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Un portrait par Robert Andurand, spécialiste de ... - Patrick Lagadec

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La rubrique <strong>de</strong> <strong>Robert</strong> <strong>Andurand</strong>PATRICK LAGADECOUDE LA DIFFICULTED'AVOIR RAISONTROP TOTDans la gran<strong>de</strong> aventure <strong>de</strong> l'Environnement, je voudrais abor<strong>de</strong>r dans maprésente chronique le cas d'un chercheur, <strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c, qui affronte<strong>de</strong>puis vingt ans la plus puissante <strong>de</strong>s forces, la force d'inertie, pour faireadmettre ses idées originales jugées trop mo<strong>de</strong>rnes et arrivées trop tôt.J'ai rencontré dans ma carrière <strong>de</strong>s centaines et <strong>de</strong>s centaines<strong>de</strong> personnes. Il n'y en a pas dix pour lesquelles jeme souviens avec autant <strong>de</strong> précision <strong>de</strong>s lieux, <strong>de</strong>s circonstanceset <strong>de</strong>s <strong>par</strong>olesqui furent échangées lors<strong>de</strong> ma première rencontreavec <strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c. Jepense que les circonstancesétaient si <strong>par</strong>ticulièreset que le sujet metenait tant à cœur, qu'il nepouvait pas en être autrement.<strong>Un</strong> soir <strong>de</strong> novembre 1979,j'avais subtilisé le numéro<strong>de</strong> la revue «La Recherche»qui circulait dans mon service.Je pensais le lire, lesoir même. Dans ce numéro,<strong>de</strong> la page 1 146 à lapage 1 153, un «dossier»intitulé «Faire face auxrisques technologiques»,appela mon attention. Troisheures plus tard, j'avais lule texte intégralement troisfois et je ressentais la profon<strong>de</strong> satisfaction <strong>de</strong> «n'être plusseul désormais».Pour comprendre cette réflexion, il faut savoir qu'aprèsles expériences que nous avions réalisées pour le Service<strong>de</strong> l'Environnement Industriel (SEI) du ministère <strong>de</strong>l'Environnement en 1975 et 1976, une opposition trèsnette s'était manifestée au ministère <strong>de</strong> l'Industrie contrela collaboration d'un <strong>de</strong> ses propres appuis techniques,l'Institut <strong>de</strong> Protection et<strong>de</strong> Sûreté Nucléaire(IPSN), avec le ministère<strong>de</strong> l'Environnement. Cen'était vraiment pas legrand amour entre lesPhoto Roland Allard/VUcopyright Seuil<strong>de</strong>ux ministères.L'opposition était trèsvive, notamment à ladirection <strong>de</strong>s carburants(DICA), actuellementdirection <strong>de</strong>s hydrocarbures(DHYCA). J'avais vufondre mes appuis àl'IPSN comme neige ausoleil. De bonnes âmes,car il y en a toujours en <strong>de</strong>telles circonstances,m'avaient rapporté, avecun air qui se voulait navré,accompagné <strong>de</strong> beaucoup<strong>de</strong> sous-entendus, qu' «onme laissait continuer, ...pour me faire plaisir, ... dumoment que ça ne nuisait pas au travail pour lequelj'étais payé». Dieu merci, le contact resta soli<strong>de</strong>ment établiavec R. Guillet, puis avec Th. Dubuis au SEI. Quantà Ph. Vesseron, alors chef du SEI et conseiller du ministre<strong>de</strong> l'Environnement, il ne cessait pas <strong>de</strong> pester encore etencore, contre mon «manque <strong>de</strong> dynamisme».PRÉVENTIQUE-SÉCURITÉ N° 32 - Mars-Avril 1997 119


