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Même pas peur<br />
MAI 2016/ N°8 /3 €<br />
N° 8 2016 - Belgique 3 € - www.memepaspeur-lejournal.net/ Editeur rerspons. Etienne Vanden Dooren, 28 rue de l’Ange 6001 Marcinelle (B)<br />
dossier travaille et tais-toi !<br />
et aussi : Watrin rend hommage, entuber amazon,<br />
Bombes-frites, Marghem saute, les médias-vautours...
2 / Même pas peur N o 86 / MAI MARS 2016<br />
MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 3<br />
« Réussir sa vie »<br />
Une brève de joyeux travailleur<br />
La semaine dernière je remplaçais un<br />
ami pour un boulot ponctuel.<br />
Le responsable de l’ASBL qui m’embauchait<br />
est également chef de groupe du<br />
MR dans une commune bruxelloise. Pendant<br />
la pause-déjeuner, il prodigua ses<br />
conseils à l’un de ses employés qui se lançait<br />
dans une petite structure sportive et<br />
qui se plaignait de n’avoir plus le temps<br />
de s’entraîner.<br />
« C’est normal de n’avoir plus le temps de<br />
faire ce qui te plaît, c’est la rançon du succès.<br />
Ton affaire, dès qu’elle se développe, demande<br />
plus de temps pour la gérer et alors tu es moins<br />
disponible pour faire du sport ou ce qui te plaisait<br />
avant. C’est pourquoi il faut déléguer. Il te<br />
faut un homme de main, un gars envers qui tu<br />
as toute ta confiance. Lui va bosser pour toi,<br />
et tu te débloqueras du temps libre. Tu bosses<br />
pour lancer ton affaire, tu places un type de<br />
confiance qui prend les rênes du bazar, t’embauches<br />
des gars qui font le boulot de base et<br />
tu fais ton beurre sur le dos de tes employés.<br />
Tu te payes avec le travail des autres, que tu<br />
as formés. Ça c’est vraiment réussir sa vie !<br />
Avoir l’argent qui rentre et du temps pour<br />
profiter de la vie, prendre des vacances, faire<br />
ce qui te plaît, ça c’est réussir. Le gars qui<br />
réussit sa vie, c’est celui qui a développé son<br />
affaire suffisamment pour ne plus bosser. Il a<br />
travaillé pour travailler moins ensuite. C’est<br />
ça qu’il faut réussir à faire. »<br />
Et voilà ! La messe est dite, faut pas chercher<br />
plus loin.<br />
Quelque part, ce type du MR milite<br />
pour travailler moins au final, rejoignant<br />
de cette manière les défenseurs de l’oisiveté,<br />
de la société des loisirs, voire de la<br />
semaine de 4 jours ! En somme, il défend<br />
une ligne où le travail n’est plus valorisé,<br />
en tout cas pas dans la continuité...<br />
Le travail n’est plus qu’un moyen pour<br />
atteindre l’enrichissement, il perd de sa<br />
« noblesse », et c’est tout à fait en contradiction<br />
avec les principes de son parti où<br />
les chômeurs passent pour des profiteurs<br />
et les courageux travailleurs pour des<br />
citoyens exemplaires ( !).<br />
Mais j’ai aussi entendu ça :<br />
« Mais c’est chouette de voir des jeunes<br />
Mickomix<br />
comme toi avec des projets. Les jeunes<br />
aujourd’hui ils n’ont pas de projets, ils zonent<br />
là, toute la journée. Ils zonent et ils ont hâte de<br />
finir leurs études, de passer leurs exams pour<br />
aller pointer au C<strong>PAS</strong>. Ce n’est pas un projet<br />
ça. C’est désolant. »<br />
Là on retrouve la ligne de son parti,<br />
l’opposition manichéenne entre ceux qui<br />
« profitent » et ceux qui triment. Cependant<br />
je suis un peu perdu, parce que :<br />
1) Celui qui zone et attend les sous qui<br />
tombent, n’est-ce pas finalement celui qui<br />
exploite ses employés, le rentier du premier<br />
cas de figure ?<br />
2) Et si, justement, les jeunes avaient<br />
bien compris le message premier : que le<br />
but final était de travailler le moins possible<br />
et de profiter de son temps libre,<br />
et bien le boss là, je ne comprends plus<br />
sa logique. Il devrait être fier d’eux au<br />
contraire. Puisqu’ils ont tout compris<br />
justement !<br />
Que d’un côté on vante les mérites de<br />
celui qui sait exploiter les autres pour<br />
ne plus travailler et que, de l’autre on<br />
dénigre ceux qui ne veulent pas se faire<br />
exploiter alors que le but est identique<br />
(ne plus perdre sa vie à la gagner) dénote<br />
une contradiction interne qui pourrait<br />
tout simplement être une pure hypocrisie<br />
éhontée. Hypocrisie sur laquelle repose<br />
notre brave société actuelle.<br />
Bon, j’ai fait la semaine comme il se doit,<br />
et je suis rémunéré en « convention de<br />
bénévolat ». Tout un symbole.<br />
Merci patron !<br />
Slogan tagué dans la Fac de Tolbiac (mars 2016).<br />
On a beaucoup parlé de ces ouvriers de l’usine ESB à Seraing qui ont saccagé l’entreprise et<br />
s’en sont pris physiquement à la direction lorsqu’ils ont appris qu’ils ne seraient pas payés<br />
et que de toute manière l’entreprise allait fermer ses portes. Interrogée sur la question, une<br />
spécialiste de droit social a expliqué (sur La Première) que ce genre de comportement était<br />
interdit et même passible d’un licenciement !<br />
Sans doute n’avait-elle pas compris que virés, ils l’étaient déjà .<br />
JPh<br />
L’Éditorial<br />
philosophie<br />
même paspeurienne<br />
Etienne Vanden Dooren<br />
Cool, ça va d’aller. Et maintenant, sieste.<br />
L’étudiante fauchée qui<br />
accède au pouvoir d’achat<br />
Chloé Querton<br />
Le 6 novembre 2016 fut un jour merveilleux pour moi. Après plusieurs<br />
mois de recherche d’emploi plus désespérée qu’acharnée, je décrochais<br />
enfin un CDI. Dans une startup en plus, le rêve ! Une ambiance cool,<br />
jeune, un grand bureau lumineux avec vue sur la place Flagey et les<br />
étangs d’Ixelles, que demander de plus ? Enfin, j’allais accéder au pouvoir<br />
d’achat. Fini d’hésiter entre l’emmental 365 et celui de la marque<br />
Delhaize. Fini d’acheter la bouteille de vin à 2,99 € qui donne un mal de<br />
crâne insurmontable le lendemain. Non, maintenant, je prends du Leerdammer<br />
et je choisis la bouteille à 6 € 1 . D’ailleurs, mon premier salaire<br />
a été dignement fêté par des courses mirobolantes dont la seule limite<br />
était ma capacité à transporter le butin sur mon vélo.<br />
Ce n’est que quelques mois plus tard que j’ai compris que les mots<br />
Leerdammer et malheur ne rimaient pas par hasard. Je me suis rendu<br />
compte que rester scotchée 38 heures semaine devant un écran, ça craint.<br />
J’ai espéré que le nombre à quatre chiffres qui arrive comme par magie<br />
sur mon compte tous les mois pourrait compenser. Grossière erreur. J’ai<br />
même été étonnée de constater que même les Kit Kat à volonté et l’énorme<br />
hamac rouge du bureau ne pouvaient remplacer le bonheur d’une grasse<br />
matinée en pleine semaine ou d’une après-midi 2 à lire au soleil.<br />
Ma vie d’étudiante fauchée est bien loin derrière<br />
moi. À part les blocus, examens, stages et mémoire,<br />
la vie d’étudiant n’est que pure liberté. Mon horaire<br />
comptait rarement plus de 25 heures par semaine,<br />
la plupart des cours ne requérant pas une présence<br />
obligatoire, j’avais le loisir de m’adonner aux activités<br />
qui me plaisaient, de voir les personnes qui<br />
m’étaient chères, de prendre des heures à comparer<br />
les différents types de sauce tomate au supermarché…<br />
À présent, c’est 9-18 du lundi au vendredi.<br />
Même si des attentats ont tué des dizaines de personnes<br />
plus tôt dans la journée à Bruxelles, peu<br />
importe, c’est 9-18. Cette vie est bien différente.<br />
Maintenant, je passe acheter deux-trois trucs à<br />
manger vite fait après le travail. Je cours tous les<br />
matins pour attraper mon bus (bon j’avoue, ça a<br />
toujours été le cas). Je galère pour prendre rendezvous<br />
chez le dentiste. J’hésite à mettre mes chaussures<br />
roses pour aller bosser. Je repousse mon<br />
homme le soir à cause de la fatigue/mal de tête<br />
(au choix). J’ai mal au ventre tous les matins en me<br />
réveillant. Ironiquement, je mange encore plus de<br />
pâtes que quand j’étais étudiante. Maintenant, je<br />
n’ai plus le temps pour rien, à part le travail. C’est<br />
donc ça, la vie ?<br />
Pour beaucoup de gens, oui malheureusement.<br />
Mais si on prenait le temps de vivre plutôt ? Arrêtons<br />
cette course effrénée qui ne mène à rien, sinon<br />
à la destruction de notre belle planète et à la dilapidation<br />
de ses ressources. Rien ne nous oblige à rester<br />
esclaves de ce système économique qui nécessite<br />
toujours plus de croissance. Au contraire, moi,<br />
je prône la décroissance… Consommer moins, travailler<br />
moins et vivre plus, mais plus simplement.<br />
Rien que lire cette phrase me donne le sourire.<br />
Mon futur, je le vois en toute simplicité. Loin de<br />
Bruxelles, au cœur de la nature, dans une petite<br />
maison avec un grand jardin, beaucoup de légumes<br />
et beaucoup d’amour. C’est ça, mon rêve.<br />
_________________<br />
1 Veuillez excuser mes lacunes œnologiques, mais outre la couleur, il n’y a<br />
que par le prix que je peux différencier les vins.<br />
2 Veuillez également m’excuser si vous êtes adepte de l’emploi du mot aprèsmidi<br />
au masculin. Bon ça y est, j’arrête de m’excuser maintenant.<br />
Le plus actif des recruteurs de terroristes<br />
n'est pas musulman, il est belge, ministre<br />
de l'intérieur, vicieux de l'extérieur et<br />
dangereux de partout.
