8décroche au bout <strong>de</strong> quelques minutes <strong>de</strong> cours magistral, dont <strong>le</strong>s élèvessont incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> faire seuls chez eux <strong>le</strong> travail d'assimilation et <strong>de</strong> reprisegrâce auquel tes élèves profitent <strong>de</strong> ton enseignement. Tous cherchent àtransmettre cette culture dont tu par<strong>le</strong>s et ont renoncé, il y a bel<strong>le</strong> lurette, à lafascination pour la non-directivité : ils n'en sont plus à expier <strong>le</strong>ur adultité dans<strong>de</strong>s gymnastiques d'ado<strong>le</strong>scent cherchant à tout prix <strong>le</strong> contact avec <strong>le</strong>ursélèves. Ce qui <strong>le</strong>s inquiète, c'est précisément <strong>de</strong> comprendre pourquoi unegran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs élèves ne comprennent pas ce qu'ils <strong>le</strong>ur enseignent,pourquoi ils butent <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s obstac<strong>le</strong>s là où eux, d'anciens bons élèves,progressaient, si ce n'est avec plaisir, au moins avec facilité. Ils cherchent àcomprendre, et c'est, précisément, parce que <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>s pédagogiques donttu par<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur permettent <strong>de</strong> comprendre un peu mieux <strong>le</strong>ur classe, d'éclairerce qui se passe et <strong>de</strong> <strong>sur</strong>monter quelques obstac<strong>le</strong>s, que ces mo<strong>de</strong>s ont dusuccès. A <strong>le</strong>ur manière, ces enseignants retrouvent, grâce à ce que tudénonces, un peu du plaisir à exercer <strong>le</strong>ur métier dont toi-même avoue qu'i<strong>le</strong>st une <strong>de</strong>s conditions essentiel<strong>le</strong>s d'une éducation réussie.- Mais ce plaisir, ils <strong>le</strong> trouvent dans la manipulation et non dans l'explorationjoyeuse et contagieuse <strong>de</strong>s savoirs.- Nous n'avons jamais sacrifié <strong>le</strong>s savoirs et tu nous fait là <strong>le</strong> plus vieux procèsfait aux pédagogues.- Mais, en insistant exclusivement <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s métho<strong>de</strong>s...C'est là que je décidai d'intervenir; j'étais resté muet jusqu'à présent, àcompter <strong>le</strong>s coups... mais je sentais bien que <strong>le</strong> débat allait repartir ets'éterniser.- Je ne suis pas certain <strong>de</strong> bien comprendre, dis-je avec une faussemo<strong>de</strong>stie accordée, avec <strong>le</strong> plus <strong>de</strong> naturel possib<strong>le</strong>, à mon statut d'étudiant.Mais ce que je vois bien c'est que vous développez, l'un et l'autre, un discoursqui ressemb<strong>le</strong> plus à une chanson <strong>de</strong> geste qu'à une démonstrationrationnel<strong>le</strong> : pour l'un comme pour l'autre, il y a <strong>de</strong>s adversaires mythiques,<strong>de</strong>s enjeux tutélaires, <strong>de</strong>s traîtres cachés <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s rochers et <strong>de</strong>sarchanges salvateurs. Vous êtes en p<strong>le</strong>ine épopée, bien au <strong>de</strong>là <strong>de</strong>squestions <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s pédagogiques; vous êtes dans la construction d'un <strong>de</strong>ces grands récits où l'on tente d'inscrire un peu du sens <strong>de</strong> ce que l'on fait. Aufond, c'est votre vie, la portée <strong>de</strong> votre engagement professionnel, qui sejouent dans tout ce que vous dites. Et je suis <strong>sur</strong>pris <strong>de</strong> voir votre difficulté à
