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La nouvelle fortune du bien commun - Fonda

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tribune_217_INT_Mise en page 1 02/10/2013 13:41 Page 54PAGE54<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> <strong>fortune</strong><strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong>par Yannick Blanc, président de la <strong>Fonda</strong>Au cours des travaux <strong>du</strong> groupe Associations et entreprises, il a beaucoupété question de « co-construction <strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> ». Cettenotion de <strong>bien</strong> <strong>commun</strong>, quasiment absente de notre vocabulaire il ya quelques années, est désormais sur toutes les lèvres 1 . L'objet de cetarticle n'est pas d'en pourchasser ou d'en dénoncer les ambiguïtésmais plutôt d'essayer de comprendre en quoi ces ambiguïtés témoignentd'une interrogation ouverte.1. Expression utilisée parAlain Ambrosi à propos de lamanifestation pour la journéede la Terre <strong>du</strong> 22.04.2012 àMontréal.http://wiki,remixthecommons.org2. Gaston Fessard, Autoritéet <strong>bien</strong> <strong>commun</strong>, Paris,Aubier, 1944.3. Louis-Joseph Lebret,Découverte <strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong>,Paris, éd. Économie et humanisme,1947.4. Par exemple récemmentdans une étude de Juniorconsulting SciencesPo sur« la rénovation de l'intérêtgénéral en France » sousla direction dePhilippe-Henri Dutheil etAntoine Vaccaro, avril 2013.Le champ sémantique <strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> est d'abord religieux. Sansremonter jusqu'à ses origines chez saint Paul (« Travaillez afin d'avoirde quoi partager », Ephésiens, 4,28) et saint Thomas d'Aquin, on peut noter l'importancede la notion dans le christianisme social de l'après-guerre. GastonFessard, philosophe jésuite, fondateur de Témoignage chrétien, en donne unedéfinition qui tente d'en cerner les trois dimensions économique, sociale etéthique 2 :− le <strong>bien</strong> de la <strong>commun</strong>auté : les <strong>bien</strong>s publics ou autres mis en <strong>commun</strong> ;− la <strong>commun</strong>auté <strong>du</strong> <strong>bien</strong> : le caractère effectif de l’accès de chacun aux <strong>bien</strong>s<strong>commun</strong>s ;− le <strong>bien</strong> <strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> : la nature et l’équilibre de la relation entre l’indivi<strong>du</strong>et la <strong>commun</strong>auté.À la même époque, Louis-Joseph Lebret, fondateur d'Économie et humanisme ensouligne la dimension éthique dans une philosophie de l'action. « Le Bien <strong>commun</strong>est le <strong>bien</strong> d'une <strong>commun</strong>auté, qu'il s'agisse d'une <strong>commun</strong>auté familiale,professionnelle ou de la <strong>commun</strong>auté universelle. C'est un Bien <strong>commun</strong> à desfrères qui <strong>commun</strong>ient en lui, le recherchant ensemble, le réalisant ensemble, lerecevant ensemble 3 . »Le <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> se construit, l'intérêt général seconstateCe que l'on peut retenir de ces deux approches, c'est que le <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> n'est nidéfini ni donné par l'autorité (la transcendance, l'État) mais qu'il est le fruit d'uneaction à travers laquelle se réalise un équilibre idéal entre indivi<strong>du</strong> et <strong>commun</strong>auté.C'est cette connotation particulière qui permet de comprendre pourquoila notion de <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> est en concurrence avec celle d'intérêt général maisaussi pourquoi elle s'en distingue nettement. En effet, si l'on rencontre parfoisl'idée de « construction de l'intérêt général » 4 , c'est au prix d'une sensible distorsionpar rapport à son origine juridique. L'intérêt général n'est jamais défini nidélimité par la loi mais il est constaté par le juge administratif lorsque celui-ci doit<strong>La</strong> tribune fonda - mars 2013 - n°217