4 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016 MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 5<br />
Peter Hartz, l’homme qui a remis<br />
Cul-cul la praline<br />
l’Allemagne au travail !<br />
Au début des années 2000, soucieux de<br />
régler le problème du chômage, le chancelier<br />
socialiste allemand Schröder confie à<br />
Peter Hartz une mission destinée à réformer<br />
le marché du travail, en gros, cela<br />
signifie s’attaquer au chômage.<br />
Hartz, ancien responsable des ressources<br />
humaines dans l’irréprochable entreprise<br />
VW se met au travail et propose des mesures<br />
drastiques finalement assez proches de<br />
celles qui firent saigner le cœur de Di Rupo<br />
chez nous : limitations des allocations de<br />
chômage dans le temps, suppression des<br />
allocations dites d’attente pour les jeunes<br />
n’ayant pas encore travaillé, contrôle renforcé,<br />
sanctions et exclusions systématisées.<br />
Les résultats ne se font pas attendre, les<br />
chiffres baissent, mais à quel prix ?<br />
Parallèlement à ces mesures, le Dr Hartz a<br />
inventé les mini-jobs et les jobs à 1 € !<br />
Une aubaine pour les employeurs,<br />
évidemment.<br />
Le principe est simple, découragé de ne<br />
pas trouver l’emploi qui convient à ses aspirations<br />
et à ses compétences, le demandeur<br />
d’emploi est obligé d’accepter un travail<br />
rémunéré moins de 500 € par mois. Ces<br />
salaires exonérés de taxes pour l’employeur<br />
vont faire fureur - je sais, elle est facile -<br />
dans les entreprises allemandes, puisqu’en<br />
2013, on estimait que plus de 7 millions de<br />
citoyens survivaient dans ce système, obligés<br />
bien souvent de mener de front deux<br />
carrières pour nouer les deux bouts.<br />
Les jobs à un euro de l’heure que sont<br />
obligés d’accepter les chômeurs menacés<br />
de perdre leurs droits sont essentiellement<br />
proposés dans le secteur du caritatif, ce qui<br />
est bien le comble du foutage de gueule.<br />
Bien entendu, quand l’Allemagne sort ses<br />
statistiques de chômage, ces catégories de<br />
travailleurs n’en font pas partie, le tour est<br />
joué. 1<br />
Pour l’anecdote (ou pas), notons qu’en<br />
2007, le grand dératisateur Hartz fut accusé<br />
de détournement de fonds dans plus de<br />
44 cas et condamné à une peine de prison<br />
avec sursis et une substantielle amende de<br />
576.000 €, soit 576.000 heures de travail 2 au<br />
tarif qu’il préconise.<br />
On imagine que l’on a ri jaune dans les<br />
chaumières allemandes en ouvrant les<br />
boîtes de raviolis de chez Lidl !<br />
1 Pourtant, Le Bureau International du Travail (BIT)<br />
définit un chômeur comme une personne sans emploi, à<br />
la recherche d’un emploi et disponible pour occuper un<br />
tel emploi. Cette définition internationale ne précise pas si<br />
la personne est indemnisée ou non. Par conséquent, pour<br />
dénombrer la population en chômage, il faut dépasser<br />
la notion de chômage indemnisé. (Source : Les actualités<br />
sur l’analyse du marché de l’emploi (AMEF, avril 2016)<br />
2 30 ans au turbin !<br />
Jean-Philippe Querton<br />
Pour une économie du temps libre !<br />
Florian Houdart<br />
L’anthropologie, étude de l’homme<br />
et de sa société au-delà des barrières<br />
de l’espace et du temps, nous<br />
permet de démonter de nombreux<br />
mythes libéraux, notamment ceux<br />
qui concernent notre rapport au<br />
travail.<br />
Avec son ouvrage La Société contre<br />
l’État, Pierre Clastres, anthropologue<br />
libertaire, met à mal le stéréotype<br />
de l’indigène qui consacrerait<br />
l’essentiel de son temps à chercher<br />
sa nourriture. Les longues années<br />
qu’il a passées à étudier les tribus<br />
indiennes du Paraguay nous<br />
enseignent que l’économie dite de<br />
subsistance cache, dans ce cas, des<br />
sociétés qui refusent délibérément<br />
le travail aliéné. Celles-ci produisent<br />
simplement des biens dans<br />
le seul but de répondre aux besoins<br />
des membres du groupe tout en prévoyant<br />
un surplus. L’activité subie<br />
et inutile à la subsistance des individus<br />
est, pour nos Indiens, du temps<br />
perdu.<br />
Grâce à cette conception de l’économie,<br />
les Indiens du Paraguay<br />
travailleraient au maximum quatre<br />
heures par jour et jouiraient donc de<br />
bien plus de loisirs que nous !<br />
Trêve de pusillanimité !<br />
Sokolov<br />
Quatre heures par jour ! En 1977 déjà, le Groupe<br />
Adret soutenait qu’il suffisait de « Travailler<br />
deux heures par jour » (http://2hparjour.canalblog.com/archives/2013/05/03/27074572.html).<br />
Plus récemment, le groupe BIZI a publié<br />
un document revendiquant de travailler<br />
une heure par jour (http://www.bizimugi.eu/<br />
travailler-une-heure-par-jour).<br />
Compagnons, encore un effort pour être radicalement<br />
radical !<br />
Mais il nous faut encore aller plus<br />
loin. En effet, le travail est ici défini<br />
en tant que « activité non choisie ».<br />
Pour établir une comparaison,<br />
nous devrions donc ajouter, à nos<br />
trente-huit heures hebdomadaires,<br />
la durée des navettes entre notre<br />
domicile et notre lieu d’occupation,<br />
le temps dévolu aux corvées ménagères<br />
et aux courses...<br />
Édifiant. Comment justifier<br />
qu’avec une technologie sophistiquée<br />
à notre service, nous en soyons,<br />
nous, réduits à courir tout le temps,<br />
dans l’espoir de bénéficier d’un peu<br />
de temps libre ?<br />
Conseil pour se sentir plus heureux au travail<br />
« Il est très important d’être heureux dans sa vie professionnelle. Si vous<br />
avez un emploi qui vous plaît, vous vous sentirez mieux, non seulement au<br />
travail mais aussi pendant votre temps libre. Le soir, vous rentrerez satisfait à<br />
la maison et vos enfants, votre partenaire ou vos amis vous accueilleront avec<br />
joie. » (Stepstone)<br />
Si vous ne travaillez pas, c’est pareil, mais vous ne perdrez pas huit<br />
heures par jour pour arriver au même résultat.<br />
A. Cl.<br />
Les attentats aveugles commandités<br />
par des cerveaux présumés et exécutés<br />
par des sans cerveau avérés, ça va encore<br />
nous tomber dessus. C’est, en tout cas,<br />
l’avis émis, paraît-il, par la Sûreté de l’État<br />
(pas si sûre que ça, apparemment), le service<br />
secret belge (pas si secret que ça non<br />
plus d’ailleurs, puisqu’il donne son avis).<br />
Si nous, citoyens obscurs, ne pouvons<br />
rien de majeur pour contrer ces drames,<br />
nous avons, en revanche, le pouvoir – le<br />
devoir même – de gérer correctement les<br />
célébrations qui les suivent. Et là, désolé<br />
de faire la fine bouche, mais il faut se ressaisir.<br />
Si je ne craignais de choquer des<br />
enfants qui savent lire, je le dirais encore<br />
plus durement : sur ce plan, aujourd’hui,<br />
on frise le conventionnel. L’ultraconventionnel<br />
même ! Ça sent la dinde imposée<br />
à Noël, la chasse aux œufs obligatoire<br />
à Pâques, le tour des cimetières dans le<br />
sens des aiguilles d’une montre à la Toussaint<br />
et les défilés de voitures klaxonnantes<br />
après chaque match de Coupe du<br />
Monde de l’équipe nationale.<br />
Pour ne pas sombrer dans les rituels<br />
figés, profitons de la relative accalmie<br />
du moment entre deux explosions<br />
pour repenser toutes les manifestations<br />
citoyennes des lendemains d’attentat.<br />
Passons-les donc en revue et dégageons<br />
ensemble des hommages plus inventifs.<br />
Premier rituel : le<br />
rassemblement silencieux<br />
Je sais que c’est le geste le moins coûteux<br />
et le moins fatigant, mais c’est d’un<br />
banal à décoiffer un cancéreux à moumoute.<br />
Ça existe déjà partout à tout<br />
moment. Sur les quais de gare, tous les<br />
matins, les navetteurs sont en rassemblement<br />
silencieux. Dans les cortèges<br />
d’enterrement, les gens sont en rassemblement<br />
silencieux. Et dans les queues<br />
devant les caisses de supermarché, le<br />
samedi, les clients, ils sont en quoi ? En<br />
rassemblement silencieux. Même dans<br />
les rangs des écoles pour sourds-muets,<br />
les élèves sont en rassemblement silencieux.<br />
Alors, brisons ce silence ennuyeux<br />
en utilisant les armes des rebelles de ces<br />
autres rassemblements. Racontons des<br />
blagues salaces comme entre collègues<br />
navetteurs. Ou disons du mal des morts<br />
comme à tout enterrement. Ou engueulons-nous<br />
comme aux caisses de supermarché.<br />
Ou faisons-nous mutuellement<br />
des bras d’honneur comme dans les disputes<br />
d’école de sourds-muets.<br />
Depuis le 1er janvier 2016, Actiris et le<br />
Forem ont obtenu leur permis de chasse aux<br />
chômeurs.<br />
Jusque-là, c’était l’Onem qui gérait le contrôle<br />
et les sanctions des chômeurs, les offices régionaux<br />
se chargeant de leur accompagnement.<br />
Désormais, ceux-ci tiennent à la fois la laisse<br />
et le bâton. On le sait, l’expression consacrée<br />
voudrait plutôt que l’on parle de carotte et de<br />
bâton. Seulement voilà, sachant qu’il y a environ<br />
60 chômeurs pour une offre d’emploi, c’est<br />
râpé pour la carotte. Il ne reste que le bâton<br />
pour faire marcher le client. Sans rire, c’est<br />
comme ça qu’ils appellent les demandeurs<br />
d’emploi dans les services publics : « clients » !<br />
Il y a deux sortes de clients : le client de type<br />
« chômeur » et le client de type « employeur ».<br />
Quand on offre des clients à ses clients, l’un des<br />
deux est forcément une marchandise. On vous<br />
laisse deviner lequel.<br />
À défaut de carotte, le Forem offre des pralines<br />
à ses clients privilégiés. Pas aux chômeurs,<br />
non. Les clients privilégiés, ce sont<br />
les PME. En avril, à l’occasion de l’Employer’s<br />
day, organisé par le réseau européen des Services<br />
publics de l’emploi, le Forem, Actiris et<br />
le VDAB, ont déployé tous leurs charmes pour<br />
« présenter aux employeurs les services mis<br />
gratuitement à leur disposition pour recruter<br />
du personnel, organiser le développement des<br />
Deuxième rituel : la chanson<br />
improvisée<br />
Imagine de John Lennon ou Quand on<br />
n’a que l’amour de Jacques Brel, soi-disant<br />
entonné à l’improviste sous l’impulsion<br />
d’un type qui débarque, comme par<br />
hasard, avec sa guitare sur le dos, sans vouloir<br />
être rabat-hommage, ça ne donne pas<br />
envie de se trémousser. Je ne suis pas discjockey,<br />
mais je pense qu’il y a plus guilleret<br />
pour électriser les foules. Mon expérience<br />
des boums est plus qu’ancienne, mais, à<br />
l’époque, pas question d’une série de slows<br />
sans être passé auparavant par un torrent<br />
de rock ou de disco. Un Hotel California, ça<br />
se méritait en supportant une avalanche<br />
de Barry White, de Cloclo ou de U2… ou<br />
une interminable chenille de Big Bisous.<br />
Alors, ne nous laissons pas formater par<br />
un type qui n’a que Imagine, La Maison bleue<br />
de Maxime Leforestier, Stewball de Hugues<br />
Aufray et les trois premières mesures<br />
de Jeux Interdits à son répertoire : un bon<br />
karaoké d’hommage et c’est la variété<br />
assuréééée-olé, olé, olé-oléééé…<br />
Troisième rituel : le parterre de<br />
bougies<br />
Tapisser un coin de trottoir d’un champ<br />
de bougies chauffe-plat, ça ne réchauffe<br />
André Clette<br />
compétences, bénéficier d’aides financières ou<br />
encore accueillir des stagiaires. »<br />
Le Forem a lancé un mailing auprès de<br />
quelque 16.000 employeurs wallons, déjà<br />
clients ou non, afin de les inviter à rencontrer<br />
un de ses « conseillers entreprises ». Ceux-ci<br />
se sont ensuite rendus chez les employeurs<br />
intéressés pour proposer leurs services et leur<br />
offrir un ballotin de chocolats.<br />
Offrir du chocolat est assurément une excellente<br />
opération de marketing. Des sources<br />
aussi sérieuses que Flair ou Le Figaro Madame<br />
nous apprennent que la dopamine présente<br />
dans le cacao est un neurotransmetteur qui<br />
augmente l’excitation. De plus, un acide aminé,<br />
le L-arginine, également présent dans le chocolat,<br />
a un effet vasodilatateur sur l’homme,<br />
ce qui tend à booster sa libido. On raconte<br />
que Casanova consommait régulièrement du<br />
chocolat avant de se rendre à ses rendez-vous<br />
galants, et que Madame du Barry, maîtresse de<br />
Louis XV, en donnait à ses amants pour augmenter<br />
leur virilité.<br />
Avec de tels arguments, nul doute que les<br />
conseillers du Forem devraient susciter chez<br />
leurs clients employeurs un ardent désir<br />
d’entub… pardon, d’embaucher leurs clients<br />
chômeurs.<br />
À raison d’une offre d’emploi satisfaite pour<br />
60 chômeurs, ça devrait leur permettre de se<br />
consacrer aux 59 autres.<br />
Le Scoop de WATRIN<br />
Comment rendre hommage<br />
aux victimes d’attentat<br />
sans plomber la bonne humeur des autres ?<br />
Dominique Watrin<br />
personne et ça salope les dalles d’horribles<br />
auréoles graisseuses, mon fils me<br />
ferait ça sur le seuil de la porte de la<br />
maison que je lui en colle une. Et le pire,<br />
c’est que ça gonfle le chiffre d’affaires<br />
déjà mirobolant d’IKEA, fournisseur<br />
principal des hommages, à qui ça pourrait<br />
donner l’idée – sans être parano – de<br />
financer le terrorisme international pour<br />
augmenter le profit de son département<br />
« bougies ». Prenons garde et, en plus,<br />
vivons avec notre temps, que diable ! Si<br />
ces bougies, c’est pour se réchauffer sur<br />
les lieux d’hommage, tirons une allonge<br />
avec un radiateur électrique, c’est propre<br />
et sans odeur. Si c’est pour la lumière,<br />
posons des lampes de poche par terre, on<br />
rend hommage, chacun reprend la sienne<br />
et les trottoirs sont rendus aux crottes de<br />
chien le lendemain.<br />
Enfin, quatrième rituel : les<br />
inscriptions à la craie<br />
J’éviterai de parler de l’orthographe souvent<br />
déplorable, parce que ça fait monter<br />
ma tension, mais badigeonner le sol et les<br />
murs de messages de paix, c’est perdre<br />
son temps, sauf si c’est juste fait exprès<br />
pour cochonner les lieux publics pour<br />
une fois que c’est autorisé. La paix, tout<br />
le monde la veut. Demandez à un facho<br />
moyen d’accueillir un réfugié moyen<br />
dans son salon moyen, il vous répondra :<br />
foutez-moi la paix ! CQFD ! Alors, passons<br />
de la craie au marqueur indélébile<br />
pour que le message traverse le temps<br />
et arrêtons de parler de paix pour inscrire<br />
des propos plus utiles. Griffonnons<br />
« Mon voisin de palier a l’air d’avoir quelque<br />
chose à se reprocher : son adresse est… » Calligraphions<br />
« Cherche femme pour partager<br />
moments torrides. Veuve de victime acceptée !<br />
Téléphonez au… » Ou, si vous êtes un terroriste<br />
qu’un rassemblement transforme<br />
miraculeusement en repenti, rédigez une<br />
offre de type « À vendre, ceinture d’explosifs<br />
taille médium, premier propriétaire, état<br />
neuf, s’adresser à… ». Non seulement vous<br />
dégagerez votre planque minuscule d’un<br />
objet encombrant, mais le seul risque que<br />
vous prendrez, c’est de faire un heureux.<br />
Bons hommages aux victimes d’attentat<br />
à tous !
