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Ferdinand Buisson, Article « Neutralité » du Nouveau Dictionnaire de<br />
pédagogie et d’instruction primaire, Hachette, 1911<br />
Quant à son tour Jules Ferry exposa au Parlement la théorie de la<br />
neutralité scolaire, il dit expressément à plusieurs reprises : « Nous<br />
n'avons promis ni la neutralité philosophique ni la neutralité politique ». Le<br />
bon sens en effet ne permet pas de concevoir une école qui, par définition,<br />
se proposerait la neutralité absolue, c'est-à-dire s'interdirait de parler. Car<br />
le langage le plus familier, celui que l'enfant doit apprendre pour<br />
comprendre tout le monde et en être compris, emploie constamment et<br />
couramment des mots qui supposent, si on les presse, certaines notions<br />
philosophiques et sociologiques. Dans le premier rapport qui ait été fait au<br />
Conseil supérieur sur le nouvel enseignement de la morale, M. Paul Janet<br />
réfutait déjà par l'absurde la prétention qu'il osait à peine prévoir : celle qui<br />
« de progrès en progrès et sous prétexte de neutralité, en viendrait à<br />
interdire d'enseigner le devoir, la famille, la propriété, la patrie ». Au point<br />
de vue proprement politique, Jules Ferry disait non moins<br />
catégoriquement, en parlant d'une école, d'un maître, d'un livre qui<br />
prétendrait « diffamer la Révolution française ou dénigrer la République »<br />
: « Jamais nous ne nous sommes engagés à les tolérer ». […]<br />
Pour l'Église, l'enseignement est neutre s'il s'abstient de tout ce qui<br />
pourrait, de près ou de loin, combattre ou contrarier non seulement le<br />
dogme catholique, mais les idées chères au catholicisme dans tous les<br />
ordres, notamment les opinions historiques relatives aux événements de<br />
toute nature où l'Église s'est trouvée mêlée.<br />
Du moment que l'enseignement tendrait à faire aimer ce que n'aime pas<br />
l'Église, par exemple la liberté de conscience, à faire approuver les lois<br />
qu'elle désapprouve, telles que le mariage civil, le divorce, toutes les lois<br />
de laïcité dans tous les domaines, à faire accepter les institutions du<br />
monde moderne et les tendances qu'elle résume, avec colère et dédain,<br />
sous le nom de « libéralisme », cet enseignement n'est pas neutre à ses<br />
yeux, il est hostile, il est pour elle une offense et une attaque d'autant plus<br />
dangereuse que la forme en sera plus modérée.<br />
Pour l'État, au contraire, l'enseignement sera neutre s'il s'abstient de toute<br />
incursion dans le domaine des croyances religieuses, s'il se garde<br />
également de plaider pour ou contre aucune d'elles, s'il évite toute allure<br />
de propagande agressive ou de prosélytisme soit confessionnel, soit<br />
anticonfessionnel. Mais il doit affirmer les vérités scientifiques sans se<br />
mettre en peine de savoir si l'Église les a condamnées, les vérités<br />
historiques sans se préoccuper de les faire tourner invariablement à<br />
l'honneur du Vatican, les vérités politiques et sociales, essence de la<br />
démocratie, sans se soucier de les mettre d'accord avec la politique<br />
passée ou présente du parti catholique.<br />
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