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Surdité et santé

«Un manque de communication peut être fatal aux personnes sourdes» Les personnes sourdes désavantagées dans nos systèmes d’éducation et de formation

«Un manque de communication peut être fatal aux
personnes sourdes»
Les personnes sourdes désavantagées dans nos systèmes d’éducation et de formation

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<strong>Surdité</strong> <strong>et</strong> <strong>santé</strong><br />

Chercheuse clinicienne sourde: Dr Tatjana Binggeli


«Un manque de communication peut être fatal aux<br />

personnes sourdes»<br />

Les personnes sourdes désavantagées dans nos systèmes d’éducation <strong>et</strong> de formation<br />

Dr. Tatjana Binggeli<br />

Dr Tatjana Binggeli est membre du comité directeur depuis 2012<br />

<strong>et</strong> présidente de la Fédération Suisse des Sourds SGB-FSS depuis<br />

2017. Mariée <strong>et</strong> mère de deux enfants, elle vit en Argovie. Elle a grandi<br />

au sein d’une famille entendante <strong>et</strong> son mari est sourd. Dr. Tatjana<br />

Binggeli travaille depuis près de 20 ans dans le domaine de la <strong>santé</strong>,<br />

elle est actuellement médecin scientifique dans la recherche<br />

clinique.<br />

> Le Dr. Tatjana Binggeli lutte en tant que scientifique<br />

<strong>et</strong> au sein du comité directeur de la Fédération Suisse<br />

des Sourds en faveur d’un meilleur accès des personnes<br />

sourdes au système de <strong>santé</strong>. Car «les personnes sourdes<br />

sont souvent en moins bonne <strong>santé</strong> que les personnes<br />

entendantes. Et elles reçoivent fréquemment des traitements<br />

erronés.»<br />

Tatjana Binggeli, ce constat peut surprendre<br />

les personnes entendantes: les<br />

personnes sourdes ne disposent-elles<br />

pas exactement du même système de<br />

<strong>santé</strong> que les autres?<br />

Le thème de la <strong>santé</strong> est lié à celui de<br />

l’éducation <strong>et</strong> de la communication. En<br />

comparaison au reste de la population,<br />

les personnes sourdes ont souvent, en<br />

dépit d’un degré d’intelligence analogue,<br />

un statut socioéconomique inférieur <strong>et</strong> un<br />

niveau de formation plus bas. Ceci provient<br />

des barrières qui subsistent dans<br />

notre système d’éducation. L’accès à des<br />

informations en langue des signes ou à des<br />

vidéos didactiques sous-titrées est limité.<br />

En tant que minorité linguistique <strong>et</strong> culturelle,<br />

les personnes sourdes subissent une<br />

forte inégalité dans ce domaine.<br />

Quelles en sont les conséquences sur<br />

leur <strong>santé</strong>?<br />

Les personnes sourdes sont souvent en<br />

moins bonne <strong>santé</strong> que les personnes<br />

entendantes. Et elles reçoivent souvent<br />

des traitements erronés en raison d’un<br />

dysfonctionnement de la communication<br />

avec les médecins. En partie d’ailleurs<br />

avec de graves conséquences. Un manque<br />

de communication peut en eff<strong>et</strong> s’avérer<br />

fatal. Sans compter qu’il est souvent difficile,<br />

même pour les entendants, de comprendre<br />

des explications médicales. Celui<br />

qui n’entend pas ou très peu tente de lire<br />

sur les lèvres <strong>et</strong> saisit ainsi environ 30 %<br />

de ce qui est dit. Nombreuses sont les<br />

personnes concernées qui font semblant<br />

de comprendre, peut-être par honte ou par<br />

manque d’alternative. Force est de constater<br />

que les spécialistes du domaine médical<br />

en Suisse ont une connaissance limitée<br />

du handicap auditif <strong>et</strong> de la surdité; ils ne<br />

connaissent ni les besoins spécifiques ni<br />

les dispositions légales. Mais les soins de<br />

<strong>santé</strong> sont tout sauf exempts de barrières.<br />

Que voulez-vous dire?<br />

Nous savons que les personnes sourdes<br />

sont mal informées – en raison des barrières<br />

qui subsistent. Alors que 90% de<br />

la population connaît les symptômes d’un<br />

infarctus, 50% seulement des personnes<br />

sourdes en ont connaissance. Comparativement,<br />

celles-ci sont aussi plus souvent<br />

concernées par des troubles psychosociaux;<br />

