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# 67 - Jeu de Paume

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# <strong>67</strong>Nadarla norme et le capriceChâteau <strong>de</strong> Tours29 mai – 7 novembre 2010


Nadar, George Sand, vers 1865 Nadar, Charles Bau<strong>de</strong>laire, vers 1860grimaces et gesticulations, para<strong>de</strong>s et mimodramesdu mon<strong>de</strong> du spectacle. À travers les archives<strong>de</strong> la Médiathèque <strong>de</strong> l’architecture et dupatrimoine, riche du fonds <strong>de</strong>s négatifs <strong>de</strong>s ateliersNadar père et fils, l’exposition relie et relit les <strong>de</strong>uxaspects a priori opposés du portrait, montrantqu’entre les « grands hommes » et les « tableauxvivants », l’imaginaire d’une société se retrouve faceà l’objectif.Le commerce du portraitFigure du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la presse parisienne,caricaturiste <strong>de</strong> génie, Félix Tournachon dit Nadarparticipe, au début <strong>de</strong>s années 1850, au succès dunouveau moyen d’expression qu’est la photographie.C’est dans son atelier <strong>de</strong> la rue Saint-Lazare, qu’iloccupe à Paris <strong>de</strong> 1854 à 1860, que naît le portraitphotographique comme genre esthétique. Nadar sefait en effet connaître grâce à ses photographiesextrêmement sobres <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s personnalitésromantiques <strong>de</strong> son temps.En 1860, l’atelier <strong>de</strong>vient une entreprise : le clientpasse comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> son portrait et s’installe pourune séance <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> vue. Le studio est organisésous une verrière afin <strong>de</strong> bénéficier d’un éclairagenaturel. La chambre photographique utilisée pour lesportraits est une machine imposante <strong>de</strong>vant laquellele modèle est placé, disposant d’appuis pourconserver la pose sans trop d’effort. Le fond neutreévolue au fur et à mesure vers les décors peints et lesaccessoires les plus divers. Les prix varient selon lesformats et le nombre d’images souhaités ; plusieursvues sont ainsi effectuées afin d’opérer un choix quiconvient au client. L’atelier produit et commercialise


Nadar, Gustave Doré, vers 1855également les portraits <strong>de</strong>s célébrités <strong>de</strong> l’époque.Des planches <strong>de</strong> présentation sont ainsi réalisées quimontrent les différentes prises <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>spersonnalités dont l’image est recherchée par lesamateurs. Instrument commercial pour lesreprésentants, ces planches témoignent <strong>de</strong> lacontribution <strong>de</strong> l’atelier, pendant plusieursdécennies, à la diffusion d’une représentationstandardisée <strong>de</strong> la célébrité. Régulièrement, lesplaques négatives font l’objet <strong>de</strong> retirages pourrépondre à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s clients.Le musée <strong>de</strong>s vivantsDevenu célèbre grâce à l’édition puis la réédition,entre 1854 et 1858, <strong>de</strong> son Panthéon composé <strong>de</strong>trois cents portraits-charges <strong>de</strong> célébritéscontemporaines, le caricaturiste Nadar appliqueson art du portrait à la technique photographique.Il découvre celle-ci un peu par hasard, son travail<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinateur appelant le recours à unedocumentation photographique. Dans son premierstudio, Nadar ne mène pas encore la vie d’unphotographe professionnel. Le portrait est unexercice qui vise à la « ressemblance intime » etl’intimité du « portrait psychologique » procè<strong>de</strong>paradoxalement <strong>de</strong> la sobriété <strong>de</strong>s poses et <strong>de</strong>l’aspect hiératique <strong>de</strong>s personnages.L’ambition <strong>de</strong> Nadar est d’associer la collection <strong>de</strong>sportraits du mon<strong>de</strong> artistique, littéraire et politique<strong>de</strong> la vie parisienne à l’exigence d’une révélation <strong>de</strong>l’intériorité <strong>de</strong>s êtres. Les contraintes du temps <strong>de</strong>pose entraînent une certaine rigidité <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s ;les grands hommes apparaissent le plus souvent enbuste et leur traitement visuel évoque la statuaireplus que la peinture. Nadar parvient à mettre enplace un modèle type du portrait photographiqueclassique. Il établit ainsi sa « Galerie <strong>de</strong>scontemporains » qui assure la rentabilité <strong>de</strong>l’entreprise.À partir <strong>de</strong> 1860, il déménage pour un luxueuxatelier boulevard <strong>de</strong>s Capucines. Son « palais <strong>de</strong>verre » est organisé pour une production plusstandardisée qui doit faire face à la concurrence etau succès <strong>de</strong>s portraits au format carte <strong>de</strong> visitelancés par son concurrent Disdéri, installé boulevard<strong>de</strong>s Italiens. Le choix <strong>de</strong>s petits formats sonne la fin<strong>de</strong> l’esthétique du portrait nadarien et signale <strong>de</strong>nouvelles priorités économiques.


