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06 // SPÉCIALTERRITOIRES Mercredi 15 mars 2017 Les Echos<br />
TRANSFORMATION//Les grandes heures horlogères de Besançon se sont envolées avec Lip. Mais <strong>les</strong> savoir-faire sont<br />
restés, qui inspirent de jeunes créateurs indépendants ou qui se sont diversifiésdans le cuir,labijouterie ou la joaillerie.<br />
Lesnouveauxvisages<br />
del’horlogerieetduluxe<br />
Monique Clemens<br />
@mo_clemens<br />
— Correspondante à Besançon<br />
Le luxe change devisage.<br />
L’enjeu, aujourd’hui, est<br />
celui de la transparence et<br />
de la traçabilité. « C’est ceque<br />
demandent <strong>les</strong> générations X, Yet<br />
Millennium, en plus d’une qualité<br />
irréprochable et, désormais, d’un<br />
moindreimpact des fabrications sur<br />
l’environnement », explique<br />
Mathilde Passarin, directrice de<br />
l’association Luxe &Tech, qui<br />
fédère 30 PME loca<strong>les</strong>, entre<br />
Besançon et la Suisse, soit près de<br />
1.500 emplois et 18 %del’emploi<br />
total duluxe enFranche-Comté,<br />
indique-t-elle. Des découpeurs,<br />
polisseurs, spécialistes de microtechniques<br />
qui, après avoir longtemps<br />
vécu dans la plus grande discrétion,<br />
sans souci dulendemain,<br />
se positionnent aujourd’hui<br />
comme apporteurs de solutions<br />
avec des savoir-faire ultra-précis et<br />
complémentaires.<br />
Pendant ce temps, à Besançon,<br />
une nouvelle génération d’horlogers<br />
est en train de naître, qui<br />
répond à cette aspiration à plus de<br />
transparenceet deraison. Lesmarques<br />
Lornet, Phenomen, Humbert-Droz,<br />
M. Benjamin… commencent<br />
à se faire un nom chez <strong>les</strong><br />
amateurs de bel<strong>les</strong> mécaniques.<br />
El<strong>les</strong> ne remplaceront pas <strong>les</strong> grandes<br />
marques suisses, ne créeront<br />
pas des dizaines de milliers<br />
d’emplois, comme l’ancienne capitale<br />
horlogère apuenconnaître<br />
avant la crise du quartz, mais el<strong>les</strong><br />
sont <strong>les</strong> nouveaux visages de l’horlogerie<br />
:descréateursquiaimentle<br />
produit, associent leurs sous-traitants<br />
à leur image, visent un prix<br />
juste et plus astronomique, et utilisent<br />
<strong>les</strong> réseaux de distribution<br />
qu’ils ont sous la main :lavente<br />
directe, Internet,<strong>les</strong> réseaux<br />
sociaux.<br />
« Prises de risques »<br />
C’est ce lien direct avec le client qu’a<br />
voulu créer PhilippeLebru,<br />
l’homme qui aréveillé l’horloge<br />
comtoise et l’auteur,aussi, d’horlogesmonumenta<strong>les</strong>comme<br />
cellede<br />
la gare TGVdeBesançon. Fin2015,<br />
il aouvert une boutique-atelier en<br />
face du Musée duTemps pour<br />
montrerson travail et celui<br />
d’autres créateurs desatrempe.<br />
« Des créateurs comme FOB, MarchLab<br />
ou OlivierJonquet, qui<br />
assemblent leurs montres à Besançon<br />
et qui, comme moi, sont dans la<br />
droite ligne d’une nouvelle horlogerie<br />
françaiserespectantle pluspossible<br />
la fabrication locale », expliquet-il.<br />
Lui croit aurenouveau porté<br />
par des créateurs indépendantset<br />
inscrits dans une démarche qualitativeetartistique.<br />
« Une démarche<br />
qui adusens, avec des prises de risques,<br />
de petites entreprises d’une à<br />
dix personnes, mais des personnes<br />
physiquement atteignab<strong>les</strong>, etpas<br />
un concept de groupe. »<br />
Dans son concept-store, <strong>les</strong> horlogers<br />
bisontins viennent rencontrer<br />
leurs clients. On ytrouve la<br />
HD1, sortie en juin 2016 et que son<br />
