14 lÉDITIONS JEAN-MICHEL PLACE / PRINTEMPS 2008PoésieW. S. BurroughsChef de file de la Beat generation, WSBurroughs bouleverse l’establishmentaméricain lorsqu’il publie Junkie en 1953.Confession d’un drogué « non repenti »,cet ouvrage est surtout l’entrée en littératured’un homme qui, ensuite, ne cessera de malmenerles conventions sociales et littéraires.Aujourd’hui on ne présente plus l’auteur du Festinnu, de La Machine molle, de Les Garçons sauvageset <strong>des</strong> Lettres du Yage.Pourtant, en France, il existe peu d’étu<strong>des</strong> sur cetauteur majeur. F. J. Ossang rend hommage à ce compagnonde route dans une langue tout aussi percutanteque le « shotgun-art » de l’ami de Ginsberget de Kerouac.« Mais tout de suite, trois raisons d’apprécier l’exceptionde WSB et de toujours y revenir :WSB rappelle qu’un écrivain ça écrit – en dépitde tout, un écrivain doit écrire… Souvent en butteau silence, à la fatalité de la page blanche, WSB ainventé et convoqué <strong>des</strong> procédés quasi-machiniquesde production d’écriture… Il est animé de la nécessitéde produire du réel, sans désarmer l’usine <strong>des</strong> rêves– indispensable à la vitalité mentale et physiquede l’être humain. […] Non seulement WSB chercheà détruire le mot, plus encore que le discours, entant que matrice idéologique, pour recréer un fluxverbal, un océan de rêve libertaire où chacun négociesa propre liberté – mais encore sait-il que cette libertéest le vrai métronome du réel… » l« En dépitde tout,un écrivaindoit écrire »F. J. Ossang > Burroughs, c’est un continent mythiqueRENAUD MONFOURNYL’idée d’un entretien avec FJ Ossang avait à peine germée dans ma tête que, emploidu temps oblige, je me suis retrouvée face à lui sans avoir préparé même l’ombred’une question. Connaissant un peu l’homme, je savais qu’il ne serait pas trop difficilede le faire parler. Récit d’un entretien en roue libre.Manon Gallet : Alors, comment s’est passé votre été ?F.J. Ossang : Je n’ai pas arrêté. Là je rentre deVladivostok…MG : Vous y étiez dans le cadre du festival ?FJO : Oui, pour le festival russe « Pacific Meridian ».[…] J’y étais pour une Master class, même si jene suis pas Master, ni classiste, enfin… Je devaistourner un court-métrage. […] Le tournage s’estbien passé. On a tourné en super 8, noir et blanc.W.S. Burroughsvs formule-mortF.J. OssangRelié / 125 x 175 mm / 128 pages / 11 €Comme il n’y a pas de laboratoire, l’opérateur vadévelopper le film en baignoire… ça va prendre dutemps. Je vais peut-être aller tourner un nouveaucourt là-bas. La nature est très belle, et nucléaire…MG : Pouvez-vous me parler un peu de ce projet ?FJO : Non, non, je suis superstitieux. […]MG : Alors parlons plutôt de Silencio, votre court quicircule beaucoup en ce moment.FJO : C’est un petit film. En fait, c’est le questionnementdu cinéma le plus essentiel, entre vision,voyance et visibilité. […]MG : Donc, une grosse actualité cinéma, mais il ya aussi une actualité musicale…FJO : Oui, on a ressorti les deux premiers titres de« MKB Fraction Provisoire », le single de 1981 etle petit album de 1982 ; et un nouveau 6 titres deBMW – Baader Meinhof Wagen, toujours chezSeventeen Records, avec M. Nasti, le premier batteurde MKB…MG : Ça fait beaucoup de choses, tout ça, avec lasortie du Burroughs, comment arrivez-vous à gérerces différentes activités? Les répétitions, les tournages,l’écriture…FJO : J’ai toujours été comme ça, dans un chaos plusou moins contrôlé. Je n’ai pas vraiment choisi lecinéma, la musique, ou la littérature. C’est une viellehistoire. Ça remonte aux années 70. Mon premierrecueil de poésie est sorti en 1976, j’ai créé dansla foulée la Revue Cée en 1977, et Christian Bourgoisnous a supporté pour les derniers numéros…Puis le premier court-métrage en 82…[…]MG : Et Burroughs dans tout ça, quelle place occupet-il?FJO : Burroughs, c’est un peu le père de tout ça. C’estun révélateur, comme