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Recueil de textes à l’occasion de la commémoration de<br />
la loi 1905<br />
Cette loi a été votée après les grandes lois scolaires de la IIIème<br />
République. Elle est portée par la même volonté d'émancipation des<br />
esprits. L'école en effet enracine la pratique de la laïcité. La<br />
commémoration de la Loi de 1905 ainsi que la mise en œuvre d'une loi<br />
plus récente, la loi sur le port de signes ou de tenues manifestant une<br />
appartenance religieuse (loi du 15 mars 2004), a été l'occasion de faire<br />
comprendre aux élèves des écoles, des collèges et des lycées publics, la<br />
modernité du principe de la laïcité.<br />
loi de séparation des Églises et de l' État de 1905<br />
p. 1
Ferdinand Buisson, Article « Neutralité » du Nouveau Dictionnaire de<br />
pédagogie et d’instruction primaire, Hachette, 1911<br />
Quant à son tour Jules Ferry exposa au Parlement la théorie de la<br />
neutralité scolaire, il dit expressément à plusieurs reprises : « Nous<br />
n'avons promis ni la neutralité philosophique ni la neutralité politique ». Le<br />
bon sens en effet ne permet pas de concevoir une école qui, par définition,<br />
se proposerait la neutralité absolue, c'est-à-dire s'interdirait de parler. Car<br />
le langage le plus familier, celui que l'enfant doit apprendre pour<br />
comprendre tout le monde et en être compris, emploie constamment et<br />
couramment des mots qui supposent, si on les presse, certaines notions<br />
philosophiques et sociologiques. Dans le premier rapport qui ait été fait au<br />
Conseil supérieur sur le nouvel enseignement de la morale, M. Paul Janet<br />
réfutait déjà par l'absurde la prétention qu'il osait à peine prévoir : celle qui<br />
« de progrès en progrès et sous prétexte de neutralité, en viendrait à<br />
interdire d'enseigner le devoir, la famille, la propriété, la patrie ». Au point<br />
de vue proprement politique, Jules Ferry disait non moins<br />
catégoriquement, en parlant d'une école, d'un maître, d'un livre qui<br />
prétendrait « diffamer la Révolution française ou dénigrer la République »<br />
: « Jamais nous ne nous sommes engagés à les tolérer ». […]<br />
Pour l'Église, l'enseignement est neutre s'il s'abstient de tout ce qui<br />
pourrait, de près ou de loin, combattre ou contrarier non seulement le<br />
dogme catholique, mais les idées chères au catholicisme dans tous les<br />
ordres, notamment les opinions historiques relatives aux événements de<br />
toute nature où l'Église s'est trouvée mêlée.<br />
Du moment que l'enseignement tendrait à faire aimer ce que n'aime pas<br />
l'Église, par exemple la liberté de conscience, à faire approuver les lois<br />
qu'elle désapprouve, telles que le mariage civil, le divorce, toutes les lois<br />
de laïcité dans tous les domaines, à faire accepter les institutions du<br />
monde moderne et les tendances qu'elle résume, avec colère et dédain,<br />
sous le nom de « libéralisme », cet enseignement n'est pas neutre à ses<br />
yeux, il est hostile, il est pour elle une offense et une attaque d'autant plus<br />
dangereuse que la forme en sera plus modérée.<br />
Pour l'État, au contraire, l'enseignement sera neutre s'il s'abstient de toute<br />
incursion dans le domaine des croyances religieuses, s'il se garde<br />
également de plaider pour ou contre aucune d'elles, s'il évite toute allure<br />
de propagande agressive ou de prosélytisme soit confessionnel, soit<br />
anticonfessionnel. Mais il doit affirmer les vérités scientifiques sans se<br />
mettre en peine de savoir si l'Église les a condamnées, les vérités<br />
historiques sans se préoccuper de les faire tourner invariablement à<br />
l'honneur du Vatican, les vérités politiques et sociales, essence de la<br />
démocratie, sans se soucier de les mettre d'accord avec la politique<br />
passée ou présente du parti catholique.<br />
p. 2
Régis Debray, Allons aux faits, Gallimard, 2016, pp 253-254<br />
« Dans le vis-à-vis des Églises et de l’État, reconnaissons que ce dernier<br />
est le pôle faible, sa force physique étant sans métaphysique. L’Église a<br />
la fontaine de vie, l’État, la maréchaussée et la Sécu. L’Église m’indique<br />
la voie à suivre pour ne pas finir en enfer, la République, les règles à<br />