ACCIDENTOLOGIEROBERT ANDURANDJe me trouvais, une quinzaine <strong>de</strong> jours plus tard, dans uneréunion <strong>de</strong> travail avec le prési<strong>de</strong>nt et le vice-prési<strong>de</strong>nt du«groupe permanent «usines» <strong>de</strong> ce que l'on nomme actuellementla Direction <strong>de</strong> la sûreté <strong>de</strong>s installationsnucléaires (DSIN), lorsque P. Tanguy, alors directeur <strong>de</strong>l'IPSN, entra brusquement et s'adressant directement àmoi me lança :« - Laga... Laga..., ça vous dit quelque chose ?- Laga<strong>de</strong>c ?.- Oui, c'est ça! Vous leconnaissez ?.- J'ai lu un article <strong>de</strong> luidans La Recherche.- «On a <strong>par</strong>lé <strong>de</strong> lui, audéjeuner, au ministère.Il <strong>par</strong>aît qu'il dit <strong>de</strong>schoses un peu «sulfureuses».Le «Château»souhaiterait en avoir lecœur net. Il <strong>par</strong>aîtmême que le Prési<strong>de</strong>ntaimerait savoir si on nepourrait pas tirer <strong>de</strong> sathèse <strong>de</strong>s idées pourabor<strong>de</strong>r les problèmes<strong>de</strong>s risques majeursdans les années 85-2000».Après un bref silence, ilajouta :« - Arrangez-vous pour lerencontrer, mais pource qui est du «Château»,ne vous laissez pasbluffer, c'est sûrementpour nous impressionner».J'avais complètement oubliécette conversation lorsqueje reçus, une semaine après,un coup <strong>de</strong> fil avec unevoix timi<strong>de</strong> me disant :« - Je souhaiterais vous rencontrer, je m'appelle <strong>Patrick</strong>Laga<strong>de</strong>c».Quelques jours après, je traversais sous une pluie froi<strong>de</strong> etpénétrante la cour <strong>de</strong> l'ancienne école Polytechnique, maudissantmes profs <strong>de</strong> math et surtout mon incapacité notoirequi m'avait empêché <strong>de</strong> fréquenter ces lieux en tempsutiles. Je fus accueilli <strong>par</strong> le Professeur C. Henry qui dirigeaitle laboratoire d'Econométrie et <strong>par</strong> son thésard.Depuis quelques jours, une bronchite grippale et une anginetrès douloureuse me rendaient pratiquement totalementaphone et à la limite <strong>de</strong> l'asphyxie. J'écoutais leurs exposés,faute <strong>de</strong> pouvoir prononcer un mot. P. Laga<strong>de</strong>c dévisageaitavec une inquiétu<strong>de</strong> non dissimulée l'espèce <strong>de</strong>«nucléocrate» que je <strong>de</strong>vais représenter à ses yeux. En <strong>par</strong>tant,en lui serrant la main, je lui dis : « -maintenant noussommes <strong>de</strong>ux, nous ne sommes plus seuls», ce qui le laissaperplexe.Rentré à l'IPSN, je fis mon rapport à P. Tanguy en lui disant :«Ce gars-là possè<strong>de</strong> la faculté <strong>de</strong> formuler très clairement <strong>de</strong>sidées qui sont actuellement très diffuses et très confuses dansl'esprit <strong>de</strong>s gens. C'est à mon avis un analyste remarquable.Je pense que j'ai ressenti, quand il a exposé ses idées,quelque chose <strong>de</strong> proche<strong>de</strong> ce que les visiteurs dusalon ont dû ressentir en1874 <strong>de</strong>vant les premierstableaux impressionnistes :ça choque et ça intrigue,mais on sent la présence <strong>de</strong>quelque chose d'encoreindéfinissable qui doit êtretrès important». Depuis, j'aidû rencontrer P. Laga<strong>de</strong>c unpeu moins d'une dizaine <strong>de</strong>fois, mais ces rencontres onttoujours été très enrichissantespour moi.o-o-oJe ne conçois pas une écoled'ingénieurs digne <strong>de</strong> cenom qui dans son enseignementn'attirerait pas l'attentionsur les travaux <strong>de</strong> P.Laga<strong>de</strong>c. Je pense que<strong>par</strong>mi les nombreux livres etarticles qu'il a publiés,quatre au moins <strong>de</strong>vraientfaire <strong>par</strong>tie <strong>de</strong> la bibliothèquedu futur ingénieur,et surtout <strong>de</strong> son paquetage.En premier : La civilisation du risque qui traite <strong>de</strong>s catastropheset <strong>de</strong> la responsabilité sociale. Dans ce livre, publiéaux Editions du Seuil en 1981, P. Laga<strong>de</strong>c décrit «les coups <strong>de</strong>semonce» <strong>de</strong> Flixborough (en 1974), <strong>de</strong> Seveso (en 1976),avec l'angoisse, le scepticisme, le désarroi, les ingrédientsd'une catastrophe. Il montre le changement d'échelle durisque technologique majeur avec le naufrage <strong>de</strong> l'AmocoCadiz (en 1978), avec pour toile <strong>de</strong> fond l'inachèvement duplan <strong>de</strong> lutte contre la pollution marine (plan Polmar) aumoment <strong>de</strong> cette immense marée noire, malgré les coups <strong>de</strong>semonce <strong>de</strong>s naufrages du Torrey Canyon (en 1967) et duBoehlen (en 1976). Il analyse l'acci<strong>de</strong>nt nucléaire <strong>de</strong> ThreeMile Island (en 1979) ainsi que l'acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> transport <strong>de</strong> produitschimiques à Mississauga-Toronto (en 1979). Il décrit120PRÉVENTIQUE-SÉCURITÉ N° 32 - Mars-Avril 1997


ACCIDENTOLOGIEROBERT ANDURANDl'impuissance et la déroute <strong>de</strong>s structures habituelles <strong>de</strong> lutte,les limites <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> gestion disponibles, le rôle <strong>de</strong>s différentsacteurs (les industriels, l'état, les citoyens, les experts),la dilution <strong>de</strong>s responsabilités, la lente prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>la réalité du caractère <strong>par</strong>ticulier du risque majeur, enfin lanécessité <strong>de</strong> relever le défi, avec toutes les questions qui restentencore en suspens.En second : Etats d'urgence qui traite <strong>de</strong>s défaillances technologiqueset <strong>de</strong> la déstabilisation sociale. Dans ce livrepublié en mars 1988, aux Editions du Seuil, P. Laga<strong>de</strong>cdéveloppe les grands chocs <strong>de</strong>s années 1980 après les avertissements<strong>de</strong>s années 1970, avec, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>nt,l'éclatement <strong>de</strong> la «crise» :«Comment gérer lescrises» ? Les caractéristiques<strong>de</strong> la crise y sontexposées : le caractèresingulier <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>nt, lecontexte métastable,l'échelle et la durée inhabituelles<strong>de</strong>s phénomènes,l'incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>sfaits souvent insaisissables,la multiplication<strong>de</strong>s intervenants, le raz<strong>de</strong> marée médiatique, lesenjeux colossaux, ladynamique <strong>de</strong> crise, l'état<strong>de</strong> choc, les problèmesmassifs <strong>de</strong> communicationpublique, la perte <strong>de</strong>contrôle <strong>de</strong>s événements.Pour illustrer son propos,P. Laga<strong>de</strong>c interroge dansce livre <strong>de</strong>s acteurs quiont été au cœur <strong>de</strong>scrises, notamment :- Marc Bécam, alorsmembre du gouvernement,breton luimême,nord finistérien<strong>de</strong> surcroît,choisi <strong>par</strong> le PremierMinistre (R. Barre)Mexico, 19.11.84, BLEVES en série dans un site <strong>de</strong> stokage <strong>de</strong> gaz aumilieu d’une zone urbaine surpeuplée ; multiples effets domino. Ici, une piècemétallique <strong>de</strong> 150 kg est allée se ficher dans le socle <strong>de</strong> béton sous unebatterie <strong>de</strong> cylindres <strong>de</strong> gaz en rang serrés à 300 m du site <strong>de</strong> l’acci<strong>de</strong>nt.Par bonheur, le slalom a pu se faire sans nouvelles explosions.pour coordonnerl'ensemble <strong>de</strong>s opérations après l'échouage le 16 mars1978, peu avant minuit, <strong>de</strong> l'Amoco Cadiz, pétrolier <strong>de</strong>210 000 tonnes, qui pollua 250 km <strong>de</strong> côtes ;- Douglas K. Burrows, chef <strong>de</strong> la police <strong>de</strong> la région <strong>de</strong>Peel en Ontario, au Canada, lors <strong>de</strong> l'évacuation <strong>de</strong>217 000 personnes à Mississauga-Toronto, après lesexplosions <strong>de</strong> wagons contenant <strong>de</strong>s produits chimiquesà la suite d'un déraillement <strong>de</strong> train survenu le10 novembre 1979 à 23 h 35 ;- Edgar Fasel, chargé <strong>de</strong> créer un nouveau service<strong>de</strong> relations extérieures chez Sandoz, lors <strong>de</strong> l'incendied'un entrepôt, le 1er novembre 1986, quipollua le Rhin, faisant remonter à la surface dufleuve <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> cadavres d'anguilles, événementqui fut très largement exploité <strong>par</strong> un «lea<strong>de</strong>r»écologique local bien connu, surtout expert enmédiatisation.