or, les éléments diagnostiques <strong>et</strong><br />

thérapeutiques essentiels reposent sur la<br />

langue parlée. Un besoin important en<br />

soins psychosociaux spécialisés pour les<br />

personnes sourdes est donc avéré. Dans<br />

de nombreux domaines, il manque également<br />

la base scientifique pour des diagnostics<br />

qui prennent en compte leurs<br />

besoins spécifiques, notamment pour les<br />

patients souffrant de démence.<br />

«Les spécialistes m’ont<br />

souvent mis les bâtons dans<br />

les roues, en raison des<br />

préjugés envers les<br />

personnes sourdes.»<br />

teur de la <strong>santé</strong>. Il faut donc exhorter les<br />

prestataires à ne pas simplement accepter<br />

les désavantages, mais à s’adresser directement<br />

aux organisations de personnes handicapées.<br />

On devrait trouver dans chaque<br />

hôpital un centre d’écoute neutre géré par<br />

des représentants des personnes handicapées.<br />

Il faut aussi davantage d’interprètes<br />

en langue des signes qui soient financés<br />

par les pouvoirs publics. La langue des<br />

signes a fait l’obj<strong>et</strong> de recherches, elle est<br />

reconnue au niveau linguistique; c’est une<br />

langue à part entière <strong>et</strong> à valeur égale.<br />

Elle continue cependant d’être considérée<br />

comme une sorte de moyen auxiliaire à<br />

la communication. Là aussi, il y a encore<br />

beaucoup à expliquer. Et les personnes<br />

concernées doivent trouver le courage de<br />

s’engager pour elles-mêmes, faute de quoi<br />

les problèmes récurrents de communication<br />

ne seront pas résolus, entraînant de<br />

graves conséquences. Par ailleurs, il est<br />

urgent d’engager davantage de personnes<br />

concernées dans les domaines de la médecine<br />

<strong>et</strong> de la psychiatrie ambulatoire <strong>et</strong><br />

Comment peut-on y remédier?<br />

Une compréhension mutuelle est nécessaire<br />

aux niveaux culturel, linguistique <strong>et</strong><br />

visuel. Des services publics fondamentaux<br />

font défaut. Les bases légales en Suisse<br />

sont bonnes, mais leur mise en pratique<br />

est encore tout à fait insuffisante. De nombreux<br />

pays disposent d’un représentant<br />

des personnes handicapées dans le secde<br />

disposer de cliniques, institutions <strong>et</strong><br />

ambulances sans barrières.<br />

Comment voulez-vous agir?<br />

Nous devons développer des réseaux locaux<br />

<strong>et</strong> promouvoir la collaboration suprarégionale.<br />

Dans ce cadre, il est essentiel<br />

que les spécialistes sourds soient impliqués<br />

sur un pied d’égalité.<br />

Avez-vous aussi rencontré ces obstacles<br />

vous-même en tant que patiente?<br />

Bien sûr! Par exemple lorsque j’étais à l’hôpital<br />

pour la naissance de mes enfants, la<br />

question de la communication survenait à<br />

chaque changement d’équipe du personnel<br />

soignant. Mais j’ai aussi connaissance<br />

de rapports de personnes concernées<br />

même sur des situations discriminatoires<br />

<strong>et</strong> méprisantes.<br />

Comment en êtes-vous arrivée à étudier<br />

la médecine <strong>et</strong> rédiger une thèse<br />

de doctorat?<br />

Avec énormément d’engagement <strong>et</strong> le soutien<br />

moral de mes parents. J’ai su très tôt<br />

que je voulais étudier la médecine. Mon<br />

parcours professionnel n’a pas été de tout<br />

repos. Les spécialistes m’ont souvent mis<br />

les bâtons dans les roues, en raison des<br />

préjugés envers les personnes sourdes.<br />

J’ai décidé de devenir une experte afin de<br />

combattre ces préjugés. Cela ne va toujours<br />

pas de soi que des personnes sourdes<br />

font de hautes études. En Suisse, l’accès<br />

aux formations supérieures pour les personnes<br />

sourdes comporte des obstacles.<br />

Mon travail à la Fédération Suisse des<br />

Sourds consiste à faire tomber définitivement<br />

les barrières. À l’époque, j’étais seule;<br />

aujourd’hui je peux lutter pour tous au<br />

sein de la Fédération. J’ai rédigé ma thèse<br />

de doctorat pour les personnes sourdes<br />

<strong>et</strong> malentendantes, en leur nom. Il s’agit<br />

d’une preuve scientifique afin que nous<br />

soyons enfin pris au sérieux.