tribune_217_INT_Mise en page 1 02/10/2013 13:41 Page 55PAGE55arbitrer un litige ou apprécier une situation qui est aux limites de ce qui est explicitementénoncé par la loi. On peut déroger à une règle ou à un principe si c'estpour une cause d'intérêt général. <strong>La</strong> notion d'association d'intérêt général vient delà : la loi de 1901 définit l'association comme uneconvention de droit privé, qui peut donc légitimementavoir pour but la poursuite d'intérêts particuliers maisqui peut aussi contribuer au <strong>bien</strong> public ou au servicepublic. C'est pourquoi parler d'un « monopole de l'intérêtgénéral » exercé par l'État est un non-sens,Parler d'un « monopole de l'intérêtgénéral » exercé par l'État estun non-sens.puisque l'intérêt général n'est précisément invoqué que lorsqu'on est en dehors ouaux limites d'un monopole public.L'économie des <strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s implique une<strong>nouvelle</strong> approche de la gouvernanceC'est l'approche économique des <strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s par Elinor Ostrom qui, en cedébut de XXI e siècle, a revitalisé la notion 5 . Alors que, selon la théorie économiquestandard, la gestion optimale d'une ressource <strong>commun</strong>e ne pouvait résulterque de sa privatisation (on parle d'enclosure par référence à la privatisation despâturages <strong>commun</strong>s dans l'Angleterre <strong>du</strong> XVIII e siècle), Ostrom démontre ens'appuyant sur de nombreuses observations empiriques portant notamment surdes pêcheries, des systèmes d'irrigation agricole ou des exploitations forestières,qu'une ressource naturelle limitée peut être gérée de façon optimale par une <strong>commun</strong>autélocale pourvu que celle-ci se dote d'un mode de gouvernance appropriée.« Sur les quatorze cas passés en revue dans l’ensemble de l’ouvraged’Ostrom, six présentent " une performance institutionnelle solide " parce que lesconditions de réussite sont réunies : limites et accès clairement définis, règlesconcordantes, arènes de choix collectif, surveillance, sanctions gra<strong>du</strong>elles, mécanismesde résolution des conflits, droits d’organisation reconnus, unités (de pro<strong>du</strong>ction)imbriquées. Mais huit autres cas sont fragiles ou en échec. Ce quitendrait à confirmer que la présence ou l’absence de règles institutionnellesdépendent de facteurs qui ne se situent pas tous au seul échelon micro-socialmais qui se situent au niveau de l’organisation sociale d’ensemble. » 6 <strong>La</strong> révolutionconceptuelle provoquée par Ostrom consiste donc moins, contrairement àce qu'on en dit souvent, à ouvrir une « troisième voie » entre la gestion publiqueet la gestion privée des ressources, entre l'État et le marché, qu'à démontrer quela performance économique ne dépend pas de la compréhension ou de l'applicationde « lois » universelles de l'économie mais de la capacité des <strong>commun</strong>autéshumaines à instituer des systèmes de gouvernance adaptés aux conditionsconcrètes locales de la pro<strong>du</strong>ction et de la conservation de ressources.5. Elinor Ostrom, <strong>La</strong> gouvernancedes <strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s :Pour une <strong>nouvelle</strong> approchedes ressources naturelles ;trad. française éd. De Boeck,Bruxelles, 2010. Pour uneprésentation synthétique etcritique, voir l'article deJean-Marie Harribey parudans L’Économie politique,n° 49, janvier 2011,http://harribey.u-bordeaux4.fr6. Harribey, op. cit.Suite...<strong>La</strong> tribune fonda - mars 2013 - n°217


