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Artension - Simone Pheulpin - Juillet 2018

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Portraits<br />

<strong>Simone</strong><br />

<strong>Pheulpin</strong><br />

Plier le temps<br />

De G. W. Leibniz à G. Deleuze, Les sculptures textiles de <strong>Simone</strong> <strong>Pheulpin</strong> auraient sans doute<br />

inspiré les philosophes du pli. Elles nous rappellent qu’autour de nous tout est ainsi : la montagne,<br />

la vague, l’écorce de l’arbre, la terre qui sèche et se fissure. Et que sous le pli peut se cacher<br />

bien des mystères, ceux de l’âme sans doute.<br />

Frédérique-Anne Oudin<br />

Au départ, il y a « une petite boule de matière qui<br />

permet de piquer la première épingle ». Ensuite<br />

« c’est un geste, une répétition », qui « pli sur<br />

pli, pli selon pli » comme l’écrit G. Deleuze (Le<br />

pli 1988) dirige le tissu et transforme une bande de coton<br />

écru en une sculpture, où l’abstraction vient nous dire toute<br />

l’harmonie de la nature et du vivant. Où le pli se cherche entre<br />

un classicisme grec que suggère l’écru de la matière et un<br />

baroque des formes.<br />

Le pli est pour <strong>Simone</strong> <strong>Pheulpin</strong> « l’unité de matière »<br />

(G. Deleuze), qui lui permet de retranscrire le monde. Sous<br />

ses doigts, le coton se déploie en éventail, se fait concrétion,<br />

strate géologique, se fissure, s’ouvre en corolle, s’enroule en<br />

cercle concentrique. Le pli vient dire la pierre, le fossile, la<br />

mousse de l’arbre ou ses cercles de croissance.<br />

Une éternité repliée sur elle-même<br />

© Sophie Bassouls<br />

Page suivante :<br />

Croissance II (détail)<br />

2007 – Tissu épinglé<br />

75 x 90 cm<br />

Comme le cerne de l’arbre marque une durée, le pli vient<br />

délimiter une portion de temps. Il en est une unité. « Je suis<br />

une plieuse de temps », s’amuse l’artiste, ajoutant que « c’est<br />

du temps dans le bon sens du terme ». Sans doute faudrait-il<br />

48 artension n°150<br />

<strong>Artension</strong> 150.indb 48 17/06/<strong>2018</strong> 18:12:56


<strong>Artension</strong> 150.indb 49 17/06/<strong>2018</strong> 18:12:59<br />

49


OÙ<br />

• Galerie Bocarra Design<br />

à Londres, « Masterpiece »<br />

jusqu’au 4 juillet<br />

• Domaine Chaumont-sur-<br />

Loire (41), « Arts et Nature<br />

<strong>2018</strong> » (collective) jusqu’au<br />

4 novembre<br />

• Fondation Villa Datris à<br />

L’Isle-sur-la-Sorgue (84),<br />

« Tissage, tressage : quand la<br />

sculpture défile » (collective)<br />

jusqu’au 1 er novembre<br />

• Galerie Gosserez à Londres,<br />

« PAD Londres » (collective)<br />

du 1 er au 7 octobre<br />

COMBIEN<br />

2 000 € à 60 000 €<br />

ici employer le pluriel, car ce sont de multiples temporalités<br />

que ses œuvres convoquent. À la portion de temps qui va d’un<br />

pli à un autre, répond le temps de l’artiste, un temps qui lui<br />

appartient et dont elle a la maîtrise. Elle le fait avancer à son<br />

rythme, jusqu’à ce qu’elle décide que « c’est bien comme<br />

cela ». La pièce achevée, nous voici face à la temporalité<br />

qu’elle évoque à travers une forme, végétale ou minérale. Ce<br />

temps-là n’est plus à mesure d’homme. C’est le temps de<br />

pousse d’un arbre, l’ère géologique, le temps des pierres :<br />

une éternité repliée sur elle-même.<br />

Une éclosion géante<br />

De son œuvre, S. <strong>Pheulpin</strong> dit qu’elle est « le fruit d’un heureux<br />

