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De l'individualisation de l'enseignement à la pédagogie différenciée :

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1<strong>De</strong> <strong>l'individualisation</strong> <strong>de</strong><strong>l'enseignement</strong>à <strong>la</strong> pédagogie différenciée :l'expérience du Collège Saint-Louis-GuillotièrePour bien comprendre le sens <strong>de</strong> l'expérience pédagogique qui a démarréen 1976 au Collège Saint-Louis Guillotière, sans doute faut-il situer brièvementcelle-ci dans l'évolution générale <strong>de</strong>s collèges français. On se souvient que, dansl'inspiration du P<strong>la</strong>n Langevin-Wallon, les gouvernements successifss'acheminèrent progressivement, à partir <strong>de</strong>s années 1950, vers l'accès auCollège (on par<strong>la</strong>it alors du "premier cycle <strong>de</strong> <strong>l'enseignement</strong> secondaire") <strong>de</strong>l'ensemble d'une c<strong>la</strong>sse d'âge. Cette évolution fut assez lente au début, tributairequ'elle était <strong>de</strong>s structures existantes et <strong>de</strong>s clivages sociologiques forts quitraversaient à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française et les enseignants: il existait, eneffet, à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s "cours complémentaires", <strong>la</strong>rgement majoritaires dans leszones rurales et les petites villes, et <strong>de</strong> prestigieux premiers cycles <strong>de</strong> lycéesurbains dans lesquels on entrait avec l'espoir d'accé<strong>de</strong>r sur p<strong>la</strong>ce jusqu'aubacca<strong>la</strong>uréat; par ailleurs, les instituteurs restaient attachés aux cycles <strong>de</strong> find'étu<strong>de</strong>s tandis que les agrégés souhaitaient le maintien <strong>de</strong> filières sélectives dès<strong>la</strong> sixième... les uns et les autres n'envisageant guère, au moins majoritairement,<strong>de</strong> travailler ensemble avec les mêmes élèves dans les mêmes établissements.Vers <strong>la</strong> constitution du "collège unique"...L'apparition du "collège" comme entité pédagogique homogène fut doncchaotique... et, à bien <strong>de</strong>s égards, d'ailleurs, elle n'est pas terminée aujourd'hui.L'élément déterminant dans cette histoire fut <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong> l'examen d'entréeen sixième qui marqua fortement, au moins au p<strong>la</strong>n symbolique, le droit <strong>de</strong> tousà accé<strong>de</strong>r à une "culture secondaire". Cette suppression fut accompagnée, ons'en souvient, <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> trois filières correspondant, à <strong>la</strong> fois, à trois"types d'élèves" auxquels on se proposait <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s pédagogies adaptées et à<strong>de</strong>s corps d'enseignants différents, aux statuts institutionnels <strong>la</strong>rgement


2hétérogènes: alors que <strong>la</strong> filière 1 sco<strong>la</strong>risait les traditionnels "bons élèves" etleur proposait un professeur par discipline, les filières 2 et 3 sco<strong>la</strong>risaient lesélèves plus ou moins en difficulté, avec un nombre réduit d'enseignants, <strong>de</strong>spédagogies plus proches du concret, <strong>la</strong>rgement inspirées - au moins dans lestextes et dans quelques c<strong>la</strong>sses - <strong>de</strong>s "métho<strong>de</strong>s actives" et <strong>de</strong> "l'EducationNouvelle". La formule était loin d'être absur<strong>de</strong> et l'on pouvait y voir quelquesavantages: en particulier, le fait <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s pédagogiquesspécifiques adaptées aux difficultés particulières d'une catégorie d'élèves, avecl'espoir <strong>de</strong> les voir ainsi réintégrer assez vite le "cursus normal", était une idée à<strong>la</strong> fois intéressante et généreuse... même si elle n'était pas très nouvelle! C'estd'ailleurs une idée qui revient <strong>de</strong> manière tout à fait régulière dans le systèmeéducatif... et qui, dès qu'elle s'institutionnalise, s'avère complètement inefficace!Tout se passe en effet comme si, effectivement, <strong>de</strong>s structures parallèles où sedéveloppent <strong>de</strong>s pratiques originales et adaptées aux élèves représentaient bienune chance, pour eux, d'accé<strong>de</strong>r à un niveau plus élevé (c'était bien le cas <strong>de</strong>s"cours complémentaires", comme le montre Antoine Prost) 1 ,tandis quel'intégration <strong>de</strong> ces structures dans le "système central" à <strong>de</strong>s fins explicites <strong>de</strong>"récupération" manquait régulièrement son coup: dès qu'une telle