne suis pas sûr que cesoit tellement osé : pour moi, c’est simplementnormal, j’écris tout bonnement comme je pense, etcomme je respire. Je crois aussi que la poésie habitebeaucoup plus de lieux que ne le soupçonnent laplupart des gens, tout le monde ne la décèle pas. Etpeut-être est-ce l’un des rôles de la littérature que dela déceler, puis de la dévoiler et ce faisant, espéronsle,de rendre la vie et notre existence plus vastes».RESSAISIR LE MONDEL’écriture de Jón Kalman Stefánsson, derrière ses aspectshumbles et directs, sonde en effet bien des profondeurs,des gouffres (marins et existentiels), bien des forces quinous traversent et nous dépassent. Peu à peu son charmechamanique opère, avec ses phrases aux nombreusesvirgules, enchaînant différentes unités d’actions ou depensées. C’est d’ailleurs l’un des paris un peu fous del’auteur : enchâsser, dans ses livres, le récit haletant, lamétaphysique et la poésie. La littérature elle-même(<strong>Le</strong> Paradis perdu de Milton, Hamlet de Skakespeare…)fait partie à part entière des “personnages“ de la trilogie,ou constitue du moins l’un de ses ressorts dramatiques.<strong>Le</strong>s mots et la vie sont indémêlables, accrochésl’un à l’autre dans la grande fresque de l’existencehumaine et des puissances inouïes de la nature.Stefánsson touche à ce que l’on pourrait appeler “notrebesoin de poésie“, sur le modèle de Notre besoin deRimbaud évoqué par le poète Yves Bonnefoy : «Lapoésie même passe souvent pour d’abord un travail surle langage, sur rien que lui, on s’illusionne ainsi aujourd’huiplus que jamais. Et l’aide que Rimbaud peut nousapporter, dans la situation présente, c’est avec toutesa force, toute son énergie, de témoigner de ce que lapoésie se doit d’être, non un jeu sur les mots mais unequestion sur le monde. De l’inciter à se ressaisir».CHANGER LE MONDE«Il lit une nouvelle fois la strophe, ferme les yeuxl’espace d’un instant et son cœur se met à battre. Ondirait que les mots sont encore capables de toucherles gens, c’est incroyable, peut-être toute la lumière nes’est-elle pas éteinte en eux, peut-être que, malgrétout, il subsiste quelque espoir» écrit, comme en échoà Bonnefoy, Jón Kalman Stefánsson. Quand donc, audébut d’Entre Ciel et terre, il nous embarque avecdes marins pour quelques heures de pêche et unegrande tempête, il nous fait traverser tout à la foisle temps (sa trilogie se déroule au XIX e siècle), leséléments (le froid, le vent, les embruns, la neige sontaussi des “personnages“), les rapports d’amitié, maisaussi la mort, l’érotisme, la finitude humaine. Il y achez Stefánsson une énergétique de la poésie, mise enmouvement dans une thermodynamique plus généraleconstituée d’hommes, de terre, de ciel, d’eau. <strong>Le</strong>s motsseuls ne suffisent pas. La vie brute ne suffit pas.«Certains mots sont probablement aptes à changer lemonde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de séchernos larmes. Certains mots sont des balles de fusil,d’autres des notes de violon. Certains sont capablesde faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et ilest même possible de les dépêcher comme des cohortesde sauveteurs quand les jours sont contraires et quenous ne nommes ni vivants ni morts. Pourtant, à euxseuls, ils ne suffisent pas et nous nous égarons sur leslandes désolées de la vie si nous n’avons rien d’autreque le bois d’un crayon auquel nous accrocher».> Table-ronde “<strong>Le</strong> sentiment de la vie”Aux Subsistances, mercredi 29 mai à 19h> Rencontres avec Jón Kalman StefánssonÀ la Librairie Lucioles à Vienne jeudi 30 mai,au Progrès vendredi 31 mai et à la Médiathèqued’Anse samedi 1 er juinL’Internationale ?— FESTIVAL — La littératurepeut-elle changer le monde ?On aurait beaucoup de mal,aujourd’hui, à répondre parl’affirmative, après la fin desidéologies et de la littératuredite “engagée“. Mais qu’elle s’enfasse un peu l’écho, ou mieux, nousle fasse percevoir et vivre autrement,n’a rien de négligeable. Dansses écrits sur le cinéma, l’écritureou l’art, le philosophe JacquesRancière décèle de nouveaux«partages du sensible» et, contreREPÈRESJón Kalman Stefánssonen quelques dates :1963 : Naissance à Reykjavik(Islande)1982 : Après ses études, il travailledans les métiers de la pêche et de lamaçonnerie. Publication à compted’auteur de ses premiers recueilsde poésie.1986-1991 : Études de lettres, nonterminées1992-1995 : Vit à Copenhague,période de lecture intensive.1997 : Premier roman, L’Été sur lamontagne, non traduit en français.© David Ignaszewski-Koboyles fondamentalistes de la puretémoderniste, ose cette hypothèserevigorante : «Tous ceux qui ontété enrôlés au titre du paradigmemoderniste – de Mallarmé àMalevitch, de Seurat à Mondrianou Schönberg – visaient tout autrechose que l’autonomie de l’art :ils voulaient faire de la poésie lesceau nouveau de la communauté ;donner à la peinture la formulescientifique propre à fonder unnouvel art monumental ; définirles formes pures servant à construireles édifices et le mobilierd’une vie nouvelle». Invité importantde l’édition 2013 des AssisesInternationales du Roman, Rancièrepourrait servir de symbole (ou deprisme de lecture) à cette manifestationsensible aux effluvespolitiques du roman et toujoursporeuse à la vie. Même un écrivainaussi apolitique que Jón KalmanStefánsson le rappelle : «Un écrivainprend toujours position faceà la vie dans ses œuvres. Il n’existepas vraiment d’auteur qui nesoit pas politique, y compris le faitde ne pas prendre position est uneprise de position». <strong>Le</strong>s écrivainsde l’autofiction font-ils exception ?Vous pourrez le demander àChristine Angot ou, mieux,au fondateur du genre, SergeDoubrovsky, selon qui «la vie estfaite pour aboutir à un beaulivre». Plus de lutte finale dansla littérature contemporaine, maisdes luttes infinitésimales, virales,moléculaires. JED> 7 èmes AssisesInternationales du RomanJusqu’au dimanche 2 juin2010 : Publication en France dupremier volume de sa trilogie ditedu “gamin“, Entre ciel et terre chezGallimard2011 : La Tristesse des anges,Gallimard2013 : <strong>Le</strong> Cœur de l’homme,Gallimard

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