Atelier Nadar, Sarah Bernhardt (Pierrot) dans la pantomimePierrot Assassin, palais du Trocadéro, 1883Atelier Nadar, Pierre Savorgnan <strong>de</strong> Brazza, explorateur, 1890Le marché <strong>de</strong>s grands hommesEn 1871, après la guerre franco-prussienne et laCommune, qui laissent la France et Paris dans la plusgran<strong>de</strong> désorganisation, l’atelier Nadar s’installe rued’Anjou. Mais les affaires vont mal ; Nadar, quis’inquiète pour ses amis proscrits et qui a <strong>de</strong>s soucis<strong>de</strong> sa santé, délègue le fonctionnement <strong>de</strong> son atelierà sa femme Ernestine et à son fils Paul.L’arrivée <strong>de</strong>s émulsions au gélatino-bromure d’argentfacilite la production <strong>de</strong>s portraits. La petite industrie<strong>de</strong> l’atelier Nadar standardise la recette du portraitpsychologique et, parallèlement au bustecaractéristique <strong>de</strong> son style, il pratique le portrait enpieds <strong>de</strong> façon plus systématique. Ce passage dubuste à la statue correspond au culte <strong>de</strong>s grandshommes qui est l’une <strong>de</strong>s marques <strong>de</strong> l’espritrépublicain. Partout en France, dans les jardinspublics, les écoles et les mairies, les bustes et lesstatues constituent le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la célébrationrépublicaine.L’économie du portrait Nadar transforme l’expérienceromantique du portrait psychologique en unereprésentation sociale généralisée, sans toutefoisperdre sa part <strong>de</strong> poésie. Les registres <strong>de</strong> l’atelierclassent les clients par profession, structurant ainsi lestock d’images sur un mo<strong>de</strong> sociologique. Les sujetsconservent la force <strong>de</strong> l’individualité mais lerassemblement <strong>de</strong> leurs portraits forme une sorted’encyclopédie visuelle.Les femmes <strong>de</strong> l’artSi les femmes restent rares au temps du PanthéonNadar, la génération qui fréquente l’atelier <strong>de</strong> la rued’Anjou voit apparaître <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> célébritésféminines, issues essentiellement du mon<strong>de</strong> artistique.La cantatrice, la danseuse et l’actrice <strong>de</strong>viennent troisgran<strong>de</strong>s figures qui conjuguent l’art au féminin à la findu xix e siècle. La clientèle phare <strong>de</strong> l’atelier estdésormais issue du mon<strong>de</strong> du spectacle qui incarneun nouveau modèle <strong>de</strong> réussite social. Les femmes <strong>de</strong>l’art contribuent au développement <strong>de</strong> portraits où lamise en scène s’affirme <strong>de</strong> plus en plus comme unélément déterminant <strong>de</strong> l’image.Par leur pose et leur attitu<strong>de</strong>, les cantatrices manifestentle prestige <strong>de</strong> leur art. Elles représentent l’académie <strong>de</strong>l’art lyrique et tiennent un rang social qui interditl’expression trop directe <strong>de</strong> la séduction féminine oumême <strong>de</strong> la fantaisie que leurs rôles pourraient refléter.