respecter pour ne pas finir en prison. Sous l’angle des rétributions<br />
auxquelles on peut s’attendre, la loi contre la foi, comme l’amnistie contre<br />
le pardon, ou le péché contre le délit, c’est pot de terre contre pot de fer.<br />
L’offre laïque qui est la paix civile ici-bas est sans doute modeste à côtés<br />
des houris paradisiaques et de la félicité éternelle, mais l’échange d’un icibas<br />
vivable contre un au-delà des plus hypothétiques, après tout, ce n’est<br />
pas un marché de dupes. Le pis-aller n’étanche peut-être pas notre soif<br />
de plénitude, mais, comme on dit, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.<br />
Il y a de la grandeur dans ce pari sur nos forces propres. Un vrai<br />
challenge, puisqu’il faut parler franglais. Un laïque considère qu’une<br />
société sans dogme ni Prophète ni Messie n’est pas condamnée à<br />
l‘angoisse du vide ni à l’anorexie et qu’il incombe au libre arbitre de<br />
chacun, avec les moyens du bord, de faire son plein d’imaginaire et de<br />
fins ultimes. Un régime laïque dessine un entre-nous où chaque moi-je<br />
peut choisir son horizon de sens. Choisir la folie qui lui permettra de se<br />
dépasser, si l’on admet, avec La Rochefoucauld, que celui « qui vit sans<br />
folie n’est pas si sage qu’on croit ». C’est mettre, en fin de compte, la<br />
transcendance en autogestion. Un pari optimiste sur l’aptitude des<br />
individus à déroger au triste principe de précaution pour les emportements<br />
fraternels qui lui conviennent le mieux. C’est un humanisme ambitieux, un<br />
idéal difficile a atteindre, mais je n’en vois pas, pour ma part, de plus<br />
respectable.<br />
Si là est notre ultime ligne de défense, veillons à ne pas en faire une<br />
ligne Maginot version 1940 mais plutôt, pour suivre la métaphore, ce que<br />
fut la Marne en 1914 : le début d’une reconquête. »<br />
p. 3
Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset, 1998, pp 54-57<br />
« Avant de devenir un immigré on est un émigré ; avant d’arriver dans un<br />
pays, on a du en quitter un autre, et les sentiments d’une personne envers<br />
la terre qu’elle a quittée ne sont jamais simples. Si l’on est parti c’est qu’il<br />
y a des choses que l’on a rejetées, la répression, l’insécurité, a pauvreté,<br />
l’absence d’horizon. Mais il est fréquent que ce rejet s’accompagne d’un<br />
sentiment de culpabilité. Il y a des proches que l’on s’en veut d’avoir<br />
abandonnés, une maison où l’on a grandi, tant et tant de souvenirs<br />
agréables. Il y a aussi des attaches qui persistent, celles de la langue ou<br />
de la religion, et aussi la musique, les compagnons, les fêtes, la cuisine.<br />
Parallèlement, les sentiments que l’on éprouve envers le pays d’accueil<br />
ne sont pas moins ambigus. Si l’on y est venu, c’est parce qu’on y espère<br />
une vie meilleure pour soi-même et pour les siens ; mais cette attente se<br />
double d’une appréhension face à l’inconnu – d’autant qu’on se trouve<br />
dans un rapport de forces défavorable ; on redoute d’être rejeté, humilié,<br />
on est à l’affut de toute attitude dénotant le mépris, l’ironie ou la pitié.<br />
Le premier réflexe n’est pas d’afficher sa différence, mais de passer<br />
inaperçu. Le rêve secret de la plupart des migrants, c’est qu’on les prenne<br />
pour des enfants du pays. Leur tentation initiale, c’est d’imiter leurs hôtes,<br />
et quelquefois ils y parviennent. Le plus souvent ils n’y parviennent pas.<br />
Ils n’ont pas le bon accent, ni la bonne nuance de couleur, ni le nom ni le<br />
prénom ni les papiers qu’il faudrait, leur stratagème est très vite éventé.<br />
Beaucoup savent que ce n’est même pas la peine d’essayer et se<br />
montrent alors, par fierté, par bravade, plus différents qu’ils ne le sont.<br />
Certains même –faut-il le rappeler ? – vont bien plus loin encore, leur<br />
frustration débouche sur une contestation brutale.<br />
Si je m'attarde ainsi sur les états d'âme du migrant, ce n'est pas seulement<br />
parce qu'à titre personnel ce dilemme m'est familier. C'est aussi parce<br />
qu'en ce domaine, plus que dans d'autres, les tensions identitaires<br />
peuvent conduire aux dérapages les plus meurtriers.<br />
