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Vers une nouvelle écologie des langues ?

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<strong>Vers</strong> <strong>une</strong> <strong>nouvelle</strong> écologie <strong>des</strong> <strong>langues</strong> ?8. Un <strong>des</strong>intérêts théoriquesd’Internet estde permettre<strong>une</strong> utile distinctionentrela communicationetl’information,d’<strong>une</strong> autremanière quene le faitDaniel BougnouxdansLa communicationcontrel’information(Hachette,1995). Voirle premierchapitre deJean-ClaudeGuédon, Laplanètecyber. Internetet cyberespace,Gallimard,Découvertes,1996.9. AmericanStandard forComputerInformationInterchange.Rappelonsque l’octetcomporte ou256 possibilités.Originellement,le 8ebit était utilisépour vérifierl’intégritéde l’octettransmis d’unordinateur àun autre, cequi ne laissaitplus que 7bits pourl’écriture. Lesinformaticiensaméricainsontalors crééplusieursco<strong>des</strong> fondésmontées par <strong>des</strong> je<strong>une</strong>s, en particulier <strong>des</strong> étudiants et tous, ils contribuentà mettre en évidence quelque chose de leur culture nationale. La mêmepolitique permet aux écoles de brancher <strong>des</strong> ordinateurs sur Internet sansgrever les budgets établis de manière indue.Hors du Québec et du reste du Canada, les je<strong>une</strong>s francophones ne disposentpas de ces avantages; de plus, le niveau d’équipement <strong>des</strong> foyers enordinateurs est nettement inférieur aux chiffres rencontrés en Amérique duNord 8 . Par ailleurs, les écoles ne favorisent généralement pas le contactavec Internet pour <strong>des</strong> raisons diverses se situant entre le manque de familiaritéet la crainte de tomber sur <strong>des</strong> documents irrecevables en milieu scolaire.Créer un site sur la Toile 9 , événement routinier en Amérique duNord, relève encore largement de l’exception en France. Par ailleurs, on sesouvient de l’épopée de M. Pioch, étudiant à Paris, qui après avoir créé unsite sur le Louvre, et avoir gagné le premier prix pour le meilleur site mondialsur la Toile la première année où l’on a décerné ce prix, a dû ensuitefaire face non pas aux félicitations <strong>des</strong> autorités françaises, mais à l’expressionde leur mécontentement: un certain conservatisme allié à la volontéde contrôle et le recours intransigeant au droit d’auteur constituent autantde barrières efficaces contre la créativité. S’il faut attendre l’Académiefrançaise, ou même la Bibliothèque Nationale de France 10 pour placer laculture francophone sur les réseaux, on sera assuré de politiques dont lameilleure analogie est celle qui a longtemps caractérisé la construction <strong>des</strong>autoroutes en France: le pays disposait de vingt kilomètres splendi<strong>des</strong> aumoment où, partout ailleurs dans <strong>des</strong> pays de développement équivalents,<strong>des</strong> centaines, voire <strong>des</strong> milliers de kilomètres drainaient <strong>une</strong> circulationeuropéenne toujours plus intense vers leur territoire.Stratégies francophones dans le cyberespaceLe cyberespace est indéfiniment extensible; aucun jeu à somme nulle n’yest réellement pensable. En d’autres mots, on existe mieux dans la Toile entravaillant pour soi plutôt que contre les autres. Internet se prête merveilleusementbien à la collaboration libre et librement consentie; enrevanche, les jeux de concurrence fondés sur le contrôle et la limitation dela marge de manœuvre <strong>des</strong> partenaires ou concurrents s’avèrent rapidementinefficaces relativement aux secteurs où la libre expression, l’accès etla créativité laisseront se développer tous les sites et toutes les formes dedocumentation possibles.sur ces 128possibilités,puis ont produitun standardaméricain,l’ASCII. Enremplissantles 128 casesdisponibles,lils n’ont pasenvisagéd’intégrer lessignesd’autres<strong>langues</strong> quela leur. Entrel’ethnocentrismetechniqueetl’impérialismepolitique,ilexiste <strong>une</strong>certainemarge...10. Pourquoila France,soucieuse depréserver sonoriginalitéculturelle,aide-t-elle àtraduire lesfilms américainspour enassurer laprésencedoublée surles écrans etles téléviseursfrançais? Quidouble lesfilms français,italiens,allemands,pour le marchéaméricain? Ilserait étonnantque cefussent lesAméricainseux-mêmes.259