6 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016 MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 7<br />
LES OIGNONS,<br />
OUSKE J’TROUVE !<br />
« Les oignons, où c’que j’trouve ! » La<br />
question, formulée dans mon dos tandis<br />
que je suis accroupi devant un bel étalage<br />
de bananes (ou « bénènes », comme<br />
on dit par chez moi en Wallifornie) parfumées<br />
au thiabendazole, tient lieu de<br />
bonjour. La voix est celle d’une dame<br />
âgée - contrairement aux idées reçues, les<br />
seniors sont souvent nettement plus mal<br />
élevés que leurs cadets - et, malgré le ton<br />
impératif de cette tournure approximative,<br />
le silence qui suit me confirme qu’il<br />
s’agit bien d’une question, et qu’elle m’est<br />
adressée. Une question où perce une<br />
pointe d’agacement, même. C’est que la<br />
dame ne trouve pas ses oignons... J’abandonne<br />
donc mon édifiant ouvrage, non<br />
sans essuyer le regard réprobateur d’un<br />
autre client, gêné dans sa progression<br />
par ma caisse de « bénènes » un instant<br />
délaissée, et me redresse pour faire face<br />
à mon interlocutrice, une momie parée<br />
de fourrures ; je la salue (après tout, il<br />
n’est jamais trop tard pour apprendre les<br />
bonnes manières) et lui désigne aimablement<br />
le rayon où s’entassent les bulbes<br />
convoités. Je suis payé pour ça. Mais<br />
je garde un goût amer en bouche tandis<br />
qu’elle s’éloigne sans me remercier :<br />
j’aurais tellement aimé lui répondre plutôt<br />
quelque chose comme : « Dans ton<br />
cul ! », « Chez Jawad ! », ou « Bonjour,<br />
hein, paysanne ! » - ou alors simplement<br />
rien du tout, pour lui apprendre la courtoisie,<br />
à cette vieille bique nécrophile.<br />
Faut dire que je suis du genre teigneux.<br />
Pas besoin, dès lors, d’avoir lu Marx pour<br />
piger à quel point le travail est aliénant :<br />
quelques jours de boulot suffisent. Or,<br />
le phénomène ne s’arrête pas aux outils<br />
de production ni aux rapports économiques<br />
: c’est toute notre personnalité<br />
qui se trouve altérée par ce fléau qui tire<br />
son nom d’un instrument de torture !<br />
Je suis végétarien, mais je suis amené à<br />
cuire des poulets industriels gavés aux<br />
antibiotiques et à vendre des poussins<br />
Benoit Doumont<br />
préemballés. Je conchie Nestlé 1 , mais<br />
je suis censé mettre leurs saloperies de<br />
céréales en valeur. Je me fous complètement<br />
du temps qu’il fait (d’autant que je<br />
suis coincé à l’intérieur), mais je passe<br />
mes journées à commenter la météo. Et<br />
ainsi de suite. Il est d’ailleurs intéressant<br />
de noter que même les indépendants, qui<br />
sont soi-disant « leur propre patron »,<br />
subissent cette influence néfaste du travail<br />
; il suffit pour s’en convaincre de les<br />
regarder se soumettre aux désirs de leurs<br />
banquiers ou s’aplatir servilement devant<br />
leurs gros clients...<br />
Le travail est une forme de<br />
prostitution non sexuelle<br />
« Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que<br />
des cons pour les faire », disait Charb...<br />
D’où ces troublantes questions : suis-je<br />
donc devenu la pute du grand capital ?<br />
Ou est-ce justement le contraire ? Et<br />
comment en suis-je arrivé là ? Le lecteur<br />
voudra m’excuser de parler encore de<br />
moi, mais je pense que mon cas est assez<br />
symptomatique et suffisamment représentatif<br />
pour justifier cette faute de goût.<br />
Pendant mes études en histoire de l’art,<br />
je travaillais comme étudiant dans un<br />
magasin près de chez moi. Et une fois mon<br />
diplôme en poche, je me suis mis à chercher<br />
un emploi en postulant tous azimuts<br />
dans ma branche. J’ai reçu tant de lettres<br />
de refus que j’ai pu en tapisser le mur de<br />
mes chiottes 2 ... Me restait donc le choix<br />
entre le chomdu (c’est-à-dire la dèche et<br />
les comptes à rendre à tout le monde) ou<br />
le magasin « en attendant », vu que le<br />
boss, qui comprenait que j’avais « fait des<br />
1 Bon client de Monsanto et gros actionnaire de L’Oréal,<br />
Nestlé a notamment trempé dans le travail d’enfants<br />
(Côte d’Ivoire), l’assèchement de nappes phréatiques<br />
(Nigéria, Pakistan), les magouilles financières (Éthiopie),<br />
le ré-étiquetage de produits périmés (Colombie),<br />
la malnutrition infantile (affaire « Nestlé tue des bébés<br />
»), la déforestation (Indonésie) et les tortellinis à<br />
la viande de cheval (France, Italie, Espagne, Portugal).<br />
2 Véridique !<br />
Invité à s’exprimer sur La Première à propos des mesures que le gouvernement<br />
compte mettre en œuvre sur le travail et en particulier sur la flexibilité des travailleurs<br />
(en gros, tu vas bosser quand ton patron le décide), Élio Di Rupo s’est<br />
fendu d’un commentaire outré en expliquant qu’il ne pouvait admettre que son<br />
patron lui impose des horaires de travail incompatibles avec sa vie privée…<br />
Dans la phrase suivante et sans sourciller, il a dit qu’il avait demandé à tous ses<br />
experts de potasser le texte de loi durant le week-end !<br />
JPh<br />
études qui ne servent à rien » [sic], était<br />
prêt à m’engager en CDI comme employé.<br />
J’ai signé et, dix-sept ans plus tard, j’y suis<br />
toujours. Entretemps, j’ai passé l’agrégation<br />
d’enseignement (AESS), mais comme<br />
je reste prof d’histoire de l’art et que les<br />
écoles préfèrent initier les ados au marketing<br />
ou « faire de l’immersion », il n’y<br />
a pas d’offre pour ma discipline et toutes<br />
mes candidatures ont abouti à un nonlieu<br />
(mention spéciale au système de<br />
recrutement de la FWB, qui mériterait à<br />
lui seul tout un article).<br />
Aujourd’hui, je bosse à temps partiel, en<br />
soirée ; je dirige l’équipe d’étudiants. La<br />
boucle est bouclée. Et ça me donne l’occasion<br />
de constater à quel point le monde<br />
du travail dicte sa loi à celui des études.<br />
La plupart des étudiants que je côtoie au<br />
boulot ont choisi le trading, le management,<br />
l’immobilier, voire le droit, non<br />
par goût personnel, mais comme la seule<br />
option perçue comme « raisonnable »<br />
pour répondre à la demande du marché<br />
de l’emploi. Alors qui se prostitue ?<br />
L’idéologie dominante (largement entretenue<br />
par les parents) consiste donc à<br />
soutenir que les étudiants inscrits en psychologie,<br />
en philosophie, en anthropologie<br />
ou en égyptologie auraient, somme<br />
toute, perdu la raison. Pourquoi, en effet,<br />
entreprendre ces études « qui ne servent<br />
à rien » ?<br />
Les employés souffrent de burnouts<br />
et de harcèlements, les fonctionnaires<br />
sont névrosés et les ouvriers dépressifs<br />
? Qu’importe, les psychologues sont<br />
des inutiles. Fermons les consultations<br />
de quartier et continuons à supprimer<br />
les lits en psychiatrie. Les déséquilibrés<br />
mentaux n’auront qu’à errer sans but<br />
dans les rues, comme aux États-Unis, il<br />
paraît que ça se passe très bien.<br />
Notre société est en pleine quête de<br />
sens et les religiosités de toutes sortes<br />
remontent en flèche ? Peut-être, mais les<br />
philosophes ne servent à rien. Je vous le<br />
demande : a-t-on vraiment besoin, dans<br />
le monde actuel, de ces guignols qui nous<br />
rappellent les présupposés des questions<br />
éthiques, enseignent l’argumentation critique<br />
aux générations futures et posent<br />
en des termes clairs la question du fondement<br />
des religions ? Soyons sérieux.<br />
Les hôpitaux humanitaires construits<br />
à grands frais en Afrique occidentale<br />
sont désertés par les populations locales<br />
sous prétexte que leur entrée principale<br />
fait face au « vent mauvais » ? Soit, mais<br />
on n’allait quand même pas demander<br />
aux anthropologues d’aller discuter avec<br />
les autochtones de leurs préférences en<br />
matière de points cardinaux uniquement<br />
pour éviter le gaspillage de quelques milliards<br />
de dollars.<br />
Les enfants du pays se laissent monter<br />
le bourrichon par des vidéos de propagande<br />
et partent faire le djihad en Syrie ?<br />
D’accord, mais les historiens (d’art) restent<br />
des bons à rien. À quoi bon payer des<br />
gens à transmettre la mémoire des génocides,<br />
apprendre à décoder des images ou<br />
documenter les sites antiques ? Ridicule<br />
dans le contexte actuel, convenons-en...<br />
En finir avec le diktat de<br />
l’entreprise<br />
Le problème des sciences humaines,<br />
c’est qu’elles ne rapportent pas directement<br />
d’argent (même si elles permettraient<br />
souvent d’en économiser beaucoup).<br />
Peu rentables à court terme, elles<br />
n’intéressent pas l’entreprise. Elles indiffèrent<br />
également le secteur public, qui<br />
travaille main dans la main avec cette<br />
dernière, et qui préférera toujours une<br />
bonne grosse découverte bien tape-àl’œil<br />
en astrophysique à une avancée des<br />
résultats en musicothérapie pour enfants<br />
autistes.<br />
Comment en finir avec ce diktat ? Imposons<br />
au marché de l’emploi de demain<br />
une société plus humaine, faite de philologues,<br />
de musicologues, et surtout d’artistes,<br />
seuls remparts contre la déferlante<br />
actuelle de juristes et de comptables. Eux<br />
sauront corrompre le système de l’intérieur.<br />
Et nous avons un atout : malgré<br />
le curieux renversement de la situation<br />
auquel nous assistons actuellement, c’est<br />
bien l’enseignement qui se trouve en<br />
amont de l’industrie. Autrement dit, les<br />
entreprises seront bien obligées de faire<br />
avec ce qui sort des écoles... Alors parents,<br />
si votre enfant manifeste de l’intérêt pour<br />
une de ces sciences « non exactes », surtout,<br />
ne le détournez pas et ne tentez pas<br />
de le dissuader au nom d’un funeste principe<br />
de raison : il refuse simplement de se<br />
prostituer.<br />
Couille Molle fait campagne<br />
Cherchez l’erreur<br />
C’est quoi cette histoire de souffrance<br />
au travail ? m’a lancé mon pote Couille<br />
Molle 1 . Tu souffres au travail, toi ? Moi<br />
non, sais-tu.<br />
Ceux qui souffrent au travail, c’est les<br />
incapables, les coincés qui n’ont pas su<br />
se faire leur place dans la boîte pour se<br />
donner des marges de manœuvre. Bien<br />
faire ne suffit pas, fieu. Il faut gagner<br />
la confiance de son chef. La confiance<br />
du manager, c’est synonyme de liberté<br />
pour le managé. 2<br />
Bien sûr, ça ne se fait pas en un jour.<br />
Tiens, moi qui te parle, j’ai commencé<br />
tout en bas de l’échelle. Quand je suis<br />
entré dans la boite, il n’y avait pas encore<br />
de machines pour traiter le courrier.<br />
C’est moi qui fermais les enveloppes<br />
et qui collais les timbres, à longueur<br />
de journées, avec ma petite éponge<br />
humide. On m’appelait Mouille-Colle.<br />
Ça faisait rigoler. Maintenant, plus personne<br />
n’oserait me donner un surnom.<br />
J’ai pris du galon.<br />
Comme je faisais bien mon travail,<br />
et que je comprenais les besoins de<br />
la direction, j’ai gravi les échelons.<br />
Aujourd’hui, j’ai mon bureau à moi.<br />
Avec même une plante verte et un dessin<br />
de Folon au mur. Tu penses bien<br />
qu’on ne devient pas consultant interne<br />
en comprehensive monitoring du jour<br />
au lendemain, hein. Et à ceux qui me<br />
demandent ce que je fais, je réponds<br />
qu’ils n’ont qu’à apprendre l’anglais.<br />
Il faut savoir se montrer proactif,<br />
tu comprends. Là, tu marques des<br />
points. Montrer à son manager qu’on<br />
est capable d’appréhender un problème<br />
dans sa globalité, savoir poser<br />
les bonnes questions, c’est la clé, fieu.<br />
Et surtout ne pas poser les mauvaises,<br />
hein. Là tu perds des points.<br />
Acquérir la confiance, fieu, c’est un<br />
travail à long terme où il faut savoir<br />
repérer les moments propices et saisir<br />
les occasions. Tiens, par exemple, le<br />
DRH, je sais bien où il va et ce qu’il fait<br />
après le bureau, avant de rentrer chez<br />
sa femme. Et il sait que je le sais. Mais je<br />
ne le dirai pas. Il peut avoir confiance.<br />
C’est ça la clé du succès.<br />
Je vais te donner un exemple de la<br />
confiance qu’on me fait dans cette boite,<br />
fieu. Tu sais qu’on va bientôt avoir des<br />
élections sociales. Eh bien, figure-toi<br />
que Monsieur Proetmacher m’a appelé<br />
dans son bureau. Couille Molle, m’a-t-il<br />
dit, il faut sortir de la culture du conflit<br />
1 NDLR : les noms et prénoms ont été changés pour<br />
préserver l’anonymat des intéressés.<br />
2 Couille Molle emprunte ici sa rhétorique à Philippe<br />
Van den Bulke, consultant expert en platitudes managériales<br />
et autres roublardises patronales, auteur<br />
de nombreux ouvrages qui se vendent bien.<br />
et de la suspicion. Les parties autour<br />
de la table doivent cesser de douter<br />
mutuellement des bonnes intentions<br />
des autres 3 . C’est dommage que vous ne<br />
soyez pas délégué du personnel. Vous<br />
avez la personnalité idéale pour cette<br />
fonction. Bien que vous soyez syndiqué,<br />
vous ne menacez personne, vous êtes<br />
toujours d’accord avec tout le monde.<br />
Vous n’êtes pas du genre à cracher dans<br />
la main qui vous nourrit. Quand vous<br />
participez à une réunion, vous mettez<br />
de la bonne humeur et tout le monde<br />
se sent intelligent en face de vous. Je<br />
n’entrerai pas dans les détails, mais<br />
nous allons avoir besoin d’interlocuteurs<br />
conciliants… Les temps sont difficiles,<br />
il faut nous moderniser. L’heure<br />
n’est plus aux conflits archaïques, mais<br />
