Lettre ouverte à Jean-Baptiste

Jean,Comme nombre de gens de Jérusalem et de toute le Judée, je te rejoins sur les bords duJourdain.Laisse moi te dire tout d’abord ma surprise. Qui suis-je venu voir ?Un homme bizarre, portant un vêtement de poils de chameau, une ceinture de cuir etmangeant des sauterelles grillées trempées dans du miel ! si j’osais je te dirais que tu es unécolo avant l’heure.Et que vient faire cette foule auprès de toi, loin de Jérusalem et du Temple, sur les bords de cefleuve ? une démarche de conversion ? une reconnaissance des péchés ? du tourismespirituel ?Et ton message, parlons-en ! Disons que tu n'y vas pas de main morte. Ton appel à laconversion est plutôt rude ! En tout cas, le peuple t'a entendu ; une foule bigarrée vient à toi :tu appelles tout le monde à la conversion. Et tu annonces celui qui vient derrière toi, qui estplus fort que toi, dont tu n’es pas digne de retirer les sandales.Aujourd'hui ta route croise celle de Jésus et avec toi je suis témoin de sa manifestation, de sonépiphanie.Jésus, le fils du charpentier, a quitté sa famille, sa maison et se mêle à la foule. Il entre enscène : lever de rideau sur trois années que nous rapportent les Évangiles. Il paraît, il semanifeste. Il vient à toi pour se faire baptiser.Toi, tu veux l’en empêcher. Et pour cause : le plus puissant que toi !Mais lui parle d’accomplir parfaitement ce qui est juste.Et c’est sa première parole dans l’Évangile de Matthieu, comme un discours-programme.S’ajuster, se conformer à la volonté de Dieu, en marquant sa solidarité avec ceux qui se lèventà ton appel à la conversion.S’ajuster, se conformer à la volonté de Dieu, en devenant l’un des nôtres, frère des pécheurs.S’ajuster, se conformer à la volonté de Dieu, en plongeant (c’est le sens du mot baptême),dans notre monde où l’injustice, la haine, l’égoïsme, la lâcheté, la mort ont souvent le derniermot.S’ajuster : drôle de travail ! Alors tu le laisses faire.Toi, tu n’es pas ajusteur ! tu n’es que le crieur, le colporteur de Dieu, la Voix qui crie dans ledésert. Alors tu le laisses faire.Et, à ce moment où notre frère Jésus remonte hors de l’eau, portant avec lui notre monde, uneouverture se fait. Les cieux s’ouvrent : plus de séparation entre Dieu et l’homme. Lasupplication d’Isaïe ‘Ah ! si tu déchirais les cieux’ (Is 64,1) est exaucée. Alors l’Esprit vientsur lui, l’Esprit du commencement et de la création, l’Esprit de Pentecôte et de la mission. Etune voix le désigne comme le Fils, dépositaire de l’amour du Père.Épiphanie qui révèle qui est Jésus pour moi, pour nous, pour Dieu.Jean,Ton nom est à lui tout seul, tout un programme : Dieu fait grâce, Dieu est cadeau ! etaujourd'hui avec toi, je découvre quel cadeau fait Dieu.Dans l’univers clos où sans cesse chaque homme a tendance à s’enfermer, une déchirure seproduit : en la personne de Jésus, l’humanité a une brèche, un passage, une Pâque, pourcommunier pleinement avec Dieu. Chaque homme, chaque femme est aimé et connu de Dieu.Fils ou fille que Dieu a nommé dans sa tendresse, de toute éternité. Espérance pour ceux quisont perdus dans l’anonymat, certitude pour ceux qui vivent la solitude, confiance pour ceuxqui ne sont qu’un numéro. Tous sont enveloppés par le regard aimant du Père. Là est l’originede la dignité de tout humain, le prix de chaque visage.

Jean,Ton message rugueux attire les gens et aujourd'hui avec toi, j’entends que tu nous invites àprendre notre place dans la file d’attente pour sceller dans l’eau notre option, notre choix,notre conversion. Avec la personne de Jésus qui a pris rang parmi nous, l’humanité estappelée à être communion fraternelle. Vivre à la suite de celui qui est venu accomplirparfaitement ce qui est juste, c’est croire en ce Dieu qui ne fait pas de différence entre leshommes (Ac 10,35) et qui veut l’unité de tout le genre humain ( VII, LG1). Peuple de frèresqui n’a qu’un Père. Peuple envoyé comme porte-parole pour crier par l’intensité de sa vie. Làest la mission de l’Eglise : quand le ciel s’ouvre et que la communion avec Dieu est possible,la communion entre les hommes est invitée à prendre la dimension de l’agapè de Dieu.Jean,Toi, le témoin du cadeau de DieuInsiste auprès du Pèrepour que des hommes et des femmes entendent son tutoiement amoureuxTu es mon bien aimé, en toi repose mon amour !Toi, le BaptisteInsiste auprès du FilsPour que des hommes et des femmes entendent sa consigneLaisse-moi faire, ainsi nous accomplirons ce qui est juste !Toi, la Voix,Insiste auprès de l’Espritafin que se lèvent des messagers de la Bonne Nouvelle.A la fin de cette lettre, je voudrais te dire ma reconnaissance car en voyant Jésus s’avancervers toi, je pressens qu’au creux des refus de notre humanité, il n’y a pas que l’échec, ledésespoir ou la mort, mais aussi l’amour de Dieu qui vient à nous. Et cela est cadeau.Pour cette révélation adressée à tout lecteur de l’Évangile,Pour l’annonce de la communion restaurée entre l’homme et Dieu,Pour cet appel à la solidarité et à la fraternité en Christ,Merci à toi, Jean, prédicateur au bord du Jourdain.P. Philippe MAURIN