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RECUEIL DES TEXTES

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Catherine Kintzler, La République en question, Minerve, 1996, p. 83-88<br />

La construction du concept de laïcité scolaire suppose qu'on s'efforce de<br />

répondre à la question: pourquoi l'école devrait-elle être soustraite à la<br />

société civile? Il existe des réponses juridiques, mais elles demeurent<br />

partielles ; la réponse la plus fondamentale ne l'est pas.<br />

Voyons d'abord les raisons juridiques. La première, c'est que l'école est<br />

obligatoire. Or les élèves qui fréquentent l'école publique n'ont pas choisi<br />

leurs camarades, et c'est d'ailleurs à ce titre que l'école est un lieu<br />

d'intégration et d'égalité. Tolérer une manifestation religieuse de la part<br />

des uns, c'est l'imposer aux autres qui ne peuvent s'y soustraire. Quand<br />

quelqu'un arbore dans la rue ou dans le métro un signe religieux que je<br />

désavoue, cela ne peut me gêner en aucune manière : personne ne<br />

m'oblige à rester là. Mais les élèves sont astreints à la coprésence; ou<br />

alors, il faudrait mettre ensemble ceux qui portent une croix et les séparer,<br />

faire la même chose avec ceux qui portent une kippa, avec celles qui<br />

portent un voile, etc. Outre qu'on n'en aurait jamais fini, outre que cela<br />

revient à rejeter totalement celui qui n'affiche aucune croyance, cela porte<br />

un nom: la ségrégation. Ce serait transformer l'école publique en une<br />

multitude d'écoles privées particularistes, fondées sur le principe de la<br />

séparation entre les communautés. Donc, pour que personne ne puisse<br />

se plaindre d'avoir été contraint de subir une manifestation qu'il<br />

désapprouve, et pour qu'il n'y ait aucune ségrégation, il faut interdire le<br />

port des signes d'appartenance politique et religieuse à l'école publique.<br />

La seconde raison juridique est que les élèves, pour la plupart, sont des<br />

mineurs, et que leur jugement n'est pas formé. Ceux qui prétendent qu'ils<br />

doivent bénéficier de la liberté dont jouissent les citoyens avancent une<br />

monstruosité. Ils supposent en effet que les élèves disposent d'une<br />

autonomie qu'ils n'ont pas encore conquise : on devrait donc leur assener<br />

le poids de la liberté avant de leur en avoir donné la maîtrise, en supposant<br />

qu'ils trouvent spontanément en eux la force suffisante pour préserver<br />

cette autonomie. Faire défiler les groupes de pression devant les élèves<br />

(car c'est à cela que se réduit la « nouvelle laïcité ouverte» : on présente<br />

des « opinions » et l'on dit ensuite, débrouillez-vous, nous, nous restons<br />

«pluralistes », Darwin contre la Bible, par exemple, à vous de juger...),<br />

c'est se tromper sur la liberté de l'enfant, car la liberté dépend de la<br />

puissance de chacun à se préserver de l'oppression et de l'aveuglement.<br />

Aucun homme de bon sens ne songerait à demander à un enfant une<br />

tâche au-dessus de ses forces: c'est pourtant ce que font les tenants de<br />

la «laïcité ouverte» - les mêmes se plaignent, par ailleurs, des<br />

programmes surchargés.<br />

p. 7

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