Dans les nombreux pays où se côtoient aujourd'hui une population<br />
autochtone, porteuse de la culture locale, et une autre population, plus<br />
récemment arrivée, qui porte des traditions différentes, des tensions se<br />
manifestent, qui pèsent sur les comportements de chacun, sur<br />
l'atmosphère sociale, sur le débat politique. Il est d'autant plus<br />
indispensable de poser sur ces questions si passionnelles un regard de<br />
sagesse et de sérénité.<br />
p. 4
La sagesse est un chemin de crête, la voie étroite entre deux précipices,<br />
entre deux conceptions extrêmes. En matière d'immigration, la première<br />
de ces conceptions extrêmes est celle qui considère le pays d'accueil<br />
comme une page blanche où chacun pourrait écrire ce qu'il lui plaît, ou,<br />
pire, comme un terrain vague où chacun pourrait s'installer avec armes et<br />
bagages, sans rien changer à ses gestes ni à ses habitudes.<br />
L'autre conception extrême est celle qui considère le pays d'accueil<br />
comme une page déjà écrite et imprimée, comme une terre dont les lois,<br />
les valeurs, les croyances, les caractéristiques culturelles et humaines<br />
auraient déjà été fixées une fois pour toutes, les immigrants n'ayant plus<br />
qu'à s'y conformer. Les deux conceptions me paraissent également<br />
irréalistes, stériles et nuisibles. Les aurais-je représentées de manière<br />
caricaturale ? Je ne le crois pas, hélas. D'ailleurs, à supposer même que<br />
je l'aie fait, il n'est pas inutile de brosser des caricatures, elles permettent<br />
a chacun de mesurer l'absurdité de sa position si elle était poussée jusqu'à<br />
sa conséquence ultime; quelques-uns continueront à s'entêter, tandis que<br />
les hommes de bon sens avanceront d'un pas vers l'évident terrain<br />
d'entente, à savoir que le pays d'accueil n'est ni une page blanche, ni une<br />
page achevée, c'est une page en train de s'écrire. »<br />
p. 5
Charles Taylor et Jocelyn Mac Lure, Laïcité et liberté de conscience, La<br />
découverte, 2010, p.21-22 et p.31<br />
« c'est en se donnant des valeurs, en les hiérarchisant ou en les conciliant<br />
et en précisant les projets qui en découlent que les êtres humains arrivent<br />
à structurer leur existence, à exercer leur jugement et à guider la conduite<br />
– bref, à se constituer une identité morale.<br />
[…] Or, dans une société où il n'y a pas de consensus sur les convictions<br />
fondamentales, l'État doit éviter de hiérarchiser les conceptions du monde<br />
et de la vie bonne qui motivent l'adhésion des citoyens aux principes de<br />
base de leur association politique. Dans le domaine des convictions et des<br />
engagements fondamentaux, l'État pour être véritablement l'État de tout le<br />
monde, doit rester « neutre ». Cela implique que l'État adopte une position<br />
de neutralité non seulement envers les religions, mais aussi envers les<br />
différentes conceptions philosophiques qui se présentent comme les<br />
équivalents séculiers des religions. En effet, un régime qui remplace, au<br />
fondement de son action, la religion par une philosophie séculière<br />
totalisante fait de tous les fidèles d'une religion des citoyens de second<br />
rang, puisqu'ils n'épousent pas les raisons et les évaluations enchâssées<br />
dans la philosophie officiellement reconnue. »<br />
« Se montrant « agnostique » sur la question des finalités de l'existence<br />
humaine, l'État laïque reconnaît la souveraineté de la personne quant<br />
à ses choix de conscience. Les conceptions du monde et du bien ont été<br />
historiquement l'objet de désaccords profonds, et rien ne laisse envisager<br />
une modification de cette donnée structurante de la vie moderne. (…) Rien<br />
ne nous permet de croire que la raison pratique ait la capacité de statuer<br />
sur la question des finalités ultimes de l'existence. Plutôt que de dicter une<br />
conception du monde et du bien aux individus, l'État laïc respecte leur<br />
liberté de conscience de leur autonomie morale, à savoir leur droit de mener<br />
leur vie à la lumière de leur propre choix de conscience. »<br />
p. 6
Catherine Kintzler, La République en question, Minerve, 1996, p. 83-88<br />
La construction du concept de laïcité scolaire suppose qu'on s'efforce de<br />
