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André Malraux ou la Tentation du Bangladesh - Bruno Corlais

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André <strong>Malraux</strong><strong>ou</strong> <strong>la</strong> tentation <strong>du</strong> Bang<strong>la</strong>desh<strong>Bruno</strong> Cor<strong>la</strong>is‘… Car il n’est qu’un acte sur lequel ne prévale ni<strong>la</strong> négligence des constel<strong>la</strong>tions, ni le murmureéternel des fleuves : c’est l’acte par lequell’homme arrache quelque chose à <strong>la</strong> mort.’André <strong>Malraux</strong> (1)Le ret<strong>ou</strong>r <strong>du</strong> ‘‘coronel’’ (sic)Le 25 mars 1971 débute <strong>la</strong> répressionsang<strong>la</strong>nte de l’armée pakistanaise <strong>du</strong> PrésidentYahyâ Khan p<strong>ou</strong>r ré<strong>du</strong>ire l’agitation qui avaitsuivi l’élection au Pakistan Oriental de cheikhMujibur Rahman, chef de l’opposition etpartisan de l’autonomie, qui est incarcéré.Face à cette ‘‘ép<strong>ou</strong>vante qui a chassévers l’Inde une popu<strong>la</strong>tion plus nombreuse quecelle de <strong>la</strong> Belgique’’(2), ‘‘fuite hagarde de dixmillions d’êtres ravagés par <strong>la</strong> faim et ledésespoir’’(2), le Premier ministre indien, IndiraGandhi, invite André <strong>Malraux</strong> le 18 septembre1971 à participer à une rencontre internationalesur <strong>la</strong> question <strong>du</strong> Pakistan Oriental à Delhi.Privilégiant l’action à <strong>la</strong> parole et disant que desconférences « serviraient seulement de base àdes articles alors que ‘le Pakistan ferait avancerles chars’ »(3),Figure 1 <strong>Malraux</strong>, lecoronel<strong>Malraux</strong> sembleavoir v<strong>ou</strong>lu s’engagerphysiquement dans <strong>la</strong>lutte auprès desbang<strong>la</strong>dais et avoir été, sil’on en croit L<strong>ou</strong>ise deVilmorin, très incohérentalors. Est-ce repentir dene pas avoir élevé <strong>la</strong> voixlors de l’émission <strong>du</strong>Tibet <strong>ou</strong> de Prague, <strong>ou</strong> sur <strong>la</strong> guerre de Biafra‘‘où il n’avait pas pris les armes à <strong>la</strong> défense depopu<strong>la</strong>tions menacées.’’(4) ? Rêve-t-il d’uneultime épopée et de retr<strong>ou</strong>ver sa jeunesse de‘‘Coronel’’ (sic) de l’Escadrille España enren<strong>ou</strong>ve<strong>la</strong>nt l’affirmation que l’homme sedéfinit par ce qu’il fait et non pas par ce qu’ilrêve ? T<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs est-il qu’une dépêche de l’AFP<strong>du</strong> 17 septembre 1971, reprise en particulier parFrance-Soir, déc<strong>la</strong>re <strong>Malraux</strong> prêt à allercombattre aux côtés de <strong>la</strong> résistancebang<strong>la</strong>daise. Dans une lettre à son vieil ami <strong>du</strong>27 septembre, le père Bockel écrit : ‘‘Votreinitiative de départ et de témoignage – de départdans le témoignage – ne me surprend pas.L’amitié et l’admiration que je v<strong>ou</strong>s porte mepermettant de comprendre l’insolite grandeur dece geste et de cet ultime message de liberté.’’(5)Le Premier ministre de l’Inde, quirencontre <strong>Malraux</strong> à l’ambassade de l’Inde enFrance le 09 novembre 1971, lui prie de différerson projet d’expédition.Quoi qu’il en soit, André <strong>Malraux</strong> étaitun at<strong>ou</strong>t moral, ‘‘une aide psychologiqueréelle’’(6) p<strong>ou</strong>r le Bang<strong>la</strong>desh, ainsi que le disaitTajuddin Ahmed, alors Premier ministrebang<strong>la</strong>dais, aj<strong>ou</strong>tant : ‘‘N<strong>ou</strong>s combattons p<strong>ou</strong>rnotre totale indépendance, mais aussi p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong>dignité de l’être humain.’’