11.07.2015 Views

Patrick Lagadec : "Pour une nouvelle cosmologie des crises"

Patrick Lagadec : "Pour une nouvelle cosmologie des crises"

Patrick Lagadec : "Pour une nouvelle cosmologie des crises"

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

AVANT-PROPOSNUMÉRO 226Faceaux <strong>nouvelle</strong>s crisesCatastrophes naturelles, sanitaires ou technologiques, explosions sociales ouattentats terroristes, les événements hors normes, tant dans leur déroulementque dans leurs conséquences, se multiplient. Que faire face à ces <strong>nouvelle</strong>scrises ?Quelle que soit sa nature, la crise est douloureuse car elle vient rompre un ordre établi,un équilibre rassurant, un cadre connu. Si nouveauté il y a, elle réside probablementdans l'idée de franchissement de seuils : les crises se déploient sur <strong>des</strong> airesgéographiques de plus en plus vastes, affectent simultanément <strong>des</strong> secteurs multiplesde la société en causant <strong>des</strong> dommages humains et matériels d'<strong>une</strong> ampleur inédite.Inhumaine dans ses conséquences, elle sollicite justement ce qu'il y a de plus humainen chacun de nous, individuellement et collectivement, pour réinventer l'ordre,l'équilibre, le cadre perdus. Face à ces phénomènes hors normes, les procéduresclassiques de gestion de crise se révèlent, en effet, presque toujours inadéquates. Tousles acteurs - État, entreprises, forces armées, société civile – qui ont pu être confrontés,à leur niveau, à <strong>des</strong> crises de ce type l'ont constaté. Certains ont engagé <strong>des</strong> réflexions,voire <strong>des</strong> réformes. Ils ont accepté de nous livrer le fruit de leurs travaux, leurs victoireset parfois, aussi, leurs interrogations et leurs doutes.La Revue de la gendarmerie nationale a bénéficié pour nourrir cette réflexion, du travailprécurseur mené sur ces sujets par <strong>Patrick</strong> <strong>Lagadec</strong> et Xavier Guilhou, en France et àl’étranger, notamment dans le cadre d'<strong>une</strong> mission sur les crises “hors cadre” conduitepour la direction <strong>des</strong> risques du groupe EDF. Qu'ils en soient remerciés.Lieutenant-colonel Valérie FlorentRédactrice en chef1 er trimestre 2008 Revue de la Gendarmerie Nationale3


SOMMAIRENUMÉRO 226DÉFENSE/SÉCURITÉMenaces NRBC. Actions et réactions en chaîne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .6par le chef d’escadron Gaël MarchandINTERNATIONALLa coopération européenne en matière répressive et le traité deLisbonne .par Pierre Berthelet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12DOSSIERFace aux <strong>nouvelle</strong>s crises .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21HISTOIREDes gendarmes luxembourgeois chez les briga<strong>des</strong> du Tigre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .116par Laurent LópezBLOC-NOTESLivres, colloques et manifestations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1264 Revue de la Gendarmerie Nationale 1 er trimestre 2008


Sirpa-gendarmerie - XxxDOSSIERFaceaux <strong>nouvelle</strong>s crisesCrises et désordres : de quoi parle-t-on?21par Christine Cayol<strong>Pour</strong> <strong>une</strong> <strong>nouvelle</strong> <strong>cosmologie</strong> <strong>des</strong>crises 29par <strong>Patrick</strong> <strong>Lagadec</strong>Gérer l’ingérable 37entretien avec Roy WilliamsCrises non conventionnelles. Nouveauximpératifs, <strong>nouvelle</strong>s postures 45par Xavier GuilhouProspectives et crises nonconventionnelles : <strong>une</strong> démarcheoriginale du Maroc 53par Ahmed Lahlimi AlamiL’État face aux crises terroristes : <strong>une</strong>adaptation continuelle 59par le lieutenant-colonel Éric Bio-FarinaDe la complémentarité <strong>des</strong> forces engestion de crise 67par le général de division Claude VicaireEDF : la mise en place de la force deréflexion rapide 73par Pierre BérouxGestion de crise terroriste :les conditions de la confiance 79par le colonel Denis Favier etle lieutenant-colonel Laurent P.La gestion de crise “hors cadre” vuepar un opérateur d’eau potable 85par Franck GallandLa dimension maritime <strong>des</strong> crises.L’opération Baliste au Liban 91par le capitaine de vaisseau Bertrand MopinL’état-major projetable de gestion decrise de la gendarmerie nationale 99par le colonel Luc PhelebonL’Argentine, six ans après 103entretien avec Laura BertoneAssociations et réseaux sociaux,l’empowerment <strong>des</strong> populations 107par Paul Girod et Christian Sommade1 er trimestre 2008 Revue de la Gendarmerie Nationale5