tribune_217_INT_Mise en page 1 02/10/2013 13:41 Page 56PAGE56<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> <strong>fortune</strong><strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong>...Suitepar Yannick Blanc, président de la <strong>Fonda</strong>Cela n'empêche pas l'économie des <strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s de se développer commetierce alternative au néo-libéralisme et à l'économie administrée mais aussicomme économie propre aux enjeux clés <strong>du</strong> XXI e siècle que sont les ressourcesnaturelles (eau, atmosphère, climat, biodiversité), les activités qui impactent cesressources (énergie, agriculture) et les richesses pro<strong>du</strong>ites par la société de l'informationet de la connaissance (open source, open data, non-brevetabilité <strong>du</strong>vivant, libre accès à l'Internet). <strong>La</strong> gestion de ces <strong>bien</strong>s ne peut ni être laissée auseul jeu <strong>du</strong> marché qui aboutirait à une appropriation inégale incompatible avecleur nature même, ni être assurée par des opérateurs publics, soit parce que ceuxcis'avèrent incapables de gérer les <strong>bien</strong>s mondiaux, comme le montre l'échecdes sommets de Copenhague et de Rio sur le climat, soit parce que l'autonomiedes indivi<strong>du</strong>s échappe aux régulations administratives traditionnelles comme onl'a vu avec la crise des droits d'auteur, l'affaire Wikileaks ou celle de l'espionnagenumérique. Le fait que de <strong>nouvelle</strong>s catégories de <strong>bien</strong>s soient au cœur desenjeux <strong>du</strong> développement économique bouleverse non seulement la science économiquemais aussi la science politique et le droit.Les économistes affirment dans un louable souci de clarification qu'on ne doit pasconfondre la question des <strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s, qui serait propre à l'économie, et celle<strong>du</strong> Bien <strong>commun</strong> qui serait de nature éthique. On peutDe <strong>nouvelle</strong>s catégories de <strong>bien</strong>s se demander a contrario si cette ambivalence n'est passont au cœur des enjeux au cœur <strong>du</strong> concept. Les <strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s n'ont-ils pasune dimension éthique, au sens où l'éthique désigne<strong>du</strong> développement économique.des règles universelles dont l'application ne relève pasd'une autorité mais de la conscience de chacun ? <strong>La</strong>préservation de la planète, la transition énergétique, le commerce équitabledépendent autant des comportements indivi<strong>du</strong>els que des politiques publiques ;l'économie des connaissances, le libre accès à l'information, l'exploitation desdonnées personnelles posent à l'évidence des problèmes éthiques. <strong>La</strong> crise de2008 a ouvert chez nombre d'économistes et d'acteurs de la finance un espace deréflexion sur ces questions. On trouve ainsi dans la revue Banque & Stratégie unmanifeste de l'économiste Paul Dembinski intitulé « Pour une finance au service<strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> » dans lequel on lit notamment : « Aujourd’hui les sociétésoccidentales se trouvent dans une situation paradoxale : les exigences de rendementdérivées <strong>du</strong> projet financier entravent leur autonomie, y compris politique.[…] <strong>La</strong> financiarisation a débouché sur la prééminence quasi absolue de la transactionau détriment de la relation. […] Les valeurs fondamentales de la liberté dejugement, de la responsabilité et de la solidarité, constitutives <strong>du</strong> <strong>bien</strong> <strong>commun</strong>et sans lesquelles une société libre et humaine ne saurait subsister, sontaujourd’hui en danger. Bien au-delà de « moraliser le capitalisme », il s'agit deremettre l’activité économique à la place qui lui revient, y compris dans son rap-<strong>La</strong> tribune fonda - mars 2013 - n°217


tribune_217_INT_Mise en page 1 02/10/2013 13:41 Page 57PAGE57port au politique. […] Le <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> ne saurait surgir de la seule action régulatrice,il ne saurait exister sans le concours des actions quotidiennes des acteursprivés qui prennent au sérieux à la fois leurs valeurs et leurs responsabilités aucœur de la société. » 7On ne saurait mieux définir l'enjeu des relations entre associations et entreprises.Il ne s'agit pas de confronter ou de concilier des intérêts contraires portés pardeux catégories d'acteurs mais de rechercher sur quels types d'actions elles peuventexercer leurs responsabilités <strong>commun</strong>es, leurs responsabilités à l'égard <strong>du</strong><strong>bien</strong> <strong>commun</strong>. Le <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> apparaît ainsi moins comme une réalité ou unconcept à définir que comme un horizon de l'action qu'entreprennent des acteursque ne lient ni contraintes ni obligations. Entre ce <strong>bien</strong> <strong>commun</strong> et la gestion des<strong>bien</strong>s <strong>commun</strong>s, il y a toute l'éten<strong>du</strong>e de la responsabilité des entreprises qui nepeuvent poursuivre leur activité dans l'ignorance pure et simple de leur impact surl'environnement et sur la société.7. Banque & Stratégie, n° 294juillet-août 2011. C'est moiqui souligne. Paul Dembinskiest un économiste suisse,professeur à l'université deFribourg. Il a créé un observatoirede la finance indépendantqui se consacrenotamment à la dimensionéthique des activités financièreset publie une revueintitulée Finance & Bien<strong>commun</strong>.www.obsfin.ch/FR/Fin.<strong>La</strong> tribune fonda - mars 2013 - n°217

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