(6). Ainsi Raja Rao,ami et tra<strong>du</strong>cteur indien de <strong>Malraux</strong> qu’ilconnaissait depuis des années, avait répon<strong>du</strong> àsa lettre <strong>du</strong> 09 août : ‘‘Je répète que v<strong>ou</strong>s êtes leseul homme qur terre qui puisse dire sur lePakistan Oriental quelque chose qui sera éc<strong>ou</strong>tépar t<strong>ou</strong>t le monde en Orient et en Occident.’’(7).L’épisode Jean Kay et lettre <strong>ou</strong>verte auPrésident Nixon<strong>Malraux</strong> reçoit Jean Kay, ‘‘le seul piratede l’air qui ait agi avec de bonnes raisons’’(dixit Eugène Ionesco) le 1 er décembre 1971.Deux j<strong>ou</strong>rs plus tard, Kay dét<strong>ou</strong>rne à Orly unBoeing de <strong>la</strong> Pakistan Airlines dans l’espoir defaire parvenir une cargaison de trente tonnes demédicaments au profit des réfugiés bang<strong>la</strong>dais.Jean Kay sera arrêté puis jugé à <strong>la</strong> C<strong>ou</strong>r22


d’Oxford et de l’Université sanskrite de Bénarèslors de son second voyage officiel en Inde [11août 1965], reçoit le même titre de l’Universitéde Rajshahi des mains <strong>du</strong> Président Chowdhury,et en présence de Mujibur Rahman et <strong>du</strong> vicerecteur.Accueilli ‘‘au nom de cette forêtd’ombres’’, revêtu de <strong>la</strong> toge r<strong>ou</strong>ge des docteurshonoris causa – ce r<strong>ou</strong>ge qui est aussi <strong>la</strong> c<strong>ou</strong>leurdes martyrs – il y prononce, dans un disc<strong>ou</strong>rssolennel et lyrique un vibrant hommage à cette‘‘longue et grandiose tradition que celle desarmées en haillons’’(18), évoquant selon <strong>la</strong>formule malraucienne ces deux sortes denations ‘‘qui ne sont jamais plus grandes quelorsqu’elles le sont p<strong>ou</strong>r elles-mêmes […] ; etcelles qui ne sont jamais grandes quelorsqu’elles le sont p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>s : <strong>la</strong> France desCroisades et de <strong>la</strong> République.’’ Appe<strong>la</strong>nt àn<strong>ou</strong>veau les soldats de l’An II : ‘‘Et sur vospropres tombes, il y a peut-être le s<strong>ou</strong>venir desvieux mots de justice et de liberté…’’. Seulelibération à son sens avec celle de l’Inde qui nes’achève pas par un totalitarisme, elle ‘‘a tentéd’unir le <strong>la</strong>ngage <strong>du</strong> Bengale éternel, à celui denotre Révolution.’’‘‘N<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>s avons défen<strong>du</strong> parce quev<strong>ou</strong>s étiez le peuple le plus cruellementdécimé, le plus menacé.’’(19)Le 23 avril, avant de regagner Delhi, ilvisite les ports de Dacca et de Chittagong,seconde ville <strong>du</strong> pays où il prononce unn<strong>ou</strong>veau disc<strong>ou</strong>rs, message d’espoir comme leprécédent (‘‘A quoi bon aller sur <strong>la</strong> lune, si c’estp<strong>ou</strong>r se suicider ?’’ dira-t-il à n<strong>ou</strong>veau àl’adresse des jeunesses désespérées) et hymne à<strong>la</strong> paix : ‘‘Il fal<strong>la</strong>it obtenir <strong>la</strong> Victoire. Maisauj<strong>ou</strong>rd’hui le Bang<strong>la</strong>desh veut <strong>la</strong> paix. La paixavec TOUS. Et v<strong>ou</strong>s devez travailler p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong>seconde victoire, qui est de créer l’Etat. […] Ilfaut que quand on dira plus tard : ‘‘Ils ontcombattu avec leurs mains nues’’, on puisseaj<strong>ou</strong>ter : ‘‘Le Bang<strong>la</strong>desh libre a fait mieux endix ans que le Bang<strong>la</strong>desh asservi en vingt-cinqans.’’ Les combattants de <strong>la</strong> guerre ontcommencé ici. Que commence ici le combatexemp<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> paix.’’