Salomé: «Je me sentais comme si la fin était proche»<br />

Quand les personnes sourdes doivent se rendre chez le médecin: trois femmes témoignent<br />

> Nombreuses sont les personnes<br />

sourdes qui vivent des expériences<br />

difficiles lorsqu’elles ou leurs<br />

enfants ont besoin d’un traitement<br />

médical. Le facteur décisif est la<br />

communication. Fabienne, Salomé <strong>et</strong><br />

Lise nous parlent de ce qu’elles ont<br />

vécu chez le pédiatre, le cardiologue<br />

<strong>et</strong> aux urgences.<br />

La p<strong>et</strong>ite Yenja a deux ans. Elle a souffert<br />

d’une otite. Ses parents sont sourds.<br />

Fabienne Lang, 33 ans, de Wangen-<br />

Dübendorf raconte.<br />

«Ma p<strong>et</strong>ite avait souvent de la fièvre.<br />

Les médecins ne prenaient pas le temps<br />

de donner des détails <strong>et</strong> parlaient souvent<br />

beaucoup trop vite. La langue des<br />

signes m’a vraiment manqué!» Pour finir,<br />

Fabienne Lang ne se rendait en consultation<br />

médicale qu’accompagnée de sa<br />

belle-mère entendante. Maintenant, elle<br />

en a assez <strong>et</strong> aimerait trouver un médecin<br />

qui a davantage d’expérience avec les personnes<br />

sourdes. «Nous avons besoin d’une<br />

communication claire» déclare Fabienne<br />

Lang. «Les médecins ne devraient pas<br />

seulement expliquer superficiellement ce<br />

qu’il manque à nos enfants! Nous voulons<br />

des informations aussi détaillées que<br />

celles que l’on donne aux entendants.»<br />

Fabienne, Yenja <strong>et</strong> Michael Lang: «La langue des signes nous manque chez le médecin.»<br />

Lise Léchot, 66 ans, de Malleray, Jura bernois,<br />

a vécu la même expérience. Elle est<br />

sourde, r<strong>et</strong>raitée, mariée, mère de deux<br />

enfants <strong>et</strong> deux fois grand-mère.<br />

Elle a dû notamment suivre un traitement<br />

pour des problèmes cardiaques. Après de<br />

nombreuses expériences négatives, elle a<br />

trouvé un cardiologue qui s’y prend bien:<br />

«Il parle lentement, articule bien <strong>et</strong> s’exprime<br />

de manière très claire. Par ailleurs,<br />

il m’a montré les radiographies sur écran<br />

en me donnant la possibilité de lui poser<br />

des questions. Cela m’a beaucoup soulagée.<br />

Maintenant, j’ai vraiment confiance<br />

en lui. Mais je dois dire que c’est très rare<br />

de trouver un médecin comme lui.»<br />

Salomé Gerber, 25 ans, de Bienne n’a pas<br />

eu autant de chance. Elle s’est rendue<br />

chez le médecin pour des maux de gorge.<br />

Il lui a donné des médicaments <strong>et</strong> l’a renvoyée<br />

chez elle. «Nous, les sourds, avons<br />

besoin d’informations détaillées. Je n’ai<br />

jamais eu l’impression que mon médecin<br />

ait été vraiment attentif à moi», explique<br />

Salomé Gerber. Parfois, elle essaie de<br />

communiquer par écrit avec son médecin.<br />

Les consultations sont la plupart du<br />

temps très brèves <strong>et</strong> les dialogues trop superficiels.<br />

Comme les maux de gorge de<br />

Salomé persistaient au bout de quelques<br />

jours, elle est r<strong>et</strong>ournée chez le médecin<br />

qui lui a donné d’autres médicaments.<br />

«Mais, je me sentais de plus en plus mal<br />

<strong>et</strong> j’ai dit à ma mère que j’irais volontiers<br />

à l’hôpital. Elle m’a tranquillisée car le<br />

médecin avait indiqué que ce n’était rien<br />

de grave.» Le lendemain, elle était couchée<br />

sur le sofa, apathique. Salomé: «Je<br />

me sentais comme si la fin était proche.<br />

Heureusement que mon frère est intervenu.<br />

Il a insisté pour qu’on m’emmène<br />

aux urgences!» C’est ce qui a sauvé la<br />

vie de Salomé. C’était une question de<br />

minutes. Immédiatement prise en charge<br />

aux soins intensifs, elle a pu être sauvée.<br />

Elle aurait pu mourir d’une amygdalite.<br />

«Ce fut un choc pour nous tous.» <<br />

Fédération Suisse des Sourds SGB-FSS Passage St-François 12, 1003 Lausanne<br />

T: 021 625 65 55 info-f@sgb-fss.ch www.fédération-sourds.ch

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