hasard » qui un jour lui fit enrouler et assembler le coton des<br />

Vosges, qu’elle utilisait jusqu’alors à des fins décoratives.<br />

Sur les circonstances entourant cette découverte, le mystère<br />

demeure. Mais c’est une éclosion XXL qui fait du professeur<br />

de tennis qu’elle fut une artiste aujourd’hui internationalement<br />

reconnue, et que l’artiste américaine Sheila Hicks aura<br />

contribué à faire découvrir.<br />

Autodidacte, S. <strong>Pheulpin</strong> travaille de manière intuitive, sans<br />

dessin ni étude préparatoire. « Je sais où je veux aller. Tout<br />

est déjà dans ma tête, très précisément », explique-t-elle.<br />

L’œuvre se construit dans un dialogue avec la matière : un<br />

calicot brut, encore rêche, qu’elle va devoir discipliner pour<br />

lui faire prendre le pli voulu. « Quand le tissu ne veut pas, je<br />

recommence, et quand je n’y arrive pas, cela m’exaspère »,<br />

s’amuse la créatrice, reconnaissant qu’elle n’est pas lassée<br />

et continue d’apprendre de ce coton non décati, qu’elle utilise<br />

depuis plus de trente ans.<br />

De ce blanc écru qui est la couleur naturelle du coton,<br />

S. <strong>Pheulpin</strong> dit qu’elle n’a « pas envie d’autre chose »,<br />

qu’elle aime la manière dont « la lumière vient jouer avec<br />

la matière », la tirant vers une minéralité qui du crayeux<br />

à l’ivoire fait hésiter l’œil sur la nature de ce qu’il voit. Au<br />

fil des heures, elle vient caresser les volumes, souligner<br />

la douceur d’un arrondi, accentuer les ombres. Elle finit<br />

par se perdre dans l’anfractuosité d’un pli, comme pour<br />

nous rappeler que tout objet possède sa part obscure, un<br />

envers qui échappe au regard.<br />

Une écriture mystérieuse<br />

Dans le pli est cachée l’épingle. S. <strong>Pheulpin</strong> en utilise des<br />

milliers. Elles seules tiennent ses sculptures. Les petites<br />

pointes de métal assemblent les plis et les courbes du<br />

labyrinthe de coton. Elles soutiennent l’œuvre, tout en<br />

suivant la tangente. L’épingle va toujours en ligne droite<br />

et inscrit son propre discours. C’est une écriture de l’intérieur<br />

qui n’est ni l’envers du pli, ni l’objet en creux mais<br />

un mouvement autre, né de la synergie de ces milliers<br />

d’épingles, une œuvre intangible, invisible, révélée à la<br />

faveur de radiographies que l’artiste a fait faire de ses<br />

œuvres. Elle vient nous dire que tout pli recèle un secret,<br />

que toute création relève d’un mouvement mystérieux à<br />

l’artiste même, et qui fait parfois dire à <strong>Simone</strong> <strong>Pheulpin</strong> :<br />

« je ne savais pas que je savais le faire ». <br />

Entrez dans la danse – 2000<br />

Tissu épinglé – 50 x 30 x 80 cm<br />

© Apollonia Robin<br />

1941 : Naissance à Nancy (54). 1987 : Participe à la 14 e Biennale internationale de la tapisserie à Lausanne (Suisse). 1989 : Participe à la Compétition internationale de tapisserie de<br />

Kyoto (Japon). 1992 : Premier prix de la 9 e Biennale internationale du textile miniature à Szombathely (Hongrie). 1995 : Les expositions se multiplient, au Danemark puis au Canada, Japon,<br />

Royaume-Uni, en Belgique, Pologne, Suisse, et France, aux États-Unis. 1999 : Participe au 44 e Salon de Montrouge (92). 2016 : Exposition galerie Collection à Paris. 2017 : grand prix de<br />

la création de la Ville de Paris.<br />

50 artension n°150<br />

<strong>Artension</strong> 150.indb 50 17/06/<strong>2018</strong> 18:13:01

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