DOSSIER<strong>Pour</strong> <strong>une</strong> <strong>nouvelle</strong><strong>cosmologie</strong> <strong>des</strong> crisespar PATRICK LAGADECLes crises du XXI e siècle sont à la fois unrévélateur et <strong>une</strong> conséquence de lafragilité de nos sociétés. Inattenduesdans leur déclenchement comme dansleurs conséquences, elles dépassent lescapacités de prédictions <strong>des</strong> experts etles cadres de gestion habituels. <strong>Patrick</strong><strong>Lagadec</strong> invite à oublier les réponsestoutes faites et à se poser les bonnesquestions pour renouveler nos outilsd’analyse.Nous disposons aujourd’hui debibliothèques entières de livres, de manuels,de fiches opérationnelles, sur les crises etleur gestion. Les définitions sont fixées, lestypologies établies, les réponsesorganisationnelles consacrées, les salles decrise équipées et la communication rodée.Nous pensions avoir toutes les réponses.<strong>Pour</strong>tant, la crise semble s’échapper de ceterritoire que l’on pensait circonscrit et souscontrôle. Nous possédons, en réalité, lesoutils adaptés aux crises <strong>des</strong> années 1980mais pas à celles du XXI e siècle. Comme ledisait un membre du Cabinet Office (1) lors(1) Le bureau duconseil <strong>des</strong> ministresest un ministère dugouvernementbritanniqueresponsable dusoutien au Premierministre et au cabinet.d’<strong>une</strong> conférence àStockholm en 2003 : « En1914, nous avons été pristotalement non préparés.En 1940, nous étionstotalement préparés à la guerre de 14 ».C’est un défi permanent.Du 11 septembre à Katrina en passant parAZF (2001), la canicule (2003), les attentatsde Madrid (2004) et de Londres (2005),sans oublier la vache folle, le Sras, lesexplosions urbaines et les blackoutsélectriques, électroniques ou sociaux, nossociétés de plus en plus complexes sontvictimes de crises d’<strong>une</strong> ampleur inconnue,conséquence de l’interaction de deuxphénomènes. Les événements quidéclenchent ces crises sortent <strong>des</strong> registresde référence et entrent en résonance avec<strong>des</strong> processus de “liquéfaction” déroutantsqui frappent les socles essentiels de nos1 er trimestre 2008 Revue de la Gendarmerie Nationale29


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESLes dégradationsclimatiques etenvironnementalesfragilisent nosréférences et nossociétés de plus enplus complexes.Xavier Guilhousociétés et produisent <strong>des</strong> crises “horscadre”. <strong>Pour</strong> faire face, deux impératifs :élaborer <strong>une</strong> cartographie aussi préciseque possible <strong>des</strong> risques et <strong>des</strong> crises, etse mettre en posture de traiter les défis denotre temps. Certes, s’ouvrir auquestionnement pour tracer de <strong>nouvelle</strong>sdémarches est infiniment moinsconfortable que de se rassurer à coup deréponses toutes prêtes, mais c’est <strong>une</strong>tâche à laquelle nous devrions nous attelersans délais en ayant à l’esprit la mise engarde de Sun Tsu (2) : « Qui est en retard(2) L’Art de la Guerre,Sun Tsu .d’<strong>une</strong> guerre sera défait àchaque bataille ».Dislocation de nos socles de référenceDes ancrages que nous pensions soli<strong>des</strong>semblent lâcher, ce qui a pour effet defragiliser nos références : les dégradationsclimatiques et environnementalesinéluctables, la question de la pénurieannoncée de l’énergie et <strong>des</strong> matièrespremières, la pression démographique etl’urbanisation galopante, l’emballement dela machine économique, les oppositionsgéostratégiques radicales et la montée <strong>des</strong>logiques de mort, etc., sont autant defacteurs de fragilisation de nos sociétés.Nous étions les héritiers d’un monde danslequel le risque était connu et maîtrisable.Nous voici aux prises avec <strong>des</strong> fragilités30Revue de la Gendarmerie Nationale 1 er trimestre 2008