Atelier Nadar, M. Cooper, acteur, en toilette <strong>de</strong> ville, 1884Atelier Nadar, Cléopâtre-Diane <strong>de</strong> Méro<strong>de</strong>, dite Cléo <strong>de</strong> Méro<strong>de</strong>,danseuse <strong>de</strong> l’Opéra, 1894Élégantes et quelque peu maternelles, les cantatricesse distinguent <strong>de</strong>s danseuses. Ces <strong>de</strong>rnières prennentbien souvent la pose en mettant en scène leurstalents. Mais à l’exception <strong>de</strong> Cléo <strong>de</strong> Méro<strong>de</strong>,l’exercice photographique ne rend pas justice à leurart et privilégie l’anecdote.L’actrice emblématique <strong>de</strong> la production Nadar resteSarah Bernhardt, qui dépasse le portrait pour laisserplace au jeu. Par le costume, le geste, l’expression duvisage, voire même la reconstitution d’une scèneinterprétée <strong>de</strong>vant la chambre photographique, lecadre du portrait est détruit au profit d’une image oùl’actrice et son rôle se superposent.Les coulisses <strong>de</strong> l’atelierDans les années 1880, Paul développe une clientèled’artistes du spectacle et enrichit la variété <strong>de</strong>s fondsen fonction <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong> leurs rôles. Le temps <strong>de</strong>l’esthétique <strong>de</strong> la sobriété du père Nadar est révolu.Grâce aux plaques négatives <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong>l’atelier, on peut observer le hors-champ <strong>de</strong>s portraitsavant que le recadrage effectué au moment du tiragen’évacue tous les détails <strong>de</strong>s coulisses. Une fouled’anecdotes sont alors révélées qui traduisent la viequotidienne <strong>de</strong> l’atelier : le rôle <strong>de</strong>s assistants quimaintiennent les multiples artifices pour stabiliser lamise en scène <strong>de</strong>s personnages et surtout les limites<strong>de</strong>s décors <strong>de</strong> fond qui obligent à regar<strong>de</strong>r cesimages tout autrement.Partout, les employés du photographe sont à piedd’œuvre : ils font entendre raison à un chien rebelle,maintiennent à bras le corps un écran ou encoresupportent un fond peint en équilibre. Mais cettedémystification <strong>de</strong> la photographie d’atelier estpleine <strong>de</strong> vertus pédagogiques et, au final, elleempêche toute critique sur l’artifice <strong>de</strong>s poses : laphotographie est bel et bien une construction, commele sera bientôt le cinéma.Dès l’époque <strong>de</strong> l’atelier Nadar, il existe un travailconsidérable <strong>de</strong> « postproduction », comme on ledirait aujourd’hui : la retouche. Elle se distingue <strong>de</strong> lasimple « repique » qui consiste à effacer quelquesacci<strong>de</strong>nts et poussières. Pratiquée par <strong>de</strong>sprofessionnels appointés par l’atelier, la retoucheconsiste à enjoliver les modèles en gommant lesdisgrâces et en soulignant les avantages. Elle estappliquée au crayon ou au pinceau directement surla surface sensible <strong>de</strong> la plaque qui peut aussi être


Atelier Nadar, Albert Brasseur dans Adam et Ève,Théâtre <strong>de</strong>s Nouveautés, 1886Atelier Nadar, Mlle Lantelme dans Le Prince du Soleil,théâtre du Châtelet, 1889grattée ou traitée chimiquement. Bien avant lesdébats sur le numérique, la retouche a toujours faitpartie <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong>s images afin <strong>de</strong> lesadapter à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la clientèle.Des artifices, <strong>de</strong>s décors, <strong>de</strong>s costumes, <strong>de</strong>s poses et<strong>de</strong>s retouches : la photographie d’atelier est unepetite industrie à fabriquer <strong>de</strong>s mythologies visuelleset s’impose peu à peu comme l’un <strong>de</strong>s hauts lieuxd’une société qui aime à se contempler. Les registres<strong>de</strong> comman<strong>de</strong> témoignent <strong>de</strong> cette économie où l’onutilise le studio du photographe pour parfaire sonimage sociale.Le théâtre photographié ou le tableau vivantLe marché que constitue l’actualité théâtrale pourl’atelier Nadar ne se dément pas dans les années1880. Il est l’occasion d’expériences inédites surle plan photographique et, pour la première fois,l’imposante chambre photographique sort <strong>de</strong> l’atelierpour s’installer sur les lieux mêmes du spectacle. Il nes’agit toutefois pas <strong>de</strong> représentations théâtrales enpublic : les acteurs prennent la pose lors <strong>de</strong> séancesdédiées aux prises <strong>de</strong> vue photographiques. Ilschoisissent <strong>de</strong>s moments spectaculaires ou séduisantsafin d’assurer la promotion <strong>de</strong> leurs spectacles.Ce marché <strong>de</strong>s vues <strong>de</strong> mise en scène connaît sonpendant : les acteurs se dirigent en groupe à l’atelierNadar et viennent sur les planches du studio mimerles scènes <strong>de</strong> leurs pièces. La proximité du point <strong>de</strong>vue transforme le spectacle en un mimodramesouvent désopilant qui achève <strong>de</strong> retirer tout naturelà la photographie.Ce goût pour l’artifice correspond au succès <strong>de</strong>stableaux vivants, spectacles mondains du SecondEmpire, <strong>de</strong> plus en plus populaires à la fin du siècle.Les personnages en costumes miment, immobiles, lareconstitution <strong>de</strong> tableaux ou sculptures célèbres,jouant avec plus ou moins <strong>de</strong> grâce sur l’ambiguïtédu vivant et <strong>de</strong> l’inerte et prétextant parfois <strong>de</strong>scostumes « naturels » pour exhiber ce que la moraleréprouve.Le clown et le dandyBien que seul aux comman<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’atelier Nadar autournant <strong>de</strong>s années 1880-1890, Paul entretient <strong>de</strong>srelations houleuses avec son père qui en resteactionnaire. Celui-ci critique les projets <strong>de</strong>développements commerciaux <strong>de</strong> son fils qui installe


Atelier Nadar, Nolette dans Paris en général,théâtre <strong>de</strong>s Folies-Dramatiques, 1887Atelier Nadar, actrices <strong>de</strong> la revue Paris boulevard,Théâtre <strong>de</strong>s Nouveautés, 1888une annexe <strong>de</strong> l’atelier – l’Office général <strong>de</strong>photographie – pour vendre du matérielphotographique. Paul se lance par ailleurs dans lalittérature photographique et publie le Paris-Photographe qui propose la chronique <strong>de</strong>s actualitéstechniques et culturelles du médium.Sur un autre plan, Nadar désapprouve les relationsamoureuses <strong>de</strong> Paul avec une actrice <strong>de</strong> l’Opéra-Comique, Élisabeth Degrandi, déjà mariée. Scandalemoral, mais aussi belle-famille peu scrupuleuse quibientôt s’active rue d’Anjou. Nadar père craint pourles affaires familiales. C’est pourtant le mon<strong>de</strong> duspectacle, les célébrités du divertissement quifournissent à l’atelier une part notable <strong>de</strong> son activité.Ainsi, se croisent <strong>de</strong>vant l’objectif <strong>de</strong> Paul <strong>de</strong>uxmon<strong>de</strong>s en apparence opposés : celui <strong>de</strong>s acteursles plus farfelus et celui, plus « nadarien », <strong>de</strong>spersonnalités à la mise élégante.Les portraits classiques <strong>de</strong>s peintres, musiciens oujeunes aristocrates se voient ainsi cohabiter avec lesacteurs grimaçant dans leurs costumes, Riquet à lahouppe formant, par exemple, le portrait inversé dugrand duc Pierre <strong>de</strong> Russie. Ce décalage dans laclientèle <strong>de</strong> l’atelier traduit à sa manière celui qui s’estdéfinitivement instauré entre Nadar père et fils, mais ilmontre aussi le portrait double d’une société qui aimeà se représenter dans la ville et sur les planches, <strong>de</strong>uxunivers que le