au consensus… La direction sait qu’elle<br />
peut compter sur vous. Si vous étiez<br />
élu délégué, nous saurions nous montrer<br />
reconnaissants. Entre nous, ce sera<br />
donnant-donnant… pardon, je veux<br />
dire gagnant-gagnant.<br />
Tu te rends compte ? Notre chef comptable<br />
qui me dit ça ! Du coup, j’ai proposé<br />
ma candidature. Pourquoi pas,<br />
hein ? Depuis le temps que je cotise au<br />
syndicat. Si avec ça on me donne un<br />
IPad et peut-être une voiture de fonction,<br />
ça ne se refuse pas.<br />
Évidemment, ce bobo gauchiste de<br />
Poil Decul* m’est tout de suite rentré<br />
dedans, tu penses. Il m’a traité d’arriviste.<br />
Je lui ai répondu : je ne suis pas<br />
arriviste, je suis arrivé. Et toc ! Il m’a<br />
accusé de vouloir manger à tous les<br />
3 Monsieur Proetmacher cite ici Laurence Parisot,<br />
ex-présidente du MEDEF.<br />
André Clette<br />
râteliers. Je lui ai répondu : et alors,<br />
on n’a pas le droit d’être gastronome ?<br />
Et re-toc ! Il m’a traité de girouette.<br />
Eh bien, je vais te dire un truc, fieu :<br />
c’est pas la girouette qui tourne, c’est<br />
le vent ! Moi, je suis un stratège, fieu.<br />
C’est de ça qu’on a besoin. Un type qui<br />
sait sentir d’où vient le vent et saisir les<br />
opportunités.<br />
Cet imbécile de Poil Decul* dit que je<br />
manque de caractère, que je n’ai aucune<br />
authenticité, et en même temps, il me<br />
traite d’authentique lèche-cul. Bonjour<br />
la contradiction !<br />
Il me traite d’opportuniste, alors que<br />
c’est lui qui a profité du moment où il<br />
y avait plein de monde à la machine à<br />
café pour me lancer :<br />
– Alors, tu vas t’opposer au licenciement<br />
de Chaude Biesse* ? Chaude<br />
Biesse, c’est la secrétaire de Monsieur<br />
Proetmacher. Au début, il la trouvait<br />
chaude, mais maintenant, il la trouve<br />
biesse. Alors, il veut la virer. C’est<br />
comme ça dans la vie professionnelle,<br />
fieu. « On t’engage pour ce que tu sais<br />
faire, et on te licencie pour ce que tu<br />
es » 4 .<br />
Tu penses bien que je ne vais pas<br />
m’opposer à Monsieur Proetmacher,<br />
hein. Alors, j’ai retiré ma candidature.<br />
Ils n’ont qu’à se défendre sans moi.<br />
« Mieux vaut prendre un tournant<br />
qu’un mur » 5 . J’ai pas raison ?<br />
4 Couille Molle cite ici Byrne Mulrooney, CEO du<br />
cabinet de recrutement FutureStep.<br />
5 Forte pensée empruntée à Philippe Van den Bulke,<br />
déjà cité.<br />
L'oe i l de l’Observatoire<br />
Bruxellois du Clinamen<br />
Du déclin<br />
des Bateaux<br />
à Aube<br />
Dr Lichic<br />
Volet oublié de l’histoire de la navigation<br />
et des techniques, le déclin des<br />
bateaux à aube est par trop souvent attribué,<br />
à tort comme nous le vairon (poisson<br />
qui ment beaucoup en raison de son<br />
hétérochromie oculaire) au déclin concomitant<br />
des moteurs à vapeur, remplacés<br />
non sans paradoxes par le moteur à<br />
explosion (ou moteur à usage unique). En<br />
vérité, si les armateurs déclinèrent bientôt<br />
les avances de ces élégants navires,<br />
ce fut plutôt en raison de leur propension<br />
à ne fonctionner —comme leur nom<br />
l’indique — qu’aux aurores. Il en est ainsi<br />
des chalutiers comme des jolies femmes ;<br />
à trop miser sur l’esthétique et à se parer<br />
de caprices, on se retrouve un jour ou<br />
l’autre à quai.<br />
À l’image du sort funeste de ces paquebots,<br />
les églises du Réveil semblent également<br />
pâtir de cette obstination des<br />
Laudes, qui lance la louange au potronminet<br />
et dédaigne les ombres courtes de<br />
la mi-journée. Quel fidèle l’est donc assez<br />
pour ne loger sa foi que dans cet agaçant<br />
demi-agencement, qui oblige le dévot<br />
à délaisser le livre d’Heure une grande<br />
partie de la journée, je vous le demande ?<br />
Dans le même ordre d’idées, l’État islamique<br />
en Irak et au Levant souffrait d’un<br />
semblable handicap. Comme son nom le<br />
faisait comprendre au reste du monde,<br />
celui-ci n’existait qu’aux heures matutinales.<br />
Le reste de la journée, le djihad<br />
s’interrompait, ce qui était perturbant<br />
à la longue. Car enfin égorger l’infidèle<br />
seulement au point du jour présente<br />
un côté déprimant. On ne parvient pas<br />
à la pleine exaltation de sa foi dans de<br />
pareilles conditions, croyez-moi. C’est à<br />
vous faire perdre le plaisir de la lapidation.<br />
Heureusement, les communicants<br />
de Daech ont depuis pallié cette erreur<br />
stratégique, et les attentats pleuvent<br />
enfin à toute heure.<br />
Je pourrais encore vous citer bien<br />
d’autres exemples, lecteurs, de ces demimesures.<br />
Sans citer la trop fameuse<br />
Île du Soleil Levant, qui disparaît des<br />
cartes maritimes dès 11h, évoquons tout<br />
de même pour mieux les disgracier ces<br />
fameux 4 heures pour enfants (que l’instituteur<br />
interdit de manger à 3, pour la<br />
bonne raison que la boite à tartine est<br />
à ce moment étrangement vide), ces<br />
démons de midi (qui chôment le reste de<br />
la journée, ce qui minimise tout de même<br />
vous l’avouerez la portée de ces adultères).<br />
Et que dire de ces scientifiques<br />
qui cherchent midi à quatorze heures et<br />
passent le reste de leur potentiel autour<br />
de la machine à café ? Et des combats<br />
organisés entre chiens et loups et qui ne<br />
durent que 10 pauvres minutes ? Et de ce<br />
canal du Midi, fermé la plupart du temps<br />
à la navigation ? Il adviendra, lecteur,<br />
ce jour attendu où ces anachronismes<br />
vivront leur dernière heure, et où j’aurai<br />
l’heur d’annoncer que le progrès a mis fin<br />
à leurs jours. L’heure viendra, patience.
8 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016 MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 9<br />
Controverse autour d’un dessin :<br />
les veaux se disent choqués
10 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016 MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 11<br />
Les contes qu’on nous raconte<br />
Se libérer du travail<br />
ou en prendre le contrôle ? Sokolov<br />
Se libérer du travail grâce à un revenu<br />
inconditionnel ? Allocation universelle,<br />
revenu de citoyenneté, depuis trente<br />
ans, l’idée d’accorder à tout membre<br />
de la société un revenu sans condition<br />
revient périodiquement et peut séduire 1 .<br />
Gare aux miroirs aux alouettes…<br />
Imagine, un collectif où, tous égaux,<br />
en droit et en fait, chacun aurait droit,<br />
sans condition, à une part identique de la<br />
richesse 2 produite tous ensemble… Imagine<br />
que les orientations quant à ce qu’il<br />
faut produire, comment il faut le produire<br />
soient décidées tous ensemble… Qu’on<br />
puisse décider s’il est préférable d’utiliser<br />
plus de travail humain ou plus de<br />
machines, selon ce qui est produit, selon<br />
les moyens dont on dispose et ce qu’on<br />
veut en faire : plus de travail humain<br />
dans l’agriculture bio pour moins de produits<br />
phyto, plus de machines pour un<br />
boulot sale, répétitif, qui n’intéresse personne…<br />
Enfin bref, fais un effort quoi !,<br />
et imagine qu’on puisse choisir et décider<br />
plutôt que se soumettre et obéir. Décider<br />
que « tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur<br />
» 3 et que chacun a également droit<br />
d’accès, d’usage et que lui revient une<br />
part égale de la richesse produite.<br />
D’autres rêvent d’ores et déjà de<br />
quelques légers changements dans<br />
le monde dans lequel nous vivons<br />
aujourd’hui. On ne change rien au mode<br />
et aux rapports de production. Tu ne<br />
décides, nous ne décidons toujours de<br />
rien. Mais, une « allocation universelle »<br />
serait allouée à chaque membre de la<br />
« communauté politique », adulte ou<br />
enfant. L’idée est soutenue tant par des<br />
gens de gauche que par des acteurs et des<br />
intellectuels libéraux, voire droite de chez<br />
droite décomplexée. Autant dire que les<br />
contenus, les conditions de concrétisation<br />
et de financement diffèrent quelque peu.<br />
Même l’appellation n’est pas contrôlée et il<br />
n’est pas sûr que le produit soit bio et équitable.<br />
Quant au montant, il oscille selon les<br />
propositions de 300 à 1000 euros par mois.<br />
Pourquoi certains à gauche en<br />
rêvent-ils ?<br />
Principalement parce que la critique<br />
du travail accompli dans la relation de<br />
subordination du salariat, la critique du<br />
travail dans l’organisation capitaliste, a<br />
emporté avec elle la réflexion sur l’appropriation<br />
des conditions de travail par les<br />
travailleurs. Un revenu de base ou une<br />
allocation universelle devrait permettre<br />
de se libérer, au moins partiellement, du<br />
travail salarié aliéné, pour choisir sa vie<br />
et son temps, s’épanouir dans des activités<br />
autonomes, librement choisies et<br />
organisées. Il semble, - je n’y étais pas -<br />
que l’idée soit même venue dans les premières<br />
Nuits debout bruxelloises.<br />
1 Pour un exposé et une discussion critique, lire l’excellent<br />
petit livre de Matéo Alaluf, L’allocation universelle,<br />
nouveau label de précarité, Éditions Couleur<br />
livres, 2014, 88 pages.<br />
2 Il faudrait distinguer soigneusement La richesse, la<br />
valeur et l’inestimable (Jean-Marie Harribey, Les liens<br />
qui libèrenet, 2013). Version courte (relativement)<br />
>http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/evaluer-richesse-mesh.pdf<<br />
3 Le triomphe de l’anarchie, paroles et musique de<br />
Charles d’Avray<br />
Pourquoi certains libéraux en<br />
rêvent ?<br />
Parce que cela permettrait de libérer<br />
l’individu de l’emprise de l’État-providence<br />
qui, en assurant la redistribution<br />
des revenus et en garantissant le fonctionnement<br />
de la sécurité sociale, serait<br />
aussi un État trop intrusif, trop contrôleur.<br />
Aussi parce que les bénéficiaires<br />
des allocations sociales seraient stigmatisés<br />
comme des assistés, alors qu’une<br />
allocation universelle octroyée à chacun,<br />
pauvre ou riche, ayant ou non un boulot,<br />
rendrait la différence indiscernable.<br />
Enfin, parce que, d’un point de vue technique,<br />
les bénéficiaires d’allocations de<br />
remplacement (chômage, revenu d’insertion...)<br />
ne seraient pas incités à accepter<br />
un (petit) boulot dont le salaire serait<br />
à peine supérieur à ladite allocation<br />
(« trappe à chômage »).<br />
Tant chez les promoteurs de gauche que<br />
chez les libéraux, sont annoncées la fin<br />
du plein emploi et la fin des jobs à temps<br />
plein à durée indéterminée. L’avenir du<br />
travail capitaliste serait celui des boulots<br />
à temps partiel, qu’il faut multiplier pour<br />
malgré tout rester travailleur pauvre.<br />
Une allocation universelle offrirait un<br />
socle de sécurité.<br />
Pourquoi des libéraux plus<br />
ultras en rêvent ?<br />
L’existence d’un revenu de base jointe à<br />
la multiplication des boulots à temps partiel<br />
aurait au moins deux effets intéressants<br />
: primo, de casser ce qui subsiste de<br />
collectifs de travail. Lorsqu’il faut enchaîner,<br />
parfois sur la même journée, deux ou<br />
trois « petits » boulots, avec des collègues<br />
différents, dans des organisations du<br />
travail différentes, avec des sous-chefs,<br />
chefs, patrons différents, difficile de<br />
construire la solidarité entre collègues,<br />
de participer à la représentation syndicale<br />
et même de prendre du recul par<br />
rapport à l’organisation du travail. Deuxio,<br />
l’existence d’un revenu de base aurait<br />
un effet à la baisse sur les salaires : implicitement<br />
ou explicitement, le travailleur<br />
ne pourra plus exiger un salaire permettant<br />
une vie digne, puisqu’une part de<br />
son revenu sera assurée par l’allocation.<br />
De plus, l’éclatement de l’emploi rendra<br />
la tâche des organisations syndicales<br />
pour la négociation de barèmes sectoriels<br />
minimaux nettement plus difficile, voire<br />
impossible.<br />
Pourquoi d’aucuns à gauche n’en<br />
rêvent-ils pas ?<br />
D’abord pour les raisons qui font rêver<br />
la droite. Multiplier les jobs partiels, à<br />
durée déterminée pour compléter une<br />
allocation insuffisante, c’est généraliser<br />
la précarité et la subordination aux<br />
employeurs. Mais aussi parce qu’ils font<br />
une analyse différente de la situation. La<br />
sécurité sociale est un ensemble de droits<br />
qui ont été conquis et construits sur la<br />
base du travail. Ce n’est pas de l’assistance,<br />
c’est un mode de reconnaissance de ce que<br />
les travailleurs produisent la valeur économique,<br />
marchande et non marchande.<br />
De plus, la sécurité sociale, financée sur<br />
la base du travail, jointe à la concertation<br />
sociale collective, est une socialisation des<br />
revenus qui « démarchandise » le travail,<br />
le dégage partiellement des mécanismes<br />
du marché. Une allocation inconditionnelle<br />
en déliant travail et revenu ne libère<br />
pas. Elle achève de rendre invisible le fait<br />
que seul le travail est producteur de valeur<br />
économique. Certes, il est d’autres formes<br />
de richesse que la valeur économique4.<br />
Mais pour distribuer un revenu monétaire<br />
inconditionnel, c’est-à-dire pour répartir<br />
de la valeur économique, il faudra continuer<br />
à en produire.<br />
Et aussi...<br />
Un revenu de base risque aussi de renvoyer<br />
les femmes à la maison pour s’occuper<br />
des mômes et des vieux, le cas échéant<br />
avec un petit boulot en complément afin<br />
de « rester agiles » dans l’emploi.<br />
