44<strong>Mondomix</strong>.comHISTOIRELes musiques tirent souvent leurs origines de circonstanceshistoriques et sociales particulières.La rubrique « Histoire » a pour ambition d’éclaircir la genèseet le développement de mouvements musicaux.BENINTout PuissantOrchestrePoly-Rythmode CotonouLa renaissance àl’âge de la retraiteTexte Clothilde BrunPhotographies D.R.C’est l'un des secrets les mieux gardésd’Afrique de l’Ouest. Alors que ses cousinsBembeya Jazz, Konono N°1 ou OrchestraBaobab ont conquis les scènes européennes,le mythique orchestre béninois allait finirsa vie sans avoir jamais quitté l’Afrique.Heureusement, notre collaboratrice ElodieMaillot est allée chercher ces papys afrofunkyspour leur offrir leur première tournéeeuropéenne !« Si la mort était corruptible, je dépenserais une fortune pour sauvermon père ou ma mère », chantait Antoine Dougbé, avec le PolyRythmo, il y a plus de trente ans. Des décennies plus tard, il suffitd’arpenter Cotonou et ses cabarets ou boîtes de nuit sous coupédécaléivoirien pour s’entendre dire, encore et encore que le fameuxorchestre béninois qui accompagnait jadis Fela, Miriam Makeba,Manu Dibango ou Orquesta Aragon, n’a pas réussi à corromprela terrible faucheuse. Partout la même réponse : le Poly Rythmo ?Quel orchestre magnifique !Sous le signe de James et de FelaVu le coût d’entretien d’une telle équipe, la formation a dûdisparaître malgré des succès au Niger, au Nigeria, au Togo, auBurkina, en Libye, en Côte d’Ivoire jusque dans les années 1980.Et pourtant ! Renseignement pris et après enquête approfondie,il reste bien au cœur de Cotonou une dizaine de musiciensirréductibles (11 exactement) qui pratiquent encore avec ferveurun mélange d’afrobeat et de funk bien trempé, et qui prient autantau panthéon de Papa James Brown que dans les cérémoniesvaudoues ou dans les églises chrétiennes. Sans potion magique,ni diplôme de la fac du funk, ces papys balancent un grooveirrésistible qui avait fait trembler le « Black President », dont ilsont assuré les premières parties. « On a souvent joué avec Fela,puisqu’on faisait l’américaine (sa première partie, ndlr) quand iljouait à Cotonou, et puis on le rencontrait en studio chez EMI àLagos car c’est là qu’on a beaucoup enregistré, raconte MéloméClément, chef d’orchestre du Tout Puissant Poly Rythmo. Maisnous n’étions pas le genre de musiciens à penser que dessubstances ou un harem pouvaient augmenter nos capacitésmusicales. On aimait beaucoup sa musique, mais on a refusé des’installer au Shrine. »PolycopiesAvant de conquérir les studios et les scènes de ses voisins frontaliers,le Poly Rythmo s’est d’abord construit une renommée à Cotonou,grâce à l’acquisition d’instruments électrifiés, récupérés sur lescendres de feu Sunny Black Band, groupe de Crépin Wallace forméen 1965.n°36 sept/oct 2009
HISTOIRE <strong>Mondomix</strong>.com 45POLYRYTHMOen 5 dates• 1969 / création dugroupe sur les cendres duSunny Black Band. Premiersuccès dans toute l’Afriqueavec Gbeti Madjro.• 26 octobre 1972 /L’armée prend le pouvoiret Kérékou présidele nouveau gouvernementappelé GouvernementMilitaire Révolutionnaire.Poly Rythmo devient un«orchestre révolutionnaire»• 1977 / L’orchestrereprésente le Bénin aufameux festival FESTACde Lagos au Nigeria.Après le concert, ils vontjouer avec Fela.Mélomé Clément• Entre 2000 et 2008retour de l’orchestre à lafaveur des compilationsbéninoises Bénin Passion,et occidentales des labelsLuaka Bop, Soundway etAnalog Africa.• 2007 / A Abomey,rencontre d’Elodie Maillot,qui devient le premierimpresario du groupe etentreprend de rééquiperl’orchestre en instruments.