studio du photographe réunit.L’anachronisme au quotidienLe milieu <strong>de</strong>s années 1890 voit l’abandon <strong>de</strong>l’héritage <strong>de</strong> Nadar père : Paul <strong>de</strong>vient enfinpropriétaire, en 1895. Il adapte l’activité <strong>de</strong> l’atelier àl’évolution du médium car la photographie est<strong>de</strong>venue populaire, dans la mesure où elle estdésormais pratiquée par beaucoup grâce auxappareils maniables et aux pellicules sensiblespermettant l’instantané, populaire aussi parce qu’ellediffuse les images d’une société <strong>de</strong> loisirs naissante :les spectacles <strong>de</strong> boulevards, à côté <strong>de</strong>s sports et <strong>de</strong>sbords <strong>de</strong> mer, <strong>de</strong>viennent un élément essentiel <strong>de</strong>l’imaginaire <strong>de</strong> la Belle Époque.Distraire : un mot d’ordre, et <strong>de</strong> ce fait un indice que lavie est beaucoup moins rose que ne le laisse penser leterme <strong>de</strong> « Belle Époque ». Amuser, faire rêver sontaussi le rôle <strong>de</strong> l’atelier qui portraiture les acteurs encostume. Si, pour le regard contemporain, ces figuressemblent effectivement anachroniques, elles s’inscrivent


Atelier Nadar, M. Gobin (Rossignol) dans L’Œuf rouge,théâtre <strong>de</strong>s Folies-Dramatiques, 1890Atelier Nadar, M. Guyon (Apollon) dans Riquet à la houppe,théâtre <strong>de</strong>s Folies-Dramatiques, 1889néanmoins dans les plaisirs que nourrissent lesprogrammations <strong>de</strong>s salles parisiennes <strong>de</strong> l’époque :<strong>de</strong> la Rome antique aux débuts <strong>de</strong> l’humanité, toutesles pério<strong>de</strong>s sont l’occasion d’un exotisme historiqueoù accoutrements et décors ravissent le public.Ces acteurs costumés s’opposent a priori à la normedu portrait nadarien appliquée aux personnagesofficiels – Français décorés par la République ouétrangers portant les insignes <strong>de</strong> leurs reconnaissancesmilitaires et académiques. Pourtant, ces <strong>de</strong>rniers sontdéterminés par leurs tenues et la pompe vestimentairequi renvoie au public les honneurs auxquels ils ontdroit. Tout comme les acteurs en costumes, ils semblenthériter <strong>de</strong>s artifices <strong>de</strong> la para<strong>de</strong>. Au hiératismequelque peu désinvolte <strong>de</strong>s légionnaires romains <strong>de</strong>pacotille se mêle le sérieux <strong>de</strong>s portraits officiels,l’atelier du photographe <strong>de</strong>venant alors unemystérieuse machine à remonter le temps.Les clichés sentimentauxL’atelier du photographe parisien est l’un <strong>de</strong>sintermédiaires du succès public remporté par le théâtre<strong>de</strong> boulevard. Il fait à ce titre partie <strong>de</strong>s hauts lieux fin<strong>de</strong> siècle. Le théâtre populaire est l’objet d’un monopole<strong>de</strong> directeurs d’établissement, d’auteurs à succès et <strong>de</strong>critiques influents. Dans cette mécanique commerciale,la diffusion <strong>de</strong> photographies <strong>de</strong> célébrités et <strong>de</strong> scènesphares <strong>de</strong> pièces <strong>de</strong> théâtre joue son rôle.Alors que les représentations sur les planches sontéphémères, leur souvenir est entretenu par l’image.Le répertoire <strong>de</strong> l’époque, où Courteline et Fey<strong>de</strong>autriomphent, revendique un naturalisme qui ouvreparadoxalement à toutes les fantaisies. Théâtresocial, théâtre d’idée ou théâtre sentimental, cesont toujours les émotions qui sont mises en scène,<strong>de</strong> façon caricaturale. Dans un climat qui peineà dépasser la défaite <strong>de</strong> 1870 et les cicatrices <strong>de</strong>la Commune, ces répertoires participent pourcertains <strong>de</strong> la déca<strong>de</strong>nce d’une époque.Le sentiment amoureux procure l’illusion d’échapperà l’histoire. Universel et intime, érotique ou maternel,ingénu ou morbi<strong>de</strong>, il participe à une certaine forme<strong>de</strong> critique sociale, mais qui se joue sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>la légèreté. La photographie relaie cette industrie<strong>de</strong> la comédie où les auteurs célèbres produisentprès <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pièces par an.Michel Poivert