structure estofferte aux enseignants, elle est immédiatement utilisée comme un moyend'écarter le <strong>de</strong>rnier tiers <strong>de</strong>s élèves et <strong>de</strong> leur faire subir une orientationprématurée, à eux qui sont les moins préparés pour l'assumer. On assiste là à un"effet-système" caractéristique du système éducatif français et qui donne à <strong>la</strong>courbe <strong>de</strong> Gauss un pouvoir prescriptif sur les résultats sco<strong>la</strong>ires: quels quesoient les élèves et quel que soit leur niveau, on doit toujours légitimer <strong>la</strong>réussite du premier tiers par l'existence d'un tiers <strong>de</strong> médiocres et d'un tiersd'élèves "faibles" dont il faut se défaire et qui sont donc reversés, sans espoir <strong>de</strong>rattrapage, à l'intérieur <strong>de</strong>s structures qui étaient précisément prévues pour les"récupérer".Un collège à <strong>la</strong> recherche d'une alternative...Quand le Collège Saint-Louis Guillotière déci<strong>de</strong> d'engager une"expérience pédagogique", en 1972, c'est donc encore l'organisation en troisfilières qui est en p<strong>la</strong>ce. Les professeurs tentent, tant bien que mal, <strong>de</strong> <strong>la</strong> fairefonctionner, mais le Collège - qui dépend alors directement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Paroisse Saint-Louis - périclite: son image <strong>de</strong> marque est mauvaise, ses locaux tristementvétustes, le quartier, très popu<strong>la</strong>ire, ne lui fournit que <strong>de</strong>s élèves assez "faibles"et <strong>de</strong> niveau assez homogène; le cercle vicieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> "mauvaise réputation" estinstallé: "les élèves sont faibles, alors il ne faut pas envoyer <strong>de</strong> bons élèves... etles élèves <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus faibles!". Or, à ce moment-là, un1Antoine PROST, L'enseignement s'est-il démocratisé?, P.U.F., Paris, 1986.


3regroupement d'établissements est en train <strong>de</strong> s'effectuer sur Lyon, sous <strong>la</strong>houlette <strong>de</strong>s Jésuites, et il manque un "premier cycle". Jean Sainc<strong>la</strong>ir, militantactif <strong>de</strong> <strong>la</strong> "pédagogie nouvelle", a <strong>la</strong> conviction qu'il faut développer uneexpérimentation pédagogique originale dans le cadre <strong>de</strong> ce regroupement; il ensera un <strong>de</strong>s ar<strong>de</strong>nts partisans. <strong>De</strong> plus, nous sommes encore dans <strong>la</strong> mouvance<strong>de</strong> Mai 68 et il existe, dans tous ces établissements qui se fédèrent pour fon<strong>de</strong>r leCentre Saint-Marc, quelques enseignants un peu "remuants" à qui il convient <strong>de</strong>donner un lieu pour exprimer leur velléités novatrices. L'opération va être tentée<strong>de</strong> les regrouper et leur confier, au sein du Centre Saint-Marc, le Collège Saint-Louis Guillotière.Face à un défi difficile, les professeurs <strong>de</strong> Saint-Louis déci<strong>de</strong>nt d'abord <strong>de</strong>"prendre leur temps": ils condamnent le système <strong>de</strong>s filières et, quoi qu'il en soit,le système <strong>de</strong>s filières avait déjà condamné l'"ancien" collège... il faut donc enchanger. D'autant plus que, dans les sessions <strong>de</strong> l'Université Pédagogique d'Eté,où ils se sont retrouvés avec <strong>de</strong>s hommes comme Daniel Hameline, EtienneVerne ou Didier Piveteau, ils ont découvert les effets pervers <strong>de</strong> l'"effetd'attente"; ils mesurent bien à quel point le comportement <strong>de</strong>s élèves a tendanceà se caler sur <strong>la</strong> représentation que les professeurs ont d'eux. Il n'est donc pasquestion <strong>de</strong> constituer <strong>de</strong>s "c<strong>la</strong>sses spéciales" qui, même si l'on y pratique <strong>la</strong>pédagogie <strong>la</strong> plus "progressiste", sont toujours menacées <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s lieuxd'exclusion institutionnelle. Que faire alors? <strong>De</strong>ux apports seront déterminants,<strong>de</strong>ux apports que les professeurs vont découvrir dans leurs pérégrinationspédagogiques: <strong>la</strong> "pédagogie par objectifs" qui arrivait juste d'Outre-At<strong>la</strong>ntiqueet "<strong>la</strong> pédagogie personnalisée" que proposait Pierre Faure, dans <strong>la</strong> mouvance duP<strong>la</strong>n Dalton, <strong>de</strong> l'Ecole <strong>de</strong> Winnetka et <strong>de</strong>s travaux d'Edouard C<strong>la</strong>parè<strong>de</strong> oud'Henri Bouchet 2 .La pédagogie par objectifs et <strong>la</strong> pédagogiepersonnalisée...La "pédagogie par objectifs" apparaissait, dans les années 70, comme unesorte <strong>de</strong> contrepoint salutaire à <strong>la</strong> surchauffe utopiste et groupiste qui avaitprécédé... si ce n'est dans les faits, au moins dans les discours pédagogiques.Elle <strong>de</strong>mandait simplement que l'"on nomme le résultat attendu au terme d'untravail <strong>de</strong> l'élève dans <strong>de</strong>s termes suffisamment univoques pour que l'évaluationpuisse être binaire (réussi/échoué)". Peu <strong>de</strong> choses, apparemment et, pourtant,un changement considérable dans les pratiques: un c<strong>la</strong>rification du rapportpédagogique qui évitait <strong>la</strong> sélection sauvage - et sociale! - à l'implicite; un outil2 Pierre FAURE, Un enseignement personnalisé et communautaire, Casterman, Tournai,1979; Edouard CLAPAREDE, L'école sur mesure, <strong>De</strong><strong>la</strong>chaux et Niestlé, Neuchâtel, 1921;Henry BOUCHET, L'individualisation <strong>de</strong> <strong>l'enseignement</strong>, P.U.F., Paris, 1933.


4pour travailler en équipe et parler ensemble <strong>de</strong> ses progressions; un moyenpuissant, surtout, pour lutter contre le "fatalisme" en mettant <strong>de</strong>s objectifs à <strong>la</strong>portée <strong>de</strong>s élèves, en leur permettant <strong>de</strong> se représenter ce qu'on attendait d'eux,en leur donnant <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> vérifier eux-mêmes leur réussite et <strong>de</strong> voir seconcrétiser leur progression.La "pédagogie personnalisée", qui avait déjà été mise en oeuvre <strong>de</strong>manière systématique au Collège <strong>de</strong> LONGWY 3 , se proposait, elle, <strong>de</strong>supprimer <strong>la</strong> structure même <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse et d'organiser le travail <strong>de</strong>s élèves àpartir <strong>de</strong> fiches individuelles: chacun, à partir <strong>de</strong> l'évaluation <strong>de</strong> son niveau grâceà un test initial, se voyait proposer <strong>de</strong> démarrer <strong>la</strong> progression à un point donné.Il se tournait vers ses professeurs, ses camara<strong>de</strong>s et <strong>la</strong> documentation mise à sadisposition qui fonctionnaient, pour lui, comme autant <strong>de</strong> "ressources". Ilévoluait à son rythme... et c'était là, semb<strong>la</strong>it-il, le grand avantage <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong>.Les enseignants croyaient, en effet, à l'époque, que les différencesinterindividuelles en matière d'apprentissage étaient essentiellement <strong>de</strong>sdifférences <strong>de</strong> rythme et que les élèves en difficulté étaient, pour l'essentiel, <strong>de</strong>sélèves lents.Le "travail indépendant" ou le triomphe <strong>de</strong> <strong>la</strong>pédagogie individualisée...<strong>De</strong> ces <strong>de</strong>ux inspirations pédagogiques, <strong>la</strong> "pédagogie par objectifs" et <strong>la</strong>"pédagogie personnalisée", d'un travail colossal <strong>de</strong>s enseignants qui n'hésiterontpas à sacrifier toutes leurs gran<strong>de</strong>s vacances pour rédiger et faire imprimer leursfiches, va naître en 1973/74 "le premier Saint-Louis", celui du "travailindépendant". Il est animé par un tan<strong>de</strong>m particulièrement convaincu: RobertBrun et Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Fayard. C'est alors un collège prodigieusement"révolutionnaire" pour l'époque (et qui le serait tout autant aujourd'hui!) quis'organise petit à petit: il n'y pas <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse, pas d'emploi du temps; les élèvess'inscrivent en choisissant, tous les jours, leurs heures <strong>de</strong> cours par discipline etleurs professeurs; ils doivent, simplement, effectuer une progression donnéedans chaque discipline, progression qu'est chargée d'évaluer leur "professeurresponsable".A côté <strong>de</strong> ce<strong>la</strong> sont proposés <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> création artistique,également choisis librement par les élèves, et une "vie <strong>de</strong> groupe", imposée elle,où sont débattus toutes les questions d'ordre socioaffectif.Qui n'a pas visité Saint-Louis à l'époque ne peut s'imaginer ce qu'étaitl'établissement: les élèves se promenaient librement dans les couloirs, cherchantleur salle, hésitant entre une heure <strong>de</strong> mathématiques et une heure d'ang<strong>la</strong>is; <strong>de</strong>spiles <strong>de</strong> fiches individuelles étaient déposées dans <strong>de</strong>s salles spécialisées, <strong>de</strong>s3 Maurice FEDER, Un collège sans c<strong>la</strong>sse, ça existe, E.S.F., Paris, 1980.


