histoire de ...JAZZCHRONIQUEPAR LOUIS TAINTURIERFRANÇAIS ?Le Jazz français, <strong>en</strong> <strong>France</strong>, par ailleurs, ...Il est presque aussi difficile deparler <strong>du</strong> <strong>jazz</strong> que d’<strong>en</strong> jouer,c’est vous dire. <strong>La</strong> musiquede <strong>jazz</strong> est l’une des plus exigeantesqui existe : Avoir quelque chose à dire,surtout <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> cœur <strong>et</strong> <strong>du</strong> v<strong>en</strong>tre, le direbi<strong>en</strong> <strong>et</strong> l’énoncer c<strong>la</strong>irem<strong>en</strong>t, sans oublier d’<strong>en</strong>avoir les moy<strong>en</strong>s… Ça finit quand même parfaire beaucoup. Mais qu’est-ce donc que ledjâââZz, <strong>et</strong> qui plus est un <strong>jazz</strong> qui se voudraitfrançais ? ( Bon d’ accord, on peut aussi parler del’europé<strong>en</strong>, mais là vous cherchez d’emblée lescomplications ! )On aura sans doute remarqué le nombre conséqu<strong>en</strong>tde saxophonistes américains cités par lesmusici<strong>en</strong>s français interviewés dans ce premiernuméro : Charlie Parker, Stan G<strong>et</strong>z, Phil Woods,Michael Brecker, David Sanborn, Maceo Parker,K<strong>en</strong>ny Garr<strong>et</strong>t, excusez <strong>du</strong> peu …Le <strong>jazz</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> java on connaît, mais le <strong>jazz</strong> <strong>et</strong> le c<strong>la</strong>ssiquealors ? J’ ai revu récemm<strong>en</strong>t avec émotion<strong>et</strong> pour <strong>la</strong> première fois depuis longtemps monami William Stre<strong>et</strong>, <strong>en</strong>fin pour nous à Bordeaux,c’était Bill. Il avait <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité peu commune àl’époque d’étudier non seulem<strong>en</strong>t le c<strong>la</strong>ssique auconservatoire au plus haut niveau avec Jean-Marie Londeix, mais aussi de v<strong>en</strong>ir s’<strong>en</strong>canailler lesoir dans les boîtes de <strong>jazz</strong>. Il ne lui a pas fallulongtemps pour transformer avec bonheur notrequint<strong>et</strong>te <strong>en</strong> sext<strong>et</strong>.Francis Bourrec était aussi de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse, avantd’être un des tout premiers à faire le grand sautpour <strong>la</strong> Berklee. Chez Jimmy, le seul <strong>en</strong>droit oùl’on pouvait jouer tous les soirs sans prév<strong>en</strong>ir,nous l’avions surnommé "le saxo bleu", de <strong>la</strong> couleurde son ténor. Il était alors à fond dans <strong>la</strong>Bec TénorT 75musique de Trane, faisantpreuve d’une énergie peucommune, pas vraim<strong>en</strong>t leg<strong>en</strong>re à s’<strong>en</strong> <strong>la</strong>isser compter,toujours dedans dès le début<strong>du</strong> morceau, emplissantavec précision son espaced’un torr<strong>en</strong>t de notes, <strong>et</strong> pasn’importe lesquelles. Je mesuis vite dit que si maint<strong>en</strong>antil fal<strong>la</strong>it se m<strong>et</strong>tre àmonter des gammes <strong>et</strong> <strong>en</strong>plus les desc<strong>en</strong>dre, j’al<strong>la</strong>ispas tarder à rev<strong>en</strong>dre lebiniou. Comme disaitDexter : " Tu survis ou tu tecasses ! " Bordeaux n’étaitcertes pas New York, maisle niveau comm<strong>en</strong>çaitsérieusem<strong>en</strong>t à changer depalier. C’est marrant, àchaque fois que je revois unfilm avec Lino V<strong>en</strong>tura, il mefait p<strong>en</strong>ser à Francis…Quelque chose dans leregard.Nous sommes allés avec Bill au Grand-Théâtrepour écouter <strong>la</strong> musique de Christian <strong>La</strong>uba surle film mu<strong>et</strong> de Frank Capra : " Bessie àBroadway ". Un peu plus tard <strong>et</strong> juste avant <strong>la</strong>paël<strong>la</strong> gallo-romaine, j’ai ressorti le bari <strong>et</strong> on ajoué " Line For Lyons " de Gerry, Bill p<strong>la</strong>quantcomme qui rigole les accords sur le vieux Pleyeldésaccordé de ma grand-mère. Et valsez les étiqu<strong>et</strong>tes! (<strong>La</strong>uba, égalem<strong>en</strong>t