Nadar et son atelier, chronologie1820Naissance à Paris, le 6 avril, <strong>de</strong> Gaspard FélixTournachon.1833-1836Il s’inscrit à l’École <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> Lyon, mais, soutien<strong>de</strong> famille après le décès <strong>de</strong> son père, il s’exerce aujournalisme en écrivant <strong>de</strong>s critiques théâtrales dansla presse locale avant <strong>de</strong> rejoindre Paris.1839Annonce officielle à l’Académie <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> ladécouverte <strong>de</strong> la photographie.Il fon<strong>de</strong> le journal L’Audience et fréquente la jeunesseartistique : Charles Bau<strong>de</strong>laire, Henri Murger,Théodore <strong>de</strong> Banville, Gérard <strong>de</strong> Nerval.Il commence à publier sous le pseudonyme Nadar.1846Nadar commence une carrière <strong>de</strong> caricaturiste dans<strong>de</strong>s journaux politiques d’opposition.1847Il lance une série <strong>de</strong> portraits-charges intitulée Galerie<strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres, qui <strong>de</strong>viendra plus tard le fameuxPanthéon Nadar.1849Il publie ses caricatures dans Le Journal pour rire créépar Charles Philippon.1854Nadar encourage son jeune frère, Adrien, à <strong>de</strong>venirphotographe et celui-ci ouvre un atelier.Félix s’adonne lui aussi à la pratique <strong>de</strong> laphotographie et réalise ses premiers portraits auprintemps. Poursuivant ce nouveau champd’expérimentation, il ouvre son propre atelier, au 113,rue Saint-Lazare. Y défilent Bau<strong>de</strong>laire, Nerval,Delacroix, Doré, Gautier, Berlioz…Il publie sa célèbre lithographie, Le Panthéon Nadar,caricature où figurent trois cents célébritéscontemporaines. Le succès est immédiat.En septembre, il épouse Ernestine Lefèvre.1854-1855Félix et son frère Adrien photographient le mimeDeburau en Pierrot, série qui remporte une médailleà l’Exposition universelle <strong>de</strong> 1855. S’ensuit unedispute entre les <strong>de</strong>ux frères. Adrien, qui signe« Nadar jeune », veut poursuivre seul mais Félix luiintente un procès en mars 1856 – qu’il gagne endécembre 1857 – pour récupérer l’usage exclusif<strong>de</strong> son pseudonyme.1856Naissance <strong>de</strong> son fils Paul, le 8 février.Nadar est à la tête <strong>de</strong> trois journaux illustrés et d’unatelier photographique.Il commence à s’intéresser à l’aérostation et <strong>de</strong>vientmembre <strong>de</strong> la Société française <strong>de</strong> photographie.1858Il réalise, à bord d’un ballon, la premièrephotographie aérienne.1860Il quitte la rue Saint-Lazare et installe un luxueuxatelier au 35, boulevard <strong>de</strong>s Capucines.C’est un tournant commercial dans sa carrière <strong>de</strong>photographe.1861En février, il dépose le brevet <strong>de</strong> photographie àl’éclairage artificiel qui lui permet <strong>de</strong> photographierla nuit.1862Nadar photographie les catacombes et les égouts <strong>de</strong>Paris à la lumière artificielle.Passionné par l’aérostation, il s’éloigne progressivement<strong>de</strong>s affaires <strong>de</strong> l’atelier.1863Il fon<strong>de</strong> la « Société d’encouragement pour lalocomotion aérienne au moyen d’appareils pluslourds que l’air », ainsi que la revue L’Aéronaute.En octobre, Le Géant, immense ballon qu’il a faitconstruire, s’écrase à Hanovre. Nadar sort blesséet en<strong>de</strong>tté <strong>de</strong> cette entreprise.