créateur, Julien Humbert-Droz,<br />
vientdéjàderééditer,maisaussi<strong>les</strong><br />
chronos de légende Dodane qu’a<br />
ressortis lereprésentant de la<br />
sixième génération. Quant à la<br />
marque Lornet,lancéeennovembre<br />
2016 et vendue exclusivement<br />
sur Internet, elle abien démarré et<br />
vient de présenter un modèle féminin.<br />
Pendant ce temps, Phenomen<br />
prépare son premier modèle futuriste<br />
enpépinière, sur Témis, et<br />
SMB cartonne aveclaréédition des<br />
modè<strong>les</strong> mythiques de Lip.<br />
Dans sa compétence<br />
économique, le Grand<br />
Besançon joue la carte<br />
de ces précieux savoirfaire<br />
pour attirer de<br />
nouvel<strong>les</strong> entreprises.<br />
Arrivé par l’horlogerie, le luxea<br />
peu à peucoloré le tissu industriel<br />
local. Le polissage aattiré ici bijoutiers<br />
et joailliers. La fabrication des<br />
bracelets de montre s’est élargie au<br />
travail du cuir, comme en témoigne<br />
la success-story de SIS, entre<br />
Besançon et la Suisse. SIS emploie<br />
680 salariés, dont 400 formésdans<br />
son école intégrée, pour coudre <strong>les</strong><br />
jolis sacs de grandes marques de<br />
luxefrançaise, maisaussi faire du<br />
gainage, une opération qui consiste<br />
à habiller de cuir,pour <strong>les</strong> rendre<br />
plus chics, stylos ou téléphones<br />
portab<strong>les</strong>. Dans sacompétence<br />
économique, le Grand Besançon<br />
joue la carte de ces précieux savoirfaire<br />
pour attirer de nouvel<strong>les</strong><br />
entreprises. C’est ainsi que vient<br />
d’arriver Hadoro, une société parisienne<br />
qui conçoit des coques pour<br />
téléphones portab<strong>les</strong> ou tablettes<br />
et des bracelets pour <strong>les</strong> Apple<br />
Watch en métaux précieux, cuir<br />
d’autruche, galuchat... L’objectif,<br />
avec ce site, est d’intégrer au maximum<br />
la production jusque-là réaliséeensous-traitance.<br />
Remettre de l’humain<br />
Née en2006, Luxe &Tech amis<br />
autour d’une même table des PME<br />
qui n’avaient pas l’habitude de<br />
communiquer entre el<strong>les</strong>, aparticipéàla<br />
création du diplôme<br />
« Microtechniques et design » de<br />
l’ENSMM (voir ci-dessous), tissé<br />
des liens avec <strong>les</strong> structures loca<strong>les</strong><br />
et communiqué, surtout, sur <strong>les</strong><br />
savoir-faire. « L’enjeu,aujourd’hui,<br />
c’est aussi d’expliquer letemps<br />
nécessaireauluxe », ajoute<br />
Mathilde Passarin. « Il faut montrer<br />
le petit horloger dans son atelier,<br />
le séchagedel’émail. » Remettre de<br />
l’humain dans des relations déshumanisées<br />
« et passer de l’image du<br />
sous-traitant à celle d’experts réactifs<br />
et porteurs devaleur ajoutée ».<br />
Tout un programme. n<br />
Installé entre Besançon et la Suisse, SIS s’est spécialisé dans<br />
le travail du cuir. L’entreprise aformé dans son écoleintégrée<br />
une partie de ses680 salariés. PhotoSIS<br />
«Microtechniquesetdesign »,uneformation<br />
d’ingénieurenapprentissageuniqueensongenre<br />
Pour accompagner<br />
la diversification desPME<br />
vers <strong>les</strong> métiersduluxe,<br />
l’ENSMM avait lancé un<br />
cursus sur mesure. Objectif :<br />
préparerdes ingénieurs<br />
formésaudesign.<br />
Ce cursus d’ingénieur en alternance<br />
« microtechniques et<br />
design » –unique en France et sans<br />
doute en Europe–avait été créé en<br />
2010 pour satisfaire aux besoins<br />
des entreprises loca<strong>les</strong>,horlogères,<br />
mais pas seulement. Il s’agissait<br />
d’ajouter aux précieuses compétences<br />
