Au Cameroun la fréquence des grossesses précoces donne le tournis. Les conséquences sur la santé de la mère et celle de l‘enfant n‘ont pas freiné la croissance des chiffres. Les jeunes de 15 à 19 ans contribuent à 12,4% à l‘indice synthétique de fécondité, selon EDS-MICS en 2<strong>01</strong>1. De sexualité on ne parle pas ouvertement, la maman nous dira qu‘elle avait interdit à sa fille de „jouer“ avec les garçons. La société a pesé de son poids et a éduqué Lydie en lieu et place de la famille. Cette innocence précocement perdue du fait de l‘ignorance devient alors le problème de tous. Tous ceux qui ont failli. Les ordonnances médicales sont interminables, les examens prénataux coûtent, la bonne nutrition et la préparation du trousseau sont des réalités à affronter. Interpellée, la famille du futur papa dit ne pas être prête à assumer cette responsabilité. La famille Nanganga doit alors se mobiliser. Les frères aînés se livrent à la pratique des petits boulots après le campus, le père hypothèque ses pieds de cacao, la mère suspend ses activités champêtres et assiste sa fille au quotidien. La cohésion de la grande famille n‘est pas en danger, mais les chances de réussite des cadets sont désormais limitées Lydie, l‘histoire d‘une innocence ignorance C‘est au Cameroun, dans le département de la Lékié, arrondissement d‘Elig Nfomo, dans le petit village Bodo que nous sommes allés à la rencontre de la famille Nanganga où vit une adolescente, Lydie, brave et déterminée. Lydie Ngono est la 3 eme née d‘une famille de cinq enfants. A l‘allure timide, plutôt frêle, elle nous accueille avec le sourire. Il est rare que des visiteurs viennent par là. Très vite, la grande famille est regroupée et les présentations sont faites. Joseph Nanganga, le père de Lydie et son épouse nous installent sur les tabourets de fortune dans cette modeste demeure faite de terre battue et de bambous. Les sourires bienveillants nous rassurent, même si les regards dubitatifs nous scrutent. Après les formalités d‘usage, comme il est de coutume dans la région du Centre au Cameroun, le chef de famille nous invite à faire notre travail. Lydie peut alors nous raconter l‘histoire de sa vie, son histoire. Le regard des autres, la pression sociale, les idées préconçues... La liste aurait pu être plus longue pour justifier le choix qu‘a fait Lydie il y a pratiquement deux ans, lorsque, huée par les coépouses de sa mère, elle décide de tomber enceinte. La pression sociale la considérait comme une incapable, simplement parce qu‘à 15 ans elle était en classe de 3 eme , vierge, et donc sans enfants. Ici, une jeune fille qui se respecte prouve de quoi elle est capable. Il faut dire que dans cette région du Cameroun, et dans les zones reculées, une adolescente non active sexuellement pourrait être un sujet de raillerie. Lydie en a fait les frais. Dans un sursaut d‘orgueil, l‘adolescente envisage de corriger son image et d‘intégrer la longue liste des fillesmères de son village. Elle accepte les avances de son camarade de classe et d‘âge, elle entretient son premier rapport sexuel à l‘âge de 15 ans, sans protection, sans sensibilisation. Malaises, faim, angoisse, transformation du corps s‘en suivent rapidement. Cette grossesse dissimulée aux parents commence à se faire voir, l‘entourage jase et les frères aînés sont stupéfaits. Comment est-ce que leur sœur cadette a pu tomber dans ce piège? Ils l‘avaient crue à l‘abri. C‘était surestimer l‘implication de la mère dans l‘éducation sexuelle de sa fille. C‘était aussi transposer leurs connaissances vers la cadette, car ces universitaires sont bien placés pour savoir qu‘une femme qui veut „aller loin“ doit s‘éloigner des grossesses précoces. Née le 12 Octobre 1999, c‘est à 16 ans, le 22 Janvier 2<strong>01</strong>5 que Lydie met au monde ses trois enfants. Joseph Alvine, Marie Noëlle Kevin et Marie Aline viennent au monde. Deux filles et un garçon. Moins de 2,500 kg à la naissance. De ce premier et unique rapport sexuel, trois bébés sont nés. Les neuf mois qu‘a duré la grossesse ont été interminables. La jeune fille peut alors réaliser les conséquences de son acte. Le grand-père est fièr de ses petits enfants Plus question d‘aller à l‘école, toute la famille doit se réorganiser pour attendre cet accouchement. L‘imprévisible survient alors. C‘est a sept mois de grossesse que l‘échographie révèle une grossesse gémellaire. Plutôt qu‘un enfant, trois bébés vont faire leur arrivée dans cette famille plutôt sans histoire par le passé. Abasourdis par la nouvelle, les oncles et tantes, cousines et cousins se mobilisent. Comment pourra-t-on nourrir trois enfants à la fois lorsque pour un déjà, les choses ne sont pas faciles. Comment retourner à l‘école lorsqu‘on va être mère de trois bébés à 16 ans, comment solliciter une aide-ménagère quand on n‘a pas la ressource financière pour payer? Tous ces questionnements se bousculent désormais dans l‘esprit de Lydie et les siens. Des tentatives de demande de soutien se font alors nombreuses et infructueuses, puis ce qui devait arriver arriva. Les enfants sont nés. Alvine, Kevin et Aline arrivent par césarienne. L‘étroitesse du bassin de l‘adolescente n‘a pas favorisé leur naissance par voie basse. Passé le traumatisme de l‘enfantement, la jeune fille frêle, le regard Franc, le grand frère de Lydie, étudiant à Yaoundé, se retrouve avec une grande responsabilité: encadrer toute la famille hagard se demande ce que lui réserve l‘avenir. L‘avenir, elle ne le peint plus en rose, s‘imaginant se pavanant avec un enfant à son bras. Désormais ce sont des nuits sans sommeil, des difficultés à nourrir les enfants et le rêve brisé de poursuivre les études. Si les parents affirment n‘avoir aucun regret, fiers de voir leurs petits-enfants effectuer des pas encores hésitants, malgré Lydie, une fille gentile et intelligente a quitté l‘école à 16 ans, elle n‘a qu‘une très petite lueur d‘espoir d‘y retourner un jour la précarité de la vie, Ngono Lydie aime ses enfants, n‘évoque pas beaucoup leur géniteur mais éprouve quelques fois des regrets. Elle affirme s‘en vouloir lorsqu‘ils sont malades ou affamés. Elle regrette aussi de ne plus pouvoir aller à l‘école. Elle caresse le rêve de devenir docteur en médecine un jour, si la vie lui offre l‘opportunité. Pour ce qui est de l‘avenir de ses enfants, elle n‘y songe pas encore, trop occupée à penser au sien. Les frères aînés et les parents ont entrepris des démarches dans le sens de soutenir la jeune fille. Ils comptent sur la compassion de plusieurs pour les aider à encadrer cette nombreuse progéniture et le dernier né de la famille qui est un handicapé moteur. Chaque jour qui passe met chaque acteur face à ses responsabilités et Lydie davantage. Son conseil aux filles de son âge est celui de ne pas suivre son exemple. “Il n‘est pas question d‘aller vite en besogne“ conclut-elle en faisant la moue. Joseph Alvine au milieu de ses deux sœurs Marie Noëlle Kevin et Marie Aline E.M.M. SANTE Repro | No 1 | Mai 2<strong>01</strong>6 4 5 SANTE Repro | No 1 | Mai 2<strong>01</strong>6