Ducasse, Lautréamont,Rimbaud, Céline, Artaud. Vraiment <strong>des</strong> seuils.Burroughs est avant tout un immense écrivain, maisF. J. Ossanget Stéphane Ferrarail touche à tous les domaines, au monde visuel et aumonde sonore. Il occupe une place importante enFrance, comme Edgar Poe… c’est un anglo-saxonnomade, il a rencontré Céline, il est marqué parGenet, Rimbaud, Lautréamont. Il est au delà <strong>des</strong>chapelles nationales. Puis il y a le lien avec Pélieu,le passeur. C’est lui qui a traduit les livres les plusdifficiles de Burroughs, la période du cut-up. Pélieuétait aussi un ami, je l’ai rencontré au moment dela revue Cée. J’étais aussi attiré par la poésie dePélieu, mais différemment. Il est le clignotement dela poésie franco-américaine, comme disait Ginsberg.C’était un frenchie parti aux States avec <strong>des</strong>Illuminations. Leurs œuvres sont très différentes,Pélieu est surtout un poète, alors que Burroughs,c’est un continent mythique…[…]MG : Donc vous lisez beaucoup j’imagine…FJO : Je lis pas mal oui. J’écris beaucoup avant lesCHRISTIAN BAMALEfilms, comme mes textes n’ont pas vraiment d’intérêtlittéraire, souvent ils ne deviennent rien. J’ai beaucoupécrit pour Starkov, mon prochain long-métrage.MG : La littérature, la musique occupe aussi une placeimportante dans votre œuvre.FJO : J’ai toujours vécu en musique. Souvent ça étonneles gens au montage, mais quand je mets en place unmorceau sur <strong>des</strong> images, il y a très peu de travail pourrectifier l’image. Même si j’ai commencé avec lepunk, MKB Fraction Provisoire est plutôt post-punk.Après, tout ça est question de parcours d’existence…Chateaubriand croyait que ce qui allait rester delui, c’était son œuvre politique. C’est amusant non?[…]Le problème commun au rock et à la poésie, c’estque tout peut s’arrêter d’un instant à l’autre. « Youcan get it, and you can lose it ». La poésie est ungénérateur.Novalis dit bien qu’il n’est de totalité que fragment.Aphorisme, fragment… le roman est souvent ungros truc bétonné, mais le véritable intérêt est d’effleurerla totalité…Les œuvres du vingtième siècle sont souvent fragmentées,sur plusieurs médias même…Il ne faut pas avoir peur d’être décousu. Ce quim’amuse, c’est d’être partout et nulle part – et d’endécoudre… avec le monde !« Il n’y a qu’une passion, et plusieurs égarements »(de Roux).On aurait pu continuer ainsi <strong>des</strong> heures, mais il afallu nous séparer…www.fjossang.comÉcrivain et cinéaste, F. J. Ossang est né en 1956. Il vit principalement à Paris. En 1977, il crée la Revue CEE(Céeditions & Christian Bourgois, 1977-1979) où paraît notamment « Le Temps <strong>des</strong> Assassins » de Burroughset en 1980, le groupe de noise’n roll MKB FRACTION PROVISOIRE à qui l’on doit 9 albums, dont la musique de sesfilms. Il a tourné trois longs métrages : L’Affaire <strong>des</strong> Divisions Morituri (France, 1984), Le Trésor <strong>des</strong> Iles Chiennes (France-Portugal, 1991) qui a reçu le Grand Prix du festival de Belfort, et Docteur Chance (France-Chili, 1998) – plusieurscourts et en prépare d’autres.À ce jour, il a publié une dizaine de livres (poèmes, récits, journaux de voyage) parmi lesquels Le Berlinterne(1976), Les Guerres Polaires (1984), Génération Néant (1993), Au Bord de l’Aurore (1994), Les 59 Jours (1999), Landscapeet Silence (2000), Tasman Orient (2001), Cet Abandon Quand Minuit Sonne (2005).