- Philippe Vesseron, successivement conseiller <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxministres <strong>de</strong> l'Environnement, M. Crépeau et H.Bouchar<strong>de</strong>au, qui eut à gérer, à <strong>par</strong>tir du 25 mars1983, la «crise» due à l'affaire <strong>de</strong>s 41 fûts <strong>de</strong> déchets <strong>de</strong>Seveso, «égarés» en octobre 1982 et recherchés avecfrénésie dans l'Europeentière entre le 25 marset le 19 mai 1983 ;- Clau<strong>de</strong> Frantzen etLaurent du Boulay, <strong>de</strong>la Direction générale <strong>de</strong>l'aviation civile, aumoment <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>ntd'un avion DC10d'American Airlines peuaprès son décollage àChicago le 25 mai 1979 ;- Gilbert Carrère, préfet<strong>de</strong> la région Rhône-Alpes, lors <strong>de</strong> l'incendietrès médiatisé du PortEdouard-Herriot à Lyon,les 2-3 juin 1987 ;- Philippe Dessaint, journaliste,présentateurà l'échelon nationaldu journal télévisé19/20 sur la 3ème chaîne<strong>de</strong> télévision lors <strong>de</strong>scrises consécutivesaux explosions <strong>de</strong>transformateurs aupyralène à Reims en1985 et à Villeurbanneen 1986.Troisième ouvrage <strong>de</strong>référence : La gestion <strong>de</strong>scrises, outil <strong>de</strong> réflexion àl'usage <strong>de</strong>s déci<strong>de</strong>urs publié en 1991, chez Mc Graw-Hill,pour penser, prévenir et gérer les crises.Dans un univers où l'incertitu<strong>de</strong> et la vulnérabilité sontsans cesse croissantes, un simple fait ou une simplerumeur, peut être ressenti comme une menace. Dans unenvironnement <strong>de</strong> plus en plus complexe, les «signauxavertisseurs» sont souvent <strong>de</strong> faible intensité et <strong>par</strong>fois difficilesà décrypter. Malgré cela, les réponses doivent êtrePRÉVENTIQUE-SÉCURITÉ N° 32 - Mars-Avril 1997 121


ACCIDENTOLOGIEROBERT ANDURANDrapi<strong>de</strong>s et flexibles. Or la <strong>par</strong>cellisation <strong>de</strong>s experts en multiplesdisciplines jalouses <strong>de</strong> leur spécificité ne facilite pasles diagnostics rapi<strong>de</strong>s.L'acci<strong>de</strong>nt «classique» secaractérise <strong>par</strong> un événementbien connu,d'ampleur limitée, avec<strong>de</strong>s procédures d'urgencecodifiées, unnombre limité d'intervenants,<strong>de</strong>s organisationsqui se connaissent,<strong>de</strong>s rôles et <strong>de</strong>sresponsabilités clairementdéfinis, une structured'autorité bienreconnue, une situationperçue comme gérable,une défaillance dont ona le sentiment qu'ellepeut être rapi<strong>de</strong>mentmaîtrisée.L'acci<strong>de</strong>nt «majeur» estcomplètement différent.Il procè<strong>de</strong> d'unedéfaillance <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>, voire <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> ampleur, qualitativementtrès déstabilisante, en aggravation presque exponentielle,avec une incertitu<strong>de</strong> omniprésente, <strong>de</strong>s procéduresd'urgence vite débordées car inadaptées, l'inconnu, la multiplication<strong>de</strong>s intervenants, <strong>de</strong>s problèmes critiques <strong>de</strong> communication,<strong>de</strong>s enjeux économiques, <strong>par</strong>fois politiques,colossaux, une perception d'un univers <strong>de</strong> démesure.s'avéra qu'en cas d'acci<strong>de</strong>nt technologique grave, le PPIs'avérerait vite dépassé <strong>de</strong> <strong>par</strong> la structure même <strong>de</strong> l'agglomérationdont