répondre à la question: pourquoi l'école devrait-elle être soustraite à la<br />
société civile? Il existe des réponses juridiques, mais elles demeurent<br />
partielles ; la réponse la plus fondamentale ne l'est pas.<br />
Voyons d'abord les raisons juridiques. La première, c'est que l'école est<br />
obligatoire. Or les élèves qui fréquentent l'école publique n'ont pas choisi<br />
leurs camarades, et c'est d'ailleurs à ce titre que l'école est un lieu<br />
d'intégration et d'égalité. Tolérer une manifestation religieuse de la part<br />
des uns, c'est l'imposer aux autres qui ne peuvent s'y soustraire. Quand<br />
quelqu'un arbore dans la rue ou dans le métro un signe religieux que je<br />
désavoue, cela ne peut me gêner en aucune manière : personne ne<br />
m'oblige à rester là. Mais les élèves sont astreints à la coprésence; ou<br />
alors, il faudrait mettre ensemble ceux qui portent une croix et les séparer,<br />
faire la même chose avec ceux qui portent une kippa, avec celles qui<br />
portent un voile, etc. Outre qu'on n'en aurait jamais fini, outre que cela<br />
revient à rejeter totalement celui qui n'affiche aucune croyance, cela porte<br />
un nom: la ségrégation. Ce serait transformer l'école publique en une<br />
multitude d'écoles privées particularistes, fondées sur le principe de la<br />
séparation entre les communautés. Donc, pour que personne ne puisse<br />
se plaindre d'avoir été contraint de subir une manifestation qu'il<br />
désapprouve, et pour qu'il n'y ait aucune ségrégation, il faut interdire le<br />
port des signes d'appartenance politique et religieuse à l'école publique.<br />
La seconde raison juridique est que les élèves, pour la plupart, sont des<br />
mineurs, et que leur jugement n'est pas formé. Ceux qui prétendent qu'ils<br />
doivent bénéficier de la liberté dont jouissent les citoyens avancent une<br />
monstruosité. Ils supposent en effet que les élèves disposent d'une<br />
autonomie qu'ils n'ont pas encore conquise : on devrait donc leur assener<br />
le poids de la liberté avant de leur en avoir donné la maîtrise, en supposant<br />
qu'ils trouvent spontanément en eux la force suffisante pour préserver<br />
cette autonomie. Faire défiler les groupes de pression devant les élèves<br />
(car c'est à cela que se réduit la « nouvelle laïcité ouverte» : on présente<br />
des « opinions » et l'on dit ensuite, débrouillez-vous, nous, nous restons<br />
«pluralistes », Darwin contre la Bible, par exemple, à vous de juger...),<br />
c'est se tromper sur la liberté de l'enfant, car la liberté dépend de la<br />
puissance de chacun à se préserver de l'oppression et de l'aveuglement.<br />
Aucun homme de bon sens ne songerait à demander à un enfant une<br />
tâche au-dessus de ses forces: c'est pourtant ce que font les tenants de<br />
la «laïcité ouverte» - les mêmes se plaignent, par ailleurs, des<br />
programmes surchargés.<br />
p. 7
Mais ce n'est pas seulement pour des raisons juridiques que l'espace<br />
scolaire doit être soustrait à la société civile et à toutes ses fluctuations.<br />
L'école doit échapper à l'empire de l'opinion pour des raisons qui tiennent<br />
à sa nature essentielle, c'est-à-dire à ce qui s'y fait. Il faut donc en venir à<br />
la question du savoir: l'école a pour impératif de rester laïque et d'exiger<br />
la réserve de la part de tous ceux qui s'y trouvent en vertu de la nature<br />
même de ce qui s'y transmet et de ce qui s'y construit. L'examen de ce qui<br />
se fait à l'école renvoie non seulement à la question du savoir, mais aussi<br />
à celle de l'autorité. L'école est un espace où l'on s'instruit des raisons des<br />
choses, des raisons des discours, des raisons des actes et des raisons<br />
des pensées. On s'en instruit pour acquérir la force et la puissance, je<br />
veux dire celles qui permettent de se passer de guide et de maître. Du<br />
reste il n'y a de véritable force que celle-là qui me permet d'échapper à la<br />
dépendance. Et cela ne peut se faire qu'en se soustrayant d'abord aux<br />
forces qui font obstacle à cette conquête de l'autonomie. Il faut échapper<br />
à la force de l'opinion, échapper à la demande d'adaptation, échapper aux<br />
données sociales pour construire sa propre force. L'école n'a donc pas<br />