ÉDITIONS JEAN-MICHEL PLACE / PRINTEMPS 2008 l15Bernard NoëlAla suite d’une génération de poètes épithéliaux,Bernard Noël fait du corpset de sa peau le fondement de son activitélittéraire et poétique. Comme il l’affirmedans Les États du Corps, « le corps est une carrièreà mots et ses explorateurs assurent que là, sous lapeau, il y a de quoi refaire la langue. »L’essai de Régine Detambel, Bernard Noël, poèteépithélial dévoile comment le poète s’attache àdéconstruire et renouveler la tradition anatomiquedu roman occidental dont il rejette la violence.La part peaucière de l’œuvre de Noël est basée surune conviction profonde que la peau est le lieuoù se produisent « les effets qui s’écartent <strong>des</strong> loisjusque-là adoptées par une certaine littérature »(Régine Detambel). L’originalité de sa pensée philosophico-poétiqueréside dans la reconstructionde l’idée de peau-surface: celle-ci se donne comme« ce qui couvre et découvre à la fois ». Elle est ce« merveilleux organe à travailler le sens » où s’opèrela fusion de l’homme et du monde, laissant ainsipenser que « la langue du poète fuse depuis l’étoffemême du monde ». RDLe motif de la peau et du corps parcourt toute l’œuvrede Bernard Noël, il se donne comme son thème deprédilection, mais surtout comme l’élément fondateurde son système d’images et de sa conceptionde la littérature. C’est finalement à une corporalisationdu monde et de la littérature que se livre lepoète, qui « relie de peau vive sa critique d’art,sa poésie, dans un même souci d’exaltation de lasurface » lMarc PatautC’est unrapport decorps à corpsLe photographe Marc Pataut m’a reçuedans son atelier-galerie, l’Atelier Véritable,rue du Marché Popincourt. L’entretienprévu s’est transformé en après-midifestive autour du soleil, de quelquesgourmandises, de la poésie et <strong>des</strong> amisprésents.Manon Gallet : Comment avez-vous connu BernardNoël ?Marc Pataut : En le lisant, d’abord. Puis lors d’unecommande photographique en Seine-Saint-Denis.À l’époque je travaillais sur mon corps, donc forcément,Bernard Noël, ça m’intéressait. J’avais luLe Château de Cène quand j’étais aux Beaux-Le corps est unecarrière à motsArts dans l’atelier d’Étienne Martin, et j’en gardaisun souvenir fort. Ensuite je suis rentré à Viva, l’agencede presse, mais le reportage n’était pas mon fort.En 1981 j’ai réalisé un reportage dans un hôpital dejour à Aubervilliers, avec <strong>des</strong> enfants psychotiques.Il n’y avait rien à dénoncer, juste à se mettre autravail. C’est la première fois que je donnais <strong>des</strong>appareils photos à <strong>des</strong> enfants. Et là, un vrai choc.Les images balayaient tout ce que je croyais savoirde la photographie, le reportage, le filet noir… C’étaittellement différent ! Il n’y avait que morcellements,fragments,… Aujourd’hui encore ces images sontimportantes, elles m’ont en quelque sorte constitué.Puis mon travail avec les enfants a cessé de façonbrutale. Il a fallu que je choisisse : soit infirmier,soit photographe. Je devais partir, j’ai choisi la photographie.Mais j’étais perdu. Je savais ce que je nevoulais plus, mais rien de plus… Je savais que laphotographie était pour moi un rapport de corps àcorps, que ça passait par la parole… J’ai commencépar les paysages, Aubervilliers, La Courneuve, monterritoire… Ce qui est bien avec le paysage, c’estqu’il n’y a pas besoin de lui parler pour le photographier! Ensuite j’ai commencé à travailler surmon corps, ma main, mon œil, mon corps…Rétrospectivement c’était lié à mon travail avec lesenfants. J’ai eu un début de reconnaissance, uneexpo collective à Toulon. Je me sentais piégé. Il yavait une sorte de facilité à tout cela, les images n’avaientpas de sens, nouvelle rupture.En 1986, j’ai compris que je pouvais intégrerl’actualité, l’apartheid, dans ce travail d’atelier. Toutà coup, mon travail a trouvé son sens. Je pouvaisintégrer autre chose que la surface de l’image. […]C’est à cette époque qu’on m’a contacté pour larésidence à Saint-Denis. J’ai rencontré BernardNoël, et puis il y a eu cette idée de ne pas donnerun portrait classique, mais une autre représentationde son visage. Une promenade, <strong>des</strong> morceaux…MG : La publication dans Fusées s’est faite naturellement,vous connaissiez Mathias Pérez ?MP : Oui, on se connaissait depuis longtemps. J’étaisallé le voir quand il était à la Villa Médicis.Mathias Pérez (qui nous a