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Le Petit Journal N°7

Le Petit Journal des Galeries Vallois Edition N°7 du programme "Paris-Cotonou-Paris" Journal N°7 avec les artistes: Marius Dansou, Roberto Diago, Didier Viodé, Jean Baptiste Janisset et Mekef.

Le Petit Journal des Galeries Vallois Edition N°7 du programme "Paris-Cotonou-Paris"
Journal N°7 avec les artistes: Marius Dansou, Roberto Diago, Didier Viodé, Jean Baptiste Janisset et Mekef.

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<strong>Le</strong> <strong>Petit</strong> <strong>Journal</strong><br />

des galeries Vallois<br />

Paris Cotonou Paris<br />

MAKEF<br />

INTERVIEW DE MAKEF<br />

Camille Bloc : Je voudrais tout d'abord insister sur<br />

ce support original : les cahiers d’écoliers. C’est sur<br />

ces mêmes cahiers que tu as toi-même commencé le<br />

dessin, pour lequel tu t’es pris de passion. Continuer<br />

à utiliser ce support une fois adulte est une démarche<br />

singulière : pourquoi ce choix ?<br />

Makef : Oui, je dessinais moi-même tout le temps dans<br />

les cahiers. <strong>Le</strong>s pages des cahiers expriment la fragilité,<br />

