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Ars Electronica répare le monde - Dominique Moulon

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art médias<strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong>par <strong>Dominique</strong> <strong>Moulon</strong>répare <strong>le</strong> <strong>monde</strong>La dernière édition du festival <strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong> dédiée aux arts,technologies et problématiques sociéta<strong>le</strong>s s’est principa<strong>le</strong>mentdéroulée au sein d’une ancienne fabrique de tabac de Linz dontla démesure a impressionné tous <strong>le</strong>s participants. Théoriciens,chercheurs et artistes du <strong>monde</strong> entier s’y sont réunis quelquesjours pour participer à une réf<strong>le</strong>xion, initiée une fois encore parGerfried Stocker et Christine Schöpf, visant cette fois à “réparer”ce qui peut encore l’être, à commencer par l’environnement.Quand la vil<strong>le</strong> sommeil<strong>le</strong><strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong>, c’est une multitude de conférences, performances etexpositions, mais aussi des contributions d’autres événements, tel <strong>le</strong>Media Facades Festival. Or c’est à l’invitation de ce dernier que l’artistefrançais Antoine Schmitt contrô<strong>le</strong> pendant quelques nuits l’intégralitédes diodes é<strong>le</strong>ctroluminescentes de l’<strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong> Center selondes données économiques et météorologiques captées en ligne dansla journée. Ainsi, lorsque la vil<strong>le</strong> est assoupie, <strong>le</strong> bâtiment ne cesse depulser selon des rythmes qui traduisent l’activité d’une journée terminée.Mais il est aussi, au même instant, d’autres bâtiments européens quise sont transformés en veil<strong>le</strong>uses, semblab<strong>le</strong>s à cel<strong>le</strong>s qui trahissent lasomno<strong>le</strong>nce temporaire de nos ordinateurs portab<strong>le</strong>s, dans l’attented’une réactivation. Avec City S<strong>le</strong>ep Light, l’artiste crée une corrélation parla lumière entre l’un des monuments architecturaux de la vil<strong>le</strong> et l’activitéou l’état émotionnel de ses habitants, en même temps qu’il établit unerelation entre <strong>le</strong>s citées ainsi connectées par de lointaines respirations.Antoine Schmitt, City S<strong>le</strong>ep Light, 2010SOURCE : NATALIA KOLESOVAL’art cinétique à l’ère du numériqueBon nombre des œuvres parmi <strong>le</strong>s plus pertinentes durant <strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong> sontregroupées au sein de l’exposition “CyberArts”, qui présente notammentl’installation Framework f5X5X5 des membres du col<strong>le</strong>ctif LAb[au]. Ceux-ci ladécrivent avec précision en nous disant : “Framework est une sculpture lumineuse etcinétique constituée de 5 modu<strong>le</strong>s. Chacun de ces modu<strong>le</strong>s est divisé en 5 élémentscarrés horizontaux et 5 éléments carrés verticaux, constituant une matrice de 5X5X5.”Dans une relative obscurité, <strong>le</strong>s pixels lumineux qui composent cette matricedessinent et redessinent des formes. Inlassab<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> prend des poses qu’el<strong>le</strong>ne tient que quelques secondes. El<strong>le</strong> est autonome et réagit à l’approche desspectateurs lorsqu’el<strong>le</strong> est en mode interactif. Parfois, l’un de ses cadres semb<strong>le</strong>pourtant “hésiter” entre deux positions. Il est alors animé d’un léger tremb<strong>le</strong>mentqui insuff<strong>le</strong> littéra<strong>le</strong>ment la vie dans l’intégralité de son ossature. Car la perfectionest ennuyeuse et c’est précisément ce type d’imperfection à peine perceptib<strong>le</strong> qui,bien souvent, participe grandement de la beauté d’une œuvre dans son ensemb<strong>le</strong>.LAb[au], Framework f5X5X5, 2009Images magazine # 43 y 105