auteur d’un" Concerto for Stan G<strong>et</strong>z "… pour baryton.Cherchez pas l’erreur, Stan au big horn ça peutfaire très mal, Gerry doit <strong>en</strong>core s’<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>ir dece jour d’Octobre 57 où ils ont joué à " Tu mepasserais ton bari si je te file le ténor ? " )Je lui ai fait <strong>en</strong>fin découvrir Alex Golino, un rar<strong>et</strong>énor comme on <strong>en</strong> fait peu, à <strong>la</strong> sonorité chaleureuse<strong>et</strong> détimbrée à souhait, dans une mouvancepost-bop mâtinée de West-(Sud-Ouest)Coast, <strong>et</strong> doté d’un phrasé à <strong>en</strong> faire pâlir plusd’un, y compris de l’autre côté de l’At<strong>la</strong>ntique.Mais là où ça se complique un peu, c’est qu’il aélu domicile à Burdiga<strong>la</strong> depuis quelques années,nonobstant ses origines gréco-itali<strong>en</strong>nes, <strong>en</strong> passantpar Boston histoire de pr<strong>en</strong>dre le temps deg<strong>la</strong>ner quelques infos auprès de GeorgeGarzone. Enfin pour faire simple, un franco-américano-europé<strong>en</strong>quoi.On a un peu refait notre jeunesse avec Bill, <strong>et</strong> ons’est souv<strong>en</strong>u de ces cafés-rhums qu’on pr<strong>en</strong>ait<strong>en</strong>semble au comptoir <strong>du</strong> bar pas loin, histoire dese donner le courage de jouer. C’est alors que jem’étais tout naturellem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong><strong>du</strong> compte que lechemin vers les paradis d’artifice était plus facileà trouver qu’ on ne pouvait le supposer. (Dexterdoit <strong>en</strong> rigoler de là-haut, mais après un concertil m’avait demandé, mais alors vraim<strong>en</strong>t très trèsl<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t : " Dooon’t… yooou… haaave…sooome… coooke ?… " Moi je vou<strong>la</strong>is bi<strong>en</strong> allerlui dénicher un coca, mais c’est que les g<strong>la</strong>çonsavai<strong>en</strong>t fon<strong>du</strong> depuis longtemps ! )Et vous jouez toujours avec le groupe ? B<strong>en</strong> euh…C’est à dire qu’on joue plus tellem<strong>en</strong>t, Bill, à partcomme ça de temps <strong>en</strong> temps chacun de son côté,pas vraim<strong>en</strong>t seuls mais <strong>en</strong>fin... Beaucoup de clubsont fermé tu sais depuis le siècle dernier. D’autresont vu le jour c’est un fait, mais il faut bi<strong>en</strong> dire queles amateurs n’ont plus trop leur p<strong>la</strong>ce dans lesprogrammations, ce qui n’empêche pas pourautant les pros de galérer sérieux <strong>jazz</strong>istiquem<strong>en</strong>t
MERCI LOUIS ...Très généreux dans sa façon d’aborder le monde <strong>et</strong> <strong>la</strong> musique (il joue de nombreux instrum<strong>en</strong>ts), LouisTainturier est un homme qui dévore <strong>la</strong> vie à travers de nombreuses passions. Tout <strong>en</strong> m<strong>en</strong>ant une carrièrede médecin, il a su équilibrer son temps <strong>en</strong>tre les deux piliers de sa vie : le <strong>jazz</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong> littérature. Il ad’ailleurs consacré sa thèse à l’écrivain Boris Vian, qu’il aime citer comme référ<strong>en</strong>ce ou même commeexemple. En eff<strong>et</strong>, tant fasciné par l’œuvre que par le personnage, il se p<strong>la</strong>ît à suivre les traces de l’hommequi a su "donner une dim<strong>en</strong>sion humaine au surréalisme" <strong>en</strong> ré-intro<strong>du</strong>isant le roman dans c<strong>et</strong> univers.Et ce sont notamm<strong>en</strong>t les acc<strong>en</strong>ts oniriques d’un tel <strong>la</strong>ngage poétique qui sé<strong>du</strong>is<strong>en</strong>t notre passionné.Comme pour <strong>la</strong> littérature, dans le <strong>jazz</strong>, Louis se <strong>la</strong>isse guider par ses coups de cœur. Le plus profond s<strong>en</strong>omme Stan G<strong>et</strong>z. Un peu comme une révé<strong>la</strong>tion qui lui aurait "parlé" par sa musique, le grand musici<strong>en</strong><strong>en</strong>tr<strong>et</strong>i<strong>en</strong>t