5élèves y travail<strong>la</strong>ient, en nombre variable, parfois sans enseignant ni surveil<strong>la</strong>nt;dans certaines salles, <strong>de</strong>s queues d'élèves qui vou<strong>la</strong>ient faire corriger leurs fichesse formaient <strong>de</strong>vant un professeur; dans d'autres, <strong>de</strong>s discussions sur <strong>la</strong> vie dugroupe s'éternisaient; le soir, après 17 heures, le travail continuait quelque peudans les c<strong>la</strong>sses et était re<strong>la</strong>yé, à partir <strong>de</strong> 18 heures par <strong>de</strong>s concertationsd'enseignants qui finissaient parfois au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit. Je crois qu'il n'y avaitpas <strong>de</strong> sonnerie; l'heure n'était pas, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, <strong>la</strong> préoccupation majeure.Chaque élève disposait d'un gros c<strong>la</strong>sseur par discipline qui restait au collège etdans lequel il archivait ses fiches, les couloirs en étaient pleins. Je ne mesouviens plus très bien comment l'on faisait, alors, pour vérifier les présents etles absents, mais il ne me semble pas qu'il y ait eu plus d'"école buissonnière"que dans d'autres établissements... plutôt moins sans doute!Ce type <strong>de</strong> fonctionnement dura, en réalité, assez peu <strong>de</strong> temps: <strong>la</strong> fatigue<strong>de</strong>s enseignants, le départ <strong>de</strong> certains d'entre eux, l'arrivée <strong>de</strong> nouveaux dansl'équipe, une concertation régulière avec les délégués <strong>de</strong>s élèves, <strong>la</strong> consultation<strong>de</strong>s parents, tout ce<strong>la</strong> permit <strong>de</strong> faire émerger certaines questions qu'il fallut bienprendre en compte. La systématisation du "travail indépendant" ne créait-ellepas autant <strong>de</strong> problèmes qu'elle n'en résolvait? Ne négligeait-on pas <strong>la</strong>communication et l'expression orale? Ne dévalorisait-on pas les processus <strong>de</strong>découverte au profit <strong>de</strong>s seuls processus d'assimi<strong>la</strong>tion et d'acquisition <strong>de</strong>mécanismes? Ne sous-estimait-on pas <strong>la</strong> sensibilité et <strong>la</strong> créativité <strong>de</strong> l'enfant enl'enfermant dans <strong>de</strong>s progressions trop rigi<strong>de</strong>s? Ne sélectionnait-on pas certainsenfants qui se trouvaient particulièrement en phase avec <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> <strong>de</strong>s "fichesindividuelles <strong>de</strong> travail", les élèves minutieux, lents et obstinés? Ne <strong>la</strong>issait-onpas <strong>de</strong> côté d'autres élèves qui auraient requis d'autres métho<strong>de</strong>s? La variablerythmeétait-elle <strong>la</strong> seule variable significative dans l'apprentissage? Et même,en <strong>la</strong>issant chacun progresser à son rythme, ne <strong>la</strong>issait-on pas les élèves lents<strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plus en plus lents? Ne fal<strong>la</strong>it-il pas introduire <strong>de</strong>s butoirs plusréguliers pour mieux marquer les exigences <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression?Vers une pédagogie différenciée...C'est à partir <strong>de</strong> ces questions et, à nouveau, d'un investissementconsidérable <strong>de</strong>s professeurs que fut é<strong>la</strong>boré, à partir <strong>de</strong> 1977-78, après qu'AndréB<strong>la</strong>ndin et moi-même eurent pris <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong> l'établissement, le "secondSaint-Louis". La structure en était assez complexe et ne fut, d'ailleurs, stabiliséequ'après <strong>de</strong>ux ou trois ans <strong>de</strong> fonctionnement... si bien qu'il est impossible, dansles limites <strong>de</strong> cet article, d'en décrire en détail <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce. On s'en tiendradonc au principe et à une <strong>de</strong>scription sommaire.Le principe était simple: il s'agissait d'associer un "cadrage"hebdomadaire <strong>de</strong>s objectifs (chaque discipline s'engageant à proposer un objectifpar semaine et à en garantir l'acquisition) avec une diversification <strong>de</strong>s itinéraires