Une gestualité réinventéeLe prix de l’art interactif, cette année, récompense <strong>le</strong>projet collaboratif The EyeWriter qui a permis au graffiteurcalifornien Tony Quan de s’exprimer de nouveau depuisson lit d’hôpital. Ce dernier, connu sous <strong>le</strong> nom deTempt One, a marqué <strong>le</strong> <strong>monde</strong> du graffiti dans <strong>le</strong>sannées 80 et 90 avant d’être tota<strong>le</strong>ment paralysé parune sclérose latéra<strong>le</strong> amyotrophique. Pour communiquer,il ne lui reste plus que <strong>le</strong>s possib<strong>le</strong>s mouvements de sesyeux. Réunis autour de Zachary Lieberman, des artisteset programmeurs ont développé un système opensource de tracking oculaire. Ce dispositif, ne coûtant quequelques dizaines de dollars à fabriquer alors que <strong>le</strong>soffres commercia<strong>le</strong>s actuel<strong>le</strong>s sont à des prix exorbitants,a permis à Tony de redécouvrir <strong>le</strong> plaisir que lui procuraitsa pratique artistique. Celui-ci dira plus tard, alors que<strong>le</strong>s membres du Graffiti Research Lab projetaient sesgraffs en temps réel dans l’espace urbain de Los Ange<strong>le</strong>s :“C’est la première fois que je dessinais quelque chosedepuis 2003 ! C’est un peu comme reprendre une boufféed’air après avoir été maintenu la tête sous l’eau pendantcinq minutes.”Zachary Lieberman, James Powderly, Tony Quan, Evan Roth, Chris Sugrue et Theo Watson,The EyeWriter, 2007-2010Objet communicant non identifiéL’installation Chapter I : The Discovery de Félix Luque Sánchez s’articu<strong>le</strong>autour d’un solide platonicien nommé Dodécaèdre. Ce polyèdre régulierfascinait déjà <strong>le</strong> mathématicien renaissant Luca Pacioli lorsqu’il travaillaitsur la Divina Proportione. Le public du second étage de l’exposition“CyberArts”, quant à lui, découvre tout d’abord quelques mises en scènevidéo du mystérieux objet. En intérieur, en extérieur, dans la nature, enmilieu industriel. Est-il multip<strong>le</strong> ? Se déplace-t-il ? Ses arêtes s’illuminentpar intermittence en même temps que <strong>le</strong>s sons se succèdent et formentune musique répétitive. Fiction ou réalité ? La pièce d’à côté répondpartiel<strong>le</strong>ment à cette question puisque c’est l’objet réel qui y est présenté.Il est semblab<strong>le</strong> à ceux des séquences vidéo, mais il réagit aux spectateursqui s’en approchent d’un peu trop près. Ce que l’on pouvait interprétercomme un langage, par la lumière comme par <strong>le</strong> son, devient alors chaotique.Mais il ne se passe rien d’autre. L’objet, dès la disparition des intrus oumenaces, continuera à émettre dans l’obscurité !Félix Luque Sánchez, Chapter I : The Discovery, 2009Une esthétique de la répétitionLe titre de l’installation sonore 216 prepared dc-motors / fil<strong>le</strong>r wire 1.0mmde Zimoun est d’une extrême précision. La présence du terme“prepared” suffit à trahir la proximité de son auteur avec <strong>le</strong>s piècessonores de John Cage, qui considérait l’aléatoire comme une composanteessentiel<strong>le</strong> de son travail. De loin, l’œuvre de l’artiste suisse a l’allure d’unvoi<strong>le</strong> translucide animé d’infimes frémissements sur toute sa surface.S’en approcher, c’est percevoir <strong>le</strong> son, évoquant la pluie ou la grê<strong>le</strong>,qu’el<strong>le</strong> génère. Tout près, on vérifie que la répétition des objets commedes sons, bien souvent, <strong>le</strong>s sublime. Et puis il y a cette ligne qui, jour aprèsjour, se dessine sur <strong>le</strong> mur. Une ligne révélée par <strong>le</strong> chevauchementdes 216 traits que tracent <strong>le</strong>s 216 tiges métalliques d’un millimètrede diamètre à chacune de <strong>le</strong>urs rotations. Inexistante au démarrage del’œuvre et variab<strong>le</strong> selon <strong>le</strong>s courbures des éléments qui la dessinent, el<strong>le</strong>subsistera à l’arrêt des 216 moteurs, lorsque <strong>le</strong> bruit musical d’une pluiemécanique aura cessé. Ultime trace visuel<strong>le</strong> d’un flux sonore interrompu.Zimoun, 216 prepared dc-motors / fil<strong>le</strong>r wire 1.0 mm, 2009-2010106 y Images magazine # 43


Le noir <strong>le</strong> plus noir du <strong>monde</strong>Bien des œuvres, à <strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong>, ne sont quedocumentées par la vidéo, pour des raisons techniquesou parce qu’el<strong>le</strong>s sont inachevées. C’est <strong>le</strong> cas deHostage, conçue par Frederik De Wilde. Il ne s’agitpour l’instant que d’un prototype carré de petite tail<strong>le</strong>,mais dont <strong>le</strong> matériau est tout à fait particulier car il aété créé à l’échel<strong>le</strong> nanométrique en collaborationavec des chercheurs de la Rice University de Houston.Sa particularité réside dans <strong>le</strong> fait qu’il absorbe