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Enseigner quel travail ?

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Le <strong>travail</strong> que je fais,<br />

c’est un <strong>travail</strong> amoureux<br />

Entretien avec Nicolas Frize<br />

Compositeur de musique contemporaine<br />

que dans n’importe <strong>quel</strong> <strong>travail</strong> – y compris le<br />

plus répétitif et le plus mécanique en apparence<br />

- il existe une marge d’intervention subjective<br />

qui va permettre une forme d’appropriation.<br />

Un vécu singulier du <strong>travail</strong>. Ça ne veut pas<br />

dire qu’il faut valider n’importe <strong>quel</strong>le tâche<br />

abrutissante et aliénante, ça veut dire qu’il y<br />

a dans le <strong>travail</strong> une capacité de chacun à être<br />

intelligent et sensible « malgré tout ». Malgré<br />

les contraintes, la hierarchie, la tâche éventuellement<br />

dénuée d’initiative, etc.<br />

© Bernard Baudin<br />

Nicolas Frize conçoit son <strong>travail</strong> artistique<br />

comme l’espace et le temps d’une rencontre in<br />

situ, qui prendra la forme d’une résidence ou<br />

plutôt d’une « installation » souvent longue (1<br />

ou 2 ans) du compositeur au sein-même des<br />

lieux du <strong>travail</strong> – usine, laboratoire, manufacture,<br />

établissement scolaire… Il arrive, s’installe,<br />

partage des moments de vie avec les ouvriers ou<br />

des salariés de l’entreprise et élabore avec eux<br />

une œuvre singulière et située dans le temps,<br />

qui sera le résultat de cette expérience unique.<br />

Rencontre avec un artiste engagé et exigeant,<br />

au cœur du <strong>travail</strong>, au sortir de sa dernière<br />

aventure : une résidence création de 2 ans avec<br />

les ouvriers d’une usine PSA à Saint-Ouen en<br />

banlieue parisienne.<br />

Être reconnus comme des<br />

sujets de leur <strong>travail</strong>, des êtres<br />

qui sentent et qui pensent<br />

Mon objet ici n’est pas de parler ou de donner<br />

à voir la souffrance au <strong>travail</strong>. Ni de porter des<br />

revendications syndicales au sein du salariat<br />

pour de meilleures conditions de <strong>travail</strong> ou de<br />

rémunération. Non, l’objectif et ce qui m’intéresse<br />

dans cette expérience de confrontation<br />

rencontre avec par exemple les ouvriers de PSA,<br />

c’est de partager et de faire entendre la capacité<br />

individuelle et collective qu’ont ces gens à<br />

mettre chacun <strong>quel</strong>que chose « en activité ». Il<br />

est temps qu’on les reconnaisse pour ce qu’ils<br />

sont, des sujets de leur <strong>travail</strong>, des êtres qui<br />

sentent et qui pensent. Qu’on leur reconnaisse<br />

une capacité d’inventer et de créer à l’intérieur<br />

de leur <strong>travail</strong> et qu’on ne les assujettisse pas à<br />

une identité purement fonctionnelle.<br />

Ce que j’ai compris et éventuellement découvert<br />

à travers les conversations, échanges, entretiens<br />

que j’ai pu avoir avec une grande part d’entre<br />

eux, c’est à <strong>quel</strong> point l’employeur méconnaît la<br />

réalité du <strong>travail</strong> de ses salariés. Ce qu’ils font. Il<br />

sait ce qu’ils ont à faire et il reconnaît le résultat,<br />

la production finale. Mais comment ça a été fait,<br />

ce qui a été convoqué, ce qui a été mis en action<br />

et en mouvement pour obtenir ce résultat, il<br />

l’ignore la plupart du temps totalement. Or,<br />

c’est justement cela qui est le plus intéressant et<br />

le plus significatif dans le <strong>travail</strong>. Le savoir faire<br />

et le savoir être uniques qui sont mis en œuvre.<br />

C’est ainsi que l’on arrive à ces trois notions clés<br />

qui pour moi déterminent ce qui a lieu dans le<br />

<strong>travail</strong> : le « <strong>travail</strong> prescrit », le « <strong>travail</strong> réel<br />

visible » et le « <strong>travail</strong> réel invisible ». C’est l’idée<br />

Parce que si l’on creuse un peu la question, on<br />

s’aperçoit que ce n’est pas seulement l’employeur<br />

qui n’a pas vraiment conscience de ce que fait<br />

son salarié, c’est aussi le salarié lui-même qui,<br />

pour une part, minimise ce qu’il fait. Il y a des<br />

pans entiers de son <strong>travail</strong> qui sont effectués<br />

de manière inconsciente, spontanée, intuitive<br />

sans faire appel à une volonté ou une réflexion<br />

conscientes. A l’issue des entretiens que j’avais<br />

avec les ouvriers de PSA Saint-Ouen, nombre<br />

d’entre eux me disaient en partant : « C’est<br />

dingue, je n’aurais jamais cru que je faisais tout<br />

ça ! ». C'est-à-dire qu’ils réalisaient soudain la<br />

nature complexe, subtile de leur <strong>travail</strong>, tout ce<br />

que ça mettait en jeu. Et que ce qui leur paraissait<br />

comme banal et à la portée de n’importe<br />

qui, eux seuls pouvaient le faire, du moins de la<br />

façon dont ils le faisaient. Ils découvraient d’une<br />

certaine façon certains aspects personnalisés<br />

de leur activité, et ainsi se la réappropriaient.<br />

Et cette prise de conscience, elle est précieuse<br />

aussi pour la lutte sociale et syndicale. Elle rend<br />

la lutte plus efficace, plus incarnée, parce que<br />

dès lors que les ouvriers ont conscience de la<br />

valeur réelle de leur <strong>travail</strong>, ils formulent avec<br />

plus d’acuité et de force pourquoi ils se battent<br />

réellement. Ils ne se battent pas pour un slogan<br />

ou une revendication, ils se battent pour préserver<br />

le sens et le contenu de leur <strong>travail</strong>.<br />

A la lumière de la dernière expérience<br />

Peugeot, d’où te vient<br />

ce désir d’investir et d’interroger<br />

le monde du <strong>travail</strong> en<br />

lien avec une démarche et une<br />

pratique artistique ?<br />

Page 44<br />

n° 07 / juin 2016

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