microtechniques des connaissances<br />
enmicromatériaux,<br />
travailducuir,gemmologie, taille<br />
des métauxprécieux…etdeformer<br />
des ingénieurs aptes à dialoguer<br />
avec des designers, voire aptes à<br />
jouer unrôle de designer. C’est à<br />
Guy Monteil, qui enseignait <strong>les</strong><br />
sciences des matériaux à<br />
l’ENSMM, l’Ecole nationale <strong>sup</strong>érieure<br />
de micromécanique de<br />
Besançon, qu’avait été confié la<br />
création delamaquette pédagogique<br />
et le pilotage de la filière. Elle<br />
accueille 14 nouveaux élèves à chaque<br />
rentrée, dont une moitié vient<br />
de Franche-Comté et l’autre de<br />
toute la France. La première promotion<br />
avait été parrainée par la<br />
responsable design des mouvements<br />
de Cartier.Unbon début.<br />
Partenaires historiques<br />
La formationest adosséeauCFAI<br />
Sud Franche-Comté,qui n’est qu’à<br />
deux battements d’ai<strong>les</strong> de<br />
l’ENSMM, sur le technopôle Témis,<br />
etquis’occupedesrelationsavec<strong>les</strong><br />
entreprises–loca<strong>les</strong> ou non. Parmi<br />
el<strong>les</strong>, des partenaires historiques<br />
comme Silvant, le groupe Cœur<br />
d’Or ou encore le maroquinier SIS,<br />
à Avoudrey, pour ceux qui acceptentd’être<br />
cités. Car,dans le luxe, la<br />
nécessité de transparence n’a pas<br />
encore convaincu tout le monde...<br />
L’Ecole nationale <strong>sup</strong>érieure de micromécaniquedeBesançon a été crééeen2010pour répondre<br />
auxbesoins des entreprisesloca<strong>les</strong>, horlogères ou autres. PhotoENSMM/P1br<br />
Au-delà des PME loca<strong>les</strong>, <strong>les</strong> grandes<br />
marques françaises commencent<br />
el<strong>les</strong>aussi à s’intéresser à ces<br />
ingénieurs formés à leurs codes.<br />
« Les grands donneurs d’ordre du<br />
luxe commencent à nous prendre<br />
des apprentis », confirme Guy Monteil.<br />
« Face à la montée encompétence<br />
de leurssous-traitants,ils leur<br />
confient de plus enplusdemissions<br />
de conception. Du coup, l’autretendance<br />
lourde, c’est que <strong>les</strong> PME se<br />
mettent à embaucher des bac +5.»<br />
Pourmieuxcollerauxréalitésdu<br />
terrain, cel<strong>les</strong> de PME horlogères<br />
loca<strong>les</strong> qui, pour contrer ce marché<br />
capricieux, se diversifient de plus<br />
en plus dans le médical, la formation<br />
vient de lancer une nouvelle<br />
option. Depuis la rentrée deseptembre,<br />
<strong>les</strong> élèves peuvent choisir<br />
entre « luxeetprécision »,l’option<br />
« historique »,etdésormais<br />
« microtechniques et santé ».<br />
Concrètement, <strong>les</strong> apprentis ingé-<br />
«Les grands<br />
donneurs d’ordredu<br />
luxecommencent<br />
à nous prendre<br />
des apprentis.<br />
Ils leur confient<br />
de plus en plus<br />
de missions<br />
de conception. »<br />
GUY MONTEIL<br />
Enseignant à l’ENSMM<br />
et pilotedelafilière<br />
«microtechniquesetdesign »<br />
nieurssuiventtroissemestrescom-<br />
muns puis trois autres, où leur spécialité<br />
monte en puissance. Ainsi,<br />
par exemple, la gemmologie est<br />
remplacée par la réglementation<br />
spécifique aux produits de santé,<br />
qui répondent à des normes de<br />
qualité très sévères. Et l’enseignementdesmétauxprécieuxpardela<br />
biochimie pour la santé. « Celacorrespond<br />
à 254 heures sur la totalité<br />
de la formation, c’est vraiment une<br />
grosse option », poursuit Guy Monteil.<br />
Une partiedes coursest mutualiséeavecl’Isifc,<br />
l’école d’ingénieurs<br />
biomédicale voisine. « Jusqu’à<br />
maintenant, <strong>les</strong> entreprises embauchaient<br />