le plan était déjà figé bien avant qu'onn'y brûle Jeanne d'Arc. Le préfet mit fin au flot ininterrompu<strong>de</strong> <strong>par</strong>oles <strong>de</strong>sexperts <strong>de</strong> la manièreénergique suivante :«Supposons le cas«favorable» : tout lemon<strong>de</strong> est mort ; jecompte, je décore,A 300 m du lieu initial <strong>de</strong>s BLEVES, <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> camions sont remplis <strong>de</strong> gaz,près à la livraison. L’on<strong>de</strong> <strong>de</strong> chaleur détruit la <strong>par</strong>tie moteur <strong>de</strong>s véhicules ;<strong>par</strong> bonheur, les citernes résistent. Immédiatement à côté, <strong>de</strong>s centaines<strong>de</strong> bouteilles <strong>de</strong> gaz chargées sur d’autres camions ne résisteront pas :nouvelles projections <strong>de</strong> missiles dans toutes les directions jusqu’à 2 kmj'emballe, j'expédie.Prenons le cas «défavorable»: je suis en présence<strong>de</strong> nombreuxblessés ; que dois-jefaire ?» <strong>Un</strong>e immensetristesse submergea lescœurs <strong>de</strong>s experts. Jepense qu'un grand passera franchi lorsque lapopulation et les politiciensauront enfinadmis que certainsproblèmes n'ont pasactuellement <strong>de</strong> solutionsatisfaisante.Quatrième ouvrage et non <strong>de</strong>s moindres : «Apprendre àgérer les crises, société vulnérable, acteurs responsables»publié aux Editions d'organisation en 1993, conçu commeun manuel <strong>de</strong>stiné aux managers et aux ingénieurs pourl'acquisition <strong>de</strong>s savoirs opérationnels <strong>de</strong> base pour la gestion<strong>de</strong>s crises.La défaillance est qualitativement très déstabilisante, soit<strong>par</strong>ce que son type n'était pas envisagé, soit <strong>par</strong>ce qu'elleconcerne un nœud ou même <strong>de</strong>s réseaux d'importancevitale, ou encore <strong>par</strong>ce qu'elle se présente comme unecombinaison buissonnante d'interactions qui s'inhibent ous'amplifient avec <strong>de</strong>s constantes <strong>de</strong> temps très différentes.<strong>Un</strong>e action corrective n'a pas forcément un effet immédiatet peut même ajouter une perturbation décalée dans letemps, alors même que son ap<strong>par</strong>ent échec immédiatpeut faire oublier sa présence. Enfin, il arrive que les problèmes«prennent instantanément en masse», en raisond'un niveau très élevé d'interdépendances, avec une complexitételle que les «ré<strong>par</strong>ations seront <strong>de</strong> toutes façonslongues et délicates».J'ai personnellement rencontré un préfet qui au premierabord me <strong>par</strong>ut franchement cynique. Mais, à la réflexion,je le considère maintenant comme simplement un peu brutalementréaliste. Nous avions étudié le plan <strong>par</strong>ticulierd'intervention (PPI) qu'il venait <strong>de</strong> faire élaborer <strong>par</strong> sesservices à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du gouvernement. A l'analyse, ilL'apport novateur <strong>de</strong> <strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c a ouvert au grandpublic, mais aussi aux <strong>spécialiste</strong>s, <strong>de</strong>s horizons jusque-làpratiquement inconnus.o-o-oJe suis très heureux <strong>de</strong> constater qu'il est désormais bienloin le temps où, en 1979, lors du congrès <strong>de</strong> «LossPrevention and Safety Promotion in the ProcessIndustries» qui se tenait à Bâle, <strong>de</strong> nombreux prétendusbien pensants arpentaient les couloirs du congrès pour«faire sa fête à ce gars qui sent le soufre». Devant un telacharnement, Ph. Vesseron m'avait dit à l'époque : « - ilgêne, donc il est important». Force est <strong>de</strong> constater queleurs successeurs font maintenant <strong>de</strong> plus en plus appelà lui pour qu'il réalise <strong>de</strong>s audits et <strong>de</strong>s conférences dansleurs entreprises ou pour bénéficier <strong>de</strong> ses connaissancesen tant que consultant, <strong>spécialiste</strong> <strong>de</strong> l'analyse et <strong>de</strong> lagestion <strong>de</strong>s crises.122PRÉVENTIQUE-SÉCURITÉ N° 32 - Mars-Avril 1997