rejoint): Mais, qu’est-ce quevous lui demandez à Marc ? Et moi, vous ne m’interrogezpas ? Et mon ami <strong>Michel</strong>, <strong>des</strong> éditions Nitabah,il est passionnant, vous devriez l’interroger aussi !MG : Donc, parlez- moi de vous et de Fusées.Mathias Pérez: Les éditions Carte Blanche ont commencéen 1981, quand j’étais à la Villa Médicis. Mon premierlivre était avec Jacques Demarcq, Éléphant demer, de William Carlos William, on en a fait 45 exemplaires.On cherchait un peintre, on a pensé à <strong>Jean</strong>-Louis Vila. On lui a demandé, en lui disant que s’iln’était pas d’accord, on ferait <strong>des</strong> faux Vila. Il nousa répondu, avec humour, que c’était pas la peine defaire <strong>des</strong> faux, qu’il s’en chargerait… C’est commeça que tout a commencé… Ensuite j’ai acheté unepresse Deberny & Peignot, superbe, mais elle pesaittrois tonnes. J’ai fait quelques livres… Mais c’étaitpas possible de continuer comme ça. Alors, j’aitout vendu. La presse, le marbre, les casses… j’aimis une annonce dans Libé et tout est parti, pour60 000 francs à l’époque. J’ai fait quelques livresPHOTOS : MARC PATAUT – COMMANDE DU CONSEIL GÉNÉRAL DE SEINE-SAINT-DENISNée en 1963, Régine Detambel a publié sespremiers <strong>ouvrages</strong> aux éditions Julliard avant deréjoindre les éditions Gallimard, en 1994, avec Le Jardinclos. Elle y a publié de nombreux romans, traduits enplusieurs langues, dont La Verrière (1996), Elle feraitbattre les montagnes (1998), La Patience sauvage (1999),Mésanges (2003), qui exaltent notamment le thèmede l’adolescence et la poétique du corps. Ses textesbrefs, essais ou variations, sont parus chez ChristianBourgois (La Ligne âpre, 1998) et Fata Morgana (Blasonsd’un corps enfantin, 2000).Sa poésie est portée par les éditions Champ Vallonqui ont déjà publié Icônes (1999) et Emulsions (2003).On peut découvrir son œuvre, y compris son travailde peinture, sur son site. www.detambel.comavec ces sous. Maintenant je me consacre surtout àla revue. C’est beaucoup de temps, d’énergie… Dansle comité de rédaction de Fusées, il y a PhilippeBoutibonnes, Jacques Demarcq, Rémi Froger etChristian Prigent. Ça se passe bien…Mais vous devriez plutôt parler de mon ami <strong>Michel</strong>Nitabah qui est là aujourd’hui, c’est plus intéressant.Il fait <strong>des</strong> choses merveilleuses, et lui c’est pas45 exemplaires qu’il fait, c’est 22-23 !<strong>Michel</strong> Nitabah : Oui, tous mes tirages sont autourd’une trentaine d’exemplaires. J’édite ce qu’onappelle <strong>des</strong> livres d’artistes ou <strong>des</strong> livres de bibliophiliecontemporaine.MG : Qu’est-ce qui vous a amené à l’édition, et aulivre d’artiste en particulier ?<strong>Michel</strong> Nitabah : En fait, avec ma femme nous étionstrès liés à Ania Staritsky. Quand elle est morte, nousavons voulu lui rendre une sorte d’hommage. C’estnaturellement que nous avons pensé à un livre, il ya donc eu, pour commencer, un Triptyque pour Ania.Nous l’avons fait avec <strong>Michel</strong> Butor, qui a réaliséavec Ania Staritsky plusieurs très beaux livres, et<strong>des</strong> artistes : Paolo Boni, Esther Hess, Véra Pagavaet Cuchi White. Cette aventure nous a donné enviede continuer. Depuis, nous travaillons avec lesartistes, les auteurs que nous aimons. Ce quim’intéresse c’est de faire quelque chose de différentà chaque fois, techniquement aussi. Le choix dupapier, la forme <strong>des</strong> illustrations… c’est à chaquefois une nouvelle histoire. Mais ça prend du temps.Je n’en fait qu’un ou deux par an, pas plus.Là <strong>des</strong>sus, Mathias Pérez apporte quelques gourmandisessucrées et la discussion continue entreune part de tarte et un éclair au chocolat, autourde la peinture, <strong>des</strong> livres, de Raymond Federmanet du jazz…www.mathiasperez.comBernard NoëlPoète épithélialRégine DetambelRelié / 125 x 175 mm / 128 pages / 11 €