un ingénieurENSMM avec<br />
ses compétences en fabrication, conception,<br />
R&D, et un ingénieur ISIFC<br />
davantage tourné vers l’hôpital et <strong>les</strong><br />
médecins. Désormais, nos ingénieurs<br />
seront plus spécialisés en<br />
médical. » — M. Cl.<br />
P2RFormations,unpetit<br />
nouveaudansl’horlogerie<br />
etlepolissage<br />
Le centre de formation<br />
vient d’ouvrir dans le<br />
quartier de Palente.<br />
Passionnésd’horlogerie,<br />
ils veulent former<br />
<strong>les</strong> professionnels<br />
dont <strong>les</strong> PME ont besoin.<br />
Dans l’atelier d’horlogerie, douze<br />
postes attendent <strong>les</strong> stagiaires. A<br />
côté des hauts établis, avec leurs<br />
repose-coudes et leur éclairage<br />
impeccable, une machine à nettoyer<strong>les</strong><br />
mouvements, un chrono<br />
comparateur pour vérifier la marche<br />
et deux postes de microscopes<br />
pour mieux analyser <strong>les</strong> pièces<br />
complètent l’équipement pédagogique.<br />
L’atelier voisin compte six<br />
postes de polissage, ce métierque<br />
l’on apprend généralement sur le<br />
tas, très recherché en horlogerie,<br />
mais pas seulement,etqui consiste<br />
à apporterune finition parfaite.<br />
P2R Formations vient d’ouvrir<br />
ses portes dans l’immeuble Le<br />
Cadran, à Palente, l’ancienquartier<br />
horloger de Besançon,oùfut<br />
notamment implanté Lip. Passionnés<br />
d’horlogerie, Arnaud Rollier,<br />
horloger formateur,David Ronsin,<br />
polisseur depuis vingt-cinq ans et<br />
Benjamin Perruche, chargé de<br />
clientèle, avaient ce projetentête<br />
depuis plus d’un an. Les deux premiers<br />
s’étaient rencontrésdans un<br />
centre de formation bisontin qui ne<br />
leuravaitpassemblésérieux.Aleur<br />
frustation s’était ajouté le constat<br />
d’une trop longue attente à l’Afpa<br />
pour se former à l’horlogerie et la<br />
demande toujours plus forte, dans<br />
<strong>les</strong> PME de la région, maisaussi en<br />
Suisse, pour de bons polisseurs.<br />
« C’était lebon moment », estime<br />
Arnaud Rollier.<br />
Organisme privé au statut de<br />
SAS, P2R Formations est en train de<br />
se faire connaître auprès deplusieurs<br />
entreprises loca<strong>les</strong>. Ses<br />
modu<strong>les</strong> deformation sont en<br />
cours de validation dans <strong>les</strong> bases<br />
de données des différents organismes.<br />
Pour la première annéescolaire<br />
pleine, 2017-2018, <strong>les</strong> formateurs<br />
prépareront <strong>les</strong> stagiaires à<br />
passer leCAP horloger en candidats<br />
libres au lycéeEdgar-Faure de<br />
Morteau.Ils assurent aussides formations<br />
en entreprise et desprestationsdesous-traitance.<br />
Objectif :une nouvelle<br />
spécialité par an<br />
Les trois associés sont confiants:<br />
<strong>les</strong>besoins sont réels etleur business<br />
plan modeste. Dès que l’activité<br />
décollera, ils compléteront le<br />
catalogue de formations avec, dans<br />
l’idéal, une nouvelle spécialité par<br />
an :sertissage,tribofinition,taillage<br />
de pierres. Al’atelier de polissage,<br />
Ingrid est la première stagiaire. En<br />
reconversion, elle semble avoir<br />
trouvé sa voie et adéjàsuiviune formation<br />
en horlogerie qu’elle souhaitait<br />
compléter. « Il faut êtrepolyvalent<br />
aujourd’hui »,estime-t-elle.<br />
— M. Cl.<br />
Leschiffresclefs<br />
12<br />
POSTES DE STAGIAIRE<br />
à l’atelier d’horlogerie<br />
de P2R Formations.<br />
6POSTES<br />
à l’atelier polissage. Un métier<br />
très recherché en horlogerie,<br />
qui consiste à apporter<br />
une finition parfaite.