Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008Biennale <strong>de</strong> Venise 4 , New spirit in painting, Londres, 1980 5 ; Baroques 81, Paris,1981 ; Documenta VII, Cassel, 1982 ; Transavantguardia Italia/America, Modène, 1982 ;Prospect à Francfort en 1986 ; Endgame: Reference and Simulation in Recent Painting andSculpture à Boston, 1986 ; <strong>et</strong> l’année suivante L’Époque, la mo<strong>de</strong>, la morale, la passion, àParis.Au cœur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te question <strong>de</strong> l’hybridité se joue un passage, ou un détour, par lapeinture mais plus encore par son histoire. Plutôt que la peinture, c’est son évolution <strong>et</strong> sacapacité à s’adapter face aux nouveaux moyens d’expression qui semblent r<strong>et</strong>enir l’attention<strong>de</strong>s artistes représentés dans les manifestations listées ci-<strong>de</strong>ssus. Reléguant la politique <strong>de</strong> la« table rase » au rang <strong>de</strong>s utopies, ils témoignent <strong>de</strong> leur ferme intention <strong>de</strong> prendre en chargele passé, qui les engage « à travailler avec ce que la peinture représente <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> cinqcents ans 6 . » Dès lors, l’intarissable réservoir que forment l’histoire, le passé <strong>et</strong> ses référencesre<strong>de</strong>vient une source privilégiée, à une époque où la pratique généralisée <strong>de</strong> la citation estprésentée comme le paradigme postmo<strong>de</strong>rne par excellence, tandis que l’avènement du récit<strong>et</strong> <strong>de</strong> la narrativité porte un nouveau coup à la théorie formaliste mo<strong>de</strong>rniste.C’est donc à partir du phénomène central <strong>de</strong> l’hybridité que nous avons choisi <strong>de</strong> m<strong>et</strong>treà l’épreuve c<strong>et</strong>te notion <strong>de</strong> postmo<strong>de</strong>rnisme, aux contours théoriques si flous <strong>et</strong> fluctuantsselon les auteurs. Dès lors que la théorisation <strong>et</strong> la périodisation du concept sont formuléesdifféremment en Europe <strong>et</strong> aux États-Unis une représentation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux continents s’imposait ;<strong>de</strong> sorte que trois artistes ont été r<strong>et</strong>enus, dont <strong>de</strong>ux d’une même génération, le Canadien JeffWall (né en 1946) <strong>et</strong> le Français Jean-Michel Alberola (né en 1953). Parce que l’Allemagne,où est né ce mouvement improprement appelé « Nouveaux fauves » ou « Néoexpressionnisme», entr<strong>et</strong>ient une histoire aussi privilégiée qu’ambiguë avec le r<strong>et</strong>our à lapeinture <strong>et</strong> à la figuration, il nous a paru à propos <strong>de</strong> compléter c<strong>et</strong>te sélection par la figureemblématique <strong>de</strong> Gerhard Richter (né en 1932), issu d’une génération antérieure. L’œuvre <strong>de</strong>chacun entrelace peinture <strong>et</strong> photographie à travers une réinterprétation <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>chaque médium <strong>et</strong> renoue le dialogue avec l’histoire <strong>de</strong> l’art <strong>et</strong> les maîtres, tout en ne cessant<strong>de</strong> proclamer la faillite <strong>de</strong>s catégories esthétiques classiques. Puisque ces artistes semblentrecourir à certains procédés estampillés postmo<strong>de</strong>rnes, relevant notamment <strong>de</strong> la mixité <strong>de</strong>s4 Qui consacre l’apparition <strong>de</strong>s « néo-expressionnistes », « néo-fauves allemands », <strong>de</strong> la « trans-avant-gar<strong>de</strong> » <strong>et</strong><strong>de</strong> la « Pittura Colta » italiennes.5 Exposition dans laquelle figure Richter comme le remarque Roald Nasgaard, qui ne manque pas <strong>de</strong> souligner laprésence <strong>de</strong> l’artiste aux côtés <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> l’Arte Povera, <strong>de</strong> l’art minimaliste <strong>et</strong> conceptuel dans Europein the Seventies, organisée en 1977 à l’Art Institute <strong>de</strong> Chicago, cf. Gerhard Richter paintings, Chicago,Museum of Contemporary Art ; Toronto, Art Gallery of Ontario ; Londres, Thames & Hudson, 1988, p. 33.6 Jean-Michel Alberola, dans Flash Art, n° 8, hiver 1983-1984.58
Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008médias, l’enjeu <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> serait <strong>de</strong> mesurer, à travers le corpus arrêté, la pertinence <strong>de</strong>scritères <strong>de</strong> définition du concept.• La peinture passée au filtre <strong>de</strong> la photographie ou comment peindre après lemo<strong>de</strong>rnismeDepuis que la photographie s’est emparée <strong>de</strong> la fonction mimétique initialementdévolue à la peinture, s’est engagée entre les <strong>de</strong>ux médiums une forme <strong>de</strong> rivalité biaisée dontRoland Barthes, dans La Chambre claire, rappelle le contexte <strong>et</strong> l’enjeu : « La peinture, elle,peut feindre la réalité sans l’avoir vue. Le discours combine <strong>de</strong>s signes qu’ont certes <strong>de</strong>sréférents, mais ces référents peuvent être <strong>et</strong> sont le plus souvent <strong>de</strong>s "chimères". Au contraire<strong>de</strong> ces imitations, dans la Photographie, je ne puis nier que la chose a été là 7 ». Forts <strong>de</strong> ceconstat, nombreux sont les artistes qui ont organisé dans leur œuvre la confrontation entrepeinture <strong>et</strong> photographie, dans le but avoué <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre à mal la prétendue objectivité <strong>de</strong> l’unecomme <strong>de</strong> l’autre. Quitte à douter <strong>de</strong> la célèbre promesse cézanienne <strong>de</strong> « dire la vérité enpeinture 8 », c’est en eff<strong>et</strong> l’artifice <strong>de</strong> toute forme <strong>de</strong> représentation qui est traqué <strong>et</strong> entraîneune remise en cause <strong>de</strong>s catégories esthétiques traditionnelles.Photographie <strong>de</strong> peinture, photographie d’après peinture, peinture d’après photographie,peinture sur photographie, <strong>et</strong>c., l’œuvre <strong>de</strong> Richter, Wall <strong>et</strong> Alberola décline <strong>et</strong> invente enpermanence <strong>de</strong> nouvelles combinaisons. Comme points <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> ses peintures, lesphotographies d’amateurs collectionnées par Richter sont <strong>de</strong>puis 1964 méticuleusementarchivées dans l’encyclopédique Atlas, qui compte aujourd’hui plus <strong>de</strong> cinq mille images –reproductions ou détails <strong>de</strong> photographies <strong>et</strong> illustrations découpées dans la presse. Il arriveaussi que dans sa pratique la photographie prenne la forme d’un ready-ma<strong>de</strong> transposé surtoile comme dans Frau, die Treppe herabgehend en 1965, réalisée d’après une image extraited’un magazine <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, puis encore réutilisé l’année suivante dans Ema (Akt auf einerTreppe), première <strong>de</strong> ses toiles en couleur obtenue d’après l’un <strong>de</strong> ses clichés<strong>photographiques</strong>. Et ce n’est pas sans provocation que Richter revendique l’héritage mo<strong>de</strong>rne<strong>de</strong> la chronophotographie <strong>et</strong> s’approprie la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> décomposition cubo-futuriste proposéepar Duchamp en 1912 pour un nu peint délibérément anti-iconoclaste par sa pose, son cadrage7 Roland Barthes, La Chambre claire : note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980, p. 20.8 « Je vous dois la vérité en peinture, <strong>et</strong> je vous la dirai » : Paul Cézanne dans une « L<strong>et</strong>tre à Émile Bernard »datée du 23 octobre 1905, voir Conversations avec Cézanne : Emile Bernard, Maurice Denis, Joachim Gasqu<strong>et</strong>,Angers, Macula, 1978.59