chez Louis une sorte de "résonance affective" qui habite désormais son inconsci<strong>en</strong>t. C’est à cepassionné <strong>du</strong> <strong>jazz</strong>, le <strong>jazz</strong> qui dit quelque chose avec son âme, loin de tous les clichés, que Vando<strong>jazz</strong> a vouludonner <strong>la</strong> parole. En eff<strong>et</strong>, on ne peut parler d’une musique qui se vit, "se joue avec son âme" qu’avec lesacc<strong>en</strong>ts de <strong>la</strong> passion.... quelque part n’importe où, <strong>et</strong> tout.par<strong>la</strong>nt, tout <strong>en</strong> courant le cach<strong>et</strong>on, dans le g<strong>en</strong>r<strong>et</strong>out v<strong>en</strong>ant, musiques <strong>du</strong> monde <strong>et</strong> tutti quanti .(Ce<strong>la</strong> dit <strong>en</strong> passant, les dits-amateurs ont pas maldonné <strong>en</strong> leur temps, they paid their <strong>du</strong>es commedirait Abbey Lincoln, <strong>en</strong> ouvrant l’air de ri<strong>en</strong>, <strong>en</strong><strong>France</strong> <strong>et</strong> à leur façon, <strong>la</strong> voie aux jeunes néo-pros.On peut seulem<strong>en</strong>t regr<strong>et</strong>ter qu’un fossé se soitcreusé par <strong>la</strong> suite <strong>en</strong>tre les deux. Non, je disais çapour l’ambiance, mais bon... )Mais pourquoi donc se demander si par hasard iln’existerait pas des fois un <strong>jazz</strong> français voireeuropé<strong>en</strong>, si ce n’ est pour satisfaire à l’ in<strong>la</strong>ssable<strong>et</strong> persistante manie <strong>du</strong> rangem<strong>en</strong>t (bi<strong>en</strong> françaisecelle-là, soit dit <strong>en</strong> passant) ?John-Fitzgerald avait dit un jour qu’il était berlinois,Daniel Cohn- ( j’ai pas dit Conn, ça sonne pas vraim<strong>en</strong>tpareil ! ) B<strong>en</strong>dit qu’on était tous des juifs allemands.Bon alors dans <strong>la</strong> foulée, pourquoi neserions-nous pas tous des souffleurs améfricains ?Ca me rappelle un thème de Car<strong>la</strong> Bley, joué <strong>en</strong>Trio avec Andy Sheppard au ténor <strong>et</strong> prés<strong>en</strong>télors d’un concert <strong>en</strong> Allemagne par SteveSwallow, <strong>en</strong> français dans le texte : " Les trois<strong>la</strong>gons, d’après H<strong>en</strong>ri Matisse. " ( lui-même auteurd’un p<strong>et</strong>it recueil illustré, auquel il avait donné l<strong>en</strong>om de… " <strong>jazz</strong> ", ça ne s’ inv<strong>en</strong>te pas ! )Ce qui est sûr, c’est que nos grands frères de làbas<strong>et</strong> pas des moindres ne s’<strong>en</strong> sont jamaiscachés : Ils se s<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> Europe<strong>et</strong> tout particulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>France</strong>, <strong>en</strong> y étantreconnus comme il se doit <strong>en</strong> tant que musici<strong>en</strong>s<strong>et</strong> artistes à part <strong>en</strong>tière. (Il faut voir c<strong>et</strong>te vidéode " Halle that Jazz " lors d’ un hommage à Bird <strong>en</strong>89, avec Dizzy, Stan, Phil, Jackie <strong>et</strong> les autres, <strong>et</strong>dans <strong>la</strong>quelle Dizz raconte <strong>en</strong> vieux gosse émerveillécomm<strong>en</strong>t these two altos n’<strong>en</strong> finissai<strong>en</strong>t pasde jouer comme des fous sur Cherokee ). Parcontre, les ricains se sont toujours r<strong>et</strong>rouvés d’accordsur une chose : <strong>La</strong> Grosse Pomme, c’est<strong>en</strong>core là où les choses se pass<strong>en</strong>t. Et Paf !Excusez-moi un instant, mais Lester arrête pasdepuis un mom<strong>en</strong>t de me ba<strong>la</strong>ncer g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tson coude dans les côtes, il aurait quelque choseà dire que ça m’ étonnerait pas : Okay <strong>la</strong>dies fr<strong>en</strong>chies,c’est bi<strong>en</strong> beau tout ça, mais vous pourriezpas plutôt me chanter une chanson ?Ti<strong>en</strong>s justem<strong>en</strong>t, les chansons c’est pas ce quimanque