(20)Cependant ici dans son disc<strong>ou</strong>rs<strong>Malraux</strong> situe les Bang<strong>la</strong>dais par rapport àl’Inde, fait remarquer Michaël de Saint-Cheron : le faisait-il p<strong>ou</strong>r ménager <strong>la</strong> sensibilitédes ses hôtes indiens qui avaient pris en chargeson voyage au Bang<strong>la</strong>desh ; <strong>ou</strong> était-ce que,connaisseur de <strong>la</strong> civilisation indienne, ‘‘il était24ignorant de celle <strong>du</strong> Pakistan Oriental’’(21) ?Cependant, dans son dernier disc<strong>ou</strong>rs prononcélors de l’inauguration de l’Art Gallery deChittagong le 23, il rappellera les grandescréations bengalies tant dans le domaine de <strong>la</strong>poésie que de <strong>la</strong> musique et de <strong>la</strong> sculpture <strong>du</strong>Xe siècle, et leur influence sur le Népal et leTibet. P<strong>ou</strong>r lui, il faut ‘‘faire confiance à <strong>la</strong>puissance créatrice <strong>du</strong> Bengale.’’(22).En guise de conclusion‘‘Ec<strong>ou</strong>te ce soir, jeunesse de monpays…’’ (23)Ainsi le Bang<strong>la</strong>desh, ‘‘dès avant sa naissance’’,attendait-il André <strong>Malraux</strong>. Un instant pris aujeu semble-t-il de l’action, le ‘‘Coronel’’ de <strong>la</strong>Grande Guerre d’Espagne et le Colonel Bergerde <strong>la</strong> brigade Alsace-Lorraine, âgé alors de 70ans, a lors de cette visite ‘‘à titre personnel’’(24)deux ans plus tard embrassé le Bang<strong>la</strong>desh t<strong>ou</strong>tentier sur un seul visage. Il prononça lors decette rencontre tant historique que quasispirituelle des disc<strong>ou</strong>rs d’un mémorable lyrismeaux accents de sa voix – ‘‘sa voix de rapsode’’,écrit Michaël de Saint-Cheron – si pathétiquedont on se s<strong>ou</strong>vient lors <strong>du</strong> transfert des cendresde Jean M<strong>ou</strong>lin au Panthéon, le 19 décembre1964. On y retr<strong>ou</strong>ve ces ‘‘mots qui font vivre’’comme l’écrivait Paul Eluard (25) et ce sont aussiles mots malrauciens de justice et liberté, cesont les mots de communion – qui est le liendans <strong>la</strong> mort – et de fraternité – qui est le liencontre <strong>la</strong> mort.‘‘<strong>Malraux</strong> était devenu le symbole del’espoir p<strong>ou</strong>r le Bang<strong>la</strong>desh’’, écrivait L<strong>ou</strong>ise deVilmorin, il incarnait un mythe. Il aura su icimontrer comment n<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>vons ‘‘contribuer à<strong>la</strong> compréhension internationale et audéveloppement de l’amitié entre les peuples’’,question posée à t<strong>ou</strong>t <strong>la</strong>uréat <strong>du</strong> prix Jawahar<strong>la</strong>lNehru qui lui fut remis à New Delhi le 16novembre 1974. Il posait de son côté cettequestion dans ‘‘Hôtes de Passage’’ : ‘‘Quellere<strong>la</strong>tion y a-t-il entre un homme et le mythequ’il incarne ?’’(26), il n<strong>ou</strong>s aura éc<strong>la</strong>iré sur ceciégalement.Le 21 juillet 1973, le Président de <strong>la</strong>République <strong>du</strong> Bang<strong>la</strong>desh fera parvenir cemessage d’amitié à André <strong>Malraux</strong> : ‘‘N<strong>ou</strong>sv<strong>ou</strong>s s<strong>ou</strong>haitons longue vie parce que le mondea besoin de v<strong>ou</strong>s ; que v<strong>ou</strong>s faites <strong>la</strong> guerre p<strong>ou</strong>r<strong>la</strong> paix ; que v<strong>ou</strong>s menez <strong>la</strong> lutte en faveur des


