MANFRED MANNQuand les Mods se la jou<strong>en</strong>t jazz, avec un chanteur d’exceptionBizarrem<strong>en</strong>t oublié aujourd’hui, <strong>en</strong> tout casjamais cité, Manfred Mann était pourtant l’undes groupes les plus fascinants de la scène anglaise.Racés, lettrés, ces g<strong>en</strong>s-là jouai<strong>en</strong>t une pop soulaux acc<strong>en</strong>ts jazz avec une élégance déconcertante,comme un rêve. Le tout propulsé par l’organe inouï dePaul Jones, sans aucun doute l’un des cinq plus grandschanteurs de son temps. Ils étai<strong>en</strong>t imbattables...L’affaire avait été emballée par Manfred Lubowitz,jeune pianistejazz sud-africain récemm<strong>en</strong>t débarqué à Londres et obsédépar Charlie Mingus.Rebaptisé Mann <strong>en</strong> hommage au batteurShelly Manne,Manfred décide de monter <strong>en</strong> groupe,un sextettecarrém<strong>en</strong>t.Avec section cuivres et tout le toutim...Et puis <strong>en</strong>r<strong>en</strong>contrant les autres dont un jeune chanteur féru de blues et deR&B,Manfred revoit ses ambitions à la baisse et réduit la tailledu groupe à cinq membres d’une rare cohér<strong>en</strong>ce,pratiquant unemusique métissée inédite <strong>en</strong> cette époque (1963)...En dehors desobligatoires reprises de classiques (Bo Diddley,Howlin’Wolf,MuddyWaters,etc),les Manfred Mann montrai<strong>en</strong>t un goût exquisquant à leur répertoire emprunté :“DoWah Diddy Diddy”desExciters (dont le “There she goes just walking down the street”s’est curieusem<strong>en</strong>t transformé,sans raison appar<strong>en</strong>te,<strong>en</strong> “Vousles copains je ne vous oublierai jamais” dans la bouche de notreSheila),“Sha-La-La”des Shirelles,“Watermelon Man”de HerbieHancock dont ils propos<strong>en</strong>t une relecture idéalem<strong>en</strong>t mod et féline,“My Little Red Book”de Bacharach,<strong>en</strong>registrée pour la bandeoriginale de“What’s New Pussycat”— la plus belle version connue,et la première —“I Can’t BelieveWhatYou Say”d’Ike &TinaTurner,“Oh No Not My Baby”,réc<strong>en</strong>t tube pour Maxine Brown,“Groovin’ ”de B<strong>en</strong> E King,“IfYou Gotta Go,Go Now”(alorsinédit) et“With God On Our Side”de Dylan,“WhatAm IToDo”des Paris Sisters (Pomus-Spector) c’est la classe définitive.Et puis,qui plus est,pr<strong>en</strong>ant ce groupe parfait par les cornes,il ya la voix hallucinante de Paul Jones.Toujours légèrem<strong>en</strong>t affectée,jamais vraim<strong>en</strong>t naturelle mais invariablem<strong>en</strong>t super expressive.Paul Jones était un dieu,l’un des plus grands chanteurs de l’époque.Il faut l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur ces“Pretty Flamingo”et“Sha-La-La”jubilatoires ou le viol<strong>en</strong>t“Tired OfTrying,BoredWith Lying,Scared Of Dying”,“You Gave Me SomebodyTo Love”,“ComeHome Baby”(égalem<strong>en</strong>t repris par un très jeune Rod Stewart <strong>en</strong>version démo) ou le férocem<strong>en</strong>t northern soul“It’s Getting Late”;c’est un feu d’artifices.Le jeune homme avait été auditionné auRoaringTw<strong>en</strong>ties,le mythique club jamaïcain de Carnaby Street,spécialisé dans les soirées ska.Embauché sur le champ...Le restedu groupe,les yeux écarquillés,n’<strong>en</strong> croyait pas ses oreilles.Via un jeu ternaire,jazz cool — Manfred Mann est peut-être laseule formation de l’époque dans laquelle la guitare n’est pasprédominante — le groupe <strong>en</strong>tier,avec cuivres,flûtes et vibraphone,étincelle sur des choses comme“You’re For Me”,“StayAround”ou“Watermelon Man”ou leur version stupéfiante du“Driva Man”de Max Roach,sorti de son capital album“We Insist ! FreedomNow Suite”.De vrais lettrés,ces Mandred Mann...Aux antipodesdu british beat proto-garage,les Manfred Mann donnai<strong>en</strong>t dans lafinesse,comme unAlan Bown Set plus doué <strong>en</strong>core,plus abouti.Ces hommes possédai<strong>en</strong>t la quintess<strong>en</strong>ce de la classe sixties.Avec unmélange unique de jazz et de soul,parfaitem<strong>en</strong>t joué,idéalem<strong>en</strong>tchanté,c’était une machine infernale,avalant d’ailleurstube sur tube,signant le thème de Ready! Steady! Go! (“5-4-3-2-1”),se chopant des numéros 1 aux Etats-Unis carrém<strong>en</strong>t,et se payantle luxe de sortir une compilation d’instrum<strong>en</strong>taux (“Instrum<strong>en</strong>talAsylum”!)...Puis Paul Jones et quelques autres sont partis,legroupe est signé chez Fontana.Mike d’Abo,compositeur de lachanson ultime“HandbagsAnd Gladrags”a pris le micro et legroupe réussit à se réinv<strong>en</strong>ter,signant au passage quelquesmerveilles dont la bande originale du culte film pop“UpTheJunction”.Bi<strong>en</strong>tôt,c’est déjà la fin,avant que Manfred nemonte son groupe de jazz rock progressif,Manfred Mann EarthBand,qu’on préfère ne pas évoquer par charité chréti<strong>en</strong>ne.Réédition CD : “Pretty Flamingo/ The Five Faces Of”, “The Manfred Mann Album/ My Little Red Book” (Collectables)98