Il y avait une poudrerie à La Courneuve, qu'ils ont fait sauter (probablement par des espions) à uneheure de l'après-midi.La maison avait un escalier avec un palier et des fenêtres à chaque étage. A une fenêtre, lescarreaux de droite étaient cassés, la fenêtre d'en dessous, c'étaient les carreaux de gauche, commecela jusqu'au cinquième : les effets de la déflagration étaient très curieux.Nous avons fait le déménagement, de Pantin à la rue Baudin.Tout est resté planté comme ça toute la journée. Des gens ont dit que maman ne s'était pascouchée de la nuit. Elle avait piétiné toute la nuit pour finir de ranger les affaires.C'était pénible aussi de s'en aller. <strong>Le</strong> soir, grand-père a envoyé l'oncle Mahieux qui était mobilisédans l'intendance (il était meunier lui aussi). Ca ne s'était pas trop mal passé.On est revenu à la Villette avec maman. Dans l'appartement de Pantin, on avait laissé toutel'argenterie dans un placard et maman avait toutes les clefs. Il était convenu de porter tout cela dansun coffre dans une banque.Quelques jours avant les Rameaux, nous voilà partis en taxi. On n'avait pas roulé dix minutes, quel'on entend une détonation très forte. On l'avait déjà entendue le matin à sept heures mais on nesavait pas ce que c'était. Alors, le chauffeur de taxi nous dit :"Qu'est-ce qu'elle a pris ce matin, la Gare de l'Est !"C'était la grosse Bertha, un gros canon qui tirait à 100 km (pour 1'époque c'était extraordinaire !).On n'avait tranquille qu'un quart d'heure entre chaque coup de canon, le temps qu'ils rechargent !Avec maman, nous sommes parties le mercredi Saint pour Puiseaux, mais les trains étaient bondés,bondés à la Gare de Lyon.Un tas de réfugiés qui arrivaient. Il y avait eu une avancée très forte des allemands. Dansl'offensive du printemps 1918, on a passé un mauvais moment.A ce moment-là il n'y avait pas de commandement unique.Je me rappelle, j'entends toujours grand-père dire :"Mais enfin, quand est-ce qu'on nous mettra un commandement unique ?"<strong>Le</strong>s Américains commandaient d'un côté, les Anglais de l'autre, les Italiens, qui étaient nos alliés àcette époque là, aussi. Alors, on a nommé Foch.N'empêche qu'ils ont continué à avancer fin du printemps, début de l'été 18. On a été prêts pourl'offensive que Foch avait organisée, à mi juillet.Nous étions à Puiseaux, les allemands étaient arrivés à vingt kilomètres de Paris, ils étaient àEcouen ! Déjà en 14 ils étaient venus très près, mais à la bataille de la Marne, on avait repoussétout ça. Là, ils étaient bien installés. Je me souviens Puiseaux le soir, on entendait au loin le canon.C'était à plus de 100 km et on entendait le bruit de la canonnade.Maurice Genevoix a été réformé en 1915, suite à une grave blessure à la jambe. Il habitait lesbords de la Loire, il aimait beaucoup la Loire, et il parle justement de ces bombardements qu'ilentendait, encore de plus prés que nous.Question :"Vous étiez très nombreux à Puiseaux ?"Oui, au commencement, ma tante est arrivée avec toute sa smala, la première équipe, ils s'étaienttassés comme ils avaient pu et puis, quand maman et moi nous sommes arrivées, les grands-parentsBordry qui habitaient à côté avaient donné une chambre, Henriette et moi nous y couchions. C'étaitla chambre d'Henri, leur plus jeune fils qui était mobilisé. Et puis il y avait une famille, c'était desparents des Bordry qui avaient perdu une vieille tante et qui avaient une maison toute meublée etbien installée.20
Ils ne l'auraient pas louée à n'importe qui, mais ma tante avait obtenu qu'on la loue à maman, labonne et nous. Ils avaient réservé certaines pièces. Ca nous était bien égal de ne pas avoir de salon,et puis une chambre au premier, il y avait largement la place pour nous quatre et la bonne."Puiseaux Août 1918Question :"Vous y êtes restés combien de temps ?"Nous sommes arrivés à Pâques et nous y sommes restés jusqu'au mois d'octobre."Question :"Et pour 1'école ?""Il y avait une demoiselle du pays qui venait nous donner des leçons et nous faisait travaillerindividuellement. Après, les vacances d'été sont arrivées et au mois d'octobre on n'a pas repris parcequ'on savait que le retour à Paris était imminent.C'était 1'époque de la fameuse grippe espagnole.Mon oncle Bordry qui avait passé deux ans à Salonique, était rentré et il avait été affecté àMontereau, je crois. Comme il était fabriquant d'engrais, il s'y connaissait un peu dansl'alimentation pour analyser les aliments bons et mauvais- à ce moment là il fallait se méfier, on avait n'importe quoi à se mettre sous la dent !, alors il était làaux abattoirs.Et puis après, ma tante a eu la grippe espagnole. Elle était allée voir mon oncle à Montereau etavait ramené ça. Alors on est repartis. il fallait que l'eau et l'électricité soient rétablis.Grand-père nous a fait signe, nous sommes rentrés dans le courant d'octobre.On a retrouvé l'appartement tel qu'on l'avait laissé le soir de l'emménagement. On l'a remis enplace et on a tout réinstallé. Pierre et Jean ont repris tout de suite leurs classes à Rocroy, puisHenriette et moi, nous au cours Granja, rue Merrand (???).Papa était mort d'anévrisme en 1917. Il était venu aux vacances de Pâques 17 en permissionnormale de huit jours et il y avait la première communion de Pierre et Jean à l'Ascension. Il voulaitvenir et il dit :"Je vais demander une permission de deux jours." Il ne pouvait pas demander une permission dehuit jours, six semaines après l'autre. Et le matin de sa mort, maman a reçu une carte dans laquelleil disait qu'il avait fait sa demande en disant : "Qui ne risque rien, n'a rien."21