opprimés et révélez les idéaux de Justice et deLiberté.’’(27) Mais peut-être p<strong>ou</strong>rra-t-ons’étonner de le retr<strong>ou</strong>ver quelques temps aprèslors de son voyage en Haïti, acceptantl’invitation à le rencontrer d’un certain Jean-C<strong>la</strong>ude Duvalier : il est vrai qu’il est de cesvisites autrement privées de l’Histoire quiparfois n<strong>ou</strong>s questionnent…Homme de ‘‘La Condition Humaine’’ etde ‘‘L’Espoir’’, ‘‘premier dans le siècle’’(28) etpeut-être dernier grand romantique, l’homme <strong>du</strong>‘‘Miroir des Limbes’’, des ‘‘Voix <strong>du</strong> Silence’’,<strong>du</strong> ‘‘Musée imaginaire de <strong>la</strong> sculpturemondiale’’ et de ‘‘La Métamorphose desDieux’’ s’est éteint à l’âge de soixante-quinzeans le 23 novembre 1976, à l’âge de soixantequinzeans le 23 novembre 1976, à l’HôpitalHenri Mondor de Créteil. Il y a trente ans.‘‘Grâce à lui n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s reconnaissonsmieux.’’(29)Notes :(1) André <strong>Malraux</strong>, ‘Oraisons funèbres’,Gallimard/Pléiade, tome III.(2) André <strong>Malraux</strong>, ‘Lettre <strong>ou</strong>verte à M.Nixon’,Le Figaro, 18-19 décembre 1971.(3) France-Soir, 18 septembre 1971.(4) L<strong>ou</strong>ise de Vilmorin, ‘Aimer encore’,Gallimard 1999.(5) cité par Michaël de Saint-Cheron,‘<strong>Malraux</strong>…’, Gallimard/A.F.I., p.158.(6) Le Monde, 29 novembre 1971.(7) cité par Michaël de Saint-Cheron,‘<strong>Malraux</strong>…’, P.134.(8) Le Figaro, 13-14 octobre 1973.(9) ibid.(10) L<strong>ou</strong>ise de Vilmorin, op. cit., p.94.(11) Le Figaro, 18-19 décembre 1971.(12) Disc<strong>ou</strong>rs de réception <strong>du</strong> recteur Abu Fazalà André <strong>Malraux</strong> le 22 avril 1973 à Chittagong,Gallimard/A.F.I., p.164 et n.10.(13) André <strong>Malraux</strong>, disc<strong>ou</strong>rs à l’Université deRajshahi, 22/04/73.(14) rapporté par Michaël de Saint-Cheron,op.cit.(15) Bibliothèque littéraire Jacques D<strong>ou</strong>cet(B.L.J.D.), Fonds André <strong>Malraux</strong>.(16) ibid.(17) Disc<strong>ou</strong>rs à l’Université de Rajshahi.(18) L<strong>ou</strong>ise de Vilmorin, op.cit., p.179.(19) Disc<strong>ou</strong>rs à l’Université de Chittagong,22/04/73, B.L.J.D.(20) ibid.25(21) Michaël de Saint-Cheron, Gallimard/A.F.I., p.164.(22) Bibliothèque littéraire Jacques D<strong>ou</strong>cet,Fonds André <strong>Malraux</strong>.(23) André <strong>Malraux</strong>, ‘Oraisons Funèbres’,Gallimard 1971, p.136.(24) cf. J.N. Dixit, ‘Rencontres avec André<strong>Malraux</strong>’, 1973, Gallimard/A.F.I., p.221.(25) Paul Eluard, ‘Un homme est mort’, ‘Aurendez-v<strong>ou</strong>s allemand’, éd. de Minuit, 1944.(26) ‘La Corde et <strong>la</strong> S<strong>ou</strong>ris’, Gallimard/ Pléiade,tome III.(27) cité dans Gallimard/A.F.I., p.22.(28) expression de Roger Stéphane.(29) Paul Eluard, ibid n.25.Bibliographie:- André <strong>Malraux</strong>, ‘Oeuvres Complètes’,Gallimard, Bibliothèque de <strong>la</strong> Pléiade, 5volumes parus.- André <strong>Malraux</strong>, ‘Oraisons Funèbres’,ibid. tome III et Gallimard 1971.- Christian Biet, Jean-C<strong>la</strong>ude Brigelli etJean-C<strong>la</strong>ude Raspail, ‘André <strong>Malraux</strong>,<strong>la</strong> création d’un destin’, Gallimard,collection Déc<strong>ou</strong>verte n.18.- Jean Lac<strong>ou</strong>ture, ‘André <strong>Malraux</strong>. UneVie dans le siècle’, Le Seuil, 1976.- Philippe Méd<strong>ou</strong>x, L<strong>ou</strong>is Bertagna, et al.,‘Hommage à André <strong>Malraux</strong>. 1901-1976’, <strong>la</strong> N.R.F., juillet 1977, n°295.- Jean-C<strong>la</strong>ude Perrier, et al. ‘André<strong>Malraux</strong> et <strong>la</strong> tentation de l’Inde’,Gallimard/Ambassade de France enInde, 2004.- Michaël de Saint-Cheron, ‘<strong>Malraux</strong>. Larecherche de l’absolu’, éd. de <strong>la</strong>Martinière, 2004.- Roger Stéphane, ‘André Ma<strong>la</strong>raux.Premier dans le siècle.’, Gallimard, ‘LesCahiers de <strong>la</strong> N.R.F.’, 1996.- Sophie de Vilmorin, ‘Aimer encore’,Gallimard, 1999.

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