6d'accés, tant sur le p<strong>la</strong>n qualitatif (par le choix entre <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s diversesc<strong>la</strong>irement annoncées et par le choix entre plusieurs professeurs) que sur le p<strong>la</strong>nquantitatif (en permettant à chaque élève d'augmenter ou <strong>de</strong> diminuer son temps<strong>de</strong> travail en fonction <strong>de</strong> ses besoins dans chaque discipline). Au niveau <strong>de</strong>l'organisation, <strong>la</strong> semaine <strong>de</strong> l'élève était divisée en quatre "temps" c<strong>la</strong>irementdistincts: un temps d'acquisition où l'élève <strong>de</strong>vait effectuer un nombre d'heuresdonné par discipline, mais avec <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> et le professeur <strong>de</strong> son choix; untemps <strong>de</strong> travail complémentaire où l'élève pouvait compléter ses acquis dans lesdisciplines où il s'était retrouvé en difficulté en choisissant <strong>de</strong>s coursprécisément ciblés; un temps d'évaluation-suivi sco<strong>la</strong>ire, assuré par le professeurresponsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse (qui se retrouvait là au complet pour <strong>la</strong> seule et uniquefois) où, après une rapi<strong>de</strong> reprise collective <strong>de</strong> l'objectif, une évaluation étaitproposée; un temps <strong>de</strong> soutien ou d'approfondissement où les élèves étaientrépartis, cette fois, par le professeur lui-même en fonction <strong>de</strong>s résultats <strong>de</strong>l'évaluation et <strong>de</strong>s besoins particuliers qu'elle avait révélés.Cette formule a, sans doute, représenté, dans l'histoire <strong>de</strong> Saint-Louis, lemoment le plus cohérent et le plus riche: il y avait, à <strong>la</strong> fois, un suivi précis <strong>de</strong>sélèves et une différenciation maximale <strong>de</strong> <strong>la</strong> pédagogie: différenciation <strong>de</strong>smétho<strong>de</strong>s (annoncées c<strong>la</strong>irement comme plus inductives ou déductives, plusindividuelles ou collectives, plus centrées sur <strong>la</strong> verbalisation ou sur l'écrit, etc.),différenciation <strong>de</strong>s sous-objectifs permettant d'atteindre les objectifshebdomadaires (dans le cadre du travail complémentaire et du soutien),différenciation <strong>de</strong>s "pôles psychologiques d'i<strong>de</strong>ntification" offerts aux élèvesgrâce aux choix entre plusieurs enseignants. La vie du collège, elle, n'était plustout à fait <strong>la</strong> même qu'au temps du "travail indépendant": moins d'allées etvenues dans les couloirs, moins <strong>de</strong> "spontanéité" peut-être, plus <strong>de</strong> technique et<strong>de</strong> jargon: on rencontrait <strong>de</strong>s élèves qui s'interrogaient pour savoir s'il feraientleur temps d'acquisition d'ang<strong>la</strong>is <strong>de</strong> <strong>la</strong> semaine <strong>de</strong> manière plutôt "massée" ou"distribuée". D'autres s'inquiétaient du fait que telle heure <strong>de</strong> T.C. (travailcomplémentaire) <strong>de</strong> français consacrée à <strong>la</strong> reprise du style indirect n'était pascompatible avec une heure <strong>de</strong> géographie réservée à ceux qui avaient malintégré <strong>la</strong> technique <strong>de</strong> <strong>la</strong> confection d'une carte. La plupart par<strong>la</strong>ient "évalu",comparaient leurs graphiques <strong>de</strong> progression par discipline et se <strong>de</strong>mandaient s'ilne va<strong>la</strong>it pas mieux aller en soutien même s'ils n'étaient pas convoqués... Je saisque tout ce<strong>la</strong> peut apparaître assez farfelu ou, plus exactement, bien trop sérieuxpour <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> 11 à 16 ans. Pourtant c'est bien cet esprit d'extrême sérieuxqui régnait au collège et présidait à ces concertations entre professeurs et élèvesqui, maintenant, se multipliaient et où s'é<strong>la</strong>borait vraiment <strong>la</strong> "pédagogiedifférenciée" dont nous commencions à entendre parler par ailleurs, <strong>de</strong> manièreplus ou moins officielle.Bien sûr, un tel système n'était pas sans poser <strong>de</strong>s questions et lescentaines <strong>de</strong> visiteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et <strong>de</strong> l'étranger qui vinrent à Saint-Louis