Ensuite parce que la fin du plein emploi<br />
n’est assurée que dans les conditions<br />
actuelles d’exploitation du travail dans<br />
lesquelles certains subissent une pression<br />
toujours accrue au travail tandis que<br />
d’autres sont laissés sans emploi, précarisés<br />
et culpabilisés. Sachant que le travail,<br />
au sens de la production de valeur,<br />
ne va pas disparaitre, autrement dit que<br />
la valeur ne va pas être produite par<br />
magie, que le capital seul ne produit rien,<br />
la réduction du temps de travail, sans<br />
perte de salaire, jointe à l’exigence de<br />
jobs de qualité a l’avantage de libérer du<br />
temps, d’améliorer la répartition du profit<br />
en faveur du travail et de préserver les<br />
possibilités concrètes que les travailleurs<br />
s’approprient leurs conditions de travail.<br />
Complétez la réduction du temps de travail<br />
par une exigence de revenus dignes,<br />
salaires et revenus de remplacement, et<br />
par le plafonnement des plus hauts revenus,<br />
et l’égalité progressera.<br />
Un revenu égalitaire n’a de sens que<br />
dans une organisation socio-économique<br />
où la valeur produite est également partagée,<br />
où le pouvoir de décision est également<br />
partagé. Dans un système qui reste<br />
structurellement un système de domination<br />
et d’exploitation, délier revenu et travail<br />
ne fera que le jeu des maîtres.<br />
Si tu veux anticiper le changement de<br />
système, reprends le pouvoir sur le travail<br />
là où tu bosses, essaye la coopérative,<br />
l’autogestion... mais ne cède pas le terrain<br />
de la détermination du contenu et des<br />
conditions de la production contre un<br />
plat de fayots garanti à vie.<br />
Délires et confusion<br />
Au rayon de « demain on rase gratis »,<br />
on en lit de belles. La Banque centrale<br />
européenne (BCE) réfléchirait à distribuer<br />
des sous à chaque citoyen européen,<br />
sans contrepartie. D’aucuns y voient la<br />
prémisse d’une allocation universelle<br />
européenne. Même Peter Praet, digne<br />
représentant belge à la BCE, s’y dit favorable.<br />
D’où sort ce truc ? Dans le jargon<br />
des économistes, jamais avares d’images,<br />
cela s’appelle la « monnaie hélicoptère »<br />
(Milton Friedman). On largue de la<br />
monnaie d’en haut, directement chez le<br />
consommateur. Le constat est que toute<br />
la liquidité injectée par la Banque centrale,<br />
via les banques nationales, pour<br />
faire redémarrer l’économie ne sert à rien.<br />
L’économie ne redémarre pas, les prix,<br />
donc l’inflation, stagnent, la demande et<br />
la croissance aussi. Donc, contournons<br />
les banques qui semblent ne pas savoir<br />
CYANTOLOGIE<br />
Le grand blues de la Justice belge<br />
Descente en apnée<br />
OBLIGATOIRE<br />
John Ellyton<br />
Parmi les nombreux effets désastreux et<br />
pervers des attentats à répétition sur nos<br />
démocraties, il y a le blast émotionnel sur<br />
le dessin de presse.<br />
Le dessin de presse est un art futile,<br />
fragile, compliqué, éphémère, périssable.<br />
Sylvie Kwaschin<br />
faire leur job et donnons directement de<br />
l’argent au citoyen-consommateur pour<br />
qu’enfin il dépense. Dépenser à quoi ?<br />
On semble s’en foutre. Du moment qu’il<br />
consomme.<br />
Depuis 2008 (la crise dite « financière »),<br />
de plus en plus d’économistes, de moins<br />
en moins hétérodoxes, plaident, supplient<br />
pour une politique budgétaire qui autorise<br />
des investissements publics afin de<br />
relancer la croissance. L’avantage d’une<br />
politique serait d’orienter les investissements<br />
vers des objectifs souhaitables :<br />
transition énergétique, soutien à des activités<br />
de production durables, innovation<br />
dans le domaine des transports, soutien<br />
à l’éducation et à la culture... La BCE dit<br />
et redit « niet ! » Pas question, austérité,<br />
équilibre budgétaire et tutti quanti.<br />
Mais, elle est prête à lâcher du pognon<br />
pour que chacun en fasse n’importe quoi<br />
(y compris l’épargner).<br />
Cherchez l’erreur.<br />
Le dessin de presse,<br />
victime collatérale<br />
du terrorisme de masse Yakana<br />
À la charnière de l’idée et de l’image, du<br />
sens et de l’humour, jamais tout l’un ni<br />
tout l’autre. Il est pratiqué par des vagabonds<br />
casaniers, des poètes ricaneurs.<br />
Des alcooliques, des drogués, des mystiques<br />
contemplatifs et solitaires. De<br />
solides libertaires. Des écrivains<br />
liquides. Des punks aristocrates. Des<br />
sales gosses, de mauvais esprits. En<br />
tous cas des désaxés, des marginaux,<br />
des pirates. Les plus fortunés sont<br />
corsaires du Roy. Des sans-dents, des<br />
traîne-savates, des moins que rien.<br />
En voilà un qui flambe à la lumière,<br />
pendant que les autres se brûlent les<br />
ailes. Pour un dessin qui tue, combien<br />
de dessinateurs qui vivotent, mais<br />
meurent à l’économie.<br />
Ils sont aujourd’hui tués une deuxième<br />
fois. Par le dessin d’attentat.<br />
Répétitif, massif, uniforme, obligatoire,<br />
puéril, graphique, circulatoire.<br />
Viral. Et dans 99% des cas, d’une mièvrerie<br />
abominable. À faire se retourner<br />
les victimes dans leurs tombes<br />
encore fraîches.<br />
Pratiqué par le « fantassin de la<br />
démocratie » chevronné comme par<br />
le fragile collégien traumatisé par son<br />
exposition aux médias, lesquels sont<br />
notamment pleins de dessins d’attentats,<br />
le dessin d’attentat déboule<br />
comme un rhinocéros qui charge<br />
en pleurant. Il écrase tout sur son<br />
passage. Le sens comme l’image. En<br />
inondant le terrain de larmes et de<br />
cris guerriers.<br />
Il y avait une petite maison dans la<br />
prairie sauvage où poussaient les iconoclastes.<br />
Le rhinocéros iconovore à<br />
peau dure piétine tout cet écosystème<br />
Dans les paradis fiscaux, on ne<br />
reçoit pas 72 vierges, mais on a les<br />
moyens de les acheter.<br />
A. Cl.<br />
en poussant le mugissement bouleversé<br />
du « Je suis… ! », au coup de<br />
clairon des réseaux sociaux.<br />
Les personnes traumatisées par<br />
des chocs graves sont « prises en<br />
charge » par des psychologues.<br />
Encore un ou deux attentats graves,<br />
et ils seront « pris en charge » par des<br />
dessinateurs…<br />
Émotion oblige, dira-t-on, et en ces<br />
moments où l’humour doit se faire<br />
tout petit devant l’Histoire, légitime<br />
réaction du groupe blessé qui se serre<br />
les coudes, qui serre les rangs.<br />
Sauf que les dessinateurs de presse<br />
ont besoin d’air et d’espace pour dire<br />
« J’ai … ! ». J’ai une idée intéressante,<br />
par exemple. Originale. Poétique. Ou<br />
politique, ou philosophique. Ou stupide.<br />
Mais différente.<br />
Et c’est ainsi qu’on n’aurait même<br />
pas peur.<br />
Nous savons bien que les terroristes<br />
ont l’intention de nous pomper l’air,<br />
mais c’est dans l’émotion médiatique<br />
étouffante qui suit leur forfait<br />
que nous suffoquons. Le crime est<br />
presque parfait.<br />
Le dessin d’attentat viral déboulera<br />
encore, hélas. Pourvu qu’il ne soit pas<br />
le virus qui tue définitivement le dessin<br />
de presse lui-même. Et la démocratie<br />
avec.<br />
S’il faut haïr le travail,<br />
doit-on pour autant haïr le travailleur ?<br />
André Clette<br />
Il n’est pas rare que des jeunes gens et jeunes filles, avides des conseils et<br />
convaincus que l’expérience et les années ont fait de moi un sage vieillard,<br />
me demandent s’il est bon de haïr le travailleur.<br />
Ma réponse est simple : tout est affaire de jugement.<br />
Si le travailleur ne dérange pas, s’il ramasse nos poubelles, dans le petit<br />
matin glacé, en prenant soin de ne pas nous réveiller, alors non, nous ne<br />
devons pas haïr le travailleur. Car le travailleur, ne l’oublions pas, peut<br />
rendre de menus services.<br />
En revanche, si nous l’avons engagé pour réparer notre toiture et qu’il en<br />
tombe en hurlant et en faisant gicler son sang sur notre façade, alors oui,<br />
nous avons le droit de le haïr, voire de l’achever. On ne le paie quand même<br />
pas pour se vautrer.
COMMENT ENTUBER AMAZON – LA MÉTHODE MPP<br />
De prime abord, ça pourrait ressembler<br />
à un énième combat de David contre<br />
Goliath. Mais à bien y regarder, le géant<br />
n’est peut-être pas si bien assuré que<br />
ça sur ses longues guiboles grêles. En<br />
exclusivité planétaire, Même Pas Peur<br />
vous dévoile sa méthode pour entuber<br />
Amazon.<br />
Pourquoi, d’abord ?<br />
Avant d’aborder la question du « comment<br />
», sans doute est-il utile de rappeler<br />
pourquoi il est parfaitement légitime de<br />
chercher à nuire au mercantile géant du<br />
net. Nombre de nos lecteurs se satisferont<br />
probablement de savoir que le célèbre site<br />
de vente fondé par Jeff Bezos - grand spécialiste<br />
de l’« optimisation fiscale » (ou<br />
« fraude légale ») - correspond au second<br />
« A » de GAFA (Google, Apple, Facebook,<br />
Amazon – les Big Four du net), pour avoir<br />
envie de courir y jouer les trublions.<br />
D’autres concevront la démarche<br />
comme l’occasion d’une riposte à la propagation<br />
publicitaire de leurs données<br />
personnelles (vous savez, ces objets que<br />
vous avez consultés sur le site et qui<br />
reviennent vous hanter sur chaque page<br />
du net ?) ou comme un bras d’honneur<br />
symbolique adressé à l’entreprise qui, à<br />
force de boycotter les auteurs, de faire<br />
chanter les éditeurs et de flinguer les<br />
libraires, est en train d’asphyxier tout le<br />
secteur du livre.<br />
Quant aux moins frondeurs de nos lecteurs,<br />
retenus peut-être par un reste de<br />
scrupule, ils se convaincront du bienfondé<br />
de l’entubage en songeant aux<br />
conditions de travail dans les entrepôts<br />
d’Amazon, dignes de celles d’une filature<br />
anglaise du XVIIIe siècle ou, au<br />
mieux, des usines Ford autour de 1910 :<br />
les employés, sous-payés, ont droit à 20<br />
minutes de pause par jour, et occupent le<br />
reste de leur temps à courir pour effectuer<br />
des tâches répétitives à souhait (les<br />
uns vont chercher les marchandises, les<br />
autres les emballent) dans le délai imparti<br />
par une machine. La délation entre collègues<br />
est encouragée par la direction, et<br />
les employés sont invités à n’amener sur<br />
leur lieu de travail aucun effet personnel<br />
(pas même une montre...) – la confiance<br />
règne. Ajoutez à cela le vacarme qui fait<br />
continuellement vibrer les allées géantes,<br />
et vous aurez une bonne idée de l’ambiance<br />
générale, voire une bonne raison<br />
de vouloir passer directement au paragraphe<br />
suivant. Et si un dernier scrupule<br />
de compassion libérale vous retenait<br />
encore, sachez que les vendeurs (indépendants)<br />
du marketplace d’Amazon ne<br />
sont guère mieux lotis que les employés :<br />
les moins rentables d’entre eux sont tout<br />
simplement jetés à la porte, bannis, et<br />
voient leur compte de vendeur supprimé<br />
et tous leurs accès bloqués, sans avertissement<br />
ni possibilité de contestation.<br />
Alors, comment on fait ?<br />
Il existe différentes techniques éprouvées<br />
selon l’effet recherché. Toute la subtilité<br />
du maître-entubeur résidera dans<br />
sa faculté à doser et à combiner ces différentes<br />
techniques entre elles afin d’en<br />
optimiser le rendement entubatoire.<br />
- Technique 1 : La bibliothèque à<br />
domicile. Simple, commandez l’ouvrage<br />
de votre choix et payez-le (les frais de<br />
port sont gratuits). Lisez-le endéans les<br />
trois mois. Renvoyez-le gratuitement au<br />
moyen de l’étiquette prépayée (inutile de<br />
vous justifier, ce champ est facultatif). Si<br />
vous avez abîmé le livre avec du beurre<br />
ou du vin, vous aurez la bienveillance de<br />
choisir l’option « N’est plus souhaité /<br />
N’en ai plus besoin » plutôt que « L’emballage<br />
extérieur est intact, mais l’article<br />
est endommagé » afin d’éviter d’incriminer<br />
un innocent employé. Déposezle<br />
dans une boîte à lettres et attendez<br />
tranquillement votre remboursement en<br />
lisant Même Pas Peur.<br />
- Technique 2 : Un petit cadeau occasionnel.<br />
De temps à autre, n’hésitez pas à<br />
vous offrir un petit cadeau sur le compte<br />
Benoit Dumont<br />
Anarchistes = terroristes ?<br />
Communiqué de presse d’Acrata.<br />
12 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016 MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 13<br />
de la transnationale. Pour cela, rien de<br />
plus simple : il vous suffit de jurer vos<br />
grands dieux que vous n’avez pas reçu<br />
l’objet commandé. Soyez ferme et têtu :<br />
« pas reçu ». À l’instar du fleuve auquel il<br />
emprunte son nom, le site de vente mise<br />
avant tout sur un débit colossal : sa survie<br />
dépend davantage de ce flot ininterrompu<br />
d’articles charriés par dizaines de<br />
milliers, que d’une hypothétique rentabilité.<br />
À ce titre, Amazon ne fait pas dans le<br />
détail : à moins qu’il ne s’agisse d’un objet<br />
de très grande valeur, les commerciaux<br />
vous accorderont le bénéfice du doute<br />
et vous rembourseront sans rechigner<br />
l’objet « perdu ». Une technique simple et<br />
efficace, à condition de ne pas en abuser.<br />
- Technique 3 : Encore un petit cadeau.<br />
Il s’agit en réalité d’une variante de la<br />
technique 2, mais celle-ci cible tout particulièrement<br />
les gros vendeurs du marketplace<br />
Amazon 1 et peut être utilisée<br />
sans modération, puisqu’elle vise des<br />
cibles toujours différentes. Cette technique<br />