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESqui tiennent aux architectures et auxtextures fondamentales.Vulnérabilité accrueLa mise en réseau <strong>des</strong> infrastructuresvitales (énergie, communications, eau,transports, systèmes financiers, etc.) dontnous sommes de plus en plus dépendantsest un facteur de démultiplication ; dans cetenchevêtrement, tout dysfonctionnementacquiert <strong>une</strong> puissance de <strong>des</strong>tructurationinédite. Témoins de ces vulnérabilitésaccrues, les chaînes d’approvisionnementqui fonctionnent selon un principe de fluxtendu poussé à l’extrême avec, parexemple, <strong>des</strong> stocks de nourriture dans lesgrands centres commerciaux qui nedépassent guère la demi-journée. Ceprincipe d’interdépendance générale seretrouve quel que soit le point d’entrée :centres de serveurs financiers et bancaires,distributeurs de monnaie, télécoms,systèmes de contrôle (aériens parexemple), réseaux de distribution d’énergie,etc. Autant de domaines dont on mesure lecaractère vital et la fragilité à l’occasiond’un 11 septembre, d’<strong>une</strong> canicule ou d’unKatrina. Dès 2001, les cas, pourtant limités,d’agressions à l’anthrax, via le réseaupostal, l’avaient démontré : “l’arme, c’est leréseau”.Chocs hors cadreS’ajoute à cela le caractère global etdémesuré <strong>des</strong> menaces liées à tous lesgrands “cyclones” planétaires, qu’ils’agisse de climat, de santé publique oude terrorisme. Du fait de l’interdépendancecroissante dans de nombreux domaines,tout point de la planète peut se trouverconfronté à <strong>une</strong> crise importée, dontl’origine est lointaine, dans l’espacecomme dans le temps.Tout va très vite. La grande panneélectrique du 14 août 2003, qui a plongédans le noir tout le nord-est du continentaméricain en <strong>une</strong> vingtaine de secon<strong>des</strong>,illustre parfaitement la vitesse à laquelle<strong>une</strong> crise peut survenir. Une défaillanceélectronique majeure pourrait avoir raisonde nos systèmes d’information à l’échellemondiale en l’espace d’<strong>une</strong> minute.Sur le terrain, on est également frappé parl’ampleur <strong>des</strong> phénomènes : un blackoutélectrique peut facilement affecter uncontinent entier, comme cela n’a pas étéloin d’être le cas en novembre 2006 pourl’Europe. Le cyclone Katrina, deux fois pluslarge que le plus gros cyclone connu, adévasté <strong>une</strong> superficie grande comme laGrande-Bretagne. Cela déclenche <strong>des</strong>crises d’<strong>une</strong> hyper-complexité inconnuejusque-là. Ce fut d’ailleurs l’<strong>une</strong> <strong>des</strong>caractéristiques de Katrina sur la Nouvelle-Orléans qui s’est traduit, entre autres, par<strong>une</strong> inondation majeure et persistante, <strong>des</strong>catastrophes industrielles en série, <strong>des</strong>pollutions létales de très grande ampleur, la<strong>des</strong>truction à 90 % <strong>des</strong> réseaux vitaux, <strong>des</strong>problématiques de sécurité publiqueressortant de l’inédit (tout au moins auxÉtats-Unis), l’inquiétude sur la perte1 er trimestre 2008 Revue de la Gendarmerie Nationale31