ACCIDENTOLOGIEROBERT ANDURANDPour ma <strong>par</strong>t, lorsque le ministre <strong>de</strong> l'Environnement, MmeH. Bouchar<strong>de</strong>au me confia à la fin <strong>de</strong> 1984, après l'acci<strong>de</strong>ntsurvenu à Bhopal, l'analyse critique <strong>de</strong> l'usine d'<strong>Un</strong>ionCarbi<strong>de</strong> implantée à Béziers, je me retrouvai plongé, pourne pas dire immergé, dans les hautes turbulences d'uneénorme bourrasque politico-médiatique. Je vis fuir au triplegalop <strong>de</strong>s gens que je considérais jusque-là, naïvement,comme <strong>de</strong>s amis. Encore n'étaient-ils pas les pires. Certainsen profitèrent pour me mettre un pied sur la tête, <strong>par</strong>foismême les <strong>de</strong>ux, et pour appuyer bien fort. Ces hautes turbulencesmédiatiques cessèrent brusquement, pratiquementinstantanément, dès l'annonce d'un grave acci<strong>de</strong>nttrès meurtrier survenu le 25 février 1985 aux Houillères duBassin <strong>de</strong> Lorraine, à Forbach, qui avait fait 22 morts et 103blessés. J'ai coutume <strong>de</strong> dire à mes élèves, que même sij'avais été amputé d'un doigt, comme un baron belgecélèbre, j'aurais conservé assez <strong>de</strong> doigts sur cette mainamputée pour compter ceux qui avaient le courage <strong>de</strong> mesoutenir encore. Dans ces moments extrêmement pénibles,avec Haroun Tazieff qui m'accorda toujours sa confiance,<strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c eut pour moi les mots <strong>de</strong> réconfort qu'ilfallait dire, au moment où il fallait les dire.Le temps est heureusement loin, où envoyé en mission <strong>par</strong>Haroun Tazieff à Mexico, fin novembre 1984, pour yenquêter après les explosions <strong>de</strong> plusieurs sphères <strong>de</strong> gaz,<strong>de</strong>s «chargés <strong>de</strong> mission» du ministère <strong>de</strong>s Relations extérieuresessayèrent d'empêcher P. Laga<strong>de</strong>c <strong>de</strong> prendrel'avion. Haroun Tazieff piqua une <strong>de</strong> ses plus mémorablessaintes colères, dont lui seul a le secret : P. Laga<strong>de</strong>c putenfin <strong>par</strong>tir, mais après avoir reçu l'ordre <strong>de</strong> ces «diplomatesspéciaux» <strong>de</strong> ne faire aucune déclaration, ni à lapresse ni à la télévision. Bien sûr, il n'obéit pas et sesremarquables interventions télévisées permirent <strong>de</strong> faireconnaître au Mexique et en France la gestion <strong>de</strong>s risquestechnologiques majeurs telle que la France la concevait àl'époque.P. Laga<strong>de</strong>c a obtenu coup sur coup, en 1982, le Prix <strong>de</strong> laProtection Civile, puis le Prix du Conseil supérieur <strong>de</strong>s installationsclassées (CSIC), plus connu sous le nom <strong>de</strong> PrixDelaby, du nom du premier prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ce conseil supérieur.Le prix Delaby lui fut décerné notamment pour sonouvrage «La civilisation du risque». Pendant le discours <strong>de</strong>félicitations du ministre, M. Crépeau, une chatte noire et« A » comme « à détruire ».Des centaines <strong>de</strong> maisons détruite ; dans chaque maison, <strong>de</strong>s bouteilles <strong>de</strong> gaz qui, elles aussi, explose.700 morts ? 1500 morts ? 7000 brulés.PRÉVENTIQUE-SÉCURITÉ N° 32 - Mars-Avril 1997 123