fonctionne à merveille avec les<br />
objets à faible valeur marchande – une<br />
bande dessinée, dans l’exemple qui suit.<br />
Commandez la dernière BD de Philippe<br />
Decressac à un marchand du marketplace.<br />
Étant donné qu’Amazon ne possède pas<br />
de nom de domaine belge, vous devrez<br />
passer commande sur le site français,<br />
auprès d’un vendeur de l’Hexagone. Et<br />
c’est là que réside l’astuce : une fois le<br />
précieux ouvrage en votre possession,<br />
prétextez-lui un quelconque défaut de<br />
reliure (« la tranchefile de queue est écornée<br />
» fonctionne très bien, parce que<br />
personne ne sait exactement ce que ça<br />
veut dire) et demandez au vendeur un<br />
échange ou un remboursement. Soucieux<br />
de vous contenter, il acceptera, ignorant<br />
qu’il est en train de tomber dans votre<br />
piège machiavélique. Demandez-lui sans<br />
attendre s’il vous remboursera également<br />
les frais de port, ce à quoi il sera forcé de<br />
1 (ceux qui permettent au site de réaliser le colossal<br />
chiffre d’affaires qui lui sert de béquille)<br />
Pray for Belgium, et ta sœur ?<br />
Olivier Doiseau<br />
On pourrait croire que la singerie Tweeter<br />
ne concerne que les décérébrés qui<br />
y sont abonnés, dans un juste retour<br />
des choses où les plus idiots s’abonnent<br />
aux nouvelles et commentaires les plus<br />
dénués d’intérêt. Il n’en est hélas rien, car<br />
les médias traditionnels, trop apeurés de<br />
ne pas être assimilés à cette déferlante<br />
d’âneries, relayent ces messages à qui<br />
ne souhaitent pas les lire. Et comme en<br />
toute période de souffrance et de désarroi,<br />
la bêtise atteignit, le jour des attentats<br />
et ceux qui suivirent, une fois encore<br />
de magnifiques pinacles, bêtise que ce<br />
« réseau social » s’empressa de faire gonfler<br />
à l’envi. Ainsi du hashtag (que ne<br />
faut-il pas écrire !?) « Pray For Belgium »<br />
que tout un chacun était censé relayer,<br />
pour prouver que dans son impuissance,<br />
il communiait avec d’autres bras ballants<br />
dans un geste encore plus inutile. Le<br />
fait de répéter ad infinitum le message en<br />
question était déjà stupide en soi ; mais<br />
il fallut cependant que cela se double en<br />
plus de deux incongruités encore plus<br />
phénoménales.<br />
Prier...<br />
La belle affaire. Pourquoi, au moment<br />
précis où l’obscurantisme religieux,<br />
fils de l’endoctrinement quotidien, du<br />
Durum Halal à la Kippa, de l’hostie à la<br />
décoration du Boudha, au moment précis<br />
donc où l’aboutissement logique de<br />
toute religion, dans une négation de soi<br />
et une crédulité sans bornes, fait exploser<br />
des corps humains, faudrait-il encore<br />
prier ? ? Voilà bien la rouerie de la foi,<br />
qui, confrontée à sa propre logique, en<br />
rajoute encore une couche, incapable<br />
de se remettre en question et de constater<br />
que précisément parce que certains<br />
priaient trop ils ont fini par devenir bêtes<br />
au point de se faire éclater pour un Dieu<br />
imaginaire.<br />
… For Belgium.<br />
Pour la Belgique ? ? Et pourquoi pas<br />
pour la Région ? La Province ? La STIB ?<br />
Pour Zaventem SA ? Pour Brucargo ? La<br />
Belgique, comme toutes les institutions,<br />
n’est qu’une fiction, une construction<br />
mentale bien organisée pour justifier<br />
flics, militaires, juges et autres nuisibles<br />
parasites. S’il fallait une pensée émue,<br />
c’était évidemment pour les victimes, et<br />
non pour un état ! ? Quelle insulte aux<br />
disparus, aux blessés, et à leurs familles !<br />
Crevez, adeptes de Tweeter, que la<br />
bêtise que vous véhiculez vous étouffe !<br />
consentir. Logique. Laissez mijoter un<br />
jour ou deux, puis recontactez-le pour<br />
lui annoncer les (véritables) frais de port<br />
de BPost pour un retour vers la France –<br />
lesquels sont plus de cinq fois supérieurs<br />
aux tarifs français. Jouissez de sa stupeur<br />
tandis qu’il réalise que les frais de retour<br />
qui lui incombent surpassent la valeur du<br />
bien, et attendez qu’il vous annonce que<br />
vous pouvez conserver gracieusement la<br />
BD. Vérifiez la bonne réception du remboursement<br />
et dégustez l’ouvrage avec<br />
une bière d’abbaye ou un bon pétard.<br />
- Technique 4 : Le refus d’obtempérer.<br />
Il s’agit d’un principe de base du code<br />
déontologique de l’entubeur : ne JAMAIS<br />
répondre aux demandes d’évaluations<br />
des emballages - c’est-à-dire des emballeurs<br />
- ni aux enquêtes de satisfaction<br />
relatives aux membres du personnel.<br />
L’entubeur, même natif de la Balance, n’a<br />
pas vocation à se substituer au contremaître,<br />
et encore moins à travailler gratuitement<br />
pour Amazon.<br />
- Technique 5 : Le harcèlement. Vu le<br />
nombre de commandes traitées quotidiennement<br />
par Amazon, tout est fait<br />
pour décourager l’internaute d’entrer<br />
directement en contact avec le service<br />
après-vente du site - à commencer par<br />
un arsenal de questions à choix multiples<br />
renvoyant à des solutions préchiées. De<br />
toute évidence, Amazon n’a pas le temps<br />
(c’est de l’argent !) de répondre à son<br />
aimable clientèle ; aussi le chemin du formulaire<br />
de contact a-t-il été bien caché.<br />
C’est pourquoi Même Pas Peur se fait un<br />
devoir de le rappeler ici à tous les apprentis<br />
entubeurs : suivez « Aide » (tout en bas<br />
à droite), faites défiler jusqu’à « Besoin<br />
d’aide supplémentaire » (à gauche), puis<br />
sélectionnez le petit « Nous contacter »<br />
perdu au milieu des autres propositions ;<br />
laissez libre cours à votre viscéral besoin<br />
de communiquer.<br />
Bon entubage à toutes et tous !<br />
Chez Minute,<br />
ils ont un réac-chef !<br />
J. Ellyton<br />
Le 4 avril, la RTBF relaie un communiqué<br />
Belga « (…) Le parquet fédéral poursuit au<br />
moins 12 personnes qu’il soupçonne d’appartenir<br />
à un groupe terroriste anarchiste.<br />
Celles-ci sont suspectées de 150 faits de<br />
vandalisme, de vol ou encore d’incendies.<br />
Le dossier sera traité par la chambre du<br />
conseil de Bruxelles le 10 mai. (…) Cette<br />
enquête se concentre sur une liste d’actions<br />
telles que des manifestations contre<br />
la construction d’un nouveau centre fermé<br />
pour migrants à Steenokkerzeel, les institutions<br />
européennes, l’Otan, les expulsions<br />
de sans-papiers ou encore le projet de<br />
prison à Haren (…) ».<br />
Nous, nous avons reçu le texte ci-dessous,<br />
qui retrace les moments de l’enquête<br />
commencée en 2008, enquête qui, en 2013,<br />
vire à « l’enquête antiterroriste ».<br />
Si se battre pour la liberté<br />
est un crime,<br />
l’innocence serait<br />
le pire de tout<br />
À propos du procès antiterroriste à<br />
venir contre des anarchistes et antiautoritaires<br />
en Belgique.<br />
Fin 2008, en pleine période d’hostilités<br />
diffuses déclenchées par la révolte en<br />
Grèce suite à l’assassinat d’Alexis par la<br />
police, le Parquet fédéral belge lance une<br />
enquête visant des anarchistes et des<br />
antiautoritaires. En 2010, sur base d’une<br />
liste d’actions que la police attribue à la<br />
« mouvance anarchiste » et alors que la<br />
lutte contre la construction d’un nouveau<br />
centre fermé à Steenokkerzeel se<br />
fraye un chemin, la juge d’instruction<br />
Isabelle Panou est affectée à l’enquête qui<br />
relève désormais de l’antiterrorisme.<br />
En mai, puis en septembre 2013, une<br />
dizaine de perquisitions ont lieu dans le<br />
cadre de cette enquête, ces perquisitions<br />
visent différents domiciles ainsi que la<br />
bibliothèque anarchiste Acrata située<br />
à Bruxelles. C’est à cette occasion que<br />
l’existence d’une enquête antiterroriste se<br />
donne à voir pour la première fois. Cette<br />
enquête est menée par la section antiterroriste<br />
de la police judiciaire fédérale qui<br />
se retrouvera épaulée tantôt par la Sûreté<br />
de l’État, tantôt par le Service Général du<br />
Renseignement et de la Sécurité de l’armée<br />
ainsi que par différents services antiterroristes<br />
d’autres pays européens. C’est en<br />
2014 que l’enquête est close, aboutissant<br />
aujourd’hui au renvoi devant la Chambre<br />
du Conseil de douze anarchistes et<br />
antiautoritaires.<br />
Après une séance de légalisation des<br />
méthodes particulières de recherche<br />
utilisées dans le cadre de cette enquête<br />
(filatures, écoutes téléphoniques, placement<br />
de microphones dans un domicile,<br />
perquisitions en cachette, tentatives<br />
d’infiltration, placement de<br />
dispositifs de vidéo-surveillance devant<br />
des domiciles et à l’intérieur d’un domicile)<br />
en octobre 2015, le dossier est renvoyé<br />
devant la Chambre du Conseil.<br />
La séance de cette Chambre est fixée<br />
pour le 10 mai 2016 et déterminera s’il<br />
y a lieu de confirmer la tenue d’un procès<br />
et, si oui, sous quelles accusations.<br />
De son enquête, le Parquet fédéral s’est<br />
efforcé de tirer pas moins de 29 inculpations<br />
individualisées. Neuf compagnons<br />
sont accusés d’appartenance à une organisation<br />
terroriste et de participation<br />
à des activités terroristes pendant des<br />
périodes plus ou moins longues. Trois<br />
d’entre eux sont en plus accusés d’en<br />
être les « dirigeants ». Par ailleurs, trois<br />
autres personnes ayant été arrêtées dans<br />
la foulée d’une attaque contre le commissariat<br />
des Marolles sont quant à elles<br />
accusées d’appartenance à ce groupe<br />
terroriste pendant un jour, ainsi que des<br />
différentes inculpations se rapportant à<br />
cette attaque. Ça, c’est pour l’accusation<br />
générale.<br />
Celle-ci est ensuite complétée par des<br />
accusations plus spécifiques telles que<br />
participation à une manifestation sauvage<br />
devant le centre fermé 127bis à Steenokkerzeel<br />
(transformée en « tentative<br />
d’incendie volontaire » et « d’infraction<br />
terroriste » par le parquet), préparation<br />
et participation à une attaque contre le<br />
commissariat de police dans les Marolles<br />
(qualifiée par le parquet d’ « infraction<br />
terroriste »), coups et blessures sur des<br />
agents de police à plusieurs reprises, obstruction<br />
de la voie publique, dégradations<br />
diverses et variées, vols à l’étalage, incendie<br />
de voitures de gardiens de prison sur<br />
le parking de la prison de Ittre, incitation<br />
à commettre des infractions terroristes ?<br />
Il est à préciser que ces accusations<br />
spécifiques visent à chaque fois des<br />
compagnons spécifiques, c’est-à-dire que<br />
tout le monde n’est pas inculpé pour l’ensemble<br />
des faits reprochés.<br />
En arrière-plan de cette enquête qui a<br />
duré plusieurs années et qui a produit<br />
pas moins de 32 cartons de paperasses,<br />
le Parquet fédéral émet l’hypothèse<br />
qu’un « groupe anarchiste terroriste »<br />
serait actif, notamment à Bruxelles, et<br />
que les inculpés auraient « participé à »<br />
ou « favorisé » ces activités. Il dresse par<br />
exemple une longue liste d’environ cent<br />
cinquante attaques, dont une bonne partie<br />
incendiaires, contre des structures de<br />
la domination, des commissariats, des<br />
tribunaux, des banques, des entreprises<br />
qui se font du beurre sur le dos de l’enfermement,<br />
des chantiers, des véhicules de<br />
diplomates, d’eurocrates et de fonctionnaires<br />
de l’OTAN, des antennes de téléphonie<br />
mobile... Toutes ces attaques ont<br />
eu lieu à Bruxelles et dans ses environs<br />
entre 2008 et 2013.<br />
L’invention d’un groupe terroriste qui<br />
serait responsable de l’ensemble de ces<br />
faits (ne serait-ce que par le fait de « les<br />
avoir rendus possibles ») permet de jolies<br />
pirouettes servant l’accusation : une<br />
bibliothèque devient un lieu de recrutement,<br />
des discussions deviennent<br />
des réunions clandestines, des tracts<br />
et des journaux de critique anarchiste<br />
deviennent des manuels de guérilla<br />
urbaine, des manifs et des rassemblements<br />
deviennent des appels au terrorisme,<br />
des liens affinitaires entre des<br />
personnes en lutte et l’auto-organisation<br />
qui peut en découler deviennent<br />
« un groupe terroriste structuré ».<br />
L’invention d’un « groupe terroriste<br />
anarchiste » est bien évidemment<br />
une tentative assez maladroite de la<br />
part de l’État de réduire la subversion<br />
antiautoritaire et révolutionnaire à<br />
l’œuvre d’un seul « groupe structuré ».<br />
En tentant de mettre derrière les barreaux<br />
une poignée d’anarchistes qui dérangent,<br />
l’État cherche à décourager les réfractaires<br />
à passer à l’action directe contre ce<br />
qui nous opprime et exploite et d’imposer<br />
un silence absolu aux désirs, possibilités,<br />
réflexions et critiques qui s’affrontent à ce<br />
monde autoritaire.<br />
Ce qui est renvoyé devant le tribunal,<br />
c’est donc toute une mosaïque de luttes,<br />
de révoltes, d’idées, d’actions directes,<br />
de critiques, d’imaginaires révolutionnaires,<br />
d’agitations qui ont, pendant des<br />
années, cherché à s’attaquer à la domination.<br />
En cela, l’éventuel procès concerne<br />
non seulement les compagnons inculpés,<br />
mais aussi tout individu, tout anarchiste,<br />
tout révolutionnaire, tout réfractaire à<br />
l’ordre, tout insoumis à l’autorité qui ne<br />
veut pas rester les bras croisés devant<br />
l’exploitation et l’oppression. Ce qui est<br />
visé, c’est la recherche de l’autonomie<br />
dans l’action, l’auto-organisation dans la<br />
lutte, l’action directe dans toute sa diversité,<br />