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESFace à l’imprévisible, l’expert ne semble plusen mesure de cerner la menace ou de donner<strong>des</strong> pronostics. Or, chaque catastrophe posela question de la prochaine crise.Xavier Guilhoupossible de la zone portuaire (essentiellepour l’économie du continent),l’indétermination sur la perte partielle d’<strong>une</strong>ville, etc. Tout ceci ayant pour effet derendre caduques les procédureshabituelles de gestion de crise.Prévoir l’inconcevableTout cela explique que l’expert ne soit plusen mesure de cerner la menace ou dedonner <strong>des</strong> pronostics et qu’il puissemême avoir du mal à poser un diagnosticprécis. Il ne peut plus exclure a prioriaucun phénomène de l’analyse <strong>des</strong>risques, quitte à se tromper carrémentcomme lors du passage à l’an 2000 oudans le cas de la vache folle, car s’il faitl’impasse, ce peut être au prix fort : 70 000morts en Europe pour la canicule 2003. Or,le plus déstabilisant, c’est justementl’inconcevable... On attendait <strong>des</strong> missiles,ce sont les cutters qui arrivent. On croyaitavoir vaincu les maladies, voici que seprofile <strong>une</strong> possible pandémie. Or, chaquecatastrophe amène à se poser la questionde ce que sera(it) la prochaine crise. Aprèsles <strong>des</strong>tructions causées par Katrina à laNouvelle-Orléans, les observateurs se sontdemandés ce qui se serait passé si Ritaavait touché Houston. Quelles seraient,aujourd’hui, les conséquences de la perted’un centre urbain majeur, d’<strong>une</strong> hub city ?Enfin, il ne faut pas négliger le fait qu’unphénomène médiatique de “classe 5” semet en place dès lors qu’un fait sembleindiquer <strong>une</strong> perte de maîtrise. Chacun, ycompris le journaliste, se retrouve32 Revue de la Gendarmerie Nationale 1 er trimestre 2008


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESspectateur d’<strong>une</strong> machine planétaireprompte à doper tout à la fois l’inaudible,l’émotionnel et le déracinement. Bien sûr,<strong>des</strong> sécurités existent dans les médias entermes de vérification d’information, maisces verrous sautent, instantanément etglobalement, en situation de crise majeure.Et désormais le front est largementailleurs : Internet dicte sa loi del’instantanéité par la capacité deconnectivité inédite qui permet la mise enrésonance mondiale de toutes les rumeurs.Réajuster nos visions et nos outilsLe travail à accomplir est immense. Lapremière <strong>des</strong> portes d’entrée à retenirconcerne les nouveaux ancragesintellectuels. Les mots de Buffon (3) pèsent(3) Buffon, Théorie dela Terre (1749), citépar Jean Delumeau etYves Lequin : LesMalheurs <strong>des</strong> temps– Histoire <strong>des</strong> fléauxet <strong>des</strong> calamités enFrance ; Mentalités :vécu etreprésentations,Larousse, 1987,p. 397.encore lourdement : « Descauses dont l’effet estrare, violent et subit nedoivent pas nous toucher,elles ne se trouvent pasdans la marche ordinairede la Nature ; mais <strong>des</strong>effets qui arrivent tous les jours, <strong>des</strong>mouvements qui se succèdent et sere<strong>nouvelle</strong>nt sans interruption, <strong>des</strong>opérations constantes et toujoursréitérées, ce sont là nos causes et nosraisons ». Le travail sur les risques n’a eude cesse de trouver <strong>des</strong> régularités dansles séries du passé. Comme le ditBernstein (4) : « Les meilleures décisions(4) Peter L. Bernstein,Against the Gods. Theremarkable Story ofRisk, John Wiley &Sons, 1996.sont fondées sur laquantification et lesnombres, déterminées parles modèles du passé ». Il soulignetoutefois : « Discontinuités, irrégularités,volatilités semblent proliférer, et non pasdiminuer » (5) . Mais <strong>une</strong> longue tradition(5) Idem, page 329.(6) Alvin Weinberg,« Science and itsLimits. TheRegulator’s Dilemma»,issues in Science andTechnology 2 (1),1985, pp. 59-72.Quoted in Kandra, J &Wachtendorf, T.,« Elements ofResilience After theWorld Trade CenterDisaster :Reconstituting NewYork City’s EmergencyOperations Centre »,Disaster, 27 (1), 2003,pp. 37-53.éloigne de ces terrainsincertains. AlvinWeinberg (6) l’a d’ailleursmagistralement posé :« La science s’occupe<strong>des</strong> régularités ; lasingularité relève de l’art ».Quand nos vulnérabilitésvitales proviennent dephénomènes qui nes’inscrivent plus enprolongement du passé, dans <strong>des</strong>ensembles homogènes et cloisonnés, ildevient urgent de réajuster nos visions etnos outils. La discontinuité et le chaotiquedoivent être au cœur de nos explorations,même s’il faut pour cela faire notre deuil debien <strong>des</strong> modèles aussi parfaits queséduisants – et plus encore : rassurants.À tous les niveaux, <strong>une</strong> forte implication<strong>des</strong> dirigeants est nécessaire dès lors qu’ily a mise en question <strong>des</strong> visions et <strong>des</strong>conduites stratégiques. La prise en chargeexemplaire au plus haut niveau de toutesles institutions est <strong>une</strong> révolution dans noscultures de gouvernance. Les questionscruciales de l’anticipation <strong>des</strong> risques, <strong>des</strong>formations et <strong>des</strong> simulations sont tropsouvent laissées à la charge <strong>des</strong> seulsniveaux spécialisés ou subalternes.1 er trimestre 2008 Revue de la Gendarmerie Nationale33


