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Le tourisme culinaire: un fort marqueur territorial

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6 e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actesLE TOURISME CULINAIRE : UN FORT MARQUEUR TERRITORIALL’EXEMPLE DU CANADAHersch JACOBS * , Florence SMITS **<strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> est <strong>un</strong>e des activités dont la croissance a été la plus <strong>fort</strong>e au cours de ces dernièresdécennies dans l’ensemble des pays développés. Très porteuse sur le plan économique, elle est souventcritiquée en raison des menaces qu’elle fait peser sur l’environnement et les lieux ainsi que sur lessociétés du fait des aménagements et de la concentration spatio-temporelle de touristes qu’elle suscitesouvent.Depuis quelques années, on assiste à <strong>un</strong>e diversification des activités touristiques qui se traduit par <strong>un</strong>eplus grande diffusion spatiale ainsi que par des équipements de moindre ampleur. <strong>Le</strong> rapport à l’espaceet aux sociétés se trouve modifié, les touristes recherchant principalement <strong>un</strong> contact avec <strong>un</strong>e natureréelle ou recrée et <strong>un</strong> « retour aux sources ».L’objectif de cet article est de montrer que le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est aussi <strong>un</strong> concept géographique enidentifiant ses impacts à des échelles différentes à travers quelques exemples canadiens. Au sein de cesnouvelles activités, qu’il s’agisse du rafting, de la randonnée pédestre ou du renouveau du <strong>tourisme</strong> vert,le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> a connu <strong>un</strong>e croissance remarquable. Ce terme, forgé il y a moins de 10 ans (L.Long, 1998) désigne aujourd’hui <strong>un</strong>e des branches dont la croissance a été la plus <strong>fort</strong>e selon l’Agencemondiale du <strong>tourisme</strong>. Son essor est d’autant plus important qu’elle permet la promotion d’<strong>un</strong>e identité<strong>territorial</strong>e et <strong>un</strong> développement économique. Au-delà de la simple offre de boissons ou de nourriturestypiques et/ou de qualité, le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> a pour objet de permettre aux touristes de saisir « l’espritd’<strong>un</strong> lieu » à travers la consommation de produits alimentaires. Cela suppose la création et/ou lapromotion d’<strong>un</strong>e identité <strong>culinaire</strong>, <strong>un</strong>e coopération entre les différents acteurs d’<strong>un</strong> espace afin deproposer <strong>un</strong> produit cohérent et articulé qui se distingue des autres, ce qui aboutit à la création deterritoiresAprès avoir examiné les principaux aspects du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> et les liens qu’il entretient avec leterritoire, nous étudierons comment le Canada se vend comme <strong>un</strong>e destination de <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> etles conséquences que cela engendre à petite et à grande échelles.LE TOURISME CULINAIRE : UN CONCEPT GEOGRAPHIQUE ?<strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est <strong>un</strong> terme dont la définition reste encore à préciser, notamment sur le plangéographique. Celle qu’en donne l’International Culinary Tourism Association « la recherche de platsou de boissons lors d’<strong>un</strong> déplacement » reste trop large. Il est clair que les touristes se nourrissent maisque seule <strong>un</strong>e minorité choisit sa destination en fonction de la cuisine ou des plats proposés car, si l’onadapte les propos de Molière, le touriste <strong>culinaire</strong> ne mange pas pour voyager mais il voyage pourmanger. Cependant, le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> va au-delà de la simple dégustation de plats. Toutes lesdéfinitions proposés ou presque, notamment celle de la sociologue Lucy Long qui fut la première,insistent sur l’idée d’<strong>un</strong>e connaissance et d’<strong>un</strong>e imprégnation d’<strong>un</strong>e culture, d’<strong>un</strong>e société et/ou d’<strong>un</strong>lieu à travers les plats et/ou les boissons consommés. Selon nous, il se distingue du <strong>tourisme</strong>gastronomique où la qualité, voire l’excellence, priment car le touriste <strong>culinaire</strong> ne cherche pasforcément à « bien manger » mais à « manger vrai », à saisir « l’esprit du lieu » à travers les alimentsconsommés et des activités variées. <strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est, souvent, <strong>un</strong> <strong>tourisme</strong> de proximité quiengendre <strong>un</strong> double impact spatial. La distance parcourue par le touriste est généralement moyennemais le rayonnement spatial est <strong>fort</strong> et diffus.* Université Ryerson de Toronto, Canada.** Université de Metz.1