le choix de défendre et de diffuser<br />
des idées anarchistes et révolutionnaires,<br />
de participer ensemble avec d’autres<br />
révoltés à des combats auto-organisés<br />
et autonomes. Et finalement, sans doute,<br />
une approche combative de l’anarchisme<br />
qui part de l’individu, de l’affinité, de<br />
l’informalité.<br />
Il serait étrange de séparer la répression<br />
qui vise aujourd’hui quelques anarchistes<br />
et anti autoritaires de l’ensemble de la<br />
répression qui cherche à mater (souvent<br />
préventivement) toute critique de l’ordre<br />
établi et la révolte. À coups de « menaces<br />
terroristes », de crise de réfugiés,<br />
de lutte contre la criminalité et de guerres<br />
bien réelles, la répression étatique passe<br />
aujourd’hui à la vitesse supérieure. Dans<br />
une période où les changements et les<br />
restructurations viennent toujours plus<br />
rapidement modifier les terrains de la<br />
conflictualité sociale, neutraliser ceux qui<br />
dérangent par leur pensée et leurs actes<br />
fait partie d’un ensemble qui cible les<br />
exploités et les opprimés : le durcissement<br />
des conditions de survie, la militarisation<br />
des frontières, l’imposition d’un contrôle<br />
technologique massif, la construction de<br />
nouveaux camps de détention…<br />
Se défendre contre ce coup répressif qui<br />
veut renvoyer des compagnons devant<br />
un tribunal sous des accusations de terrorisme,<br />
c’est défendre la possibilité et<br />
l’espace de l’agir anarchiste et antiautoritaire.<br />
Et, par la solidarité avec les compagnons<br />
inculpés, faire face à la répression<br />
étatique qui vise à paralyser toute action<br />
subversive.<br />
Si se battre pour la liberté est un crime,<br />
l’innocence serait vraiment le pire de<br />
tout.<br />
Daech connaît des difficultés financières<br />
: les kamikazes vont devoir se<br />
serrer la ceinture.<br />
A. Cl.<br />
L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com)<br />
Comité de rédaction Manuel Abramowicz, Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Sylvie Kwaschin, Jean-Philippe Querton, Théo Poelaert, Jacques Sondron, Etienne Vanden Dooren Contact presse Manuel<br />
Abramowicz Mise en page Etienne Vanden Dooren, Serge Delescaille Contributeurs dessins Bib’s, Thomas Burion, Carbo (Bruno Carbonnelle), Yvan Carreyn, Philippe Decressac, Serge Delescaille, Slobodan Diantalvic,<br />
Jacques Flamme, Florian Houdart, Kanar, Kurt, Livingstone, Mickomix (Mickaël Serré), Jacques Sondron, Plop & Kankr, Rob, Sticki, Yakana Contributeurs textes André Clette, Olivier Doiseau, Benoit Doumont, John<br />
Ellyton, Sylvie Kwaschin, Dr Lichic, Mickomix, Chloé Querton, Jean-Philippe Querton, Sokolov, Etienne Vanden Dooren, Marcel Vanden Dooren, Dominique Watrin, Yakana.<br />
Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro 8 de Même pas peur !<br />
Le site : http://www.memepaspeur-lejournal.net N° de compte BE28 0017 5410 1520
14 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016 MAI 2016 / Même pas peur N o 8 / 15<br />
La cuisine désobéissante<br />
se met à poil<br />
Déferlement de bombes et de frites, non<br />
seulement sur la Belgique, mais sur le<br />
monde entier. C’est à gerber, pourtant ça<br />
donne un tas d’idées de menu : tripes à la<br />
mode de Zaventem, fricassée d’abats au<br />
vin rouge façon Maelbeek, tajine de tête<br />
de veau à la Mahomet, bombe glacée farcie<br />
de ses petits djihadistes conditionnés<br />
à point… Les idées frémissent, les envies<br />
bouillonnent, on pense à ajouter un cran<br />
à sa ceinture abdominale parce que tout<br />
ça, c’est explosif en termes de calories, le<br />
souci, c’est que ce n’est pas drôle et qu’en<br />
plus, tout le monde a perdu l’appétit.<br />
Moi qui voulais vous proposer de tenter<br />
l’expérience du culinaturisme, j’en suis<br />
pour mes frais.<br />
Oui, tressaille lecteur ébaubi par ce joli<br />
néologisme qui survient au milieu d’un<br />
océan de vannes de mauvais goût — ce<br />
qui est bien le comble pour une rubrique<br />
qui veut vanter l’art des saveurs exquises<br />
—, le culinaturisme, ce n’est rien d’autre<br />
que le fait de cuisiner à poil ! Mais pourquoi<br />
donc ? Je vous répondrai qu’il est<br />
temps de reconsidérer les procédés de<br />
résistance aux idées reçues (qui ne sont<br />
pas toutes des cadeaux), du genre tous<br />
les musulmans sont des terroristes en<br />
puissance ou tous les supporters de foot<br />
sont des fachos. Il est temps de penser à<br />
la révolution ménagère ! Halte à la cuisine<br />
où même les cuisiniers (-ières) sont<br />
pasteurisé(e)s ! Marre de voir l’agence<br />
fédérale pour la sécurité alimentaire<br />
nous imposer le port de gants, la charlotte<br />
sur la tête et le masque antibactérien<br />
sur la bouche ! Cuisinons nus ! Soyons les<br />
Femen de la gastronomie, mettons de l’à<br />
poil-attitude dans nos marmites, soyons<br />
naturistes aux fourneaux. Et tant pis si<br />
tu te brûles la bite ou que les poils de ta<br />
chatte prennent feu — de toute manière,<br />
si t’en as encore, c’est que t’es sur la fréquence<br />
ringarde —, aucune révolution<br />
ne s’est faite sans qu’il n’y ait quelques<br />
dégâts, me rappelle souvent un ami<br />
nudiste qui sévit dans ce journal.<br />
Un accident nucléaire serait-il<br />
souhaité par le parti libéral ?<br />
Impossible d'y croire vraiment. Toutefois,<br />
la décision prise de prolonger de 10<br />
ans la vie des centrales Tihange 1, Doel 1<br />
et 2 et les contre-vérités qu'il avance pour<br />
étayer cette décision le laissent supposer.<br />
Comment a-t-on pu en arriver là ?<br />
Un premier ministre (juriste de formation)<br />
fait une erreur de casting : on<br />
ne nomme pas une juriste à un poste où<br />
connaissances techniques et prospective<br />
technique sont essentielles. Elle était au<br />
départ à son niveau d'incompétence et<br />
devait faire appel à des sociétés d'audit, à<br />
des spécialistes. Mais ces conseillers sontils<br />
objectifs sans conflit d'intérêt ? A-t-elle<br />
vérifié leur intégrité ? Je n'en sais rien.<br />
J'ai, quant à moi, des doutes sur l'accord<br />
pour le redémarrage des centrales et ils<br />
ont été sérieusement augmentés quand<br />
un des membres de l'agence de sécurité<br />
nucléaire belge a conseillé au gouvernement<br />
de fournir à tous les citoyens des<br />
pilules d'iode. Il était donc convaincu,<br />
lui aussi, que l'hypothèse d'un accident<br />
nucléaire majeur était plus que crédible.<br />
J'admire le courage qu'il a eu de le déclarer<br />
publiquement.<br />
Si le gouvernement avait eu un zeste de<br />
bon sens, il aurait revu son raisonnement.<br />
Un juriste remet toujours en question la<br />
valeur des opinions de ses opposants et<br />
la recherche de « précédents » est une de<br />
ses armes dans la défense de ses clients.<br />
À l'évidence, aucune action de cette<br />
nature n'a été faite. Pourtant, il y a un<br />
précédent très connu à nos portes : la<br />
centrale nucléaire d'Obrigheim en Allemagne,<br />
identique à Doel 1 et 2. Même<br />
conception, même puissance. J'y ai passé<br />
15 jours quand j'étais chargé de coordonner<br />
la rédaction du contrat de Tihange1<br />
Le gouvernement allemand a pris la<br />
décision d'arrêt définitif d'Obrigheim en<br />
2005, après 37 ans de fonctionnement.<br />
On n’est qu’à l’aube du printemps, camarade,<br />
ne prends donc pas de risque avec<br />
les commissions, si tu y vas dans le plus<br />
simple appareil, passe quand même une<br />
écharpe et dirige-toi vers le rayon légumes<br />
de ton magasin favori. Embarque un peu<br />
de tout sans réfléchir, sois spontané,<br />
n’oublie pas d’imprimer l’étiquette avec<br />
le prix avant d’avoir rempli le sachet et<br />
rentre chez toi. Ôte ton écharpe, tu es nu,<br />
tu es bien, tu es zen. Prends ton économe<br />
et épluche, tranche et débite en tronçons.<br />
Des carottes, y en a de toutes les couleurs,<br />
la carotte est d’ailleurs un bel exemple<br />
du bien-vivre ensemble ; des oignons,<br />
tant pis pour les polémiques liées à son<br />
orthographe ; de ces légumes que l’on<br />
qualifie d’oubliés : topinambours, rutabagas,<br />
panais, crosnes, courges butternut,<br />
radis noir ; pensez aux choux, les explosifs,<br />
dits de Bruxelles, des brocolis ou<br />
les petits raves qui sont ravissants ; des<br />
courgettes, des aubergines, des navets,<br />
des tomates, des haricots, des pois mangetout,<br />
des petits pois, du céleri, de l’ail,<br />
des… Vas-y épluche, tronçonne, rince<br />
un peu, rapport aux pesticides et mets<br />
le bazar dans une grande passoire, puis<br />
Et cette décision n'était pas irréfléchie.<br />
Angela Merkel était déjà au pouvoir et on<br />
sait que c'est une scientifique respectée<br />
en physique nucléaire dont le bon sens<br />
est reconnu, pas une juriste de formation.<br />
Résultat ?<br />
Bilan désastreux, mauvais casting de la<br />
ministre, des conseillers, absence de bon<br />
sens et d’esprit critique, absence d’intérêt<br />
pour les précédents et naïveté ont<br />
conduit le gouvernement à croire les lobbys<br />
des multinationales. La peur distillée<br />
artificiellement par ces multinationales<br />
(le spectre du black-out) est une forme<br />
mutante et hautement dangereuse d'action<br />
terroriste.<br />
Nous sommes donc dirigés par des drogués,<br />
addicts au fric des multinationales.<br />
Leur objectif n'est pas le bien de la communauté<br />
mais, bien plus prosaïquement,<br />
leur approvisionnement en drogue. Et le<br />
seul traitement efficace des addictions est<br />
le sevrage. Sevrons-les donc du pouvoir<br />
et du fric...<br />
Voir la réalité en face<br />
Dans le précédent article 1 , je dénonçais<br />
le risque d'un accident nucléaire majeur.<br />
Ce n'était pas un effet d'annonce mais<br />
l'énoncé de faits résultant d'essais scientifiques<br />
sur la résistance des matériaux.<br />
Le risque de rupture est avéré. La rupture<br />
par fatigue, brutale et sans préavis, de<br />
l'acier de la cuve du réacteur peut survenir<br />
à tout moment à partir de 40 ans.<br />
Le gouvernement s'en fout. Le premier<br />
ministre nomme une incompétente et<br />
celle-ci, tout bons sens aux abonnés<br />
absents, se jette dans les bras d'Engieélectrabel<br />
(pour qui, par ailleurs, le marché<br />
belge ne représente qu'un intérêt<br />
négligeable du fait de sa taille ridicule).<br />
Les démissions de la ministre de l'énergie<br />
et du premier sont donc indispensables<br />
afin d'enfin mettre en place une politique<br />
énergétique responsable et éviter le pire.<br />
Les 4 journalistes (Soir Mag, RTBF radio<br />
et Télé, RTL) qui m'ont interviewé après ce<br />
Jean-Philippe Querton<br />
jette le tout dans une énorme casserole,<br />
sur un fond d’huile d’olive. Attention, ne<br />
pas faire chauffer l’huile trop fort, ne pas<br />
oublier qu’on cuisine à poil, puis couvrir<br />
d’eau, celle du robinet, ça va très bien. Le<br />
cube de bouillon est-il une victoire des<br />
entreprises agroalimentaires sur l’artisanat,<br />
le vrai, celui qui remonte au temps<br />
où l’on fabriquait ses fonds soi-même ?<br />
Soit, faisons une concession et balançons<br />
quelques cubes de ces exhausteurs<br />
de goût dans le mélange. Faites bouillir<br />
un peu, puis baissez le feu, laissez cuire<br />
le temps qu’il faut — pas trop, si comme<br />
moi, vous aimez quand le légume croque<br />
encore un peu sous la dent —, ajouter des<br />
herbes (fraîches) hachées : basilic, persil,<br />
premier article 1 ne l'avaient pas<br />
lu et, hormis Philippe Engels<br />
qui a recoupé les sources, n'ont<br />
pas approfondi la question du<br />
risque. A-t-on peur de la vérité ?<br />
Réagir<br />
Il faut fermer dès maintenant<br />
les plus vieilles centrales, Doel 1<br />
et 2, Tihange 1 et les autres dans<br />
des conditions de sécurité en<br />
accord avec les résultats des<br />
essais de fatigue 2 . Mais, étonnamment,<br />
ces résultats sont<br />
toujours Top Secret depuis plus<br />
de six mois. Pourquoi ? Étaientils<br />
désastreux ? Ont-ils vraiment<br />
été effectués ? Les organes<br />
de contrôle sont-il inféodés à la<br />
ministre ou à Engie ?<br />
1 voir article publié dans MPP N°3, oct.<br />
2015.<br />
2 le risque de rupture brutal de l’acier de la<br />
cuve n’est pas nécessairement lié à la présence<br />
de micro-fissures.<br />
ciboulette, roquette (si, si), coriandre,<br />
sauge, cresson, cerfeuil et pourquoi pas<br />
quelques feuilles d’épinard, de bettes ou<br />
d’oseille ?<br />
Mettez du sel et du poivre, ajoutez un<br />
gros bocal de haricots blancs, goûtez.<br />
C’est prêt ?<br />
Toujours nu, on dégustera cette réjouissante<br />
soupe avec un œuf que l’on pochera<br />
délicatement dans le bouillon ou en parsemant<br />
le tout de parmesan râpé. Sympa<br />
aussi, l’idée de déposer quelques morceaux<br />
de fromage de chèvre un peu affiné<br />
dans le bol.<br />
Elle est pas belle la vie ?<br />
Marghem, détonateur nucléaire ?<br />
Marcel Vanden Dooren,<br />
ingénieur impliqué dans le construction de Tihange 1<br />
Mme la ministre a répondu aux enfants de<br />
l'émission « Au tableau » de la RTBF (6-4-2016).<br />
La question du risque de prolongation des centrales<br />
a été posée par une élève.<br />
Question de l'élève : « Un ancien ingénieur<br />
disait que c'était criminel de prolonger la centrale<br />
nucléaire de Tihange. Alors pourquoi vous continuez<br />
puisqu'à tout moment, elle peut exploser ? »<br />
[ On voit alors un court extrait de l'interview<br />
de Marcel Vanden Dooren à la RTBF ]<br />
Réponse de la ministre à l’élève : « En ce qui<br />