1870-1871Lors du siège <strong>de</strong> Paris par les Prussiens, il constitueune compagnie d’aérostiers militaires pour défendre<strong>de</strong> ville.1871L’atelier Nadar quitte le boulevard <strong>de</strong>s Capucinespour la rue d’Anjou.1874Nadar qui a, néanmoins, conservé son localdu boulevard <strong>de</strong>s Capucines, accueille la premièreexposition <strong>de</strong>s impressionnistes.Paul – qui gar<strong>de</strong>ra le pseudonyme <strong>de</strong> Nadar –collabore à l’activité <strong>de</strong> l’atelier avec son père.1886Félix et Paul réalisent une série <strong>de</strong> photographiesdu chimiste Eugène Chevreul alors âgé <strong>de</strong> cent ans.L’interview qui accompagne les photographies <strong>de</strong>vaitêtre initialement enregistrée. C’est le <strong>de</strong>rnier « exploitphotographique » <strong>de</strong> Nadar père.1887-1894Félix, mala<strong>de</strong> et ruiné, s’installe dans le sud-est<strong>de</strong> Paris. Paul prend la direction officielle <strong>de</strong> l’atelier.1891Paul fon<strong>de</strong> Paris-Photographe, revue essentiellementtechnique qui sera un échec financier.1893Paul Nadar <strong>de</strong>vient l’agent en France <strong>de</strong>Eastman-Kodak.1895Il <strong>de</strong>vient enfin propriétaire <strong>de</strong> l’atelier <strong>de</strong> son pèreà Paris.1897Félix s’installe à Marseille et ouvre, à 77 ans,un nouvel atelier photographique qu’il revend cinqans plus tard pour revenir à Paris.1910Félix Nadar meurt le 20 mars.1939Paul Nadar meurt le 1 er septembre.1950Achat par l’État du fonds <strong>de</strong> l’atelier Nadar :les archives et les épreuves sont attribuées à laBibliothèque nationale, les plaques négatives auxArchives photographiques du patrimoine (aujourd’huiMédiathèque <strong>de</strong> l’architecture et du patrimoine).Bibliographie❙ Nadar. Quand j’étais photographe [1900],Arles, Actes Sud, 1999.❙ Antoinette Dilasser et Jean Prinet, Nadar, Paris,Armand Colin, 1966.❙ Philippe Néagu et Jean-Jacques Poulet-Allamagny,Nadar, tome 1 : Photographies, Paris, ArthurHubschmid éditeur, 1979.❙ Nadar, texte d’André Jammes, Paris,Centre national <strong>de</strong> la photographie, collection« Photo-Poche », 1982.❙ Jean Sagne, L’Atelier du photographe, Paris,Presses <strong>de</strong> la Renaissance, 1984.❙ Christophe Prochasson, Les Années électriques1880-1910, Paris, La Découverte, 1991.❙ Françoise Heilbrun, Maria Morris Hambourget Philippe Néagu, Nadar, les années créatrice :1854-1860, catalogue d’exposition du muséed’Orsay, Paris, Réunion <strong>de</strong>s musées nationaux, 1994.❙ Christophe Charle, Paris fin <strong>de</strong> siècle, Paris,Le Seuil, 1998.❙ Marseille au temps <strong>de</strong> Nadar, catalogued’exposition, Marseille, éditions Parenthèses / Musées<strong>de</strong> Marseille, 2001.1900Nadar triomphe à l’Exposition universelle <strong>de</strong> Paris avecune rétrospective <strong>de</strong> son œuvre organisée par Paul.