11. EnFrance, ons'ingénie àmaintenir leflou entreMinitel etinforoutes,tout en nelaissant àInternet quela partiecongrue.Puisqu’ilaccepte toutesles ban<strong>des</strong>passantes,Internet n’estpas lent. Cesont lescanaux physiquesoùfonctionnentles protocolesqui sont sontinsuffisants.Dans le Minitel,un opérateurprend encharge latransmission<strong>des</strong> paquets ;<strong>des</strong> individussoumis à uncadre juridiquede lapublication<strong>des</strong> quotidiensfournissent<strong>des</strong>services ; lePremier élément, l’espace virtuel ne se traite pas facilement commeespace fermé aux frontières bien définies; mieux vaut aborder cet espacecomme un champ d’attraction, ouvert et riche de possibilités. Traduire pratiquementce principe s’effectue par la constitution d’un réseau de sites,bien maillés entre eux, de telle manière que la présentation propre à chacunoffre en fait <strong>une</strong> interprétation particulière d’un segment de la documentationfrancophone, un peu à la manière dont différents journauxsélectionnent les dépêches, y ajoutent leurs propres reportages et inventent<strong>une</strong> mise en page <strong>des</strong>tinée à mettre en valeur telle ou telle dimension del’actualité. À cette différence près que le travail éditorial, au lieu d’êtreréduit à quelques instances fortement contrôlées par <strong>des</strong> puissances politiquesou d’argent (généralement les deux), se trouve distribué parmi <strong>des</strong>centaines, voire <strong>des</strong> milliers d’acteurs.Le travail de la censure qui a toujours accompagné le développement<strong>des</strong> médias va donc devoir se trouver de nouveaux moyens d’action car,pour l’heure, cette distribution éditoriale. cette liberté de produire accompagnéede la déterritorialisation radicale qui caractérise la structure Internetn’offrent pas beaucoup de prise au désir répressif et de contrôle. Seuleparade, très imparfaite, mise en avant actuellement: responsabiliser lesfournisseurs d’accès qui, à leur corps défendant (c’est le moment de ledire!), pourraient se retrouver dans la situation de l’imprimeur Dolet entrain de gravir les marches le conduisant en 1546 au bûcher. Reste à voir sile fournisseur d’accès contemporain, en entrant dans la prison, aurait laprésence d’esprit de retravailler le jeu de mots de l’imprimeur: Non doletipse Dolet, sed pia turba dolet! 11 Quant au principe de rareté qu’invoqueavec raison Régis Debray 12 , il tente quelques expériences en attendant demettre au point la parade qui neutralisera ce désir libertaire qui possède ledur défaut de durer: la “lenteur” d’Internet, lenteur qui peut devenir tellequ’elle équivaut à un manque d’accès (cas <strong>des</strong> pays du Sud), n’a rien àvoir avec Internet en fait, mais bien avec les instances - entreprises ou gouvernements- susceptibles de poser les fibres optiques, de lancer les satellites,de monter les faisceaux hertziens, etc. qui, ensemble constituent lesinfrastructures polymorphes que peuvent emprunter, en bon omnivores detuyaux qu’il sont, les protocoles d’Internet. C’est par le contrôle de labande passante que, pour le moment, les États et les gran<strong>des</strong> entreprisescontrôlent en partie le déferlement d’Internet, et ceci joue autant pour lespays du Sud que pour l’accès au public dans les pays comme la France oùcertains réflexes monopolistes se perpétuent encore.reste de lapopulation nepeut queconsommerces services.Dans Internet,parcontre, toutindividubranché peutà la foisconsulter <strong>des</strong>services et enproduire, cequi transformeradicalementlesconditionsconcrètes dudroit à l'expressionindividuelle.12. Dans lejargon internautique,ondécrit ce bouquetpar lesigle TCP/IP.cf. La planètecyber, op.cit., note 7.260


evanche, ce à quoi on peut s’attendre, c’est que certaines <strong>langues</strong>, pourun ensemble de raisons liées autant à l’histoire qu’à certaines formes spontanéesde spécialisation, gèrent collectivement l’ensemble <strong>des</strong> grands courantsd’échange de l’humanité. Aux côtés de l’anglais vont se rangerd’autres <strong>langues</strong> que nous nommerons <strong>langues</strong>-pivots, parmi lesquelles lechinois sera forcément présent, ainsi que l’espagnol et l’arabe. D’autres<strong>langues</strong> ont <strong>des</strong> chances de jouer un rôle dans ce nouveau maillage et,parmi celles-ci, le français est relativement bien placé en dépit d’un poidsdémographique mo<strong>des</strong>te: sa distribution à travers toute la planète et certainestraditions attachées à son usage lui donne <strong>des</strong> cartes fortes pourjouer ce rôle. Encore faut-il que le français joue ces cartes correctement.La vision d’un ensemble de <strong>langues</strong>-pivots suggère effectivement <strong>des</strong>stratégies intéressantes pour assurer le maintien d’un rôle, non pas impérialmais utile, du français à l’échelle de la planète. Pour <strong>des</strong> raisons historiques,le français a partie liée avec l’arabe; pour <strong>des</strong> raisons linguistiques,le français a partie liée avec l’espagnol; pour <strong>des</strong> raisons et linguistiques ethistoriques, le français a partie liée avec l’anglais. Bref, par <strong>une</strong> politiquegénéreuse d’ouverture et d’accueil, couplée à l’utilisation <strong>des</strong> réseauxcomme moyen de publication, le français pourrait devenir un levier utilegrâce auquel nombre de cultures et de <strong>langues</strong> pourraient trouver <strong>une</strong> projectionmondiale. Une utilisation judicieuse <strong>des</strong> réseaux, dans ce contexte,peut se révéler un atout important, par exemple en mettant <strong>des</strong> dictionnairesbilingues gratuitement à la disposition de <strong>langues</strong> peu répandues etpourtant intrinsèquement importantes (pensons au malais, par exemple,puisqu’un tel dictionnaire a déjà été établi à l’Université de Grenoble).Le temps <strong>des</strong> territoires fermés, <strong>des</strong> États-nations en forme de forteressesimpériales, est révolu; s’ouvre maintenant la redéfinition de <strong>nouvelle</strong>sformes de balisage de territoires dont le pendant virtuel va prendrede plus en plus d’importance; s’ouvre également le maillage généralisé oùindividus, nations et <strong>langues</strong> doivent inventer de <strong>nouvelle</strong>s façons de serapporter les uns aux autres. Lorsque les fondateurs de la Internet Societyont créé le slogan: “Internet is its own revolution”, ils ne plaisantaient pas.Et ils ont vu juste car cette révolution revient à chacun de nous au détourde tous les positionnements nouveaux que nous allons devoir adopter vis-avisde nous mêmes et <strong>des</strong> autres.Jean-Claude GUÉDON est professeur à l’Université de Montréal.Bruno OUDET est professeur à l’Université de Grenoble.262

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