6 e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes<strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> : <strong>un</strong>e forme de <strong>tourisme</strong> particulièreIntérêt croissant pour l’alimentation de qualitéTourist e gast ronomiqueOrganise son voyage autour d’<strong>un</strong>, ou dequelques, établissement(s) de renomméeinternationale. Il est prêt à parcourir desdistance importantes, maisil se déplace peu<strong>un</strong>e fois arrivé à destination.Touriste <strong>culinaire</strong>Choisit sa destination en fonction de l’intérêt culinaro-ocultutrelqu’elle présente. Il est susceptible de fréquenter desrestaurants gastronomiques mais cherche surtout à saisirl’essence du lieu visité à travers de multiples activités. Ilparcourt des distances moyennes pour satisfaire ses goûts.Une fois à destination, il se déplace sur son lieu de vacances.Touriste <strong>culinaire</strong> occasionnelPlanifie son voyage selon des centres d’intérêts variés. Il se nourrit dansdes restaurants et peut participer à des activités <strong>culinaire</strong>s, mais elles nesont pas sa motivation première. Il parcourt des distancesvariables.Nombre detouristesComme le souligne J. Csergo (2006), le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> s’est développé avec l’essor de l’automobile.Sa <strong>fort</strong>e croissance récente est liée à la recherche d’authenticité et de « nature » dont témoignent denombreux citadins qui, de surcroît, disposent d’<strong>un</strong> temps important de vacances, qu’ils tendent àprendre de manière fragmentée. <strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> impose donc <strong>un</strong> séjour (pour avoir le temps des’imprégner) et souvent <strong>un</strong> circuit afin d’appréhender la richesse et les multiples facettes du territoirevisité.Territoire est ici compris comme <strong>un</strong> espace, de dimensions variables, individualisé par le jeu des acteurs.Il est approprié par ces derniers à double titre. D’<strong>un</strong>e part, les limites sont en général assez précises : le<strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est souvent promu par le biais de cartes ; en ce sens, il a bien <strong>un</strong>e métriquetopographique, au moins pour ses promoteurs. D’autre part, les acteurs ont conscience de la spécificitégéographique et culturelle, soit qu’ils la développent, soit qu’ils la créent. C’est d’ailleurs là <strong>un</strong> desgrands atouts du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> : il peut prendre place a priori partout 1 . Cependant, la conditionprincipale du succès d’<strong>un</strong>e destination dans le domaine du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est que les touristesn’aient pas seulement l’impression de se nourrir mais de profiter d’<strong>un</strong> moment particulier qui leurpermet de mieux connaître le lieu et les populations qu’ils visitent. Nous sommes donc là dans ledomaine de l’image et de la représentation, ce qui implique <strong>un</strong>e construction et permet à tout espace deproposer quelque chose à condition d’afficher <strong>un</strong>e identité <strong>fort</strong>e et reconnaissable par tous qui ledistingue des autres. <strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> repose ainsi sur quatre éléments principaux, peut-être plusétroitement imbriqués les <strong>un</strong>s aux autres que pour les autres formes de <strong>tourisme</strong> :- les infrastructures qui accueillent les touristes et valorisent le patrimoine local tels les routes<strong>culinaire</strong>s (route des vins, route des fromages, etc.), les restaurants, les écomusées ou lesexploitations agricoles ;1 L. Moulin, 1975. L’Europe à table, cité dans Désirs et pratiques alimentaires des visiteurs étrangers en France, 2004.Ministère du Tourisme.2