concerne ce que dit cet ingénieur qui a aujourd'hui<br />
84 ans (argument massue, Mme la ministre,<br />
bravo !!! Et rassurez-vous - ou inquiétez<br />
-vous -, il n'est pas sénile...), je respecte ce<br />
qu'il dit mais, à l'époque, on ne savait pas qu'elle<br />
pouvait durer plus longtemps (???) et elles sont<br />
révisées tous les 10 ans par l'agence fédérale de<br />
contrôle nucléaire pour voir si elles peuvent poursuivre<br />
leur route, ce qui est le cas. (Et pourquoi<br />
alors ne publie-t-on pas les résultats des tests<br />
de fatigue de l'acier de la cuve ???) (...) »<br />
Pourvu qu’elle saute avant que ça ne pète !<br />
La rédaction<br />
De l’art d’être au mauvais endroit au bon moment :<br />
Zaventem 22 mars 2016 - 7h59<br />
BOUM. Ça pète à vingt mètres de moi.<br />
Trois secondes plus tard, vingt mètres<br />
plus loin, ça pète à nouveau. Panique<br />
totale, des cris, de la fumée, le toit qui<br />
s’écroule, des gens qui courent, des hurlements<br />
qui s’intensifient. Pendant ces<br />
longues secondes, je photographie et<br />
filme ce qui se passe avec mon téléphone,<br />
c’est mon métier, c’est aussi un réflexe.<br />
« Pas très malin », diront certains. « Moi,<br />
je me serais occupé des blessés » affirmeront<br />
des héros anonymes, sur les forums<br />
internet. Ce dont je suis certain, ce que<br />
personne ne peut prévoir comment il va<br />
réagir. Quand une chose pareille arrive,<br />
l’être humain se révèle, et il agit d’instinct.<br />
Moi, j’ai eu la chance d’être instantanément<br />
déconnecté émotionnellement<br />
et, dès cet instant, avec distance et froideur<br />
je ne fais qu’analyser et enregistrer<br />
ce qui se passe autour de moi.<br />
8h20<br />
Les médias du monde entier me<br />
contactent : Belgique, France, Australie,<br />
Angleterre, Irlande, Brésil, Canada…<br />
Par email, Twitter, WhatsApp, Facebook,<br />
et puis par téléphone. C’est compréhensible,<br />
car il y a un témoin des explosions,<br />
vivant, plus ou moins capable d’aligner<br />
trois mots malgré le spectacle, et en plus<br />
en anglais et en français.<br />
Certains journalistes sont sympas,<br />
empathiques, et professionnels. Ils relateront<br />
avec précision les informations<br />
que je leur transmets, sans interprétations,<br />
sans approximations, sans en<br />
rajouter, et je les remercie d’avoir fait<br />
leur boulot. D’autres par contre auront<br />
bien plus envie de me faire valider leurs<br />
délires, leurs histoires, et leurs versions<br />
d’un événement auquel ils n’auront pas<br />
assisté. Très rapidement, on me demande<br />
si j’ai entendu « des cris en arabe ». Non,<br />
j’étais à côté des explosions, et je n’ai rien<br />
entendu avant les détonations. Je leur dis<br />
même que si la personne ayant entendu<br />
ces fameux cris était plus proche que<br />
moi des explosions, elle doit probablement<br />
être blessée ou morte. Et quand<br />
bien même, des cris en arabe auraient<br />
été prononcés, qu’est-ce qui indique qu’il<br />
s’agissait de cris à caractère islamistes ?<br />
Pourquoi ne serait-ce pas simplement<br />
un père de famille qui, en arabe, hurle<br />
à sa famille de se protéger ? Non, ça ne<br />
collerait pas avec la version qu’espèrent<br />
certains médias.<br />
J’apprendrais plus tard qu’une seule<br />
et unique source, un gros blaireau en<br />
réalité, a expliqué à un torchon local<br />
une version épique de son expérience<br />
sur place. Non seulement son timing<br />
était foireux - il a entendu une explosion<br />
15 minutes après tout le monde -, mais<br />
il se fait ensuite passer pour un héros<br />
car il aurait aidé la police à sortir… des<br />
cadavres. Il fera même une gratifiante<br />
session photo dans laquelle il s’efforcera<br />
de montrer quelques taches de sang sur<br />
son beau training jaune fluo. C’est bien<br />
cette enflure qui est la seule et unique<br />
personne à avoir entendu des cris en<br />
arabe… dans le hall opposé à celui où<br />
eurent lieu les explosions. À cause de cet<br />
enfoiré, les médias du monde entier me<br />
demanderont de confirmer ses délires<br />
bien plus sensationnalistes que mes descriptions<br />
plates et froides.<br />
8h40<br />
C’est la panique, l’horreur, et la désorganisation<br />
complète sur place. On ne<br />
peut pas en vouloir aux flics de péter un<br />
plomb. Et puis, des flics, il n’y en a pas<br />
beaucoup. Ni des ambulances, et encore<br />
moins de pompiers. On ne peut pas en<br />
coulisses de la collecte médiatique<br />
David Crunelle, Journaliste, rescapé du carnage de Zaventem<br />
vouloir à l’aéroport de Zaventem de ne<br />
pas avoir en permanence 60 ambulances<br />
devant le hall de départ, ni aux pompiers<br />
de stationner en nombre parmi les<br />
milliers de voyageurs. On ne peut pas<br />
être préparé à ça, point barre.<br />
Au milieu de tout ça, je transite dans<br />
un parking, avec une trentaine d’autres<br />
personnes en mode zombie. On ne sait<br />
pas quoi faire, on sait juste qu’on ne peut<br />
pas bouger. On attend des informations,<br />
des instructions, on se dit qu’il faut laisser<br />
la place aux professionnels, au personnel<br />
qui est censé gérer ça. Pendant ce<br />
temps, j’enchaîne les entretiens avec les<br />
journalistes, toujours pour expliquer le<br />
plus précisément possible ce qu’il en est.<br />
Non, il n’y a pas eu 3 explosions. Non,<br />
il n’y a pas des centaines de cadavres<br />
autour de moi. Non il n’y a pas de<br />
flammes ou d’incendie. Non, définitivement<br />
non, bordel, il n’y a pas eu de cris<br />
en arabe avant les explosions. La vidéo<br />
de l’explosion qui circule sur Twitter<br />
n’est pas celle de Zaventem mais de Moscou,<br />
et elle date de 2011. Les conneries<br />
s’enchaînent les unes après les autres,<br />
les nazillons débarquent également<br />
sur les réseaux sociaux bien avant que<br />
les ambulances n’arrivent à Zaventem.<br />
De faux journalistes me contactent, des<br />
couillons de BFMTV aussi, qui se feront<br />
passer pour CNN en plus. Les traiter de<br />
vautours serait insultant pour les vautours.<br />
Ils discréditent tous ceux qui font<br />
leur boulot convenablement, et se réfugient<br />
derrière une carte de presse qu’ils<br />
ne méritent pas.<br />
Les deux premières heures<br />
Pendant les deux premières heures,<br />
j’ai mis des photos sur Twitter, des photos<br />
de blessés. Les premières photos de<br />
l’événement, photos qui deviendront<br />
virales, comme on dit. Première page de<br />
CNN, elles passent en boucle sur toutes<br />
les télés du monde. On en fait des montages<br />
avec bande sonore, on crée des<br />
beaux logos flashy « Brussels Attacks »<br />
pour les éditions spéciales qui parleront<br />
pendant des heures pour ne rien dire.<br />
Tout ce qu’il manque à leur mise en<br />
scène anxiogène, c’est des images qui<br />
bougent, des cris et des pleurs, tout ce<br />
qui pourra leur permettre de diffuser<br />
plus largement encore la panique et<br />
l’horreur d’une telle atrocité.<br />
Et là ça tombe bien, j’ai justement une<br />
vidéo de 27 secondes. Je n’ai pas voulu<br />
la mettre sur Twitter, je n’en voyais pas<br />
l’intérêt. Par contre, je l’ai envoyé immédiatement<br />
à une amie journaliste, en lui<br />
disant précisément « Fais ce que tu veux<br />
avec ». Et jusque 14h, personne n’en sait<br />
rien. Mais après la diffusion d’informations<br />
bidons et cette satanée explosion<br />
à Moscou, j’ai posté 6 secondes de ma<br />
vidéo sur Vine. Exactement une minute<br />
plus tard, CNN me recontacte (pour la<br />
septième fois de la journée) pour me<br />
proposer de l’argent. Cette vidéo à une<br />
valeur bien plus qu’informative selon<br />
eux, et on me parle chiffres, conditions<br />
de diffusion, exclusivité. Quelques<br />
heures à peine après avoir vu des<br />
petites frappes à l’intellect misérable<br />
se faire exploser, et avec eux exploser<br />
des familles entières autour d’eux, voilà<br />
que des illuminés du sensationnalisme<br />
me proposent du pognon pour en avoir<br />
la bande-son. Je ne suis pas demeuré,<br />
je sais que ça existe, ce procédé abject<br />
m’aura surtout fait rire avant d’y être<br />
confronté personnellement. Alors qu’au<br />
milieu des blessés de Zaventem, j’arrivais<br />
plus ou moins à articuler sujetverbe-complément,<br />
voilà que je perds<br />
mes moyens lexicaux face à des costards<br />
cravates médiatiques. Ils me pressent de<br />
me décider « avant que d’autres vidéos<br />
émergent ». Il faut aller vite, car le sang<br />
c’est de l’argent. Je demande brièvement<br />
conseil à des amis. Tous, sans exception<br />
me disent la même chose : « Fais-les cracher<br />
! ». J’accepte ensuite de vendre cette<br />
foutue séquence vidéo, sans négocier<br />
(certains me le reprocheront) et en précisant<br />
que cet argent (1500 $) ira aux<br />
victimes. Ils sont contents chez CNN,<br />
car ma vidéo est en 1080 pixels, « et en<br />
mode paysage, ce qui est rarissime pour une<br />
vidéo faite avec un smartphone ». La starlette<br />
américaine débarquée sur place me<br />
demande d’intervenir dans leurs beaux<br />
studios montés à la Bourse, et comme je<br />
me débrouille en anglais, « ça donnera<br />
bien ! » qu’elle me dit. À ce moment je<br />
demande publiquement qu’on arrête de<br />
me casser les couilles. Mais bon, ce message-là<br />
est nettement moins bien passé<br />
chez certains journalistes…<br />
Six heures plus tard<br />
Plus de 200 emails arriveront en 6<br />
heures. 200 demandes de journalistes,<br />
médias, avocats. Parmi eux, une boite<br />
irlandaise qui a fait le forcing pour me<br />
choper, en appelant notamment certains<br />
de mes clients dans l’espoir d’avoir mon<br />
numéro privé. Ces enflures n’ont vu<br />
que 6 secondes de la vidéo et espèrent<br />
me faire signer un contrat, et cherchent<br />
ensuite à contourner l’accord passé avec<br />
CNN. Mais ces crevures ne s’arrêteront<br />
pas là.<br />
Quelques jours plus tard, je torche un<br />
texte sur mon blog, décrivant les coulisses<br />
de cette journée pourrie. Un billet<br />
qui, à défaut d’être de la haute littérature,<br />
aura le mérite de dénoncer l’envers<br />
du décor. Une traduction anglaise sera<br />
effectuée et largement diffusée ensuite,<br />
avec un retentissement complètement<br />
inattendu. Du coup, voilà que la boite<br />
irlandaise commence à sentir chauffer<br />
ses fesses. Elle tente à nouveau de me<br />
contacter, de manière très amicale. Style<br />
« salut mec, wow c’est chaud ce qui s’est passé<br />
l’autre jour pour toi. On en cause ensemble ?<br />
Bisous ». Vu que j’étais de l’autre côté de<br />
la planète, je les ai envoyé balader. Deux<br />
jours plus tard, l’échelon supérieur de la<br />
boite en question me contacte d’un ton<br />
bien plus stressé. Suite à mon billet, ils<br />
auraient fait un « audit interne » afin<br />
de savoir où cela avait merdé. Selon ce<br />
fabuleux audit, il semblerait que les événements<br />
ne se soient pas passés comme<br />
je le décrirais. C’est con, parce que moi<br />
j’ai des Tweets, des emails, et même des<br />
phone logs qui attestent de tout ce que<br />
j’ai pu décrire. Je me permets donc de<br />
leur répondre (en restant poli) à quel<br />
point ce sont des enflures.<br />
Trois jours plus tard<br />
Exactement trois jours plus tard, la<br />
crevure qui m’aura contacté ce fameux<br />
mardi balance sur YouTube un teaser<br />
d’un documentaire à venir sur l’importance<br />
de l’éthique avec le UGC (User<br />
Generated Content). Ils ont beau essayer<br />
de se parer d’une robe d’or et de lumière,<br />
ça sent quand même vachement la<br />
panique dans la rédaction de cette boite<br />
média. Une amie journaliste m’a dit que<br />
si on cherchait sur Google mon nom<br />
plus le nom de cette boite à la con, on<br />
obtenait zéro (0) résultat. Rien. Comme<br />
si on avait tapé du martien. Sans virer<br />
dans la parano à deux balles, il semble<br />
évident que cette boite arrive à effacer<br />
les traces de ce qui ne l’arrange pas.<br />
Voilà le monde dans lequel on<br />
vit actuellement.<br />
Si c’était à refaire ? Je referais pareil,<br />
même si ça vous emmerde. J’ai tenu à<br />
informer, donner des détails précis de<br />
ce qui se passait, de ce que je voyais. Je<br />
n’avais aucunement l’envie ou l’intention<br />
d’être interviewé en direct, de passer<br />
à la TV, etc. J’ai refusé toutes les interviews<br />
vidéo et n’ai pas envoyé ma photo<br />
aux journalistes qui l’ont demandé.<br />
J’ai donné ces informations détaillées<br />
comme une agence de presse le ferait.<br />
Pas d’émotion, pas d’interprétations, pas<br />
de suggestions.<br />
Par contre, en quittant les lieux, juste<br />
après les explosions, j’ai sincèrement<br />
pensé qu’il fallait laisser la place aux<br />
secours, ne pas être dans leur chemin<br />
et que l’aéroport était préparé à une<br />
telle situation. Rapidement, j’ai mesuré<br />
que ce n’était pas le cas. Ils étaient peu<br />
nombreux, tous en état de choc et ils ont<br />
fait ce qu’ils pouvaient. Je ne veux sincèrement<br />
pas les critiquer. Mais si j’avais<br />
su que cela se déroulerait de la sorte, je<br />
retournerais à l’intérieur pour sortir des<br />
gens et les rediriger. Facile à dire après<br />
coup bien sûr… Mais si une situation<br />
comme celle-là se représente, je serai<br />
beaucoup moins prudent. Ou plutôt,<br />
« encore » moins prudent…
16 / Même pas peur N o 8 / MAI 2016<br />
Si Allah est aussi grand qu’ils le<br />
prétendent, il devrait faire carrière<br />
dans le basket.<br />
J. Ph.<br />
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