pendant ces années ne manquèrent pas <strong>de</strong> nous les poser. N'était-il pas tropcomplexe pour les élèves, se <strong>de</strong>mandaient certains?... avant d'être stupéfaits <strong>de</strong><strong>la</strong> façon dont les élèves expliquaient eux-mêmes "<strong>la</strong> structure" et <strong>de</strong> reconnaîtreque, à travers l'organisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> semaine en quatre temps, c'était bien <strong>la</strong>structuration <strong>de</strong> l'intelligence qui était visée, l'intelligence elle-même qui étaithabituée, par là, à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quel objectif elle veut atteindre, comment ellepeut y arriver, qu'est-ce qu'il conviendrait <strong>de</strong> faire pour compléter le travaileffectué, etc. D'autres visiteurs nous faisaient remarquer très justement que, endépit <strong>de</strong>s multiples systèmes <strong>de</strong> différenciation et <strong>de</strong> "rattrapage", il <strong>de</strong>vait bienrester <strong>de</strong>s élèves qui, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> semaine, n'avaient pas atteint l'objectif... etc'était vrai, bien sûr! Mais nous pensions qu'il va<strong>la</strong>it mieux, pour eux, éviterl'"acharnement pédagogique", passer à autre chose, en espérant que <strong>la</strong> difficultésoit vaincue à une autre occasion, quand elle serait abordée par un autre côté...Nous avions observé, en effet, <strong>de</strong> nombreux cas d'élèves qui accédaient au pluscomplexe avant d'avoir compris le moins complexe et cette constatation nousrendait à <strong>la</strong> fois plus souple et plus attentif à multiplier les occasions <strong>de</strong>remédiation. D'autres visiteurs, encore, s'inquiétaient <strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté induite parle choix <strong>de</strong>s professeurs par les élèves... avant <strong>de</strong> constater que les mécanismes<strong>de</strong> régu<strong>la</strong>tion jouaient re<strong>la</strong>tivement bien, qu'un enseignant ayant moins d'élèvesune semaine pouvait pratiquer une pédagogie plus individualisée alors que te<strong>la</strong>utre, "victime <strong>de</strong> son succès", se voyait contraint à <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s plusmagistrales et était moins choisi <strong>la</strong> semaine suivante... et puis les élèvesexpliquaient très bien eux-mêmes qu'ils pouvaient avoir besoin, à un momentdonné, d'un certain type <strong>de</strong> rapport au professeur et que c'était bien <strong>de</strong> pouvoir letrouver, qu'ainsi, à Saint-Louis, les différences entre les enseignants étaient unechance extraordinaire offerte aux élèves. Enfin, bien sûr, les visiteurss'inquiétaient tous <strong>de</strong>s résultats sco<strong>la</strong>ires: étaient-ils meilleurs ou moins bons quedans les autres collèges? Sur ce p<strong>la</strong>n, nous disposions d'une garantie:l'évaluation par le "Laboratoire <strong>de</strong> pédagogie expérimentale" <strong>de</strong> l'UniversitéLyon 2, dirigé par Guy Avanzini, et qui soumettait nos élèves, en début et en find'année, à une batterie <strong>de</strong> tests très serrée pour les comparer avec un échantillond'élèves d'autres collèges. Or, sur plusieurs années, les résultats furentsensiblement i<strong>de</strong>ntiques: les élèves <strong>de</strong> Saint-Louis progressaient plus et mieuxque les élèves <strong>de</strong>s autres collèges, cet écart favorable était exceptionnel ensixième et avait tendance à diminuer ensuite régulièrement jusqu'en troisième,où il restait cependant positif. Si l'on prend en compte, alors, tous les acquis surle p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> <strong>la</strong> socialisation (que ne mesuraient pas les tests), onvoit que les élèves qui étaient à Saint-Louis n'étaient pas "handicapés"... Le"public" ne s'y trompa pas: les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d'inscription affluèrent; le collège setrouvait chaque année avec trois ou quatre fois plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d'inscriptionsqu'il ne pouvait en satisfaire.7