pour tâche première d'ouvrir l'enfant à un monde qui ne l'entoure que trop:<br />
elle doit lui découvrir ce que ce monde lui cache. Il ne s'agit pas d'adapter,<br />
ni d'épanouir, mais d'émanciper. De plus, l'école doit offrir à tout enfant le<br />
luxe d'une double vie: l'école à l'abri des parents, la maison à l'abri du<br />
maître.<br />
[...] L'enfant qui arrive à l'école ne sait pas lire, c'est une réalité sociale:<br />
faut-il renforcer cette réalité ou tendre à l'effacer? Donc la laïcité de l'école<br />
requiert des idées plus hautes qu'une simple forme juridique. Elle consiste<br />
à écarter tout ce qui est susceptible d'entraver le principe du libre examen,<br />
tout ce qui peut faire obstacle au sérieux de la libération par la pensée. Il<br />
est clair que celui qui arrive en déclarant ostensiblement, d'une manière<br />
ou d'une autre, qu'il n'y a pour lui qu'un livre, qu'une parole, et que le vrai<br />
est affaire de révélation, celui-là se retranche de facto d'un univers où il y<br />
a des livres, des paroles, d'un univers où le vrai est affaire d'examen, Il<br />
faut donc commencer par le libérer: qu'il renoue ensuite, s'il le souhaite,<br />
avec sa croyance, mais qu'il le fasse lui-même, par conclusion, et non par<br />
soumission. »<br />
p. 8
Paul Ricoeur, La critique et la conviction, Calmann-Lévy, 1995,<br />
p.194-195<br />
« il me semble qu'il y a dans la discussion publique une méconnaissance<br />
des différences entre deux usages du terme laïcité; sous le même mot<br />
sont désignées en effet deux pratiques fort différentes: la laïcité de l'État,<br />
d'une part; celle de la société civile, d'autre part. La première se définit par<br />
l'abstention. C'est l'un des articles de la Constitution française: l'État ne<br />
reconnaît, ni ne subventionne aucun culte. Il s'agit du négatif de la liberté<br />
religieuse dont le prix est que l'État, lui, n'a pas de religion. Cela va même<br />
plus loin, cela veut dire que l'État ne «pense» pas, qu'il n'est ni religieux<br />
ni athée; on est en présence d'un agnosticisme institutionnel. [...]<br />
De l'autre côté, il existe une laïcité dynamique, active, polémique, dont<br />
l'esprit est lié à celui de discussion publique. Dans une société pluraliste<br />
comme la nôtre, les opinions, les convictions, les professions de foi<br />
s'expriment et se publient librement. Ici, la laïcité me paraît être définie par<br />
la qualité de la discussion publique, c'est-à-dire par la reconnaissance<br />
mutuelle du droit de s'exprimer; mais, plus encore, par l'acceptabilité des<br />
arguments de l'autre. Je rattacherais volontiers cela à une notion<br />
développée récemment par Rawls: celle de «désaccord raisonnable ». Je<br />
pense qu'une société pluraliste repose non seulement sur le «consensus<br />
par recoupement », qui est nécessaire à la cohésion sociale, mais sur<br />
l'acceptation du fait qu'il y a des différends non solubles. II y a un art de<br />
traiter ceux-ci, par la reconnaissance du caractère raisonnable des partis<br />
en présence, de la dignité et du respect des points de vue opposés, de la<br />
plausibilité des arguments invoqués de part et d'autre. Dans cette<br />
perspective, le maximum de ce que j'ai à demander à autrui, ce n'est pas<br />
d'adhérer à ce que je crois vrai, mais de donner ses meilleurs<br />
arguments. »<br />
p. 9
Régis Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque.<br />
Odile Jacob, 2002, p.3 et 43<br />
« Apparent consensus. L’opinion française, dans sa majorité, approuve<br />
l’idée de renforcer l’étude du religieux dans l’École publique. Et pas<br />
seulement pour cause d’actualité traumatisante ou de mode intellectuelle.<br />
Dès les années 1980-1990, débouchant sur le rapport du recteur Joutard<br />
de 1989, les raisons de fond ont été maintes fois et sous divers angles<br />
développées qui militent, en profondeur, pour une approche raisonnée<br />
des religions comme faits de civilisation.<br />
Argumentaire connu. C’est la menace de plus en plus sensible d’une<br />
déshérence collective, d’une rupture des chaînons de la mémoire<br />
nationale et européenne où le maillon manquant de l’information<br />
religieuse rend strictement incompréhensibles, voire sans intérêt, les<br />