« Lorsque Wallace a rejoint sa femme française à Paris, les choses ont commencé à aller mal. Nosfamilles mettaient la pression pour que l’on arrête la musique, souffle Mélomé Clément. Finalement,avec Loko, Bentho, Maximus et Eskill on est devenus l’orchestre résident du club Canne à Sucre. CuicuiAndré le propriétaire du magasin Poli Disco nous a acheté des instruments. Il voulait qu’on s’appellePoly-Orchestra en hommage à sa boutique, j’ai choisi Tout Puissant Orchestre Poly Rythmo car onjouait tous les rythmes et on était électrifiés !» Tout en gardant les oreilles bien ancrées dans les fameuxrythmes et rites sacrés vaudouns qui se sont aussi exportés dans la Santeria de Cuba, les cérémoniesvaudoues haïtiennes ou le candomblé brésilien, Poly Rythmo réinterprétait à la sauce béninoise laplupart des hits occidentaux du moment, en s’inspirant autant de Johnny Hallyday, que de Dalida ouJames Brown. « On découvrait le funk des JB’s grâce à la radio la Voix de l’Amérique, se souvient JeanLuc Aplogan, producteur de Bénin Passion aujourd’hui délégué à la diversité à Radio France. PolyRythmo a incarné cette passion que nous avions pour le funk et le jerk, mais avec des paroles bienancrées dans la réalité béninoise, qui racontaient par exemple les mauvais sorts qui peuvent être jetés,la jalousie, l’amour ou le succès des femmes à peau très claire. »Déclin et renaissanceEt pourtant, malgré un énorme succès d’estime et le transfuge de feu Tidjani Koné du Rail Band deBamako vers l’orchestre phare de Cotonou, le groupe a toujours peiné à vivre de sa musique et surtoutà posséder ses propres instruments. « Divers producteurs nous ont acheté des guitares et des amplis,mais certains les ont revendus. D’autres ont été détruits notamment pendant une tournée en Libye.Les autorités nous avaient demandé de ne pas trimballer de liqueurs fortes dans ce pays, et pourvérifier que nous n’avions pas caché de bouteilles dans les instruments, ils les ont jetés par terre à notrearrivée. Ca a été un coup très dur pour le groupe. »Trente ans plus tard, les cuivres avaient besoin d’une petite révision, de hanches en plastique, il manquaitjuste quelques cordes aux guitares et à la basse, des pédales, des baguettes et des cymbales, quelquespercus, des semaines de répétition et un clavier digne des années 1970… pour que le groupe soit enfinprêt pour son premier voyage européen ! « Franchement, on a entendu tellement de promesses quel’on n’y croyait plus ! s’exclame Vincent Ahehehinnou, un des chanteurs. Mais maintenant que nousavons enfin notre passeport et un visa en main, je crois que c’est l’un des plus beaux jours du PolyRythmo : une renaissance inespérée ! »Car grâce aux convictions et à l’énergie d’une jeune journaliste, Elodie Maillot et d’un regain d’intérêtpour les grooves vintages, le Poly Rythmo est attendu en septembre en Europe. Lors d’un minitour,organisé par la collaboratrice de <strong>Mondomix</strong> et productrice de Radio France, les Béninois vontnotamment croiser les riffs d’un des groupes à guitares les plus en vue de Grande-Bretagne, lesEcossais de Franz Ferdinand, des fans inconditionnels.ṅ en concertEntre leurs prestations en Hollande et en Angleterre, le Poly Rythmo sera à Paris pour Jazz à la Villettele 1er septembre et le 25 à Marseille pour Marsatacn Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou The Vodoun Effect 1972-1975 (Analo Africa)A suivreChronique du disque sur <strong>Mondomix</strong>.comhttp://orchestre_poly_rythmo_de_cotonou.mondomix.com/fr/artiste.htmn°36 sept/oct 2009