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4 / Même pas peur N o <strong>13</strong> / NOVEMBRE 2016 Mon voisin du bas pense tout haut ce que mon voisin du haut dit tout bas. Lichic POUR UN MONDE PLUS PROPRE À la déchetterie, tout était prévu : un conteneur pour les eaux de bain et, juste à côté, un pour les bébés. Éric Dejaeger À vrai dire il aurait bien voulu rendre l’âme mais il ne savait plus à qui il l’avait empruntée. Je préfère voir un fou rire qu’un sage tirer la gueule. Jean-Louis Nollomont Lichic Assez rigolé ! Jean-Loup Nollomont Le prédateur sexuel qui hurle de rire en lisant l’effroi dans les yeux de sa victime terrorisée ; le malin génie qui ricane en faisant se déchaîner la force qui rend les choses tragiques inéluctables et offre ainsi des milliers de vies humaines en sacrifice au dieu des génocides ou des tremblements de terre ; la jubilation toute intérieure qu’on éprouve vis-à-vis du rival à l’annonce de son cancer puis de sa disparition. Qu’il n’y ait pas là de quoi se détendre les zygomatiques me fait plutôt marrer. La bonne humeur respectable gagne chaque jour suffisamment de parts de marché. Son secteur d’activité s’étend à tout ce qui est censé combattre la sinistrose ambiante, le penchant à la morosité, les fixations morbides. Le rire ne connaît pas l’austérité. Les amateurs d’humour au sens large se poilent au même moment des mêmes conneries, suivant un mouvement général de franche hilarité sonore. Désormais à la portée de toutes les gorges, le rire lui aussi s’est démocratisé pour faire place à un sous-rire, variété du précédent mais sans commune mesure avec celui-ci et allant même jusqu’à le caricaturer en une posture grotesque d’hilarité baveuse et singulièrement dépourvue de tout ressort comique. La gaudriole fait rire aux éclats dans toute émission dite de divertissement, radio et télé confondues. On nous apporte le rire sur un plateau, il n’y a plus qu’à se servir ; et, tant qu’à rire de tout, commençons par nous-mêmes : je ris de ma boiterie, de mon nez aquilin, de mon obésité, aussi bien que du laisser-aller de ma tenue morale, de mes angoisses existentielles, ou encore de ma manie de ne parler qu’en vers et contre tout, j’ai même le chic pour ça. Je n’oublie pas d’y ajouter juste ce qu’il faut d’humour noir et d’autodérision pour soigner ma copie. Jusqu’il y a peu encore, c’est le spectacle qui faisait rire ; aujourd’hui, c’est le rire à lui seul qui assure le spectacle. Le rire est affaire trop sérieuse pour le confier aux seuls bons soins de ceux qui font profession de le provoquer. Ce rire-là, institutionnalisé, sacralisé, statufié, excelle surtout dans l’art de coloniser nos imaginaires, au même titre que la publicité, les effets de mode ou la culture de masse. La fonction du rire est de rassembler : des potes réunis autour d’une bonne poilade trinquent à la dernière gaffe du con de service : celui-ci, rompu aux codes de la grosse rigolade se fait volontairement passer pour plus con qu’il n’est aux yeux des camarades dont il est la risée, en offrant une tournée générale et surtout de quoi se payer généreusement sa tête… Marre de cette dictature de la drôlerie qui fait sa pute en tortillant de la propagande et n’arrive au final qu’à se parodier elle-même ? Dans ce cas, cher ami, il te reste l’humour alternatif, à pratiquer seul dans ton coin, alors qu’il n’y a pas de quoi rire. L’humour inactuel, hors norme, boudeur, sachant tirer la gueule quand le comique de la situation réclame qu’on se bidonne tous en chœur, bref ce type d’humour avec lequel ça ne rigole pas. Rien à ton menu spirituel de ce qui se consomme à toutes les sauces : ni le rire gras des blagues cochonnes dont l’amateur glouton reprendra bien deux tranches ; ni le rire allégé pour adeptes de régimes mondains pauvres en matières euphorisantes (bannis soient les écarts auxquels pourrait conduire l’envie de pouffer ou de s’esclaffer en public !). Mais assez rigolé ! Et puisque tu n’as pas le devoir moral de t’éclater, cultive tout à loisir le rire pour toi-même, ce rire accidentel, inaudible et toujours incongru qui se joue du tragique de la vie avec jubilation, un ou une partenaire avec qui se dérider mutuellement les fesses, et, bien entendu, en y mettant les formes !
NOVEMBRE 2016 / Même pas peur N o <strong>13</strong> / 5 La nouvelle injure à la mode, c’est “Espèce de populiste !” Il y a même des spécialistes : les populistes de course. Jpé L'oe i l de l’Observatoire Bruxellois du Clinamen Peut-on rire de touT ? Oui mais. Dr Lichic Je préfère prêter à rire que donner à penser. Si je prête à rire, j’ai au moins une chance qu’on me le rende. André Clette Les religieux et les bien-pensants de toutes obédiences nous l’ont bien fait comprendre ces dernières années : nous pouvons rire de tout, absolument de tout, sauf que. De tout ? Oui, mais. Mais il ne faut pas blesser les gens. Mais il ne faut pas exagérer. Mais il ne faut pas heurter les convictions. Cher lecteur, sensible à l’air du temps, j’ai fait miennes ces consignes de tempérance. J’y ai même réfléchi - et je dois bien avouer que je les ai trouvées en définitive très libérales, et somme toute peu précises. Permettez que je tente ici, sujet par sujet, de matérialiser ces bornes nouvelles de l’humour, de poser ces indispensables limites à nos hilarités. Espérons que les exemples qui suivent pallieront par leur rigueur l’impossible exhaustivité : Peut-on rire des tétraplégiques ? Oui, mais seulement pour se mettre en jambes. Peut-on s’amuser du strabisme ? Oui, mais à la longue c’est un peu louche. Peut-on rire des analphabètes ? Oui, mais à demi-mot. Peut-on rire des divas en surpoids ? Oui, mais pas comme une baleine. Peut-on se gausser des entomologistes ? Oui, mais hors antenne. Peut-on rire du burn-out ? Oui, mais il ne faut pas épuiser le sujet. Peut-on rire du viol ? Oui, mais sans abuser, et sans forcer. Peut-on rire de l’hirsutisme ? Oui, mais dans sa barbe. Peut-on rire des problèmes d’érection ? Oui, mais seulement des monuments commémoratifs. Peut-on pouffer des albinos ? Oui, mais pas de ceux qui se sont fait porter pâles. Peut-on rire des blancs ? Oui, mais pas d’humour noir. Peut-on plaisanter sur les anorexiques ? Oui, mais seulement une miette, et tout en finesse. Peut-on ricaner des obèses ? Oui, mais il ne faut pas en faire des tonnes. Peut-on rire du manque de concentration ? Oui, mais pas à Auschwitz. Peut-on se moquer de l’esclavage ? Oui, mais il faut savoir enchaîner. Peut-on rire des ménopausées ? Oui, mais avec chaleur. Peut-on railler les constipés ? Oui, mais il ne faut pas pousser. Peut-on rire des micro-pénis ? Oui, mais avec mesure. Peut-on rigoler de Baudouin et Fabiola ? Oui, mais pas de blague stérile. Peut-on se divertir avec les pendus ? Oui, mais pas en boucle. Quant aux eunuques, je dois avouer que je n’ai pas encore tranché, et je préfère couper court !
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