ACCIDENTOLOGIEROBERT ANDURANDblanche n'arrêtait pas <strong>de</strong> se frotter contre le bas du pantalondu ministre, peu impressionnée <strong>par</strong> les flashes <strong>de</strong>s journalistesqui la mitraillaient. Elle eut droit à une place privilégiéedans les journaux du len<strong>de</strong>main. Ça faisait trèsécolo : à cette époque-là, les «symboles» étaient recherchés,faute d'avoir obtenu <strong>de</strong> grands résultats à montrer sur leterrain. Le 7 janvier 1983, à 18 heures, sur TF1, dans uneémission intitulée «C'est à vous» le général Férauge, dontj'ai déjà évoqué dans une précé<strong>de</strong>nte chronique le punch etla capacité remarquable à ne pas faire dans la <strong>de</strong>ntelle, interpellavigoureusement P. Laga<strong>de</strong>c en ces termes : « - Laga<strong>de</strong>c,pour les industriels, vous êtes le Diable».En juillet 1995, j'ai téléphoné à A. Pradinaud pour lui souhaitermes vœux à l'occasion <strong>de</strong> son dé<strong>par</strong>t à la retraite. J'aidéjà signalé que la loi <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> l'environnement <strong>de</strong>1976 avait été conçue sous la haute direction <strong>de</strong> A. Rebière.Le décret d'application <strong>de</strong> cette loi fut élaboré, quant à lui,en 1977, <strong>par</strong> Ph. Vesseron, alors chef du SEI, et <strong>par</strong>A. Pradinaud qui était son adjoint, «chargé <strong>de</strong> l'air» commeon disait à l'époque. Il assurait aussi certaines activités <strong>de</strong>relations publiques au SEI. En juillet 1980, A. Pradinaud<strong>de</strong>vint directeur <strong>de</strong> l'Agence <strong>de</strong> bassin Rhin-Meuse, puis ennovembre 1985 il fut nommé DRIRE <strong>de</strong> la région Centre. Jerencontrai <strong>par</strong> hasard A. Pradinaud, en 1982, dans le hall<strong>de</strong> la monumentale gare <strong>de</strong> Metz qui est un archétypecaractéristique, en matière d'architecture, du «bon goût»allemand victorieux <strong>de</strong> la fin du dix-neuvième siècle. Biensûr, nous <strong>par</strong>lâmes du passé. Brusquement il me dit : « Vous<strong>de</strong>vriez écrire vos mémoires. Si un jour vous le faîtes, précisezbien que Ph. Vesseron a toujours dit que c'est moi quiai découvert <strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c». Voilà, c'est fait ! Je suis mêmeen mesure <strong>de</strong> préciser comment. Ayant réalisé une analysetrès précise <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Flixborough, P. Laga<strong>de</strong>c étaitallé au SEI, en 1979, son rapport à la main, <strong>de</strong>mandant s'ilétait possible «<strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong>r un peu» pour réaliser l'étu<strong>de</strong> globaled'une gran<strong>de</strong> zone industrielle, celle <strong>de</strong> Canvey Island,port industriel sur la Tamise, en aval <strong>de</strong> Londres. A.Pradinaud réussit à trouver un financement dans le trèsmaigre budget du ministère. Le résultat fut la réalisation etla publication d'un remarquable rapport d'anthologiesur les risques technologiques majeurs dans une <strong>de</strong>splus gran<strong>de</strong>s zones industrielles d'Europe, avec mise enexergue et prise en compte, pour la première fois, <strong>de</strong>l'«effet domino».A.Pradinaud m'a fait remarquer récemment que, en fait,P. Laga<strong>de</strong>c a été «pionnier» non pas une fois, mais à <strong>de</strong>uxoccasions, ce qui est très rare. D'abord en réalisant pour lapremière fois <strong>de</strong>s analyses «mo<strong>de</strong>rnes» d'acci<strong>de</strong>nts majeursbien connus, analyses remarquables <strong>par</strong> leur métho<strong>de</strong>, <strong>par</strong>leur précision et surtout <strong>par</strong> les enseignements tirés, et toutcela dans un contexte industriel totalement hostile à sonaction. Et la <strong>de</strong>uxième fois, en faisant, toujours dans uncontexte très hostile, <strong>de</strong>s recherches approfondies et <strong>de</strong>spropositions sur la gestion <strong>de</strong>s crises. A.Pradinaud d'ajouter,très fier: « - C'est moi qui lui ai <strong>de</strong>mandé cette reconversionet cet effort car j'étais persuadé que désormais