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GRAZIA DAILY CANNES 8<br />

Critique<br />

La vie, mode d’emploi<br />

Aquarius, le second film liquide du brésilien<br />

Kleber Mendonça Filho, réussit l’impossible :<br />

la fresque intimiste. Par Romain Charbon<br />

De quoi Aquarius est-il le nom ?<br />

Que nous raconte ce beau film<br />

au bord de l’eau, accroché à sa<br />

plage, ne s’en écartant que très<br />

peu pour mieux y revenir ? C’est<br />

drôle comme les titres sont parfois<br />

là pour nous tromper.<br />

« Aquarius » ou le nom de la résidence<br />

dans laquelle Clara habite<br />

depuis toujours à Recife ?<br />

« Aquarius » ou l’histoire d’un<br />

immeuble ? « Aquarius » ou La<br />

Vie mode d’emploi en grande<br />

fresque brésilienne ? Kleber<br />

Mendonça Filho va s’amuser à<br />

semer le trouble pendant presque<br />

une heure, égrainant les indices<br />

d’un film qui n’aura jamais lieu.<br />

Car son nouveau long, après le<br />

remarqué Les Bruits de Recife,<br />

est en fait une fresque intimiste,<br />

qui de toute évidence devrait<br />

s’appeler « Clara », comme son<br />

personnage principal. Elle est la<br />

dernière habitante de cet immeuble<br />

promis à la spéculation<br />

immobilière et dont tout le<br />

monde est parti. Clara s’accroche<br />

aux souvenirs de cet appartement<br />

où elle vit seule, mais où<br />

défilent sa bonne, ses enfants et<br />

parfois un gigolo. D’autres<br />

frappent souvent à sa porte, mais<br />

ceux-là ne rentreront jamais, ils<br />

veulent racheter son appartement<br />

et transformer ce dernier<br />

vestige des Vingt Glorieuses brésiliennes,<br />

architecture front de<br />

mer ringardisée quarante ans<br />

plus tard, en complexe au goût<br />

d’un Brésil redevenu de plus en<br />

plus inégalitaire. Mais Clara est<br />

têtue, il y a trente ans, elle s’est<br />

battue contre un cancer et a gagné,<br />

et ce ne sont pas quelques<br />

petits cons sortis d’école de commerce<br />

américaine qui vont lui<br />

dicter sa loi. On lui a enlevé un<br />

sein, on ne lui enlèvera pas là où<br />

elle vit. D’ailleurs, il n’a pas totalement<br />

disparu, ce sein nourricier,<br />

matérialisé par l’appartement.<br />

Elle perd toute séduction<br />

dès qu’elle s’en écarte, les gens<br />

prennent peur de cette mutilation.<br />

Mais les enfants y reviennent<br />

encore, surtout sa fille, celle qui<br />

lui en veut encore de les avoir<br />

abandonnés pendant deux ans<br />

dans les années 80. Est-ce qu’on<br />

peut en vouloir à quelqu’un qui a<br />

échappé à la mort et qui décide<br />

de n’écouter que ses propres désirs<br />

? Comment ne pas être complètement<br />

aux côtés de Clara<br />

quand elle est défendue avec tant<br />

d’intensité par Sônia Braga,<br />

inoubliable de présence et prétendante<br />

la plus sérieuse à ce jour<br />

pour le Prix d’interprétation. Le<br />

rôle d’une vie. Méfiez-vous de<br />

l’eau qui dort, elle se déverse parfois<br />

en torrents d’amour.<br />

Aquarius de Kleber Mendonça Filho.<br />

(Compétition)<br />

Qui êtes-vous ?<br />

oliver laxe<br />

Mimosas, son second film est un<br />

des événements de la Semaine<br />

de la critique. Allure de rockstar,<br />

amoureux hanté du cinéma<br />

et habitant des déserts, Oliver<br />

Laxe est un cinéaste à suivre.<br />

Par Claire Touzard<br />

Belle gueule de Galicien, d’enfant<br />

de la Méditerranée, philosophe<br />

bandit, bracelet au poignet et cheveux<br />

longs. « Toutes les femmes<br />

l’adorent », nous dit-on. Oliver<br />

Laxe a 34 ans. Le jeune réal est à la<br />

croisée des cultures : d’origine espagnole,<br />

ses parents « gardiens<br />

dans le 16 e » ont émigré en France.<br />

Il vit à Tanger, nourri aux fantômes<br />

magnifiques des écrivains Burroughs,<br />

ou Ginsberg. Oliver Laxe<br />

a tourné son film au Maroc et parle<br />

de soufisme, de l’essence de l’islam.<br />

Dans Mimosas, second film<br />

présenté à Cannes après Vous êtes<br />

tous des capitaines en 2010, il a fait<br />

un pari osé : plonger Cannes dans<br />

un espace-temps « déterritorialisé<br />

». Un désert où l’on questionne<br />

le sacré, la raison, dans un conte<br />