Les premières leçons <strong>de</strong> l'expérience...Que reste-t-il aujourd'hui <strong>de</strong> ce système, outre les bons souvenirs <strong>de</strong>sélèves qui en ont profité? Le collège lui-même, d'abord. Il a considérablementsimplifié <strong>la</strong> structure pour <strong>la</strong> rendre viable avec un investissement moindre <strong>de</strong>spersonnes; c'était, sans doute, inévitable. Il reste quelques autres collèges aussi,à Besançon ou en Bretagne, dont les professeurs s'étaient inspiré du système <strong>de</strong>Saint-Louis et qui ont trouvé, ensuite, d'autres formules, plus riches parfois, plusadaptées à leurs besoins toujours. Il reste aussi quelques "résultats" qui méritentpeut-être <strong>de</strong> s'inscrire mo<strong>de</strong>stement dans l'"histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> pédagogie sco<strong>la</strong>ire".D'abord - et c'est un point essentiel - on a pu, à Saint-Louis, instrumentervéritablement l'idée <strong>de</strong> "pédagogie différenciée" et en expérimenter le bienfondé.J'ai moi-même procédé à <strong>de</strong> nombreuses mesures comparatives montranttrès c<strong>la</strong>irement que <strong>la</strong> réussite <strong>de</strong>s élèves à un apprentissage sco<strong>la</strong>ire était trèsfortement dépendante, pour au moins 60% d'entre eux, <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> utilisée, etque <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> elle-même était plus ou moins efficace selon <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>l'objectif poursuivi et <strong>la</strong> personnalité <strong>de</strong> l'enseignant chargé <strong>de</strong> <strong>la</strong> mettre enoeuvre 4 . Ce n'est pas un hasard si l'expression d'"école plurielle", qui sera repriseensuite 5 , est née, à ma connaissance, au Collège Saint-Louis... Et ce n'est pas un<strong>de</strong>s moindres paradoxes que les enseignants du Collège - officiellementcatholique - aient vu très tôt, dans leur expérience, une tentative pour vivrepleinement <strong>la</strong> "<strong>la</strong>ïcité", c'est-à-dire donner sa pleine valeur à <strong>la</strong> différence sansabandonner <strong>la</strong> poursuite d' objectifs communs <strong>de</strong> connaissance et <strong>de</strong>socialisation.Car tel est bien, précisément, le <strong>de</strong>uxième enseignement du Collège Saint-Louis: nous ignorions l'analyse systémique et <strong>la</strong> "loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> variété requise" 6 , maisnous avons vite été convaincus qu'il n'était pas nécessaire - bien au contraire! -d'être <strong>de</strong>s enseignants "i<strong>de</strong>ntiques", du même âge, <strong>de</strong> <strong>la</strong> même sensibilitépolitique, avec les mêmes référents culturels et entretenant le même type <strong>de</strong>re<strong>la</strong>tions aux élèves, pour faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> "bonne pédagogie". Nous avons découvertque, pour autant que l'on est capable <strong>de</strong> se mettre d'accord sur <strong>de</strong>s objectifscommuns - ce qui n'est pas toujours facile! - on gagne toujours à miser sur <strong>la</strong>différence, on s'enrichit considérablement en échangeant sur nos pratiques, onfavorise <strong>la</strong> réussite <strong>de</strong>s élèves en multipliant les voies d'accès au savoir.84 Philippe MEIRIEU, Outils pour apprendre en groupe - Apprendre en groupe? 2, ChroniqueSociale, Lyon, 1984, pages 82 à 97.5 André <strong>de</strong> PERETTI, Pour une école plurielle, Larousse, Paris, 1987.6 La loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> variété requise é<strong>la</strong>borée par ASHBY, dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> cybernétique, seformule <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière suivante: "Quand un sous-système régu<strong>la</strong>teur (par exemple, lesenseignants dans un collège) n'est pas aussi hétérogène que le système qu'il régule (lesélèves), il ne régule plus que <strong>la</strong> part du système homogène avec lui-même".