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESEn 2005, l’ouragan Katrina a dévasté <strong>une</strong> superficiegrande comme la Grande-Bretagne.Xavier GuilhouFavoriser la réflexionAfin de pouvoir configurer les stratégies deréponse, il faut disposer de forces deréflexion rapide auprès <strong>des</strong> dirigeants. Cesont <strong>des</strong> groupes de personnes rompuesaux univers de ruptures, aptes à se mettreen réflexion et en réseaux lorsque l’on setrouve en situation peu lisible. Un <strong>des</strong>objectifs est notamment de contrer lespathologies les plus graves qui vont de pairavec les <strong>nouvelle</strong>s formes de crise : leblocage de la réflexion (“en crise, on n’apas le temps de réfléchir”) ; la tendance àla “bunkerisation”, chacun se repliant surson alvéole ; la tétanisation ; la courseaveugle vers <strong>des</strong> options contreproductives.Des avancées remarquables,mais rares, sont en marche sur ce terrain,en tout premier lieu à EDF (7) .(7) Pierre Béroux,Xavier Guilhou,<strong>Patrick</strong> <strong>Lagadec</strong>,« Implementing RapidReflection Forces »,Crisis Response,vol. 3, issue 2, March2007, pp. 36-37.La société civile doit être ànouveau sollicitée. Eneffet, les chocsaccompagnant lesnouveaux univers durisque exigent <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> defonctionnement réactualisés. Ces mo<strong>des</strong>ne pourront plus reposer sur nos visionsd’un État apportant les solutions à <strong>des</strong>groupes humains inertes ou anesthésiés àcoup de “communication de crise”. Notremodèle du “tout est sous contrôle, l’Étatveille sur vous, ne faites rien” est à revoirradicalement. La confiance est un ressort34 Revue de la Gendarmerie Nationale 1 er trimestre 2008