tympans de Chartres, la Crucifixion du Tintoret, le Don Juan de Mozart, le<br />
Booz endormi de Victor Hugo, et la Semaine Sainte d’Aragon. C’est<br />
l’aplatissement, l’affadissement du quotidien environnant dès lors que la<br />
Trinité n’est plus qu’une station de métro, les jours fériés, les vacances de<br />
Pentecôte et l’année sabbatique, un hasard du calendrier. C’est l’angoisse<br />
d’un démembrement communautaire des solidarités civiques, auquel ne<br />
contribue pas peu l’ignorance où nous sommes du passé et des croyances<br />
de l’autre, grosse de clichés et de préjugés. »<br />
« Le temps paraît maintenant venu du passage d’une laïcité<br />
d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une<br />
laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre). Tant il est<br />
vrai qu’il n’y a pas de tabou ni de zone interdite aux yeux d’un laïque.<br />
L’examen calme et méthodique du fait religieux, dans le refus de tout<br />
alignement confessionnel, ne serait-il pas en fin de compte, pour cette<br />
ascèse intellectuelle, la pierre de touche et l’épreuve de vérité ? »<br />
p. 10
Barrow et Milburn, article "Indoctrination", Critical Dictionary of<br />
Educational concepts, Teachers College Press, Columbia<br />
University, 1990 (trad. N. Baillargeon)<br />
Lorsque l'information n'est pas susceptible d'être prouvée de manière<br />
publiquement acceptable, comme on peut le dire de certaines assertions<br />
historiques et comme c'est incontestablement le cas de certaines<br />
religieuses, esthétiques ou morales, alors il ne convient pas de fermer<br />
l'esprit sur certaines croyances particulières. Dès lors, amener un individu<br />
à croire inconditionnellement en Dieu serait endoctriner. (Pour le dire plus<br />
formellement, cela revient à dire qu'endoctriner suppose qu'on induise une<br />
adhésion à des propositions indémontrables. D'autres iraient plus loin et<br />
suggéreraient un lien étymologique entre "endoctriner" et "doctrine" qui<br />
indiquerait que ce ne sont que des propositions qui appartiennent à un<br />
système doctrinaire qui peuvent faire l'objet d'un endoctrinement.)<br />
Un des problèmes auquel conduit cette façon de voir -selon laquelle<br />
endoctriner est simplement affaire de communication d'un certain<br />
contenu- est qu'il est difficile de dire clairement où commence et où finit<br />
ce type de contenu. Certains argueront que les propositions des sciences<br />
naturelles, souvent données comme le paradigme même de la vérité<br />
objective, ne sont pas aussi univoquement et sûrement connues qu'on ne<br />
le pense communément; d'une autre côté, certains soutiendront que des<br />
assertions concernant par exemple l'art ou la morale, peuvent être<br />
rationnellement démontrées. Ces considérations peuvent amener des<br />
commentateurs à arguer que ce qui compte c'est la méthode par laquelle<br />
des informations sont transmises. Du moment que l'on indique les raisons<br />
pour lesquelles on peut soutenir la vérité d'une proposition et qu'on<br />
reconnaît que sa vérité ne peut être fondée que sur le raisonnement et lui<br />
seul -lequel peut s'avérer déficient, erroné ou invalide-, on enseigne de<br />
manière acceptable. Mais sitôt que l'on a recours à des techniques de<br />
persuasion (il peut s'agir de l'hypnotisme, de la torture, du charisme, de<br />
l'appel à l'autorité, etc), alors on endoctrine. On ne peut cependant<br />
raisonnablement penser que le critère de la méthode puisse, à lui seul,<br />
permettre de définir l'endoctrinement. Si c'était le cas, nous serions<br />
coupables d'endoctriner chaque fois que nous empêcherions un enfant de<br />
mettre les mains sur un poêle brûlant ou de traverser une rue où circulent<br />
de nombreuses voitures. Mais ce critère semble cependant bien une<br />
condition nécessaire de l'endoctrinement. Notre position serait donc la<br />
suivante: endoctriner, c'est utiliser des moyens non rationnels dans le but<br />
d'établir une adhésion inconditionnelle quant à la vérité de certaines<br />
assertions indémontrables, et cela avec l'intention que les personnes à qui<br />
l'on s'adresse s'y tiennent fermement.<br />
p. 11
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VADEMECUM LA LAICITE A L'ECOLE<br />
p. 12