10donnant à tous <strong>la</strong> même pédagogie, on creuse encore plus les écarts et que, enfournissant <strong>de</strong>s "compensations" à ceux qui sont déjà en situation <strong>de</strong> rejetsco<strong>la</strong>ire on accentue ce rejet. Ces <strong>de</strong>ux positions se nourrissent, chacune, <strong>de</strong>seffets pervers <strong>de</strong> l'autre et l'oscil<strong>la</strong>tion est ainsi constamment entretenue.Or, <strong>la</strong> formule expérimentée à Saint-Louis permettrait <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> cettealternance pour s'engager dans une véritable alternative. En effet, en supprimant<strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse comme unité pédagogique unique <strong>de</strong> référence, il serait possible <strong>de</strong>promouvoir l'association <strong>de</strong> "c<strong>la</strong>sses hétérogènes <strong>de</strong> référence" assumant <strong>de</strong>sfonctions <strong>de</strong> socialisation, <strong>de</strong> stimu<strong>la</strong>tion et d'apprentissage "par les différences"avec <strong>de</strong>s "groupes homogènes <strong>de</strong> besoin" constitués, non sur <strong>la</strong> base d'unmystérieux niveau (un élève peut avoir 10/20 en français parce qu'il travailletrop vite ou trop lentement, parce qu'il ignore l'orthographe ou manque <strong>de</strong>vocabu<strong>la</strong>ire, parce qu'il ne sait pas faire un p<strong>la</strong>n ou utiliser un exemple, etc.),mais sur <strong>la</strong> base d'un diagnostic pédagogique appuyé sur une évaluationcritériée. Une telle formule ne serait évi<strong>de</strong>mment possible que dans <strong>la</strong> mesureoù, au sein <strong>de</strong> chaque collège, <strong>de</strong>s regroupements <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sses, à taille humaine,pouvaient disposer d'une certaine autonomie <strong>de</strong> gestion... Et rien ne s'opposeraità ce que, progressivement, les structures <strong>de</strong> <strong>l'enseignement</strong> spécialisé s'yintègrent. Après tout, que peut-on espérer <strong>de</strong> mieux comme modèle sco<strong>la</strong>ire etsocial qu'un système où les personnes soient amenées, à <strong>la</strong> fois, à vivre ensemblepour se connaître et s'enrichir <strong>de</strong> leurs différences et à se regrouper, à d'autresmoments, en fonction <strong>de</strong> leurs besoins spécifiques?<strong>De</strong> l'imperfection comme vertu...Il est toujours difficile <strong>de</strong> raconter une histoire dont on a été un <strong>de</strong>sacteurs. On s'expose souvent à <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance et à <strong>la</strong> facilité. On s'expose aussi,en particulier dans <strong>l'enseignement</strong>, à <strong>la</strong> tentation <strong>de</strong> l'auto-dénigrement. C'estque, <strong>de</strong> l'intérieur, on décèle toujours les plus petits défauts et les écarts parrapport à un projet que l'on a conçu dans une re<strong>la</strong>tive "perfection". Mais <strong>la</strong> vien'est pas parfaite et il y a une rupture irréductible entre l'intentionnalité et l'acte...La vie quotidienne d'un établissement sco<strong>la</strong>ire est faite, nous le savons bien, <strong>de</strong>mille petites choses dérisoires et peut-être même, souvent, médiocres. "La vie,disait Georges Perros, <strong>la</strong> vraie vie, c'est par moments". L'éducation aussi. Lereste du temps, il faut bien l'avouer, on fonctionne. A Saint-Louis, onfonctionnait peut-être un peu moins qu'ailleurs; et pourtant, il y avait <strong>de</strong>s ratées.Comme dans tous les établissements sco<strong>la</strong>ires du mon<strong>de</strong>, on vivait, certainsjours, dans l'énervement et d'autres dans une re<strong>la</strong>tive apathie; mais, même dansces cas là, il existait quelques repères, un "futur" en quelque sorte, quipermettaient <strong>de</strong> mieux tolérer le présent. Le temps sco<strong>la</strong>ire était rythmé, ponctuépar <strong>de</strong>s événements collectifs qui permettaient <strong>de</strong> "s'accrocher": une vie <strong>de</strong>groupe, une assemblée générale <strong>de</strong>s élèves du niveau (il y en avait toutes les

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