presquela totalité des rayons de la lumière. Cel<strong>le</strong>-ci est doncretenue en otage par l’œuvre constituée d’unassemblage de nanotubes de carbone dont l’indice deréf<strong>le</strong>xion est exceptionnel<strong>le</strong>ment faib<strong>le</strong>. Une sculpturerecouverte d’un tel matériau ne révè<strong>le</strong>rait donc quesa silhouette, quel que soit l’éclairage. Mais l’œuvre del’artiste belge se résume, pour l’instant, au titre qu’ildonne à un carré noir. Aussi on pense inévitab<strong>le</strong>mentà Kasimir Ma<strong>le</strong>vitch, mais plus encore à Yves K<strong>le</strong>in qui,en d’autres temps, avait bénéficié des recherches d’unchimiste pour s’approprier un b<strong>le</strong>u des plus mystérieux.Frederik De Wilde, Hostage, 2010y Adresses Web,,• <strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong> : www.aec.at• Media Facades Festival :www.mediafacades.eu• Antoine Schmitt :www.gratin.org/as• LAb[au] : lab-au.com• The EyeWriter :www.eyewriter.org• Zachary Lieberman :thesystemis.com• Graffiti Research Lab :graffitiresearchlab.com• Félix Luque Sánchez :www.othersounds.net• Zimoun : zimoun.ch• Frederik De Wilde :www.frederik-de-wilde.com• Jon Rafman : jonrafman.com• Projet Goog<strong>le</strong> Street Views .com :goog<strong>le</strong>streetviews.com• Black Box Gal<strong>le</strong>ry :www.blackboxgal<strong>le</strong>ry.dk• Brunnhofer Gal<strong>le</strong>ry :www.brunnhofer.at• Pomodoro Bolzano :www.pbspace.de• Benjamin Zuber :www.benjaminzuber.deInstants photographiquesBien des Etats ont initié des missions photographiques destinées àdocumenter <strong>le</strong>ur territoire et population par l’image avant que Goog<strong>le</strong>, en2007, ne commence à sillonner <strong>le</strong> <strong>monde</strong> avec d’innombrab<strong>le</strong>s véhicu<strong>le</strong>s.La base de données destinée à alimenter Street View offre ainsi unetypologie allant du paysage à l’urbain, d’une photographie socia<strong>le</strong> à desimages plasticiennes. Les véhicu<strong>le</strong>s de Goog<strong>le</strong> ne transportent pas dephotographes, mais ils vont partout où <strong>le</strong>s gouvernements <strong>le</strong>s y autorisent.Et c’est là que Jon Rafman intervient en pratiquant une sé<strong>le</strong>ction de clichésqu’il intitu<strong>le</strong> Nine Eyes of Goog<strong>le</strong> Street View. Au “j’y étais” du photographese substitue <strong>le</strong> “j’ai choisi” de l’artiste col<strong>le</strong>ctionneur. Quant aux images enel<strong>le</strong>s-mêmes, on oublie aisément qu’el<strong>le</strong>s ont été prises par <strong>le</strong>s machinesd’un gigantesque dispositif. Mais déjà pointe une problématique récurrentedu numérique, cel<strong>le</strong> du nécessaire archivage de cette multitude d’instantsphotographiques avant qu’ils ne soient remplacés par <strong>le</strong>s robots qui <strong>le</strong>sgénèrent et <strong>le</strong>s classifient automatiquement.Jon Rafman, Nine Eyes of Goog<strong>le</strong> Street View, 2009De l’intégration des marchandsC’est parce que l’avenir des pratiques émergentes dépend ausside <strong>le</strong>ur pénétration du marché qu’<strong>Ars</strong> <strong>E<strong>le</strong>ctronica</strong> a décidécette année d’offrir la possibilité aux ga<strong>le</strong>ries Black Box deCopenhague et Brunnhofer de Linz de présenter quelquesobjets et installations aux éventuels col<strong>le</strong>ctionneurs. On yremarque notamment des tomates cerises emprisonnées par<strong>le</strong>s membres du col<strong>le</strong>ctif Pomodoro Bolzano dans de petitscubes de silicone. Avec <strong>le</strong> temps, la surface de <strong>le</strong>ur peau sedore progressivement. En fin de vie, el<strong>le</strong>s semb<strong>le</strong>nt avoir étérecouvertes de feuil<strong>le</strong>s d’or, comme préparées pour l’éternité !Et puis il y a cette ampou<strong>le</strong>, des plus bana<strong>le</strong>s hormis sa surfaceque l’artiste Benjamin Zuber a recouverte de peinture noire.Mais attention, el<strong>le</strong> est brûlante puisque alimentéeé<strong>le</strong>ctriquement. Et <strong>le</strong> compteur qui fait partie intégrantede cette installation intitulée Verbraucher permet au publicde mesurer l’énergie ainsi gaspillée. Il est temps, en effet,de “réparer” notre environnement.Pomodoro Bolzano, Tomato, 2003.Images magazine # 43 y 107

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