HORS LES MURS · HORS LES MURS · HORS LES MURS ·<strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong> | Château <strong>de</strong> Tours––––––––––––––––––––––––––––––– ––––––––––––––––––––––––––––––– –––––––––––––––––––exposition29 mai – 7 novembre 2010❙ Nadar, la norme et le capriceChâteau <strong>de</strong> Tours25, avenue André Malraux, 37000 Toursrenseignements : 02 47 70 88 46 / www.jeu<strong>de</strong>paume.orgmardi à dimanche : 13 h-18 hentrée : plein tarif : 3 € ; tarif réduit : 1,50 €prochaine exposition28 novembre 2010 – 1 er mai 2011z André Kertész, l’intime plaisir <strong>de</strong> lireLe <strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong> est subventionné parle ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> la Communication.Il bénéficie du soutien <strong>de</strong> Neuflize Vie, mécène principal.Les Amis du <strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong> s’associent à ses activités.<strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong> – Concor<strong>de</strong>––––––––––––––––––––––––––––––– ––––––––––––––––––––––––––––––– –––––––––––––––––––1, place <strong>de</strong> la Concor<strong>de</strong>, 75008 Parisaccès par le jardin <strong>de</strong>s Tuileries, côté rue <strong>de</strong> Rivoliwww.jeu<strong>de</strong>paume.orgrenseignements 01 47 03 12 50mardi (nocturne) 12 h-21 hmercredi à vendredi 12 h-19 hsamedi et dimanche 10 h-19 hfermeture le lundientrée : plein tarif : 7 € – tarif réduit : 5 €accès libre aux expositions <strong>de</strong> la programmation Satellitemardis jeunes : entrée gratuite pour les étudiants et les moins<strong>de</strong> 26 ans le <strong>de</strong>rnier mardi du mois, <strong>de</strong> 17 h à 2 hexpositions29 juin – 5 septembre 2010z William Kentridge, cinq thèmesz Bruno Serralongue : Feux <strong>de</strong> campz Programmation Satellite, Klara Lidén : Toujours être ailleurs31 mars – 17 novembre 2010z Espace virtuel, Agnès <strong>de</strong> Cayeux : Alissa, discussionavec Miladus, Elon/120/211/501sur www.jeu<strong>de</strong>paume.org et en salle <strong>de</strong> documentationprochaines expositions28 septembre 2010 – 6 février 2011z André Kertészz Vidéothèque éphémère, Les Faux Amisz Programmation Satellite, Tomo Savic-Gecan ´Cette exposition est organisée conjointement par le<strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong>, la Ville <strong>de</strong> Tours et le château <strong>de</strong> Tours.Commissaire : Michel PoivertAvec le concours <strong>de</strong> la Médiathèque <strong>de</strong> l’architecture et dupatrimoine – ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> la Communication.<strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong> | Monnaie <strong>de</strong> Paris––––––––––––––––––––––––––––––– ––––––––––––––––––––––––––––––– –––––––––––––––––––exposition16 avril – 22 août 2010z Willy Ronis, une poétique <strong>de</strong> l’engagementMonnaie <strong>de</strong> Paris11, quai <strong>de</strong> Conti, 75006 Parisrenseignements : 01 40 46 56 66 / www.monnaie<strong>de</strong>paris.frmardi à dimanche : 11 h-19 hjeudi (nocturne) : 11 h-21 h 30fermeture le lundi et le 1 er maientrée : plein tarif : 7 € ; tarif réduit : 5 €Elle a été réalisée en partenariat avec :maquette : Gérard Plénacoste© éditions du <strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong>, Paris, 2010© ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> la Communication – Médiathèque<strong>de</strong> l’architecture et du patrimoine / dist. RMNen couverture : Atelier Nadar, Vauthier (Jupiter) et Jeanne Granier(Eurydice) dans Orphée aux enfers, théâtre <strong>de</strong> la Gaîté, 1887<strong>Jeu</strong> <strong>de</strong> <strong>Paume</strong> – hors les murs––––––––––––––––––––––––––––––– ––––––––––––––––––––––––––––––– –––––––––––––––––––exposition15 juillet – 24 octobre 2010z Camille Silvy, photographe <strong>de</strong> la vie mo<strong>de</strong>rne, 1834-1910National Portrait GallerySt Martin’s Place, WC2H 0HE Londresrenseignements : www.npg.org.ukprochaine exposition9 septembre – 24 octobre 2010z Willy RonisMaison d’art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marnerenseignements : www.ma-bernardanthonioz.com/fr/

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