la page peut se déchirer facilement. Ça a un rapport avec<br />

notre propre fragilité. Et les feuilles de cahiers de mes<br />

enfants, c’est ce que j’avais sous la main. Par la suite,<br />

j’ai fait appel aux cahiers de mes nièces et neveux, des<br />

enfants des voisins aussi. Dans ces cahiers, il y a souvent<br />

de petits dessins, je choisis et en dessinant dessus<br />

et autour, ça apporte une autre lecture.<br />

mets à chacun de se tourner vers sa propre enfance.<br />

C.B. : Est-ce que tu aimais beaucoup l’école ?<br />

M. : Oui, j’aimais beaucoup l’école. Avec les parents, on<br />

acquiert une certaine connaissance de la vie mais avec<br />

l’école, c’est un autre abordage de la vie. Oui, j’aimais<br />

beaucoup.<br />

C.B. : Tu as commencé la série en 2013, elle a pris<br />

beaucoup d’ampleur depuis… combien comporte-telle<br />

de feuillets à ce jour ? Tu as dit vouloir atteindre le<br />

chiffre de 100, pourquoi 100 ?<br />

M. : J’en suis à 95 terminés et d’autres commencés. J’y<br />

arrive. 100, c’est une façon de symboliser la maturité,<br />

c’est un siècle. Quand une personne atteint l’âge de 100<br />

ans, c’est symbolique de l’acquisition d’une très grande<br />

sagesse.<br />

C.B. : Qu’est-ce que tes enfants pensent de tes dessins ?<br />

M. : Ça leur fait plaisir de voir que ce travail est parti<br />

d’eux, de leurs dessins et écritures. – Effectivement, sa<br />

grande fille d’une dizaine d’années qui passait juste à<br />

ce moment-là, confirme d’un geste de la tête et d’un<br />

sourire.<br />

C.B. : Comment as-tu évolué dans ta pratique du dessin<br />

?<br />

M. : Je dessinais depuis l’enfance. Quand j’avais dans<br />

les 20 ans, j’ai rencontré l’artiste Magou qui m’a donné<br />

confiance et m’a encouragé à m’engager dans la pratique<br />

artistique.<br />

C.B. : Qu’est-ce que tu ressens aujourd’hui, lorsque tu<br />

dessines ?<br />

Artiste autodidacte, Makef (de son vrai nom Fulbert<br />

Makoutodé Énagnon) construit une œuvre singulière<br />

où se distinguent les très originaux dessins au stylo-bille<br />

de sa série Mes nuits insomniaques et quelques<br />

jours d'errance qualifiés d’un brin énigmatiques lorsqu’ils<br />

furent exposés pour la première fois en 2011.<br />

J’ai coutume de dire que c’est l’art qui est venu à moi.<br />

Depuis mon enfance, je dessine. J’ai commencé au primaire<br />

quand j’ai vu pour la première fois le maître dessiner<br />

au tableau. Une révélation. J’ai compris que ce n’était<br />

pas des machines qui faisaient les dessins des livres.<br />

Plus tard, comme d’autres, j’ai dessiné dans les cahiers du<br />

soir des copains qui n’aimaient pas trop dessiner. Il fallait<br />

faire 2 dessins, un sur la page Chant et un sur celle de<br />

Poésie. Parfois, ils me demandaient aussi d’écrire les textes<br />

car il fallait les calligraphier avec soin. Je me faisais payer<br />

pour ce travail.<br />

Vers 1987, j’ai commencé à peindre des scènes de la vie,<br />

avec des pirogues par exemple. Puis j’ai rencontré des<br />

gens qui m’ont encouragé, conseillé et motivé.<br />

Depuis quelque temps, je fais des dessins au stylo (23 x<br />

28,50 cm). Je les dessine la nuit sur les pages de cahiers<br />

d’école de mes enfants qui sont au primaire, de la maternelle<br />

à la huitième. Ils ont déjà dessiné, laissé une écriture.<br />

Moi, j’y ajoute la mienne, en dessinant exclusivement<br />

au bic, et je propose ainsi une autre lecture. C’est ça ma<br />

démarche. Parfois, j’éclaire une petite zone spécifique avec<br />

mon téléphone portable pour pouvoir me concentrer et<br />

dessiner très finement. Je les appelle ‘’Mes nuits insomniaques<br />

et quelques jours d’errances’’ ou encore ‘’Mes<br />

insomniaques et nuits nomades’’. J’en ai déjà une quarantaine.<br />

Mon projet : en faire 100 et les exposer côte à côte.<br />

Ce sera en quelque sorte ‘’<strong>Le</strong> mur de l’insomnie’’.<br />

Ce qui est présenté dans cette exposition d’octobre 2017, à<br />

la Galerie Vallois du 41 rue de Seine, c’est une partie de ce<br />

‘’Mur de l’insomnie’’, une rêverie à la fois onirique et poétique,<br />

certainement plus qu‘un brin énigmatique, où ses dessins<br />

se construisent parfois autour de ceux de ses enfants,<br />

où son écriture se mêle à la leur. En tout cas une œuvre très<br />

personnelle qui a fait l’objet d’une grande exposition de<br />

plus de trois mois à l’Institut Français de Cotonou à partir<br />

de juin 2017. Une exposition où, cette fois, furent présentés<br />

80 dessins du projet de Makef ainsi que 14 œuvres en couleurs<br />

– peintures acryliques sur toile, de plus grand format.<br />

Au-delà de la qualité de ses dessins d’une grande finesse,<br />

Makef apporte une importante contribution à la scène<br />

artistique béninoise par l’originalité de son travail. Il est la<br />

preuve que dans ce domaine des arts plastiques le Bénin<br />

est d’une étonnante diversité. Dans ce petit pays, il n’y a<br />

pas d’école d’arts, les artistes sont autodidactes. Mais cette<br />

absence d’école d’arts, que l’on pourrait au premier abord<br />

regretter, n’explique-t-elle pas que les artistes, échappant<br />

au risque difficilement évitable du formatage, plus libres<br />

dans leurs approches, produisent des œuvres extrêmement<br />

originales, surprenantes, qui retiennent de plus en plus<br />

l’attention des amateurs d’art contemporain, des critiques<br />

d’art, des collectionneurs, sur la scène internationale ? Et le<br />

travail de Makef contribue, avec talent, à la riche diversité<br />

des arts plastiques au Bénin.<br />

L’art, c’est le langage que tout le monde comprend. Même<br />

si je ne suis pas présent, quelqu’un peut voir un de mes dessins<br />

ou une toile, très loin, même aux Etats Unis et partager<br />

l’émotion avec moi. Et c’est aussi ce qui reste quand on<br />

a tout perdu.<br />

Depuis 7 ans, Makef a exposé à de nombreuses reprises au<br />

Bénin et en France. ■<br />

André Jolly<br />

Pour le bien de la société, 2014. Stylo à bille sur cahier d'écolier, 28,5 x 23 cm.<br />

C.B. : Picasso disait avoir mis toute (s)a vie à savoir<br />

dessiner comme un enfant, est-ce que tu penses qu’il<br />

est nécessaire de conserver sa part d’enfance dans la<br />

pratique artistique ?<br />

M. : Je pense que c’est par l’innocence dans la création<br />

artistique qu’on se révèle. <strong>Le</strong>s enfants sont perméables,<br />

ce qui sort d’eux est un point de départ pour quelque<br />

chose de beaucoup plus grand. Moi, ça me ramène à ma<br />

propre enfance et innocence.<br />

C.B. : Est-ce que c’est une manière de dédier tes créations<br />

à tes enfants ? Une façon de transmettre ton<br />

œuvre aux générations futures ?<br />

M. : Je ne fais pas spécialement mes dessins pour mes<br />

enfants, mais pour tout le monde. J’espère que la génération<br />

future pourra en tirer des enseignements. Je per-<br />

M. : C’est la sensation de quelqu’un qui se vide d’un<br />

trop-plein d’énergie, de sentiments.<br />

C.B. : Tu ne travailles que la nuit ? Ce n’est pas une<br />

souffrance d’être insomniaque ?<br />

M. : Oui, je travaille presque exclusivement la nuit, mais<br />

il peut m’arriver de terminer un dessin dans la journée.<br />

Avec la seule lumière de mon téléphone portable, je<br />

me concentre mieux sur les détails. Mes peintures, par<br />

contre, c’est dans la journée. Mais la nuit, on a la sensation<br />

d’être seul au monde. Tout est calme. On est en<br />

accord avec le cosmos. Ça facilite la libération des énergies.<br />

Je suis réellement insomniaque mais ce n’est pas<br />

une souffrance pour moi.<br />

C.B. : C’est une sorte de journal intime, cette série ?<br />

M. : C’est effectivement une série plus intime, plus<br />

personnelle peut-être que mes peintures en couleurs<br />

acryliques. Cette série, c’est une autre partie de moi qui<br />

dénote le besoin d’aller au-delà de ce que je faisais.<br />

C.B. : Quelles sont tes sujets d’inspiration ? Tout, j’ai<br />

l’impression… ?<br />

M. : Ma démarche part de l’homme, l’être humain. Il est<br />

toujours présent dans mes créations. Je le vois masqué<br />

et j’essaie d’aller voir derrière les masques pour trouver<br />

la personnalité qui se cache derrière l’apparence de<br />

chacun.<br />

C.B. : La spiritualité, le Vodoun, la religion sont très<br />

présents dans ton œuvre, c’est un reflet de la société ou<br />

c’est quelque chose qui est aussi important dans ta vie<br />

personnelle ?<br />

M. : La spiritualité, c’est un reflet de la société. L’ar-<br />

p. 56<br />

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