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESvital : « Il eut plus de confiance en nousque nous n’en avions envers nousmêmes», a-t-on pu dire de RudolphGiuliani à New York – et c’est ainsi que saville n’a pas craqué le 11 septembre 2001.Exploiter le retour d’expérienceIl nous faut <strong>des</strong> initiatives hardies sur cesterrains et les progrès passeront par <strong>des</strong>actes précis, permettant d’apprendre,d’expérimenter et d’ouvrir les réseaux. Afind’engager <strong>des</strong> avancées opérationnelles,<strong>des</strong> opérateurs postaux ont lancé <strong>une</strong>initiative internationale de retourd’expérience et de réflexion après lesattaques à l’anthrax de 2001 aux États-Unis et les milliers d’alertes en Europe.Avec l’appui décisif d’EDF, <strong>des</strong> missionsont pu être montées sur les pluiesverglaçantes au Québec, sur les leçons duSras à Toronto, dans la perspective d’<strong>une</strong>possible pandémie, ou sur celles deKatrina pour les grands réseaux deLouisiane.Sur les deux fronts que sont laconnaissance et l’action, il nous fautdésormais acquérir les aptitu<strong>des</strong>qu’appellent les nouveaux défis duXXI e siècle. Quand les enjeux sont à cepoint vitaux, il est impossible de choisirl’esquive ou la capitulation. Il nous fautpasser à <strong>une</strong> attitude radicalement positivefondée sur la confiance. La confiance quenous avons les ressources nécessaires, endétermination personnelle et collective,pour prendre en charge les défis de notrehistoire – aussi bien de ses risques que <strong>des</strong>es potentialités.En termes de formation, la grandeinterrogation est la suivante : de quelbagage faut-il doter les futurs responsableset citoyens pour qu’ils puissent trouvervision, équilibre, compétence et écoutedans un monde traversé de crises et deruptures ? Non plus un monde stable –dont il s’agit de “gérer” les soubresautsrares et ponctuels – mais un monde danslequel la dynamique de crise et de rupturedevient la matrice même de l’évolution.1 er trimestre 2008 Revue de la Gendarmerie Nationale35


DOSSIERPOUR UNE NOUVELLE COSMOLOGIE DES CRISESALLER PLUS LOINLa fin du risque zéro, XavierGuilhou, <strong>Patrick</strong> <strong>Lagadec</strong>,éditions Eyrolles, 2002,316 pages.Le désarroi occasionné par <strong>une</strong> séried’événements graves (Tchernobyl, Rwanda,11 septembre, etc.) et un avenir incertain doitêtre fécond en initiatives et entransformations positives. Ce livre permetd’éclairer les turbulences de grande échellequi dépassent souvent notre entendement.Ce texte conjugue le cheminement de XavierGuilhou sur les crises internationales aveccelui de <strong>Patrick</strong> <strong>Lagadec</strong> sur les crisestechnologiques. Leur message est clair : ilfaut faire émerger de <strong>nouvelle</strong>s logiques devie et de développement durable. Maissaurons-nous remettre en questionl’intangibilité de nos frontières mentales etgéographiques ?PATRICK LAGADECDirecteur de recherches ausein du laboratoired’économétrie de l’écolePolytechnique.Chercheur spécialiste de lagestion du risque et de lagestion de crise, <strong>Patrick</strong><strong>Lagadec</strong> est membre del’Académie <strong>des</strong> technologies.Ancien élève de l’écolesupérieure <strong>des</strong> scienceséconomiques et commercialeset de l’école <strong>des</strong> hautes étu<strong>des</strong>en sciences sociales, il esttitulaire d’un doctorat de 3 ecycle et d’un doctorat d’État enscience politique.<strong>Patrick</strong> <strong>Lagadec</strong> conseille lescadres dirigeants de gran<strong>des</strong>entreprises françaises ouétrangères (énergie, transport,distribution, aéronautiqueespace,banques) et les hautsfonctionnaires concernés par lagestion <strong>des</strong> risques(préfectures, Onu, OCDE,Union européenne, Otan, etc.).Rapport final de la commissionnationale sur les attaquesterroristes du 11 septembre,Loïck Berrou, Tatiana Pruzan etNathalie Quintin (traduction),éditions Alban, février 2005,623 pages.À partir d’entretiens et d’analyse dedocuments, le rapport revient sur lachronologie précise <strong>des</strong> événements, lesopérations de secours, la façon dont cettejournée a été vécue à la Maison Blanche, parles forces armées, l’administration et lesservices de renseignements américains. Ilétudie la genèse <strong>des</strong> mouvements islamistesintégristes, présente la biographie <strong>des</strong>terroristes, analyse leurs sources definancement et leurs métho<strong>des</strong> de combat. Ilsouligne également la vulnérabilité <strong>des</strong> États-Unis, la faiblesse de la protection <strong>des</strong>frontières et les failles du renseignement.Enfin, il propose <strong>une</strong> réforme du système <strong>des</strong>écurité américain et <strong>des</strong> relations <strong>des</strong> États-Unis avec le monde arabe.36 Revue de la Gendarmerie Nationale 1 er trimestre 2008

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!