6 e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actes- les activités qui attirent les touristes <strong>culinaire</strong>s tout en leur offrant des opport<strong>un</strong>ités deconsommation : cours de cuisine, d’œnologie, dégustation, conférences, visites guidées, etc. ;- les évènements qui focalisent l’attention d’<strong>un</strong> grand nombre de personnes sur <strong>un</strong> produit ou sur<strong>un</strong>e région pendant <strong>un</strong>e courte période de temps, qu’il s’agisse de salons, de foires ou defestivals ;- les structures, privées ou publiques, formelles ou informelles, qui assurent la promotion et ledéveloppement du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> à travers des évaluations (guide gastronomique), deslabellisations (appellations contrôlées), des regroupements hôteliers, des articles (medias), etc.L’espace devient dès lors <strong>un</strong> territoire identifié par les forces qu’il mobilise et l’<strong>un</strong>ité fonctionnelle qu’ilacquiert. Offrir <strong>un</strong>e identité <strong>fort</strong>e et <strong>un</strong> cadre paysagé et aménagé en cohérence avec l’image projetéepour parvenir à <strong>un</strong> développement économique et social global pour des espaces sans traditions<strong>culinaire</strong>s établies et/ou reconnues suppose des actions volontaires dont les effets diffèrent selon leséchelles d’intervention. <strong>Le</strong>s initiatives conduites aux échelles inférieures visent surtout à créer <strong>un</strong>eidentité <strong>territorial</strong>e et à mobiliser les acteurs pour diversifier les bases économiques sans bouleverserl’organisation de l’espace ou des sociétés qui y vivent. Celles menées aux grandes échelles cherchent àcréer de nouvelles bases de développement économique et se traduisent principalement par <strong>un</strong>ecollaboration accrue entre les acteurs et <strong>un</strong>e recomposition paysagère qui se marquent par desstructures ponctuelles et/ou linéaires. C’est ce que nous proposons d’étudier en prenant seulementquelques exemples canadiens eu égard à la longueur limitée de la publication.AUX ECHELLES FEDERALE ET PROVINCIALE, LA CREATION D’UNE IDENTITEAu Canada, l’absence de tradition <strong>culinaire</strong> clairement établie et reconnue a contraint les promoteurs du<strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> à forger <strong>un</strong>e image qui réponde à la fois aux attentes des touristes et aux valeurs de lasociété. Cet ef<strong>fort</strong> s’est traduit par des conséquences légèrement différentes aux échelles fédérale etprovinciale.A l’échelle fédérale, le défi était de taille. Outre le fait que de nombreux chercheurs dont Mintz (1996)et Ferguson (2004) estiment qu’<strong>un</strong>e cuisine nationale n’existe pas, définir et promouvoir <strong>un</strong>e cuisine quisoit le reflet d’<strong>un</strong> pays de 9,9 millions km² aux ressources naturelles variées et dont la diversité de lapopulation est non seulement reconnue mais aussi promue s’est révélé être <strong>un</strong>e tâche qui a mobilisé denombreux acteurs à l’initiative de l’ancienne gouverneur générale A. Clarkson. Des recherches ont étéconduites afin d’identifier les caractéristiques de la cuisine et de la société canadiennes mais égalementde connaître les images que les touristes ont du Canada. Cela s’est traduit par <strong>un</strong>e cuisine qui valorise lesingrédients canadiens (sirop d’érable, ouananiche, crosse de fougères, caribou, baies de Saskatoon, etc.)ou les ingrédients poussés localement (au nom du développement durable) et qui associe au sein d’<strong>un</strong>même plat ou repas différentes saveurs et textures afin de rendre compte de la diversité de la société etdu territoire canadiens. Ce message a été largement diffusé auprès des acteurs provinciaux et des acteursprivés à travers l’organisation de tables rondes dans les provinces et la publication de documents telsque Cultiver le goût du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong>, <strong>un</strong>e stratégie de développement du produit ou le Guide pour le développementd’<strong>un</strong> produit de <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong>. Cette initiative a encouragé les actions de certains cuisiniers canadiens quise sont regroupés au sein de Cuisine Canada dont le but est de faire connaître la cuisine canadienne auxtouristes mais aussi à la population du pays.