tantôt déroutant tantôt psyché.<br />

« Le rapport à la foi est au cœur de<br />

ma génération », lance-t-il à la volée.<br />

Ne cherchez pas à comprendre<br />

tout ce qu’il dit. Car il vous fera<br />

brillamment vriller. Et c’est en se<br />

perdant, avec lui, qu’on se met à<br />

tout requestionner.<br />

MIMOSAS d’Oliver Laxe, avec Ahmed<br />

Hammoud. (Semaine de la critique)<br />

Critique<br />

L’expérience Julieta<br />

Une femme, deux actrices pour<br />

l’incarner : un insondable voyage<br />

intérieur à l’arrivée. Julieta est<br />

un grand Almodóvar. Par Philippe Azoury<br />

Autant le dire tout de suite, comme ça, c’est fait, le<br />

suspense n’étant pas exactement notre fort, Julieta, le<br />

nouveau Almodóvar, est un de ses films les plus beaux<br />

et l’un de ses plus brûlés. Ce n’est pas seulement un<br />

jugement esthétique ou critique, c’est aussi une alerte<br />

spoiler. Parce que cette brûlure, qui consume les personnages<br />

du film et fait vibrer l’image, ne se manifeste<br />

pas tout de suite. Non, à l’image tout commence de<br />

façon étrangement calme. Julieta a plutôt même l’allure<br />

un peu expéditive d’une sitcom, une de ces<br />

sitcoms de la télé espagnole qu’Almodóvar a toujours<br />

profondément aimées et qu’il améliore davantage<br />

qu’il ne les détourne. Des personnages de romanphoto<br />

évoluent à travers une lumière blanche – une<br />

couleur que le réalisateur avait jusqu’ici évitée. Sa<br />

palette bariolée avait besoin de rouges sang, de bleus<br />

lilas, de tout ce qui vous sautait au visage en hurlant<br />

« Movida ! ». Mais Almodóvar a 66 ans. Il a envie<br />

d’autre chose, d’un récit piégé, archétypal en apparence<br />

et d’une provocante modernité à l’intérieur.<br />

Julieta donc. Qui aime un homme rencontré dans un<br />

train. Elle aura avec lui une fille. Cet homme finira par<br />

mourir, on ne vous dira pas comment (on ne va pas<br />

passer la journée à vous spoiler le film). Sa vie de Julieta<br />

s’enfoncera alors dans les sables mouvants de la<br />

dépression. Sa fille de 12 ans va diriger la maison à sa<br />

place. Un jour, devenue adulte, la fille partira et ne<br />

voudra plus lui parler. Julieta se demandera alors<br />

quelles sont ses fautes. Le film, à cet endroit précis,<br />

peut commencer – c’est-à-dire dénouer les nœuds<br />

d’une vie faite d’erreurs. Comme la mienne, comme<br />

la vôtre, comme toutes les vies qui valent la peine<br />

d’êtres vécues. Des vies innocentes de leurs fautes.<br />

une structure en flash-back<br />

autant qu’en miroir<br />

Comme on gagne toujours à être deux fois innocent,<br />

Julieta est jouée par deux femmes. La Julieta 2016 est<br />

incarnée par la grande Emma Suárez. Elle qui fut la<br />

muse de Julio Medem n’avait encore jamais joué pour<br />

Don Pedro. Elle a un moment quitté les plateaux, le<br />

cinéma. Si son visage, à ce jour, est à la fois splendide<br />

et inquiet, c’est que la Suárez n’est pas du tout le<br />

genre de femme à recouvrir sous un masque ridicule<br />

ses cicatrices de vie. Elle est en train de devenir enfin<br />

immense, parce qu’elle s’en sert pour nourrir son jeu.<br />

Quand cette Julieta-là te prend par la main dès le premier<br />

plan du film, tu sais que tu n’as pas intérêt à la<br />

lâcher. Et quand elle passe la main, dans une structure<br />

en flash-back autant qu’en miroir, à sa version 1990,<br />

la Julieta de 25 ans environ, on découvre, ahuri, une<br />

autre perle d’actrice : Adriana Ugarte. Là encore, il y<br />

a tout. La fille est magnifique. Son jeu à elle aussi est<br />

d’une intelligence capitale. Comment imbriquer<br />

deux actrices en un même personnage, et faire jouer<br />

en même temps le face-à-face de deux générations,<br />

leur façon respective et forcément différente d’’interpréter<br />

la vie, de la commenter ? C’est l’enjeu caché du<br />

film, qui, sous le mélodrame permanent (mais froid),<br />

agite l’image de courants souterrains d’une subtilité<br />

incroyable. Masterpiece.<br />

Julieta de Pedro Almodóvar, avec Emma Suárez,<br />

Adriana Ugarte. (Compétition)<br />

Photos : julien mignot ; sbs production ; el deseo<br />

2 - MERCREDI 18.05.2016

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