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Le parachuteRoman tristem<strong>en</strong>t drôle sur la consommation des <strong>un</strong>s par les autresde SocrateSinclair Dumontais
PARDON ? Là, tout au bout de la table ? Bi<strong>en</strong> sûr,bi<strong>en</strong> sûr. Je ne suis pas ici pour écouter, maispour parler. Cette place est donc assurém<strong>en</strong>t lami<strong>en</strong>ne. J’y vais de ce pas. Mais dites-moi,Madame, serez-vous égalem<strong>en</strong>t de la ré<strong>un</strong>ion ?Ah bon. J’aurais souhaité que nous soyons<strong>en</strong>tre hommes, mais ça ne fait ri<strong>en</strong>.Voilà. Merci, non. Je n’ai besoin de ri<strong>en</strong>.Ou plutôt oui. Un grand verre d’eau. Trèsfroide. Comme je parlerai beaucoup, mes proposseront plus fluides. Pr<strong>en</strong>ez-<strong>en</strong> <strong>un</strong> vousaussi. C’est bon pour les idées. Je doute quevous <strong>en</strong> ayez mais peut-être serez-vous <strong>un</strong> peuplus alerte. Ce sera ça de gagné.Ah ! Monsieur le Présid<strong>en</strong>t. Heureux devous revoir. Je suis prêt, oui. J’att<strong>en</strong>ds <strong>un</strong> verre9
Le Parachute de Socrated’eau depuis déjà <strong>un</strong> quart d’heure mais nouspouvons comm<strong>en</strong>cer quand même. Oui, oui.D’accord. Très bi<strong>en</strong>. Ni vous ni moi n’avons detemps à perdre. Je vous laisse pr<strong>en</strong>dre place etje comm<strong>en</strong>ce. Vos moutons sont déjà assis.Comm<strong>en</strong>çons sans plus de cérémonie.Alors, Monsieur le Présid<strong>en</strong>t, Madame etMessieurs <strong>du</strong> bureau de direction, bonjour. J<strong>en</strong>e me prés<strong>en</strong>te pas car vous me connaisseztous.Il y a trois mois jour pour jour, Monsieurle Présid<strong>en</strong>t, vous me demandiez de portermon regard sur votre <strong>en</strong>treprise et de vousprés<strong>en</strong>ter ce qu’il convi<strong>en</strong>t d’appeler <strong>un</strong> pland’action pour les années à v<strong>en</strong>ir.Non pas que votre société soit malade :vous faites la loi depuis plus de vingt ans dans<strong>un</strong>e in<strong>du</strong>strie qui est dev<strong>en</strong>ue l’<strong>un</strong>e des pluslucratives qui soi<strong>en</strong>t, et ce partout où leshommes et les femmes sont égalem<strong>en</strong>t desconsommateurs. Vos v<strong>en</strong>tes se mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>talors que vos coûts de pro<strong>du</strong>ction baiss<strong>en</strong>t. Vousêtes prés<strong>en</strong>t dans très exactem<strong>en</strong>t soixantedeuxpays. Partout vos marges atteign<strong>en</strong>t desrecords, ce qui <strong>en</strong>richit à la fois vos actionnaires,vos comptables, vos avocats, vos courtiers,vos banquiers, et bi<strong>en</strong> sûr vous-mêmes et10
Le Parachute de Socratevos proches. Vos petits-<strong>en</strong>fants seront autrem<strong>en</strong>tplus riches que moi.Vos liquidités vous permett<strong>en</strong>t d’acheter<strong>un</strong> nombre appréciable de vos concurr<strong>en</strong>ts,puis de vos fournisseurs, et souv<strong>en</strong>t même lesministres qui hésit<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core à modifier leurslégislations pour vous permettre d’avancerdavantage.Votre <strong>en</strong>treprise est le portrait même de laréussite : il ne se passe pas <strong>un</strong>e semaine sansque votre succès ne soit cité dans les magazineséconomiques ou étudié dans les <strong>un</strong>iversitésaméricaines et europé<strong>en</strong>nes. Dans certainsmilieux, Monsieur le Présid<strong>en</strong>t, vous êtes <strong>un</strong>estar. Ce que vous cultivez admirablem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>d’ailleurs <strong>en</strong> n’accordant que peu d’<strong>en</strong>trevues,<strong>en</strong> fréqu<strong>en</strong>tant quelques vedettes de cinéma et<strong>en</strong> gérant très habilem<strong>en</strong>t <strong>un</strong> certain nombrede rumeurs.Si vous m’avez demandé avec tant d’insistancede quitter ma semi-retraite et de mep<strong>en</strong>cher sur votre av<strong>en</strong>ir, c’est que malgrécette performance exceptionnelle, vous vousinquiétez. Vous craignez l’essoufflem<strong>en</strong>t. Vouss<strong>en</strong>tez l’urg<strong>en</strong>ce de préparer l’off<strong>en</strong>sive quipuisse garantir que demain <strong>en</strong>core, votreempire poursuivra sa croissance. Vous flairez<strong>un</strong> danger. Une m<strong>en</strong>ace. Un <strong>en</strong>nemi sournois.11
Le Parachute de SocrateVous ne savez pas pourquoi, vous ne savez pascomm<strong>en</strong>t, vous ne savez pas quand, mais voussavez que le jour approche où vous connaîtrezce plafond qui, même s’il devait se maint<strong>en</strong>ir,serait déjà <strong>un</strong>e forme de déclin, car vos actionnairesne vous permettrai<strong>en</strong>t pas de simplem<strong>en</strong>tleur rapporter des divid<strong>en</strong>des. Ilsvoudront que ces fruits se multipli<strong>en</strong>t <strong>en</strong>coreet <strong>en</strong>core.Leur gourmandise est le moteur de notresiècle.Vous avez d’ailleurs raison. Je veux direque vous avez raison d’avoir peur. Votre flairne vous trompe pas : si vous ne bougez pasimmédiatem<strong>en</strong>t, votre <strong>en</strong>treprise atteindratrès bi<strong>en</strong>tôt le point limite à partir <strong>du</strong>quel ellecomm<strong>en</strong>cera à décliner, voire à se faire bouffer.Par qui, puisqu’auc<strong>un</strong> de vos concurr<strong>en</strong>tsn’est de taille à vous blesser ? Par nulle autrequ’elle-même, bi<strong>en</strong> sûr. Comme l’ours quimange sa graisse <strong>du</strong>rant son sommeil.Heureusem<strong>en</strong>t vous ne dormez pas. Lapreuve, c’est que vous m’appelez. Vous medites : « Mon cher ami, voilà pour vous <strong>un</strong>mandat de la plus haute importance. » Et moide répondre : « Oui, Monsieur. De la plushaute importance. Ré<strong>un</strong>issez votre Conseildans très exactem<strong>en</strong>t trois mois et préparez-12
Le Parachute de Socratevous à pr<strong>en</strong>dre le virage le plus spectaculaireque jamais <strong>en</strong>treprise n’aura pris de toute l’èremoderne. »Je suis donc aujourd’hui là devant vous. [...]13