<strong>Le</strong>s acteurs des différents paliers gouvernementaux se sont associés autour d’<strong>un</strong> même projet ce donttémoigne la petite brochure destinée aux touristes Découvrez notre culture à travers notre cuisine. Editée par laCommission canadienne du <strong>tourisme</strong>, elle rend compte d’<strong>un</strong>e véritable solidarité car elle fait référencenon seulement à des acteurs provinciaux mais également à des tours opérateurs privés. Toutes lesénergies sont mobilisées autour de la promotion du Canada comme destination <strong>culinaire</strong>.A terme, ce qui était au départ conçu comme <strong>un</strong> mode de développement économique a eu <strong>un</strong> tripleeffet :- le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> se développe au Canada grâce aux touristes étrangers mais aussi nationaux carceux-ci identifient mieux leur patrimoine et ont soif de le découvrir. Ceci est également attesté par lamultiplication et le succès des livres qui associent présentation du pays, des hommes qui le mettent en3


6 e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actesvaleur et de recettes contemporaines à partir d’ingrédients locaux à l’image de Flavours of Canada, d’AnitaStewart ;- beaucoup de Canadiens reconnaissent en effet la valeur de leur territoire sur le plan <strong>culinaire</strong> mêmes’ils soulignent qu’il y a des inégalités régionales marquées ;- enfin, les nécessaires coopérations ont développé des synergies <strong>territorial</strong>es dont les actions sont<strong>fort</strong>ement corrélées aux dimensions politiques du territoire.<strong>Le</strong> même constat peut être dressé à l’échelle provinciale. <strong>Le</strong>s effets sont peut être encore plus sensiblessi l’on prend l’exemple du Québec. Dès la fin des années 1970, au moment où le <strong>tourisme</strong> se développeau Québec, le gouvernement du Québec a lancé <strong>un</strong> programme d’enseignement dans les lycées hôteliersportant sur la cuisine traditionnelle québécoise. Son contenu fut élaboré par des ethnologues à partird’<strong>un</strong> corpus de recettes recueillies dans les différentes régions du Québec. <strong>Le</strong> but était d’éviter que lestraditions ne soient dénaturées : « sous prétexte que l’on veut satisfaire les touristes et nombre deQuébécois qui veulent se mettre dans la peau du défricheur, des restaurants de toute classe offrent aumenu des mets dits québécois (…). Aussi, dans certains cas, sous prétexte de populariser l’utilisationd’ingrédients d’origine typiquement québécois, on modifie la tradition quant au mode de cuisiner, auservice et à la présentation » 2 . Ce travail de protection s’est traduit par <strong>un</strong> renouveau de la cuisinequébécoise qui a non seulement renforcé le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> mais a également participé àl’établissement d’<strong>un</strong>e identité provinciale à <strong>un</strong> moment où les courants autonomistes étaient <strong>fort</strong>s. Surle long terme, la promotion du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> a conduit à valoriser les paysages traditionnels commeceux des érablières et à lancer des programmes de restauration du patrimoine rural. <strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong><strong>culinaire</strong> fait partie des stratégies de promotion touristique de chac<strong>un</strong>e des régions du Québec et lacuisine ainsi que les ingrédients traditionnels comme le bleuet ou les crosses de fougères ont retrouvé<strong>un</strong>e place sur la table des Québécois qui sont de plus en plus soucieux de connaître et de promouvoirleurs produits et leurs traditions <strong>culinaire</strong>s.Néanmoins, ces dynamiques <strong>territorial</strong>es sont nettement plus perceptibles et complètes à l’échelle localecomme en témoigne l’exemple de la région de Niagara on the LakeA L’ECHELLE LOCALE, L’EMERGENCE D’UNE DYNAMIQUE TERRITORIALECOMPLETEL’essor d’<strong>un</strong> produit et du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> a ainsi bouleversé la région de Niagara on the Lake. Ellelui a donné <strong>un</strong>e identité, a structuré son économie et lui a permis d’accroître ses richesses tout ens’inscrivant de manière distincte sur la carte Canadienne.Jusque dans les années 1970, la région de Niagara on the Lake ne présente auc<strong>un</strong> caractère distinctif ausein de l’Ontario agricole. C’est <strong>un</strong>e région de vergers et de vignobles (raisins de table surtout) sansrenommée. Elle ne tire également que peu de ressources des fameuses