onarriverait à faire <strong>de</strong>s analyses correctes <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts maisqu'il était urgent, en revanche, d'apprendre à gérer lescrises pour éviter que les acci<strong>de</strong>nts majeurs ne dégénèrenten catastrophes».J'ai évoqué dans ma précé<strong>de</strong>nte chronique (Préventiquen° 31, p. 104, janvier-février 1997) l'action décisive <strong>de</strong><strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c dans la décision <strong>de</strong> faire réaliser un auditglobal <strong>de</strong>s installations industrielles <strong>de</strong> la Guyane. Cetaudit, dont on m'a confié la direction, <strong>de</strong>vait aboutir, surdécision du ministre <strong>de</strong> l'Environnement, Mme CorinneLepage, prise en octobre 1996 et confirmée en janvier 1997,à la création d'un SPPPI en Guyane <strong>par</strong>rainé <strong>par</strong> le SPPPI<strong>de</strong> Toulouse, comme je l'avais proposé. Dans la «Saga <strong>de</strong>sSPPPI» j'aurais pu, et même j'aurais dû, préciser comment,grâce à ses travaux et à ses livres, <strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c avaitconsidérablement influencé les différents acteurs et déci<strong>de</strong>ursqui s'activèrent à la création <strong>de</strong>s SPPPI entre 1978et 1990.Il est fréquent, dès lors que le travail d'un pionnier a permis<strong>de</strong> défricher et <strong>de</strong> déblayer les obstacles, <strong>de</strong> voir ap<strong>par</strong>aîtreune palanquée d'auteurs prodigieusement féconds etd'ouvrages fort savants qui développent, désormais sansrisque, <strong>de</strong>s conceptions analogues et finissent <strong>par</strong> occulterles ouvrages précurseurs fondamentaux. Je pense que c'estce qui se produit actuellement et <strong>Patrick</strong> Laga<strong>de</strong>c risquefort d'être victime <strong>de</strong>s forces d'inertie qui n'aiment surtoutpas les novateurs et qui ne l'ont jamais aimé, lui en <strong>par</strong>ticulier.Ce n'est pas la franchise <strong>de</strong> son Editorial <strong>par</strong>u dansPréventique n° 31, janvier-février 1997, p. 3-5, qui lui attirerales amitiés <strong>de</strong>s médiacrates. A mes yeux, <strong>Patrick</strong>Laga<strong>de</strong>c a surtout eu le tort d'avoir raison trop tôt.Bibliographie- Le Risque technologique majeur - Politique, risque et processus <strong>de</strong> développement,Pergamon Press, Collection «Futuribles» 1981.- La Civilisation du risque - Catastrophes technologiques et responsabilité sociale, LeSeuil, Collection «Science ouverte» 1981.- Etats d’urgence - Défaillances technologiques et déstabilisation sociale, Le Seuil,Collection «Science ouverte» 1988.- La Gestion <strong>de</strong>s Crises - Outils <strong>de</strong> réflexion à l’usage <strong>de</strong>s déci<strong>de</strong>urs, McGraw Hill,Paris 1991 ; Ediscience, 1994.- Apprendre à gérer les crises - Société vulnérable, actuers responsables, les Editionsd’Organisation 1993.- Cellules <strong>de</strong> crise - Les conditions d’une conduite efficace, les Editionsd’Organisation 1995.- «Faire face aux risques technologiques», La Recherche, vol. 10, n°105, nov. 1979,pp. 1146-1153.- «Le défi du risque technologique majeur», Futuribles, n°28, nov. 1979, pp. 11-34.- «Stratégie en communication en situation <strong>de</strong> crise», Préventique, n°9, juin-juillet1986, pp.8-11 et 104-107.- «Situation <strong>de</strong> crise : Apprentissage <strong>de</strong> la communication», Sécurité, revue <strong>de</strong>Préventique, n°13, mai-juin 1994, pp.39-47.- «Sauvons les Médias !», Préventique Sécurité n°31, janvier-février 1997, pp.3-5.- «Face aux crises <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, le vi<strong>de</strong>», Le Mon<strong>de</strong>, Horizons-Débats, 26 mars 1997,p.16.124PRÉVENTIQUE-SÉCURITÉ N° 32 - Mars-Avril 1997

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