9accepter que l'autre inscrive l'exercice <strong>de</strong> son métier dans une histoire qui luisoit propre et dont <strong>le</strong>s héros ne sont pas ceux <strong>de</strong> l'autre. Vous avez gardé unpenchant pour <strong>le</strong> romanesque et, parce que l'éducation est certainement -c'est là un <strong>de</strong> vos rares points d'accord - un <strong>de</strong>s enjeux majeurs <strong>de</strong> notretemps, vous vous racontez <strong>de</strong>s histoires avec <strong>de</strong> grands hommes, <strong>de</strong>sbandits <strong>de</strong> grands chemins et <strong>de</strong> bel<strong>le</strong>s répliques qui sonnent haut et fort!Entendons-nous bien : je ne vous condamne pas: je voudrais simp<strong>le</strong>mentvous faire remarquer que la questions <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s en pédagogies dont vousdébattez si bien est peut-être, tout simp<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> ce terrib<strong>le</strong> etfantastique besoin <strong>de</strong> "héros", <strong>de</strong> cette nécessité <strong>de</strong> "donner <strong>de</strong>s noms à sesidées" qui marque nos pauvres aventures individuel<strong>le</strong>s.Maintenant, si cela ne vous suffit pas et pour revenir à <strong>de</strong>s propos plus triviaux<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>s pédagogiques, ma conviction - bana<strong>le</strong> entre toutes - est que, si<strong>le</strong> fait d'être à la mo<strong>de</strong> ne garantit pas que l'on a raison, cela ne prouve pas,non plus, que l'on a tort. Aussi, s'il y a <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s qui méritent <strong>de</strong> <strong>sur</strong>vivre à lamo<strong>de</strong>, ce sont cel<strong>le</strong>s qui ren<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s gens plus intelligents <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur métier,cel<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>ur permettent <strong>de</strong> comprendre ce qui se joue dans ce qu'ils viventavec <strong>le</strong>ur classe et pourquoi, <strong>de</strong> temps en temps, ça marche un peu moinsmal. Je comprends bien <strong>le</strong>s dangers que <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>s peuventreprésenter... mais je crois, précisément, que ces dangers peuvent être, aumoins partiel<strong>le</strong>ment, écartés, dans la me<strong>sur</strong>e où vous n'occultez pas <strong>le</strong>sdébats que vous venez d'avoir. Ce qui serait terrib<strong>le</strong>, ce qui représenteraitune manipulation insupportab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s enseignants, c'est que, précisément,vous <strong>le</strong>ur épargniez la contradiction. C'est là où la mo<strong>de</strong> - cel<strong>le</strong> qu'à votremanière vous représentez l'un et l'autre, dans <strong>de</strong>s registres différents -<strong>de</strong>viendrait une terrib<strong>le</strong> dérive. Du béton... et, au bout, l'échec inévitab<strong>le</strong> pourtous : pour ceux qui totémisent <strong>le</strong>s outils comme pour ceux qui nous renvoientsans cesse à notre rapport intime au savoir. L'échec parce que <strong>le</strong>s outils nesont rien sans une interlocution personnel<strong>le</strong> et permanente avec la culture auservice <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> ils sont mobilisés... et l'échec aussi parce que la culture,même vécue <strong>de</strong> l'intérieur avec intelligence et passion, peut se heurter à unmur et n'engendrer que la vio<strong>le</strong>nce si on ne dispose pas <strong>de</strong> cette sollicitu<strong>de</strong>qui permet <strong>de</strong> comprendre et <strong>de</strong> remédier quand on découvre que,précisément, l'élève ne comprend pas. Que ceux et cel<strong>le</strong>s qui défen<strong>de</strong>nt l'uneou l'autre <strong>de</strong> ces thèses soient à la mo<strong>de</strong> ne me gène nul<strong>le</strong>ment. Surtoutquand ils assument, par ail<strong>le</strong>urs, un rô<strong>le</strong> social essentiel : donner auxenseignants un peu <strong>de</strong> courage pour reprendre, tous <strong>le</strong>s matins, <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong>l'éco<strong>le</strong>. Et qu'importe, alors, pourvu que la contradiction soit toujours vive, <strong>le</strong>sjalousies <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres... Qu'importe, aussi, pourvu que la pensée