chutes situées à proximitéimmédiate.La situation change sous l’impulsion de quelques vignerons durant les années 1970. A l’initiative deDonald Ziraldo et de Karl Kaiser du domaine d’Inniskillin, ils introduisent de nouveaux cépages et desméthodes de vinification qui permettent de produire <strong>un</strong> vin de qualité et surtout du vin de glace. Trèsrapidement, ils commercialisent ce produit, issu d’<strong>un</strong>e tradition germanique, comme <strong>un</strong> produit issu del’hiver canadien. Ils ont compris l’importance de l’image et le vin de glace renvoie à l’hiver et à la neigeque tous les touristes associent au Canada. En effet, ils ne se contentent pas de produire et decommercialiser du vin, ils bâtissent de grands établissements capables d’accueillir des touristes lors devisites guidées et de dégustation, ils y associent des restaurants, voire même des hôtels si ceux-cin’existent pas à proximité directe. <strong>Le</strong> vignoble de Cave Springs a ainsi bâti <strong>un</strong> restaurant, <strong>un</strong> hôtel et <strong>un</strong>spa qui met en avant les soins de vinothérapie. L’image de la région est lancée : elle produit LE vincanadien. De plus, c’est <strong>un</strong> produit de qualité qui est primé dans les concours internationaux ce quiaccroît sa renommée.<strong>Le</strong>s vignerons développent la solidarité <strong>territorial</strong>e. Ils coopèrent entre eux afin d’établir <strong>un</strong>e route desvins et organiser différentes manifestations capables d’attirer et de retenir les touristes comme le festival2 Gouvernement du Québec, 1978, La Cuisine traditionnelle du Québec, document de base, p. 27.4


6 e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actesdu vin de glace en janvier. <strong>Le</strong>s coopérations entre les vignerons ainsi qu’avec les acteurs de l’industrietouristiques se sont développées afin de répondre aux demandes des tours opérateurs. Inniskillin, quireste <strong>un</strong> des vignobles les plus actifs dans la promotion de la destination, a signé <strong>un</strong> accord avec leBureau japonais du <strong>tourisme</strong> qui l’engage à adapter sa production et ses visites aux goûts des touristesnippons mais lui garantit la visite de plusieurs milliers de touristes par an.<strong>Le</strong> succès est tel que la région du Niagara on the Lake a changé de profil. <strong>Le</strong>s caves se sont multipliées,passant de 15 en 1989 à 67 aujourd’hui. Cela crée <strong>un</strong>e certaine homogénéité paysagère car les vignoblesse sont agrandis au point de couvrir près de 5 200 hectares. A travers toute la région, des ef<strong>fort</strong>ssensibles ont été réalisés afin de rendre l’environnement attractif aux touristes. Plusieurs comm<strong>un</strong>es ontentrepris des programmes d’embellissement qu’il s’agisse de fleurissement et/ou de contrôle de l’usagedu sol afin de préserver le charme des villages. <strong>Le</strong>s particuliers sont encouragés à rénover leurshabitations et à améliorer leurs jardins. Beaucoup ont d’ailleurs converti <strong>un</strong>e partie de leur habitation enchambres d’hôtes. Alors que la région vinicole en comptait moins de 10 au début des années 1990, larégion en propose 118 en 2007. C’est donc <strong>un</strong>e dynamique économique nouvelle qui s’est bâtie autourdu vin comme en témoigne l’emploi dans le <strong>tourisme</strong> vinicole qui a triplé à Niagara. Il faut dire que lenombre de touristes est passé de 20 000 au début des années 1990 à plus de 800 000. L’importance decette activité est telle que le lycée hôtelier de Niagara on the Lake propose maintenant <strong>un</strong> cours de<strong>tourisme</strong> vinicole. <strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> vinicole est à la base de ce territoire qui affirme ses limites à travers lapublication des brochures présentant la route des vins.Dans la région de Niagara on the Lake, l’émergence du territoire et le succès du <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> sontissus du développement quasi simultané de la production du vin de glace, de la mise en placed’infrastructures d’accueil, de la création d’activités de découverte et d’évènements, comme le festivaldu vin de glace, et d’<strong>un</strong>e intense campagne de promotion.La dynamique de ce territoire qui s’est structurée autour de la production vinicole et du <strong>tourisme</strong><strong>culinaire</strong> a, à présent, des