de par chez nous, on les ramasse mêmeà <strong>la</strong> pelle, comme les feuilles de Prévert <strong>et</strong>Cosma. (Faudrait un jour arrêter avec AutumnLeaves…) Une autre, au hasard : " You mustbelieve in spring ", superbe thème de MichelLegrand, hésitant <strong>en</strong>tre deux demi-tons (<strong>et</strong>ba<strong>la</strong>ncé comme c’est pas permis par Bill Evans auSteinway, sans oublier Phil Woods, Johnny Griffin<strong>et</strong> tant d’autres.), avait initialem<strong>en</strong>t pour nom" <strong>La</strong> chanson de Max<strong>en</strong>ce " à <strong>la</strong> blonde Dee Dee(Delphine-D<strong>en</strong>euve), dans les Demoiselles deRochefort.Le 8 Mars 1991, pour le Festival Banlieues Bleuesà Saint-D<strong>en</strong>is, celui à qui le Prez s’était un soiradressé <strong>en</strong> l’appe<strong>la</strong>nt Blue eyes a pour une dernièrefois trouvé <strong>la</strong> force de chanter, presquesans improviser, une de nos plus jolies chansonsfrançaises : "Que reste-t’ il de nos amours ?", <strong>en</strong>pr<strong>en</strong>ant bi<strong>en</strong> le soin de respecter <strong>la</strong> compositionde Tr<strong>en</strong><strong>et</strong>, avec sa belle ouverture <strong>en</strong> majeur à <strong>la</strong>fin de l’ intro, <strong>en</strong> <strong>du</strong>o avec le fidèle K<strong>en</strong>ny Barronau piano. Quelques jours plus tôt au Montmartrede Cop<strong>en</strong>hague, il nous livrait déjà une émouvanteinterprétation de " people time ", ce thèmemagnifique de B<strong>en</strong>ny Carter, qui vi<strong>en</strong>t à son tourde pr<strong>en</strong>dre son <strong>en</strong>vol pour le pays des Anges quiswingu<strong>en</strong>t (à coup sûr <strong>en</strong> première, ayant un jourconfié à Phil Woods le secr<strong>et</strong> de sa longévité :" Always travel first c<strong>la</strong>ss ! " ).Ce soir-là, pas très loin à vol d’oiseau, dans l’obscurité<strong>et</strong> le sil<strong>en</strong>ce <strong>du</strong> premier étage d’unimmeuble vide de <strong>la</strong> rue Lepic, de fines p<strong>et</strong>ites<strong>la</strong>mes de roseau sagem<strong>en</strong>t rangées dans leursboîtes <strong>en</strong> bois blond se sont mises à frissonner <strong>en</strong><strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant le murmure <strong>du</strong> sound dans le lointain.Elles savai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> qu’elles n’aurai<strong>en</strong>t désormaisplus <strong>la</strong> moindre chance d’ être élues d’ une mainexperte pour avoir l’ imm<strong>en</strong>se privilège de vibrerau souffle de celui à qui Lester lui-même avait dit :" You’re my singer "." Nous irons tous au paradis ", c’est pas Pepperqui va me contredire, lui qui l’a gravem<strong>en</strong>t chanté,sous le bagu<strong>et</strong>te de V<strong>la</strong>dimir <strong>et</strong> <strong>en</strong> compagnied’un certain Jean-Louis Chautemps, dont j’avaisperçu <strong>la</strong> voix dans <strong>la</strong> radio comme étant celle deMaurice Baqu<strong>et</strong> ( ! ), ce qui peut à <strong>la</strong> réflexion seconcevoir. Que ne donnerai<strong>en</strong>t nombre d<strong>et</strong>énors pour sonner, ne serait-ce qu’une seulefois, comme un violoncelle.Je ne sais pas trop ce que vous <strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez, mais ilparaîtrait que le <strong>jazz</strong> serait mort depuis pas malde temps… D’abord, c’est même pas vrai ! Et<strong>en</strong>suite je le trouve on ne peut plus Alive andWell, que ce soit partout <strong>en</strong> <strong>France</strong>, in Europe,mais surtout dans le monde <strong>en</strong>tier.C’est <strong>en</strong>core loin l’Amérique ? Pas vraim<strong>en</strong>t non,vous êtes même arrivés depuis déjà pas mal d<strong>et</strong>emps. Mais pour ceux qui éprouverai<strong>en</strong>t commeune légère t<strong>en</strong>dance à contredire, vous pouveztoujours essayer de lui tourner carrém<strong>en</strong>t le dos.De toute façon, <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant Straight Ahead, vousne pouvez pas vous tromper !