effets d’entraînement. D’autres régions ont choisi le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong>comme mode de développement car elles y voient <strong>un</strong> moyen de stimuler leur économie mais égalementde rénover leur tissu social autour d’<strong>un</strong> projet comm<strong>un</strong> qui leur permet de se distinguer de leurs voisins.CONCLUSION<strong>Le</strong> <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est bien <strong>un</strong> concept géographique en ce sens qu’il constitue <strong>un</strong>e clé de lecture desterritoires, particulièrement efficace dans les pays sans tradition clairement établie, où il est conçucomme <strong>un</strong> mode de croissance économique, <strong>un</strong> moyen de diversifier l’offre dans <strong>un</strong> marché de plus enplus concurrentiel. Cette démarche de développement peut sembler paradoxale mais il faut soulignerque les pays à <strong>fort</strong> héritage, comme la France, vivent sur leurs acquis et promeuvent assez peu cepatrimoine. Ce faisant, les pays qui ont cherché à développer des produits qui répondent aux attentesdes touristes ont été obligés de définir leurs propres caractéristiques et de tenir compte des perceptionsdes touristes. Cela s’est traduit par l’émergence de territoires marqués par <strong>un</strong>e identité et <strong>un</strong>e solidaritéentre les acteurs ainsi que par <strong>un</strong>e homogénéité paysagère et économique à l’échelle locale. <strong>Le</strong>sdistinctions géographiques s’affirment. On aboutit donc à <strong>un</strong>e sorte de paradoxe : l’ensemble promupar le <strong>tourisme</strong> <strong>culinaire</strong> est souvent artificiel, en ce sens qu’il est construit en fonction des imagespréconçues et des attentes des touristes vis-à-vis d’<strong>un</strong>e destination, alors que le territoire né de cetteinitiative a, lui, <strong>un</strong>e existence bien réelle.<strong>Le</strong> territoire ainsi créé correspond bien à <strong>un</strong>e réalité mais celle-ci, qui se veut l’expression d’<strong>un</strong>eauthenticité, est souvent le produit de la conjonction d’<strong>un</strong>e idée (attentes des touristes, cliché associé à<strong>un</strong> lieu) et de contingences économiques. Cela a des conséquences non seulement sur le sens à donnerau territoire car il est peut-être moins l’expression de liens entre le milieu et les hommes dans la durée.Parallèlement, on assiste aussi à <strong>un</strong> glissement sémantique du terme qui ne désigne plus seulement <strong>un</strong>eentité spatiale aux caractéristiques agronomiques homogènes mais <strong>un</strong> espace souvent synonyme decampagne, de territoire des traditions, voire d’aire de production artisanale, sans nécessairement que cecaractère en apparence distinctif s’inscrive dans la longue durée ou qu’il corresponde à <strong>un</strong> espacegéographique bien déterminé » (Beaudet, 2006).5


6 e Rencontres de Mâcon, « Tourismes et territoires » - 13, 14 et 15 septembre 2007 – Pré-actesBibliographieBEAUDET G., 2006. « La géographie du <strong>tourisme</strong> gourmand » in Téoros, vol. 25, n° 1, p 10-14.CSERGO J., 2006. « Quelques jalons pour <strong>un</strong>e histoire du <strong>tourisme</strong> et de la gastronomie en France » inTéoros, vol. 25, n°1, p. 5-9.FERGUSON P. P., 2004. Acco<strong>un</strong>ting for Taste : The triumph of French Cuisine, Chicago, University ofChicago Press, 262 p.HJALAGER A-M., CORIGLIANO M., 2000. « Food for Tourists – Determinants of an Image » inThe International Journal of Tourism Research, vol. 2, n°4, p.281-293.HASHIMOTO A., TELFER D., 2006. « Canadian Culinary Tourism: Branding the Global and theRegional Product » in Tourism Geographies, volume 8, n°1, p.31-55.LONG L, 2004. Culinary Tourism, <strong>Le</strong>xington, University Press of Kentucky, 320 p.MARTIN D., WADE R., 2005. Culinary Tourism: A Localization Economic Impact Assessment of Niagara-onthe-Lake,ASAC, Niagara-on-the-Lake, Canada. 8 p.MINTZ S., 1996. “High, Low and Not At All,” Tasting Food, Tasting Freedom: Excursions into Eating, Culture,and the Past, Boston, Beacon Press, 176 p.TELFER D., 2001. « Strategic alliances along the Niagara Wine route » in TourismManagement, vol. 22,p.21-30.WADE R., MARTIN D., JACOBS H., 2006, The Emergence of Culinary Tourism in Prince Edward Co<strong>un</strong>ty,TTRA, Montebello.12 p.6

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